Chapitre 3 : L'ordre du quoi ?

Albus Dumbledore avait rarement été confronté à ce genre de situation.

Il était habitué à faire face aux parents inquiets, aux enfants turbulents. Aux disputes inter-maisons. Et tristement, à la guerre contre les mages-noirs. Il avait vu de nombreuses générations de sorciers grandir entre ces murs, de nombreuses romances, et d'incroyables alliances se former. Les maraudeurs, les jumeaux Weasley. Certains étaient bien entendus, plus marquants que d'autres.

Divers métis étaient passés à Poudlard, et deux d'entre eux étaient même toujours présents. Fillius et Rubeus étant la preuve vivante de la mixité sociale et des libertés que prenait l'école. Il s'était inquiété cependant, à l'arrivée d'Harry Potter, et de ce que son admission signifiait. Le retour de Voldemort, de la guerre, et des pertes. Même les elfes de maison s'intéressaient à ce garçon, tant sa bonté d'âme était grande. Et grâce à ça, il avait rencontré Dobby. Le premier elfe de sa connaissance qui désirait être libre. Après avoir travaillé pour les Malfoy, il comprenait ce désir. Mais Dobby était encore jeune, il venait d'être acheté, et sa soif d'aventure était encore vive.

Il ne s'attendait pas à ce qu'un elfe de Poudlard veuille vivre la même chose. Car devant lui se tenait Nora. Se tortillant les doigts dans un mouchoir, la petite elfe qui avait pour habitude de rapiécer les uniformes déchirés des élèves et d'en faire le repassage avait changé. Et ce n'était pas Harry Potter qui en était à l'origine. Pas non plus Miss Granger, qui pourtant, avait essayé de pousser les elfes à se libérer du joug des sorciers. Non. C'était pour la jeune oracle, Miss O'Nigay. Cette adolescente revenue amnésique et sans magie, mais qui semblait posséder un pouvoir que personne n'avait démontré jusqu'à lors. Celui d'unifier l'école sous un même drapeau.

« Êtes-vous sûre de votre décision, Nora ? » La petite elfe baissa les yeux une seconde, avant de prendre une longue inspiration.

« Oui. Nora souhaite… » Non, elle ne pouvait plus se nommer ainsi, elle n'était plus une esclave. Elle était libre. Et contrairement à Dobby, elle savait s'adapter au langage sorcier. « Je souhaite être libre. »

Albus Dumbledore vint lisser sa longue barbe blanche, avant de fermer les yeux derrière ses lunettes en demi-lune.

« Puis-je demander ce que vous comptez faire, une fois que j'aurais signé cet accord ? » Question rhétorique, il n'était pas stupide.

Il savait très bien que l'elfe avait pris en charge la carrière musicale de la jeune O'Nigay en compagnie d'Argus Rusard. C'était une bien étrange alliance qui avait vu le jour, l'année passée. Jamais il n'avait vu le vieil homme plus épanoui depuis qu'il s'était rapproché de l'élève en question. Albus les surveillait, parce qu'il était inquiet, l'instabilité de la demoiselle aurait pu certainement blesser le cracmol. Mais ça avait été tout l'inverse. Car son état fragile avait poussé le vieil homme à s'ouvrir pour la protéger.

Argus n'avait pas retrouvé autant l'espoir qu'à son arrivée à Poudlard. Lorsqu'il pensait pouvoir reprendre sa vie en main et retrouver son fils. Les années sans voir un enfant lui ressemblant ou portant le nom qu'il lui avait donné à la naissance étaient cruelles, et les étudiants, avec cet homme sans magie, l'avaient été aussi. Mais c'était dangereux de se jeter à corps perdu dans un projet aussi instable. La protection de Sacha O'Nigay, une obscuciale en devenir. Il n'y avait que très peu de chance qu'elle survive, au vu des symptômes décrit par le professeur Rogue.

Argus et Nora risquaient autant physiquement en restant à ses côtés, que moralement. Car voir quelqu'un dépérir, devenir fou et s'éteindre peu à peu, c'était une torture. Et Albus la connaissait mieux que quiconque. Il avait grandi avec cette torture, cette honte d'avoir une sœur anormale et pourtant si gentille. Mais incapable de faire de la magie, incapable de la moindre ambition. Malade. Sa main derrière son bureau se serra au souvenir d'Ariana, tandis qu'elle franchissait la dune de sable qui la séparait de lui, d'Alberforth et de Gellert pour s'interposer.

Beaucoup prétendaient qu'un sort de mort perdu l'avait touché lors de ce combat. Que c'était ce qui avait signé la fin de son amitié avec Gellert, et la raison pour laquelle il s'était battu ensuite contre lui. Il n'avait jamais démenti, et son frère était bien trop en colère et dépressif pour dire quoi que ce soit là-dessus.

Mais la vérité était toute autre.

Ariana Dumbledore était née avec un pouvoir supplémentaire. Un pouvoir bien trop intense pour une petite fille de campagne. A trois ans, là où les enfants gambadent dans les champs et rient aux éclats, elle fixait les murs de chaque bâtisse en larmes. Le moindre contact avec quiconque la faisait hurler de terreur. Il ne pouvait en être autrement, car voir le passé et l'avenir de chaque individu en une seconde, c'était une chose horrible qu'aucun adulte n'aurait supporté.

Mais Ariana, bien qu'instable, avait tenu à avertir les jeunes garçons de leur noyade dans la rivière. Parce que son cauchemar le lui avait montré. Et elle avait essayé, avec le peu de magie qu'elle possédait, de les ramener sur la berge, car trop gentille. Ruée de coups pour s'être montrée anormale, leur père s'en était ensuite prit aux petits moldus pour la venger. Sa bonté n'avait pas faibli. Même triste pour leur père, inquiète pour leur mère malade, Ariana luttait contre ses visions et ses sensations d'outres tombes.

Albus s'en voulait, pour l'avoir toujours rabroué, alors qu'elle lui disait de ne pas approcher le beau Gellert. Il l'avait appelé jalouse, alors que sa seule inquiétude était pour lui. Il avait grincé des dents à chaque hurlement strident poussé dans la nuit, à chaque gémissement lorsque quelqu'un approchait de la maison. Ce qu'elle avait fait, ce jour-là, lorsque lui avait compris à quel point elle avait raison, l'avait rendu plus coupable de sa mort que jamais. Car ce n'était pas un impardonnable qui l'avait touché. Et encore moins un sort perdu.

