Le nouveau chapitre est arrivé ! Yeah !
Bon, il arrive un peu tard, parce que j'espérais boucler l'illustration ce soir et publier les deux en même temps... Tant pis, elle attendra demain pour être mise en couleurs et publiée.
J'ai particulièrement pris plaisir à écrire (et relire pour corriger) ce chapitre. Il contient une scène que j'attendais avec impatience, et puis, j'aime beaucoup écrire des yeux de Riza, même si ce n'est pas le point de vue le plus facile, c'est un personnage auquel je suis très attachée. Je ne m'étends pas plus longuement, et je vous laisse découvrir par vous même, en espérant que le chapitre vous plaira ! Merci encore de me suivre et de me commenter !
Chapitre 15 : Intimité (Riza)
L'après-midi était déjà bien entamée, et l'ambiance dans le bureau était étrangement calme depuis le début de la journée. Non, ce n'était pas exactement une ambiance calme, c'était une ambiance silencieuse. Silencieuse et tendue. Je jetai un coup d'œil à Breda, qui était arrivé en retard ce matin et avait manifestement passé une très mauvaise nuit. Il avait le teint un peu cireux et tendait le dos comme s'il craignait des remarques moqueuses.
J'avais compris pourquoi ce midi, quand les échos du repas d'hier étaient parvenus à mes oreilles. Un concours du plus gros mangeur, vraiment... comment pouvait-on être stupide à ce point ? En voyant l'état de Breda, je doutais de voir Edward venir au bureau aujourd'hui. Il n'avait déjà pas l'air en très bonne santé la veille. J'aurais peut-être dû faire preuve de compassion pour l'adolescent, mais je n'arrivais pas à ne pas être agacée par le comportement immature dont il avait fait preuve la veille. En même temps, il avait l'excuse d'être un jeune et impulsif. Breda, lui... était juste un crétin.
Il récoltait ce qu'il avait semé la veille, et son silence s'expliquait facilement. Ce qui me laissait davantage perplexe, c'était le comportement d'Havoc. Il avait quitté ces grands airs funèbres contre une nervosité qui ne lui ressemblait pas. A chaque fois que quelqu'un poussait la porte, il sursautait, comme s'il avait peur de quelque chose... ou de quelqu'un. Il me semblait que Fuery et Falman avaient également repéré ce petit manège.
- Hé, Havoc, tu m'as l'air bien stressé aujourd'hui, fit Fuery, rompant le silence. Tu as quelque chose à te reprocher, ou bien... ?
- Non, rien, rien à me reprocher, je n'ai rien fait, débita-t-il en bafouillant légèrement. C'est juste que... J'ai fait un cauchemar qui m'a mis sur les nerfs.
- Quel genre de cauchemar ? demanda le petit binoclard d'un ton curieux.
- Je préfère ne pas en parler, marmonna le grand blond d'un ton sinistre.
Je sentais le mensonge à des kilomètres, mais je gardais un silence poli. A ce moment-là, Falman entra dans la pièce en poussant la porte, le faisant sursauter de nouveau.
- J'ai vu Edward à la bibliothèque, fit l'homme qui portait quelques dossiers sous le bras. Il a l'air désespéré par son rapport, le pauvre.
- Je compatis, fit Fuery, les sourcils courbés par l'inquiétude. Et… niveau santé, ça va ?
- Il a la tête de quelqu'un qui n'a pas dormi de la nuit, mais sinon, ça va.
- On devrait peut-être aller le voir pour lui remonter le moral, hein, Havoc ? proposa le petit militaire d'un ton naïf.
- Bah... là, j'ai pas mal de travail, je pense que ça serait pas raisonnable, bredouilla son voisin d'un ton d'excuse.
- Bah, on peut faire juste une petite pause, non ?
- Ou bien, vous pouvez le laisser se concentrer sur son rapport et attendre ce soir pour le voir, suggérai-je d'un ton particulièrement acide. Ce n'est pas comme si l'armée tenait à vous payer à ne rien faire.
Contrits, ils replongèrent le nez dans leurs paperasses respectives, et le silence retomba. Quelque temps plus tard, Mustang poussa la porte de son bureau avec une expression perplexe.
- Ah, vous êtes là, souffla-t-il, presque surpris.
- Bien sûr qu'on est là, répondis-je en haussant un sourcil.
- Je ne vous entendais pas, je me demandais si vous étiez partis.
- Est-ce que vous sous-entendez qu'on est bruyants d'habitude, Colonel ? demanda le petit brun.
- Je pense que vous pouvez répondre vous-même à cette question, Fuery.
Celui-ci échangea un coup d'œil aux autres militaires qui lui lancèrent un petit sourire un peu coupable. J'étais bien placée pour savoir qu'ils étaient généralement assez bruyants.
- Pas de nouvelles du Fullmetal ? questionna notre supérieur d'un ton un peu irrité.
- On ne l'a pas vu aujourd'hui, répondis-je. Mais il semblerait qu'il soit à la bibliothèque.
- Est-ce que quelqu'un peut aller lui secouer les puces et lui dire de se dépêcher pour son rapport ? Le Général Grumman m'a téléphoné, il en a besoin de manière assez urgente. Tenez, Havoc, allez le voir.
Tout le monde vit le grand blond pâlir. Le doute n'était plus permis, il s'était passé quelque chose hier. Comme le silence du militaire attirait de plus en plus l'attention sur lui et qu'il n'aurait pas d'autre recours que de se lever, la mort dans l'âme, pour s'acquitter de sa mission, je me redressai vivement et lançai d'une voix assurée.
- Je vais y aller, Havoc a pris du retard dans son travail, il vaut mieux qu'il se concentre.
