Le chapitre 26 est arrivé, pile à temps pour Noël ! Où que vous soyez, j'espère que vous passez tous un bon moment ! Ici, j'ai pris le temps de préparer en amont pour pouvoir être disponible le jour J. Je n'ai donc plus eu qu'à publier. Ce chapitre est plus court que les précédents, mais c'est vrai qu'ils étaient devenus costauds ces derniers mois ! XD
On entre dans la troisième partie de l'histoire, comme vous le constaterez, il y a un certain changement d'ambiance. J'ai vraiment essayé d'articuler l'histoire pour la rendre aussi agréable que possible à lire, et ménager des moments adaptés à une pause dans la lecture. Bref, tout ça pour dire que j'espère que vous apprécierez ce chapitre, et l'illustration qui va avec (toujours sur mon compte Deviantart).
Bonne soirée et bonnes fêtes à tous !
Chapitre 26 : Les aveux (Al)
A part moi, tout le monde était couché depuis longtemps quand j'entendis la sonnette de la porte tintinnabuler timidement. Je me levai précipitamment, abandonnant le recueil de poésie que j'avais attrapé au hasard pour tromper mon ennui en attendant le retour d'Edward. Un peu fébrile, j'accourus dans le couloir, m'assurant de reconnaître la silhouette de mon frère à travers le verre dépoli avant de tourner le verrou et de lui ouvrir la porte.
Edward se faufila prestement à l'intérieur, pendant que je refermais. Sans doute surpris par une averse sur le trajet du retour, il avait rabattu la capuche de son manteau rouge sur sa tête. Les gouttes avaient piqueté ses épaules de taches plus sombres.
- Tu rentres tard, murmurai-je. Je commençais à sérieusement m'inquiéter.
- Désolé, je l'ai attendu un moment, expliqua-t-il en accrochant son manteau humide à la patère.
- Il y a du nouveau ?
Il était dos à moi, mais je vis ses mains se crisper malgré lui sur le tissu, et il répondit après une seconde de trop.
- Oui. Mais nous en parlerons demain, si tu veux bien. Je suis épuisé.
Sa remarque m'étonna. Ce n'était pas son genre d'avouer avoir un moment de faiblesse. Pourtant, il fallait avouer qu'avec les heures passées dans le train aujourd'hui, nous avions de quoi être un peu sonnés. Même moi qui avais réussi à dormir une partie du trajet, je me sentais las.
- D'accord…
- Merci de m'avoir attendu, je ne pensais pas que ça durerait si longtemps…
- Il fallait bien que quelqu'un t'ouvre, quand même.
Gracia avait toujours été précautionneuse, et la disparition de son mari l'avait rendue d'autant plus sévère sur ce genre de détails. La peur, la solitude, sans doute… Il faut dire que pour deux personnes, cette maison semblait très vide. Je comprenais qu'elle ait décidé de la vendre pour s'installer dans un lieu plus petit. Elle nous en avait parlé un petit peu durant ce repas que nous avions passé tous les quatre, après s'être excusée pour le désordre tout relatif de la maison. Elle était en plein dans les cartons, et le lieu avait une aura de bouleversement. J'avais été soulagé de voir qu'Elysia était un peu moins renfermée que la dernière fois que nous l'avions vue. Gracia avait pu, par le biais de l'armée, trouver une place en crèche, ce qui lui libérait une partie de la journée.
- Tu as mangé ? demandai-je en repensant à notre propre repas.
- Un petit peu, répondit-il en haussant les épaules. Mais je n'ai pas spécialement faim, j'ai surtout envie d'enlever ma bande et de prendre une bonne douche chaude avant de dormir.
Je hochai la tête avec un petit sourire triste. Je pouvais le comprendre, je l'avais entrevu dos nu une fois, et j'avais été frappé de voir sa peau rougie et irritée à force d'être comprimée par les bandages. Winry m'en avait touché deux mots, et je savais que c'était la raison pour laquelle elle lui avait fabriqué une bande, dans l'espoir de limiter les dégâts. J'avais du mal à imaginer ce que ça représentait de passer ses journées et parfois ses nuits avec la poitrine aplatie sous des bandages, mais je me doutais bien que c'était désagréable, et que mon frère se plaignait bien moins qu'il l'aurait pu.
- Comment ça s'organise, pour les chambres ?
- Winry dort dans la bibliothèque, et nous avons été installés dans la chambre d'amis.
- Ok.
- Ça va, ça ne t'embarrasse pas trop ? demandai-je d'un ton compatissant. De devoir partager la chambre…
- Ça va, tu es mon frère, rassura-t-il avec un sourire un peu forcé. Je trouverai ça beaucoup plus bizarre de partager ma chambre avec Winry.
- Bah, si j'ai bien suivi, tu as vécu chez Roxane quelques jours, non ? fis-je en souriant pour dissimuler mon amertume.
- Ouais, bredouilla-t-il. Mais c'était pas pareil. Comment dire… ? Roxane, c'est une pote, alors que Winry…
Je ne pensais pas que ma remarque l'aurait fait autant réagir.
- C'est Winry, quoi.
Ça voulait tout et rien dire.
Mon frère poussa un soupir plein de lassitude et leva la tête vers les escaliers.
- Je vais prendre une douche rapide, je te rejoins dans la chambre.
- Tâche de ne pas faire trop de bruit, sa chambre est juste à côté, fis-je remarquer.
- Elle dort sûrement comme une brique, je ne risque pas de la réveiller, répondit-il en souriant avant de monter les escaliers.
C'est vrai qu'elle avait le sommeil lourd, nous nous étions amusés plus d'une fois à ses dépends quand nous étions plus jeunes en lui préparant des farces. En repensant à cette fois où nous avions glissé une souris dans son chemisier pendant qu'elle dormait, je me dis que nous n'étions vraiment pas tendres avec elle à l'époque. Je m'en voulais un peu à présent, pour ne pas dire beaucoup.
Je me retrouvai seul dans l'entrée. Je regardai le manteau rouge qui pendait à la patère, pensif. De quoi avaient-ils parlés ? Pourquoi était-il parti si longtemps ? J'avais l'impression qu'il n'était pas dans son assiette. Il me cachait sans doute quelque chose. Après tout, ça ne serait pas la première fois.
Je revins dans la cuisine pour reprendre le livre que j'avais abandonné sur la table, le refermai, puis éteignis la lumière en ressortant.
A quoi pensait-il ? Impossible à dire. C'était terrible pour moi de voir à quel point mon frère était devenu opaque depuis mon amnésie. Je ne souvenais pourtant de la complicité que nous avions auparavant, quand nous n'avions même pas besoin d'un mot pour deviner les pensées de l'autre. Et maintenant, même quand nous parlions, nous ne nous comprenions pas.
