Hé, le chapitre arrive ! Oui, je sais, il est presque minuit... je voulais dessiner l'illustration et la publier en même temps, mais il se trouve que je me suis un peu perdue dans les détails, du coup, elle n'est pas finie... Je la publierais donc demain sur DeviantArt (lien sur mon profil). Ce dessin m'aura pris du temps, mais l'espère qu'il vous plaira !
Je profite de cette petite intro pour dire que je serais en stand ce weekend à la Y-con une convention yaoi et yuri en région parisienne, à tenir le stand de Bull'Acide avec les copains. Si y'a des lecteurs qui n'habitent pas loin ou qui ont prévu de venir, n'hésitez pas à passer faire un petit coucou ! :) On sera au 11 quai du Louvre, et on aura plein de fanarts, décents et moins décents.
Bref, je ne vais pas déblatérer, bien longtemps, je ne suis pas douée en bande-annonce, alors je vous laisse lire le chapitre. Comme ça. pouf.
Chapitre 4 : Découvrir une alliée (Edward)
Enfin, je commençais à y voir plus clair. Depuis mon arrivée à Lacosta, j'avais eu le temps de visiter la ville, le nez au vent, pour me faire une idée de l'ambiance qui y régnait, de repérer les lieux qui avaient été le théâtre des événements qui m'avaient fait venir ici, et de constater que les gens n'étaient plus très bavards dès que l'on abordait des sujets gênants. Il suffisait d'évoquer le nom de Fanny Wilder pour que tous les visages se ferment et que l'on regarde ailleurs.
Puis j'avais eu la chance de rencontrer Roxane. Non seulement elle ne m'avait pas fait sortir quand je lui avais posé des questions, mais en plus, elle avait accepté de me voir après son spectacle. Même s'il fallait avouer que j'avais vraiment beaucoup de mal à la regarder en face après l'avoir vu danser nue ou peu s'en faut, sur la scène du Angel's Chest, j'étais content d'avoir trouvé quelqu'un qui acceptait enfin de répondre à mes questions. Elle m'avait taquiné en me voyant rougir jusqu'aux oreilles alors que je la voyais arriver, disant que ça n'était qu'un métier parmi d'autres et qu'il ne fallait pas s'embarrasser comme ça. Puis elle m'avait proposé de venir chez elle pour discuter en tout discrétion.
Elle m'avait fait descendre un grand escalier de pierre qui se frayait un chemin sinueux entre des maisons à la rectitude relative, laissant entrevoir des rues étroites aux enseignes vives, la plupart très animées, certaines décorées de lampions. L'ambiance était tellement festive que je peinais à croire que le contenu du dossier était vrai quand je voyais comme les lieux étaient animés. C'était une belle ville, les bâtiments du centre-ville étaient particulièrement spectaculaires, mais même ceux des autres quartiers avaient du charme ou de l'élégance. Difficile de croire, en voyant les passants joyeux, discutant un verre à la main, que les lieux avaient été le théâtre de meurtres et de disparitions depuis plusieurs mois.
- Dans le pays, on dit que si on se force assez à sourire, on finit par être vraiment heureux, expliqua la rouquine comme si elle avait deviné à qui je pensais. Alors, même quand ça va mal, on chante et on danse.
- Et ça marche ?
- Je ne sais pas si je suis heureuse, mais ça serait pire si je ne savais pas sourire, répondit-elle évasivement.
Elle m'avait mené dans un quartier plus pauvre, là où les immeubles bas s'adossaient les uns aux autres, les façades barrées par les mêmes escaliers de secours. Certaines portaient encore des traces d'un incendie ancien, des fissures, et même des explosions. Des murs écroulés avaient été réparés à la va-vite, certains étaient restés en ruine, simplement bâchés ou remplacés par de la tôle ondulée. Je ne pouvais m'empêcher de fixer les bâtiments couverts de cicatrices, me mordant les lèvres.
- C'était durant la rébellion ishbale. Beaucoup d'entre eux sont venus jusqu'ici dans l'espoir de passer la frontière d'Aruego. Je suppose que quelques-uns ont réussi, mais la plupart sont morts ici.
- Je vois... Ils n'ont jamais reconstruit cette partie de la ville ? demandai-je, le regard triste.
- Avec quel argent ? demanda la rousse avec un sourire désabusé.
- Il me semblait pourtant que l'Etat avait débloqué de l'argent pour la reconstruction des villes touchées par la guerre. Lacosta n'a rien reçu ?
- Non. L'Armée n'a aucune raison d'aider une ville qui ne reconnaît pas son autorité, lâcha-t-elle d'un ton sarcastique avant de sortir son trousseau de clés. Ici, l'autorité du Maire est plus respectée que celle des Généraux. C'est la principale raison pour laquelle des choses interdites ailleurs sont considérées comme légales ici.
- Comme la prostitution, par exemple ? demandai-je.
Elle se figea un instant, puis confirma d'une voix creuse.
- Oui, comme la prostitution.
L'immeuble où elle avait son appartement faisait partie des mieux lotis de la rue, mais le papier peint de l'entrée était tout de même assez miteux. Elle me fit monter les quatre étages avant de pousser la porte du bout du couloir.
- Voila, c'est un peu minable, mais bienvenue quand même.