C'était sa baguette qui avait frappé. Un sort de son invention visant à endormir à tout jamais sa victime. Il l'avait mis au point avec Gellert, et il avait visé ce dernier. Ariana s'était interposée pour protéger le futur mage noir. Et lorsqu'Albus et Alberforth s'étaient précipités sur elle pour la soutenir, elle leur avait révélé le pourquoi. Pourquoi avoir protégé un homme qu'elle avait toujours accusé d'être dangereux ? Parce que son frère ne devait jamais entacher son âme du meurtre de l'homme qu'il aimait éperdument. Que lui, Albus, devait rester une lumière pour le monde sorcier, et que c'était le seul moyen d'y parvenir.

Ariana s'était ensuite endormie. Plongée dans un cauchemar éternel, pour elle qui ne supportait plus de dormir. Incapable de la réveiller, les deux frères avaient dû prendre la décision ultime. Et Ariana s'était enfin éteinte, libre des visions du futurs et de sa tourmente.

O'Nigay était un oracle, au même titre que l'avait été sa cadette. Mais l'adolescente cumulait une défaillance en plus. Et la magie instinctive qui nourrissait l'obscurus allait la tuer. Pour avoir vu énormément de choses dans sa vie, Albus savait que ce ne serait qu'un sursis, même en compagnie du dernier membre du projet de sainte-Mangouste. Il ne restait que quelques années, si ce n'est quelques mois, à Sacha O'Nigay.

« Je souhaite protéger mes nouveaux amis, et les aider à être heureux. » Répondit Nora après une seconde de silence.

Oui. L'elfe comme Rusard, ils allaient tous deux souffrir de cette dure réalité qu'est la vie. On ne guérit pas d'une maladie comme celle-là. On ne peut que s'éteindre.

« Et bien… » Commença le directeur. « Vous voilà libre. Comme vous le savez, l'audience contre le clan O'Nigay aura lieu le 20 Août. J'imagine que vous y serez ? »

« Oui, monsieur. Je soutiendrais miss Sacha de mon mieux. » Le vieil homme sourit. C'était rare que les elfes soient aussi assurés. Et Nora n'était plus toute jeune. Elle avait déjà eu deux elfons, qui travaillaient désormais dans les familles Longdubas et Tonks.

« Savez-vous où aller, à présent ? Je peux vous faire raccompagner jusqu'aux grilles. »

La petite elfe étira un grand sourire, avant de claquer des doigts. Sa toge aux armoiries de Poudlard disparue, remplacée par une petite robe de ménagère bleue ciel et d'un tablier blanc. Un bonnet de dentelle recouvrit sa tête, cachant ses grandes oreilles recourbées. Elle portait toujours sa sacoche avec le magnétophone, mais cette fois, l'objet avait été chargé de ses effets personnels aussi.

« Je n'ai pas besoin d'être raccompagnée. Mais merci, monsieur le directeur. Je sais parfaitement où me rendre. » Et un dernier claquement de doigt, suivit d'un pop sonore, accompagna sa tirade.

Nora avait emporté son dernier contrat, preuve qu'elle était désormais affranchie des sorciers et plus libre que jamais.

oOoOoOo

Après le carnage avec les Dursley, Harry était resté prostré dans sa chambre. Il n'avait, officiellement, plus le droit de rien faire. Bien qu'il ait envoyé divers messages à ses amis et à Sirius, personne n'avait répondu. Déprimé au possible, le garçon attendait le retour de sa chouette, qui tardait, puisque cela faisait déjà trois jours qu'il l'avait envoyé porter ses lettres. Trop dégoûté pour même allumer la lumière dans sa chambre, il restait hagard devant la fenêtre ouverte. Du moins jusqu'à ce qu'un bruit dans la cuisine retentisse, suivit du son de verre qui éclate, et de jurons.

Il était bien trop tôt pour que son oncle et sa tante ne soit rentrés, ces derniers étant parti à n'importe quel évènement du quartier. Mais alors, ça voulait dire qu'il y avait un intrus. Pourquoi est-ce que l'obsidienne ne chauffait pas ? Jetant un dernier coup d'œil par la fenêtre, Harry se rendit compte qu'il était encore trop tôt pour que Cédric lui apparaisse. Jurant mentalement, il sortit sa baguette et ouvrit la porte de la chambre le plus délicatement possible, pour ne pas alerter les possibles cambrioleurs/mangemorts.

Les battements erratiques de son cœur allaient le trahir, à ce stade.

Pour autant, du coin de l'œil, il s'aperçu qu'il y avait beaucoup de monde dans l'ombre du couloir d'entrée. Et s'il ne distinguait que des silhouettes, il arrivait à peu près à les compter.

« Baisse ta baguette, mon garçon, avant que quelqu'un ne la prenne dans l'œil » Ronchonna une voix que Harry connaissait.

« Professeur Maugrey ? » Quelqu'un d'indubitablement féminin, pouffa de rire.

« Je n'aime vraiment pas qu'on m'appelle comme ça. » Ronchonna le concerné. « Descends un peu qu'on te voit entier. » Harry baissa sa baguette légèrement, sans pour autant relâcher la pression de ses doigts dessus. Il ne bougea cependant pas.

« Tout va bien, Harry » Dit une voix enrouée en haut de l'escalier, voix que Harry reconnaissait encore, bien qu'il ne l'ait pas entendu depuis longtemps. « Nous sommes venus te chercher. »

« Professeur Lupin, c'est vous ? »

« Pourquoi est-ce qu'on reste dans le noir ? Est-ce que… Aïe ! » Jura la voix étrangère féminine, qui s'était visiblement prit la tête dans le porte-manteau à l'entrée. « Lumos ! » Et la baguette permit d'illuminer le couloir et les visiteurs groupés au pied de l'escalier.

Rémus était à coté de Harry, les cheveux de plus en plus clairsemés, il avait l'air très fatigué et malade. Les joues creuses et les vêtements miteux n'aidaient pas son apparence. Pour autant, il souriait avec douceur au garçon, et le noiraud tenta de lui rendre malgré le contexte un peu perturbant.

