Bonjour ! Et bonne année à vous tous ! J'ai la gueule de bois mais je suis au rendez-vous haha.

Ce chap, comme le précédent, est toujours un peu anxiogène vu la situation et la bestiole (Ace) à laquelle nous avons à faire... Je voulais donc mettre un double avertissement. Et le deuxième concerne le fait que je mentionne une prise de GHB ici. Mais pas dans le sens horrible du terme, je parle bien d'une prise pour soi, à la recherche d'effets d'apaisement comme n'importe quelle autre drogue. Cette drogue ne sert pas que pour les gros connards qui mériteraient la prison à vie et elle a également des vertus thérapeutiques, au point d'être prescrite médicalement dans certains pays (pour traiter la narcolepsie, par exemple... !)

Comme d'habitude, je ne fais pas l'apologie de la drogue. Ace en prend car il est bercé dans l'illusion que c'est sa seule échappatoire et avec sa personnalité autodestructrice, il se fiche pas mal des dommages qu'il se fait subir mentalement et physiquement. Soyez plus malins que lui : évitez ou consommez intelligemment.

La Soraa « moralisatrice pas très à l'aise dans son rôle » vous souhaite quand même une bonne lecture !


.

Je ne sais pas si je me sens plus soulagé que blasé, mais un long soupir se fraie un chemin entre mes lèvres en voyant enfin ma bagnole... Je n'aurais mis que deux jours pour la retrouver, ça aurait pu être pire.

Je soupire encore quand je rentre dedans en claquant la portière. Je n'ai vraiment aucun souvenir d'être venu ici. Mais on est près du centre-ville, j'ai été arrêté par les flics dans un bar un peu plus loin... Ce n'est pas très étonnant. La vraie question serait plutôt de savoir combien de temps j'ai déambulé de bars en bars avant de me faire arrêter. Une question qui restera sans réponse, et elle ne m'intéresse pas des masses en réalité.

On est maintenantdimanche, il est 11h12. La veille, je suis resté au téléphone avec Sabo pas moins de trois heures. J'étais, heureusement, assez lucide pour ne pas lâcher le gros du morceau... Pour simplement lui dire « Je me suis méchamment embrouillé avec Luffy, je ne sais pas où il est et il me ghoste et je suis mort d'inquiétude ». Il m'a écouté, encore une fois. Il a l'habitude de mon discours décousu quand j'en viens à m'épancher sur mon petit-frère.

Mais en vérité, j'étais trop en détresse et épuisé pour véritablement faire attention à ce que je disais. Avec le recul, je crois que même Sab' avait l'air décontenancé par la violence de ma crise.

Mais peu importe. Comme d'habitude, il a réussi à me calmer, même à distance, et je n'en ai jamais douté. Je me suis effondré de fatigue sur mon téléphone, sans même lui dire au revoir, sans même me rendre compte que je m'étais endormi. Mais pas de réveil en panique vingt minutes plus tard cette fois, mais après facilement sept heures, bien plus frais et opérationnel pour me lancer dans un nouveau cycle d'inquiétude.

Parce qu'évidemment, je n'ai toujours aucune nouvelle de Luffy.

J'ai relancé l'oncle. Il m'a encore gentiment dit d'aller me faire foutre. Autrement dit, « Luffy va bien, laisse-le tranquille ».

D'accord.

Je suis dans une tentative de phase d'acceptation, actuellement... Je me trouve anormalement calme depuis que je suis reparti en vadrouille chercher ma voiture il y a deux heures de ça, mais qu'est-ce que je peux faire de plus ? Je crois que Sab' a suffisamment réussi à me raisonner pour m'imprimer dans le crâne que je n'avais qu'à attendre. Que si je faisais la moindre chose en plus, je ne ferai qu'aggraver la situation et reculer encore le moment où je pourrais m'expliquer avec Luffy.

Tout ce que j'ai fait, c'est envoyer un message à mon petit frère. Chose que je n'avais pas faite hier, aveuglé par ma fatigue, ma colère, ma frustration... Je n'ai fait que lui laisser des appels en absence. Je ne me suis même pas excusé. Mais c'est chose faite, à présent. Et à présent, je n'ai plus qu'à attendre...

Qu'à attendre de voir comment s'épanche la colère de Luffy. À quoi elle ressemble. Combien de temps elle va durer.

Je suis lucide : probablement tout le week-end. Je ne le reverrai pas avant au moins ce soir.

Qu'est-ce que je vais faire en attendant ? Aucune foutue idée. Me laisser mourir est un bon plan, surtout maintenant que je n'ai plus le problème de la voiture sur lequel réfléchir.