Elle avait dit ça du ton de celle qui prend la situation avec philosophie. Je jetai un coup d'œil circulaire à la pièce. Un grand lit au pied duquel se trouvait un vieux réveil, une table sur laquelle était posée une radio, deux chaises, un coin cuisine minimal, et une porte qui donnait sans doute sur une salle de bain. Les murs étaient sérieusement défraîchis, mais les lieux étaient plutôt bien tenus. Pour cacher le papier peint jauni qui se délitait presque par endroits, elle l'avait recouvert presque intégralement d'affiches de chanteuses et danseuses de l'Opéra de Central-city, de coupures de journaux sur des spectacles et de cartes postales présentant des femmes élégantes aux tenues extravagantes. Sur son unique étagère, on voyait surtout des partitions et des livres de chants. Manifestement, Roxane avait une passion et la suivait avec acharnement.
Nous nous assîmes pour discuter, tandis qu'elle nous servait des bières, faute d'avoir autre chose. Je lui sortis ma montre d'Alchimiste d'Etat et mon dossier de mission en preuve de ma bonne foi. Si j'étais là, c'était pour mettre de l'ordre dans la ville. Après ça, elle sembla sûre de pouvoir me faire confiance et accepta de parler à son tour.
C'est là qu'elle me raconta tout ce qu'elle savait sur Cindy : sa beauté et son caractère attachant, sa peur croissante, un admirateur secret trop insistant. Elle avait pensé à s'enfuir de la ville, elles en avaient même discuté ensemble, alors que la jeune fille, trop effrayée pour rentrer chez elle, s'était mise à loger au Angel's Chest sous l'œil désapprobateur de Britten, la sous-directrice. Deux nuits plus tard, la porte arrière avait été forcée, et Cindy avait disparu, ne laissant qu'un papier griffonné derrière elle.
Et tout le monde avait fait comme si de rien n'était. Parce que c'était comme ça que ça se passait dans cette ville. Si une imprimerie était incendiée, on concluait à un accident, et les employées cherchaient un travail ailleurs. C'était comme ça que Roxane avait brutalement changé d'orientation. Elle fut la première surprise de voir que cet incident figurait dans le dossier.
- C'est bizarre, personne n'y a accordé d'importance à ce moment-là, les autorités locales ont conclu a un accident... pourtant, Earnest Grant, le propriétaire des lieux et du journal local est mort dans l'incendie en question, avait-elle dit avec un éclat de tristesse dans le regard.
- C'est anormal d'avoir conclu à l'accident dans ces conditions, même moi je m'en rends compte ! m'indignai-je. Regardez sur cette photo, elle n'est pas de très bonne qualité, mais on y voit très bien une traînée noire le long de la porte de service. C'est impossible que du matériel facilement inflammable ait pu être stocké là alors que c'est un lieu de passage, ça serait un contresens ! Par contre, l'hypothèse que quelqu'un ait créé volontairement un départ de feu en déposant du combustible à l'entrée du bâtiment est tout de suite plus plausible.
Roxane pris la photo que je lui tendais et la scruta attentivement, les lèvres pincées, le visage fermé.
- C'est vrai que cette porte donne sur la rue arrière... Elle sert beaucoup pour les livraisons, jamais on ne stockait de matériel à cet endroit. Ça veut bien dire que mon ancien patron s'est fait assassiner ?
- Probablement, confirmai-je, sans pouvoir m'empêcher de me sentir un peu triste en lui apportant cette mauvaise nouvelle.
- Je m'en doutais un peu, avoua-t-elle. Mais ici, tout est accidentel. Il n'y a que le meurtre de Fanny Wilder pour lequel ils n'ont pas su mentir. Il faut dire qu'on peut difficilement conclure au suicide quand une femme se fait tirer dans le dos en pleine rue. Non, ce qui est bizarre, c'est que vous ayez reçu toutes ces plaintes alors qu'ils essayent de faire disparaître les preuves.
- Qui, ils ? demandai-je, mettant le doigt sur la question gênante.
- … Je ne sais pas exactement, avait répondu Roxane avant de prendre une gorgée de bière. Ceux qui contrôlent la ville. Le Maire, l'armée locale peut-être... Je ne sais pas vraiment qui est derrière tout ça, mais on dirait qu'ils étouffent toute affaire suspecte, tout ce qui ressemblerait à un crime...
- On peut imaginer que le Maire cherche à dissimuler les problèmes pour que l'armée ne vienne pas reprendre le contrôle de la ville. Ou simplement, pour les affaires... Est-ce que les gens viendraient dépenser leur argent dans ces établissements s'ils savaient qu'il y avait des meurtres et des disparitions ? Ça me paraît peu probable.
- C'est vrai que c'est un raisonnement classique. Si Madame Britten désapprouvait que Cindy loge au Angel's Chest, c'est sans doute parce qu'elle avait peur pour la réputation de l'établissement. Cette vieille pie !
- Vous ne la portez pas dans votre cœur, commentai-je en retenant mal un petit sourire.
- Non. C'est une maniaque qui aime contraindre les autres à faire exactement ce qu'elle attend d'eux.
- Ah, je crois que je vous comprends, répondis-je avec un sourire désabusé en repensant à mon propre supérieur.
