Hello, c'est l'heure de la mise à jour ! On arrive à une conclusion, ce chapitre est le dernier de la première partie. Parce que oui, c'est une histoire prévue en plusieurs parties. Traitez-moi de folle si vous voulez, je sais ou je vais ! o/ Comme d'habitude, l'illustration associée au chapitre est sur Deviantart (j'ai créé un dossier ou toutes les illustrations de chapitre sont rassemblées).
Ce weekend je serai au Nihon Breizh festival à Rennes, et je fêterai la fin de Sweet Suicide, un doujin Royed commencé il y a quelques années. Si vous faites un tour dans le coin, je serai ravie de vous rencontrer. ;) Je serai sur le stand de Bull'Acide.
Bref, je m'arrête là pour les annonces et je vous laisse découvrir ce chapitre, en espérant qu'il vous plaira. Bonne lecture ! :)
Chapitre 13 : Dépôt de plainte (Edward)
- Présentez-vous, et racontez-moi ce qui s'est passé de la manière la plus détaillée possible, fit le militaire d'un ton sérieux après avoir lancé la bande son.
- Je m'appelle Iris, Iris Swan, et je travaille depuis peu au Angel's Chest, pour remplacer Ariane. Dans la nuit qui a suivi la première du nouveau spectacle, je me suis fait kidnapper. J'attendais Roxane à la sortie des artistes, elle tardait à venir, et à ce moment-là, quelqu'un m'a attrapée par derrière et m'a bâillonnée. J'ai essayé de me défendre, mais mon agresseur était beaucoup plus grand et fort que moi, et m'a endormie avec du chloroforme.
- A quelle heure cela s'est-il passé ?
- Il devait être quatre heures, quatre heures et quart, estimai-je. Nous avions arrêté le service à trois heures, mais il fallait se changer, se démaquiller...
- Je vois. Et après, que s'est-il passé ?
- Quand j'ai repris conscience, j'étais allongée dans un lit, répondis-je, la gorge serrée. J'avais les mains attachées à une applique par des menottes.
Alors que je me replongeais dans ce souvenir, je sentais le dégoût m'envahir. Le sentiment de panique qui m'avait assailli à ce moment-là me revenait, ce simple écho me faisait sentir mal. Sur le moment, je n'avais pas trop pris le temps d'y réfléchir, mais plus le temps passait, plus la peur de ce qui aurait pu arriver m'étreignait après coup. C'est mal à l'aise, les yeux baissés, que je continuais mon témoignage. Je sentais ma voix chevroter malgré moi à ce souvenir, et je détestais ce sentiment de faiblesse.
- Il y avait un homme au-dessus de moi, mes jambes étaient bloquées. J'ai senti qu'on m'enlevait mes sous-vêtements, alors, j'ai paniqué. J'ai tiré sur mes menottes, et...
C'est là qu'il faut commencer le mensonge, pensai-je soudainement.
- Et... ?
- Et Roxane est arrivée, avec Edward Elric, complétai-je. Edward a frappé l'homme qui m'attaquait, et Roxane m'a aidé à me libérer. Edward m'a aidée à enlever les chaînes, par alchimie. Et puis il les a mises sur l'homme qui m'avait attaquée. C'était Ian Landry.
- Vous l'avez reconnu ?
- Je l'avais servi à table la nuit-même au Angel's Chest... Et puis, je connais la tête des candidats à l'élection, quand même !
Je baissai les yeux, prétextant mon traumatisme pour me donner le temps de réfléchir. Quitte à construire un mensonge, autant être cohérent. Iris devait-elle savoir ce qui se tramait ou non ? A quel point ?
- Est-ce qu'on vous avait dit qu'il y avait un risque en entrant au Angel's Chest ? Vous connaissiez déjà Edward et Roxane ?
Aaah, qu'est-ce que je dois répondre à ça ? ! Je n'ai pas eu assez de temps pour réfléchir à tout ça ! J'aurais dû en parler plus en détail avec Roxane, nos témoignages ne vont jamais coïncider...
- Je connaissais déjà Roxane. Edward... Je l'avais rencontré chez elle, répondis-je évasivement.
Je marquai une pause. Il fallait dire les choses intelligemment. Il était hors de question que des failles d'Iris permettent de remonter jusqu'à moi.
- Roxane m'avait expliqué les soupçons qui pesaient sur Ian Landry. Tous les deux, ils essayaient de prouver sa culpabilité dans la disparition des autres filles, la mort de Fanny... Ils avaient remarqué qu'il cherchait surtout des blondes, alors, quand elle a appris qu'Ariane quittait le Angel's Chest, elle m'a dit que c'était peut-être la bonne occasion d'en savoir plus sur lui avec mon aide. Moi, je me suis dit que c'était une bonne occasion de monter sur scène... Tout le monde n'a pas la chance de travailler dans un cabaret aussi prestigieux.
