Bonsoir à tous !
L'heure est venue de publier le nouveau chapitre, avec un retour du point de vue d'Edward (ça faisait un moment mine de rien !). Avec ce chapitre vient un changement : ça fait un moment que j'y pensais, et ce n'est pas vraiment une bonne nouvelle, mais le moment est venu : je vais passer à une publication toutes les trois semaines. Pourquoi ? parce que mine de rien, mes chapitres s'allongent, ils me prennent de plus en plus de temps à écrire. Comme j'ai beaucoup d'autres projets en parallèle, je ne peux écrire que durant certaines périodes, et mon avance fond comme neige au soleil. Je préfère avoir de l'avance sur la publication pour pouvoir mieux relire et corriger les chapitres, et publier de manière régulière jusqu'à la fin de l'histoire.
L'illustration du chapitre sera publiée demain sur Deviantart, j'ai été un peu ambitieuse sur ce coup-là et je ne pouvais pas la finir dans la journée... Mais j'espère qu'elle vous plaira !
Bref, assez parlé, je vous laisse découvrir le chapitre. Bonne lecture !
Chapitre 16 : Face à face (Edward)
Je me réveillai en sursaut en entendant quelqu'un pousser la porte en discutant. Je redressai la tête avec mes yeux encore un peu collés de sommeil, et vis Breda et Havoc à l'entrée de la porte. Le plus rondouillard des militaires m'adressa un hochement de tête et un sourire pas rancunier pour un sou. En revanche, à ma vue, Havoc se figea comme un renard pris dans les phares d'une voiture. Je repensai à la discussion que j'avais eue avec Hawkeye et réalisai avec un peu de honte que je l'avais réellement traumatisé. Pour me repentir, je lui adressai un sourire aussi amical que possible en remballant mes affaires pour lui laisser son bureau.
Tandis qu'il s'asseyait à sa place avec une certaine prudence, j'empruntai le bureau de Fuery pour finir de recopier mon texte. Il ne restait que quelques lignes avant de pouvoir rendre ce précieux dossier à Mustang. Et je ne savais pas trop à quoi m'attendre de sa part. Mon tempérament optimiste penchait plus pour l'hypothèse du moqueur impitoyable. Aussi n'étais-je pas trop pressé de poser le point final. En même temps, ce foutu papier avait traîné bien trop longtemps, et tant que je ne l'aurais pas rendu, je ne serais pas libéré de ce poids.
Et puis, il faudrait se mettre à parler de sujets plus sérieux. Il y avait un combat à mener contre les Homonculus, et c'était un sujet des plus délicats à aborder. Quand j'y repensais, mes déboires physiques de ces derniers temps semblaient être bien peu de chose, même si au simple souvenir de mon réveil de cette nuit, je me sentais à nouveau assez mal. A cet instant, je saignais, et je ne pouvais rien faire d'autre qu'attendre que ça se passe et dissimuler de mon mieux le fait que je me sentais affreusement sale et que mes entrailles étaient courbaturées. Au moins, la sieste involontaire que j'avais faite après notre arrivée au bureau, à Hawkeye et moi, m'avait redonné un peu d'énergie. C'était toujours ça de gagné.
Je sentais l'incertitude dans le regard d'Havoc quand il croisait le mien, mais les autres semblaient ne rien remarquer de particulier, à mon grand soulagement. Peut-être qu'aujourd'hui, personne d'autre n'allait me découvrir. Ce serait une bonne nouvelle. Falman nous rejoignit un peu plus tard, et quand Fuery arriva à son tour, il ne me restait plus qu'une ligne de texte à écrire. Il eut la gentillesse de me laisser la finir avant de lui céder la place.
Je me retrouvai donc debout dans la pièce, au centre de l'attention bien malgré moi.
- Bon, fis-je avant de laisser planer un silence. Je vais me jeter dans la gueule du loup.
- Bonne chance, lança Fuery d'un ton encourageant.
Je pris une grande inspiration avant de toquer à la porte, me sentant la gorge serrée et la peau moite. Pourquoi étais-je aussi stressé ? Sans doute à cause de ce rapport qui pourrait devenir une ouverture pour percer mon secret.
- Entrez.
J'ouvris la poignée et passai le seuil à contrecœur, sentant l'odeur familière qui planait dans son bureau. Je ne me la rappelais pas aussi entêtante. L'homme aux cheveux noirs leva les yeux vers moi, et je vis un sourire un rien carnassier éclairer son visage à ma vue.
Et voilà, je vais me faire écharper verbalement, pensai-je en déglutissant.
- Eh bien, je me demandais si tu allais remettre les pieds dans mon bureau un jour, Fullmetal. Le rapport est prêt ?
- Le voici, répondis-je en tendant la liasse de feuilles d'un ton froid.
- J'aurais droit à un mot d'excuse pour ton petit retard ? commenta-t-il ironiquement en prenant le dossier que je lui tendais.
Je tiquai à ce mot et serrai les dents, mais ne dis rien. Je savais qu'il crevait sûrement d'envie de me voir perdre son sang-froid et lui hurler dessus. Il faut dire que jusque-là, pas une entrevue dans son bureau n'avait fait exception à la règle. Mais aujourd'hui, même si j'étais en rage, je me méfiais davantage de mon impulsivité. La leçon du duel de bouffe qui, en me rendant malade, avait conduit à ce que Havoc me découvre avait été suffisamment cuisante comme ça.
- Ou devrais-je dire oubli, n'est-ce pas ? Ce sont tes propres termes. Pas très professionnel, tout ça.
- Colonel, étant donné la complexité de la mission, j'ai eu besoin d'un délai supplémentaire pour rédiger le rapport qui...
- Complexité ou pas, il s'en est fallu de peu pour que je décide de t'empaqueter pour t'envoyer en personne à East city en me disant que ça irait plus vite. Après tout, tu dois être assez petit pour rentrer dans les dimensions autorisées pour les colis, n'est-ce pas ?
- Colonel, est-ce que vous sous-entendez que je suis un nabot qu'on pourrait envoyer par la poste ? ! dis-je d'une voix qui devenait plus forte et tremblante malgré moi.
- Je ne sous entends pas, je le dis. J'ai attendu ton travail plusieurs jours, je me suis fait harceler par Grumman, car figure-toi que ton compte-rendu est obligatoire pour procéder au jugement des vingt-six personnes actuellement en garde à vue. Je me permets d'être un peu cynique parce que ton comportement est vraiment irresponsable.
- Et quel adulte responsable envoie un ado de quinze ans enquêter au milieu des casinos et des bordels ? !