Nous repartîmes dans des grandes discussions. Je lui racontai tous les liens que j'avais pu faire, même les plus absurdes, et elle balaya la plupart d'un revers de main, connaissant beaucoup mieux la ville et ses habitants qu'elle ne le pensait. A son tour, elle me donna des bribes d'informations manquantes pour compléter les dossiers et leur donner du sens. Les affaires étaient tellement nombreuses, tellement disparates qu'il paraissait presque impossible de trouver un lien pour toutes les expliquer. Ça n'avait pas de sens. On aurait dit que la personne qui avait fait se dossier avait attrapé tout ce qui traînait dans son bureau et l'avait fourré pêle-mêle dans une enveloppe. Plus nous avancions dans nos réflexions, plus cette liasse de feuilles sonnait comme un appel au secours.
- J'ai l'impression que quelqu'un a monté ce dossier en cachette et te l'a envoyé.
- Il ne m'était pas spécifiquement destiné, c'est mon supérieur qui a choisi de me le confier, précisai-je. Mais effectivement, il y a des lacunes, des choses qui ne sont absolument pas évoquées, d'autres très détaillées... Pour avoir accès à ces informations, ça devait vraiment être quelqu'un de l'armée, je pense.
- Ça devait être risqué s'il a agi sans respecter les ordres de ses supérieurs... je me demande ce qui l'a motivé à monter ce dossier.
- C'est une bonne question. Si on arrive à trouver qui a fait ça, il pourrait devenir un allié de poids.
- Mais ça le mettrait en danger, tempéra la rouquine. Si les autres apprennent qu'il est responsable des fuites, il risque gros. Des gens se font tuer pour moins que ça.
- … Vraiment ? fis-je, estomaqué par le calme avec lequel elle avait fait sa remarque.
Elle se figea dans un instant d'hésitation, comme si elle avait réalisé le sens de ce qu'elle avait dit spontanément.
- Vraiment. D'ailleurs, si tu as débarqué avec tes gros sabots en posant des questions comme tu l'as fait au Angel's Chest, tu ne pas risques d'avoir quelques menaces ?
- Mince... moi qui pensais être discret, bafouillai-je en portant la main à ma bouche, honteux.
- Tu as une drôle de définition de la discrétion...
- D'habitude, j'arrive et j'explose tout sur mon passage, grommelai-je en me grattant la joue. Je n'aime pas les missions trop subtiles.
- Ahaha, il va falloir changer de méthode, même si tu es très fort, ça ne sert à rien si tu ne sais pas sur qui taper.
- Je sais, grommelai-je en me resservant de bière.
Quand est-ce qu'on s'était mis à se tutoyer ? Je ne m'en étais même pas rendu compte. La fatigue, ou l'alcool, sans doute. En tout cas, ça ne me gênait pas un seul instant. Je jetai un œil à Roxane, surpris de réaliser que je me sentais parfaitement à l'aise en sa présence alors que je ne la connaissais pas le matin même – et que je l'avais malencontreusement vue à poil en train de danser. Peut-être parce toute son apparence avait quelque chose de doux et honnête, ses cheveux bouclés vivant leur indépendance autour d'un visage arrondi parsemé de taches de rousseur, ses yeux bleu-vert avec des éclats dorés, ses épaules arrondies. Elle avait la silhouette d'une maman, et le regard pétillant d'une fillette. Même le fait de l'avoir vue danser en sous-vêtements en cuirs couvert de plumes ne parvenait pas à ruiner complètement cela, comme si elle était tellement habituée à ce que les autres la voient comme ça que ça lui faisait ni chaud ni froid, aussi inimaginable que ça puisse me paraître.
Je repris la conversation, résolu à trouver un plan de bataille pour la journée de demain. La nuit était bien avancée, et ni l'un ni l'autre n'avions vraiment envie de dormir. Elle était résolue à retrouver son amie Cindy, et moi à résoudre ce mystère au plus vite pour pouvoir revenir à Central ou d'autres choses m'attendaient, à commencer par mon frère, dont l'absence fantomatique m'avait pesé à longueur de journée, me retombant dessus à chaque fois que je me retrouvais seul dans les rues. Vraiment, il fallait que je me dépêche d'aller le rejoindre, il devait se sentir tellement seul, lui aussi. Peut-être encore plus que moi, d'ailleurs. Mais pour le retrouver, il fallait d'abord que je m'acquitte de ma mission.
Ensemble, nous listâmes les questions essentielles, les pistes qui pourraient nous rapporter des indices. Roxane me promit de remettre la main sur les derniers journaux publiés chez Earnest Grant pour y chercher une raison à sa mort. De mon côté, je comptais faire une visite au QG de l'armée locale pour estimer la menace que ça représentait et me faire passer pour un alchimiste un peu corrompu et facilement influençable. Après tout, j'avais réussi à amadouer Yoki à Youswell pour lui racheter sa mine, qu'est-ce que qui m'empêchait de me faire passer pour une crapule ? Ce serait encore le meilleur moyen de me fondre dans le décor. L'important, c'était de savoir ce qui se tramait en ville.
Ce n'est que quand Roxane tourna la tête vers la fenêtre que je me rendis compte que le jour s'était déjà levé, Elle me proposa de manger un morceau, ce que j'acceptais avec plaisir après une nuit blanche, et je m'assis à califourchon sur la chaise pour la regarder cuisiner en discutant de sujets plus anodins. Elle avait pris une poêle et y lançait machinalement de l'huile d'olive et des légumes qu'elle découpait au fur et à mesure, ajoutant des herbes séchées tout en discutant. L'odeur qui me chatouilla les narines me fit bientôt saliver.
