Helloooo.
Ce n'est pas souvent que je mets des avertissements en début de chapitre, je n'aime pas trop faire ça, mais j'ai trouvé à l'écriture qu'une partie du chapitre était peut-être très anxiogène, avec pas mal de pensées très négatives et d'auto-flagellation mentale. Je trouve ça plus sage d'avertir pour les plus sensibles d'entre vous.
Évidemment, c'est le chapitre où on retrouve Ace, hein...
Enjoy ?
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C'est une bataille d'égo que je crève d'envie de gagner. J'ai bien conscience de sa puérilité et du fait que ça ne peut que me porter un peu plus préjudice, mais après avoir passé ces dernières vingt-quatre heures sans dormir et au sortir d'une des pires nuits de ma vie, qu'on pardonne mes nerfs d'être légèrement à fleur de peau.
Je rêve d'arracher les trois paires d'yeux condescendants que j'ai en face de moi. Si je pouvais juste leur rendre leur monnaie de leur pièce, les enfermer là où ils m'ont collé et humilié toute la matinée, mais bien les y laisser pourrir à vie dans leur propre déjection, jusqu'à ce qu'ils en crèvent...
- Ace ? ... Il y a un problème ?
La voix de Shanks me parvient de loin, il doit tout juste être revenu de son appel avec Luffy, mais je ne lui adresse pas un regard. Pas question que je baisse les yeux face aux trois gorilles qui me font face.
- Non Monsieur, mais votre neveu a visiblement envie de jouer à une bataille de regards avec nous... s'amuse clairement l'une des officiers.
- Tu veux que je te tienne le menton pour qu'on soit plus sérieux, mon grand ? ricane un autre, ce qui me fait limite grogner.
- Essaie de me toucher et j'te jure que j'te-
Je n'ai pas le temps de terminer ma phrase que Shanks plaque violemment sa main sur ma bouche et me tire en arrière.
- Navrés, messieurs dames... ! Il est épuisé, ça ne doit pas aider ! Nous allons juste récupérer ses affaires et y aller...
J'ai le droit à un regard d'avertissement glacial de sa part et son ton est bien moins mielleux quand il s'adresse à moi à mi-voix.
- Est-ce que je dois signer la sortie à ta place comme si tu avais encore 15 ans ou tu penses être capable de te contenir dix secondes ?!
Je serre les dents, son statut d'oncle respecté et d'aîné ne m'empêchant pas d'avoir envie de lui enfoncer mon poing dans le plexus, à lui aussi. Mais il a raison, je le sais bien. J'ai déjà de la chance que ces fils de pute n'aient pas envie de me poursuivre pour outrage à agent, vu tout ce que je leur ai dit plus tôt. Empirer mon cas serait d'une stupidité sans borne... et ça ne règlerait pas mon souci principal, bien au contraire.
Je suis tendu comme jamais sur leur stylo, que je leur balance limite à la gueule quand j'ai apposé ma signature bancale sur le papier de sortie. Ils me tendent mes affaires avec quelques nouvelles remarques méprisantes que j'encaisse comme je peux, même si la main crispée de Shanks sur mon épaule m'aide à tenir le coup. Il m'emmène carrément de force en me poussant dans le dos tout en saluant ces connards de flics d'une manière tellement lèche-cul que même moi, je n'arrive pas à ce niveau de lubrification avec Luffy.
Arrivés dehors, je m'éjecte de sa prise et j'explose un bon coup. Je n'ai plus de voix depuis hier, mais ça ne m'empêche pas de hurler comme un loup déchaîné. Le muret des escaliers du commissariat se prend un kick rageur, mais je me fais chopper sans ménagement à la nuque par Shanks, qui arrive encore à m'étonner de la force qu'il peut avoir malgré son physique. J'essaie de me dégager avec hargne, mais il me maintient pour me faire avancer comme on le ferait à un chien qui aurait fait une connerie. Putain.
- C'est pas possible bon dieu de merde, tu ne peux vraiment pas t'en empêcher ?! siffle-t-il nerveusement. Tu t'en sors miraculeusement sans rien d'autre qu'une nuit en cellule de dégrisement et tu cherches encore ?!
- Lâche-moi putain !
J'arrive enfin à me dégager de sa poigne après que l'on ait fait quelques mètres comme ça, tous poings brandis et prêt à lui en décocher une pour de bon. Mais je m'arrête net dans mon mouvement, rattrapé par ma conscience qui me rappelle que ça serait quand même une connerie d'un sacré niveau que de frapper mon oncle qui a toujours été d'une bienveillance rare avec moi. Même si l'expression qu'il m'envoie aide pas mal. Son regard pourrait congeler une cheminée en un instant et je ne fais pas exception : il m'a gelé sur place.