J'éteignis la lampe de l'entrée avant de monter les marches dans la pénombre, n'ayant plus que l'éclairage des réverbères filtrant à travers le verre dépoli de la porte d'entrée pour me guider jusqu'à la chambre. C'était tout juste assez.
La lumière me piqua les yeux quand j'actionnai l'interrupteur, mais je m'accoutumai vite. Je jetai un coup d'œil à la pièce, qui comportait un lit deux places flanqué d'une paire de tables de nuit, une armoire à glace, un petit secrétaire avec son fauteuil, un tapis épais… Ce n'était pas la première fois que je dormais ici, et le lieu me semblait familier après notre dernier séjour, mais comme le reste de la maison, il avait pris une atmosphère nostalgique après la disparition de Hugues.
J'ouvris le sac que j'avais pris et posé au pied du lit pour me mettre en pyjama. J'étais en train d'enfiler le haut quand Edward poussa la porte en débardeur et caleçon, ses vêtements à la main, portant sur les épaules une serviette qui ne dissimulait pas complètement la poitrine qu'il n'avait pas pris la peine de contraindre de nouveau sous sa bande. Mon regard baissa vers elle comme malgré moi, et quand il le remarqua, son visage se ferma.
- Ce n'est pas très prudent de te balader comme ça dans le couloir, non ? demandai-je d'un ton inquiet.
- Gracia et Elysia dorment, rappela-t-il d'un ton sec.
- Ça arrive à tout le monde de se réveiller en pleine nuit.
-Je n'ai pas besoin d'une leçon de morale.
- Je dis ça pour toi.
- Je sais, répondit-il froidement. Mais ça ne change rien.
Il s'assit sur le lit, me tournant le dos, et essora vigoureusement ses cheveux dans sa serviette. Je me laissai tomber sur ce qui allait être mon côté du lit, et l'observai du coin de l'œil. Quand il ne portait ni veste, ni bandages, comme maintenant, sa carrure le trahissait vraiment. Ses épaules étaient trop étroites, et ses cheveux longs accentuaient cette impression. Il plia la serviette en deux et l'étendit au pied du lit, puis soupira.
- Ça va ? demandai-je de nouveau.
- Je… je me sens un peu découragé, murmura-t-il presque pour lui-même après avoir lâché un nouveau soupir.
- A propos de quoi ?
Pendant quelques secondes, je crus vraiment qu'il allait me répondre. Après tout, il m'avait promis de tout me raconter.
- C'est compliqué, fit-il évasivement avant de se ressaisir, me laissant déçu. On va devoir partir tôt demain, on a intérêt à se coucher maintenant. Pour le moment, on a surtout besoin d'une bonne nuit de sommeil.
- D'accord, soufflai-je.
Que pouvais-je dire d'autre, de toute façon ? Edward se glissa sous les draps, et j'en fis autant de mon côté. Puis il éteignit la lumière. La lueur blafarde des réverbères, à travers les rideaux de la pièce, virait à un rose saumon un peu sale. Nous avions oublié de fermer les volets, mais j'avais la flemme de rallumer, me lever et ouvrir la fenêtre pour arranger ça. Je restai à regarder l'ombre des carreaux se découper sur les rideaux, à réfléchir.
Bien sûr, Edward me cachait quelque chose. Je ne savais plus ce qui se passait dans sa tête, mais je le connaissais quand même assez pour ne pas pouvoir passer à côté de quelque chose d'aussi flagrant. Mais c'est vrai qu'il devait être aux alentours de deux heures du matin, et que le réveil risquait d'être rude. Ce qu'il me taisait, il attendait sûrement qu'une nouvelle journée commence pour m'en parler. Je ne devais pas m'énerver contre ça, alors qu'il le faisait sûrement pour notre bien à tous les deux, peut-être pour le mien avant tout.
Je laissai mes pensées vagabonder, cherchant des réflexions moins stressantes pour m'endormir, et le côté saugrenu de la situation me sauta aux yeux.
- Ed…
- Mhm ?
- Tu te rends compte que t'es la première fille avec qui je partage un lit ?
- … Tu veux que je te sorte tes tripes du bide et que je t'étrangle avec ? gronda-t-il d'une voix très basse.
- Pardon, je le disais pas pour être vexant ! C'était pas dans ce sens-là…
- Dans quel sens, alors ? grinça-t-il, désabusé.
- Je sais pas, c'est juste que ça a un côté surprenant, quoi. Quand on y pense, d'un point de vue technique, on est un homme et une femme qui dormons dans le même lit.
- Un frère et une sœur, si vraiment tu y tiens. Pas comme s'il risquait de se passer quoi que ce soit.
- Bien sûr que non ! m'offusquai-je. Ce serait dégueulasse ! C'est juste que je ne pensais pas qu'une situation comme ça arriverait un jour.
- Moi non plus.
- Et tu sais quoi ? ne pus-je m'empêcher d'ajouter bien que je sente son impatience monter peu à peu. Finalement, ça n'est pas plus embarrassant que ça.
- Tant mieux.
Le silence retomba, et je sentis que son mutisme dissimulait une certaine colère pour ce que j'avais dit.
- Dis, je peux te poser une question ? murmurai-je, les yeux levés au plafond.
- Si c'est aussi stupide que ce que tu m'as demandé tout à l'heure, je risque de t'étouffer avec ton oreiller.
- Tu n'es pas obligé de répondre, hein, je comprendrais que tu n'aies pas envie d'en parler, me défendis-je comme je pouvais.
- J'espère bien que j'ai le droit de ne pas répondre !
- Mais ça m'intrigue, quand même.
- … Vas-y, lâcha-t-il de la voix traînante de celui qui regrettait déjà de m'y autoriser.
- Pourquoi est-ce que tu veux à ce point cacher à tout le monde que ton corps a changé ?
Il y eut un long silence. Je me demandai si je ne l'avais pas réellement mis en colère avec mes idioties. Puis je me rendis compte qu'il réfléchissait sérieusement à ma question pour y répondre de manière honnête.
- … Par peur, sans doute.
- Par peur ?
- Oui. Peur du regard des autres, d'être considéré différemment. Qu'on se moque de moi, qu'on me méprise.
- Tu as peur d'être méprisé si on te voit comme une femme ?
- … Oui.
- Je ne vois pas pourquoi. Quand je vois Izumi-sensei, ou le Lieutenant Hawkeye, ça ne me viendrait pas à l'esprit de leur manquer de respect. En quoi tu serais différent ? Pourquoi on te mépriserait si les gens le savaient ? Juste parce que tu serais une femme ? Ce serait complètement injuste, non ?
- …Pfff… tu fais chier. J'en sais rien, grommela-t-il. Tu poses des questions beaucoup trop philosophiques pour l'heure qu'il est.
- Pardon. C'est juste que j'essaie de comprendre.