Je vis tous les autres sursauter légèrement, surpris de ma réaction. Havoc était peut-être pétrifié à l'idée de parler à Edward, mais manifestement, je mettais tous les autres mal à l'aise. J'étais si dure que ça envers eux ? Dans tous les cas, Mustang n'y trouva rien à redire. Je rangeai donc ma chaise à mon bureau et quittai la pièce d'un pas altier.
Une fois dans le couloir, je ralentis le pas et me mis à réfléchir intensément. Mustang cachait quelque chose, je le savais depuis un moment maintenant. Havoc avait soudainement peur d'Edward, et tentait très maladroitement de le dissimuler. Manifestement, il avait découvert quelque chose dont il ne pouvait pas parler. Je doutais que ça ait un rapport avec le duel imbécile de la veille, car dans ce cas-là, les autres l'auraient remarqué aussi. Quoi qu'il soit arrivé, ça avait sûrement eu lieu après le repas… Et l'adolescent l'avait suffisamment intimidé pour qu'il soit tenu au secret. Je ne doutais pas de la capacité d'Edward à terrifier quelqu'un s'il se mettait dans une colère noire, même s'il en faudrait sûrement plus pour m'ébranler. Ça touchait peut-être à quelque chose d'irrationnel. Je fouillai dans ma mémoire à la recherche d'indices qui auraient pu me guider dans mes souvenirs. L'image d'Edward lors de l'enterrement, boiteux et morne, dégageant une impression de fragilité inhabituelle me revint à l'esprit, suivie de près par les discussions de la veille qu'avaient eues les militaires à propos du physique de l'adolescent.
« C'est vrai qu'il avait l'air d'avoir un peu pris du poids à ce niveau-là.»
Je secouai la tête, doutant que dissimuler un peu de gras puisse déclencher de telles réactions. Mais les phrases d'hier résonnèrent étrangement dans ma tête. Que certains trouvent qu'il avait maigri, tandis que d'autres soutenaient qu'il avait grossi, c'était quelque chose d'étrange. D'autres avaient buté sur sa voix, et moi, je lui trouvais un je-ne-sais-quoi de frêle qui ne lui ressemblait pas. Tout le monde s'accordait à dire qu'il avait un peu changé, mais personne n'arrivait à dire comment au juste.
Je me remémorai aussi les rumeurs qui avaient couru dans le QG à notre arrivée, à propos de son séjour à l'hôpital, où il avait refusé de voir qui que ce soit pendant plusieurs jours, gardé farouchement par les sergents Ross et Broche. Est-ce que ce qu'Edward tentait de dissimuler concernait son corps ? Il semblait bien.
Mes pas lents me portèrent jusqu'à la porte de la bibliothèque, que je poussai doucement. En entrant dans la grande pièce, j'appréciai un instant l'ambiance particulière qui y régnait avant de m'avancer à travers les tables et les rayonnages, cherchant des yeux la silhouette de l'adolescent. Je le repérai, bien planqué dans un angle de rayonnages, son manteau posé sur le dossier de sa chaise, assis à une petite table recouverte de feuilles de papier, tantôt vierges, tantôt couvertes d'écritures, tantôt froissées, étalées dans le plus grand désordre. Je m'approchai à pas de loup tout en l'observant attentivement. Il écrivait avec une expression soucieuse, la main hésitante, et levait de temps à autres un profil fin aux cernes marquées en regardant devant lui d'un œil vague, perdu dans ses pensées. Je m'adossai à l'étagère, les bras croisés, l'étudiant du regard, cherchant d'où venait cette impression de vulnérabilité qu'il ne dégageait pas avant.
Peu à peu, je vis ressortir des aspects inhabituels, ce que je croyais au début être de simples impressions : le sentiment que ses épaules étaient un peu plus étroites, son profil un peu plus fin. Son pantalon était tendu sur ses cuisses, il semblait bien avoir grossi, comme l'avait dit Fuery. Pourtant, le haut du vêtement se froissait sous sa large ceinture, il flottait dedans à la taille. Comme s'il avait maigri.
Comment pouvait-on avoir grossi et maigri en même temps ?
L'idée m'effleura l'esprit plusieurs fois sans jamais se poser tant elle paraissait impossible. Puis, au bout de quelques minutes d'observation, je parvins à poser cette hypothèse hésitante.
On dirait un corps féminin.
Comme si Edward habitait à présent un corps de fille.
L'alchimie était-t-elle capable d'un tel mystère ? J'en doutais de moins en moins. Ça paraissait absurde, mais finalement... ça aurait expliqué pourquoi l'adolescent se défendait aussi farouchement, et pourquoi il évitait autant que possible de rester en notre compagnie. Il ne voulait pas qu'on le remarque. Il ne voulait pas qu'on le suppose. Sauf que... Jean Havoc avait manifestement percé le secret.
Je fixai de nouveau le profil du petit blond, et maintenant, j'y reconnaissais des traits féminins, qui ne tenaient à presque rien. Il faut dire qu'à son âge, le corps restait androgyne, et la confusion, facile. Si l'on ne prêtait pas attention, si on ne cherchait pas le changement, on ne le remarquait pas vraiment… mais maintenant que je m'étais concentrée sur ces détails, je ne voyais plus que ça.
Le regard affûté, la conviction au cœur, je m'avançai vers lui, pour m'asseoir en face de lui. Très vite, il sursauta en sentant ma présence, puis leva un regard où filtrait malgré lui l'inquiétude. Je tirai la chaise pour m'y installer, et plantai mes yeux dans les siens. Il déglutit, visiblement mal à l'aise, et je lui souris doucement, espérant le rassurer.
- Il y a un problème ? marmonna-t-il d'une voix grave.