Comment il fait, cet enfoiré... ? Est-ce que c'est sa position par rapport à moi, ou c'est vraiment son putain de charisme naturel ? Dans tous les cas, mon coup de sang se calme relativement et je baisse les poings, déglutissant, mais la mâchoire toujours serrée. Je n'ai jamais vraiment eu à subir son courroux et je n'ai pas envie de m'y essayer aujourd'hui. 'Pas le moment. J'ai d'autres problèmes sur le feu.
- T'as appelé Luffy ?
Il soupire lourdement en me lâchant enfin des yeux et reprend sa route tout en engouffrant rageusement les mains dans ses poches. Je la connais celle-là : la sobriété qui passe mal, hein ?
- Je l'ai appelé. Mais je ne vais pas aller le chercher comme tu me l'as demandé.
- QUOI ?! aboyé-je tout en le suivant. Pourquoi ?!
- Il m'a expliqué dans quel état il avait retrouvé votre appartement.
Je peste. Évidemment qu'il le lui a dit.
Pour le coup, ça m'emmerde mais je ne trouve pas grand-chose à redire. J'ai envie de croire qu'il n'y a rien de grave, un trou en plus dans un mur – ils commencent à avoir l'habitude – et peut-être la table du salon à réparer. Mais je sais aussi que je suis complètement aveuglé dans ce genre de moment... À vrai dire, j'en ai peu de souvenir. Tout ce qui suit le départ de Luffy est assez flou dans ma mémoire. Je crois avoir repris pleinement conscience un instant, alors que j'étais au volant de ma caisse, mais je n'ai aucune idée de l'heure qu'il était.
- Parmi toutes les absurdités que tu as pu faire hier, comment tu as pu faire ça ? siffle tout à coup Shanks, sans s'arrêter de marcher et surtout, sans me regarder. Luffy m'a dit que tu avais touché aux bibelots de Makino... Tu n'as donc aucun respect pour son souvenir ?!
Un frisson glacé me remonte l'échine. D'accord, vu comme ça, je comprends mieux pourquoi le roux semble vouloir ma mort... Je ne suis pas vraiment un matérialiste, je me fous un peu de ces foutus bibelots qui prennent la poussière pour rien. À mes yeux, ils ne sont là que pour rappeler qu'il n'y a plus personne pour les chérir avec une passion qui m'a toujours échappé. Mais je sais qu'ils sont importants aux yeux de Luffy et de Shanks.
Je comprends leur colère. Même si ça n'apaise pas la mienne.
- On pourrait voir ça plus tard ? réponds-je de ma voix qui part légèrement en couilles. Luffy, il est-
- Où est ta voiture ? me coupe-t-il tout en ouvrant la sienne.
Très bien, je reçois le message cinq sur cinq. Je dois m'estimer heureux qu'il accepte de me filer un coup de main vu sa colère envers moi. Je ferai mieux de me la fermer et de juste laisser les choses se faire... Mais putain, je suis claqué, encore un peu bourré, les nerfs tellement à vif que j'ai l'impression d'être un héroïnomane en pleine redescente. Je veux juste une putain de réponse, c'est si compliqué que ça ?!
- J'en sais rien, j'm'en rappelle plus, consens-je tout de même à répondre, comprenant bien que je n'obtiendrais rien de lui si je ne vais pas dans son sens.
Il me répond par un soupir impatient et s'engouffre dans sa bagnole.
- Dans ce cas, je te ramène à l'appartement. Je pourrais constater les dégâts par moi-même, comme ça.
Putain.
Le trajet est une torture. Autant pour tous les points que j'ai cités plus haut que le fait que, bordel de merde, l'aura de Shanks en colère est pire que celle d'un Dragon en colère : c'est dire le putain de niveau. On parle souvent des faux-calmes et de leur légendaire colère qui fait des ravages quand elle explose, je le confirme à cet instant. Je ne l'ai jamais vu aussi sombre. Ses mains tremblantes sont crispées sur le volant à en faire blanchir ses phalanges et je le ressens dans chaque virage qu'on prend.
- ... Explique-moi ce qu'il s'est passé, et ne sois pas avare de détails. J'ai eu la version rapide de Luffy, je veux la tienne maintenant.
Au-delà de ma hargne, une petite anxiété remonte en moi à cette précision : qu'est-ce que Luffy lui a dit... ? Si mon éclat de colère chez le fils de pute d'émo-dépressif aurait déjà pu éveiller les soupçons des potes de Luffy, je n'imagine même pas ce que la vérité va faire comprendre à l'oncle...