- Tu aimes beaucoup la danse, non ? notai-je en désignant les affiches.
- Le chant et la danse, oui, je voudrais en faire mon métier, répondit-elle avec un large sourire. Mais pas ici, à faire des strip-tease pour de vieux cochons. Je veux partir à Central-city et devenir meneuse de revue, c'est mon rêve !
- Impressionnant, commentai-je simplement, ne sachant pas quoi dire d'autre.
- Mais ça n'est pas pour tout de suite... Il faut d'abord que j'arrive à mettre assez d'argent de côté. Il paraît que la vie est très chère, là-bas, et il faut que j'aie de quoi me retourner si les choses ne se passent pas aussi bien que prévu.
Je repensai au prix des cocktails du Angel's Chest et me dis que c'était une question de point de vue. Mais avec les économies laissées par notre mère, puis mon salaire conséquent d'Alchimiste d'État, je n'avais jamais vraiment eu à me soucier du manque d'argent. En repensant à tous ceux que j'avais pu entrevoir, qui vivaient dans la misère et galéraient pour avoir de quoi manger pendant que le dépensais sans même y penser, je me sentis soudainement un peu honteux, et baissai le nez.
Mon hôte ne sembla pas le remarquer et se concentra sur le plat, faisant sauter les légumes en fredonnant une mélodie familière, presque couverte par le bruit de l'huile rissolant. Mais je reconnaissais l'air, et il me remplit de nostalgie.
Ce sont les crapauds, pensai-je. Nous chantions souvent cette chanson avec Maman quand j'étais enfant...
La nuit est limpide, l'étang est sans ride, dans le ciel splendide, luit le
croissant d'or.
Orme, chêne ou tremble, nul arbre ne tremble au loin le bois semble,
un géant qui dort...
Chien ni loup, ne quitte sa niche ou son gîte aucun bruit n'agite
la terre au repos
Alors dans la vase, ouvrant en extase leurs yeux de topaze
chantent les crapauds...
Ils disent « nous sommes...
Roxanne s'arrêta de chanter et se retourna vers moi, surprise. A ce moment-là seulement, je réalisai que, bercé par la fatigue, l'alcool et la nostalgie, moi aussi je m'étais mis à fredonner la chanson sans y penser, et rougis violemment.
Oh non...
- Je ne t'avais pas entendu, au début, mais tu chantes pas mal, dis donc ! remarqua-t-elle.
Sa remarque me fit rougir davantage. Je repris ma bouteille aux trois quarts vides et recommençai à boire pour masquer ma gène.
- Par contre, tu as une voix vachement aiguë, quand tu chantes, lança-t-elle en plantant sur moi un regard dépourvu de jugement mais terriblement attentif.
Je recrachai brutalement la bière que j'avais dans la bouche et toussai abondamment après avoir avalé de travers. Il ne fallait pas me dire des trucs pareils, déjà que j'étais mort de honte... Elle s'approcha et me donna quelques claques dans le dos pour m'aider à respirer dans un geste moins utile que réconfortant.
- Eh bah, et bah, et bah, faut pas se mettre dans des états pareils, c'était un compliment, fit-elle avec un large sourire tandis que je retrouvais peu à peu une respiration normale. Tiens, mange, c'est prêt !
- Merci, répondis-je d'une voix rauque, le nez et la gorge en feu, les larmes aux yeux.
Je regardais soigneusement ailleurs en mangeant le plat qu'elle avait préparé. C'était bon. Un peu moche, mais bon. Je sentais qu'elle me fixait un peu trop attentivement à mon goût.
- Où est-ce que tu as appris à chanter ? questionna-t-elle, me faisant sursauter.
- Je n'ai pas particulièrement appris, c'est ma mère qui... qui chantait avec mon frère et moi.
- Oh, elle doit être bonne chanteuse alors. Je pourrais la rencontrer ?
- Je ne pense pas... elle est morte quand j'avais neuf ans, marmonnai-je.
- Oh, pardon.
Un silence mal à l'aise tomba dans la pièce jusque là chaleureuse. La honte s'estompant, je réalisai que je n'avais plus vraiment chanté depuis longtemps. A la mort de ma mère, nous n'avions plus tellement le cœur à ça, mon frère et moi. Et même si ça nous arrivait encore quelquefois, depuis le jour où nous avions tenté de la transmuter, nous n'avions plus jamais fredonné la moindre mélodie. Je repensai à Al, enfermé dans son armure, et la simple idée d'entendre ces chansons déformées par des échos métalliques me serra encore le cœur. Même si maintenant, il avait retrouvé son corps...
- Tu as quel âge maintenant ?
- Hein ? fis-je, tiré de mes souvenirs. Euh... j'ai quinze ans.
- Ah oui, je me disais bien que tu n'étais pas bien vieux... Comment ça se fait que tu sois haut gradé dans l'armée à ton âge ?
- J'ai passé l'examen d'Alchimiste d'Etat.
- C'est pas super dur ?
- Si.
- Oh. Mais tu avais quel âge quand tu l'as passé ?
- Douze ans.
- Oh.