Je l'entendais. Sa voix, un peu rauque, il la forçait pour qu'elle paraisse masculine. C'était à peine perceptible, une fois encore, mais maintenant que j'y étais attentive, je m'en rendais parfaitement compte.
- Le Colonel attend son dossier et commence à s'impatienter, il m'a envoyé pour vous « secouer les puces », selon ses propres termes.
- Je fais de mon mieux pour le finir, répondit l'adolescent en fronçant les sourcils, désignant la paperasse qui s'étalait devant lui.
- Je n'en doute pas.
- Eh bien... ?
Les bras croisés sur la table, je me penchai vers lui pour parler à mi-voix afin qu'il soit le seul à m'entendre dans le silence feutré de la bibliothèque. Instinctivement, il se pencha à son tour.
- Qu'est-il arrivé à votre corps pendant les événements du cinquième laboratoire ?
L'adolescent eut un mouvement de recul violent comme un spasme, et se rassit contre son dossier, me fixant d'un œil presque effrayé. Il y eut un silence pesant, et sentant qu'il pouvait difficilement éviter la confrontation, il se pencha de nouveau, aussi doucement que s'il se penchait au-dessus d'un piège prêt à ce déclencher.
- Qu'est-ce qui vous pousse à poser cette question ?
- L'impression que votre silhouette est devenue étrangement féminine.
Il blêmit, me confirmant que j'avais touché un point sensible. Je le vis pousser une expiration tremblante, passer la main sur son visage, qui était passé d'une pâleur maladive à un rouge intense, incapable de me regarder en face.
- J'ai vu juste, n'est-ce pas ? chuchotai-je.
- L'adolescent hocha la tête, le visage défait.
- Vous en avez parlé à quelqu'un ? murmura-t-il d'un ton angoissé.
- Non. Je ne me serais pas permis. C'est visiblement un sujet délicat... mais je suppose que Havoc le sait.
- Oui, souffla-t-il, les yeux baissés sur son rapport.
Il se redressa un peu, passant ses mains sur son visage aux traits tirés. On sentait la fatigue qui lui rongeait les nerfs, s'ajoutant à ce secret et à la rédaction du rapport. Il avait l'air à bout. Je pris une grande inspiration, m'apprêtant à faire quelque chose qui n'était vraiment pas dans mes habitudes.
- Edward, je n'ai pas l'intention d'en parler à qui que ce soit. Je crois au contraire que vous avez besoin d'aide.
- Si ça continue et qu'une personne par jour me démasque, tous les militaires de Central City se foutront de ma gueule d'ici mon départ, souffla-t-il d'un ton désabusé. Je crois qu'à ce stade, personne ne peut m'aider.
- Vous pouvez venir loger chez moi, lançai-je d'un ton un peu précipité, sentant que je risquais de renoncer à cette proposition si je prenais le temps d'y réfléchir quelques secondes de plus.
Il baissa lentement les mains et me regarda avec des yeux ronds, clairement pris au dépourvu. Je me sentis presque vexée par cette réaction, mais je continuai à parler.
- Si vous passez les soirées et les nuits au QG, vous risquez encore plus de vous faire remarquer. Chez moi, vous serez tranquille. Et vous savez que je ne suis pas très loquace, je ne vous harcèlerai pas de questions indiscrètes.
- …Ce n'est pas ce que vous être en train de faire ? fit-il avec un demi-sourire indécis.
- Je venais vous faire une proposition, justifiai-je. A vous d'y réfléchir, il y reste un peu de temps avant ce soir. Mais ne vous inquiétez pas, dans tous les cas, je serai muette comme une tombe à ce sujet.
- Je vois... Merci, murmura l'adolescent, un peu décontenancé.
Je me relevai, et replaçai la chaise correctement, jetant un dernier coup d'œil. Il se redressa et me posa une question qui le taraudait manifestement.
- Et pour le dossier ? Qu'est-ce que vous allez dire ?
- Il vous faut combien de temps pour le finir ?
- Je pense que je l'aurai fini demain matin.
- Eh bien, Mustang attendra demain pour son dossier. Ce n'est pas comme s'il était toujours d'une ponctualité irréprochable.
Edward sourit d'un air un peu incertain et remis le nez dans son travail. De mon côté, je revins sur mes pas, mon propre bureau m'attendait. Dans ma tête, je continuai à dresser des hypothèses. Je repensai à l'embarras de Mustang quand nous étions dans le train lors du déménagement et qu'il cherchait à me faire part de quelque chose. Peut-être que c'était entre autres de ça qu'il voulait parler ?
Je poussai la porte du bureau, faisant sursauter Havoc de nouveau. Je me contentai d'un bref coup d'œil, et traversai la pièce pour toquer chez le Colonel.
- Entrez.
J'obéis et refermai derrière moi avant de faire quelques pas vers le bureau. L'homme aux cheveux de jais leva vers moi des yeux soucieux.
- Alors, où en est-il ?
- Il m'a dit qu'il pourrait vous le rendre demain dans la matinée.
L'homme s'abattit en arrière dans son siège avec un soupir, se pinçant les ailes du nez.
- Bon sang, il m'avait habitué à mieux, Grumman attend son rapport pour commencer les jugements.
- Hé bien il attendra, visiblement, répondis-je d'un ton ferme.
Il m'adressa un coup d'œil surpris, puis retrouva son expression lasse. Depuis le déménagement, le rythme était soutenu, et il quittait à peine son bureau. Pour quelqu'un d'habitué à se promener régulièrement et à conter fleurette ici et là, ce n'était pas très réjouissant. Ceci dit, avec les derniers événements, peut-être aussi n'avait-il pas le cœur à sortir...
- Il vous manque ? demandai-je d'une voix douce, devinant d'où venait son expression abattue.