« Oh ! Tu es exactement comme je l'avais imaginé. » Dit la sorcière qui maintenait le lumos. C'était une tête que Harry avait l'impression de connaître, sans pouvoir mettre un nom dessus. Le visage pâle en forme de cœur, des yeux bleus pétillants et des cheveux courts et hérissés, aux pointes violettes. Pourquoi voyait-il un uniforme jaune et noir, sur cette personne ? Il n'en savait rien. C'était en revanche, la plus jeune de la pièce, après lui.

« Je comprends ce que tu disais pour la ressemblance parentale, maintenant. » Annonça un grand sorcier noir, un peu en retrait. La voix profonde et basse, il portait un anneau d'or à l'oreille droite. « On dirait James, exactement… »

« Et j'ai les yeux de ma mère, oui je sais… » Gronda un peu le garçon. Il commençait à en avoir marre de cette rengaine.

« Tu es sûr que c'est lui, Lupin ? » Il grogna. « On n'aurait pas l'air cons si on ramenait un mangemort qui aurait pris son apparence. On devrait lui poser quelques questions auxquelles seul le vrai pourrait répondre. » Il marqua une pause. « Sauf si l'un de vous se balade avec du véritasérum. »

« Non, tout le monde n'a pas de… »

Harry ignora le début de disputes entre Maugrey et la femme aux cheveux colorés dont il n'arrivait pas à se remémorer du nom, mais qu'il était certain de connaître, et répondit à la question sur son patronus, posée par Rémus. Il n'osa pas demander s'il était normal que ce dernier ait prit de l'ampleur ni de nouvelles décorations sur ses bois. Ce n'était pas le moment pour parler d'un patronus changeant.

Finissant de descendre l'escalier, il se fit ensuite réprimander par Maugrey de plus belle, mais cette fois, pour une raison plutôt étonnante.

« Ne range pas ta baguette là. » C'était plus un grognement qu'autre chose. « Que se passerait-il si elle s'allumait, hein ? Tu te cramerais les fesses. Des sorciers bien plus fortes que toi ont déjà eu ça, tu sais ? »

« Oh ça va, hein ! ce n'est arrivé qu'une seule et unique fois. Pas besoin de la raconter à tous ceux que nous rencontrons ! » S'exclama le grand noir.

Harry se retint de rire en couvrant ses lèvres avec sa main, et sursauta lorsqu'une énième personne apparut dans le salon des Dursley. Cédric, bien coloré, souriait, à la fois rassuré et moqueur.

« Elle est plutôt jolie, non ? » Heureusement pour lui, personne ne vit Harry mettre son doigt sur sa bouche avec véhémence pour lui demander de se taire.

La jolie sorcière expliqua ensuite que c'était grâce à elle que les Dursley s'en était allé, parce qu'elle leur avait envoyé un courrier par voie postale, leur annonçant qu'ils étaient sélectionnés pour le prix de la pelouse de banlieue la mieux entretenue de tout le pays. C'était purement ridicule, mais l'égo de son oncle et de sa tante avait visiblement fait le reste.

Après diverses présentations, et quelques vérifications d'usages, ils patientèrent jusqu'au premier signal qui devait être lancé. Harry avait préparé sa valise ainsi que toutes ses affaires, de sorte qu'on la plaça sur son éclair de feu, avec la cage d'Hedwige, heureusement vide de son occupante. Pour autant, deux autres personnes se greffèrent à son vol, sans que quiconque parmi les gens venus l'escorter, ne s'en rende compte.

Et Harry se fustigea mentalement à chaque virage ordonné par Maugrey, tandis que dans son dos, hurlait une petite fille. Oui. Betty. Cédric et Betty venaient. Le premier, il s'en doutait. C'était normal, il faisait nuit, il le voyait dès que le soleil se couchait. Mais la seconde ? Certes, il pouvait la voir désormais, en noir et blanc, mais elle vivait dans le quartier depuis des années. Pourquoi avait-elle décidé de suivre ? Il ne savait pas, et il y avait beaucoup trop de monde pour demander. Même avec le vent pour couvrir ses paroles.

Le reste du vol lui parut long bien que salvateur. Il aimait voler, et il ne pouvait nier que ça lui manquait, en été. Même si l'air gelé avait rafraichi son visage au point de lui faire mal, il n'aurait changé de moyen de transport pour rien au monde. En revanche, il n'avait jamais volé en formation, et c'était étrange d'être au centre d'un V de balais. Même dans leurs courses de Quidditch, ils ne faisaient pas ça. C'était… Intéressant.

Et dans son dos, alors que Cédric profitait tranquillement du vol, Betty hurlait pour que ça aille plus vite, se balançant et causant des courants d'airs encore plus froids tout autour d'eux. Derrière, Hestia Jones fut obligée de perdre un peu d'altitude pour ne plus être dans la brèche froide. Tonks se pencha alors en avant, et Harry ainsi que tous les sorciers sur balais firent de même. Ils se dirigeaient vers une ville, une grande ville, à en juger par la quantité incroyable de lumière colorées et changeantes qui peuplaient la nuit. Des lignes brillantes, entrecoupées de flashs et de différents phares.

Plus ils approchaient du sol, et plus Harry parvenait à distinguer les phares des voitures, des cheminées fumantes et des fenêtres derrière lesquelles les moldus vivaient. Il était impatient d'arriver, vraiment, même s'il ne sentait plus du tous ses mains, ni ses pieds, ni le bas de son corps au complet, en fait. Un vol de trois heures en non-stop et sans combinaison, il n'était pas habitué.

« On atterrit ! » annonça Tonks. Et à peine quelques instants plus tard, elle se posa… Non. Essaya de se poser, et trébucha sur quelque chose d'invisible, avant de jurer.

Harry se retint de rire, même si Cédric, dans son dos, ne se priva pas, ainsi que Betty, qui visitait pour la première fois la grande ville. Le noiraud atterrit derrière Nymphadora Tonks, il descendit de son balai sur un carré de pelouse entretenu n'importe comment. Le parc en lui-même était lugubre, et les maisons autour arboraient toutes un air terriblement sinistre. Certaines avaient les vitres cassées, des tags ornaient les murets, sales, et des tas d'ordures jonchaient les perrons.