- ... On s'est pris la tête. Sur un truc de merde.
- Ah ! pouffe-t-il d'un rire sans joie et je me prends son cynisme en pleine face. Si ce « truc » était si « merdique » que ça, alors je devrais plutôt faire demi-tour pour retourner chez les flics ? Car excuse-moi, mais je refuse d'accepter qu'un « truc de merde » vaille un appartement parental retourné, une bagarre de rue en pleine nuit, un passage en cellule de dégrisement et une voiture perdue !
Je commence à me manger nerveusement l'intérieur de la joue et ma jambe tressaute à une vitesse hallucinante sans que je puisse la contrôler. Dans mon état de nervosité actuel, je ne suis pas capable de pondre un véritable mensonge. Mais il faut quand même que je me sorte de là.
- ... C'était disproportionné, marmonné-je après de longues secondes d'hésitation.
- Pardon ?
Je serre les dents. Je sais qu'il m'a très bien entendu, cet enculé.
- C'était disproportionné ! aboyé-je aigrement. Je le sais, je suis pas complètement con !
- Bravo, c'est merveilleux que tu t'en rendes compte, ricane-t-il sans aucune joie. Je suis terriblement fier de toi, tout le monde sait que ça t'empêchera de recommencer.
- Garde tes putains de sarcasmes pour toi ! Je sais que j'ai merdé, que j'ai totalement merdé !
- Et comment, que tu as merdé. Luffy m'a dit qu'il ne comptait pas rentrer ce soir, qu'il dort chez ses amis. Et je n'ose même pas imaginer l'origine de votre dispute pour qu'il en arrive là.
Je me glace sur place à cette nouvelle : pardon... ? Il ne compte pas rentrer... ?
- ... Quoi ? couiné-je en ayant perdu l'intégralité de mon égo, de ma superbe et de mon aplomb dans le même revers violent. Mais il... Il peut pas... Il peut pas faire ça, il a pas le droit... !
- Il n'a pas le droit ? répète Shanks, clairement prêt à m'arracher la tête même s'il ne lâche pas la route des yeux. Écoute-moi bien, Ace : s'il faut que Luffy vienne dormir chez moi quelques temps et que je veille devant ma porte pour être certain que tu lui laisses de l'air, sache que je le ferai. Il y a plein de raisons pour lesquelles je ne me suis pas proposé pour reprendre sa garde à ta place, et le fait que j'aie confiance en toi pour veiller sur lui en fait partie. Mais là, je constate que tu as réussi le miracle de le secouer assez pour qu'il ait envie de prendre ses distances avec toi et-
- C'est des conneries ! T'as mal compris ce qu'il t'a dit !
- De prendre ses distances avec TOI ! me coupe-t-il agressivement, son ton montant d'un cran pour me faire taire. Avec TOI, son frère qu'il a toujours mis sur un piédestal, qu'il a accueilli dans son foyer les bras ouverts, qu'il a toujours considéré comme son propre sang ! Alors je sais bien, je sais bien que même avec lui, tu es capable d'être une horreur ! Makino me racontait tout, elle ne m'a pas épargné les fois où tu l'as suffisamment poussé à bout au point de le faire pleurer. Je sais que ce n'est pas votre première dispute et que ça ne sera pas la dernière et dans le fond, tu sais quoi, je n'ai même pas envie de connaître la raison puérile derrière. Mais je viens d'avoir mon neveu en larmes au téléphone par ta faute, je viens d'apprendre que tu as brisé les quelques rares objets que Makino affectionnait avec une attention particulière, et oserais-je te rappeler que je parle là de ma SŒUR, qui a perdu la vie il y a quatre mois à peine ?!
Il freine tout à coup et se déporte brutalement sur un parking, où il pile à l'arrache sur une place vacante en mettant le frein à main. À l'arrêt, il inspire profondément un coup tout en fermant les yeux.
Je me sens un peu secoué par tout ce que je viens de me prendre dans la gueule, mais je comprends que ce n'est pas fini quand il se tourne vers moi pour m'enfoncer encore un peu plus avec ses yeux assassins.
- ... Je sais que c'est idiot de s'attarder sur ce genre de choses, ce ne sont que des objets. Mais Luffy et moi sommes en deuil, Ace. Tu es en deuil, toi aussi. Je sais bien que nous avons tous notre manière de le gérer... Mais tu ne penses pas qu'en ce moment tout particulièrement, la colère ne devrait pas avoir sa place ? Tu ne penses pas qu'il ne devrait y avoir, au contraire, que de la bienveillance et de la patience ?