Elle me fixa d'un air surpris et manifestement admiratif.
- Tu es un surdoué, c'est ça ?
- Il paraît, marmonnai-je, un peu gêné, avant de recommencer à manger.
- Si seulement je pouvais en dire autant... fit-elle, comme pour elle-même.
Le reste du repas se passa en silence. Le soleil commençait à entrer dans la pièce, nous faisant réaliser que nous allions entamer une nouvelle journée sans avoir dormi du tout. Roxane jeta un coup d'œil à son réveil et poussa un soupir en annonçant d'un ton un peu las qu'elle n'allait pas tarder à devoir retourner travailler. Elle reprit les assiettes et fit rapidement la vaisselle, puis annonça qu'elle allait prendre une douche. Je hochai la tête, n'ayant rien à répondre à ça, puis me calai dans le coin de la pièce opposé à la porte de la salle de bain, explorant le contenu de son étagère pour me changer les idées.
Mis à part une pile réduite de vêtements, elle avait surtout des partitions, et je n'y connaissais pas grand-chose. Enfin, je savais plus ou moins lire la musique, ma mère m'avait appris le principe. A force de l'accompagner quand elle jouait de la musique et de tourner les pages de partition au bon moment, je pouvais reconnaître le rythme et l'écart des notes, mais jamais je n'avais su, comme elle, les nommer ou fredonner une mélodie en suivant des yeux les portées. C'était une des choses que j'avais trouvées impressionnantes à l'époque. Ces lignes tachetées lui semblaient aussi évidentes à lire que les cercles d'alchimie qui s'entrechoquaient dans mon esprit en permanence. Roxane, elle, devait avoir la tête remplie de musiques et de chants.
C'était peut-être plus agréable. Les murs n'isolaient pas grand-chose, et je l'entendais fredonner un air léger dans la pièce adjacente, accompagnée par le son des éclaboussures. Comment faisait-elle pour garder cette légèreté, alors qu'elle vivait dans cette ville, dans ce taudis, je n'en savais rien, et pour tout dire, j'étais presque jaloux face à sa bonne humeur.
Il n'y a pas si longtemps, j'arrivais encore à m'amuser, à trouver un peu de légèreté ici et là, mais depuis que j'avais mis les pieds dans le cinquième laboratoire, j'avais l'impression que plus jamais je ne saurais rire. Trop de choses m'étaient tombées dessus ce jour-là, des choses qui me dépassaient complètement. Les Homonculus, les choses qu'ils avaient dit ce jour-là, les prisonniers sur le point d'être sacrifiés, les quantités obscènes de pierre philosophale... Tout cela formait un magma terrifiant dont je n'arrivais pas à me souvenir clairement mais dont le simple souvenir m'oppressait. La gorge serrée, je reposai le livret de partitions et me repliai sur moi-même, prostré, les genoux contre la poitrine, serrant les dents, la tête fourrée au creux de mes bras. Mon frère me manquait terriblement, Winry aussi, et Hugues... il ne valait mieux ne même pas y penser. Gracia Hugues m'inquiétait, le souvenir d'Envy me terrifiait plus que je ne voulais me l'avouer. Lui qui avait eu plus d'une fois l'occasion de me massacrer, qui avait assez d'autorité sur lui pour l'empêcher de m'achever ? Qui avait assez de puissance pour lui imposer le respect ? Et pourquoi ne pas m'avoir tué ? Pour m'utiliser ? Dans quel but ? Je ne savais pas ce qui était le pire, entre le trou béant que laissait l'absence d'Al, lui qui avait toujours été près de moi d'aussi loin que je me souvienne, l'inquiétude que j'avais pour tout ceux qui étaient restés à Central-city, à portée de main de l'ennemi, et l'angoisse profonde que j'avais à l'idée de ce que j'aurais à affronter à l'avenir...
- Ça va ? questionna Roxane d'une voix douce, me faisant pourtant sursauter.
Je levai les yeux vers elle en tâchant de composer une expression anodine, et rougis immédiatement en découvrant qu'elle s'était penchée vers moi simplement enveloppée dans sa serviette de bain.
- Ça va, mentis-je, d'un ton un peu grognon. Juste la fatigue.
La réponse sembla lui convenir, en tout cas, elle se dirigea vers son étagère pour y prendre des vêtements propres. Quand je compris qu'elle allait se changer dans la pièce, je tournai précipitamment la tête vers le mur. Etait-ce possible d'être à se point impudique ?
- Si tu veux rester dormir ici, je te prête un double des clés.
- … Tu prêtes souvent des doubles de clés aux inconnus ? C'est un peu désinvolte de me proposer, ça tu trouves pas ?
Déjà que tu te ballades à poil dans la même pièce que moi, achevai-je en pensée.
- Très rarement. Mais bon, il n'y a pas grand-chose d'intéressant à voler ici, et puis, tu as une bonne aura.
- Hein ? lâchai-je en me tournant vers elle.
- C'est gravé sur ton front que tu es quelqu'un d'honnête, traduit-elle avec un sourire tout en boutonnant sa robe.
- Ah, vraiment ? commentai-je d'un ton un peu sarcastique.
Si elle savait à quel point je passe ma vie à mentir ces derniers temps !