- Si cette question te taraude vraiment, tu n'auras qu'à la poser à Grumman. Personnellement, je n'ai fait qu'obéir aux ordres. Et si tu veux qu'on te respecte en tant qu'adulte, n'invoque pas ce genre d'arguments faciles.
Je m'empourprai, prêt à me mordre la langue, tandis que l'homme baissait les yeux sur son rapport pour le feuilleter, faussement indifférent à ma réaction. Je ne devais pas hurler. Je ne devais pas laisser éclater ma colère, je risquais de monter dans les aigus malgré moi et d'ajouter cela à la longue liste d'indices que je semais sur mon passage. Je repensai à la tête choquée de Havoc quand il m'avait vu sans mes bandages, et ma résolution reprit de son aplomb. Entre tous, je ne voulais pas que Roy Mustang le sache. Je ne voulais pas lui laisser d'autres points faibles.
- Bon, je n'ai plus qu'à lire ce rapport avant de le faire envoyer au QG Est.
- Vous avez une autre mission à me confier ? demandai-je d'une voix que je peinais à maîtriser.
- Mmh ? Quelqu'un m'a parlé ? fit-il en relevant la tête avant de regarder partout dans la pièce en faisant semblant de ne pas me voir. C'est bizarre, je ne vois personne... Ah, mais siii, fit-il en se penchant comme s'il regardait au pied de son bureau. C'est le mini-Fullmetal ! J'avais oublié qu'il était là !
- QUI EST-CE QUE VOUS TRAITEZ DE DEMI PORTION DE MANIERE TOTALEMENT GRATUITE ?! VOUS VOUS FOUTEZ DE MA GUEULE COLONEL !
- Je n'oserais pas, voyons, fit l'homme d'un ton faussement vertueux qui ne fit qu'accroître ma rage.
- VOUS OSEZ PARFAITEMENT AU CONTRAIRE ! IL N'Y A QU'UN MOT POUR DECRIRE VOTRE COMPORTEMENT, UN SEUL. VOUS ÊTES UN CON !
- Fullmetal, si vous vous permettez de m'insulter de nouveau, je vais devoir en faire part à mes supérieurs hiérarchiques pour outrage envers un supérieur.
- VOUS N'OSERIEZ PAS, VOUS M'INSULTEZ TOUT AUTANT ! QUI A DIT QUE J'ETAIS UN LILIPUTIEN TELLEMENT MINUSCULE QUE L'ON POURRAIT ME CACHER DERRIERE VOTRE POT A CRAYON ?
- Je n'ai jamais dit ça, répondit-il avec un large sourire. Mais c'est pas mal, je la ressortirai.
Je m'étranglai de rage et me sentis m'échauffer encore plus. La peur d'être découvert ne faisait qu'amplifier le phénomène bien malgré moi, et je me sentais perdre mes moyens, intérieurement terrorisé à l'idée de laisser échapper un cri trop aigu. Il fallait absolument que j'en finisse le plus vite possible avant qu'il soit trop tard.
- C'EST BON, J'AI ASSEZ VU VOTRE TRONCHE D'ARRIVISTE POUR LES SIX MOIS A VENIR ! RAPPELEZ-MOI QUAND VOUS AVEZ UNE MISSION A ME CONFIER, PAS AVANT.
- Fullmetal, un instant.
- QUOI ?!
- J'ai une mission pour toi.
- Je croyais que vous n'aviez rien, fis-je d'un ton glacial.
- Finalement, si. Tiens, prends ça, fit-il.
Je tendis la main avec une expression suspicieuse. Il ouvrit ses doigts et fit tomber dans ma paume un papier et quelques pièces.
- Va donc me chercher un café. Extra-fort, sans sucre.
- VOUS ME PRENEZ POUR QUI ?! JE NE SUIS PAS VOTRE ESCLAVE, IL EST HORS DE QUESTION QUE JE VOUS SERVE LE CAFE ! hurlai-je d'une voix que je tentais maladroitement de garder grave.
- Garde la monnaie.
J'ouvris la bouche, cherchant un mot assez fort pour exprimer toute mon indignation, mais rien n'était à la hauteur. Aussi optai-je pour la solution la plus sage, à savoir quitter la pièce en claquant violemment la porte derrière moi, les poings serrés.
Je fus accueilli par les regards additionnés de tous ceux qui étaient dans la pièce. Inutile de se voiler la face. Ils avaient tout entendu, comme d'habitude.
- Vous êtes en forme, tous les deux, commenta Falman.
- N'insiste pas, grognai-je en traversant la pièce pour m'effondrer sur le siège inoccupé qui traînait à droite de la porte.
- Tu devrais lui proposer un duel du plus gros mangeur, il ferait moins le malin, commenta Fuery.
- Il serait capable de tricher, marmonnai-je, les poings toujours serrés.
Je pris quelques grandes inspirations pour tenter de décolérer rétrospectivement, les questions qui me tournaient dans la tête étaient surtout « Est-ce que j'ai crié d'une voix trop aiguë ? », « Est-ce que d'autres personnes pourraient deviner que j'ai un corps de fille ? » « Est-ce que j'ai attiré des soupçons sur moi ? » Je sentais toujours les pièces dans la paume de ma main, et je poussai un soupir, la colère laissant place à une profonde lassitude piquée d'angoisse. Je me levai, attirant de nouveau tous les regards.
- Où tu vas ? demanda Fuery.
- Chercher un café, répondis-je, l'œil torve.
Je sortis dans le couloir et ouvris ma main pour compter la monnaie. Le papier qui se trouvait dans ma paume était froissé. Je le pris pour le déployer.
« RDV à 19 h
11B rue des 2 sœurs,
fond de cour, porte d.
soit ponctuel.»
Aussitôt avais-je lu le mot que je le froissai de nouveau dans ma paume et le glissai bien au fond de la poche de mon pantalon. Est-ce que ses moqueries étaient simplement pour lui un moyen de détourner l'attention de nos véritables projets ? Il n'y avait plus qu'à l'espérer, sinon j'allais vraiment passer une sale soirée. J'étais obligé d'y aller, je le savais, c'était beaucoup trop important pour que je passe à côté de ce rendez-vous. Je poussai un soupir en arrivant à la cafeteria, et commandai un extra-fort, sans sucre, exactement comme demandé. Il avait fait l'appoint, au centime près.
Après avoir grommelé un « radin » entre les dents, je ramenai le verre chaud au bureau d'un pas hâtif, pressé d'en finir, et ne croisai qu'une ou deux personnes. J'ouvris la porte vivement, traversai la pièce pour le poser sur le bureau d'Hawkeye avant de repartir.