Il ferme à nouveau les yeux en se détournant et laisse retomber son crâne sur l'appui-tête d'un mouvement épuisé. Ses mains ne lâchent toujours pas le volant, mais ses doigts sursautent légèrement maintenant qu'il s'est décrispé.
- ... Si tu n'es pas capable de surmonter ça seul, je t'encourage à retourner voir un psy. Et je ne dis pas ça parce que tu as un problème, Ace. Je dis ça pour ton bien et pour celui de ton unique petit frère, qui n'a jamais été aussi perdu qu'en ce moment. Vous avez de la chance d'être ensemble... Vous avez de la chance de pouvoir compter l'un sur l'autre.
Il se tourne à nouveau vers moi, mais son regard s'est calmé pour reprendre cet air d'infinie tristesse, teinté d'une pointe de douceur, que je ne lui connais que trop bien en ce moment.
- ... Alors ne gâche pas tout. Ne laisse pas tes démons tout foutre en l'air alors que la situation est déjà dramatique. Si tu as des problèmes pour gérer les émotions de Luffy - qui reste un adolescent en crise, j'en ai conscience -, tu sais que tu peux compter sur moi et sur votre grand-père. Tu n'es pas seul, Ace...
... J'aimerais tellement lui foutre dans la gueule que c'est difficile de se mettre en tête qu'on peut compter sur lui quand il est déjà en train de se rouler par terre à 16h de l'après-midi... Mais je sais qu'il en a conscience. Je sais qu'il se déteste, à cet instant, de se mentir à lui-même à ce point et de m'offrir une garantie qu'il ne pourra peut-être pas tenir.
Je le sais, parce que cette culpabilité de se mentir à soi-même en enjolivant les angles, je la vois régulièrement dans le miroir.
Dans tous les cas... Sa tirade a eu l'effet d'un uppercut. Ça faisait longtemps qu'on ne m'avait pas remis les idées en place de cette manière. Toute trace de colère en moi a disparu, la fatigue et un énorme sentiment de honte prenant sa place pour y installer un nid bien confortable. Je me sens me liquéfier sur place et pour une rare fois, je n'arrive pas à affronter le regard de l'oncle plus longtemps.
- ... Je suis désolé, Shanks.
Il sait que je suis sincère. Je ne m'excuse que rarement. Et d'autant moins avec un ton aussi misérablement penaud. J'ai une sensation d'humiliation intense qui m'étreint, mais pour une fois, elle ne relance pas ma rage. J'ai juste l'impression que je vais m'y complaire sans arriver à en sortir pendant un petit moment.
Shanks soupire à côté de moi et desserre le frein à main pour repartir.
- Essaie de vous ménager à l'avenir, toi comme Luffy... En attendant, je te ramène et on va essayer de réparer les dégâts pour ne pas en rajouter une couche quand il voudra rentrer.
- Non, le coupé-je d'un ton ferme, mais sans agressivité. Non... Tu feras rien, c'est à moi d'arranger le bordel que j'ai fait...
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J'ai porté mes couilles pour assumer devant Shanks, mais deux heures plus tard, planté seul au milieu du salon à m'acharner sur le pied de la table basse qui refuse de se recoller malgré toutes mes tentatives, je dois bien reconnaître que je déchante pas mal. Heureusement que dans mon malheur, c'est le seul meuble de vraiment pété. La bibliothèque et le fauteuil de Makino vont bien, tout le contraire de la baie vitrée, du mur, de l'horloge (je ne vais pas me plaindre sur ce point), de quelques bibelots, et je ne parle même pas de mon portable... J'ai ramassé et nettoyé le bordel comme j'ai pu, ainsi que dans la chambre de Luffy, mais j'ai l'impression qu'il subsistera toujours des traces marquantes de mon explosion.
Je reconnais qu'elle était particulièrement hardcore, celle-là... Et malgré les paroles de Shanks qui m'ont bien remises à ma place, je sens qu'elle revient à mesure que les minutes sans nouvelle de Luffy défilent et que la fatigue m'emporte. J'ai pourtant fait une crise de narcolepsie en plein rangement un peu plus tôt, mais je me suis réveillé en panique, le cerveau carburant à deux milles à l'heure. Toutes mes pensées sont bloquées et tournent en boucle sur Luffy. Je me demande ce qu'il fout, je me demande où il est, ce qu'il pense exactement de tout ça, à quel point il m'en veut, quand est-ce qu'il compte rentrer... Le mot qu'il m'a laissé me pèse sur l'estomac. Je peux deviner aisément ses mains trembler en voyant son tracé bancal, ainsi que sa colère rien que dans le ton sec de ses mots. Je n'ai jamais vraiment vu Luffy en colère après moi, ou alors pour des broutilles qui étaient oubliées au bout de quelques heures. Dans tous les cas, je le sais peu rancunier. Il pardonnerait même à ses ennemis les plus pourris : alors, à moi ?