- Allez, tiens, m'apostropha-t-elle en me jetant un trousseau de clés. Fais comme chez toi, si tu veux dormir ou prendre une douche... Il faut que tu sois en forme si tu veux séduire les militaires.
- Je ne veux pas séduire les militaires. Je veux me faire passer pour une crapule.
J'avais machinalement attrapé les clés au vol et la regardais prendre son sac pour partir.
- Peu importe comment tu t'y prends, tant que ça marche. Je compte sur toi pour m'aider à retrouver Cindy, rappela-t-elle en me montrant du doigt, les sourcils froncés par une expression résolue.
- C'est toi qui va m'aider, plutôt !
- Ne me sous-estime pas, nabot !
- EH !
Je lâchai une de ces bordée de jurons dont j'avais le secret, mais elle avait déjà refermé la porte avec un éclat de rire, qui s'éloigna sans scrupules dans le couloir en même temps que le claquement de ses talons. Je me calmai, faute de public, et me laissai tomber sur son lit qui me fit rebondir avec un grincement de ressors. Je restai allongé là, poussant un soupir. Un moment de solitude. Je me sentais poisseux, la poitrine écrasée sous mes bandages qui commençaient vraiment à se défaire ou à roulotter, me sciant la peau par endroits. A coup sûr, prendre une douche me ferait du bien. J'espérais vaguement qu'il n'y aurait pas de miroir dans sa salle de bain, voir mon reflet me mettait toujours mal à l'aise... Je me mordillai les lèvres, tandis que les personnes que j'avais côtoyé pendant mon séjour à l'hôpital me revenaient dans un flash. Je devais les protéger. Tous ceux que j'aimais, tous ceux qui m'avaient aidé, je devais les protéger. Et pour cela, il fallait d'abord que je m'acquitte de cette mission.
- Allez, m'encourageai-je à voix haute en me rasseyant sur le lit grâce à mon élan. C'est le travail qu'on ne commence pas qui est le plus long à finir !
Cette journée promettait d'être très remplie...
- Dis-donc, gamin, qu'est-ce que tu fiches là ? grogna le militaire qui gardait l'entrée du quartier général de Lacosta. Ce bâtiment est réservé aux membres de l'armée, tu ferais mieux de déguerpir avant d'avoir des problèmes.
Je le toisai d'un regard noir en glissant la main dans ma poche. Il fit un pas vers moi, vaguement menaçant, et je remarquai qu'il avait déjà la main sur son arme. S'il pensait avoir affaire à un simple enfant, il était inutilement menaçant ; s'il savait qui j'étais, il était juste stupide. Je sortis ma montre d'Alchimiste d'État portant le blason d'Amestris, la preuve que j'étais membre de l'armée. Il s'arrêta, hésitant face à se symbole d'autorité, mais ne semblait pas encore tout à fait sûr de vouloir me laisser passer pour autant.
- Vous savez que je suis suffisamment gradé pour vous virer sans préavis ? demandai-je d'un ton tranquille, penchant la tête légèrement de côté. Vous feriez mieux de me laisser passer sans faire plus d'histoires.
Le calme imperturbable dont je faisais preuve acheva de le désarçonner, et il recula pour me laisser passer sans réussir à dissimuler son aversion. J'entrai dans le bâtiment privé, levant les yeux vers les hauts plafonds.
Le quartier général de Lacosta était infiniment plus petit que celui d'East-city, sans parler de celui de Central, mais les bâtiments étaient bien plus beaux que ceux dont j'avais l'habitude. Des plafonds ornés de fresques, des moulures dorées, des portes de bois sculptées... Tout était rutilant, parfaitement entretenu.
Ils n'ont pas du se faire attaquer souvent ici, pensai-je en observant les lieux. Les fenêtres étaient immenses, elles faisaient plus de trois mètres de haut, et les rayons de soleil éclaboussaient les parquets de lumière malgré les rideaux en voile. Les portes étaient richement décorées, pour certaines ornées de haut-reliefs... Tout cela était magnifique, mais en terme de défense, c'était à peine mieux qu'un château de cartes.
Je repensai à l'homme à l'entrée. Il semblait bien qu'on craignait davantage des fouineurs que des attaques à main armée. Cela me conforta dans l'idée que l'armée avait sans doute quelque chose à cacher. Cette chose que je devais dénicher.
Une femme, sans doute simple secrétaire si on se référait à ses galons et au fait qu'elle portait une jupe, arpentait le couloir dans ma direction, le nez dans des dossiers, l'air affairé. Ce n'est en qu'arrivant à ma hauteur qu'elle remarqua ma présence. Elle eut comme un sursaut, manifestement surprise de me trouver là.
- Bonjour, fis-je aimablement. Puis-je rencontrer votre supérieur ?
- Je... qui êtes-vous ?
- Le Fullmetal Alchemist, répondis-je avec un sourire.
Elle me jaugea quelques secondes, se demandant peut-être si c'était une mauvaise blague, mais n'osa pas me remettre en cause. Elle serra donc ses dossiers contre sa poitrine d'un air un peu inquiet et me fit signe de la suivre.