- Oui, répondit-il.
- ...Moi aussi.
L'aveu avait résonné dans le silence de la pièce. Encore un de ces moments où nous n'avions pas besoin de parler davantage pour savoir à quoi l'autre pensait. Je restai debout, sans ressentir ni fatigue ni embarras, laissant simplement mes pensées dériver vers des eaux mélancoliques.
- Edward Elric... commençai-je en m'apercevant trop tard qu'il s'apprêtait à parler au même moment.
Je me tus pour lui laisser la parole, mais il secoua simplement la tête en disant :
- Continuez.
- Edward Elric m'inquiète.
- Je comprends.
- Ne le malmenez pas trop quand vous le verrez demain.
- Je me contente de faire mon travail.
- Ne me faites pas croire que l'affection que vous avez pour les frères Elric ne va pas un peu au-delà d'une simple obligation professionnelle.
Roy Mustang se redressa sur son siège et me jeta un regard empreint de reproche. Je sentis qu'il aurait préféré que je me taise.
- Ce n'est pas tous les jours qu'on rencontre un génie c'est normal que je lui porte une attention particulière. Mais je ne peux pas lui pardonner tous ses écarts pour autant.
- Je comprends. Excusez-moi pour mon commentaire déplacé, répondis-je en me redressant d'une manière toute militaire.
J'attendis qu'il parle à son tour, mais seul un silence embarrassé me répondit. Comprenant qu'il n'allait pas parler davantage, je me résolu à prendre congé.
- Si vous n'avez plus besoin de moi, je vais retourner à mon travail.
- Allez-y, répondit-il avec un petit geste.
Je quittai la pièce avec un sentiment de regret, devinant que j'avais raté une occasion de l'entendre parler. Cette occasion de comprendre, que je guettais depuis l'enterrement de Hugues, et qui disparaissait à chaque fois comme une bougie soufflée, me laissait préoccupée.
Comme nous rentrions côte à côte dans les rues de Central, Edward Elric et moi, je ne pus m'empêcher de trouver la situation un peu incongrue. On ne pouvait pas dire que nous étions très proches. Nous ne nous voyions pas si souvent, et nous parlions assez peu ensemble. Je n'avais pas un caractère à ouvrir ma porte à n'importe qui. Et pourtant, il allait passer la nuit chez moi.
J'avais décidé en moi-même de continuer à l'appeler « il » dans ma tête. Cela me paraissait évident, car c'est ce qu'il avait toujours été. Manifestement, c'est aussi ce qu'il attendait de moi. Je m'étais résolue à taire toutes les questions que m'inspirait la situation, par respect pour l'adolescent déjà bien assez malmené, et parce que je détestais moi-même qu'on me harcèle de la sorte. Aussi le trajet se passa-t-il en silence, à contempler le ciel repeint par les couleurs du soleil couchant. C'était beau.
Après un bon quart d'heure de marche, nous arrivâmes enfin au pied de mon immeuble. Edward me laissa passer devant tandis que j'ouvrais la porte d'un coup de clé, puis nous montâmes les deux étages et traversé le couloir. Ce fut avec une impression bizarre que je tournai les clés dans la serrure. L'espace d'un instant, je fis défiler le contenu de l'appartement dans ma tête pour déterminer s'il était montrable ou non, puis je poussai la porte, tendant la main pour inviter Edward à entrer.
Quand il entra d'un pas hésitant, je le vis balayer la pièce du regard, et l'espace d'un instant, je me plaçai du point de vue d'un visiteur. L'appartement n'était pas grand, mais très lumineux. J'avais eu le temps de remonter la plupart des meubles, mais certaines étagères, notamment celles contenant habituellement des livres, restaient vides, et il restait quelques piles de cartons non défaits. Une table de taille moyenne et sa chaise occupaient la partie gauche de la pièce. Les trois autres sièges étaient pliés et rangés dans un coin et ne me servaient que rarement. La partie droite était occupée par des étagères, un canapé, et un large fauteuil de cuir. Dans l'angle de la pièce, juste à côté de la fenêtre, se trouvait la table que j'utilisais pour recharger mes munitions, encore recouverte d'un tissu destiné à la protéger durant le transport. De part et d'autre de la pièce se trouvaient quatre portes donnant sur la cuisine, la salle d'eau, ma chambre, et une sorte de cagibi. Je n'avais aucune décoration, seule une opulente plante verte donnait un peu de vie à l'endroit.
Quand je regardai le lieu où j'habitais avec un peu de recul, je songeai qu'il devait paraître aussi austère que moi mais je n'y pensai pas longtemps, puisque évidemment, Black Hayatte avait accouru en entendant la porte s'ouvrir. Après m'avoir accueilli d'un petit aboiement, il avait commencé à renifler les chaussures d'Edward, visiblement très intéressé par le nouveau venu. Je refermai la porte derrière moi tandis qu'il se pencha vers mon chien, tendant la main gauche pour qu'il puisse la renifler.
- C'est Black Hayatte, n'est-ce pas ? demanda le petit blond avec un sourire.
- Oui.
- Il a bien grandi depuis la dernière fois que je l'ai vu. Hein bestiole, tu as bien grandi ! On s'occupe bien de toi, hein ?
Après l'avoir apostrophé gentiment en commençant à le caresser, il se retrouva tout naturellement à genoux, grattouillant la nuque et les oreilles de Black Hayatte pour son plus grand plaisir. Je le vis poser la tête sur l'épaule de l'adolescent, appréciant beaucoup d'avoir un inconnu prêt à le câliner. Difficile en voyant la scène d'imaginer qu'il était le Fullmetal Alchemist, l'un des combattants les plus puissants que comptait l'armée. Je me contentai d'un petit sourire en coin et laissai les deux faire plus ample connaissance tandis que j'accrochais ma veste d'uniforme à la patère et que j'enlevais mes bottes. Me voyant faire, Edward s'assit complètement sous les coups de langue de Black Hayatte qui manifestement s'était pris d'affection pour lui, et retira lui aussi ses chaussures en laissant échapper un rire, repoussant mollement le chien.
