Et voila, le nouveau chapitre est arrivé ! Je pense que vous l'avez attendu, celui-là ! (Oui, le point de vue de Roy est rare, mais c'est ce qui lui donne de la valeur, en même temps !)

Pour l'illustration, je n'ai pas fait ce que j'avais initialement prévu, faute de temps je suis partie sur quelque chose de plus simple mais plaisant à faire (vous pouvez, comme toujours, la retrouver sur Deviantart)Pourquoi je manque de temps ? Parce que je travaille sur la réédition de mon doujin Sweet Suicide, et que c'est un gros morceau !

L'instant pub

Si je vous en parle, c'est parce que c'est un doujin basé sur Fullmetal Alchemist, et donc qu'il y a des chances pour que ça vous intéresse. C'est un Royed qui se passe 3 ans après le film Conqueror of Shambala, que j'ai scénarisé et dessiné avec amour durant quelques années. Comme j'arrive en rupture de stock de la publication par chapitre, j'ai mis en place une campagne Ulule afin de pouvoir réimprimer les livres dans une version revue et corrigée, avec des bonus et des goodies pour l'occasion. Si le projet vous intéresse, n'hésitez pas à aller sur ma page de profil pour en savoir plus !

Fin de l'instant pub

Assez parlé, maintenant je me tais et je laisse la place à Roy Mustang. Bonne lecture à tous !


Chapitre 32 : Attentes (Roy)

La lumière bleutée qui précédait l'aube me tira doucement du sommeil. Je levai les yeux, ne reconnaissant pas le plafond que je voyais au-dessus de ma tête. Un léger mal de crâne m'assaillit, comme pour me raccrocher un peu plus à la réalité.

Nous étions le lundi 2 octobre, et je n'étais pas chez moi. Je tournai la tête à ma droite, retrouvant sans surprise celle avec qui j'avais passé la nuit. Rosemary, une blonde dont les cheveux bouclés faisaient un nuage angélique autour de son visage fin. Je l'avais rencontrée la veille, alors qu'elle sortait avec des amies pour se changer les idées après une rupture difficile, et je l'avais draguée sans trop savoir pourquoi. Sans doute parce que j'avais besoin, moi aussi, de me changer les idées. Comme ma réputation m'avait précédé et qu'elle savait à quoi s'en tenir, nous nous étions offert une soirée en tête-à-tête pleine d'humour et d'œillades, sans ne rien espérer de plus qu'un bon moment sans conséquence, qui avait débouché sur le scénario attendu.

Mais maintenant, la récréation était terminée, il était temps que je me lève et que je me prépare pour retourner au QG, si l'en croyais l'heure qu'affichait son réveil.

M'aidant de la lumière vague du petit jour, je ramassai mes vêtements un à un, les cherchant le plus discrètement possible, avant de partir en infiltration dans sa salle de bain pour une douche rapide. Une fois propre et habillé, je vins dans cette cuisine que je n'avais fait que traverser la veille au soir, avisai un bloc-notes, et y laissai deux lignes.

« Merci pour cette soirée, en vous souhaitant de croiser le chemin d'une personne qui aura la chance de vous aimer pour le reste de votre vie. Roy Mustang. »

Voilà. Ce n'était pas grand-chose, mais ça venait du cœur. Ce n'était pas parce que j'étais un habitué des conquêtes sans lendemain et que je fuyais l'engagement comme la peste que je n'étais pas capable de le souhaiter aux autres. Tout en jetant un dernier regard circulaire à cette pièce plongée dans la pénombre, je renfilai mon manteau avec un sourire un peu nostalgique. Quelques pas seulement me séparaient de la porte, que je refermai soigneusement derrière moi en faisant le moins de bruit possible, ne voulant pas froisser ce souvenir prématurément.

Cela faisait un moment que je ne m'étais pas octroyé ce genre de soirées, et pour être honnête, ça m'avait quand même manqué. Il faut dire qu'entre la disparition de Hugues, ma mutation à Central, nos démêlées avec les terroristes et ces histoires d'Homonculus… Tout cela était quand même assez envahissant, et m'avait privé de ce genre de satisfactions. Malgré la fatigue, je me sentais un peu ragaillardi. La découverte d'un corps, ces rencontres sans lendemain où l'on flattait l'ego de l'autre, faute d'avoir le temps de découvrir ses défauts, le frisson de la première fois… Non, décidément, les choses étaient plus simples comme ça. Les avantages sans les inconvénients.

Le ciel s'était éclairci, le soleil avait sans doute commencé à dépasser un horizon masqué par les immeubles de la ville. Je sentis la faim me tenailler et poussai la porte d'un café pour commander un café et un croissant au comptoir, que je savourai tranquillement.

On disait de moi que j'étais un arriviste. Je ne pouvais pas le nier, puisque je visais le sommet. On disait de moi que j'étais un coureur de jupon, et c'était vrai aussi. J'avais partagé le lit de dizaines de femmes, blondes, brunes, rousses, grandes ou petites, sveltes ou callipyges, silencieuses ou bavardes, toutes différentes, toutes belles. Je sentais souvent peser sur moi le regard méfiant de celles qui craignaient que je tente de les charmer contre leur gré, ce que je ne faisais pourtant jamais, et des hommes, jaloux de me voir réussir là où ils échouaient. Ils ignoraient que ce talent n'avait rien d'inné, que séduire était un art qu'on m'avait enseigné depuis l'enfance, et pour lequel j'avais payé le prix fort.

Enfin, je comprenais bien qu'on puisse me détester. Quelquefois, j'aurais aimé qu'une qualité notable contrebalance ces critiques, mais j'étais bien forcé d'admettre qu'en dehors de mon travail dans l'armée et de mes conquêtes, il n'y avait pas grand-chose à dire de moi. Ou du moins, pas grand-chose que j'étais prêt à partager. J'esquissai un sourire amer en reposant ma tasse vide, songeant que je n'étais vraiment pas le genre de personne qu'on pouvait décemment aimer.