- C'était donc en connaissance de cause que vous avez pris ce risque, explicita homme avec une inflexion dans laquelle je reconnus un jugement.
Je rêve ou il est en train de sous-entendre que c'est de ma faute si j'ai failli me faire violer ?!
- J'ai pris ce risque, parce que je savais que des femmes étaient en danger et que ma présence pourrait leur apporter une aide précieuse, répondis-je d'une voix tremblante de rage. Des femmes qui ont été enlevées, violées, et qui allaient être vendues ! !
Pour moi, le mot était violent, affreux, et je m'étais redressé sans m'en rendre compte en le prononçant – mais l'homme en face de moi leva des yeux aux paupières lourdes en me regardant d'un œil vague. La fatigue, sans doute, l'affaire en cours était un véritable séisme et tout le monde était sur le pont depuis qu'elle avait éclaté au grand jour. Mais ce n'était pas seulement ça. Il y avait de l'indifférence dans ses yeux, une indifférence terrifiante, qui n'aurait pas dû exister. Comment pouvait-il ne pas réagir à ces paroles ? Cela aurait dû le choquer !
A ce moment-là, je réalisai. Pour lui qui vivait dans une ville dans laquelle la plupart des habitantes vendaient leur corps, de manière plus ou moins directe, ce n'était pas un esclavage monstrueux... mais une réalité banale.
Je me sentis le souffle coupé quand cette idée me gifla en pleine face, et fus incapable de prononcer un mot. Il y eut un silence pesant. L'homme baissa les yeux vers sa feuille, soupira, et repris l'interrogatoire. J'aurais dû m'indigner et lui faire réaliser que ce n'était pas normal de laisser faire ça à des êtres humains, mais j'étais sonné par cette idée au point d'avoir du mal à réfléchir, et toute la réflexion que je pouvais avoir, je devais l'investir dans la préservation de ma fausse identité. Les choses s'étaient déroulées de manière totalement chaotique, c'était déjà un miracle que Tommy n'ait pas fait le lien entre mes deux facettes – ou la preuve de sa stupidité. Maintenant que l'ennemi était sous les verrous, je réalisais que le plus dur était à faire : comment préserver mon secret alors que je devais faire une déposition de plainte, en tant que victime, sans avoir eu le temps de m'y préparer ?
Faire tomber le masque aurait permis de tout simplifier, mais la nausée me venait à cette simple idée. Quel genre de regards devrais-je subir si on apprenait qu'Edward Elric et Iris Swan étaient une seule et même personne ? On me reluquerait encore comme l'avaient fait les clients le soir de la première, on commenterait mon apparence en permanence... Et si ça arrivait, les gens lisant le rapport n'auraient pas de mal à deviner que... que mon corps avait été transformé.
Et je préférais mourir plutôt que de laisser Mustang et sa clique savoir que j'avais dansé en petite tenue sur une scène de cabaret, même pour le bien de la mission. Je n'avais pas envie de les entendre se moquer de moi sur les trois prochaines générations.
Je réalisais que, en proie à mes débats intérieurs, j'étais incapable de répéter ce qu'avait dit l'homme en face de moi.
- Est-ce que vous pouvez répéter ? Je suis désolée, je suis épuisée, murmurai-je en pressant mes paumes sur mes yeux fermés, surjouant un peu une lassitude pourtant bien réelle. Je dois remonter sur scène ce soir, et... Je ne sais pas si j'en serai capable...
- Allons, mademoiselle. Le danger est passé maintenant, fit-il avec une sollicitude mêlée d'impatience.
Si seulement...
Je hochai la tête sans dévoiler mon visage. Si mes intonations étaient artificielles, mon épuisement était bien réel. Je mourais d'envie de m'effondrer dans un lit et de savourer une nuit de sommeil réparatrice qui effacerait peut-être le mal de tête et la nausée qui me suivaient depuis que j'avais été chloroformé.
- Après vous avoir libéré, que s'est-il passé ?
- Ils ont demandé comment j'allais, s'il m'avait fait mal... J'avais les jambes coupées, je ne me sentais pas capable de repartir avec eux. Ils m'ont confié le pistolet que Landry portait sur lui, et Edward a réparé la porte pour que je puisse la refermer derrière eux et me protéger... Je les ai attendus. Et puis Edward est revenue me chercher. Il m'a dit que tout était fini, que je pouvais rejoindre les autres en bas pendant qu'il vérifiait une dernière chose.