- Allons, allons, un peu de tenue, fit-il en se relevant, le gratifiant d'une dernière caresse sur la tête.
- Je vais m'occuper du repas... dis-je. Il y a quelque chose que tu détestes ?
- Le lait.
- Des petits pois au lard, ça te va ? Ce n'est pas de la grande cuisine, mais je n'ai vraiment pas grand-chose dans mes placards.
- Ça m'ira très bien.
A ce moment-là, je me figeai, réalisant en même temps que lui je m'étais mise à le tutoyer. Je me sentis vaguement gênée, même si je me doutais de la raison : Le voir assis par terre avec un chien m'avait rappelé à quel point il était jeune et inconsciemment...
- Ah, désolée, fis-je d'un ton embarrassé.
- Ça ne me gêne pas d'être tutoyé. La plupart des gens le font.
Je hochai la tête et me dirigeai vers la cuisine en retroussant mes manches.
- Par contre, je ne me vois pas vous tutoyer, avoua-t-il.
- Je comprends, répondis-je en me retournant avec un demi-sourire. Je suis un peu trop intimidante.
- Je n'ai pas dit ça !
- Ce n'est pas grave, je ne le prends pas mal, j'ai l'habitude. En attendant le repas, tu peux profiter de la table pour avancer un peu ton rapport.
- Bonne idée, fit l'adolescent en posant son sac en bandoulière sur la table pour en sortir papier et stylo.
Je rentrai dans la cuisine, laissant la porte ouverte. Je pris la poêle qui avait séché sur l'égouttoir durant mon absence ainsi qu'une planche de bois et un couteau, sortis du réfrigérateur une tranche de lard fumé et quelques champignons. J'allumai le feu et tranchai la couenne avant de débiter le lard en petites lamelles que je mis à cuire, puis lavai et tranchai les champignons qui suivirent le même chemin. Je remuai le tout. L'odeur de la viande commençait à me chatouiller les narines, le gras grésillait et imbibait les champignons, les empêchant d'attacher. Quand les lardons commencèrent à caraméliser sous l'effet de la chaleur, j'ajoutai la conserve de petits pois qui se trouvait sur l'étagère et baissai le feu pour laisser mitonner le tout quelques minutes. Il n'y avait plus qu'à sortir des couverts.
Je n'aimais pas spécialement cuisiner, aussi avais-je un faible pour ce genre de plats qui demandait peu d'effort pour un goût réconfortant. Je ne me voyais pas passer des heures à ça, même en invitant des gens – ce qui était de toute façon extrêmement rare. Mais pour une fois, j'y trouvai une sorte de satisfaction alors que j'amenais les couverts, trouvant un invité complètement absorbé dans son travail, le chien couché à ses pieds. Je dressai la table, dépliai une deuxième chaise, remplis un pichet d'eau, amenai le reste du pain de ce matin coupé en tranches. Edward leva le nez de son rapport et remballa maladroitement son travail.
- Ça sent bon, commenta-t-il.
- Merci. Mais c'est le plat le plus simple au monde, répondis-je en toute honnêteté.
- Ça n'empêche pas d'être bon, commenta l'adolescent en souriant.
La discussion suivit son cours avec un naturel surprenant, tandis qu'Edward, visiblement libéré d'un poids, déroulait le fil des derniers événements. J'appris qu'il en était venu à entrer en duel avec Breda à cause d'une remarque mettant en doute sa virilité, un sujet particulièrement sensible en ce moment, qu'il n'avait pas mangé de la journée après ce repas éprouvant. Je demandai avec un peu de dérision ce qu'il avait dit à Havoc pour qu'il soit aussi terrifié aujourd'hui, et il m'avoua, les oreilles rouges, qu'il l'avait menacé de mort. Il se sentait stupide d'être tombé dans le piège de la susceptibilité, car s'il n'avait pas été malade après ce duel, Havoc n'en aurait rien su. Je lui objectai que c'était le genre d'épreuve dont on apprenait le plus et que l'important était d'en tirer des leçons.
Nous évoquâmes ensuite les souvenirs les plus amusants que nous avions partagé avec des chiens, certains remontant à notre enfance. La poêle était vide depuis bien longtemps quand nous songeâmes enfin à nous coucher. Je sortis des draps propres et dépliai le canapé avec l'aide d'Edward, installant son lit tout en continuant à discuter. Quand enfin, je partis me coucher à mon tour après un dernier brin de toilette, je me rendis compte que cela faisait peut-être des années que je n'avais pas parlé aussi librement avec quelqu'un.
Depuis qu'il avait posé un pied dans l'appartement, la présence d'Edward semblait étrangement naturelle. Même Black Hayatte semblait l'avoir intégré instantanément dans le clan, sans doute parce que son amour des chiens ressortait de manière sensible. Je songeai à cela en m'endormant, profondément partagé entre ce sentiment agréable et l'appréhension naissante de ne pas apprécier un retour à la normalité.
Le hurlement me jeta hors de mes rêves aussi violemment que si on m'avait frappée dans mon sommeil. Je me redressai dans un sursaut, les yeux grands ouverts dans l'obscurité. Je bondis hors du lit et traversai la pièce, attrapant le magnum qui dormait toujours sous mon oreiller tandis que continuait ce cri de panique inarticulé. Je poussai la porte, mon arme dans l'autre main, prêt à en découdre avec n'importe quel agresseur inconnu. Pour ajouter à cette atmosphère de chaos, Black Hayatte aboyait nerveusement en bondissant dans mes pattes, manquant de me faire tomber tous les deux pas.