C'est sûrement plus simple comme ça, pensai-je en remettant mon manteau.

Je payai l'addition, puis sortis pour me diriger vers le Quartier Général. Vu l'heure et la distance, cela ne valait pas la peine de prendre le trolley. Je marchai donc le long des voies, observant silencieusement la rue qui s'animait peu à peu. Comme si je changeais de peau, j'abandonnai mes réflexions sur ma vie personnelle et replongeai dans l'affaire en cours.

Beaucoup de bouleversements en peu de temps. Dire qu'il y a trois jours, j'étais encore en examen pour insubordination, et que depuis, mon équipe avait été mise sous surveillance, à cause de cette histoire de taupe. Ils avaient même soupçonné Havoc. Havoc, bon sang, peut-être le mec le plus loyal que je connaissais ! J'avais dû prendre sur moi pour ne pas m'indigner de cette situation que je jugeais ridicule. Conclure que mon équipe était suspecte juste parce que les terroristes s'étaient attaqués au passage Floriane peu de temps après notre arrivée, c'était tout de même très simplet. Surtout quand c'était nous qui étions intervenus au moment critique.

Bref, j'étais responsable d'une mission secrète, mais privé de mon équipe, ce qui limitait quand même cruellement les mouvements. Au moins, ils avaient rapidement admis qu'Hawkeye n'avait aucune raison d'être soupçonnée. Je la connaissais depuis assez longtemps pour savoir qu'en aucune occasion, elle n'aurait pu créer des liens avec nos ennemis. Aussitôt innocentée, je lui avais confié une mission ingrate. Avec une deuxième personne dans l'affaire, les choses sérieuses pourraient commencer.

Quand on m'avait annoncé le massacre du fourgon de transfert, jeudi dernier, j'avais d'abord blêmi. Ce n'était pas seulement l'horreur à l'idée des soldats morts bêtement à cette occasion (même si j'avais vraiment tenté d'avertir du danger les gradés qui essayaient de me faire avouer quelque chose, eux-mêmes ne sachant pas trop quoi) mais aussi le découragement en réalisant que tous nos prisonniers, nos potentiels témoins, avaient été tués, me privant de l'espoir de remonter aux origines de ce groupe terroriste qui nous pourrissait la vie depuis plusieurs années maintenant. Bien sûr, il y avait eu des interviews, mais elles n'avaient rien donné de très concret jusque-là, et toutes les tâches annexes nous avaient un peu submergés.

Ceci dit, il y avait eu une retombée positive. La commission, qui voulait me punir pour abus de pouvoir, était revenue sur sa décision en apprenant l'événement. Ce genre de transfert n'était pas connu du grand public, et pour que l'attaque ait eu lieu, il fallait forcément que quelqu'un dans l'armée ait averti les terroristes. Mon histoire de taupe au sein de l'armée m'avait fait passer du statut de fabulateur à celui de visionnaire. Je trouvais cela un peu facile de leur part, mais si au moins, ils avaient cessé de me chercher des noises, je n'allais pas m'en plaindre. De manière assez prévisible, ils m'avaient sommé de démasquer la taupe en question, puisque j'avais déjà eu le temps de réfléchir sérieusement à la question.

Plus que jamais, démanteler ce réseau était indispensable à ma carrière : il fallait que je prouve que j'étais capable de venir à bout des problèmes les plus ardus, et gagner la confiance de mes supérieurs, victoire par victoire, pour continuer à monter en grade… mais avec la disparition de nos prisonniers, je me retrouvais au même point qu'avant, avec en plus la rage de voir mes efforts réduits à néant.

Alors, quand Fisher, la secrétaire du Général Erwing, était arrivée à mon bureau en nous annonçant qu'il restait un survivant, un des terroristes qui n'avait pas été transféré parce qu'il était encore dans le coma et était resté en soins intensifs, l'espoir, si maigre soit-il, m'avait presque donné envie de l'embrasser. Si cet homme survivait et se réveillait, alors peut-être que nous pourrions remonter plus haut dans la hiérarchie de l'organisation, peut-être même la démanteler. C'était lui que je devais protéger. Lui qu'Hawkeye et moi devions surveiller sans relâche pour le protéger de la mort.

Après avoir reçu cette information, j'étais allé voir le Général Erwing en personne pour discuter avec lui. En attendant d'en savoir davantage, j'avais préconisé de garder l'information secrète. Après cela, j'étais sorti pour aller à l'hôpital dans le service concerné, me renseigner plus en détail sur l'état du patient. Il était gravement blessé, et ne retrouverait probablement jamais l'usage de ses jambes, mais ses jours n'étaient plus en danger. J'expliquai rapidement la situation et demandai à ce qu'il soit transféré dans une chambre dont l'emplacement serait tenu secret, du moins jusqu'à ce que les choses s'éclaircissent un peu.

Ma station suivante avait été le lieu de l'attaque. Profitant du trajet qui me séparait encore de mon bureau, je me replongeai dans ce souvenir pour mieux me remémorer les détails.


Il devait être à peine une heure de l'après-midi quand je rejoignis l'adresse des lieux à quelques minutes à peine de la prison. Tout d'abord, je ne vis que l'attroupement de badauds qui commentaient la situation avec une curiosité malsaine. Je dus m'imposer pour réussir à me frayer un chemin jusqu'au cordon de sécurité, et passer sous la barrière symbolique. Puis j'étudiai la scène.

Une bande cloutée avait été déroulée sur la chaussée, visiblement la cause de l'accident : Une fois les pneus crevés, le véhicule avait zigzagué et terminé sa course dans la devanture d'une modiste. Le pare-chocs avait fait exploser la vitrine, dont les éclats parsemaient toute la boutique, enneigeant les chapeaux et foulards de fragments acérés.