Je pourrais faire du sport... Jouer à la console... Essayer de remettre la chambre de Luffy au plus proche qu'elle n'était avant que l'ouragan Ace décide de tout saccager...

Je pourrais aussi essayer de dormir encore. Dormir jusqu'à ce que cette attente insupportable se termine. Car j'ai beau ressentir surtout de l'apathie actuellement, ça n'empêche pas mon estomac d'être encore complètement tordu, mes mains de trembler légèrement et mon cerveau de bloquer en boucle sur une pensée unique comme un putain de régime totalitaire. « Luffy. Luffy. Luffy. Est-ce que Luffy m'en veut vraiment. Est-ce que Luffy va me quitter quand il va revenir. Est-ce que ma vie avec Luffy est finie ou pas. »

C'est insupportable. Je serre tellement la mâchoire sans m'en rendre compte depuis hier que je commence à en avoir mal aux dents. Et pourtant, je reste dans cet étrange mélange d'inquiétude et d'apathie béate. Tout en sentant que le petit ange perché sur mon épaule droite qui me retient dans cet état arbore clairement la tronche de Sabo. Je le hais comme je l'aime... J'ai peur du pouvoir qu'il a toujours eu et qu'il a encore sur moi. Mais heureusement pour ma gueule, il m'est salvateur, quoi que j'en dise.

J'aurais dû tomber amoureux de lui, tiens. Les choses auraient été mille fois plus simples.

En revanche, le pilotage automatique chez l'oncle n'était pas vraiment prévu... Je me retrouve garé en bas de son immeuble comme un con, en clignant des yeux. Je me souviens bien avoir eu, à un moment sur la route, la pensée que je devrais peut-être aller le supplier directement d'au moins me dire s'il a parlé à Luffy depuis hier et comment il va, mais je suis ensuite reparti sur Luffy, et...

... Et je suis épuisé. Il faut que je dorme plus. Mon cerveau rumine trop.

Ça ne m'empêche pas de sortir de ma caisse en soupirant une nouvelle fois. De passer la porte pétée de l'immeuble de l'oncle. De frapper chez lui avec la pire volonté du monde.

J'ai l'impression d'être un meurtrier multirécidiviste quand il ouvre et que je vois son expression changer du tout au tout en me reconnaissant.

- Ace... J'espère que tu es venu pour parler parce que ça ne va pas, au grand maximum... Je ne suis toujours pas d'humeur à t'entendre me demander encore où est Luffy, au cas où mes messages n'auraient pas été assez clairs.

Il ne m'invite même pas à rentrer. J'ai l'impression d'être devenu, en l'espace d'une seule journée, son nouveau punching-ball sur lequel déverser son deuil. 'Bien la preuve, à mes yeux, qu'il est encore noyé dedans jusqu'à l'os et pas prêt à en sortir.

- Ils étaient clairs, Shanks... À vrai dire, je sais même pas vraiment ce que je suis venu te demander...

Je ne sais pas si c'est mon visage de zombie au bord du suicide ou la lassitude dans ma voix qui le convainc - peut-être les deux -, mais ses traits durs fondent rapidement pour laisser place à son empathie habituelle. Je le vois hésiter, puis soupirer tout en fuyant mon regard.

- Écoute, Ace... Je ne sais pas pourquoi tu t'inquiètes autant, soudainement. Peut-être que vous me minimisez vraiment la raison de votre dispute, peut-être qu'il y a encore autre-chose, je n'en sais rien : aucun de vous deux n'a vraiment l'air de vouloir me dire la vérité. Mais ce que je sais, c'est que Luffy a bon cœur. Il aura toujours bon cœur. Et tu es son frère, celui qu'il a attendu impatiemment des mois durant et qu'il n'a jamais regretté après ton emménagement chez eux. Évidemment qu'il va finir par rentrer, que vous allez vous expliquer, et que cette histoire sera rapidement derrière vous... Je ne comprends pas pourquoi tu te mets dans un état d'inquiétude pareil, depuis hier...

Je le fixe comme si mon âme avait définitivement quitté mon corps. S'il savait la vérité, est-ce qu'il comprendrait plus ? Est-ce qu'il comprendrait « à quel point » ? Est-ce qu'il me jugerait ? Est-ce qu'il m'en voudrait ?

- ... Je veux juste savoir dans quel état il est... à quel point il m'en veut... ? Tu m'as déjà assuré qu'il allait bien, alors j'essaie de pas m'inquiéter pour ça, mais pour le reste...

- Toujours pas envie de me dire pourquoi une telle dispute ? réessaie-t-il, sans grand espoir néanmoins, je le vois bien dans ses yeux noisette.

Je secoue lentement la tête, une étrange culpabilité au fond du bide. Est-ce qu'il mériterait la vérité ? Est-ce que le lui cacher, dans cette situation, fait de moi un énorme connard ?