Tout ce que je discernais grâce au rai faiblard des réverbères qui filtrait par la fenêtre, c'était Edward, dans son lit, la main et les draps parsemés de taches sombres, totalement terrifié. J'inspectai rapidement le reste de la pièce du regard en quête d'un ennemi, puis baissai mon arme, ne voyant pas de danger immédiat. Je m'approchai de lui à pas vifs tandis que le long cri d'animal blessé qu'il avait poussé s'était transformé en une cascade de mots paniqués qui se bousculaient au point que je ne pouvais pas comprendre ce qu'il disait. Le flot d'information confus additionné à un réveil brutal et à Black Hayatte qui s'agitait à mes pieds et continuait à aboyer fit que je restai quelques instants silencieuse à essayer de simplement comprendre ce qui se passait. Malgré la pénombre, je pouvais distinguer qu'Edward n'avait pas vraiment l'air blessé bien qu'il soit courbé en avant, ses bras enserrant son abdomen. Comment aurait-il pu être blessé alors que manifestement, personne n'était entré ? Ne voyant pas de danger, je remis le cran de sécurité de mon arme. Il parlait d'une voix forte mais inarticulée et tremblante, visiblement confus.
- Bon sang je saigne du bide je vais mourir je comprends pas pourquoi c'est pas naturel je me sens mal je me sens tellement mal et...
A ce moment-là seulement, je compris ce qui se passait, et je me sentis tout à coup parfaitement soulagée, manquant même d'éclater de rire.
- Edward... fis-je d'une voix apaisante.
- ...d'où ça vient cette blessure ça a pas de sens j'avais rien et maintenant je saigne si ça se trouve j'ai une hémorragie interne mais quand...
- Edward, calme-toi.
- ...est-ce que c'est arrivé s'il te plaît aide-moi faut que j'aille à l'hôpital parce que je saigne et je ne vais mourir si ça contin...
Comprenant qu'il ne m'entendait absolument pas, je pris une grande inspiration et lui lançai une bonne gifle, pas trop forte, pour ne pas lui faire vraiment mal, mais assez énergique pour le couper dans son élan et stopper son monologue. Il se figea et ouvrit des yeux ronds, choqué.
- Edward. Ne panique pas, tu n'es pas en train de mourir.
Je pris une grande inspiration avant d'ajouter une phrase que je ne pensais jamais avoir à prononcer.
- Tu as juste tes premières règles.
- Mes premières... quoi ? bredouilla-t-il en effleurant sa joue d'une main tremblante, visiblement encore désorienté, même s'il parlait tout à coup beaucoup plus lentement.
J'allumai la lumière et posai mon arme sur l'étagère vide avant de m'approcher de lui. Une fois éclairé, la nature des taches dans les draps ne faisait aucun doute : c'était du sang, en quantité relativement négligeable, mais du sang tout de même.
- Tes premières règles, répondis-je en m'asseyant sur le fauteuil qui se trouvait juste en face de lui.
- Mes... quoi ? réitéra l'adolescent avec une profonde perplexité gravée sur le visage.
Il y eut un instant de silence tandis que je plantais mon regard dans le sien, peinant à comprendre ce que tout me laissait porter à croire. J'écarquillai les yeux.
- Tu ne sais pas ce que c'est que les règles ?
- Des barres graduées servant à mesurer, mais je ne pense pas que ça soit de ça que vous vouliez parler... grommela-t-il, mal à l'aise.
- Tu as aidé Gracia à accoucher il y a trois ans, et tu ne sais même pas ce que c'est que... Oh bon dieu... marmonnai-je en me passant une main sur le visage. Dites-moi que je rêve.
- Ça devient un tout petit peu vexant, là, fit savoir Edward d'une voix rauque.
- Je… désolée. C'est juste que...
C'était juste que jamais je n'aurais pu imaginer me retrouver dans une situation aussi absurde que celle de devoir, à quatre heures du matin, expliquer au Fullmetal Alchemist l'existence du cycle menstruel et d'autres réjouissances féminines. Et là, avec toute la bonne volonté du monde, je ne savais pas trop par où commencer. Je restai silencieuse quelques secondes, cherchant comment entamer ce discours embarrassant.
- C'est quelque chose de naturel, qui commence à la puberté, tentai-je en me sentant terriblement maladroite. A partir de la puberté, les femmes suivent un cycle, qui se répète à peu près tous les mois. On dit que c'est vingt-huit jours, mais c'est souvent plus en réalité. Et à chaque fois, pendant quelques jours, ça saigne.
- Ça...
- Pour se renouveler, les muqueuses de l'utérus se détruisent et s'évacuent sous forme de sang, puis se reforment durant le cycle suivant.
- Ça saigne...
- Les quantités sont assez minimes, et ça s'arrête tout naturellement au bout de quelques jours. Il n'y a pas de raison de s'inquiéter, en fait, c'est parfaitement normal.
- Ça saigne... Tous les mois ?! s'étrangla-t-il à contretemps. Mais c'est quoi cette merde ? !
- Eh bien... la nature... On est faites comme ça.
- Mais c'est complètement CON ! s'exclama l'adolescent. En plus, moi, j'étais pas fait comme ça, à la base !
A ce moment-là, je ne pus me retenir d'éclater de rire en voyant sa mine déconfite.
- C'est vrai que c'est complètement « con », comme tu dis, lançai-je en sentant le juron détonner dans ma bouche. En même temps, je ne trouve pas ça très malin non plus de hurler à pleins poumons pour trois taches de sang quand on a déjà vécu des mutilations autrement plus horribles, comme, je ne sais pas moi, perdre son bras et sa jambe ?