Mais cela me concernait moins que ce qui s'était passé après, aussi me détournai-je rapidement pour observer le fourgon. En une demi-journée, l'équipe avait eu le temps d'amasser énormément d'indices et étaient en train de finir d'évacuer les corps pour les apporter au médecin-légiste. Certains relevaient les dernières empreintes digitales au fond du camion, ou prenaient des photos de là où gisaient les cadavres. Le lieutenant Kramer, me reconnaissant, me fit apporter une enveloppe contenant les premiers tirages des photos prises à leur arrivée. Je me devais de reconnaître leur efficacité. Je pus donc, à l'aise, arpenter les lieux, comparer les clichés avec la scène qui avait été le théâtre d'un morbide spectacle, en discutant avec mon collègue de ses premières hypothèses, pendant que ses subalternes continuaient à photographier, récolter les indices et les témoignages.

Beaucoup de choses restaient à étayer, mais tout portait à croire qu'ils avaient été victime d'un brutal guet-apens durant le transfert matinal des prisonniers pour un nouvel interrogatoire. Il y avait six militaires, le conducteur et son copilote, les autres dans le camion pour surveiller les terroristes. Les pneus crevés avaient créé un premier choc, puis les assaillants avaient profité de l'effet de surprise pour achever les soldats d'une balle dans la tête ou dans le cœur. C'était net, sans bavures. Du travail de professionnel.

Ce qui était plus étonnant, c'était le septième corps, celui d'un des prisonniers. Si les autres s'étaient enfuis, malgré des blessures pour certains (des traces de sang avaient tâché le bitume jusqu'à un véhicule dans lequel ils s'étaient embarqués pour fuir), ce dernier n'avait pas eu cette chance. Le corps était déjà parti chez le médecin légiste, mais des polaroïds attestaient de son triste état. L'hypothèse à laquelle nous nous étions rangés spontanément en voyant le corps désarticulé était que l'homme était trop gravement blessé suite à l'accident pour pouvoir suivre, et qu'ils l'avaient donc abandonné en s'assurant qu'il ne pourrait pas donner d'informations supplémentaires à l'armée. Froidement logique. C'était sinistre, mais enquêter contre ce réseau m'avait habitué à ce genre de raisonnements extrémistes. Il fallait tout intellectualiser, pour comprendre le plan derrière les barbaries.

J'avisai, un peu plus loin, parmi les témoins racontant ce qu'ils avaient vu ou en entendu de la scène, une femme plutôt élégante, assise à une table de fortune, en train de discuter avec un militaire qui prenait des notes. Kramer remarqua que mon regard avait glissé vers elle et s'autorisa un sourire.

- C'est la propriétaire de la boutique de chapeau. Elle est arrivée il y a quelques heures, et comme elle ne peut pas ouvrir dans ses conditions, passé le choc, elle négocie des dédommagements. Il y en a qui ne perdent pas le nord ! ajouta-t-il avec un soupir qui hésitait entre l'amusement cynique et la lassitude.

Je jetai un nouveau coup d'œil à la femme. Elle devait avoir à peu près mon âge, portait un chapeau plutôt plus sobre que ce qu'elle vendait en boutique, et avait une tenue tirée à quatre épingles qui détonnait à côté de la table pliante défraîchie à laquelle elle était accoudée et de la carcasse de voiture emboutie dans le mur fracassé. Et pour ne rien gâcher, elle était plutôt jolie.

Bon, je trouvais souvent les filles jolies… mais je n'étais pas là pour ça. Je discutai encore un peu avec mon collègue, sans mettre à jour d'informations immédiatement utiles pour ma propre affaire. Je conclus rapidement la discussion, lui demandant de me transmettre tout ce qui serait susceptible de permettre de les retrouver. Étant plus haut gradé que lui, et ayant l'aval du Général Erwing, il pouvait difficilement me refuser ça.

Le temps que notre discussion arrive à son terme, le dernier corps avait été évacué, et le reste de l'équipe avait commencé à extraire le fourgon, qu'une dépanneuse allait amener au laboratoire de la section criminelle. Sans négliger de prendre une foule de photo et de ramasser les derniers éléments potentiellement utiles à l'enquête, l'équipe reflua, remballant son matériel et laissant les lieux étrangement vides après ce fourmillement d'activité. Je saluai Kramer et fit quelques pas vers les témoins. La modiste, qui avait été libérée de sa discussion, tourna la tête vers moi. Ses sourcils s'étaient arqués dans une expression boudeuse.

- Vous allez libérer les lieux ? fit-elle d'une voix un peu agacée mais moins agressive que ce à quoi je m'attendais.

- Il semblerait, répondis-je placidement. Vous allez pouvoir réinvestir votre boutique.

Assez grande, frêle mais se tenant très droite, les cheveux châtains rassemblés dans ce genre de chignon lâche qui ne va bien qu'aux cheveux ondulés, elle avait un visage fin sur lequel ses longs cils posaient une ombre délicate.

Vraiment jolie, avais-je pensé.

- J'aimerais que les choses soient aussi simples, me répondit-elle, mais avec les travaux, je crains de ne pas pouvoir rouvrir pendant au moins dix jours, soupira-t-elle. Et je ne vois pas comment je pourrais me réjouir alors que des hommes sont morts au pied de ma boutique…

Elle tourna la tête vers la dépanneuse qui quittait les lieux à vitesse réduite en drainant toute l'attention des passants. Difficile de ne pas remarquer que le pare-brise prêt à voler en éclats était teinté de sang. Tout le monde n'avait pas l'habitude d'être confronté à ce genre d'images glaçantes.

- Vous n'auriez pas une craie, par hasard ? demandai-je en passant du coq à l'âne.

- Quelle couturière n'aurait pas de craie dans son atelier ? demanda-t-elle, presque outrée par ma question.