- Edward ? Le café... ?
- Je vous laisse vous débrouiller avec ça, répondis-je d'un ton impatient. Il faut que j'aille à la bibliothèque.
Je repartis en claquant la porte sans une once de remords. Maintenant que le dossier était rendu, il y avait quelque chose que je devais faire. Je revins dans la bibliothèque, cherchant une silhouette familière que j'avais croisée hier à ma plus grande surprise, étant donné qu'il me semblait que Hugues l'avait viré juste avant d'être attaqué. Je reconnu rapidement la tête d'oiseau ébouriffée de Shiezka, qui portait une pile de livres et autres à ranger. Je traversai la pièce dans sa direction en faisant mine de chercher un livre. Quand elle s'engagea dans une allée, je partis dans la suivante. Je regardai autour de moi, comme si j'étais en quête d'une cote bien précise, mais en réalité, je cherchais plus à savoir s'il y avait des gens à portée de voix. En arrivant au bout du rayonnage, je jetai un coup d'œil à ma gauche. Shiezska était à moins de deux mètres, en train de remettre en place des dossiers sur l'étagère. Tels que nous étions, dans un angle reculé de la bibliothèque, personne n'aurait pu nous voir debout côte à côte. C'était idéal.
- Shiezka, murmurai-je pour attirer son attention.
- Edward Elric ! fit-elle d'un ton surpris, esquissant un mouvement dans ma direction.
- Ne bougez pas, continuez à travailler comme si de rien n'était, répondis-je d'un ton un peu sec.
Elle se figea et se tourna de nouveau vers les étagères, reprenant son travail d'un air hésitant. De mon côté, je penchai la tête pour lire les noms écrits sur la tranche de livres présentés en bout de rangée, bien que me fichant royalement de leur contenu.
- Vous avez été engagée de nouveau par l'armée ?
- Oui.
- Je vois... Faites attention à vous. Hugues a été tué parce qu'il en savait trop. Etant donné que vous êtes la dernière personne à l'avoir vu et que vous l'avez aidé dans son enquête, vous êtes susceptible d'être visée à votre tour.
- ...Qu'est-ce que je peux faire contre ça ?
- N'ayez pas l'air trop intelligent, répondis-je en toute honnêteté. S'ils sentent que vous avez des soupçons ou que vous êtes susceptibles de trouver des choses, ils n'hésiteront pas à vous faire disparaître.
La femme s'arrêta dans ses mouvements, je sentis qu'elle vacillait. Il faut dire que si les militaires étaient prêts à mourir sur le champ de bataille, les personnes qui travaillaient dans le QG n'étaient pas forcément habituées à cette idée.
- Ils... Qui sont ces « Ils ? ».
- Des personnes influentes dans l'armée. Très influentes.
- C'est pour ça que vous me conseillez de ne rien trouver ?
- Oui.
- … Mais si j'en découvre plus, malgré tout ?
- Alors vous n'en parlerez qu'à moi.
- Et si vous n'êtes pas là ?
- ...Vous pourrez le dire à Mustang.
- Ah non, pas lui !
Je ne pus retenir un petit sourire face à sa réaction spontanée. Je comprenais tellement son sentiment.
- Je sais que vous le détestez, murmurai-je d'un ton sérieux. Je vous ai bien vu lui hurler dessus. Mais vous vous méprenez sur son compte.
- Comment pouvez-vous dire ça d'un ton aussi assuré ?
- Parce que tous les deux, nous savons des choses que tous les autres ignorent.
- Qu'est-ce que... ? commença-t-elle à demander avant de s'interrompre.
Je devinai que quelqu'un s'était approché dans sa direction, aussi reposai-je le livre que je faisais semblant de feuilleter et m'éloignai-je à pas lents en étudiant les livres entassés sur les rayonnages. Je préférais ne pas passer trop de temps avec elle pour éviter d'attirer l'attention, j'espérais que notre discussion suffirait à calmer la hargne qu'elle éprouvait envers mon supérieur hiérarchique. Il ne faudrait pas qu'elle foute par terre notre plan, ou qu'elle soit attaquée. Moins elle attirait l'attention sur l'affaire de Hugues, mieux ça serait. Globalement, on ne savait pas à qui on pouvait faire confiance, à de rares exceptions près. Mustang, bien qu'il soit le supérieur hiérarchique le plus irritant que la terre ait jamais portée, en faisait partie.
Je ressortis de la bibliothèque en m'étirant je méritais bien de me détendre quelques minutes. Et je savais parfaitement à quoi j'avais besoin. Je me dirigeai vers le standard téléphonique pour aller téléphoner chez les Rockbell. Ces deux-là étaient toujours à Resembool, Apparemment, Winry travaillait d'arrache-pied, et Al s'ennuyait sec. Mon appel serait sûrement le bienvenu.
« RDV à 19 h
11B rue des deux sœurs,
fond de cour, porte d. »
J'avais jeté un nouveau coup d'œil au papier que m'avait confié Mustang quelques heures plus tôt. J'étais bien au lieu prévu. J'avais eu un peu de peine à trouver cette rue minuscule, qui n'était pourtant pas très loin du quartier général de Central. J'avais abandonné Hawkeye en lui disant que j'avais quelque chose à faire ce soir-là et que je rentrerais chez elle plus tard.
En attendant, adossé au mur à côté de la porte, dans cette cour intérieure au mur de pierres soigneusement sculptées, avec son sol pavé et ses glycines courant le long des murs, dans la torpeur de cette soirée encore douce après une journée gorgée de soleil, j'avais le sentiment de ne pas être à ma place.
Pire, s'il y avait eu des moments dans la journée où j'avais réussi à occulter l'existence de mes règles, celles-ci me revenaient en pleine face, me vrillant le bas-ventre d'une douleur que je ne reconnaissais pas. Je me sentais sale, et j'avais l'impression qu'il émanait de moi une odeur persistante, et que ma « situation » était écrite en toutes lettres sur mon front. Je serrai les dents à cette idée. J'avais soufflé un mot à ce sujet quand je m'étais retrouvé seul avec Hawkeye, les oreilles rouges, presque larmoyant d'embarras, et elle m'avait rassuré de son mieux en disant que non, personne ne s'en doutait, et que ce sentiment somme toute courant n'était rien de plus qu'une impression.