- Une dernière chose ?
- Il n'a pas été plus précis que ça, répondis-je tout en songeant qu'il allait falloir inventer un truc plus concret pour mon deuxième témoignage. J'ai descendu l'escalier, et les autres étaient dans l'entrée. Puis Roxane m'a dit de venir, et je suis rentrée en voiture avec elle, Edward, et un militaire.
Cette dernière phrase était globalement vraie. J'aurais sûrement dû ajouter des détails, mais je n'avais pas le courage de mentir plus longtemps. Je voulais juste retrouver le confort de mon apparence masculine et en finir avec cette histoire.
- Vous savez qui c'était ?
- Je ne sais pas son nom, mais je pourrais le reconnaître si je le voyais, mentis-je simplement.
- Écoutez, vous avez l'air assez secouée par les événements, je pense que ça suffira pour aujourd'hui. Si on a encore besoin de vous, on vous demandera de revenir témoigner, d'accord ?
- D'accord.
- Allez vous reposer maintenant.
- Je vous remercie, soufflai-je d'une voix un peu faible.
Je quittai la pièce d'un pas presque chancelant, enserrant la bandoulière de mon sac comme si elle m'empêcherait de tomber. Comment étais-je devenu une fille aussi convaincante ? Par épuisement sans doute...
Mais, pas de fatigue qui tienne, maintenant que cette épreuve était terminée, il était temps qu'Edward revienne en scène. Je bifurquai dans les toilettes du bâtiment pour me changer dans une cabine. Je repris ma tenue habituelle avec un soupir de soulagement, et me frictionnai le visage à l'eau pour en faire partir le maquillage, ce qui me redonna un petit coup de fouet après cette nuit blanche. Enfin, je me rattachai les cheveux en tresse, et adressai un regard soulagé à mon reflet. J'étais redevenu moi-même.
A force de faire la navette entre mes deux identités, je me sentais perdre les pédales, et je craignais le moment où j'allais faire l'erreur monumentale qui allait de démasquer. Il fallait que j'en finisse avec cette histoire avant que cela n'arrive. A présent qu'Ian Landry était enfin sous les verrous, j'avais le sentiment d'avoir bien assez donné de ma personne, et je n'attendais plus que de tirer ma révérence. Je retrouvai Roxane assise dans le couloir et lui lançai un pauvre sourire fatigué, et elle me renvoya une expression de sérénité créée par un mélange d'épuisement et de soulagement, serrant sous son bras une fille aux cheveux blonds, d'à peu près ma taille.
- Cindy, je suppose ? fis-je en baissant les yeux vers le duo.
- Oui, répondit-elle d'une voix rauque.
Elle avait le visage un peu creusé, les yeux rouges d'avoir trop pleuré, les bras bleuis et écorchés par endroits, les ongles rongés jusqu'au sang. Je me souvenais de ce que j'avais failli subir et de la manière dont mon cœur se coinçait dès que j'y repensais, et je me sentis bouleversé en entrevoyant ce qu'elle avait vécu. Ce que toutes les filles installées dans cette pièce avaient vécu.
Je nous revoyais encore, entrant en procession dans les locaux militaires, moi et Berry tenant fermement un Landry mal en point, suivit de Roxane, et de neuf jeunes femmes, blondes, au visage hagard l'expression éberluée des collègues quand ils croisaient le regard de Berry, qui avait gagné une aura de fermeté au combat, transformant le militaire timide et faible en vague souvenir, le Commandant pâlissant à vue d'œil en voyant arriver son complice menotté, le visage tuméfié. Les murmures fébriles traversaient les murs comme une vague se frayant un chemin au milieu des rochers, inondant tout, allant partout. Tout cela était marqué dans ma mémoire. Mais rien ne m'émut plus que le regard éperdu de reconnaissance de Cindy quand elle leva les yeux vers moi.
- Merci, souffla-t-elle simplement, les larmes aux yeux. Je n'espérais plus rien, je n'osais plus y croire, et... merci.
- Je n'aurais rien pu faire sans Roxane, répondis-je avec un sourire, faisant rougir la principale intéressée.
- Je l'ai déjà remerciée, répondit la blonde en se calant un peu plus contre son épaule.
- … Je suis content de te voir parmi nous.
- Moi aussi, fit-elle avec un demi-sourire.