- Vous me la prêteriez ? fis-je avec un sourire.

Désarmée par ma question, elle ne trouva rien de mieux à faire que hocher la tête avant d'entrer dans sa boutique en enjambant le muret et les derniers éclats de verre de la vitrine pour aller en arrière-boutique. Elle revint quelques secondes plus tard avec une expression perplexe. Je vis à la légère inflexion de ses sourcils qu'elle était prête à m'appeler par toute sorte de noms d'oiseaux si je n'avais pas une raison valable de lui avoir demandé ça. Je la lui pris délicatement des mains en continuant ma discussion.

- Vous êtes installés ici depuis longtemps ?

- Oui et non, cette boutique était à ma mère, donc je la connais depuis toujours, mais cela ne fait que trois ans que je la gère seule.

Je hochai la tête, lisant entre les lignes le deuil qu'elle suggérait. Je levai le bras pour commencer à tracer un cercle sur l'enduit fendillé du mur face à moi. Un instant, j'eus une pensée pour Edward et ma gorge se noua. Lui se serait contenté de claquer des mains pour réparer la façade. Cela faisait déjà cinq jours qu'il était reparti de Central-city, et je n'avais pas eu de ses nouvelles depuis… Je me crispai un peu, tâchant de faire taire mon inquiétude, et commençai à tracer un cercle de transmutation sur le mur de la façade, à hauteur d'homme, tout en reprenant ma discussion.

- J'ai emménagé ici en août dernier, je ne connais pas encore très bien la ville commentai-je.

Il doit être occupé, en voyage, peut-être s'est-il arrêté en route et puis… il n'a pas de raison de m'appeler s'il n'a rien de nouveau à dire.

- Vous venez d'où ?

- East-city.

De toute façon, je n'ai aucun moyen de le contacter, alors ça ne sert à rien de me ronger les sangs.

- Oh, je vois. C'est une jolie ville, à ce qu'il paraît.

Il faut juste que je sois patient, et que je lui fasse confiance. Après tout ce n'est pas n'importe qui. C'est le Fullmetal Alchemist.

- Je suppose qu'on peut dire ça, répondis-je un peu distraitement en traçant les derniers symboles sur mon cercle. C'est plus verdoyant qu'ici, plus calme. Après, je suppose que ce sont aussi des questions de goût. Personnellement, j'aime bien l'animation de la ville, donc Central me plaît.

Je plaquai les mains sur le cercle et en fit jaillir une lumière bleu électrique qui lécha les murs. Les briques se remontèrent d'elles-mêmes, le crépi qui s'était écaillé sous le choc se réinstalla, les crevasses disparurent, et les éclats de verre revinrent se loger à leur place. Les fissures de la vitre refluèrent et disparurent, ne laissant plus qu'une surface parfaitement lisse et transparente. Ce n'était pas d'une complexité folle, je n'avais fait que se reformer des objets déjà existants, mais en tournant la tête, je vis qu'elle me regardait avec des yeux ronds, stupéfaite. Je ne pus m'empêcher d'avoir un petit sourire victorieux. Oui, rien ne m'obligeait à utiliser mes pouvoirs pour ça, mais je n'avais pas pu m'empêcher de me pavaner. Derrière elle, des militaires surpris me regardaient avec un mélange d'admiration et de dépit.

- Bon, je suppose qu'il est un peu tard pour aujourd'hui, mais vous devriez pouvoir reprendre les affaires demain, répondis-je, l'œil un peu pétillant, avant de lui rendre sa craie qu'elle prit machinalement, encore éberluée.

Je sortis ma montre d'Alchimiste d'État pour regarder l'heure et grimaçai. J'avais une réunion avec mes supérieurs, ils n'apprécieraient peut-être pas que je sois en retard à force de discuter avec une civile. Je claquai le couvercle et la glissai de nouveau dans ma poche, me tournant vers elle.

- Je ne vais pas rester plus longtemps, je dois aller au Quartier Général. J'espère que ce dédommagement vous convient.

Je me remis en marche, glissant les mains dans mes poches, savourant de petit moment de fierté. Cette satisfaction m'aurait sans doute suffit, mais elle m'arrêta.

- Attendez ! fit-elle d'une voix claire.

Je me retournai, surpris sans l'être.

- J'aimerai vous remercier personnellement. Seriez-vous libre ce soir pour un restaurant ?

- Je peux me libérer, oui, répondis-je sans réfléchir.

- Vous connaissez le Bosquet ?

- Non.

- Eh bien, je pourrai vous le faire découvrir alors, répondit-elle ses yeux se plissant légèrement à cause de son sourire.

- Ça me paraît bien, confirmai-je.

- A quelle heure pouvez-vous vous libérer ?

- Vers dix-neuf heures, dix-neuf heures trente, je pense.

- Hé bien, dans ce cas, retrouvons-nous à vingt heures, à la fontaine aux lions, devant la gare de l'Est.

- Parfait !

Je fis demi-tour avec un dernier signe de main, puis me hâtai dans la rue. Difficile de réprimer mon sourire à cette idée. Ce n'était sans doute pas sérieux de ma part de me laisser distraire par ce genre de choses, mais depuis la disparition de Hugues, mon quotidien était devenu vraiment morose, et au bout de tant de temps, j'avais besoin de me changer les idées. En temps normal, je n'étais vraiment pas le genre de personne qui s'enfermait chez lui, jour après jour.

Je repoussai mes cheveux en arrière dans un geste machinal, et même s'ils retombèrent sur mon front, ce geste avait chassé ces pensées, me permettant de me concentrer de nouveau sur mon travail.