Je soupire en laissant la table retomber sur le côté et jette un œil à mon portable, bien allumé mais toujours illisible. Si j'arrivais à me rappeler de l'endroit où j'ai laissé ma voiture, j'irai m'en racheter un sur-le-champ pour tenter de le rappeler et qu'importent les menaces et interdictions de Shanks à ce sujet. Je le respecte et je pense qu'une partie de moi le remercie un peu pour m'avoir secoué les puces un peu plus tôt, mais il ira se faire foutre pour que je lui obéisse au doigt et à l'œil et que j'accepte de ne pas recontacter Luffy. Son silence et son absence sont étouffants. Le savoir probablement en colère contre moi m'inquiète plus que de raison. Je sens que mêlée à la colère et à la frustration, une peur incisive s'infiltre petit à petit en moi.
Dans quel état d'esprit je vais le retrouver... ? Qu'est-ce qu'il va me dire en revenant ? Qu'est-ce qu'il va penser de moi en constatant que certains des bibelots de Makino auxquels il tient tant ont disparu au fond de la poubelle pour de bon ? Est-ce qu'il va m'en vouloir longtemps ? Est-ce qu'il va me gueuler dessus comme je ne l'ai jamais vu gueuler après quelqu'un de ma vie ? Est-ce qu'il va chercher à me faire regretter ma crise ? À me punir ?
Le plus ironique dans l'histoire, c'est que même avec du recul et même après la soufflante de Shanks, je continue à croire qu'une partie de ma réaction était légitime. Je ne comprends toujours pas comment il a pu me faire ça. Après trois mois passés à ne quasiment jamais sortir l'un sans l'autre, c'est à peine s'il a réagi quand il a compris qu'il irait donc à cette soirée sans moi. En costard. Et il ne voyait pas le problème... C'est dingue. Je sais bien qu'il est comme ça : naïf comme pas deux, parfois trop candide pour son propre bien, tête en l'air, un poil égoïste par moment... Mais vu comme notre relation est fusionnelle, j'osais stupidement espérer qu'il serait plus attentif à tous ces détails nous concernant. Qu'il ne lui serait pas si simple de juste me délaisser pour une soirée et m'abandonner aux pires idées qui soient. Surtout après la catastrophe chez le connard d'émo sous coke surtout en sachant que son fabuleux plan cul inconnu rôde toujours...
Peut-être qu'il est aussi là le problème et ça me flingue toujours aussi violemment qu'hier de l'imaginer : soulé par ma réaction, il s'est peut-être laissé tenter par un enculé qui l'aurait abordé... et c'est pour ça qu'il dit qu'il n'a pas envie de me parler ni de rentrer, en plus de l'état de l'appart'... ?
Je me relève rageusement pour faire des allers-retours dans le salon, absolument tous les muscles du corps bandés douloureusement. Je sais au fond de moi que j'abuse, que je vais trop loin, que je me laisse aller à ma paranoïa... Mais c'est plus fort que moi. Je suis bien placé pour savoir à quel point ça peut être facile de tromper, et d'autant plus en sachant que Luffy l'a déjà fait au moins une fois.
Et puis... Il y a cet autre doute insidieux qui se rappelle régulièrement à moi sans que je ne puisse rien y faire. Qui chuchote constamment à mon oreille quand Luffy enchaîne les maladresses à mon égard. Celui qui me fait constamment me demander s'il prend vraiment notre relation au sérieux. J'aimerais y croire dans les moments de calme, quand on est blottis dans les bras l'un de l'autre, quand on plaisante ensemble en ponctuant nos rires de gestes tendres, quand on fait des sorties qui sonnent bien plus comme une activité de couple que d'une fratrie... Mais il y a tous les autres moments. Ceux où il ne répond pas – ou alors si candidement – à mes « Je t'aime » qu'il me balance des dingueries sur un ton nonchalant comme si nous étions toujours justes frères qu'il ne se projette jamais avec moi qu'il ne répond que peu à mes perches pour être un minimum romantique... Dans ces moments-là, je le reconnais, il me fout de plus en plus le seum. Je le sens tellement moins impliqué que moi. Et autant je le comprenais bien au début – on ne part pas vraiment du même niveau lui et moi -, mais plus le temps passe, plus voir ce déséquilibre subsister me pèse. J'ai parfois l'impression qu'il pourrait m'annoncer à tout moment qu'il préfère s'arrêter là et que tout redevienne comme avant.