- Est-ce que je peux te parler en privé un instant ? demandai-je à Roxane. Ça ne sera pas long, ajoutai-je d'un ton rassurant en voyant une ombre de peur passer dans les yeux de Cindy qui se raccrochait à Roxane comme si la lâcher l'exposait à retomber en enfer.
La rousse hocha la tête et se leva après un geste caressant sur l'épaule de son amie pour discuter avec moi, quelques pas plus loin. Je lui répétai à mi-voix ce que j'avais raconté de la scène avec Ian Landry et les rencontres que j'avais brodées entre moi et Iris, afin que l'on puisse accorder nos violons sur une version cohérente. Elle m'écouta attentivement et m'assura que ça irait, me lançant un sourire. Je me rendis compte qu'elle se comportait un peu avec moi comme avec Cindy, avec cette voix douce qu'on murmurait à l'oreille des chevaux pour les calmer. Avait-elle réalisé que la scène m'avait plus choqué que ce que je voulais bien montrer ?
Il était hors de question de lui demander, cela m'aurait trahi. A la place, je la laissai rejoindre Cindy qui semblait avoir besoin de sa présence, et je repartis vers mes propres obligations.
C'était une journée épuisante. Juste après notre arrivée spectaculaire, j'avais poursuivi le Commandant et l'avait enfermé dans une pièce d'un coup d'alchimie en lui annonçant qu'il était en état d'arrestation pour corruption, rétention d'information et non-assistance à personne en danger, et que la liste risquait bien de s'allonger davantage. Maintenant que notre principal ennemi était menotté et que notre plan avait fonctionné, bien que de justesse, je n'avais plus de raisons de dissimuler ma puissance et mon amour de la justice. Les dirigeants n'avaient plus qu'à s'en mordre les doigts. Et bon sang, qu'est-ce que ça faisait du bien !
Sentant que le vent avait tourné, la plupart des militaires obéirent obséquieusement à Berry, qui leur donnait des instructions précises, pour l'accueil des filles, le dépôt des plaintes, les personnes à arrêter et interroger. J'avais annoncé qu'en qualité d'Alchimiste d'État, et suite à l'arrestation du Commandant, je l'avais nommé à la tête du QG jusqu'à nouvel ordre, et que les autres militaires n'avaient pas à remettre en cause son autorité. Pour ceux qui m'avaient côtoyé en soirée en pensant que j'étais complètement corrompu, franchement mesquin et globalement inoffensif, le choc était rude.
La nouvelle que Ian Landry avait été emprisonné pour des raisons encore inconnues se répandit comme une traînée de poudre, incendiant la ville. Certains prirent précipitamment la fuite, se sentant menacés ; d'autres, et ils étaient nombreux, vinrent se presser au grilles du QG pour faire leur témoignage à l'encontre de l'ancien candidat, apportant chacun une petite pierre supplémentaire destinée à mieux l'enterrer. Les militaires étaient débordés par les événements et enchaînaient les entrevues à un rythme éreintant, comme un juste retour des choses après avoir traité par le mépris les problèmes de la ville pendant si longtemps.
Je me prêtai une nouvelle fois à la rencontre avec le magnétophone, racontant une version soigneusement étudiée en fonction de mon premier témoignage avec Berry et Roxane, qui comprenaient tous deux que je n'avais aucune envie de dévoiler ma double identité dans les rapports.
J'avais assisté à l'inculpation de Ian Landry de l'autre côté du miroir sans teint, admirant la fermeté pleine de rage contenue de Berry face au cynisme doucereux de l'ancien candidat à la Mairie. Au bout d'un moment, comme je le sentais enrager sans venir à bout de l'accusé, je toquai à la porte, amenant avec moi trois ou quatre des filles qui avaient été enlevées et acceptaient de venir pour un face à face.
Si Ian Landry arrivait à tenir tête avec mépris face au militaire, le regard venimeux de celles qu'il avait enlevées et violées était plus difficile à soutenir. Il ne put rien faire face à l'une d'elle qui lui égrena avec un calme assassin les moindres détails de tout ce qu'elle avait subi par sa faute, lui arrachant peu à peu des aveux et me glaçant le sang, mot après mot. Elle avait des yeux d'un bleu presque noir, et le fixait avec une acuité qui m'aurait mis sur les charbons ardents sans même que j'aie quoi que ce soit à me reprocher. Son nom – Pénélope – resta gravé dans ma mémoire.