- Mmmmais... C'est pas pareil ! défendit-t-il. Quand on saigne parce qu'on est blessé, on a mal, et on sait pourquoi ! Saigner sans sentir comment et pourquoi, c'est pas DU TOUT naturel. Et ça, c'est vraiment flippant.
Je devais lui accorder ce point. En plus, en étant désorienté par un réveil nocturne, certaines choses pouvaient facilement prendre des proportions absurdes, je le savais. J'avais moi-même eu un peu de mal à faire le point sur la situation quelques minutes auparavant. Je souris et lui ébouriffai les cheveux dans un geste rassurant.
- Ne t'inquiètes pas, un paquet de filles ont eu une réaction dans ton genre. Moi, je le savais avant, par des livres, mais c'est vrai que ça m'a fait bizarre la première fois.
- Mais... euh... Comment vous faites, du coup ? Je veux dire, concrètement, pour la vie quotidienne ? demanda-t-il, les mains croisées sur ses cuisses.
- Pour ça, on a des protections hygiéniques, répondis-je. D'ailleurs, je vais t'en passer, tu ne vas pas rester comme ça éternellement.
Il hocha la tête, mortellement embarrassé, et je me levai pour aller en chercher dans la salle de bains. Je fouillai au fond de mes cartons, il devait bien m'en rester quelque part. Au bout de quelques minutes, je retrouvai des tampons, mais je continuais à chercher, sûre d'avoir encore un paquet entamé de serviettes que je gardais quelque part, au cas où. Pour cette fois du moins, je préférais épargner à Edward l'idée de devoir mettre des choses à l'intérieur de son propre corps, la nuit était déjà assez éprouvante pour lui.
- Ah, enfin ! soufflai-je d'un ton victorieux en extrayant le paquet convoité du fond d'un carton.
Il n'y avait plus qu'à expliquer le principe à Edward. Le surréalisme de la situation n'en était plus à ça près. Je le retrouvai assis exactement là où il était, comme s'il avait peur que le plus infime mouvement provoque la destruction de l'univers. Je me rassis dans le fauteuil et lui décrivis aussi concrètement que possible l'usage des serviettes, avant de jeter un coup d'œil à sa tenue. Il avait dormi en débardeur et en caleçon. S'il n'avait que ça, il allait falloir lui prêter aussi des sous-vêtements. Il grimaça quand je lui fis remarquer qu'il devrait porter des sous-vêtements féminins, un caleçon étant incompatible avec cet objet.
- Il n'y a pas d'autres solutions ?
- Si, il y en a, par exemple les tampons ou les coupes, qu'on met directement dans le vagin.
- Dans le... QUOI ? ! s'exclama-t-il avec une expression dégoûtée qui montrait qu'il avait parfaitement saisi l'idée. Je vais en rester à ça, alors...
- Je m'en doutais, répondis-je simplement en lui collant le paquet de serviettes dans les mains. Je vais essayer de te trouver une culotte à peu près à ta taille.
- Je n'en ai pas besoin, marmonna-t-il, les oreilles rouges.
Edward tira son sac en bandoulière posé au pied du lit et vida son contenu sur la couverture avant de le retourner comme une peau de lapin. Il détacha deux boutons pression qui maintenaient un rabat dissimulant une fermeture éclair au fond, l'ouvrit et tira de cette cachette une culotte bleu nuit. J'entrevis qu'il y avait pas mal de fatras dans cette pochette secrète, notamment son soutien-gorge assorti, une perruque noire et une photo. Cette fois-ci, j'ouvris des yeux ronds.
- Comment ça se fait que tu aies ça ? bredouillai-je, totalement prise au dépourvu.
- Longue histoire... soupira l'adolescent. Pour faire simple, ça m'a aidé à résoudre l'enquête.
- Je comprends mieux que tu aies du mal à écrire ton rapport... murmurai-je pensivement.
- C'est un secret, insista-t-il.
- Bien sûr. Rien de ce dont nous avons parlé ici ne franchira ces murs, jurai-je d'un ton solennel.
- Merci.
- Allez, va prendre une douche avant de te changer, ça te fera du bien. Je m'occupe du reste.
Edward pris ses affaires et fila dans la salle de bains, obéissant comme un petit enfant. Je poussai un soupir, étonnée de m'en sortir aussi bien face à cette situation complètement rocambolesque. Je retirai les draps du canapé et me dirigeai vers la cuisine, pour les mouiller d'eau froide avant d'en faire partir les taches en frottant au savon de Marseille. Je songeai à la discussion que nous venions d'avoir. J'avais soudainement l'impression d'avoir une petite sœur. Edward était profondément vulnérable, livré à lui-même, et à cet instant, dépendant de moi. J'espérais avoir été à la hauteur de la situation.
Et puis je réalisai que si je ne lui avais pas forcé la main pour venir ici, c'était au QG de Central qu'il se serait réveillé en hurlant. Pour le coup, les conséquences auraient eu une toute autre ampleur. Je n'étais sans doute pas la personne idéale pour gérer ce genre de choses, mais très clairement, il avait échappé au pire. Tout en vérifiant que les draps étaient maintenant propres, je me demandai quelle aide je pourrais lui apporter.
Je repensai à ma propre première fois, et à la manière dont je m'étais réfugiée dans le chocolat chaud et les sucreries pour retrouver un peu d'enfance. Il avait sans doute besoin de réconfort.