Cette simple pensée me fait monter la bile à la gorge. Repartir comme avant après avoir goûté au plaisir de partager l'intimité de Luffy ? Impossible. Je ne pourrais jamais m'en remettre. La frustration serait trop puissante, et je ne parle même pas du malaise. Est-ce qu'on arriverait seulement à faire machine arrière dans nos habitudes... ? Je n'arriverais plus du tout à dormir. Je n'arriverais plus jamais à prendre le moindre plaisir sexuel avec qui que ce soit. Et je devrais vivre avec ce poids encore mille fois plus pesant sur ma poitrine ? Je devrais garder la tête hors de l'eau tout en côtoyant régulièrement la personne que j'aime de toute mon âme, dont je connais les secrets les plus inavouables et en totale conscience de la félicité que représente le fait de ne faire qu'un avec son corps... mais sans plus jamais pouvoir en profiter ? Je devrais juste me contenter de souvenirs perdus... ?
Ma vie était déjà un enfer avant ma relation avec Luffy, je n'ose imaginer le chaos de souffrance dans lequel je plongerais, en ce cas. Je ne m'en relèverais pas. Je céderais à tous mes démons sans aucune retenue et ni Sabo, ni Shanks ne pourront rien faire pour m'arrêter. Je finirais probablement mort, étouffé dans mon propre vomi tout en succombant d'une overdose au bout d'un mois à peine.
Surtout si Luffy se retrouve quelqu'un.
Cette horrible éventualité me fait serrer les dents au point de m'en faire mal. Je sens la colère rouler à nouveau douloureusement dans mes veines. Je combats pour ne pas céder à une nouvelle explosion et continue mes allers-retours nerveux à travers l'appartement silencieux.
Je devrais aller dormir... Ou au moins sortir. Rester ici, même si dans l'attente fébrile du retour de Luffy, ne fera qu'empirer mon cas. Et je ne veux pas l'empirer. Si je craque à nouveau, ma colère sera d'un niveau encore plus élevé que précédemment et il y aura probablement des morts.
Probablement que cette fois, Luffy ne reverra plus jamais le moindre bibelot de Makino quand il voudra rentrer.
Je prends plusieurs longues inspirations. Il faut que je me rappelle où j'ai bien pu laisser ma voiture... Mais je ne me rappelle déjà plus où les flics m'ont arrêté ce matin. Je n'étais pourtant pas si bourré que ça, mais le mélange alcool/rage a tendance à me provoquer de violents blackouts. Je me souviens juste vaguement avoir beaucoup trop roulé dans toute la ville, enchaîné des portes qui restaient fermées et des bars blindés où tout le monde se retournait sur mon passage.
Je suppose qu'un tour en ville à pied ne sera pas du luxe. J'en profiterais pour me racheter un téléphone neuf, tant pis pour le nouvel achat compulsif. Il faut que j'arrive à contacter Luffy. Simplement entendre sa voix m'apaiserait, j'en suis persuadé. Simplement savoir qu'il prévoit de rentrer dans tous les cas et qu'il laisse juste sa colère contre moi passer me calmerait drastiquement.
... Une partie de moi se rappelle que je me voile la face. Que ce n'est jamais assez pour l'affamé toxique que je suis.
Je laisse à mon tour un message à Luffy sur un post-it et je sors.
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Il est 18h. J'ai un portable flambant neuf, mes clés de voiture toujours orphelines, les pieds et les nerfs en compote, le ventre vide, les poumons qui hurlent au supplice tellement je les asphyxie de nicotine et la messagerie stupidement énervante de Luffy qui résonne dans ma tête en écho à force de l'entendre en boucle.
Je ne sais plus combien de fois je l'ai appelé, mais je n'arrive qu'à me demander combien de fois il a délibérément ignoré sa sonnerie. Le mélange de haine et d'inquiétude qui mugit en moi est de plus en plus difficile à encaisser, mais ils forment une balance étonnement assez équilibrée pour que je n'aie pas encore cédé à l'une ni à l'autre. Je n'arrive qu'à trembler de tous mes membres sous l'épuisement nerveux, la fatigue et la faim. J'erre dans la ville comme un zombie et m'arrête régulièrement dès que je croise une assise accueillante pour retenter de contacter Luffy.