Encore plus que d'habitude, j'entends.

- ... Je ne sais pas quoi te répondre, soupire-t-il enfin. Il est retourné. Mais lui non plus ne veut pas me parler plus de cette histoire... Je sais juste qu'il va bien, qu'il est bien entouré. Et qu'il ne veut pas que tu saches par qui, car tu as déjà assez fait peur comme ça à des gens qui n'ont rien demandé, hier...

Au moins, mes souvenirs flous à ce sujet ne sont pas des inventions. Même si je ne me souviens pas qui sont les gens dont il parle.

- Tu comptes d'ailleurs faire quelque chose à ce sujet ?

- À ce sujet... ?

- À propos de la mère de l'ami de Luffy que tu as quasiment agressée hier, apparemment ! Tu t'en souviens, au moins ?!

Je soupire à nouveau : oui, évidemment... La mère d'Usopp. Ça me revient, maintenant...

- ... J'irai m'excuser... soufflé-je platement.

- Bien, mais pas seul par contre. Je suis presque tenté de venir avec toi.

- Nan... T'emmerdes pas avec ça...

- C'est déjà trop tard pour ne pas « m'emmerder avec ça », Ace.

- ... Je sais. J'emmerde tout le monde avec ça... Mais... J'ai peur d'avoir pété un truc entre nous, Shanks... J'ai peur que Luffy... m'en veuille vraiment, sur ce coup...

Mes yeux sont rivés au sol et je peine à les relever, pour une rare fois dans ma vie. La situation me tue de l'intérieur au point de m'épuiser. J'aimerais pouvoir pleurer de nouveau comme hier. Au moins, ça serait plus proche de ce que je ressens que cette mort intérieure que j'affiche.

- ... C'est possible qu'il t'en veuille vraiment, finit-il par me répondre et ces mots sont tels des coups de poignard. Mais je te l'ai dit : c'est Luffy. Il te pardonnera. Il te pardonne toujours... À toi de ne pas abuser de cet amour qu'il te porte, c'est tout.

J'ose enfin relever les yeux vers lui, légèrement surpris d'entendre ce mot.

S'il savait. De l'amour, du vrai, il n'y en a peut-être pas. Il n'y en aura peut-être jamais.

- ... Surtout en ce moment, rajoute-t-il, une infinie tristesse se lisant dans ses yeux exténués. Ce n'est tellement pas le moment pour vous faire subir ça, Ace...

- ... Je sais.

Je renonce, cet échange m'épuise encore un peu plus. Je fais volte-face sans trop le réaliser et descends déjà les escaliers lorsqu'il me hèle.

- Je suis désolé Ace... Encore une fois, je n'arrive pas à comprendre ce qu'il se passe dans ta tête... J'aimerais tellement, pourtant. J'aimerais tellement avoir les armes pour t'aider... Mais déjà que je ne suis pas beaucoup avantagé, tu ne fais pas grand-chose pour me faciliter la tâche et ça me désole...

Je ne m'attendais pas à ça. Mais ce n'est pas comme si c'était la première fois que j'entendais un tel discours. Ça me fait sourire légèrement malgré moi.

- Ah, c'est marrant... ricané-je sans aucune joie. Je suis quasiment sûr que c'est l'un des derniers trucs que Dragon m'ait dit...

Je continue ma descente sans un regard en arrière. Il ne rajoute rien, de toute façon.

Je ne sais pas pourquoi je suis venu ici. Tout ce que j'ai gagné, c'est d'avoir fait revenir la culpabilité de l'oncle sur le tapis elle qui, pour une fois, avait laissé sa place à une belle et honnête colère... Je suis quasiment sûr que ça lui a remué assez les entrailles pour qu'il se sente vivant pour la première fois depuis cinq mois. Ça devait être bien. Et moi, je suis venu chouiner ici comme un pauvre gosse malheureux qui a perdu sa tétine.

Ce qu'il y a de positif dans cette histoire, c'est que j'arrive encore à me prouver à moi-même que je n'ai jamais vraiment été à fond. Que dans ma déchéance, j'avais encore des paliers à descendre, finalement. Car là, je me fais honte comme je me suis rarement fait honte dans ma vie.

Je manque d'avoir un accident sur le chemin du retour. Mais cette anicroche arrive suffisamment à me secouer pour me rappeler que si je crève comme ça, la vie de Luffy sera finie. Et je n'en suis pas encore à ce point-là, au point de souhaiter qu'il me pleure parce que je n'aurais rien d'autre à gagner. Un jour peut-être... Mais il y a sûrement encore un ou deux paliers qui persistent sous mes pieds avant d'échouer si bas. Après tout, un enfer personnel, c'est changeant. Toujours en constante évolution.