Une fois les draps rincés et étendus, je cherchai des yeux quelque chose de sucré dans mon garde-manger, qui s'avéra en être tristement dépourvu. En fouillant bien, je mis quand même la main sur des raisins secs, du miel, et une tablette bien entamée de chocolat. Je mis de l'eau à chauffer pour faire un thé, ressortis le peu de pain qui me restait pour le faire griller, avant de le beurrer abondamment. Je râpai ensuite le chocolat par-dessus avec un couteau, comme le faisait souvent ma grand-mère. Cette méthode avait l'avantage de pouvoir allier gourmandise et économie.
A ce moment-là, Edward sortit de la salle de bain, vêtu de pied en cap, la serviette sur les épaules. Il avait l'air de se sentir bien mieux, et quand il remarqua que j'étais dans la cuisine, il s'approcha d'un air perplexe. Quand son regard tomba sur les tartines, son regard s'illumina malgré lui.
- Des tartines pain-beurre-cocolat-grapigné !
- Hein ? !
- C'était notre goûter avec mon frère et Winry pendant toute mon enfance, expliqua-t-il en rougissant un peu. On a toujours appelé ça comme ça.
- Je vois... Tant mieux.
Il était environ cinq heures du matin quand nous nous attablâmes. J'avais sorti deux tasses, mis une bonne quantité de miel dans la théière, versé les raisins secs dans un bol. Black Hayatte s'était couché sous la table, à nos pieds, maintenant complètement apaisé. Et Edward semblait être beaucoup plus calme, lui aussi, tandis qu'il tenait sa tasse à deux mains. La conversation redémarra tout naturellement. A cette heure-ci, se recoucher n'avait plus tellement de sens, alors nous prîmes le petit déjeuner le plus serein que j'avais jamais eu. Edward continua à me poser des questions sur les règles, choqué de découvrir la face obscure de la féminité, et visiblement pressé de retrouver son corps d'origine. Je lui apportai autant de réponses que possible, dans une discussion entrecoupée de silences songeurs.
- … Je ne sais pas ce que j'aurais fait si ça m'était arrivé alors que j'étais à la caserne, murmura l'adolescent, les yeux baissés sur sa tasse à moitié vide. J'aurais complètement paniqué.
- Parce que n'as pas paniqué, là ? demandai-je en souriant.
- Je... Oui, bon, j'avoue, j'ai paniqué. Mais pas longtemps ! Je veux dire, je ne sais pas comment je me serais débrouillé sans toi. Euh, vous. Je vous dois une fière chandelle.
- Merci. Tu peux me tutoyer, si tu veux. Tant qu'on est entre nous, du moins. Parce qu'au bureau, ne n'imagine pas quelle tête ferait les autres s'ils nous entendaient.
Il hocha la tête, tandis que ses lèvres esquissaient un sourire à cette idée.
- Ça faisait un peu baptême du feu, non ? fit Edward en retrouvant son expression habituelle.
- Oui, en effet.
- Je suppose qu'avec beaucoup, beaucoup de recul, le souvenir de cette nuit finira par me faire rire.
- C'est très probable.
Une fois le petit déjeuner terminé et débarrassé, Edward reprit son rapport tandis que je sortais Black Hayatte pour sa promenade matinale. Le ciel semblait délavé, d'un mélange indescriptible de bleu pâle et de rose ou couraient quelques nuages lumineux. Ce moment de la journée était probablement mon préféré, quand le jour semblait neuf et propre, prêt à être rempli d'événements encore inconnus. Tandis que le chien courait aux alentours pour renifler ici et là, je marchais à pas lents. Cela faisait de très longues années que je n'avais pas eu ce sentiment agréable de savoir que quelqu'un m'attendait chez moi comme si j'avais une famille.
- Bonjour Hawkeye. Décidément, je me demande si j'arriverais un jour à arriver au bureau avant vous. Je veux dire, il est sept heures du matin et vous êtes déjà là !
- Bonjour Colonel. Je me suis simplement réveillée plus tôt que d'habitude.
- Tiens, le Fullmetal est là aussi ?
En effet, Edward m'avait accompagné et s'était profondément endormi en recopiant au propre le rapport qui lui causait tant de soucis, installé au bureau d'Havoc. Ca n'avait rien d'étonnant après la nuit qui s'était écoulée et les jours précédents qui n'avaient pas été de tout repos, d'après ce que j'avais compris.
- Il a arrêté de me fuir ? ironisa-t-il.
- Ne le prenez pas personnellement, mais je ne pense pas qu'il vous fuyait. Ou en tout cas, pas plus vous que les autres.
Je baissai les yeux sur ma feuille, reprenant mon travail, tandis qu'il jetait un coup d'œil circulaire à la pièce dont on remarquait encore l'installation récente, comme s'il cherchait ce qu'il était venu faire. Puis il se ressaisit et contourna Edward pour aller à son bureau. Je le suivais du coin de l'œil quand il avisa le manteau tombé par terre et le ramassa pour le reposer sur ses épaules dans un geste empreint d'une douceur que je ne lui connaissais pas. Je le fixai si attentivement qu'il dut le sentir et se retourna vers moi.
Le regard qu'il me lança me surprit. Ses yeux noirs avaient lu ma surprise face à son geste, et semblaient y répondre un « quoi ? » presque provoquant. Je ne prononçai aucune parole, car il n'y avait pas de mots pour ce genre de choses. Je savais qu'il avait une affection pour les frères Elric, et pour Edward en particulier, qu'il se gardait bien de montrer à la majorité des gens. C'était sans doute la raison pour laquelle il s'entêtait à le faire tourner en bourrique à ce point, comme le ferait un grand-frère particulièrement taquin.
Mais alors qu'il se détournait et entrait dans son bureau, mon regard sur la scène était un peu différent. J'avais compris qu'il savait des choses que j'ignorais, mais... lui, était-il au courant du changement de sexe d'Edward ?