Je n'arrête pas de me dire qu'en fait, il me punit. Ça doit être ça, pas vrai ? Il me punit d'avoir réagi de cette manière. Et je suis sûr qu'il ne réalise même pas à quel point sa punition me fait sévèrement douiller. J'en arrive à un point où je serais prêt à éclater en sanglots, là, en plein milieu de la rue, comme une merde.
Je veux juste une réponse. Juste un SMS. Rien qu'un simple « Va te faire foutre » serait moins douloureux à encaisser que ce putain de silence. Que de comprendre qu'il m'ignore volontairement.
Je ne sais pas comment je fais pour arriver encore à tenir en place et contrôler la pulsion qui me donne envie de retourner sonner aux portes de tous ses potes pour le retrouver. Peut-être l'échec de la veille quand je l'ai tenté... Ou peut-être le souvenir flou d'une daronne furax qui me menace d'appeler les flics si j'ose revenir. Et si j'atterris chez les flics pour la deuxième fois dans la même journée, mais cette fois-ci pour agression ou je ne sais pas quelle merde en plus de l'ivresse sur la voie publique de ce matin, je pourrai bien aller me faire foutre pour obtenir des nouvelles de Luffy en garde à vue.
Je stoppe soudainement ma marche traînante pour glisser le long d'un muret avec tout le désespoir du monde. Je n'en peux plus, mes jambes sont lourdes comme jamais, mes pieds sont en feu, mon dos me rappelle constamment d'aller me faire foutre et je ne parle même pas de tout le reste de mon corps qui me déteste, actuellement... Je sais bien que je devrais juste rentrer pour prendre soin de moi, mais l'éventualité de retrouver le silence de l'appart' me rend encore plus malade. Et ce n'est pas comme si je n'avais pas l'habitude de détruire mon corps pour épancher un minimum le bordel dans ma tête.
Bien que ce bordel n'ait jamais été aussi concentré qu'aujourd'hui sur un point fixe... Des bads à propos de Luffy, j'en ai eu dans ma vie. Probablement bien plus que je ne pourrais vraiment m'en rappeler. Mais celui-ci est bien trop réel... Quand, à l'époque, tout ce qui m'importait était de trouver une échappatoire pour arrêter de penser à lui non-stop, à cet instant, je voudrais juste tout donner pour avoir l'opportunité de me jeter à ses pieds et le supplier pour son pardon.
J'ai peut-être trop merdé, ces derniers temps... Peut-être que la crise d'hier peu de temps après celle que j'ai eu contre l'autre connard de panda dépressif était une accumulation trop violente... ? Sans compter que Luffy a parlé de nous à sa psy'. Et j'aimerais tellement savoir ce qu'elle lui a dit... Ces salauds sont les meilleurs pour incruster des idées subliminales qui se greffent bien au cerveau pour ne plus partir. Il suffit qu'elle lui ait dit, d'une manière ou d'une autre, que me côtoyer de cette manière était une horrible idée, et...
Et ses potes ? S'il leur révèle tout, après ça ? Qu'est-ce qu'ils vont lui dire, eux qui étaient aux premières loges à la soirée chez Law ? Zozo, qui a l'air de se méfier de moi au moins autant que moi de lui sur certains aspects et qui a l'air si garant du cul de mon petit-frère : ne va-t-il pas lui conseiller de juste s'éloigner de moi jusqu'à sa majorité... ?
Est-ce que Luffy les écouterait, après tout ça ?
Est-ce que j'ai vraiment merdé à ce point, finalement... ?
Je jette un œil sur mon portable : il est 18h16, ça va faire vingt-quatre heures que je n'ai pas de nouvelle de Luffy.
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21h34.
Je suis rentré, je n'ai pas retrouvé ma bagnole, j'ai fait une nouvelle crise de narcolepsie car mon corps n'en peut plus, et j'ai même fini par chialer un coup après avoir fumé un joint pour espérer me calmer.
Je ne suis pas du tout calmé. Je suis juste à bout de nerfs, mais au point où je n'ai même plus assez de forces pour péter un plomb. J'ai l'impression de ne plus être bon qu'à aller m'effondrer en position latérale de sécurité dans un coin et pleurer toutes les larmes de mon corps. Je suppose que la weed aide un peu à ramollir mes émotions, mais je ne suis pas sûr que ça soit vraiment mieux que la colère.
Je ne me rappelle pas m'être déjà senti autant au fond du trou, mais avec ce persistant espoir que tout peut s'arranger en un claquement de doigts qui me pend devant le nez comme une putain de carotte dorée. C'est un insupportable mélange d'émotions. J'imagine que ça doit un peu ressembler à ça d'attendre fébrilement des nouvelles de l'opération d'un être cher dans un état critique.