J'ai l'impression de revenir au point de départ quand je termine au fond du canapé à nouveau, une bière à la main, mon regard fixé sur la télé éteinte, le bourdonnement du silence qui prend toute la place.

Qu'est-ce que je fous de ma vie.

Est-ce que je suis vraiment sans espoir à ce point ?

Est-ce qu'il y a encore quelque chose à sauver chez moi ? Et si oui, est-ce que c'est encore assez visible pour que Luffy revienne... ?

Est-ce que Luffy va revenir ? Ou est-ce que je vais vraiment finir tout seul ? Avec plus personne pour me soutenir, parce que tout le monde aura fini par abandonner ? Que ça soit involontairement, comme Papa et Maman ? Que ça soit par dépit, comme Shanks quand il va comprendre que je suis assez pourri pour vaincre le « bon cœur » de Luffy ?

Je déglutis et ferme les yeux. Essaie de contrôler. Ne les laisse pas t'envahir. Concentre-toi.

Ressortir pour marcher. Faire du sport. Jouer à la console. Appeler Sab'. Fumer un joint. Fumer plusieurs joints pour oublier. Solution de facilité, je n'oublierai pas. Boire encore plus. Mauvaise idée. Dormir. Dormir. Je n'y arriverai pas. Luffy n'est plus là.

Luffy n'est plus là et c'est ma faute.

Luffy n'est plus là et il ne reviendra peut-être pas parce que je suis une putain de cause perdue.

Je suis une cause perdue depuis que je suis né. Tellement perdu que ma mère est morte en me donnant la vie. Que mon père n'est jamais venu me récupérer. Que jamais personne n'a vraiment voulu de moi. Tellement foutu, pourri, fucked-up, que j'ai dézingué toutes les personnes qui ont essayé de s'approcher de moi. J'ai fait vivre un enfer à Dragon et Makino. J'ai déjà insulté et frappé Sab'. J'ai déjà envoyé chier Bonney alors qu'elle voulait m'aider. J'ai dit à Marco d'aller se faire foutre alors qu'il ne cherchait que mon bien. J'ai foutu Luffy tellement en rogne qu'il ne veut plus me parler.

J'expire tellement fort que j'ai l'impression que mes tripes vont partir avec. Est-ce que c'est mieux si mes yeux sont fermés ou ouverts ? Est-ce que je ne devrais pas aller m'allonger ? Est-ce que je ne devrais pas quitter ce canapé parce que j'ai beaucoup trop badé dessus... ?

Mais je ne dois pas me lever, je vais encore faire les cents pas. Je vais laisser l'adrénaline revenir. Je vais laisser la colère revenir. Je vais laisser le déni revenir. Je vais encore me voiler la face. Je vais oublier que c'est ma faute. Je vais à nouveau penser dur comme fer que c'est celle de Luffy. Que c'est celle du monde. Alors même que c'est la vérité : c'est la faute du monde. C'est le monde qui m'a fait comme ça.

- PUTAIN !

Ma bière s'éclate au sol, pas loin du meuble de la télé. Seule la moquette sera touchée par le liquide qui se répand paresseusement au sol : tant mieux. Une connerie en moins à ajouter à ma liste.

J'expire à nouveau, j'inspire. J'expire. Contrôler. Penser à autre chose. Je peux y arriver... Allumer la console... Non, je n'arriverais pas à me focus... Aller marcher... Non, il faut que je reste assis, je vais m'énerver tout seul si je bouge... Le sport est prohibé aussi. Dormir.

Dormir.

Je veux dormir, putain... Dormir et me faire réveiller par la porte qui s'ouvre. Par le visage de Luffy désolé, qui m'a encore pardonné, qui me laisse encore abuser de son bon cœur.

Dormir, putain. Dormir, dormir, c'est la seule solution viable. Il faut que je dorme.

Je rouvre les yeux et j'expire encore une fois.

Je sais ce que je vais faire.

.

… Le vibreur...

Le vibreur... Et cette sonnerie de merde...

Je le sais, je le sais que ce n'est pas la mienne, mais je sais que c'est mon nouveau portable, je sais que je ne l'ai pas changée. Je m'en rappelle.

J'arrive à ouvrir les yeux et à me redresser dans mon bain dans la foulée. L'eau est glacée, putain. J'ai dû m'effondrer sans m'en rendre compte, mais je sens bien que ça n'a rien à voir avec la narcolepsie. Ça serait même ironique...

Je tente de me relever pour sortir, mais j'ai l'impression d'être dans un nuage qui veut me gluer au sol.

