Une fois Billy parti, elle s'excuse à nouveau et entra dans son bureau pour se changer. Elle détestait se faire attendre et elle pouvait voir dans le regard de son compagnon qu'il ne la croyait pas un seul instant quand elle disait en avoir pour 5 minutes seulement. Elle ne lui en voulait pas, elle savait que beaucoup de femmes aimaient se faire désirer. En toute vérité, elle ne savait pas ce que ses congénères pouvaient bien faire pour passer des heures dans la salle de bain. Elle se maquillait tous les jours depuis qu'elle allait à l'université et il ne lui fallait jamais plus de 10 minutes.
Bien déterminée à briser les idées reçues du militaire, elle attrapa le jean qu'elle avait amené avec elle, ôta sa jupe et glissa son pantalon sur ses jambes pendant qu'elle utilisait la toilette. Après s'être lavé les mains, elle appliqua son rouge à lèvres, entrouvrit les premiers boutons de sa chemise, laissant apparaître un soupçon de décolleté. Elle retira son collier de perles et le posa sur le bord du lavabo. Elle quitta la salle de bains et ouvrit le placard dans l'entrée de son bureau. Bill se leva et la rejoint dans l'embrasure de la porte. Elle alterna son regard entre lui, les trois paires de chaussures devant elle et ses pieds nus. Il avait dû sentir son trouble car il lui dit : « Mettez les ballerines, je veux que vous soyez confortable. »
En enfilant la paire de souliers plats, elle se rendit compte que c'était la première fois depuis la disparition de Marc qu'un homme se souciait de son bien-être. Ça la déstabilisa quelque peu. Elle était habituée à être désirable et désirée, pas à ce qu'on prenne soin d'elle. Elle décida de mettre cette notion de côté et de profiter de sa soirée. Il lui tendit la main. Cela lui semblait trop intime. Elle opta pour poser sa main sur l'avant bras de Bill et le laissa la guider hors du building. Elle remarqua alors qu'il tenait son livre de son autre main et lui offrit de le ranger dans son sac. Il accepta et après s'être assurée qu'elle avait bien son Mac avec elle, il se mirent en route.
Elle fut surprise de découvrir qu'il n'avait rien réservé. Après tout, c'est elle qui l'avait invité. Elle était habituée aux hommes de pouvoir qui aimaient prendre des décisions pour elle. Elle abhorrait cela mais s'y était résignée. Elle s' y attendait d'autant plus du fait de son uniforme et de son rang. Mais non, il n'avait rien décidé, rien prévu d'autre que de passer la soirée en sa compagnie. C'était une notion qui lui paraissait étrangement rafraîchissante. Ils marchèrent dans un silence confortable, sa main toujours sur son bras. Ils laissèrent leur pas les guider. C'était fin Avril et, même si l'air était encore frais, le soleil leur chauffait agréablement la peau. À un feu rouge, elle prit le temps de fermer les yeux et de laisser les rayons de soleil lécher son visage. Elle pourrait facilement s'habituer à cela, à ce renouveau. Il devait apprécier tout cela également car il lui offrit de marcher le long du canal, vers le vieux port.
Ils arrivèrent au marché des éclusiers qui venait d'ouvrir pour la saison. D'un commun accord, ils avancèrent vers la section bar et s'installèrent sur la plateforme au-dessus de l'eau, là où le soleil tapait le plus. Elle buvait rarement de l'alcool mais se laissa tenter par un verre de Sangria. Son compagnon commanda une bière et entreprit de lui raconter comment il avait brassé son propre houblon quelques mois auparavant. Ils en profitèrent pour parler de leurs hobbies et elle découvrit avec délectation qu'ils avaient beaucoup de points communs. Même si elle s'adonnait à moins de passe-temps que lui, elle comprit que, comme elle, il était quelqu'un de calme. Cela la rassura énormément. Une des raisons pour lesquelles elle avait quitté Richard, hormis l'évident problème éthique que lui posait de coucher avec son boss qui était marié, était qu'il était bruyant. Il parlait fort, tapait du pied en marchant, il ne pouvait s'empêcher de parler de tout et n'importe quoi comme si le silence l'angoissait. Ça la drainait. Bill, quant à lui, avait une voix délicieusement grave qui lui faisait penser à Barry White. Il avait baissé le ton depuis qu'ils étaient face à face, comme s'il voulait que seule elle puisse l'entendre. C'était reposant, enveloppant et envoûtant, tout comme son regard. Ils n'avaient pas cessé de se regarder dans les yeux depuis que le serveur était venu. Elle ne se rappelait pas la dernière qu'elle avait vécu cela. Il ne cherchait ni à se cacher ni à se dérober.
Elle frissonna, la brise venait de se lever. « Tu as froid? » demanda-t-il de sa voix rauque. « Mmmhh. » Se contenta-t-elle de répondre, pas prête à quitter leur spot mais remarqua qu'il l'avait tutoyé pour la première fois. Elle lâcha alors son regard et se rendit compte qu'il faisait nuit. Depuis combien de temps étaient-ils là? Leurs verres étaient vides et deux gobelets d'eau glacée trônaient devant eux. Elle ne se souvenait pas avoir revu le serveur depuis qu'il avait amené leurs boissons initiales. Elle soupira, il venait de l'envelopper dans son blazer. Il était merveilleusement chaud et sentait délicatement son parfum. Elle tourna la tête vers lui et remarqua que son visage était juste au-dessus du sien. Il lui offrit son plus beau sourire, celui qu'elle aimait déjà tant et il lui offrit sa main. Elle posa ses doigts au creux de sa large paume et remarqua ses bras musclés. Elle se recula légèrement, s'adossant à sa chaise pour mieux l'admirer. Elle se mordit la lèvre inférieure. Oh, elle pourrait bien s'habituer à cela!