Tout s'arrangerait d'un coup si Luffy daignait me répondre... Mais ce n'est toujours pas le cas. Et depuis quelques appels, je tombe sur le répondeur directement, sans savoir s'il a juste éteint son portable ou s'il n'a plus de batterie. Dans un cas comme dans l'autre, ça ne me rassure pas. Dans un cas, il ne veut clairement pas me parler. Dans l'autre, il lui est peut-être arrivé quelque chose, et...
Et je sais que je ne suis pas rationnel. J'ai tenté de relancer l'oncle il y a une heure, et je pourrais paraphraser sa réponse en « va dormir et arrête de faire chier ». Je sais qu'il a raison. Je sais que je n'arrangerais rien en continuant de cogiter, en continuant d'être tenté de ressortir pour le trouver, en me flagellant mentalement en boucle, en m'empêchant de dormir. Mais ce n'est même pas volontaire... Pour une énième fois, je me fais complètement bouffer par mes pensées. Par mes démons. Par mon amour pour lui.
Même quand il m'a enfin offert ce que j'ai toujours désiré, même quand je pensais que j'avais enfin atteint le bonheur et que je ne pouvais plus demander quoi que ce soit de plus pour être comblé, j'arrive encore à réclamer... J'arrive encore à me morfondre. J'arrive encore à détester ma condition. J'arrive encore à me haïr.
Qu'est-ce que je vais faire de moi... ? Je me prouve encore une fois - peut-être la pire fois -, qu'il n'y a rien à sauver de mon être putride. Que mon cerveau est fucked-up jusqu'au bout. Que je resterai un putain d'assoiffé insatiable jusqu'à la fin de mes jours. Et que si je continue comme ça, mes jours, ils sont définitivement comptés.
J'ai du mal à réaliser ce qu'il m'arrive quand je me rends enfin compte que je pleure à nouveau. Mais contrairement à plus tôt, les sanglots dans lesquels je m'étouffe sont éprouvants. Ils me font presque mal physiquement. Je n'ai pas souvent été dans un tel état, de mémoire.
De mémoire, la dernière fois... Ironiquement, elle était il n'y a pas si longtemps. La dernière fois... C'était ce jour-là, il y a cinq mois, lorsque je me suis retrouvé seul dans cette petite salle obscure au funérarium, face aux deux corps sans vie de mes parents. Lorsque j'ai pris pleinement conscience de la situation parce que je l'avais littéralement en face des yeux. Lorsque j'ai réalisé que le silence que j'entendais autour de moi était encore pire que celui qui accompagne le tic-tac de l'horloge du salon que je déteste tellement.
Ce tic-tac résonnait dans ma tête à ce moment. J'ai eu la sensation que les deux cercueils et moi-même étions en plein milieu de l'appartement.
L'appartement où ils ne rentreraient plus.
Ce sanctuaire de salvation, quoi que j'en dise. Là où j'ai vécu ma renaissance. Là où j'ai cru, pour la première fois, pouvoir échapper à cette vie de misère qui représentait la première partie de ma pitoyable existence. De ne plus être qu'un simple orphelin parmi tant d'autre. Où je me suis senti aimé et choyé, pour la première fois de ma vie.
Là où les deux êtres qui m'ont donné cette formidable seconde chance ne reviendraient jamais plus.
Mes larmes redoublent à ce violent rappel.
C'est drôle, j'ai longtemps cru que jamais Makino et Dragon ne pouvaient m'aider réellement, ne pouvaient me sauver de moi-même. Aujourd'hui, je réalise à quel point leur présence était essentielle. Ils m'aidaient à leur manière.
Et ils sauvaient Luffy de moi, sans même le savoir.
Ma main tremblante saisit mon portable. Je ne sais même pas comment j'arrive à parcourir correctement mon répertoire à travers mes larmes. J'ai du mal à respirer. J'ai l'impression qu'elles ne s'arrêteront jamais. J'ai tellement honte de me voir moi-même comme ça, mais j'appuie tout de même sur la touche d'appel.
Heureusement qu'il m'a déjà vu dans un état pire que ça.
Heureusement qu'il me répond. Comme toujours.
- ... Sabo ? soufflé-je, la gorge écrasée par l'émotion. Je crois... Que j'ai besoin que tu me mettes un bon coup de pied au cul, là...
- ... Je t'écoute, Ace.
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- Vald – Rechute -
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