Et ça vibre, je l'entends encore au loin... Pourquoi je l'ai laissé dans le salon, putain... C'est peut-être Luffy...

Après un essai infructueux qui me ramène les fesses dans l'eau, mes jambes me portent enfin. Je me casse néanmoins la gueule par terre en sortant, m'éclatant l'épaule au passage et je m'accroche lamentablement aux murs pour me traîner jusqu'au salon, trempé de la tête aux pieds.

J'ai trop forcé la dose... Mais ça, je le savais déjà. Le réveil est juste un peu plus compliqué que ce que je pensais.

Il fait nuit noire dehors. Je ne sais pas quelle heure il est. J'espère que j'ai dormi une année entière...

Je tombe à genoux devant la table basse, mon portable enfin en vue. Mais il a arrêté de vibrer depuis un moment, pas très étonnant. Je ne sais pas combien de temps j'ai mis pour arriver ici…

Ma main tombe mollement à côté de l'engin, je dois encore la traîner pour l'attraper et je transfère toute ma piètre volonté dans cette même main pour qu'elle ne le lâche surtout pas.

Je cligne plusieurs fois des yeux de surprise quand la bestiole sonne à nouveau entre mes doigts. Et j'ai l'impression de mettre un temps infini à décrocher. Mais mes yeux fonctionnent bien. J'ai bien vu que ce n'était pas Luffy.

- Sab'... tenté-je de dire en mettant le haut-parleur, mais ma voix sort comme un bruit de trombone rouillé.

- Il faut vraiment que j'arrête de m'inquiéter pour toi à tout va... soupire-t-il à l'autre bout du fil, clairement agacé.

- Hmmm... Je suis pas mort...

- ... T'en es sûr ? Ça va ?

- ... On est quand... ?

Je lève mon nez par automatisme vers le mur de la télé à ma droite, pour regarder l'horloge. Mais c'est vrai, elle n'est plus là…

Quel bonheur...

Je sens que mon mouvement me fait tomber en arrière et je ne fais pas grand-chose pour l'arrêter. Me voilà allongé sur le dos, les jambes repliées sous mes cuisses et c'est une position extrêmement inconfortable.

Mais au moins, je n'ai plus à lutter pour ne pas tanguer.

- On est dimanche, me répond Sabo. Il est 22h... Il était quelle heure la dernière fois que tu t'y es intéressé ?

- ... Je sais plus. Mais on n'était pas la nuit...

- Eh ben... soupire-t-il longuement. T'as pris quoi ? Et t'as été prendre ça , surtout ?! Je pensais que tu connaissais plus personne...

- Y'a ce mec...

Je m'arrête et commence à ricaner. J'arrive à me tortiller pour finir sur le côté dans le même temps, la tronche face au sol. Libéré de cette position de merde. Mais j'ai froid. J'ai tellement froid... Je suis toujours trempé, ça n'aide pas.

- Ace ?! m'appelle encore Sab', ça me fait revenir à la réalité.

- Oui oui... Je suis là, p'tit ange...

- Tu as pris quoi ?! Tu n'as pas forcé la dose comme un abruti, j'espère ?!

- ... C'est possible que si, Sab', j'préfère être honnête avec toi.

Je me marre à nouveau. Ça faisait longtemps que je n'avais pas pris du GHB, j'avais oublié comme c'était fun.

- ... Je suppose que tu gères, si tu es là à te marrer comme un crétin ?

- Moui... marmonné-je, mon visage fusionnant toujours à moitié avec la moquette. Je redescends là, t'inquiète... 'Faut juste que je m'habille...

- Qu'est-ce que tu dis ? Parle plus fort putain, je t'entends à peine !

Je ricane encore sans pouvoir m'en empêcher. En fait, je crois que j'adore quand il s'inquiète pour moi... Ça me fait me sentir un peu moins misérable. Ça me rappelle qu'au moins, si je viens à crever, il y aura Sabo pour me pleurer. Au moins un tout petit peu.

- T'as dit qu'il était quelle heure... ? lui demandé-je en me retournant enfin sur le dos pour qu'il m'entende mieux.

- 22h... Toujours pas de nouvelle de Luffy, je suppose ?

22h...

Putain.

Non, toujours pas. L'appartement est toujours désespérément vide. Et je mettrais ma main à couper qu'il n'est même pas passé en coup de vent : il peut être autant en colère qu'il le veut, sans nul doute qu'il aurait paniqué en me retrouvant sans connaissance dans le bain et il aurait essayé de me réveiller.

Mais il faut dire que j'ai eu un beau black-out, là... Non pas que j'aille m'en plaindre : c'était l'effet recherché.