- Y'a rien à comprendre, il faut juste que je retrouve un moyen de récupérer mon vrai corps. Parce que là… j'ai juste… l'impression de ne plus être moi-même.
- Le sexe qu'on a, est-ce que c'est si important que ça, au fond ? continuai-je, conscient que mes questionnements devaient lui être pénibles alors qu'il voulait juste dormir, mais incapable de m'arrêter de parler pour autant. Je veux dire, est-ce que ça fait de nous une autre personne ? Quand je te vois, j'en ai pas l'impression. Je veux dire, c'est sûr que tu as changé par rapport à mon souvenir, mais je te reconnais quand même, tu restes la même personne. Tu es toujours bagarreur, généreux, impulsif et super fort.
- … Tu as ajouté super fort pour essayer faire passer la pilule, avoue.
- Non, je le pense vraiment, me défendis-je. Tu es Alchimiste d'état, tu transmutes sans cercle, on t'envoie dans des missions super tordues parce que tes supérieurs sont convaincus que tu es le meilleur pour les mener à bien… Et en plus, tu les réussis.
Je fis une pause. Je me demandais ce qu'il pensait exactement... mais au moins, ce qu'il y avait dans ma tête, c'était très clair.
- Tu m'impressionnes, Ed, et je t'admire beaucoup. Ça n'a peut-être aucune valeur que je dise ça, vu que je suis ton frère et tout… mais voilà, je te le dis quand même.
Je repris une grande inspiration dans le silence j'avais lâché ça sans trop réfléchir, et maintenant j'étais gêné. Je me demandais ce qu'il pensait : Est-ce qu'il rougissait face au compliment, est-ce qu'il levait les yeux au ciel d'exaspération en attendant que je la ferme, est-ce que ces paroles le laissaient indifférent ?
- Merci.
Ce n'était qu'un mot, et pourtant, malgré son ton las, je sentis qu'il était sincère. Je souris dans l'obscurité, vaguement rassuré.
- Par contre, ça te va si on dort, maintenant ? murmura-t-il.
- Ouais, acceptai-je, sentant que j'avais déjà beaucoup abusé de sa patience.
- Cool.
- Bonne nuit.
- Bonne nuit.
Je me pelotonnai dans la couverture, lui tournant le dos, tandis qu'il en faisait sans doute de même à l'autre bout du lit. Le sommeil me piquait les yeux, et dormir me ferait du bien. Je me sentais bizarrement apaisé par la conversation. Jamais je n'aurai osé aborder le sujet aussi frontalement il y a un mois, et il me semblait qu'il était parvenu, à défaut de l'accepter, à s'habituer un peu à la situation, et à sortir du déni farouche de ses débuts. Est-ce qu'il serait capable de s'y faire, si la situation ne pouvait pas s'arranger ?
Mes yeux se fermèrent sur ce dernier questionnement, et je sombrai dans un profond sommeil.
Nous étions dans le train depuis plusieurs heures. Winry potassait un livre sur les alliages, les sourcils froncés dans un effort de compréhension extrême. Elle n'était pas un rat de bibliothèque dans mon genre ou celui de mon frère, mais compensait cette faiblesse par une motivation à toute épreuve pour ce qui concernait de près ou de loin les automails.
Edward avait déplié la tablette qui se trouvait sous la fenêtre et écrivait son rapport. Encore. Il passait sa vie à remplir des paperasses sur ses missions. Je le regardais tracer les caractères de sa main gauche, songeant à la lassitude qu'il devait avoir à toujours devoir rendre compte de ses faits et gestes. Il avait passé une bonne partie de son séjour à Rezembool à rédiger son compte rendu de l'attaque du passage Floriane, et maintenant, c'était au tour du transfert de Bald. Il m'avait laissé feuilleter ses notes, et j'avais été impressionné par la précision avec laquelle il retraçait les événements, citant au mot près des dialogues, décrivant l'emplacement des uns et des autres au fil des événements… Comment pouvait-il garder un souvenir aussi clair de tout ce qui s'était passé ? Je pouvais me représenter la scène en le lisant.
Je remis le nez dans ma propre lecture, le laissant noircir des pages et des pages de son écriture mécanique. Faute d'avoir trouvé de nouveaux traités d'Alchimie pour la route, je m'étais replongé dans les carnets intimes de Maman. Celui que je lisais racontait sa rencontre avec Papa et le flirt qui s'en était suivit. Difficile pour moi de ne pas sourire à sa lecture.
« J'étais en train de me disputer avec ma mère au sujet de l'installation de l'étal, je lui disais que le tréteau était mal mis, mais elle répondait qu'elle aurait eu le temps de faire mieux si j'avais été plus dégourdie pour faire ma part du travail. Et c'est comme ça qu'il a cédé quand un chien est passé dessous. Non seulement j'ai eu peur pour la bête, mais en plus, je me suis retrouvée avec une poignée de poireaux dans une main, un bouquet de betteraves dans l'autre, et les pieds enterrés sous un tas de pommes. Pourquoi est-ce à ce moment-là que ce client est arrivé ? J'aurais pu en mourir de honte !
C'était un grand barbu, avec les cheveux longs, et il portait un costume. C'est rare de voir quelqu'un d'aussi peu ordinaire à Resembool. Il était assez élégant, mais avec, comment dire… un petit air lunaire. Il m'avait regardé comme s'il cherchait à me reconnaître, puis avait dit bonjour à ma mère comme s'ils étaient bons amis.
« Trisha, ramasse tes bêtises au lieu de rester plantée là comme une bécasse. » Ma mère était toujours comme ça, sèche et vexante. Alors j'ai commencé à ranger. Jamais je n'avais été aussi embarrassée de ma vie, je crois. Je les entendais discuter. « Oh, c'est Trisha ? Elle a bien grandi ! » « Et toi, tu n'as pas changé, Honenheim, à croire que tu ne vieillis pas… Pas comme moi ! » « Allons, tu es toujours aussi belle. » « Ce n'est pas beau de mentir. » « Et comment va William ? » « Il est mort. Une crise cardiaque, il y un an et demi… » « Oh. Je suis désolé. »
Et là, je me rendis compte qu'il était en train de ramasser les pommes qui avaient roulé dans l'allée et me les tendait gentiment. Je rougissais encore plus en les prenant, les rajoutant dans mon tablier dont j'avais fait un sac de fortune. J'étais tellement confuse que je les fis tomber de nouveau. Ma mère me traita de tous les noms d'oiseaux, et lui éclata de rire. Ça aurait dû me vexer terriblement, mais son rire était tellement dépourvu de méchanceté que je me sentis au contraire soulagée.
Il finit par retrousser ses manches et réparer le tréteau par alchimie avant de nous aider à remonter l'étal. C'était la première fois que je voyais quelque chose de pareil, c'était vraiment très impressionnant !»