« Bouah, ça pue ici, Ryry… » Commenta la petite blonde en se couvrant la bouche dans une grimace. Le noiraud haussa les épaules.

Maugrey l'obligea à patienter, fouillant ses poches, avant de brandir un briquet en argent. Sauf qu'au lieu de produire une flamme, le lampadaire le plus proche s'éteignit brusquement, et la lumière de ce dernier fila dans l'objet avant de s'y accrocher. L'attente dura jusqu'au noir complet, ensuite, Harry fut embarqué par l'ancien auror pour traverser la rue, tandis que Lupin et Tonks se chargeaient de la malle. Les autres protégeaient leurs flancs, baguettes à la main et prêtes à l'emploi.

Au bout d'un moment, Maugrey cessa d'avancer.

« C'est ici ! » Et il glissa un morceau de parchemin dans la main d'Harry, usant de sa baguette pour l'éclairer. « Lis ça et mémorise le. »

L'écriture était familière à Harry. Et il n'était pas le seul, d'ailleurs.

« C'est l'écriture du directeur. » Constat de la part de Cédric, dont les yeux gris s'éclairèrent soudain de compréhension. « Oh, c'est un fidélitas ! » Le quartier général de l'Ordre du Phénix se trouve au 12 place Grimmauld. Londres. Harry jeta un regard en biais très bref, vers son ami décédé, pour qu'il lui explique. Heureusement, l'esprit errant s'était habitué à communiquer ainsi avec le sorcier.

« C'est une sorte de malédiction protectrice. On met sous fidélitas un endroit, ou une maison, et seul un gardien du secret - en l'occurrence, Albus Dumbledore - peut en dévoiler l'emplacement. Toutes personnes n'ayant pas l'info par le gardien, sera devant un mur, incapable à voir, ou traverser. C'était comme ça, chez moi, avant…» Cédric ne parlait pas souvent de chez lui. Seulement de sa cousine Sacha, et parfois, de son père. Mais le reste, il le taisait, comme si lui-même, était perdu.

Le papier avec l'adresse s'enflamma entre ses doigts, et Harry poussa un petit cri de surprise.

« Vous auriez pu prévenir ! » mais Maugrey n'en avait cure. Et Harry oublia bien vite sa rancœur, lorsque devant lui, comme espaçant les maisons pour se faire une place de sa propre volonté, apparut une autre bâtisse. Le numéro douze.

Ils approchèrent après quelques marches escarpées, et devant un poussoir en forme de serpent enroulé sur lui-même, Lupin sortit sa baguette et tapota la porte. Il y eut un déclic, puis un autre et encore un autre, telle une dégringolade de chaines, jusqu'à ce que le bois coulisse. Harry entra dans ce qui ressemblait à un hall lugubre à la peinture défraichi et dont l'air embaumé de moisi lui piqua le nez. On retira le sort de désillusion qu'on avait posé sur lui

Un chuintement sinistre plus tard, et de vielles lampes à gaz se réanimèrent le long des murs, dévoilant l'aspect insalubre de l'endroit sous une lumière vacillante et verte. Le papier peint, avec des motifs de carreaux, étaient décollé et déchiré par endroits. Le tapis, élimé jusqu'à la fibre interne, semblait envahis de moutons de poussières et de peluches. Au milieu du couloir, il y avait un chandelier recouvert de toile d'araignée, probablement là pour éclairer la galerie de portraits tout aussi sombre que le reste de l'endroit. Tous les objets autour de lui se dévoilaient dans des formes de serpents, et on lui aurait affirmé que c'était la demeure de Voldemort, qu'il n'en aurait eu aucun doute.

Des pas précipités lui firent tourner la tête, juste à temps pour en voir une autre, rousse, lui foncer dessus pour l'accueillir. C'était Molly Weasley, la mère de Ron, qui bien que toujours replète, avait clairement perdu du poids depuis leur dernière rencontre. Elle était aussi, bien plus pâle.

« Oh Harry ! C'est merveilleux de te voir » Il avait à peine entendu le murmure, trop occupé à gonfler ses poumons pour ne pas la laisser lui briser les côtes dans son étreinte. « Hmm Tu as l'air pâlot, mais tu vas devoir attendre avant de dîner, j'en suis navrée… » Dit-elle ensuite en l'examinant sous toutes les coutures. Elle se tourna ensuite vers le groupe de magiciens derrière. « Il est arrivé, on va pouvoir commencer la réunion. »

Bien entendu, Harry fut refoulé, la réunion n'était pas pour les enfants, voyons ! Mais un regard, et Cédric se contenta de suivre les adultes, tandis que le noiraud - avec Betty - suivait la mère de Ron le long du couloir. Elle lui avait fait promettre de parler à voix basse dans le couloir, sans lui expliquer pourquoi, puis l'avait guidé dans un escalier sombre, passant devant une rangée de têtes d'elfes réduites accrochées au mur. Le désarroi du garçon grandissait à mesure que les secondes passaient.

Comprenant qu'il aurait la chambre de droite, il fut littéralement abandonné au milieu du second palier. Se dirigeant de lui-même vers la porte concernée, il tourna la poignée, eut le temps de voir apparaître deux lits jumeaux, et hop, une tornade brune ébouriffée l'étreignait comme si sa vie en dépendait. Autour d'eux, un tout petit hibou hululait de joie, tournant autour comme un fou.

« Harry ! Tu es là ! Nous ne t'avons pas entendu arriver ! Oh. Comment vas-tu ? Tu te sens bien ? » Et sans le lâcher, elle poursuivit sur sa lancée. « Oh j'étais si inquiète, tu ne répondais pas à nos doubles messages, et avec cette histoire de détraqueurs, et l'audience. Je savais qu'il allait arriver quelque chose d'horrible, mais je n'imaginais pas ça, et… C'est trop injuste ! J'ai vérifié tous les textes. Ils ne peuvent pas te renvoyer. Ils ne peuvent pas ! Il y a un article dans le décret de restriction de l'usage de la magie pour les sorciers de premier cycle qui autorise l'usage de la magie en cas de force majeure. »

« Laisse-le respirer Hermione » dit Ron avec un sourire moqueur. Lui, il avait encore grandi, et frôlait désormais le mètre quatre-vingts, ce qui le faisait paraître encore plus maigre que jamais. Son visage en revanche, était foncièrement le même.