Je marchais derrière elle, observant sa silhouette toute fine. Ses cheveux châtains et ondulés étaient remontés dans un chignon délicat, elle était maquillée, les ongles vernis, et portait des chaussures noires à haut talons. Elle m'inspirait la même impression de fragilité sauvage qu'une biche, prête à détaler au moindre craquement. Comment s'était-elle retrouvée dans l'armée, c'était la première question qui me venait à l'esprit. Je repensais à Riza Hawkeye ou Maria Ross. Le peu de femmes que j'avais vu porter l'uniforme avaient toutes une aura particulière et un caractère affirmé. Jamais je n'en avais discuté avec elles, nous n'étions pas assez proches pour cela, mais je savais qu'elles défendaient leur place bec et ongles et combattaient aussi bien que les hommes. Elle, en revanche... elle donnait l'impression de ne jamais avoir tenu une arme dans ses mains.
- Depuis combien de temps êtes-vous dans l'armée ? demandai-je d'un ton badin.
- Cela fait un mois et demi, avoua-t-elle.
Je vois. C'est une bleue.
- Vous vous y plaisez ?
- Dire que je m'y plais, hé bien, soupira-t-elle avec un sourire un peu désabusé. Je sais que je n'ai rien d'une combattante, mais mon père m'y a fait rentrer, et travailler comme secrétaire est tout de même à ma portée. Il n'aurait pas voulu que je devienne serveuse, strip-teaseuse ou...
- Je vois ce que vous voulez dire, répondis-je à sa phrase laissée en suspens. Si vous aviez eu le choix, vous auriez voulu faire quoi comme métier ?
- Être libraire, ou bibliothécaire m'aurait bien plu. Mais ici les perspectives sont assez limitées... et j'avoue avoir trop peur pour partir seule dans une autre ville.
Je hochai la tête, songeur. Naître femme à Lacosta, ça n'était vraiment pas un cadeau.
Comme nous arrivions à hauteur d'une porte, elle leva la main et frappa trois coups secs, trouvant par miracle une surface non sculptée sur celle-ci.
- Quoi ? grogna une voix d'homme peu aimable.
- Un visiteur voudrait vous rencontrer, annonça la jeune femme aussi fermement que le permettait sa voix fluette.
- Et il ne peux pas attendre ?
- Je ne pense pas, non, répondit-elle en me jetant un coup d'œil.
Il y eu un grommellement, des bruits de pas, et la porte s'ouvrit brutalement, laissant voir un homme ventripotent qui avait abandonné sa veste d'uniforme sur une chaise, sans doute à cause de la chaleur. J'eus le temps d'entrevoir un billard sur lequel se penchaient deux militaires qui n'avaient pas cessé leur discussion, Un canapé dans lequel trois autres s'étaient vautrées en discutant, ainsi qu'une table basse sur laquelle se trouvaient un cendrier, une carafe, un bol dans lequel flottaient quelques glaçons à moitié fondus, et une demi-douzaine de verres plus ou moins remplis. Ils étaient six ou sept dans la pièce, La plupart avaient quitté leur veste d'uniforme qui traînait sur une chaise, voire par terre, et discutaient sans m'adresser le moindre regard, trop occupés à ne rien faire.
- Juliet, tu sais bien que j'aime pas être dérangé quand je travaille, j'espère que c'est important, grommela l'homme en nous toisant d'un air méprisant.
- Bonjour, je suis le Fullmetal Alchemist, j'ai été envoyé par le Quartier Général Est pour faire un rapport détaillé sur la situation à Lacosta, répondis-je en lui montrant ma montre avec un sourire presque carnassier.
L'homme blêmit en voyant l'insigne, et toutes les conversations derrière lui s'évanouirent dans un silence inquiet. Ceux qui étaient jusque-là vautrés dans le canapé se levèrent précipitamment en essayant de remettre discrètement leur chemise dans leur pantalon, ceux qui étaient en pleine partie cachèrent maladroitement leurs queues de billard derrière eux comme des enfants pris en se suspendirent à mes lèvres.
Je penchai légèrement la tête de côté en les scrutant un a un d'un air attentif. Comme ils n'avaient pas leur veste, je ne pouvais pas connaître leur position dans l'armée, mais je supposai que c'était plutôt des hommes hauts gradés qui se retrouvaient entre eux pour une petite « réunion ». J'avais du mal à dissimuler ma stupéfaction face à tant de laisser-aller, à East-city, ils auraient été mis à pied pour moins que ça. Mais manifestement, ils en avaient conscience. Ils avaient peur. Si je faisais un rapport sur ce que je venais de voir, c'était déjà largement suffisant pour que leur monde s'effondre. Ils le savaient et attendaient fébrilement que j'ouvre la bouche pour connaître la nature de leur punition.
- Vous pouvez disposer, Juliet, fis-je, confiant en mon autorité.
Elle se pencha légèrement dans un semblant de courbette, avant de quitter la pièce en fermant soigneusement derrière elle. L'espace d'un instant, je croisai ses yeux ou brillait un éclat admiratif mêlé d'espoir, et je compris qu'elle comptait sur moi, d'une manière ou d'une autre, pour changer la situation. Parfois, un regard vaut mille mots.
Je me tournai de nouveau vers mes victimes, qui attendaient toujours leur sentence. Je décidai de les torturer encore un peu, quitte à être un peu retors. Ça ferait de moi un personnage un peu détestable, mais pourrait m'être utile pour la suite de l'enquête. J'eus une petite pensée pour Mustang, qui était sûrement mon maître à penser dans le domaine. Il fallait que je fasse comme lui, que je frappe fort. Si possible, que je sois infect.