C'est en faisant exactement le même geste que j'effaçai ce souvenir pour me concentrer de nouveau sur les problèmes que j'avais à régler. Protéger notre prisonnier dans le coma et coincer la taupe, ces deux objectifs étaient intimement liés. Les deux pouvaient me faire remonter jusqu'à ma cible, et le prisonnier était le moyen le plus efficace de percer à jour quel soldat vendait des informations aux terroristes. Ce blessé jouait un rôle crucial à ses dépens. Je n'aurais pas aimé être à sa place.

J'arrivai dans le bâtiment et trouvais Fuery à son poste. Je le saluai en sortant la clé de mon bureau personnel, puis y entrai avec un petit bâillement. Hawkeye n'était pas là… évidemment. A cette heure-ci, elle devait être en train de monter la garde à côté de notre cible.

Je m'installai pour trier les rapports, sans y mettre beaucoup d'entrain. C'est fou comme un bureau pouvait s'encombrer rapidement quand des dizaines de personnes y allaient de leur petit dossier… Mais je n'eus pas à attendre longtemps pour que le téléphone de mon bureau sonne. Je décrochai immédiatement, espérant un prétexte pour m'extraire des paperasses. Je n'allais pas être déçu.

- Bonjour, Colonel Mustang, fit une voix féminine. Secrétaire Fisher à l'appareil, le Général Erwing m'a demandé de vous prévenir, vous êtes attendu en réunion, salle B214.

- Maintenant ? fis-je, surpris.

- Je ne fais que transmettre l'information. Voulez-vous que je vous passe le Général en personne ?

- Non, il n'y a pas de soucis, je vous fais confiance, soupirai-je. Vous pouvez lui dire que je suis en route.

- Très bien, Colonel.

Je reposai le téléphone et pris une grande inspiration. Certes, trier les paperasses, lire les dossiers avant de les valider – ou de les renvoyer à leur auteur si besoin – remplir des formulaires, tout cela ne m'amusait pas vraiment, mais la gestion de l'affaire Floriane s'était ajouté au dossier Gibson-Lautrec et à tous les travaux quotidiens, formant une masse de travail dont je craignais de ne jamais voir le bout.

J'étais donc partagé entre l'envie de fuir mon bureau encombré de dossiers et la lucidité de savoir qu'agir de la sorte ne ferait qu'empirer les choses. Et le potentiel d'évasion d'une réunion sur l'avancée de mon enquête était assez limité.

Peu importe que ça me plaise ou non, le devoir m'appelait. J'attrapai au vol le dossier que j'avais constitué sur l'affaire, puis ressortis, fermant à clé la porte de mon bureau.

Fuery, Havoc, Breda et Falman levèrent les yeux vers moi, surpris. A leur expression un peu coupable, je compris qu'il ne devaient pas travailler très sérieusement. Sans Hawkeye dans les locaux, la productivité de l'équipe chutait dangereusement. Elle était décidément indispensable.

- Vous partez Colonel ?

- Une réunion, répondis-je avec un soupir las.

- Si tôt ? ! s'étonna Breda.

- Que voulez-vous que je vous dise… Ce n'est pas moi qui décide !

- Vous avez vraiment énormément de réunions en ce moment Colonel, commenta Havoc d'un ton mi soupçonneux, mi compatissant.

- Hé oui… Je m'en passerais bien, Havoc, croyez-moi !

- Je vous crois… Ces vieux grignons… je n'aimerais pas avoir à leur parler pendant des heures comme vous le faites !

C'était très impertinent de sa part, mais sa remarque m'arracha un sourire.

- Allez, assez parlé, ils m'attendent, fis-je à contrecœur. N'oubliez pas qu'on a le dossier Gibson-Lautrec à archiver. Bossez bien !

Je fermai la porte derrière moi, tout en songeant que cette dernière phrase était un vœu pieu. Sans ma présence et celle d'Hawkeye, je n'étais pas sûr qu'il y ait quoi que ce soit à tirer de mon équipe pour ce qui était du travail administratif. Je ne pouvais pas vraiment leur jeter la pierre… après tout, je détestais ça aussi.


Je ressortis de la salle de réunion un peu plus tard, avec un profond soupir, à la fois excédé et soulagé. J'avais envie de secouer ces hauts gradés qui attendaient de moi que je sois le messie qui coince la taupe en deux jours avec le tiers d'une équipe. Quand je le leur avais fait remarquer en tâchant de maîtriser mon ton acide, ils avaient admis que les conditions n'étaient pas idéales. Mais heureusement, Ils avaient une bonne nouvelle pour moi. Fuery, Havoc et Breda étaient officiellement innocentés. Le garde de nuit n'avait vu personne sortir des bâtiments, et personne n'avait téléphoné durant la nuit. Des militaires du réfectoire avaient pu confirmer la conversation, et leur départ pour leurs chambres respectives. Rien de suspect à signaler. Havoc leur avait donné du fil à retordre, à cause de son frère qui faisait partie du Front de l'Est, mais ils n'avaient pas trouvé le moindre indice laissant supposer qu'il cautionnait cette décision. Je n'avais pas trop compris où ils étaient allés chercher leurs preuves, mais apparemment, ils avaient été en contact avec sa mère, qui avait su se montrer… persuasive. A la manière dont Havoc en parlait à l'occasion, je supposais que les enquêteurs devaient avoir regretté d'avoir mis le doigt dans l'engrenage en lui téléphonant.

Il y avait une justice dans ce monde.

Enfin, en tout cas, maintenant que j'avais mon équipe au complet, nous allions commencer à pouvoir agir. Tant que nous étions en sous-effectif, nous ne pouvions pas prendre le moindre risque. Mais maintenant que j'avais le feu vert de mes supérieurs, j'allais pouvoir commencer à mettre à exécution mes plans et disséminer des informations dans les différents services.