Un sourire aux lèvres, je jetai un coup d'œil à mon frère. Elle qui avait été épatée par la réparation d'un simple tréteau, à quel point aurait-elle été admirative si elle avait pu rencontrer Edward aujourd'hui ? Je ne savais pas si elle aurait été fière de moi, mais à coup sûr, elle l'aurait été de mon frère. Cette idée me donna une bouffée de motivation. Moi aussi, je voulais être à la hauteur.
Je posai le carnet sur mes genoux en gardant la page de mon index et levai les yeux vers la fenêtre. Un soleil étincelant avait remplacé la pluie battante de notre départ, éclairant le massif montagneux vers lequel nous nous dirigions. Les arbres, encore luisants de l'averse passée, avaient pris des teintes plus chaudes qui annonçaient l'automne, et la cime des érables et marronniers commençait à rougir. Bientôt, les paysages de campagne deviendraient une explosion de couleurs chatoyantes.
Ce temps magnifique effaçait presque l'inquiétude qui m'avait taraudé toute la matinée, attendant en vain qu'Edward m'en dise plus sur son entrevue avec Mustang. Mais cette discussion était impossible puisque des personnes s'étaient installées dans notre cabine. Une mère et sa fille, toutes les deux rousses avec un visage inondé de taches de rousseur. A un moment, Edward avait levé les yeux vers elles et m'avait chuchoté avec un sourire.
- Elles me rappellent un peu Roxane. J'espère qu'elle va bien.
- La danseuse qui t'a aidée à coffrer Ian Landry ? demandai-je en réprimant une pointe de jalousie.
- Oui. Elle était vraiment sympa, et débrouillarde… Le genre de personne qui arrive à vivre avec presque rien, et en gardant le sourire !
Après ce bref échange, nous étions retournés à nos occupations. Je me laissais bercer par le roulis du train, laissant mes pensées vagabonder. Winry avait fini par abandonner son livre et regardait le paysage de plus en plus accidenté qui défilait sous ses yeux avec une impatience croissante. Nous allions bientôt arriver à Rush Valley. Cela voulait tout dire. Pour une accro des automails comme elle, cette ville était le paradis sur terre. Nous étions censés y passer la nuit et repartir le lendemain pour Dublith, mais je me demandais si notre séjour n'allait pas se prolonger en voyant son enthousiasme débordant.
Le train ralentit tandis qu'elle trépignait intérieurement, Edward leva un regard blasé et rangea ses papiers dans la besace qu'il traînait partout avec lui. Je glissai le carnet de Maman dans mon propre sac de voyage, et Winry attrapa ses bagages. A peine étions-nous arrivés à quai qu'elle déboula hors du wagon comme un boulet de canon, incapable de réprimer davantage son impatience. Il fallut presque lui courir après pour ne pas la perdre, malgré l'énorme sac à dos et la valise qu'elle portait et qui faisait des bruits de casserole à chaque pas.
En arrivant dans une des rues principales de la ville, je n'eus que le temps d'entrevoir les façades aux pierres dorées de soleil et les devantures remplies d'automails étincelants. Winry gambadait d'une vitrine à l'autre, et était sans doute l'incarnation du bonheur à cet instant. Elle tomba en arrêt devant une vitrine, les yeux étincelants en admirant un bras de métal rutilant. J'ouvris de grands yeux, moins à cause de la beauté de la prothèse que de son prix. Elle commença à me décrire par le menu les caractéristiques de ce modèle dont elle avait déjà entendu parler, parlant alliages, vérins, roulements, vernis, câblages, sans vraiment ce soucier de savoir si je comprenais ce qu'elle me disait. Edward, lui, regardait autour de lui d'un air blasé, sans même essayer suivre ses explications.
L'homme qui tenait la boutique avait remarqué son intérêt et sorti pour discuter avec elle, accoudé au chambranle de la porte, un mégot calé dans son sourire en coin. Il tentait des airs charmeurs et elle discutait avec lui avec un large sourire. Je secouai la tête avec un soupir désabusé. Elle était tellement passionnée de mécanique qu'elle n'avait visiblement pas remarqué qu'il tentait de la draguer de manière peu subtile. Le pauvre risquait d'avoir une belle déconvenue quand elle le laisserait en plan pour s'extasier devant l'automail suivant.
Edward s'était adossé à la devanture en poussant un soupir las, attendant que ça se passe, mais se fit attraper le poignet et tirer énergiquement par notre amie qui voulait montrer le seul chef d'œuvre qu'elle avait sous la main. Mon frère enleva son gant et repoussa un peu sa manche à contrecœur tandis que les deux mécaniciens s'extasiaient sur la structure mécanique de ses articulations des doigts. Avant d'avoir compris, il se retrouva entouré d'une foule de personnes qui voulaient voir son automail, le suppliant de se déshabiller pour qu'on puisse voir la structure de l'épaule ou l'articulation de son genou.
- Y'A PAS MOYEN ! ! hurla-t-il en retenant son manteau comme s'il se raccrochait à la vie. ALLEZ VOUS FAIRE FOUTRE BORDEL, JE ME DESHABILLERAI PAS !
- Allez, soit cool ! Regarde je suis torse nu et j'en fais pas un drame ! fit un homme qui portait un automail en guise de bras gauche et claqua des deux mains sur ses pectoraux. C'est pas toi qu'on veut mater, c'est ta mécanique !
- C'EST MORT ! cria-t-il d'une voix éraillée, rouge jusqu'aux oreilles.
Je sentis sa panique. Les gens étaient tellement curieux que pour un peu, il se serait retrouvé en caleçon au milieu de la rue. Sauf qu'avec son corps féminin, il ne pouvait définitivement pas se permettre de laisser ça arriver. C'est pourquoi, quand il parvint à bondir hors de la foule, je laissai traîner ma jambe pour faire un croche-pied « accidentel », coupant un poursuivant dans son élan. Edward profita de ce répit pour traverser la rue, bondir sur le mur du bâtiment d'en face qu'il escalada comme un gros chat avant de sauter sur les toits. En une minute, il avait disparu sous le regard ébahi des passants. J'étais soulagé pour lui qu'il ait réussi à s'échapper, et croisai le regard contrit de Winry qui compris qu'elle était un peu coupable d'avoir laissé la situation dégénérer. Tout le monde la regarda, cherchant une explication à cette fuite. Elle baissa les yeux vers ses ongles en sifflotant pour se donner un air faussement détaché.
- Oui, je sais, il est un peu timide.
- Je ne pensais pas qu'il était possible d'escalader comme ça avec des automails !
- Hé ! C'est que je fais de la qualité ! s'exclama-t-elle avec un clin d'œil.
C'est surtout qu'Edward est un grand sportif, pensai-je intérieurement.