Après cette expérience, Berry n'eut plus qu'à faire ressortir les filles et dérouler devant lui la liste des chefs retenus contre lui pour qu'il avoue, bercé par la promesse illusoire que sa peine serait allégée s'il donnait les noms de tous ses complices sans exception. Il y avait le Commandant et un certain nombre d'autres militaires que je connaissais déjà, ainsi que des mafieux avec qui il faisait commerce, comme Sen Uang, qui était apparemment un marchand de Xing venant souvent à Lacosta échanger des armes et produits d'Amestris contre des métaux et pierre précieuses de son pays. Les filles enlevées étaient mêlées d'une façon particulièrement sordide à cette collaboration. Le but de Landry en rassemblant dix belles blondes, outre son plaisir personnel (comment était-il possible de prendre du plaisir à faire ça ?!) était de les vendre comme esclaves sexuelles à l'étranger pour une somme indécente. Il n'en manquait plus qu'une.
Ça aurait pu être moi.
Face à l'horreur de ce que les filles avaient vécu, et de l'horreur encore plus grande de ce qu'elles auraient dû vivre s'il avait pu mener son plan jusqu'au bout, je finis par quitter la salle avant que l'inculpation en soit terminée, le cœur au bord des lèvres. Toute cette histoire m'aurait mis à l'envers de toute façon, mais elle me choquait encore plus, maintenant que je partageais les attributs des victimes.
En pensant aux sanctions parfois expéditives de l'armée, moi qui étais toujours contre cette idée, je n'eus aucune pitié pour cet homme à l'idée qu'il soit exécuté. Je l'espérais même. Il méritait au moins ça.
- Euh... Edward ? fit Roxane d'un ton hésitant.
- Oui ?
- Je suppose que maintenant que l'enquête est résolue, tu vas repartir ?
- Je vais encore aider Berry demain, je pense, étant donné la quantité de paperasses à traiter et le désordre qui régnait dans les bureaux, il faut bien ça. J'ai appelé au QG Est pour les prévenir de la situation, je suppose qu'ils enverront une faction de l'armée pour tenir les procès martiaux sur place... moins qu'ils décident de faire les procès à East-city.
- Et après ? Qu'est-ce qui va se passer ? demanda la rouquine d'un ton inquiet.
Je ne pouvais pas lui répondre la vérité, à savoir que je n'en avais pas la moindre idée. J'avais coffré le responsable du désordre à cause duquel j'avais été envoyé ici... mais pour ce qui est de la politique, je n'étais vraiment pas bon. Est-ce que la Mairie allait continuer à exister après les débordements dont elle avait été le témoin impuissant, ou est-ce que l'armée allait en profiter pour asseoir son pouvoir, ici aussi ? Si cela arrivait, les passe-droits de la ville seraient-ils supprimés ? Ça serait tout à fait logique en théorie, mais appliquer l'interdiction de la prostitution du jour au lendemain dans une ville ou toute l'économie était basée sur son commerce, c'était un suicide économique qui pourrait faire basculer tout le monde dans la misère. Bien sûr, ces pratiques me dégoûtaient, mais... le remède ne risquait-il pas d'être encore pire que le mal ?
Je n'étais pas capable de prendre ce genre de décision. C'était bien au-delà de mes responsabilités.
- Je ne sais pas trop... finis-je quand même par avouer en voyant qu'elle attendait encore ma réponse. Ce qui est sûr, c'est qu'avec cette histoire, Lacosta arrive à un tournant. L'armée aime le pouvoir, si personne ne leur tient tête, ils régenteront sans doute la ville dans la foulée du procès... Pour conserver votre indépendance, je ne vois pas d'autre solution que de tâcher de leur prouver que la ville est capable de fonctionner sans eux.
- Encore faut-il le vouloir...
- Encore faut-il le vouloir, en effet... Mais c'est à vous, ses habitants, de décider du futur de cette ville. Moi qui ne suis que de passage, je ne suis pas de taille à juger ce qu'il faudrait faire.
- Quel sérieux ! commenta Roxane.
- Je ne dis que la vérité. Je pense que j'ai déjà apporté assez de bouleversements comme ça pour ne pas en rajouter encore.
- C'est sûr que les choses ont beaucoup bougé depuis ton arrivée...
- Et les choses bougeront encore beaucoup dans les mois à venir...
- Hé bien, tu te projettes loin dans le futur ! J'avoue que quand je demandais ce qui allait se passer, je ne voyais pas forcément si loin, fit-elle d'un ton hésitant. Parce tu vois, il y a le spectacle, ce soir... Il commence dans moins de quatre heures.
- Oh merde, fis-je d'un ton las.
- Oui, comme tu dis. Cindy est prête à reprendre sa place au sein du Angel's Chest, mais je crois qu'il lui faudra quand même un peu plus de temps que ça pour se remettre des derniers événements malgré tout.