Je faisais tourner ces mots en boucle dans ma tête pour me rassurer. J'entendis des pas et relevai la tête, voyant arriver Roy Mustang. Rien d'étonnant puisqu'il m'avait donné rendez-vous ici même, mais je sentis monter comme une bouffée d'angoisse. Il traversa la cour en ne me jetant qu'un bref regard, sortant un trousseau de clés de sa poche qu'il utilisa pour ouvrir la porte à côté de laquelle j'étais adossé. Il se glissa dans l'entrée plongée dans la pénombre en me faisant signe de me suivre sans un mot.
Je décollai du mur et emboîtai le pas, passant dans un couloir à l'éclairage tamisé avant de commencer à gravir un escalier dont les marches étaient couvertes d'un tapis rouge qui étouffait mes pas. L'immeuble était de petites dimensions, mais il en dégageait une impression de confort et de luxe. Les murs étaient lambrissés, le bois des marches et la rambarde récemment lustrés diffusaient une forte odeur de cire et de térébenthine. En fixant le dos de la silhouette que je suivais, je me demandai si nous allions chez lui, et ce qu'il avait à me dire. Une fois arrivé au troisième étage, il obliqua à droite dans le couloir et ouvrit une porte. Il entra et alluma la lumière, m'invitant à le suivre. Je sentis une vague de peur idiote m'envahir, mais je fis les quelques pas qui me manquaient pour passer le seuil. Une fois arrivé là, j'examinai la pièce où je venais d'entrer tandis que l'homme fermait la porte derrière moi. L'espace d'un instant, je fus assez près de lui pour sentir un effluve chaud, une odeur douce et épicée à la fois. L'odeur de son parfum, parfaitement perceptible pour mon odorat qui s'était aiguisé depuis l'accident du cinquième laboratoire.
J'étais dans l'entrée, où se trouvaient les portes d'un grand placard dans le mur attenant au couloir, et quatre portes sur le mur d'en face. A ma gauche, la première porte était ouverte sur le salon, encombré de cartons pas encore déballés et de meubles installés à la va-vite. La première pensée qui me sauta à l'esprit était que les lieux semblaient étonnamment petits comparés à la maison occupée par la famille de Hugues. Le Colonel, avec son grade et son statut d'Alchimiste d'état, avait sûrement de quoi posséder beaucoup mieux que ça, lui qui n'avait ni femme ni fille à charge. Et pourtant, c'était manifestement ici qu'il logeait. Je réalisai alors qu'il enlevait ses chaussures.
- Est-ce que je dois aussi... ? marmonnai-je d'un ton hésitant en désignant mes propres pieds.
- Je préfèrerais, oui, répondit-il simplement.
Je m'en débarrassai en calant mon talon de l'autre pied, sans prendre la peine de me baisser, puis abandonnai mes chaussures dans un coin, avant d'entrer dans le salon où il m'attendait.
- Iris Swan, lança l'hôte en guise de préambule, le regard sévère.
Je me sentis tétanisé en l'entendant prononcer le nom de ma fausse identité, ces simples mots me faisaient plus d'effet que si on m'avait versé un baquet d'eau glacé sur la tête. Entendre le nom que j'avais emprunté pour mieux piéger Ian Landry quelques jours auparavant n'était en soi pas très agréable, et j'espérais pouvoir enterrer profondément cette histoire en priant pour que personne ne le sache jamais mais quand c'était les premiers mots prononcés dans une conversation en tête-à-tête, il y avait de quoi être franchement inquiet.
- Quoi ? fis-je d'une voix dont j'espérais avoir masqué le tremblement.
- Iris Swan, répéta-t-il d'un ton irrité. La jeune femme qui t'a aidé lors de ton enquête à Lacosta.
- Je sais qui elle est, répondis-je d'un ton cynique.
« Mieux que personne », me retins-je d'ajouter. Je parvenais de nouveau à respirer, mais je sentais mon cœur battre douloureusement contre mes côtes. Comment pouvait-il être aussi oppressant ?
- Bien sûr, que tu sais. Ce qui m'agace, c'est que tu ne vois pas pourquoi j'en parle.
- Non, je ne vois pas, mentis-je en plantant mon regard dans le sien, craignant de comprendre d'où venait l'expression de reproche que je croyais lire dans son regard.
- Est-ce que tu te rends compte des risques qu'elle a couru à cause de toi ? Cette jeune fille a été kidnappée, séquestrée, elle a failli être violée, simplement pour les besoins de ton enquête ? !
J'ouvris la bouche et la refermai, pris au dépourvu. J'avais déjà commencé à chercher comment contourner les questions gênantes à son propos, les soupçons qu'il aurait pu avoir à mon sujet, bref, à défendre mon secret bec et ongles, et me voilà accusé de... de quoi, au juste ?
- Il ne s'est rien passé, répondis-je, à la fois mal à l'aise et extrêmement soulagé. Je suis arrivé avant et je l'ai neutralisé.
Ce n'était pas tout à fait vrai. J'avais arraché du mur l'applique à laquelle j'étais menotté pour l'assommer de mes deux mains jointes. Il n'avait eu que le temps de commencer à me déshabiller pendant que j'étais encore drogué, avant que je reprenne le contrôle et le roue de coups bien plus que nécessaire. A ce souvenir, une vague de nausée me traversa, me faisant réaliser que ce souvenir me dégoûtait et m'effrayait vraiment plus que je le pensais. Sans doute à cause du témoignage des filles enlevées. Mais en même temps, c'était normal que cette idée m'horrifie, d'autant plus avec mon regard masculin.
- Et si tu n'étais pas arrivé à temps ? insista l'homme en sortant des verres d'un carton ouvert. Tu imagines ce qui aurait pu se passer ?! Comment as-tu pu prendre une décision pareille ?
Je ne veux surtout pas imaginer, pensais-je en fermant les yeux malgré moi, assailli par des images écœurantes et le souvenir du récit de Pénélope, Cindy et des autres.
- Je n'avais pas le choix, murmurai-je, la gorge serrée. Il aurait fallu des mois pour avoir un angle d'attaque, et si elle ne s'était pas proposé...
- Tu n'aurais pas dû laisser une femme prendre des risques pareils, enfin !
- C'était son choix, et elle avait conscience des risques qu'elle prenait ! Nous en avions parlé ensemble, et elle avait ses propres raisons de faire ça, répondis-je d'un ton cassant, sentant la colère monter. Ce n'est pas à vous de juger ça.
En m'entendant perdre mon calme après sa dernière phrase, Roy Mustang s'arrêta dans ses mouvements, encore un verre dans la main, et me fixa droit dans les yeux. Je sentis un poids sur ma poitrine tandis qu'il plantait son regard dans le mien, avec ses yeux en amande d'un noir profond. J'avais l'impression d'avoir du mal à respirer, et mis ça sur le compte de la situation stressante et de mes bandages trop serrés. Soutenir son regard était ardu, je me sentais terriblement mal à l'aise de devoir lui cacher la vérité.