Hermione, un peu rose mais toujours rayonnante, finit par lâcher son ami. Hedwige se manifesta enfin, heureuse d'être à nouveau réunie avec son jeune maître. Elle se posa sur son épaule et vint mordiller son oreille en signe d'affection.

« Elles nous en voulait de ne pas te répondre, mais ta dernière missive nous a un peu compliqué la tâche. »

« Compliqué la tâche ? » Répéta Harry, qui sentait sa colère d'avoir été mit à l'écart revenir à grand renfort de chaleur. « J'attendais des réponses ! On me tient à l'écart depuis un mois, comme si j'étais mieux seul dans mon coin, et regardez, qui a affronté des détraqueurs ? Moi ! Je me suis débrouillé tout seul. » Les deux se regardèrent de concerts.

« Tu n'as pas lu nos… » Commença Ron.

« Je t'avais dit qu'il ne les trouverait pas. Ton indice était ridicule, personne ne pouvait deviner ton plan ! C'était stupide ! » Commença Hermione en croisant les bras et en fusillant le rouquin des yeux. Cette fois, Harry resta perplexe.

« Je pensais qu'il aurait compris, c'était moldu après tout ! J'ai trouvé ça dans ton livre.»

« Oui et bien tu aurais dû réfléchir ! Harry n'a accès à rien, ni aux affaires sorcières ni aux affaires moldus. Passer des mots comme ça c'était complètement idiot et risqué ! »

Voyant que ça allait dégénérer entre ses deux amis - et pendant que Betty soutenait la brune, solidarité féminine oblige - Harry se força à retrouver son calme. Il fallait qu'il comprenne ce qu'il était en train de se passer d'abord, et ensuite il aviserait.

« Stop, stop. Arrêtez de vous crier dessus. C'est fait. Maintenant expliquez-moi de quoi vous êtes en train de parler. Quel truc moldu ? » Hermione jeta un dernier regard colérique au rouquin, avant de se tourner vers l'autre gryffondor.

« Ron voulait qu'on te tienne quand même au courant de ce qu'il se passait, Dumbledore surveillait nos courriers, donc on ne pouvait pas t'écrire ce qu'on voulait. Mais… Ron, après avoir lu un de mes romans, a pensé que si on utilisait de l'encre invisible moldue, on pourrait te parler sans éveiller le moindre soupçon. »

« C'était… »

« Stupide, on est d'accord. » Mais Harry secoua la tête. Non, ce n'était pas stupide. C'était lui qui l'était. Lui, pour avoir pensé que ses amis s'en fichaient, et qu'ils n'avaient pas tenté de l'informer du tout.

« Non. C'était… Particulièrement brillant. C'est moi qui n'aie pas saisi l'allusion… Je suis désolé de m'être mit en colère contre vous… » Et pourtant, maintenant, il se disait que c'était encore plus évident. Ron lui avait dit avoir testé la citronnade chaude, et que c'était magique… Ce n'était pas le genre de choses qu'ils se disaient, habituellement. Ron secoua la tête.

« Ce n'est rien, mon pote. Je n'ai pas été très clair non plus… »

« Du coup, les nouvelles… ? Je ne vais pas aller fouiller chaque message pour les mettre devant une bougie, ne m'en voulez pas. » Le rouquin balaya la suggestion d'un revers de main.

« Nous sommes au quartier général de l'ordre du phénix. »

« Et c'est quoi, cet ordre du poulet ? » Oui, malgré tout, il restait en colère contre les adultes, en bas. Ron pouffa.

« C'est une organisation secrète fondée et présidée par Dumbledore lui-même. Elle réunit tous ceux qui ont combattu Tu-Sais-Qui la première fois. »

« Et ? »

« Et là-dessus, on n'en sait pas plus… Maman nous garde à distance des réunions, sous prétexte qu'on est des enfants, et Dumbledore approuve. »

« Vous avez foutu quoi, du coup ? Pendant toutes ces semaines où j'attendais à Privet drive sans que personne ne se préoccupe de moi ici ! » La colère revenait. Hermione déglutit. « On vous occupait à quoi ? Puisque vous n'aviez pas accès aux réunions ? Hm ? »

« On assainit cet endroit… » Répondit la brune dans une grimace. « On essaie du moins. La maison n'a pas été habitée pendant des années, et outre la crasse, c'est infesté de parasites magiques et non magiques. »

Harry posa ses deux mains sur sa tête, comme pour essayer de se calmer, et prit deux longues bouffées d'air, avant de poursuivre ses questions.

« Et Voldemort ? » Ron frissonna.

« On a pas réussi à savoir. Malgré la nouvelle invention de… »

CRAC ! CRAC !

Deux silhouettes apparurent entre eux. Grandes, rousses, avec un air foireux collé sur le visage. Fred et George, qui s'étaient d'ailleurs coupés les cheveux, ne laissant que des nids d'oiseaux roux flamboyants et des pattes prés de leurs joues.

« Salut Harry ! On se disait bien que c'était… »

« Ta douce voix qu'on venait d'entendre. » Ron grogna.

« Vous ne pouvez pas arrêter de faire ça ? prendre les escaliers vous aurez pris trente secondes à peine ! » Les têtes rousses se secouèrent négativement.

« Le temps c'est de l'argent, petit frère. » Commenta Fred.

Les explications pour les oreilles à rallonge le laissèrent perplexe une seconde, mais il finit par s'y faire. L'arrivée de Ginny, ensuite, le fit soupirer. Personne dans cette maison n'avait plus accès à la cuisine, où se tenait les réunions de l'ordre. Pour autant, lui, allait bientôt le savoir, grâce à Cédric. En repensant à son ami, Harry se dit qu'il avait quelque chose d'autre à demander.