J'avais eu le temps de mûrir le projet durant les heures de garde aux côté de l'homme inconscient. Mon équipe se relaierait pour le garder, à nous six, cela ne faisait plus que quatre heures chacun à assumer, et, mis à part Fuery qui était idéalement placé avec son travail de technicien au service téléphonique pour entendre passer les informations, ils seraient responsable d'une équipe chargée de garder des leurres, avec une mission strictement confidentielle, histoire de donner des informations dans les différents services. S'il y avait une attaque – et je ne doutais pas que cela arrive, même si je ne savais pas quand – Nous saurions d'où vient la fuite, et cela nous permettrait, lentement mais sûrement, de resserrer notre étau sur celui qui nous trahissait.

Pour la transmission des informations, cette affaire le montrait, il était facile pour un soldat d'oublier la dimension confidentielle d'une mission quand il discutait avec un ami d'un travail qu'il croyait être anodin. C'était triste de l'admettre, mais au moins, je pouvais prendre en compte l'erreur humaine pour en faire un atout.

Mais bon, avant cela, j'allais devoir passer par une étape modérément agréable : Faire face aux trois subordonnés que j'avais gardé à l'écart de cette mission et leur déballer la situation. Le souvenir de la colère d'Hawkeye quand elle avait appris ce que je lui cachais à propos du cinquième laboratoire et du véritable destin de Hugues me fit redouter cet aveu pourtant indispensable. Mon équipe me pardonnerait-elle de ne pas leur avoir accordé ma confiance ? Je ne pus m'empêcher de m'inquiéter un peu de leur réaction. Après tout, j'avais beau être cynique et froid, ils partageaient mon quotidien et leur avis m'importait quand même un peu. D'autant plus que Hugues n'était plus là pour s'imposer dans ma vie personnelle et lui donner du piment. Quant à Edward… il ne m'avait toujours pas recontacté. Cela faisait déjà neuf jours qu'il était parti, et je ne savais rien de comment se passaient les choses de son côté.

Bon, à sa décharge, j'avais passé tellement peu de temps chez moi, entre les gardes de nuit et mes… récréations, que j'étais bien obligé d'admettre que c'était peut-être de ma faute si je n'avais pas de nouvelles. Fort de cette idée, je me fis cette résolution : ce soir, j'allais filer le tour de garde à quelqu'un d'autre et rentrer chez moi sans détour. Je le savais, quand j'étais stressé, j'avais tendance à sortir pour me changer les idées, m'arrêter dans un bar comme je l'avais fait hier, et bien trop souvent, faire une rencontre sympathique avec qui je passais la nuit. Ce comportement me parut soudain incroyablement stupide.

J'en étais là de mes réflexions quand je poussai la porte du bureau, tombant sur un tableau étrange : une corbeille trônait fièrement sur le bureau de Fuery, et à l'autre bout de la pièce, Breda s'apprêtait à viser la poubelle avec une boulette de papier, le visage envahi par une application toute professionnelle, tandis que Havoc et Fuery tournaient vers moi des yeux atterrés. Breda me remarqua avec un petit temps de retard et rougit, tentant maladroitement de cacher son projectile dans son dos. Tandis que leurs regards se renvoyaient la balle pour savoir lequel des trois allait être le bouc-émissaire dans l'affaire, je baissai les yeux : à leurs pieds, une rangée de feuilles soigneusement étalées formait une ligne qu'ils ne devaient manifestement pas franchir lors de leur jeu improvisé.

C'est ça mon équipe de choc qui est censée m'aider à démanteler un réseau terroriste ?

- … Vous vous foutez de moi ? demandai-je d'un ton rogue.

Ils me regardèrent tous les trois sans oser répondre, avec des têtes de gamins pris en faute, et je sentis un mélange de colère, de dépit et d'inquiétude, tempéré par un soupçon d'amusement. Mais l'heure était grave, je ne pouvais pas laisser passer ça aussi facilement alors que j'avais besoin d'un équipe au top de son efficacité pour la mission qui m'était attribuée.

- Asseyez-vous, il faut qu'on parle, ordonnai-je sèchement.


C'est avec un certain soulagement que je poussai la porte de mon appartement. L'après-midi s'était plutôt bien passée. Bon, la partie administrative de mon travail n'avait pas beaucoup progressé, mais après avoir passé un savon à mes subordonnés, j'avais eu toute leur attention pour leur expliquer la situation et leurs attributions. Si Fuery et Havoc avaient eu l'air assez surpris de mes annonces, Breda avait hoché la tête d'un air attentif. Il semblait avoir eu une vision assez claire de ce qui se tramait pendant qu'ils avaient été mis à l'écart. Étant le plus fin stratège de mes subordonnés, cela ne m'étonnait pas vraiment.

Une fois le détail de leurs responsabilités et la procédure à suivre expliquée en détail, j'avais envoyé tout le monde au travail, Havoc pour prendre la relève de Riza, Fuery pour éplucher les feuilles d'historique des appels, Breda pour constituer les équipes de soldats qui allaient se relayer pour garder des chambres d'hôpital en réalité vides. J'étais soulagé de voir qu'ils avaient l'air résolus à se mettre au travail, même si au fond, je ne m'inquiétais pas vraiment. S'ils étaient aussi cossards que moi quand il s'agissait de traiter des dossiers de routine, ils étaient vraiment capables de se retrousser les manches quand la situation l'exigeait, et je savais que face à une telle responsabilité, ils prendraient à cœur de faire du bon travail.

Cela ne m'avait pas laissé beaucoup de temps pour me poser à mon bureau et m'attaquer à la pile de travail en retard, mais j'avais fait de mon mieux avant de rentrer chez moi.

J'accrochai mon manteau à la patère avec un sourire. Pouvoir transmettre une partie de mes responsabilités à mon équipe me libérait d'un sacré poids. Je sentis que pour la première fois depuis plusieurs jours, j'allais pouvoir souffler.