Finalement, ce fut lui qui détourna les yeux, et traversa la pièce pour sortir une carafe d'un autre carton et la remplir d'eau. Je le suivis à bonne distance d'un pas que j'espérais nonchalant, entrevoyant une cuisine claire et spacieuse comparée au reste de l'appartement.
- C'est vrai, après tout, c'est à toi de faire face à ta conscience, grommela l'homme en regardant l'eau remplir le récipient de verre.
- Comme si vous n'aviez jamais rien eu à vous reprocher auprès de la gent féminine, grommelai-je en m'éloignant pour m'affaler dans un de ses fauteuils de cuir.
- C'est justement pour ça que je te mets en garde, répondit-il d'un ton neutre que contredisait son visage un peu crispé tandis qu'il posait des dessous de verre sur la table basse en marqueterie. Les regrets peuvent être lourds à porter.
Le silence tomba après cette déclaration, laissant tout le temps à mon malaise de s'installer. Ne trouvant pas quoi répondre, je levai le nez, les mains croisées sur mes genoux, regardant le salon dans son ensemble. Le bâtiment était ancien et visiblement luxueux, si on se fiait à la décoration : les murs étaient lambrissés jusqu'à un mètre du sol environ, puis tapissés d'un tissu rouge en faux uni, et le plafond était orné de moulures. Une cheminée élégamment décorée était percée dans le mur attenant à la cuisine, et je remarquai seulement maintenant un lustre, qui, s'il n'était pas de très grande taille, restait richement décoré, tout comme les appliques qui apportaient un peu d'éclairage supplémentaire.
Dans la pièce, outre le fauteuil scandaleusement confortable dans lequel je m'étais installé près de la cheminée éteinte, se trouvait un canapé de cuir d'un brun chaud, un tapis encore roulé sur lui-même ainsi que ce qui devait être des étagères démontées, adossées au mur. Dans le coin opposé, une table et ses quatre chaises assorties faisaient rempart à un empilement spectaculaire de cartons et un vaisselier imposant. Sous l'une des deux fenêtres, je remarquai une commode à marqueterie aux formes souples, visiblement ancienne et coûteuse. Sous la deuxième fenêtre se trouvait un secrétaire au plateau de cuir orné de dorure sur lequel était posé un tableau représentant une femme vêtue de bleu, assise dans l'herbe et tenant une ombrelle. Cette image attira mon regard, peut-être parce qu'elle ressemblait un peu à Mustang. Enfin, dans l'angle du mur derrière moi, calé entre le renfoncement de la fenêtre et la porte donnant sur la cuisine, se trouvait un petit placard de bois laqué où trônait fièrement un tourne disque.
Quand mon regard retomba sur le verre d'eau que mon hôte m'avait servi, l'information était arrivée jusqu'à mon cerveau. Cet appartement n'était peut-être pas très grand, mais c'était quand même celui d'un putain de riche. Il n'y avait pas un meuble, pas un objet parmi tout ce qui traînait dans mon champ de vision, qui n'avait pas l'air précieux. Quand mon regard croisa le sien, je me sentis profondément intimidé. Il détourna le regard et lança d'un ton un peu bougon.
- Je sais, c'est en désordre. Je n'ai pas eu le temps de bien m'installer, depuis le début de la semaine, j'ai été très sollicité.
- Non, votre bureau est en désordre, répondis-je spontanément. Ici, c'est...
- Bon, assez tourné autour du pot, coupa-t-il en se redressant, je suppose que tu te doutes de la raison pour laquelle je t'ai invité ici ?
- Pour parler de sujets sérieux, répondis-je en faisant tourner mon verre machinalement sous mes doigts. Des sujets comme nos soupçons sur l'armée, les retombées du cinquième laboratoire, les Homonculus...
- Par exemple, répondit l'homme avec un sourire entendu. Je crois ne pas me tromper en disant que nous n'avons pas pu parler sérieusement depuis un moment.
- Pas depuis cette nuit-là, en fait... murmurai-je, sentant mes yeux dériver dans le vague en repensant à l'agression de Hugues.
Ce soir-là, j'avais échappé à la vigilance du corps médical, trop impatient de tester mes nouveaux automails et heureux de pouvoir éviter l'ambiance étouffante qui régnait dans l'hôpital. Après des jours passés cloîtré, enfermé dans cette pièce vide aux murs blancs, à la merci de ceux qui s'occupaient de moi et dont je dépendais pour le moindre de mes gestes, je n'avais qu'une envie, respirer de l'air frais, marcher, et surtout, être seul. Malgré une opération pénible quelques heures auparavant, mes automails ne me faisaient pas vraiment mal, j'avais juste quelques maladresses dans mes gestes, peu habitué à ces nouveaux membres de métal. Je me disais que Winry abusait de vouloir me forcer à rester allongé pour cicatriser pendant des jours et des jours...
L'air de la ville était chargé d'effluves, le goudron tiède, la poussière, l'essence et le cambouis près des voitures, un ragoût cuisiné dans un des immeubles devant lequel je passais, l'odeur un peu âcre de la sève des arbres qui me surplombaient, et celle, moite, de la terre noire dans laquelle ils plongeaient leurs racines. Toutes ces odeurs m'assaillaient comme un feu d'artifice après l'austérité de l'hôpital qui sentait la lessive, l'alcool et les médicaments. Jamais je n'avais ressenti une telle intensité, et je me demandais si c'était mon hospitalisation qui m'avait rendu à ce point sensible aux odeurs à force de m'en priver.
Mes pas lents me menèrent tout naturellement jusqu'au jardin public qui se trouvait quelques rues plus loin, et quand je passai les grilles pour entrer dans le parc, le parfum en était presque étouffant. C'était cette même odeur chaude et humide, écœurante et agréable à la fois, qui régnait normalement dans les serres. A ce moment-là, je sus que mon odorat s'était aiguisé de manière anormale. Jamais je n'avais eu la tête qui tournait juste en entrant dans un jardin par une soirée d'été.
Cela ne m'empêcha pas de savourer ma promenade, sans savoir que se jouaient mes dernières secondes d'insouciance. En effet, je n'avais pas fait vingt mètres le long de l'allée gravillonnée qu'un coup de feu déchira le silence, me glaçant le sang. Il se passait quelque chose. Je me mis aussitôt à courir dans la direction de laquelle venait le bruit, me sentant dans un équilibre précaire à chaque foulée, maladroit avec ma jambe fraîchement greffée. Je me retrouvai rapidement essoufflé, affaibli par mon séjour à l'hôpital.