Je levai les yeux vers les toits. Je ne le voyais plus, et je n'avais aucune idée de là où il avait bien pu partir. Il s'était enfui comme un chat sauvage, et je doutais qu'il revienne de sitôt. A sa place, j'aurais été salement échaudé par la situation. Je tournai la tête vers Winry, entourée d'une flopée d'admirateurs qui, à défaut de pouvoir contempler ses automails, se faisaient passer les plans qu'elle avait sortis de son sac en commentant avec enthousiasme tel ou tel élément. J'avais l'impression que le fait qu'elle soit une jolie mécanicienne de quinze ans avait une grosse influence sur l'intérêt qu'elle provoquait, et ça ne me rassurait pas vraiment. Je me retrouvais pris entre deux feux. Laisser Edward fuir sur les toits et maugréer, drapé dans sa solitude et sa peur d'être découvert, ou abandonner sans surveillance une fille franche et manifestement inconsciente de l'effet qu'elle pouvait faire à des adultes peu scrupuleux ?
Pourquoi, à dix ans, je me retrouvais à être le plus sensé de l'équipe ?
- Et toi, tu as des automails ? demanda un grand barbu en se penchant vers moi.
- Ah non, moi je suis entier, répondis-je en tendant mes bras pour leur montrer qu'ils étaient de chair et de sang.
Je perdis aussitôt tout intérêt à leurs yeux, ce qui m'aurait vexé si ça ne m'avait pas arrangé d'échapper à leur curiosité excessive. Je me mordis la lèvre, un peu amer, en songeant que dire que j'étais entier était un peu un mensonge quand on savait qu'il me manquait quatre ans de ma vie. Je repensai à mon frère et à la frayeur qu'il avait dû avoir quand des inconnus avaient commencé à essayer de le déshabiller, puis regardai Winry qui parlait boulons et riait avec des inconnus comme si elle faisait partie d'une bande de vieux copains, et ma décision fut prise. Elle était en pleine avenue, et si elle avait un problème, elle saurait toujours faire usage de ses clés à molette. Après tout, elle s'était déjà bien entraînée sur nous.
Je la tirai par la manche pour la prévenir à l'oreille qu'on se retrouvait à l'hôtel, recevant un hochement de tête, puis m'esquivai sans attirer l'attention. Je montai à mon tour la façade, m'attirant les foudres du propriétaire.
- Hé, vous allez arrêter ça bon sang ? ! C'est pas un mur d'escalade, si vous voulez grimper, allez ailleurs ! tempêta l'homme en sortant de sa boutique.
- Désolé m'sieur, je dois retrouver mon frère ! répondis-je d'un ton enfantin aussi poliment que possible.
Qu'il soit d'accord ou non, j'arrivai vite sur les toits. Je grimpai sur le faîte, puis escaladai la cheminée pour mieux voir à la ronde. Il ne devait pas y avoir des centaines de manteaux rouges se baladant au-dessus de la ville. Je plissai les yeux, me faisant de l'ombre de ma main gauche, et reconnus sa silhouette au loin, vers le sud. Je regardai les toits, les rues, cherchant par ou passer pour le rejoindre, puis au bout de quelques minutes de réflexion, redescendis de mon perchoir pour traverser le toit. Mon itinéraire était tout tracé.
La plupart des maisons étaient couvertes de tuiles courbes en terre cuite, un peu moussues pour certaines, qui glissaient beaucoup moins que les toits d'ardoise que l'on trouvait plus au nord. Ma progression se fit sans difficulté majeure, même si je faisais attention à ne pas tomber. Il y avait bien quatre ou cinq étages sous mes pieds, largement de quoi se casser le cou. De temps en temps, je remontais sur le faîte pour me repérer de nouveau. Je dus marcher sur le toit d'un étroit passage entre deux immeubles, puis sauter trois fois par-dessus des ruelles, et même si elles étaient très étroites, cela me demanda une certaine dose de courage – ou de stupidité. J'étais sûr d'Edward l'avais fait sans même réfléchir. Il était tellement impulsif…
Quand je parvins à ses côtés, mon cœur battait la chamade pour être honnête, j'avais vraiment eu la trouille. C'était une chose de se battre contre des affreux, c'en était une autre de risquer sa vie, tout seul comme un con. Je m'effondrai à côté de lui en poussant un gros soupir de soulagement, le faisant sursauter.
- Ah, tu m'as retrouvé ?
- Oui, tu étais encore à portée de vue.
- Ah.
- Ne t'inquiète pas, personne ne m'a suivi, répondis-je avec un sourire. Il faut être fou pour grimper sur les toits comme ça !
Il se rallongea sur le dos et le l'imitai, croisant les bras derrière la tête.
- Je suis désolé pour tout à l'heure. Tu as du bien flipper.
- Pourquoi tu t'excuses, c'est pas ta faute ! C'est plutôt cette cruche de Winry, elle m'a jeté dans la fosse aux lions, là…
- Ouais. On lui passera un savon quand on sera à l'hôtel.
- ... Tu l'as laissée seule, du coup ? demanda-t-il avec une pointe d'inquiétude.
- Ouais, je sais, ce n'est pas très prudent. Mais bon, si besoin elle est armée, il y a des clefs à molette dans son sac.
Ma remarque lui arracha un sourire.
- Elle se débrouillera, oui. Après tout, c'est une brute. Je me suis toujours dit que si elle se mettait sérieusement à se battre, elle pourrait gagner contre nous.
J'ouvris la bouche et la refermai aussitôt après j'allais m'indigner, mais en y réfléchissant bien, si on excluait l'Alchimie, il n'avait sans doute pas tort. Je laissai passer un long silence, regardant le ciel d'un bleu intense mangé de nuages, tantôt blancs, tantôt gris. Le temps était instable, mais il ne faisait pas vraiment froid. Nous étions en automne depuis quelques jours, mais mis à part un vague rougissement à la cime des arbres, rien ne le faisait encore sentir dans cette région chaude. J'aimais bien cette période, elle donnait toujours envie de profiter des dernières journées ensoleillées sans en perdre une miette. Rester posés sur ce toit à se dorer au soleil correspondait bien à cette envie.
- Ça va mieux ? demandai-je.
- Qui a dit que j'allais mal ?
- … Tu ne te serais pas enfui en courant si tu n'avais pas vraiment paniqué, non ?
- … C'est vrai, murmura-t-il, penaud. J'ai sans doute un peu sur-réagi.
- Je ne pense pas. A ta place, j'aurais sûrement eu peur aussi qu'on me découvre.
- Ce n'est pas juste ça, murmura-t-il avant de se rouler sur le côté, me tournant le dos. Je déteste qu'on me touche.
Un nuage passa, masquant le soleil pendant une petite minute.
- Toi, ou Winry, ça va encore, je vous connais bien, mais… quand c'est des inconnus, ça… ça me dégoûte, avoua-t-il.
Je hochai la tête en silence. Je savais qu'il ne m'avait pas vu, mais je l'écoutais attentivement.