« Est-ce que vous avez eu des nouvelles de Sacha ? J'ai envoyé des lettres, mais elle n'a jamais répondu. »

Aussitôt, la majeure partie des personnes dans la pièce changèrent d'expression. L'un des jumeaux parut sur le point de hurler, l'autre inquiet, Ron semblait malade, Ginny en colère, et Hermione chamboulée. L'enclume que portait Harry sur les épaules s'alourdit. L'un des grands roux s'écarta de leur petit groupe pour aller fixer un point vide, derrière les rideaux de la fenêtre. Il cru même le voir se mordre le poing. Ce fut Ron qui répondit, à la fois mal à l'aise et en colère.

« Elle ne nous répondras plus… Harry… » Le poids de l'enclume se divisa, et une partie lui tomba dans l'estomac, lui filant la nausée.

« Pourquoi ? Elle est ? »

« On n'en sait rien. C'était le dernier sujet de réunion avant ton retour… »

« Et bien ? Quoi ? Alors !? » Il ne se sentait pas du tout de dire à Cédric que sa cousine était morte, et pourtant, il avait, au fond de lui, la crainte de devoir le lui annoncer.

« Ces enflures l'ont torturée… »

« Pardon ? Les mangemorts l'ont trouvé ? » Hermione secoua la tête.

« Non. Les O'Nigays… » Harry tomba assis sur une chaise que Ron avait tirée.

« Que s'est-il passé ? » Demanda le survivant d'une voix blanche. Il pouvait sentir le froid sur son épaule, synonyme d'une pression fantomatique. Probablement Betty. Fred, ou bien George, s'approcha, bras croisé et en colère.

« Après la première audience, Rogue a été chargé de commencer une évaluation de son état comme obscuriale. Il a placé des sorts d'alarmes sur elle, pour prévenir de tout danger, et il devait aller la chercher pour les premiers tests le 18. »

« Et… ? » La fureur présente plus tôt avait laissé la place à une terreur sans nom. Pour avoir subi le doloris, l'idée que Sacha, déjà fragile, soit torturée, lui donnait des sueurs froides.

« Et le 15, toutes les alarmes ont sonnés. Il est allé la chercher. Une partie de leur manoir a explosé. Et en les espionnant, il a entendu la matriarche parler de traitresse à enterrer dans une fosse. »

« Et elle a ensuite envoyé les membres O'Nigay retrouver Sacha pour la tuer. » Termina Ginny.

« Où est Sacha ? » Demanda le noiraud en se relevant brusquement.

« Chez Malfoy. » La réponse d'Hermione le laissa coi. « Rogue l'a trouvé à moitié morte dans le manoir, protégée par un elfe. L'hôpital Sainte-Mangouste a refusé de la soigner, alors il l'a mené dans un endroit interdit d'accès à sa famille. Sauf que… L'obscurus a… Il a manqué de tous les tuer. Elle est dans le coma depuis. »

« J'ai envoyé des mots à Malfoy, il m'a répondu qu'il la veillait et qu'il nous préviendrait aux moindres changements. »

L'idée que Ginny puisse entretenir une conversation avec son pire ennemi lui passa au-dessus. La famille de leur amie avait essayé de la tuer. Sacha, qui était certes, assez souvent chiante et caractérielle, avait survécu à une tentative d'assassinat menée par sa propre famille. Ils l'avaient torturé. Elle, qui était pourtant prête à se sacrifier pour arrêter un mage noir et le protéger. Il se rappela de ses propos au sujet de sa tante, un mélange entre la sienne et Lockart. C'était bien pire, en fin de compte.

À côté, Voldemort lui parut carrément saint d'esprit.

La discussion entre eux dura longtemps, jusqu'à ce que la réunion en bas ne s'achève, finalement. Cédric revint, mais Harry lui fit signe qu'ils parleraient plus tard. Toujours pâle, il descendit à son tour dans le hall. Et alors que madame Weasley demandait encore à Harry de marcher sur la pointe des pieds et en silence, Tonks, sur le départ, trébucha. Il y eu un grand bruit, suivit d'un terrible crac et de bris de verre.

« Tonks, pour l'amour du ciel, c'est la seconde fois cette semaine… »

« Je suis désolée, c'est ce foutu porte-parapluie qui… » Le reste de sa phrase fut soudain couverte par un horrible cri perçant. Harry frémit d'horreur.

Le rideau de velours mangé par les mites devant lequel il était passé s'était ouvert, dévoilant le portrait grandeur nature d'une vieille femme couverte de rides à l'air fou. C'était elle, ce cri immonde. Et tout autour, les autres portraits se réveillaient et se mettaient à pousser des hurlements incompréhensibles. Harry et Hermione se bouchèrent les oreilles et plissèrent les yeux de douleurs.

Lupin et madame Weasley tentèrent de couvrir les autres tableaux, endormant les occupants à coup de sortilèges de mutismes divers.

« Saletés ! Excréments ! Sous-produit de vilenie ! Dégénérés ! Mutants ! Bizarreries ! Vous tous qui aviez quitté cet endroit ! Comment osez-vous infecter la maison de mes aïeux ? »

Tonks s'excusait encore et encore, traînant le porte parapluie derrière elle. Un homme avec une longue chevelure noire s'élança de la porte juste en face d'Harry et fit face au tableau.

« Tais-toi, vieille harpie ! » gronda-t-il en saisissant le rideau. La vieille dame devint pâle.

« Tooooooooiiii ! » hurla-t-elle, ses yeux s'exorbitant à la vue de l'homme. « Traître à mon sang ! Abomination ! Honte de ma chair ! »

« J'ai dit : Tais-toi ! » mugit l'homme. Harry croisa alors le regard gris clair de la femme dans le portrait, et cette dernière perdit les dernières couleurs sur son visage. Soudain, l'effort démesuré de l'homme et Lupin fut récompensé. Le rideau se referma de lui-même sur le portrait et le silence revint dans le hall.

L'homme chancela, avant de repousser ses cheveux noirs qui lui mangeaient le front. Harry le reconnut immédiatement. Il avait pris du poids, et du muscle, et il avait l'air en bien meilleure santé que la dernière fois qu'il l'avait vu, dans l'infirmerie de Poudlard.