- Et moi ? J'ai pas le droit de me remettre des événements ? marmonnai-je, un peu dépité.
- J'aimerais bien, mais comme c'est moi qui t'ai recommandé, si tu nous fais faux bond, je risque ma place et vu que le contexte risque d'être un peu agité...
- Oh. Je n'avais pas pensé à ça...
Je continuais à marcher à côté d'elle, comprenant le vrai sens de ses questions. J'étais épuisé. Je rêvais d'un lit pour sombrer dans un sommeil réparateur, loin des agressions sexuelles, des pots-de-vin et du chaos de cette ville. Tout à l'heure, je m'étais dit avec un certain soulagement « plus jamais je n'aurais à porter cette fausse identité ». Mais c'était bien naïf de ma part, je m'en rendais compte, car il était hors de question que j'abandonne Roxane à son sort après tout ce que nous avions vécu, et espérer que Cindy me remplace aussitôt libérée n'était pas une solution.
On ne lâchait pas ses amis comme ça.
- Ok. Je fais encore deux représentations, marmonnai-je en rougissant. Ce soir, et demain soir. Mais c'est bien parce que c'est toi. Maintenant que cette affaire est résolue, il faut vraiment que je rentre à Central-city, beaucoup de choses m'attendent là-bas.
- Merci, je pense que ça sera suffisant pour se retourner. J'ai vraiment de la chance de t'avoir rencontré !
- Moi aussi, avouai-je. Je ne suis pas prêt d'oublier l'histoire de fous qu'on a vécue ensemble.
- Encore heureux, hé ! fit-elle d'un ton scandalisé, me faisant éclater de rire.
En dépit du chaos politique qui se jouait, ou à cause de lui peut-être, le succès de la première ne sembla pas démentir, le troisième jour, la salle était toujours aussi pleine, sinon plus. Parmi les spectateurs, je reconnaissais maintenant un paquet de monde. Des militaires du coin, Tommy, Cindy, et d'autres filles qui fêtaient leur retour à la vie. L'ambiance des lieux avait une saveur particulière, la légèreté de la victoire, et c'est avec un plaisir renouvelé que je participais au spectacle. Après tout, c'était la dernière fois. Et maintenant que les choses avaient été un peu remises en ordre, j'avais le cœur presque léger. Et puis, entre temps, j'avais pu dormir. Un peu.
Après le spectacle, je participai encore une fois au service, mais comme c'était mon dernier jour, et que l'effrayante madame Britten ne revenait que le lendemain, je passai autant de temps à discuter avec les uns et les autres qu'à faire amener les boissons. Katalyn s'était attachée à moi avec une facilité surprenante, j'avais beau deviner que ça faisait partie de son caractère, j'étais tout de même touché par le dépit qui se peignait sur son visage à l'idée de mon départ. Cindy m'avait posé des questions sur la chorégraphie auxquelles j'avais répondu maladroitement avant de lui conseiller de demander à plus expert que moi. Après le soir de relâche où elle allait pouvoir répéter de nouveau avec le groupe, elle reprendrait ma place, que je lui laissais sans trop de regrets.
Je fus également surpris de nombre de personnes qui s'étonnaient qu'Edward Elric ne soit pas à la fête.. évidemment, je ne pouvais pas être au four et au moulin. Roxane avait justifié mon absence par une profonde fatigue et un caractère d'ours. L'excuse était crédible.
En savourant l'ambiance festive du lieu et l'achèvement de ma mission, je comprenais mieux l'expression de Roxane qui m'avait tellement surprise quelque temps auparavant.
Dans le pays, on dit que si on se force assez à sourire, on finit par être vraiment heureux. Alors, même quand ça va mal, on chante et on danse.
Cindy, Pénélope, et toutes les autres filles qui avaient subi des assauts sexuels de la part d'Ian Landry, Berry, qui portait encore dans son cœur le deuil de Fanny, Roxane, qui avait vu brûler l'imprimerie où elle travaillait et son propriétaire, et sans doute beaucoup d'autres, ils n'étaient pas heureux. Ils construisaient leur joie de vivre en attendant des jours meilleurs, à moins qu'ils fuient leur malheur dans la fête et l'alcool. Sans doute y avait-il un peu des deux. Je trinquai avec eux à leurs jours meilleurs en le leur souhaitant du fond du cœur.
Puis le cabaret ferma ses portes aux alentours de trois heures, et je sortis de ma mue de danseuse pour la dernière fois. En sortant des toilettes dans ma robe de ville, je vis les filles me tomber dessus. Toute la bande était là, ainsi que Cindy. Roxane me tendit une enveloppe de papier kraft avec un petit sourire.