Je ne mis pas longtemps à arriver au bout du jardin, où se trouvait une cabine téléphonique. La scène, mal éclairée par un réverbère, me glaça le sang aussitôt que je reconnus Hugues.
Serrant son épaule ensanglantée de la main droite, il fixait d'un regard exorbité la silhouette d'une femme qui le tenait en joue avec un revolver. Il était adossé à la cabine téléphonique qui lui coupait toute retraite, et à quelques mètres à peine, son agresseur ne risquait pas de louper sa cible.
Mon cœur battait à tout rompre pendant que j'accélérais, courant de toutes mes forces en entendant ce rire, le rire d'Envy, j'en étais sûr, malgré sa voix féminine. Le militaire semblait tétanisé, incapable de réagir. Et moi... j'étais trop loin.
Il va mourir, réalisai-je, les yeux agrandis d'horreur, le souffle coupé. Je suis là et il va mourir quand même...
Alors que le temps semblait étiré par l'urgence, mon automail se déroba brutalement sous mon poids dans une explosion de douleur, me faisant basculer. J'eus tout juste le temps de claquer des mains avant d'écraser au sol, et déraper dans les graviers, mes paumes labourant la terre tandis que la lumière bleue de ma transmutation cavalait vers l'ennemi. La silhouette commença à se retourner en entendant ma chute, mais elle avait à peine esquissé son geste quand une main de gravier le jeta à terre dans un grand bruit de détonation.
Le coup était parti.
Je relevai la tête, le front écorché, les larmes aux yeux, et vis la silhouette de Hugues s'effondrer à son tour, tombant dans la cabine dans un mouvement qui me sembla infiniment lent.
- HUUUUUUUUUUUUUGUES ! !
Le hurlement m'avait échappé en me cassant la voix. Tandis que je tentais maladroitement de me relever pour me précipiter vers la silhouette inanimée de mon ami, la douleur dans ma jambe gauche me fit l'effet d'un électrochoc. Je m'étais blessé.
Je n'avais pas repris mon souffle quand je me pris un coup violent dans les côtes. Mon ennemi s'était relevé et venait de me frapper avec un regard noir. En levant les yeux vers lui, assailli par une terreur viscérale, je reconnu le visage de Gracia, la femme de Hugues, sans doute la personne la plus douce sur cette terre. J'étais suffoqué par l'indignation, le choc et la douleur. Impossible pour ce militaire profondément amoureux de lever la main sur une personne qui usurpait le visage de sa femme, je le connaissais assez pour en être sûr. Je jetai un nouveau coup d'œil vers la cabine téléphonique où le combiné se balançait au bout du fil. Mis à part ça, il n'y avait pas un mouvement, pas un bruit.
- Ah, c'est terrible comme les humains peuvent mourir facilement, fit Envy en se grattant la tête avec un sourire moqueur, reprenant son apparence. Une balle dans la tête, et hop ! C'est fini. Pourtant, il s'en fallait de peu que tu ne le sauves. C'est bête, hein ?
Je lui envoyai un coup de poing rageur qu'il évita aisément avant de me donner un nouveau coup de pied dans les côtes, me faisant valser dans les graviers. Il s'approcha en quelques sauts et me surplomba avec un sourire carnassier. Je tentai maladroitement de reculer, sentant le sol se dérober sous moi, pris au piège. Toute mon intelligence s'était évanouie, noyée par la panique animale d'être à la merci d'un monstre et le choc à l'idée que Hugues soit mort sous mes yeux.
- Allons, ne me regarde pas comme si j'allais te tuer... tu sais bien qu'on me l'interdit. Par contre, rien ne m'empêche de te faire un peu de mal... commenta Envy en faisant craquer ses phalanges.
L'Homonculus plongea sa main pour m'attraper la tête, plantant ses doigts dans mon cuir chevelu, me tirant les cheveux. Il me gifla à plusieurs reprises avant d'enfoncer ma tête dans les graviers et la terre. Je fermai les yeux, sentant le sable me rentrer dans le nez et la bouche, les cailloux écorcher ma peau. Je n'arrivais plus à respirer, et c'est dans un sursaut d'instinct que je claquai des mains avant d'en frapper le sol. Une nuée de lames jaillirent alors, transperçant le corps d'Envy de part en part à plusieurs endroits. J'avais senti le répit et m'étais échappé de ses mains, en rampant aussi vite que je le pouvais malgré la douleur sourde de mes côtes et celle, intense, qui vrillait ma jambe et m'empêchait de me relever malgré mes tentatives. Tandis que je crachais le sable que j'avais dans la bouche, je tentai de prendre le dessus sur ma terreur.
Je l'entendis bouger derrière moi et me sentis trembler en entendant les lames se briser, avant qu'une nouvelle volée de coups ne s'abatte sur moi, plus virulente que la précédente. Je ne pouvais rien faire de plus qu'encaisser, ma jambe ne répondait plus et mon bras métallique suffisait à peine à protéger ma tête, j'avais le souffle coupé par les coups dans le ventre et les côtes. J'avais beau l'avoir entendu dire qu'il n'avait pas le droit de me tuer, je ne voyais pas comment j'aurais pu en réchapper. Je n'arrivais pas à me défendre, je n'avais rien pu faire pour Hugues, je n'avais plus aucune force, plus aucune intelligence. Plus rien que de la peur.
- Fullmetal ?
Je sursautai, revenant brutalement au présent. Là où j'étais maintenant, je ne risquais rien. Enfin, je risquais « juste » que mon supérieur découvre un secret particulièrement honteux, mais mis à part ça… j'étais en sécurité.
- Excusez-moi, Colonel, j'étais distrait, répondis-je en me redressant avant de boire mon verre pour masquer ma gène.
Quelles expressions étaient passées sur mon visage pendant que je m'étais laissé envahir par ce souvenir ? Je devais avoir l'air ridicule… pourtant, il ne se moqua pas.
- J'ai vu ça, fit-il simplement.
- Je repensais à la nuit où Hugues a été attaqué.
- Je sais.
Il avait répondu d'une voix assurée et paisible. Dans cet appartement luxueux, il semblait parfaitement dans son élément, tout droit sorti d'une photo d'art. Je me sentais gauche face à lui. Je savais qu'il attendait de moi que j'en dise plus sur les Homonculus, car la dernière fois, je n'avais fait qu'évoquer le sujet dans les grandes lignes. La conversation avait été mouvementée, et nous n'avions pas eu beaucoup de temps ce jour-là. Et beaucoup de questions se posaient, sur ceux qui contrôlaient le laboratoire, le degré d'implication des Homonculus dans l'armée, l'attaque de Hugues, la présence de Scar dans le cinquième laboratoire...