J'étais heureux de retrouver mon appartement, même si, avec tout le travail qui m'était tombé dessus, je n'avais toujours pas eu le temps de finir de m'installer proprement. J'enlevai mes bottes pour les laisser dans l'entrée, me débarrassai de ma veste d'uniforme que je posai sur le dos du canapé en passant, puis après avoir allumé la radio, je me dirigeai vers la cuisine sans une once d'hésitation.

J'en avais marre de la cuisine médiocre de la cantine et des sandwiches avalés à la hâte, j'avais envie d'un repas digne de ce nom. En entrant dans la pièce, j'eus l'impression de ne pas y avoir mis les pieds depuis une éternité, bien que ça ne fasse en réalité que quelques jours. J'ouvris mon frigo, curieux de voir ce que je pourrais me cuisiner avec ce que j'avais. Il me restait du lait, je devais le consommer rapidement si je ne voulais pas le perdre. Une boîte d'œufs achetés la veille de l'attaque du fourgon, une épaisse part d'emmental… La salade que j'avais achetée s'était bien gardée, heureusement, tout comme les tomates et les carottes, qui pouvaient attendre encore un peu si besoin.

La réponse me parut évidente : j'avais tout pour faire des soufflés au fromage, accompagnés de salade. En plus d'être bon, ça aurait le mérite de m'occuper un moment. Je craignais de me tourner les pouces en attendant un hypothétique coup de fil toute la soirée si je ne plongeais pas dans une activité constructive, et je savais que je détesterais ça. Je me mis donc au travail après avoir déboutonné et remonté les manches de ma chemise et attrapé mon tablier. Je sortis tout le nécessaire, les ingrédients, le moule, la balance, la casserole, la râpe. Je mis le beurre à fondre, puis ajoutais la farine en mélangeant énergiquement, puis le lait, jusqu'à obtenir la consistance un peu épaisse qui me garantirait un résultat réussi. Pendant que le mélange refroidissait, j'allumai le four, puis râpai le fromage en tendant l'oreille pour écouter le morceau d'opérette qui passait à la radio.

Après avoir atteint le poids recherché d'emmental râpé, je séparai les blancs des jaunes, et me mis à battre les blancs d'un geste assuré, tout en laissant mes pensées vagabonder.

Tous ces gestes de la vie quotidiennes me canalisaient en me rappelant les bons souvenirs de mon enfance, quand je passais des heures dans cette pièce carrelée à admirer les gestes sûrs des cuisiniers en me gavant d'odeurs délicieuses. Si je n'avais pas pris plaisir à apprendre à cuisiner, à travailler avec précision et à m'extasier de la transformation d'un tas d'ingrédients hétéroclites en un plat harmonieux dès mon plus jeune âge, je n'aurais sans doute pas été curieux si tôt de l'alchimie… et mon avenir aurait été tout autre…

Quand les blanc me parurent assez fermes, je mis le saladier de côté et repris la casserole froide pour y ajouter les jaunes un à un, puis le fromage, avant d'assaisonner d'un peu de sel, de poivre, et de râper de la noix de muscade. Enfin, le mélangeai le tout avec les blancs, en prenant soin de ne pas les faire retomber, versai le résultat dans deux cocottes préalablement beurrées, et mis le tout au four.

Je réglai mon minuteur pour trente minutes, fis rapidement la vaisselle, lavai et essorai la salade, puis m'effondrai dans mon canapé, savourant les craquements du cuir dans mon dos. Pendant quelques secondes, je me sentis merveilleusement satisfait de ne rien avoir d'autre à faire que paresser dans mon salon en écoutant de la musique.

Mais très vite l'inquiétude repris le dessus et la nervosité revint. Attendre sans rien faire me rappelait que les terroristes étaient toujours là, dans l'ombre, que mes supérieurs avaient les yeux braqués sur moi et attendait de moi une efficacité à la hauteur de ma réputation, et surtout qu'Edward semblait avoir disparu de la circulation.

J'avisai le livre que Schiezka m'avait offert, encore posé sur la table basse, et l'attrapai sans trop de conviction pour reprendre ma lecture là où je l'avais laissée, sans avoir la tête à ça.

Quand mon téléphone sonna, je sentis mon cœur bondir. Je jetai presque le livre sur la table et me levai hâtivement pour décrocher.

- Allô ? fis-je un peu fébrilement.

- Allô Colonel ? fit-il avec une inflexion surprise.

Je reconnus aussitôt sa voix, et je sentis un large sourire me dévorer le visage. Je ne pensais pas être soulagé à ce point. Il fallait croire que je tenais plus à ce gosse que je ne le pensais.

- Edward ! Comment vas-tu ?

- Je… ça va, fit-il en bafouillant un peu.

- Je me demandais quand j'allais avoir de tes nouvelles.

- Vous vous foutez de moi ? Ça fait quatre soirs que j'appelle sans trouver personne, fit-il remarquer d'un ton un peu acide.

A ces mots, je me sentis d'un coup affreusement coupable. Il y avait plusieurs soirées que j'avais passées au chevet de notre prisonnier, certes, mais le souvenir de la veille, où j'avais passé ma nuit chez une inconnue, remonta avec une bouffée de honte. La preuve était faite, je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même de ne pas avoir eu de ses nouvelles plus tôt.

- Désolé, j'étais pris par le travail, bafouillai-je sans parvenir à dissimuler parfaitement que je me sentais pris en faute.

- Toute la soirée ? s'étonna-t-il.

- Oui, répondis-je avec aplomb. Tu sais, les terroristes capturés lors de l'assaut du passage Floriane ?

- Ouais.

- Ils se sont évadés Jeudi dernier.

- Ah merde. Vous devez avoir les boules !

La familiarité de ses propos me fit pouffer de rire. Il n'y avait que lui pour oser me parler comme ça.