« Bonsoir Harry. » Et le fugitif lui offrit un sourire un peu désespéré. « Je vois que tu as fait connaissance avec ma mère.

oOoOoOo

Draco relisait pour la cinquantième fois le message de Ginevra Weasley. La première fois, il avait envisagé de brûler le papier. Un mot de la part des traitres à leurs sangs était une infâmie. Mais il avait remarqué plusieurs choses, à cause de sa curiosité maladive naturelle. D'abord, Ginevra n'écrivait pas comme une plouc, son écriture était fine, toujours en italique, et ses boucles se faisaient encore plus délicates que les mots que composaient parfois sa mère dans son boudoir. Ce n'était pas l'écriture d'une adolescente boutonneuse et stupide, c'était l'écriture d'une femme.

Ensuite, et non pas des moindres, elle disait ne pas vouloir lancer de guerre, seulement savoir comment Sacha O'Nigay - qu'elle savait chez lui - allait. Il avait répondu, bien sûr, c'était un gentleman, il n'allait pas laisser une pauvre demoiselle s'inquiéter pour son amie. Du moins, s'inquiéter plus qu'il ne le fallait, parce que même lui, ne savait pas quoi faire.

La rouquine était cependant très ingénieuse et mystérieuse. Après sa réponse, au lieu de s'arrêter à ses mots, d'autres avaient été échangés. Elle avait refusé de lui dire d'où elle tenait ses informations, et lui avait fait parvenir l'extrait d'un livre dont il était certain des origines moldues. C'était ridicule, et niais à souhait.

« Chaque fois que je prends la plume, je me laisse complètement aller, comme si personne n'allait jamais me lire. C'est le cas, d'ailleurs. Je couche dans ces lettres mes pensées les plus secrètes, mes observations les plus fines, tout ce que j'ai gardé au fond de moi. Quand j'ai fini, je ferme l'enveloppe, je note l'adresse et je range la missive dans ma boîte à chapeaux bleu turquoise.

Il ne s'agit pas de lettres d'amour au sens strict du terme. Je les écris pour arrêter d'être amoureuse. Ce sont des lettres d'adieu. Dès que je mets le point final, ma passion dévorante s'estompe. Je peux manger mes céréales tranquilles, sans me demander s'il met lui aussi des bouts de banane dans ses Cheerios. Je peux brailler des chansons d'amour sans qu'elles lui soient adressées. Si l'amour est une forme de possession, ces lettres sont mes exorcismes maison. Elles me libèrent. Enfin, en théorie. J'ai changé d'encre en début d'année, lorsque Kitty, ma petite sœur, s'est mise à lire par-dessus mon épaule. Le jus de citron rend mes lettres encore plus mystiques, car personne à part moi, ne peut plus les lire. Dommage que celles qui ont été envoyées fut composées en noir, me dis-je, en lorgnant Peter Kavinsky. Avec du jus de citron, il n'aurait jamais pu trouver la combine de la bougie, Il est trop… Au-dessus de ce genre de choses.»*

Draco n'était pas certain que ce message lui soit adressé. Il avait beau le relire, rien ne lui venait. Et il n'avait aucune idée de ce qu'étaient les Cheerios. Peut-être une marque de céréales moldues ? Peu importe. Le souci, c'était pourquoi ? Pourquoi Ginevra Weasley lui avait-elle envoyé cette page de livre ? La page en elle-même était froissée, comme mouillée. La rouquine avait-elle pleuré à la lecture de ce livre ? Un sourire moqueur s'étira sur ses lèvres minces. Les amoureux des moldus étaient des imbéciles.

Le rangeant dans sa poche, il se contenta de soupirer, avant de passer une main dans sa chevelure platine. Honnêtement, ce n'était pas le plus gros problème à régler. Il avait indirectement menti, disant que Sacha était dans le coma depuis son éclat de magie à l'arrivée au manoir. La vérité lui semblait bien pire.

Sacha était consciente. Du moins elle avait les yeux ouverts. Mais c'était à ça, et uniquement ça, que s'arrêtait le terme de conscience. Assise dans le lit de la chambre d'ami, elle ne parlait pas, ne regardait jamais personne, se contentant de fixer le mur d'en face, hagarde. Elle ne mangeait pas non plus, et les elfes n'osaient pas l'approcher pour la faire boire. Pourtant, c'était important. Même si le manoir avait des sortilège refroidissant l'atmosphère en cette période de canicule, ils ne pouvaient pas laisser la demoiselle se déshydrater.

Il n'y avait pas eu un seul éclat de magie depuis qu'il l'avait arrêté, non plus. Enveloppe vide. Voilà à quoi elle lui faisait penser. Se passant les mains sur le visage, il reprit contenance, se recoiffant de sorte d'apparaître aussi parfait que beau, et quitta sa chambre. Comme tous les jours depuis son arrivée au manoir, Draco faisait en sorte que son amie ne manque de rien. Pas une ombre ne devait ternir sa vision. Il pensait sincèrement que c'était par la beauté et l'optimisme qu'elle sortirait de sa catatonie.

Il fit un tour par les cuisines, récupérant un plateau en argent bien garni. L'objet n'était pas seulement ornementé de gravures de roses, ses poignées ressemblaient à des ronces aux épines arrondies. Heureusement, Draco avait tendance à ignorer la règle d'or qui interdisait les étudiants à faire de la magie en dehors de l'école, et il faisait léviter le plateau derrière lui. Dessus ? Une limonade à la verveine de Loire, une belle pomme granny Smith, quelques croissants français et deux œufs à la coque avec des mouillettes. Il avait même fait rajouter un fromage frais avec un peu de confiture dessus. Et gardé du thé, bien entendu. Au moins pour lui.

Car même si Sacha ne mangeait pas, il était hors de question de la laisser jeuner. Et Draco allait la faire baver d'envie. Il n'avait pas encore trouvé comme faire, et quels aliments la feraient réagir, mais chaque repas était un nouveau test. Et puis, ça lui permettait de s'occuper pendant que son père rendait des comptes au Seigneur des ténèbres, que sa mère préparait la contre-audience, et que personne ne se demandait s'il se sentait seul ou non.

Poussant la porte de la chambre d'ami avec un grand sourire hautain, histoire de ne pas trop la chambouler sur ses propres expressions, il entra sans permission. Pourquoi demanderait-il, de toute façon ? Il était chez lui.