- Tiens, on s'est dit que ça serait bien de te donner un petit souvenir.
- Ah ? fis-je, vaguement surpris, en ouvrant l'enveloppe pour en sortir une photo.
J'ouvris de grands yeux. Le tirage d'une photo du spectacle, en noir et blanc, était de bonne facture, et je reconnaissais parfaitement chacune des filles sur le papier glacé moi y compris. Enfin Iris. Dans les coins plus sombres de l'image et sur les rideaux qui semblaient noirs, les danseuses avaient écrit des petits mots ou simplement signé à l'encre blanche. Il y avait neuf écritures, je reconnus la signature de chacune d'entre elles, Roxane, June, Katalyn, Carine, Sophine, Laure, Dorine et Flora... et Cindy, qui avait griffonné un simple merci au-dessus de sa signature, sobre et terriblement sincère à la fois.
Je ne savais pas trop si j'étais touché par cette attention, ou mortellement embarrassé en découvrant que des photos avaient été prises pendant le spectacle, immortalisant ma fausse identité d'Iris contre mon gré. Pourtant, en levant les yeux et en voyant la bande de filles qui avaient été mon quotidien pendant quelques jours, je me sentis quand même ému.
- Merci les filles... Je la garderai précieusement.
- Y'a intérêt ! s'exclamèrent-elle en cœur.
J'eus un petit rire.
- N'hésite pas à venir nous voir si tu repasses par ici, hein ?
- Je ne pense pas que ça arrivera de sitôt, avouai-je avec un sourire un peu triste. Mais si c'était le cas, je n'hésiterais pas !
Je rejoignis le vestiaire pour me démaquiller, accompagné de toute la bande.
- Tu veux toujours pas nous dire pourquoi tu portes toujours des gants ? tenta Carine.
- Non, ça restera un secret, répondis-je d'un ton amusé.
- En fait, tu complexes sur tes mains, c'est ça ?
- … On va dire ça comme ça.
J'achevai mes préparatifs, le peu d'affaires que j'avais étaient toutes rassemblées dans mon sac à bandoulière de toile beige. J'y glissai soigneusement la photo remise dans son enveloppe, et fis mes adieux à la bande en les remerciant encore une fois pour leur accueil chaleureux et leur humour.
Je me retrouvai seul avec Roxane, marchant vers le point de rendez-vous, quelques rues en contrebas.
- Et voilà, fit-elle.
- Oui.
- J'ai tellement de mal à croire que ça ne fait que dix jours qu'on se connaît, avoua Roxane.
- Moi aussi.
- … Si tu as besoin d'un coup de main, fais-moi signe.
- Je n'y manquerai pas. Si je vois une bonne place dans une salle à Central aussi.
- Tu ferais ça ? !
- J'y connais rien, répondis-je avec un grand sourire. Mais si j'avais une occasion, je penserais tout de suite à toi.
- Merci.
J'arrivai à hauteur d'un des anciens fiacres de Landry, à présent mené par Tommy, qui nous fit un salut militaire.
- Bon, prend soin de toi, Iris, ordonna Roxane avant de me serrer dans ses bras.
Autant quand Katalyn me tombait dessus, je me sentais mortellement embarrassé, autant avec Roxane, ça passait comme une lettre à la poste. Elle le faisait tout naturellement, comme on embrasse un membre de sa famille.
Famille.
Quand ce mot remonta dans mon esprit, je réalisai qu'enfin, j'allais pouvoir revoir Al, et mon cœur se regonfla à bloc à cette idée.
Elle s'écarta avec un large sourire et me poussa presque dans le fiacre.
- Allez, dépêche toi, tu as un train à prendre.
- Prends soin de toi aussi, eus-je tout juste le temps de dire à mon tour avant que la porte se referme.
Le cheval se mit à trotter, et je me penchai par la fenêtre ouverte, emportant l'image de Roxane dans sa robe verte, me faisant des signes de mains au milieu des lampions de la rue, devenant de plus en plus petite au fur et à mesure que la rue s'étirait. Puis la silhouette disparut, et je me rassis dans le siège avec un sentiment de mélancolie et de joie mélangée.