- Le père de cette charmante recrue est-il ici ? fis-je en gardant le genre de voix distante qui ne trahissait aucune pensée.
Un homme d'une quarantaine d'année aux cheveux poivre et sel et au visage sec, assez laid, leva la main dans un geste hésitant, presque tremblant. Je le toisai sans cacher mon mépris.
- Comment un homme comme vous a pu avoir une fille aussi jolie ?
J'avais lâché un peu trop spontanément le fruit de ma réflexion, mais s'il serra les dents, un peu humilié, je sentis bien que les autres auraient ri aux éclats s'ils n'étaient pas eux-mêmes en position de faiblesse.
Je fis quelques pas pour m'avancer dans la pièce, continuant à observer les lieux, les mains croisées dans le dos, jouissant intérieurement de l'ascendant que j'avais sur ces crapules. Avoir le pouvoir sur quelqu'un était tout de même un peu grisant. A cet instant, je comprenais presque pourquoi Mustang prenait un malin plaisir à me balancer des piques à longueur de temps. Presque.
- Il y a du laisser-aller, on dirait, commentai-je d'un ton tranquille, sentant que la plaisanterie avait assez duré.
Ils serrèrent les dents, contrits.
- Ce n'est pas à Central ou Est City que les militaires pourraient se permettre d'avoir ce genre de locaux sur leur lieu de travail, si haut gradés fussent-ils. Vous ne devez pas avoir grand-chose à faire de vos journées pour pouvoir les passer à jouer au billard et boire, commentai-je en étudiant la carafe que je venais de soulever.
Je débouchai le contenant et reniflai. Du whisky, sans doute. Je n'aimais pas les alcools forts, mais une adolescence dans l'Est du pays m'avait appris à les supporter à peu près.
- Répondez, s'il vous plaît, fis-je d'un ton qui ne souffrait aucun refus malgré la formule de politesse.
- Lacosta n'est pas une ville très peuplée, nous n'avons pas autant de travail que les citées principales qui ont une région entière sous leurs ordres, répondit l'homme qui m'avait ouvert en tâchant de ne pas bafouiller.
Je supposai alors que c'était lui le Commandant, le plus haut gradé du QG.
- Je vois ça... Vous n'avez pas d'enquête, ou d'éléments à gérer qui vous pose des difficultés en ce moment ? demandai-je en commençant à me servir un verre d'alcool comme si j'étais chez moi.
- … Pas particulièrement, répondit-il d'un ton hésitant.
C'est pas beau de mentir, pensai-je en levant le verre pour le sentir de nouveau.
- Vous avez beaucoup de chance, commentai-je avec un sourire. Travailler dans une ville tranquille, et dans des locaux aussi somptueux, en ayant juste à faire régner l'ordre sans s'occuper de la gestion de la ville, puisque la Mairie de la ville s'en occupe... beaucoup à East-city doivent envier votre situation. Ce serait dommage que vous perdiez votre place, si votre comportement venait à se savoir auprès de mes supérieurs.
J'entendis une ou deux personnes déglutir. Je les tenais. Je bus une petite gorgée de Whisky dont l'amertume de déplut fortement, et reposai le verre presque plein.
- Je m'en voudrais de vous gâcher le plaisir, alors que j'aimerais plutôt en profiter avec vous... Si vous me servez d'assez bons alcools, peut-être que j'oublierai ce que j'ai vu à l'instant, répondis-je avec un petit sourire satisfait.
Il y eut un ou deux hommes chez qui je vis passer un éclat de surprise, à cause de mon jeune âge, sans doute. Après tout, la majorité était à vingt ans à Amestris, et j'étais encore loin de les avoir ; mais dans leur situation, jamais ils n'oseraient me le faire remarquer. Au contraire, le commandant se dirigea vers un placard et l'ouvrit avant de fouiller pour en ressortir une bouteille de cristal finement ciselée, remplie d'un liquide ambré qu'il me tendit avec déférence.
Je survolai l'étiquette. C'était un Whisky vingt ans d'âge. Je ne m'y connaissais pas beaucoup, mais assez pour savoir qu'il ne se fichait pas de moi. Je souris, et pris la bouteille, avant d'aller m'asseoir sur le canapé.
- Maintenant, on peut discuter... en attendant que vous me fassiez visiter, votre quartier général en détail, fis-je avec un sourire. Si vous avez tant de temps libre, vous pourrez me conseiller pour la rédaction de mon rapport, vous qui connaissez la ville mieux que moi ?
Quelques soupirs trahirent le poids qui venait de se lever dans leurs poitrines. Le Commandant reboutonna sa veste d'une main encore fébrile avant de s'asseoir à côté de moi, commençant à me parler avec un soulagement mal dissimulé. L'ambiance se détendit progressivement, et tout le monde trinqua avec moi, souriant, mais sans doute encore terrifié intérieurement. J'avais donné la couleur, en me présentant ainsi, ils verraient moi un manipulateur, qui aime user de son pouvoir et qui est facilement corruptible. De quoi bien s'intégrer dans l'équipe.
Je levai mon verre avant de commencer à boire, en me disant furtivement que j'aurais bien aimé que le Colonel puisse admirer le travail. Après tout, c'est lui qui m'avait inspiré.