- Vous avez eu des nouvelles de Scar ? demandai-je d'un ton hésitant.
- Pas depuis la dernière fois que nous en avons parlé. On va dire que c'est une bonne chose.
- Je suppose que c'est une bonne chose, répondis-je d'un ton évasif.
Mustang s'adossa dans son canapé et s'étira, avant de me jeter un regard sérieux.
- Je ne t'ai pas fait venir ici pour qu'on reste en silence à se regarder dans le blanc des yeux, alors parle-moi de ce que tu n'as pas eu le temps de raconter la dernière fois.
- Bien, Colonel, répondis-je d'un ton un peu guindé tout en cherchant par où commencer. Je vous avais parlé des Homonculus. Ils semblent immortels, et ont des pouvoirs qui leurs sont propres. Envy, qui a attaqué Hugues, a le pouvoir de prendre l'apparence de n'importe qui. Son apparence habituelle est celle d'un adolescent aux longs cheveux noirs. Lust, c'est une très belle femme, qui porte le tatouage des Homonculus sur son décolleté, et qui peut transformer ses doigts en de longues lames extrêmement coupantes. Gluttony est... honnêtement, assez difforme, petit et gros, avec des bras trop longs. Il peut manger à peu près tout et n'importe quoi, y compris du métal. Et... Juliet Douglas.
- La secrétaire du Généralissime.
- Oui. Sur elle, je ne sais rien. C'est Hugues qui la soupçonnait.
- Ça, je l'avais bien compris. Sur les autres, que sais-tu de plus ?
- Gluttony porte son tatouage d'Homonculus sur la langue, et Envy... il est sur la cuisse gauche. Ah, et ils ont tous les yeux pourpres, pour ne pas dire violet. Sinon, ils méprisent les humains, et pour autant que j'aie pu le voir, ils ne peuvent pas pratiquer l'alchimie. Tout laisse à penser que quelqu'un les dirige dans l'ombre, Envy a dit plus d'une fois qu'il n'avait pas le droit de me tuer... Et pourtant, j'ai l'impression que c'est pas l'envie qui l'en manque.
- Je vois. C'est lui qui t'avait mis dans cet état, l'autre fois ?
- Oui, marmonnai-je.
J'avais presque oublié que quand Mustang était arrivé à l'hôpital, j'étais encore couvert de poussière et de sang, assis au chevet de Hugues. Rétrospectivement, je devais avoir l'air complètement miteux après ce combat inégal et la nuit blanche qui avait suivi, perclus de douleur à cause de la connectique défaillante de mon automail.
Chassant ce mauvais souvenir, je me concentrai de nouveau mon attention sur la discussion, nos hypothèses et nos soupçons. Il fallait chercher des pistes et enquêter, trouver des indices. Je ne doutais pas de la capacité de Mustang à se faire apprécier par ses supérieurs, il était passé maître dans cet art, avec ce mélange d'efficacité, d'arrogance et d'obéissance aux supérieurs. Avec un peu d'immoralité, il espérait être mis au parfum des plus sombres secrets qui se tramaient dans l'armée. Et pour cela, il valait mieux que l'on ait l'air de se haïr et d'être en désaccord permanent. Je comprenais mieux son comportement en public lors de nos dernières rencontres avec ces cartes en main.
- Ah, mais j'y pense, s'exclama-t-il en se redressant, je t'ai servi de l'eau, mais tu voudras peut-être quelque chose de mieux. Que dirais-tu d'un whisky ou d'un gin ? proposa-t-il en se levant.
- Je dirais que je n'ai que quinze ans, ce qui n'est pas un âge pour boire de l'alcool.
- Ah oui, c'est vrai. Une bière ?
- Colonel... fis-je avec un regard blasé.
- Allons, ne me regarde pas comme ça, c'est à peine de l'alcool ! se défendit-t-il.
- … Après tout, j'étais loin d'être irréprochable pendant ma mission à Lacosta, abdiquai-je avec un geste de main désabusé. Allons-y pour une bière.
Mustang disparut quelques instants dans la cuisine pour aller chercher à boire, et je me rendis compte à ce moment-là seulement qu'il ne s'était pas moqué de moi et de ma taille une seule fois depuis mon arrivée. Comme quoi, sa compagnie pouvait presque être agréable quand il n'y avait pas d'éléments extérieurs. Il ramena deux bouteilles de bière qu'il posa sur la table basse après avoir sorti deux nouveaux bocks de son tiroir. En le regardant faire, je me demandais comment il pouvait être aussi soigneux et plein de goût chez lui quand on voyait l'anarchie qui régnait généralement dans son bureau mais comme je trouvais reposant qu'il ne se moque pas de moi, je choisis d'en faire autant, et versai de la bière dans mon verre avant de la boire, agréablement surpris par son goût un peu fruité.
- … J'ai parlé à Shiezka, annonçai-je. Je pense qu'elle a compris les enjeux de son silence.
- Qu'est-ce que tu lui as dit ?
- D'avoir l'air stupide aux yeux de l'armée, et de ne parler qu'à vous et moi des découvertes qu'elle pourrait faire dans les dossiers sur lesquels elle travaille.
- Je vois. Et comment tu as réussi à la convaincre alors qu'elle me déteste ?
- Je lui ai dit que je vous faisais confiance.
- Oh. Je suis touché, fit-il d'un ton un peu moqueur. Et ça a marché ?
- La suite nous le dira, répondis-je, piqué au vif.
- Bon, de mon côté, j'ai tout fait pour me faire bien voir par mes supérieurs hiérarchiques depuis mon arrivée, mais c'est un travail de longue haleine. Par contre, j'ai lu le rapport d'enquête que Hugues et son équipe avaient rédigé sur le cinquième laboratoire. Le corps de Zolf Kimblee n'a apparemment pas été retrouvé dans les ruines du bâtiment. S'il est encore en vie, comme je le pense, tu dois t'en méfier comme de la peste.
- Qui est Zolf Kimblee ?
- Il était Alchimiste d'Etat pendant la révolte d'Ishbal. L'alchimiste écarlate. Pour l'avoir vu à l'œuvre, c'est le pire taré que la terre ai jamais porté. Et je pèse mes mots. Cet homme avait une technique qui consistait à transformer les corps humains en bombes à retardement. Il aimait tellement faire exploser des gens qu'il ne s'embarrassait pas toujours de savoir s'ils étaient alliés ou ennemis. D'ailleurs, ce n'est pas sans raison qu'ils l'avaient emprisonné aussitôt la guerre finie.