Je quittais souvent les gens que je rencontrais au fil des missions avec un pincement au cœur, mais il était rare que je m'attache autant. Je me sentais un peu vidé par les derniers jours qui avaient été très éprouvants moralement et physiquement, et en même temps, fier d'avoir résolu un problème qui me semblait insurmontable à mon arrivée. J'avais appelé au QG Est pour annoncer un rapide état des lieux, espérant parler à Mustang, mais il avait déjà déménagé à Central City. J'avais donc expliqué au Commandant Grumann en personne l'étendue des dégâts et la nécessité d'envoyer un tribunal martial pour condamner officiellement Ian Landry et ses acolytes. Je n'aurais plus la main sur cette affaire et je serais sans doute occupée ailleurs à ce moment-là, mais j'espérais que les choses se passeraient bien ensuite.
Enfin, rentrer à Central, c'était aussi la perspective de revoir bientôt Al et Winry, ce que j'attendais avec une certaine impatience. Une fois mon rapport rendu, j'allais pouvoir les rejoindre à Resembool pour quelques jours, et ne rien faire à part profiter de leur présence. Paradoxalement, moi qui détestais m'ennuyer, l'idée d'aller paresser un peu dans les vergers où j'avais grandi en parlant à bâtons rompus me semblait particulièrement attirante après mon séjour à Lacosta. Je décidai d'ignorer pour l'instant la rédaction de ce dossier qui permettait d'être particulièrement pénible, et me penchai de nouveau par la fenêtre, pour parler à Tommy cette fois.
- Il y a encore beaucoup de route ?
- On en a bien pour deux heures, je dirais !
- Ah oui, quand même !
- Dites, vous avez pu parler à Edward Elric ?
- Pas vraiment, mentis-je. A chaque fois, on s'est à peine croisé, donc je le connais à peine.
- Oui, c'est vrai. Mais vous devez lui être reconnaissant, non ?
- Oh oui, bien sûr ! Mais je sais que vous avez beaucoup aidé aussi à la libération des autres filles.
- Oh, j'ai fait diversion, c'était pas grand-chose.
- Pas grand-chose, pas grand-chose...
- J'ai eu la peur de ma vie ! admit l'homme d'un ton presque joyeux. Je ne suis pas près de devenir militaire, j'ai assez pétoché pour les dix ans à venir !
J'eus un grand rire.
- Mais franchement, il est assez mystérieux comme gars. Il apparaît, et BAM ! Il sème la révolution. Et quand il a fait ses trucs, là... L'Alchimie. J'en croyais pas mes yeux. Le mec il a transformé TOUT UN BÂTIMENT, quoi !
- Mais vous devriez être habitué, non ? Après tout, Lacosta a été construite par des Alchimistes...
- Ouais, il paraît... Mais c'était il y a super-longtemps, maintenant il n'y en pas plus vraiment dans le coin...
- C'est vrai.
- … Enfin, j'aurais bien aimé le remercier, il a réparé mon vélo, il marche même mieux que qu'avant que Roxane le bousille ! Mais je ne l'ai pas revu depuis l'autre matin, au QG... Si ça continue, il sera reparti que je n'aurais pas pu lui dire !
- Oh, je pense que Roxane lui aura transmis, au pire, répondis-je avec un sourire amusé.
Autant Roxane et Berry étaient dans la confidence, autant Tommy n'avait pas la moindre idée de ma véritable identité. Il se demandait encore avec candeur comment le Fullmetal Alchemist avait pu jaillir de nulle part, juste à temps pour empêcher Berry de se faire massacrer par les gardes d'Ian Landry. J'espérais que Roxane lui trouverait un mensonge convaincant, parce que je doutais quand même de la capacité de son ami à garder un secret, si gentil soit-il par ailleurs.
Tommy s'arrêta à l'entrée de la ville pour laisser monter trois hommes avec qui il avait rendez-vous. Après les événements, j'avais appris qu'il travaillait comme transporteur, en faisant des allers-retours entre ici et Fenief pour permettre aux visiteurs d'atteindre cette ville reculée. Beaucoup moins à l'aise en compagnie de ces inconnus qui sortaient probablement d'un bordel, je me renfonçai dans mon siège en raffermissant ma prise sur mon sac à bandoulière. J'avais hâte d'être arrivé à Fenief et d'y trouver un endroit discret pour me changer et faire définitivement disparaître Iris.
En regardant filer le paysage sous le ciel qui s'éclaircissait à l'approche du lever du soleil, je songeai à Lacosta, aux événements qui m'avaient précédé, et aux complications qui allaient suivre, à ce qui s'était joué à Central-city avant mon départ et aux problèmes que j'allais avoir à affronter en y revenant, et je me dis que finalement, et malgré la honte, la fatigue accumulée, les difficultés que j'avais affrontées et les nombreux moments de panique, cette dizaine de jours passés à la frontière, dans un pays inondé de soleil et de musique, avait eu quelque chose de magique.
Fin de la première partie