- Il t'est arrivé quelque chose ? tu n'étais pas comme ça, avant, non ? soufflai-je d'une voix douce.
- Je ne sais pas, c'est peut-être bête, mais…
Il prit une grande inspiration.
- Quand j'ai été kidnappé par Ian Landry, à Lacosta… quand le chloroforme a cessé de faire effet, et que je me suis réveillé, il était en train… en train de…
Il bafouillait maladroitement. Je me penchai vers lui et réalisai qu'il avait les yeux humides, le visage rouge. Une angoisse me noua la gorge. Qu'est-ce que mon frère avait omis de dire quand il m'avait raconté ses déboires ? Qu'est-ce qui pouvait le mettre dans cet état ?
- Il était en train de me d-déshab-iller, chuchota-t-il. Il allait… me…
La phrase mourut sur ses lèvres, et il s'arrêta là comme si dire un mot de plus allait rendre son récit trop réel. Il n'était pas utile d'en dire plus pour que je devine ce qui s'était joué ce jour-là. Sachant qu'il s'attaquait à un proxénète, je n'avais pas besoin d'être un génie pour comprendre qu'il avait essayé d'abuser de son corps. J'étais mortifié. J'avais du mal à imaginer pleinement ce que ça représentait, du haut de mes dix ans et de mon inexpérience, mais je pouvais être sûr d'une chose : à sa place, j'aurais vraiment détesté ça.
- Je l'ai frappé tellement fort que j'aurais pu le tuer, murmura-t-il en reprenant son récit. J'en ai cassé l'applique où étaient accrochées mes menottes. Au final, il ne m'est rien arrivé de vraiment grave, pas comme les autres filles qu'il avait enlevées… mais je ne peux pas m'empêcher de penser que si… si j'étais resté inconscient plus longtemps… Si je n'avais pas su me défendre, si…
« Si je m'étais fait violer. » la phrase était restée en suspens mais je l'avais quand même entendue, et je déglutis, les sourcils abattus par la peur qu'avait vécu mon frère et le malaise que me procurait cette idée. C'était encore pire que se battre et d'être blessé. C'était quelque chose que je ne pouvais pas comprendre. Les mains baladeuses des passants de tout à l'heure devaient prendre une toute autre dimension avec ce souvenir en tête. Il y avait de quoi avoir une peur panique. Comme s'il avait compris ce qui se disait sur les toits, le soleil s'était dérobé derrière un voile de nuages gris.
- Maintenant, je déteste qu'on me touche, conclut-il d'une voix rauque.
- Je comprends… murmurai-je sans être tout à fait sûr d'avoir compris en réalité. … mais moi, ça va ?
- Ouais. Toi ça va.
- Tu veux un câlin ? proposai-je maladroitement.
Il ne répondit pas, mais se glissa un peu plus près de moi, calant sa tête sur mon épaule. Quand il était comme ça, il me rappelait vraiment un chat. Ça tombait bien, j'adorais les chats. Je caressai machinalement ses cheveux ébouriffés dans un geste réconfortant. Il tâchait de toujours se montrer fort et assuré, mais dans un moment comme ça, je me rendais compte à quel point avoir ce corps de fille le rendait vulnérable. C'était pour lui un véritable handicap.
Il devait tellement détester ça. J'eus honte de ce que j'avais dit la nuit précédente, de la légèreté de mes propos. Sa transformation n'était peut-être pas grave à mes yeux, mais elle l'était pour lui. Parce que, peu importe qui il était réellement, le regard des gens changeait quand ils le faisaient basculer dans l'autre moitié de la population, et leur comportement avec. Avec des conséquences très réelles. Et ça, je ne pouvais décemment pas dire que c'était "sans importance".
Je laissai passer un long silence, tandis que les nuages s'amoncelaient de plus en plus au-dessus de nos têtes, prenant une couleur sombre peu engageante, puis Edward s'écarta pour s'asseoir en tailleur. Je me redressai à mon tour et tournai vers lui un regard attentif.
- Puisqu'on est dans les aveux, Al, il y a quelque chose d'autre que je dois te dire…
- Oui ? demandai-je sans tourner la tête.
- Par rapport à ma discussion avec Mustang hier soir… Ce n'est pas vraiment une bonne nouvelle. En fait, c'est vraiment une mauvaise nouvelle…Je ne sais pas comment te le dire…
- Je t'écoute, fis-je sans prêter attention au claquement de quelques lourdes gouttes
- En fait, quand j'étais chez lui, il m'a donné un dossier sur Juliet Douglas, et en le regardant, je me suis rendu compte que…
Une averse coupa mon frère au milieu de sa phrase. La pluie s'était abattue comme un rideau, et en quelques secondes, nous fûmes trempé jusqu'à l'os.
- Rhaah, merde ! pesta mon frère en se redressant, essuyant l'eau qui lui avait coulé dans les yeux.
- Il faut qu'on redescende et qu'on s'abrite !
- Merci pour le lieu commun !
Nous nous levâmes à la hâte pour chercher ou nous protéger, beaucoup moins à l'aise sur les tuiles maintenant luisantes de pluie et dangereusement glissantes. Edward montra du doigt un endroit ou le bâtiment donnait sur une extension.
- Descend par là, il y a la gouttière !
J'obéis sans discuter, l'eau collait mes vêtements à ma peau et la température avait salement chuté. Si nous ne nous réfugiions pas très vite, nous risquions de tomber malade. Difficile de croire qu'il y avait un beau ciel bleu il y a une demi-heure à peine, pensai-je en descendant aussi vite que possible, Edward me suivant de près. Une fois sur le toit du bâtiment, j'avançai à pas rapides vers le rebord de tuiles, et en voyant la hauteur qui nous restait et sentant la pluie virer à la grêle, je ne réfléchis pas davantage et sautai directement à terre. Même en ayant l'habitude de bondir de belles hauteurs, il y avait plus de deux mètres et le choc fut violent pour mes genoux. J'ouvris la bouche dans une exclamation silencieuse de douleur, entendant Edward bondir à côté de moi. Il m'attrapa par le poignet sans attendre que je sois remis de mon atterrissage et me traîna dans la première boutique venue. La porte se ferma derrière nous sans parvenir à étouffer complètement le crépitement sonore des grêlons.
- Bonjour ! lança poliment le vendeur depuis son comptoir.
- Bonjour, fis-je. Désolé, on est entré en trombe à cause de la pluie…
- Hola, je vous comprends vu ce qui tombe ! Ne vous inquiétez pas, prenez votre temps ! répondit aimablement de grand brun en souriant de toutes ses dents.