J'entends vaguement Sabo continuer à me poser des questions, mais mon cerveau a du mal à rester concentré sur sa voix. Je me sens reprendre mes esprits petit à petit et, évidemment, l'angoisse suit de près : on est dimanche soir et Luffy n'est toujours pas revenu. Il pourrait rentrer dans les heures qui viennent... Mais si ce n'est pas le cas... ?

Si ce n'est pas le cas...

- Aaaaace ?! T'es là ?!

- Ouais, je crois...

- Essaie de te concentrer sur ce que je dis, au moins une minute... Je suis sûr que Luffy va bien. Et il va finir par rentrer, ne t'en fais pas ! Tu sais bien qu'il ne te laisserait pas sans nouvelle de lui indéfiniment, ce n'est pas son genre !

- Oui, mais... On est dimanche, demain il a cours...

- Peut-être qu'il va avoir envie d'un jour de plus pour souffler... Il avait pris ses affaires de cours avec lui, ou elles sont là ?

... Merde. Maintenant que j'y pense...

- ... Elles sont pas là, t'as raison, soupiré-je en me passant une main sur le visage.

- Bon... Je sais que l'attente est compliquée, mais tu n'as pas le choix... Il va rentrer, ne t'en fais pas. Probablement demain soir. Il faut que tu prennes encore un peu ton mal en patience... Essaie de t'occuper l'esprit, en attendant. Je peux rester un peu au tél avec toi...

... Je l'aime, putain.

- Sab'... T'es trop un amour avec moi, déclaré-je en arrivant miraculeusement à me redresser sur mon cul.

- Non Ace, c'est normal...

- T'es pas avec Rebecca, ce soir ?

Je l'entends soupirer longuement.

- Si... Mais j'ai bien conscience que ça ne va pas et je ne vais pas te laisser tomber comme ça.

Je m'accorde quelques instants pour y réfléchir, tout en essayant de me relever. Il faut vraiment que j'aille m'habiller, mon habituelle température corporelle élevée n'arrive pas à me garder au chaud, cette fois. Preuve que j'ai effectivement trop forcé la dose. Avec l'idée débile du bain, j'aurais pu finir en hypothermie… Ç'aurait été une putain d'ironie de crever comme ça. Et je ne parle même pas des dommages sur Luffy. Et sur Sabo. Sabo qui me fait encore passer au-dessus de tout, comme d'habitude.

- Ace... ? entends-je encore Sabo m'appeler au loin.

- 'Suis là... soufflé-je pendant que je reviens vers la table basse, enroulé dans une serviette. Tu vas finir par niquer ton couple à force de me donner la priorité, Sab'... Déjà qu'elle m'aime pas beaucoup...

Il ne répond rien, tiens. Au moins le message est clair, même si je le savais déjà. Ce n'était déjà pas très jojo quand j'étais encore à l'appart' et que j'entendais cette connasse soupirer mille fois par jour quand je faisais de la merde au point que Sabo doive me gérer… Mais maintenant qu'elle a caressé l'espoir qu'elle allait enfin être débarrassée de moi et réquisitionner Sabo pour elle toute seule, elle doit tomber de haut...

- ... Désolé, Sab', ricané-je comme un connard. Si elle te largue, je prendrai la responsabilité de te vider les couilles de temps en temps, promis...

- Ta gueule, Ace... râle-t-il, dépité. Dis-moi plutôt comment tu te sens et ce que tu comptes faire, là...

Je réfléchis. C'est une question compliquée pour mon cerveau qui mouline toujours dans la drogue.

- ... Probablement reprendre une dose pour redormir jusqu'à ce que Luffy rentre...

- Mauvaise réponse... ! s'agace-t-il. Je parlais de t'occuper l'esprit plus sainement que ça !

- Hmmm... Picoler ? Vraiment beaucoup ?

- Ace !

- J'ai pas d'autre idée, my angel...

- Les exercices de respiration ne fonctionnent pas ? Tu ne te concentres pas assez dessus, je suis sûr...

- Mais si, j'ai essayé ! Mais j'avais besoin de dormir...

- Retourne te coucher, alors. Et sobre, cette fois !

- Il va falloir attendre quelques jours pour que ça soit le cas, là...

- Rhaaa tu me gonfles ! Fume-toi un joint à la limite, mais promets-moi que tu ne reprendras pas plus fort ! Et pas touche à l'alcool ! Ace, tu as déjà frôlé je ne sais pas combien de fois le coma éthylique et actuellement, tu es seul chez toi ! Clairement en détresse, qui plus est... Et ta détresse, je l'entends, tu le sais que je l'entends ! Mais te foutre en l'air ne résoudra rien ! Toi qui t'inquiètes pour Luffy, tu as vraiment envie qu'il retrouve un cadavre quand il reviendra ?!