- Et cet homme est en liberté maintenant, c'est ça ?
- Oui, probablement.
- Je tâcherai de faire attention si j'ai des pistes qui l'impliquent.
- De mon côté, je resterai attentif au moindre indice à son sujet, je tâcherai de te tenir au courant.
- Merci.
Je pris une nouvelle gorgée de bière avant de lui jeter un coup d'œil. Une question me taraudait.
- Est-ce que Hawkeye sait, pour Hugues ? demandai-je en me resservant de la bière.
- Hawkeye ? Euh, non, je ne lui ai rien dit. Pour l'instant, c'est entre toi et moi.
- Ah... j'aurais cru, répondis-je, désarçonné. Je veux dire, c'est un peu votre bras droit.
- Oui... Sur le coup, je ne voulais vraiment pas prendre de risques, c'était trop dangereux, et après… c'est juste que je n'ai pas vraiment eu l'occasion de discuter avec elle en privé pour lui parler des derniers événements.
- Je pourrais lui en parler, si vous voulez, proposai-je.
- Je... Toi ?! fit-il en ouvrant des yeux ronds, me rappelant que personne ne savait que je logeais actuellement chez elle et que nous ne semblions absolument pas proches aux yeux des autres. Non, je pense qu'il vaut mieux que je le lui dise moi-même, elle serait en droit de mal le prendre dans le cas contraire.
- Ah. Je vois, fis-je poliment.
C'était un petit peu comme quand Al m'avait fait part de sa colère quand il avait réalisé que depuis notre arrivée à l'hôpital, finalement... je n'avais pas cessé de lui cacher des choses, sur ce qui s'était passé pendant la transmutation ratée, sur ce que nous avions traversé depuis, sur les Homonculus, l'armée... J'avais gardé le silence à ces sujets parce que je ne voulais pas qu'il redécouvre ces horreurs. C'était un sentiment normal de vouloir épargner ses proches.
A ce moment-là, je me demandai quel genre de relation ils pouvaient avoir en dehors de leur travail ? Étaient-ils très proches ? Pouvait-on les considérer comme étant des amis ? De simples collègues ? Ou plus... ?
Je chassai de mon esprit ces questions déplacées et bus ma bière à même le goulot sous le regard désabusé de mon supérieur, avant de reprendre la conversation. Ça n'avait rien d'étonnant que Mustang parle à Hawkeye, c'était plutôt moi qui était dans une situation incongrue. S'il n'y avait pas cette histoire de changement de sexe, jamais au grand jamais je n'aurais mis les pieds chez elle, et j'en avais pleinement conscience. J'avais été agréablement surpris de la facilité avec laquelle elle m'avait accueilli, et les discussions pleines de liberté que nous avions pu avoir ensemble et maintenant, je devais aussi lui dissimuler que j'étais passé chez Roy Mustang avant de rentrer à son appartement. Quand on ajoutait tout cela à mes cachotteries précédentes, ça commençait à faire beaucoup de secrets pour une seule personne.
Je lançai un petit soupir en reposant ma bière vide. Il commençait à être tard, mais bien que nous ayons fait le tour de ce que nous pouvions dire ce jour-là, nous étions restions assis à sa table à échanger quelques mots un peu mélancoliques. C'était sans doute à moi de me lever et prendre congé. D'ailleurs, je me demandais pourquoi je m'attardais autant alors que depuis plusieurs heures, je ne rêvais que d'enlever les bandages qui me cisaillaient la poitrine et prendre une bonne douche chaude. Prenant conscience de l'absurdité de cette situation, je me levai alors d'une manière qui devait avoir l'air particulièrement abrupte, faisant presque sursauter mon hôte.
- Je devrais y aller, répondis-je d'un ton un peu guindé. Il est déjà tard, je ne voudrais pas déranger alors que vous voulez sûrement manger.
- Tu ne déranges pas, Fullmetal, répondit-il d'un ton placide.
- Je pense qu'on m'attend, répondis-je d'un ton d'excuse, sans trop savoir pourquoi.
- Eh bien, je ne vais pas te retenir bien longtemps, fit-il en se levant. Attends juste un instant.
Tandis que je remettais mes chaussures, il s'avança jusqu'à son secrétaire et sorti une feuille et un crayon d'un de ses tiroirs pour y griffonner quelque chose. Il me tendit ensuite le papier ou était écrit une suite de chiffres.
- Mon nouveau numéro. N'hésite pas à appeler si tu as du nouveau, ou même à passer. Maintenant, tu sais où c'est. Et surtout ne le perds pas, je n'ai pas envie que n'importe qui ait mes coordonnées.
- Je ferai attention, promis-je en prenant ce papier de ma main droite. Merci.
Le silence revint, nous laissant tous les deux debout face à face dans cette grande pièce désordonnée.
- Je... j'y vais, bafouillai-je après un instant de flottement, me dirigeant vers la porte. Bonne soirée.
- Bonne soirée, Fullmetal.
Je tournai la poignée et me retrouvai dans le couloir obscur, cherchai à tâtons la lumière, puis descendis les escaliers sous le même éclairage tamisé. Une fois sorti dans la cour où l'air s'était rafraîchi, je poussai ce qui semblait être un soupir de soulagement avant de repartir en direction de l'immeuble où logeait Hawkeye. Quelques rues plus loin, je rejoignis la voie de tramway. En arrivant là, je vis que l'un d'entre eux arrivait et courut pour sauter dedans. Je serais rentré plus vite. En regardant défiler les bâtiments et les flaques de lumière des réverbères, je songeai à cette soirée. Comme je pouvais m'y attendre, je n'avais pas appris grand-chose. Il faut dire, c'était à moi d'informer Mustang, puisque Hugues n'avait pas eu le bon goût de lui faire part de tous les derniers événements avant cette fameuse soirée. Je repensai à l'homme que j'avais laissé dans son salon luxueux, qui ne s'était pour ainsi dire pas moqué de moi durant la soirée, je songeai à la solitude qu'il devait éprouver à avoir perdu son meilleur ami, et me sentis étrangement triste.
J'avais passé de nombres années à détester et redouter mon supérieur hiérarchique, non sans raison puisqu'il ne se privait pas de m'humilier mais alors que jusque-là, je ne le connaissais que comme étant un homme manipulateur et particulièrement cynique, je me rendis brutalement compte, de manière certaine et limpide, qu'il devait se sentir terriblement seul.