« Alors O'Nigay, aujourd'hui, nous avons un petit déjeuner purement français. Au menu, croissant au beurre, œufs à la coque, pomme acidulée et fromage frais à la confiture de figue. Tu as même une limonade à la verveine, je ne sais pas quel goût ça a, mais ça semble fun ! » L'absence de réponse le vexa à peine.

Il garda son air hautain et satisfait, en faisant se poser délicatement le plateau sur les jambes tendues de la malade, au-dessus de la couette. Rangeant sa baguette, il approcha manuellement le grand fauteuil en velours noir et vint s'y installer comme un prince.

« Bon, on commence par quoi ? Les œufs ? Comme c'est chaud, c'est ce qui devrait venir en premier. Je te sers de la limonade ? Bien sûr que je te sers, question idiote. » Et c'est ce qu'il fit.

Passant une nouvelle matinée à petit déjeuner en compagnie de son amie, lui décrivant à grand renfort de vocabulaire, les saveurs de chaque plat, dans l'espoir de lui donner envie de se nourrir. Il restait toujours une moitié de tout dans les assiettes, parce qu'il se disait que peut-être, la faim viendrait si elle voyait qu'il allait terminer les choses bientôt. Se léchant les doigts et recueillant les miettes de son croissant, Draco jeta un coup d'œil à la jeune femme, toujours inerte, assise dans le lit.

« Bon. Je reconnais que le fromage ne me tente pas trop. Mais pour toi, je consens à faire l'effort de goûter. Sait-on jamais ! »

Et l'adolescent attrapa le petit bol de porcelaine délicatement ouvragé et peint de fleurs de muguets, pour planter sa cuillère dedans. La grimace qu'il fit, avant même d'avoir le fromage en bouche, aurait beaucoup plu aux Weasley, cependant, il se dérida automatiquement. La texture du produit était plus douce que granuleuse, et le goût loin d'être aussi fort que du fromage. C'était bien plus frais et léger que ce à quoi il s'était attendu.

« D'accord, ça c'est une surprise… Maintenant je tente avec un peu de confiture, et je te dis. » Il attrapa la cuillère de service et versa une belle lichée brune dans son bol. Après quelques instants de mélange, où il décrivit avec exactitude, à quel point l'appareil prenait une couleur moche, il goûta. Et ce fut le retour de la grimace.

« Ouais… Non. Je pense que je préfèrerais avec de la vraie confiture, ou du sucre, juste… Ou tiens, de la châtaigne, ça serait dément, non ? » Pas de réponse, alors qu'il se penche vers l'autre bol de fromage blanc et plante une cuillère dedans, pour ensuite l'approche de la bouche de son amie. « Ça te tente, du coup ? Même si c'est que pour goûter… » Pas de réaction à nouveau. Il approcha finalement son bol, avec la confiture de figue, et proposa. « Peut-être que tu préfères avec, toi ? ça te dit ? » Toujours pas.

Draco se sentait complètement impuissant, mais s'arrêter n'était pas possible non plus. Il reposa le bol, et avisa les deux fruits qui attendaient d'être pelés et mangés. Cette fois, la grimace eut pour origine sa flemme. Il n'aimait pas s'occuper lui-même de ses pommes, c'était toujours n'importe quoi, et ensuite, il avait les mains collantes. Il préférait largement donner la tâche à un elfe, ou carrément manger le fruit avec la peau. Il prit l'une des pommes avec la petite assiette qui allait servir de coupelle, ainsi que l'épluche fruit et le couteau.

« Oh, ça va être un carnage… Mais c'est bien pour toi que… » Son cœur rata un battement et il se tut. Un peu tremblante, la main encore bandée de Sacha s'était levée dans sa direction, paume vers le plafond. « Tu… Tu veux le faire ? » Pas de réponse. Mais la main resta tendue dans sa direction, sans que la jeune femme n'ai levé la tête vers lui, ou planté son regard dans le sien.

Draco déglutit, incertain quant à la conduite à tenir, et lui tendit la petite assiette avec le fruit et le matériel adéquat pour la préparation. Il resta ensuite stupéfait devant le phénomène. Car même si Sacha ne parlait pas, et ne le regardait pas non plus, elle s'était mise à peler la pomme en une fois, d'une main experte. Elle l'avait coupé ensuite en quartiers parfaitement égaux, et tandis qu'elle lui tendait l'assiette avec trois des morceaux, il l'avait vu timidement glisser le dernier dans sa bouche pour mordre dedans.

Retenant ses larmes de joie, et cherchant à garder contenance pour ne pas l'affoler, Draco se dit qu'il avait bien fait de prendre deux pommes. Car même si elle ne mangeait qu'un quartier à chaque fois, c'était énorme après son jeun de trois jours. Mais comment pouvait-il savoir que peler une simple pomme, allait peu à peu, réancrer Sacha O'Nigay dans la réalité ?

Comment aurait-il pu savoir que c'était ainsi qu'elle et sa petite sœur, dans son vrai monde, se comportaient avec leur mère. Maman oiseau, comme les deux disaient pour se moquer. Piochant toujours dans l'assiette de la véritable Catherine, lorsque celle-ci préparait des fruits à la fin du repas. Pomme, pèches, poire, clémentines, noix. Et entre elles deux, c'était Sacha qui tenait ce rôle. Jamais Draco Malfoy n'aurait pu avoir une telle information sur son amie.

Et malgré lui, malgré toute la volonté de Sacha, cette simple action venait de les lier au-delà de tout ce que les étudiants de Poudlard auraient pu imaginer.


NDA 01/03/24 : Bonjour! fidèle au rendez-vous, j'espère que ce chapitre vous a plu? Comme vous avez dû le remarquer, une grosse partie de ce dernier se compose de passages réécrits de l'ordre du phénix, je ne voulais pas non plus faire un copié-collé!

N'hésitez pas à donner votre avis, sur l'état de Sacha, sur les changements mineurs chez les personnages, sur Draco, tout!

D'ailleurs, petit jeu pour les lecteurs. Ceux qui trouveront d'où provient le message supplémentaire de Ginny à Malfoy auront un cadeau! Il s'agira d'un défi à lancer à un personnage de l'histoire, peu importe lequel et je trouverais le moyen de l'intégrer!

À dans un mois!