Comme toujours, il a raison. Il a toujours raison, cet enfoiré. Il est la petite voix raisonnable que je n'ai jamais eue. Je sais que je devrais l'écouter. Le laisser me guider. Il est le mieux placé pour me garder à la surface quand je suis dans cet état.

- ... Tu veux bien rester au téléphone avec moi... ? m'entends-je lui demander d'un ton misérable.

- Oui. Bien sûr que oui. Je dois bosser sur mes cours, mais je reste avec toi, ne t'en fais pas. Promets-moi juste en échange que tu ne prendras rien sans me le dire. Fais-le pour moi et pour Luffy, s'il te plaît...

Mon Sabo. Ma raison. Mon ange-gardien... Je vais finir par l'avoir à l'usure lui aussi, je le sais. Je devrais juste en profiter tant qu'il est encore là pour me maintenir à flots.

Mon espérance de vie s'allonge un peu plus avec lui à mes côtés, au moins.

- ... Promis. Je vais juste m'allonger dans le canapé, à la limite me fumer une clope quand je serai un peu plus en état de tenir droit... Mais je prends rien, promis...

Je joins le geste à la parole et rampe comme une merde pour grimper sur le canapé. On se répond en échos de soupirs avec Sabo, même si les siens ne sont pas le résultat d'un effort démesuré pour utiliser ses muscles engourdis.

- ... Je t'aime, Sab', lui murmuré-je une fois que je suis allongé, à fixer le plafond sans le voir. Je te le dis pas assez.

Je l'entends avoir un petit rire bien plus léger.

- ... Je crois que tu ne te rends pas compte d'à quel point tu me le dis tout le temps, au contraire... Je t'aime aussi, vieux relou.

.

Je suis réveillé depuis 9h et c'est un miracle que ma nuit ait été plutôt bonne. La drogue et la voix de Sabo qui m'a encore bercé jusqu'à tard dans la soirée, sans nul doute.

Mais maintenant qu'il est presque 15h, que je n'ai plus ni l'un ni l'autre car j'essaie désespérément de m'accrocher à la promesse que j'ai faite à mon meilleur pote, que Luffy n'est toujours pas rentré et que je n'ai toujours aucune nouvelle...

Qu'est-ce que je suis censé faire ?

L'attente est de plus en plus insupportable au fil du temps. Je me doute qu'il a dû partir en cours, mais avec ses horaires changeants, je ne me rappelle plus à quelle heure il est censé terminer le lundi. Je me fais violence depuis midi pour ne pas aller pointer devant son lycée pour le réceptionner. J'ai été courir pour essayer de me calmer. Ça n'a pas fonctionné. La télé tourne pour essayer de happer mon attention. Ça ne fonctionne pas non plus. Je me suis enquillé deux joints pour m'anesthésier la tronche, mais j'ai l'impression que ça ne fait que décupler l'angoisse. J'ai le corps à nouveau tendu à l'extrême, la mâchoire serrée, la jambe qui tressaute, le cœur qui bat à cent à l'heure. Je me sens m'épuiser à nouveau malgré le repos bien mérité que j'ai enfin réussi à avoir.

Le seul point positif que je vois là-dedans c'est qu'au moins, si Luffy rentre aujourd'hui plutôt qu'hier, je serais plus en état d'avoir une conversation intelligente et posée avec lui.

Pour être totalement honnête avec moi-même, plus que la promesse faite à Sabo, c'est cette idée qui me fait tenir. Le sachet de poudre est encore sur la table basse, à me faire de l'œil, mais si Luffy rentre une heure à peine après la prise, c'est un coup à ce qu'il fasse demi-tour dès qu'il me verra... Détail que j'avais mis de côté hier, dans mon désespoir.

Ou peut-être qu'au fond de moi, je savais qu'il ne rentrerait pas encore... Parce que ce n'était pas encore suffisant pour m'enfoncer la leçon dans le crâne.

Je pouffe d'un rire sans joie. Je me prends vraiment une leçon de morale par mon petit-frère ? Si c'est vrai, l'idée ne vient pas de lui, c'est certain. J'aurais des comptes à régler avec Zoro ou Nami plus tard. Pour le moment, je veux juste pouvoir le serrer dans mes bras et qu'il me dise que ça a été aussi éprouvant pour lui que pour moi.

Bien que ça soit impossible. Impossible que ça a été plus éprouvant pour lui. Ou alors, je le plains vraiment beaucoup.

Pour la millième fois de la journée, j'appuie sur mon portable pour guetter l'heure. Elle avance au ralenti. Rick et Morty tourne pourtant en fond, ça devrait attirer suffisamment mon attention... Mais non. Non.