Comme nous n'avions que ça à faire, nous restâmes dans la boutique. Après avoir essoré le bas de mon T-shirt et essuyé mes semelles sur le tapis de l'entrée, j'avais commencé à faire le tour de la pièce, observant les pièces de mécanique exposées soigneusement dans la boutique. Les lieux étaient petits et assombris par le temps morose, la pièce sentait le métal, l'huile et la graisse. L'atmosphère était agréablement familière, elle me rappelait l'atelier de Winry et Pinako. Mais je m'en rendais compte, elles faisaient les automails pour une personne spécifique, elles n'étaient pas du genre à exposer des prothèses neuves dans des vitrines.
- Il va falloir qu'on retrouve Winry, fis-je remarquer, les mains dans le dos, les yeux levés vers un bras mécanique.
- Oui. On est censés se retrouver à l'hôtel, je suppose ?
- L'hôtel de la gare, c'est ça qu'on avait dit dans le train, non ?
- J'espère que vous vous êtes mis d'accord, je n'ai pas vraiment eu le temps de confirmer ça avec vous, fit remarquer Edward en se grattant la joue avec un sourire gêné.
- Moi non plus, avouai-je avec un sourire tout aussi embarrassé.
- Vous cherchez quelque chose en particulier ? demanda le vendeur d'un ton affable.
- Non, je suis déjà équipé, répondit mon frère en baissant sa manche pour montrer le poignet de son automail. J'ai une mécanicienne attitrée, elle me tuerait si je lui faisais des infidélités.
Cette phrase résonna comme une pique dans ma tête sans que je sache pourquoi au juste. Il souriait avec aplomb, et le vendeur éclata de rire.
- Je comprends ce que je tu veux dire, petit !
- QUI VOUS TRAITEZ DE DEMI-PORTION QUE L'ON NE REMARQUE MÊME PAS DANS LA BOUTIQUE ?!
- Ed, il n'a pas dit ça, fis-je remarquer d'un ton apaisant en posant une main sur son épaule pour éviter qu'il ne lui saute à la gorge. Désolé, mon frère est un peu susceptible, dis-je d'un ton d'excuse.
Les quelques minutes passées dans la boutique en attendant que la pluie cesse me parurent très longues après ce petit démarrage embarrassant. Le vendeur n'osa plus dire un mot, et l'ambiance était devenue très lourde. Finalement, le temps s'éclaircit de nouveau, et nous quittâmes la boutique avec un « au revoir » poli pour nous diriger vers la gare. Les grêlons tapissaient encore le sol, certains gros comme des noix, mais avec le soleil qui revenait, ils allaient sans doute fondre rapidement. Les gens ressortaient comme si de rien n'était, reprenant leurs activités.
- Je ne m'attendais pas avoir une grêle pareille, on est encore en été pourtant !
- Plus vraiment, techniquement, on est en automne depuis quelques jours rappelai-je. Et puis, on est en montagne, ici. Le temps est souvent instable dans les hauteurs.
- C'est vrai.
Ses paroles avaient fait naître chez moi une profonde angoisse, mais je sentis, à mon grand regret, que le moment était passé, et qu'il ne se sentait pas d'en parler alors que n'importe qui alentour pourrait l'entendre. Dans les rues très animées, notre chemin croisa celui de mineurs qui rentraient du travail, couvert de terre, de poussière et de charbon, puis nous arrivâmes à l'hôtel. Edward entra le premier, poussant la porte sans hésitation. Le bâtiment était chic, plus destiné aux riches clients qui venaient choisir des automails luxueux qu'à ceux qui travaillaient ici. Comme toujours dans ce genre d'endroits, je me sentais intimidé. Mon frère, lui, traversa la grande entrée et se planta devant l'accueil le plus naturellement.
- Bonjour, avez-vous une chambre au nom de Rockbell ? Une fille blonde de notre âge.
- Rockbell… Je ne crois pas, non, ça ne me dit rien.
L'hôte d'accueil héla une collègue qui secoua négativement la tête.
- Non elle n'est pas encore arrivée.
- Ah, mince, j'espère qu'elle ne s'est pas gourée d'hôtel, je ne sais pas comment on va la retrouver sinon, murmura Edward avec un soupir blasé. Elle et son obsession des automails !
- Ne vous inquiétez pas, il n'y a pas beaucoup d'hôtels dans la ville, elle devrait vous retrouver facilement. Et comme les magasins ferment vers sept heures, elle devrait vous rejoindre bientôt.
J'échangeai un coup d'œil avec mon frère. Si elle n'était pas revenue à huit heures, nous partirions à sa recherche sans hésiter. D'ici-là, on allait supposer qu'elle avait été trop absorbée par la mécanique pour penser à nous, ce qui restait le plus probable. Nous aurions peut-être été plus méfiants si nous n'étions pas trempés jusqu'aux os et tremblants de froid. Edward prit la clé de notre chambre et monta dans l'ascenseur, visiblement conscient de ma présence.
- Ça te gène si je prends ma douche en premier ? demanda-t-il.
- Non, pas du tout, répondis-je.
Une fois dans la chambre, nos sacs atterrirent au pied des lits. La pièce était lumineuse et plutôt ordonnée, les trois lits faits au cordeau, le sol couvert de tapis moelleux. En voyant les lieux accueillant, je poussai un soupir d'aise.
Je retirai mon T-shirt et mon pantalon pour les étendre sur le radiateur en attendant qu'Edward me cède la place. Malgré le temps capricieux, il faisait bon dans la pièce, je me rassurai en me disant que je ne tomberai pas malade pour si peu. Quelques minutes plus tard, Edward ressortit de la douche, la serviette sur les épaules, en caleçon et débardeur, ses autres vêtements au bras. Cette fois-ci, il avait pris la peine de dissimuler de nouveau sa poitrine en la compressant dans le vêtement que Winry lui avait fabriqué.
- Ça marche plutôt bien, ce truc, commentai-je en constatant qu'il était impossible de deviner que sous son débardeur se trouvait autre chose que des pectoraux bien développés.
S'il n'avait pas les épaules aussi rondes et étroites, il pourrait tout à fait passer pour un garçon. Comme s'il avait entendu mes pensées, il attrapa sa veste et l'enfila.
- Heureusement que ça marche bien, parce que c'est quand même galère à mettre et désagréable à porter… En plus j'ai eu du mal à le fermer, à croire que ces saletés ont grossi.
- C'est bien possible qu'ils aient grossi, non ? fis-je en toute innocence.
- Là, c'est le moment ou si tu étais un bon frère, tu me rassurerais en disant que je me fais des idées et qu'ils n'ont probablement pas changé de taille, pesta Edward en enfilant son pantalon.
- Et si tu galères à enfiler ton pantalon, c'est parce qu'il a rétréci au lavage, du coup ? demandai-je d'un ton taquin.
- Si c'est pour te foutre de ma gueule, va plutôt prendre ta douche, balança-t-il en me jetant sa serviette au visage.