Et je ne suis pas faible. Pas à ce point. C'est juste que cette angoisse... Elle pourrait me tuer, à la longue. Elle est trop prenante. Elle occupe toute la place. Quand j'arrive à l'oublier ne serait-ce que trois secondes et qu'elle revient d'un seul coup telle une claque dans la gueule, je me rends compte à quel point elle en est douloureuse physiquement. C'est un soulagement de ne plus la sentir, mais je ne le réalise même pas, sur le coup. C'est comme si on m'enlevait un poids de 200 kilos du corps et qu'on le laissait retomber subitement pour m'étouffer.

M'étouffer.

J'ai encore du mal à respirer.

Je me ratatine sur moi-même, en position fœtale, la tête quasiment posée sur la table basse.

Inspirer. Expirer. Inspirer.

Penser à autre chose est inutile à ce point, il n'y a que mon inconscient qui arrive à me soulager l'espace de quelques secondes. Tout ce que je peux faire, c'est me concentrer sur ma respiration.

J'ai jugé ça d'une connerie sans borne quand Sabo m'avait ordonné de le faire la toute première fois, vers mes 17 ans et en pleine crise d'angoisse qui sortait de nulle part. J'ai moins fait le malin en me rendant compte cette fois-là, et toutes les fois d'après, que ça aidait réellement. Même quand je ne suis pas en crise d'angoisse. Même quand je suis juste en train de me faire envahir. Le niveau d'angoisse est similaire de toute façon. Sauf qu'avec mes démons, j'ai plutôt l'impression de mourir mentalement que physiquement.

Inspirer... Expirer... Luffy va finir par rentrer... Sabo a raison, il ne me laissera pas comme ça. Même si c'est pour me dire qu'il ne reste p-...

Un sanglot aussi sec que minable s'échappe de ma gorge. Je ne veux pas penser à ça. Je ne veux pas imaginer cette éventualité. Mais elle n'arrête pas d'essayer de se frayer un passage depuis ce matin. Que Luffy rentre juste pour récupérer ses affaires. Qu'il m'annonce qu'il repart. Qu'il ne reviendra plus. Qu'il part vivre chez je ne sais qui, loin de moi. Sans moi. En me laissant. Que je ne suis plus son mec. Que je ne suis même plus son frère. Que je ne suis plus rien.

Je ne suis plus rien s'il me quitte. Je ne serai déjà plus grand-chose si on redevient juste frères, mais s'il m'abandonne complètement... Je ne serai plus rien. Rien qu'un zombie sans âme. Je n'aurais plus qu'à trouver la façon la plus spectaculaire de me tuer, histoire de terminer cette vie pitoyable avec un minimum de panache.

Il ne faut pas que je pense à ça. Il ne faut pas que je pense à ça... Luffy va rentrer. Il ne va pas me dire qu'il me quitte. Il va me pardonner, parce que je vais m'excuser comme je ne me suis jamais excusé de ma vie. Je ne veux pas le perdre. Je vais me damner à ses pieds, en larmes s'il le faut, mais je ferai tout pour le convaincre de ne pas me laisser. De ne pas me priver de ma dernière lueur d'espoir. De mon dernier rayon de joie. Il est tout pour moi, tout. Je vais le lui faire comprendre. Je ne le laisserai pas partir sans lui faire comprendre.

... Je pourrais peut-être même ne pas le laisser partir du tout. Je pourrais peut-être-...

Je sursaute et éjecte mon visage de mes mains tremblantes. Je pleurais à nouveau, mais qu'importe : ma nuque craque à tourner trop brusquement la tête sur ma droite, en direction de la porte d'entrée que j'entends s'ouvrir.

Je tombe sur les grands yeux choqués de Luffy. Son visage est blême, ses paupières éclatées, son élan stoppé pour me fixer, malgré les deux sacs probablement lourds qu'il porte.

C'est... une putain d'illusion ?

Et pourtant, après avoir bloqué sur moi quelques secondes, je le vois s'arracher de mon regard pour rentrer dans l'appartement et refermer doucement la porte derrière lui. Il laisse tomber ses deux sacs au milieu du couloir et il s'avance vers moi d'un pas indécis, les yeux au sol pour me fuir, une expression étrange sur le visage.

- ... Hey, Ace...

... Putain.

Il est enfin rentré.

.

.

- Machine Gun Kelly & Yungblud – I Think I'm OKAY -

.


La souffrance d'Ace va (peut-être) enfin prendre fin dans le prochain chapitre, qui sera celui de l'explication, comme vous vous en doutez... Suspeeeeens ! Qu'est-ce que Luffy va dire ?!

Les bisous ! Et je vous souhaite une bonne année 2024 ! Tout plein de bonheur sur vous !