Me mordant la lèvre sans pouvoir réprimer mon sourire, j'obéis et me dirigeais dans la salle de bain sans rien ajouter de plus.
Une douche plus tard, réchauffé et ragaillardi, je retrouvai Edward assis sur mon lit, le combiné de téléphone à la main.
- L'accueil vient de téléphoner, Winry est arrivée, elle monte nous rejoindre.
- Ah, super ! m'exclamai-je en réalisant que la nouvelle me soulageait quand même pas mal.
Je jetai un coup d'œil au ciel qui s'assombrissait en me séchant vigoureusement les cheveux avec ma serviette. Cette demi-journée à Rush Valley était passée terriblement vite.
- Hello les garçons ! s'exclama Winry en jaillissant dans la pièce avec un bras levé qui laissait voir son enthousiasme. Devinez quoi ?
- Tu t'es fait des copains ? fit sarcastiquement Edward en se laissant tomber à plat dos sur le lit où il rebondit légèrement.
- On peut dire ça comme ça, répondit la blonde en penchant la tête de côté avec un sourire de chat. J'ai discuté avec un prothésiste de mon projet d'automails réalistes, il a été super emballé, du coup, Ed, on a rendez-vous demain matin pour un moulage de ton bras et de ta jambe.
- MAIS CA VA PAS DE PRENDRE DES DECISIONS COMME CA SANS ME DEMANDER MON AVIS ? s'exclama mon frère en se redressant brutalement.
- Hé, attend, c'est une occasion en or ! Il est spécialisé en fausse peau, il travaille un matériau de pointe qui s'appelle le latex. C'est souple et élastique comme de la peau, on peut le teinter dans la masse et peindre dessus, il m'a montré ce qu'il faisait, c'est vraiment fascinant.
- Mais toi qui aimes tant le métal, pourquoi t'entêtes-tu à vouloir cacher mon automail là-dessous ? soupira Edward.
- Pour que tu puisses te travestir à l'aise, répondit-elle le plus naturellement du monde. Souviens-toi, quand tu es allé rencontrer Scar, tu as été obligé de porter des collants en laine épaisse, c'était moche, non ? avec ça, tu pourrais même mettre des bas transparents.
- Voila qui va révolutionner ma vie, pour sûr, ironisa mon frère. Tu veux pas dépenser ton argent à quelque chose de plus utile ?
- Nope ! C'est le projet le plus intéressant que j'ai eu depuis des années, je suis sûre que je vais en apprendre beaucoup !
- Tu peux parler, j'irai pas à ce rendez-vous, soupira Ed en se rallongeant, blasé.
- Bien sûr que si tu viendras ! tempêta-t-elle.
- Winry, Edward… tentai-je d'un ton apaisant pour me défaire du sentiment d'être pris entre le marteau et l'enclume.
- Non, je ne viendrai pas. Tu sais pourquoi Winry ?
- Parce que tu es une tête de mule capricieuse qui refuse qu'on l'aide ?
- Tu parles de moulage… mais tu espères quoi ? Que je me déshabille devant un inconnu pour qu'une personne supplémentaire, que je ne connais pas, et en laquelle je n'ai aucune confiance en plus, connaisse mon secret ?
Le silence retomba, Winry réalisa qu'elle avait totalement ignoré cet aspect des choses. Je comprenais le mécontentement d'Edward, mais j'étais un peu peiné pour elle aussi. Depuis que nous étions rentrés à Rezembool et qu'elle avait entendu parler du travestissement d'Edward, elle travaillait d'arrache-pied sur cette idée de nouvelles prothèses, et y mettait vraiment tout son coeur.
- Si c'est juste pour avoir un projet intéressant, grommela mon frère, demande à quelqu'un d'autre de te servir de cobaye. Après tout, dans cette ville tu trouveras sûrement des gens tout à fait disposés à te rendre ce service.
- Ed, tu es un imbécile… Je fais ça pour t'aider, ce n'est pas juste un caprice.
- Winry, si cette idée de prothèse réaliste m'était utile ne serait-ce qu'une fois à l'avenir, je te promets de t'offrir tous les métaux que tu veux jusqu'à la fin de tes jours. Parce que je sais que ça n'arrivera pas.
- Alphonse, tu as entendu ce qu'il a dit ? s'exclama la mécanicienne d'un ton pugnace. Tu es témoin !
Après avoir été spectateur, je me retrouvais juge et arbitre.
- Je ne m'immisce pas dans vos guéguerres, marmonnai-je, craignant les retombées de cette discussion.
- Ça va, je ne prends pas de gros risques. Je te signe même un contrat, si tu veux ! claironna mon frère d'un ton un peu provoquant.
Mon instinct me dictait qu'Edward faisait une erreur monumentale.
- Deal ! Al, file-nous du papier ! s'exclama la blonde.
Dans ce contexte, je ne pouvais qu'obéir, même si je trouvais la situation complètement stupide. Je me dirigeai vers le petit secrétaire qui se trouvait sur la fenêtre et attrapais le papier à en-tête de l'hôtel pour leur tendre. Winry déboucha son stylo et le tendit à Edward pour qu'il écrive, ce qu'il fit avec un sourire mi-blasé, mi-amusé.
- Je soussigné… énonça-t-il en écrivant. Edward Elric… jure sur l'honneur… avoir promis à Winry Rockbell… de lui fournir… tous… les métaux qu'elle lui demande…
- Jusqu'à la fin de tes jours ! rappela-t-elle, les sourcils froncés de sérieux.
- … jusqu'à… la fin… de mes jours… si le recouvrement… de mes nouvelles… prothèses s'avère m'être utile au moins une fois.
Je secouai la tête avec un soupir désabusé. Edward et Winry, quand ils parlaient affaires, avaient tout de deux gosses jouant aux grandes personnes. Ce contrat était insensé, comme la plupart de leurs discussions en fait.
- Fait en trois exemplaires le… On est quel jour déjà ?
- Le 24 septembre, répondis-je aussitôt.
- Le 24 septembre 1914, à Rush Valley, entre Edward Elric et Winry Rockbell, avec pour témoin Alphonse Elric.
Edward acheva son texte et le recopia sur deux autres feuilles, et estampilla les trois papiers de sa signature surmontée de la mention "lu et approuvé, Edward Elric". Il passa les feuilles à Winry qui parapha à son tour, puis le papier atterrit devant moi. Je n'avais pas d'autre choix que d'ajouter mon nom à la page, ce que je fis en secouant la tête.
- Vous savez que je n'approuve pas du tout votre idée de contrat à la con ? informai-je.
Edward m'ébouriffa les cheveux avec un sourire amusé, signe qu'il ne prenait vraiment pas l'affaire au sérieux.
- Disons qu'on s'amuse comme on peut, répondit-il. Ça vous dit d'aller manger quelque part ? J'ai l'estomac dans les talons.