- Oui, on peut dire ça comme ça. Mais dans mon malheur, j'ai de la chance, puisque l'un des prisonniers est resté dans le coma, à l'hôpital. Toutes les pistes pour remonter la piste du réseau ne sont pas perdues. Du coup, je me retrouve avec la responsabilité de protéger cette personne pour qu'on puisse l'interroger à son réveil, et celle de trouver qui dans l'armée transmet ces informations aux terroristes. Cela fait plusieurs jours qu'on se relaie à trois avec Hawkeye et Falman pour le garder en permanence.

Un sifflement admiratif me répondit.

- Ah oui, quand même. Je comprends mieux pourquoi je n'arrivais pas à vous avoir ces derniers jours !

- Mais là, le reste de l'équipe a été innocentée, on va pouvoir commencer à travailler sérieusement, fis-je en m'étirant. Même si ça risque d'être un travail de longue haleine, puisque l'idée est globalement de poser des pièges et d'attendre.

- Oh, la dernière fois que j'ai posé un piège, j'ai pas attendu longtemps, lança Edward avec une note d'autodérision.

- Espérons que nous n'ayons pas à attendre longtemps non plus. Et toi ? Ça fait un moment que tu es parti, tu dois avoir du nouveau à raconter ?

- Oh là, si vous saviez Colonel, soupira-t-il. Bon, le trajet a été plus long que prévu, à cause des lubies de Winry principalement, mais après, quand on est arrivés chez les Curtis… Vous savez, quand j'ai dit que mon Maître allait nous tuer ? Eh bien, j'exagérais à peine.

- Ah bon ? fis-je, amusé par l'emphase qu'il mettait dans son récit.

- Je me suis retrouvé assommé et balancé sur une île déserte. Bon, on avait déjà été abandonné là-bas avec mon frère, pendant un mois, quand on avait commencé notre enseignement, alors j'étais pas trop dépaysé, mais… La vache, elle n'y est pas allée de main morte !

- Eh bien, dire que je trouvais mon Maître sévère…. lâchai-je, stupéfait.

Je me rendis compte qu'avant même de rentrer dans l'armée, et de se prendre en pleine face la violence de ce milieu, il avait déjà reçu une éducation à la dure. Cela expliquait mieux sa résistance hors du commun.

- Bref, et c'est là la grosse nouvelle dont je voulais vous parler… l'île en question n'était pas vraiment déserte. J'y ai rencontré un sauvageon, un garçon qui a l'air d'avoir dix ans à tout casser, mais…

Je sentis son hésitation, et m'adossai au mur, curieux de savoir ce qu'il s'apprêtait à m'annoncer.

- C'était un Homonculus.

- QUOI ?! Un Homonulus ?! Et qu'est-ce qu'il t'a fait ? demandai-je aussitôt en me redressant.

Le peu que j'avais pu apprendre ne me permettait pas de ressentir autre chose que de l'inquiétude pour mon subordonné, même si l'avoir au téléphone à bavarder avec moi était une preuve concrète qu'il allait bien.

- Rien. C'est ça qui est très bizarre. Il s'enfuyait quand on s'approchait, comme une bête sauvage, et quand on l'a rattrapé, il a juste cherché à se défendre, mais ne nous a pas franchement attaqués. Al a réussi à le calmer, lui a parlé, et… bon, de fil en aiguille, on a bouffé du poisson ensemble, puis Izumi l'a recueilli chez elle en même temps qu'elle nous a ramenés de l'île.

Je me figeai, stupéfait. Son Maître avait recueilli un Homonculus ? Je me demandai un instant si je n'avais pas basculé dans une dimension parallèle.

- Tu veux dire que vous vivez avec un Homonculus… chez vous ? demandai-je, interdit. Que vous mangez avec lui et compagnie ?

- Exactement. Je ne peux pas dire que j'apprécie, pour être honnête, je tends le dos en m'attendant au pire en permanence… mais ça fait bientôt une semaine qu'il est là, et même s'il me met extrêmement mal à l'aise, globalement, il se comporte comme un gamin un peu largué qui ne connaît pas grand-chose à la vie en société, peut-être un peu plus sadique que la moyenne. Il faut dire, quand on l'a trouvé, il vivait à poil à courir après les lapins et bouffer du poisson cru, alors…

- Je… je ne sais pas quoi dire… bredouillai-je face à cette nouvelle incongrue.

- Moi non plus, soupira Edward. A part que si Al et moi avons un lien avec Juliet Douglas, notre Maître en a probablement un avec lui…

- C'est pour ça qu'elle l'a recueilli ?

- J'en suis convaincu, oui.

- Mais elle a conscience du danger qu'il représente pour vous tous ?

- Ce n'est pas faute de lui avoir dit, soupira le petit blond. Après, les autres s'habituent très bien à leur présence, ça me donne un peu l'impression d'être paranoïaque. Al tâche même de s'en faire un ami.

- … Je ne sais pas pourquoi, je ne suis même pas étonné, commentai-je avec un sourire un peu désabusé.

- C'est sûr que c'est tout à fait son genre, répondit Edward. Mais il m'a fait comprendre qu'il considère que rien ne prouve que les Homonculus soient méchant par « nature », puisqu'après tout, ceux que nous avons rencontrés répondent à une autorité qui leur est supérieure… Du coup, sa curiosité le pousse à passer du temps avec lui et essayer de le comprendre. J'avoue que je ne sais pas quoi en penser. S'il nous prouvait qu'il avait raison, ça changerait beaucoup de choses dans notre manière de nous comporter vis-à-vis des Homonculus. Je comprends pourquoi il fait ça, mais ça ne me rassure pas du tout qu'il s'embarque là-dedans.

- Je comprends… C'est quand même un terrain très risqué, murmurai-je. Mais je vois tout à fait l'intérêt de sa démarche…

Je songeai qu'Alphonse, sous ses airs de gamin perdu, était quand même une personne hors du commun. Jamais une idée aussi optimisme ne me serait venue en tête, et j'aurais encore moins pu agir dans cet état d'esprit… mais je devais admettre que c'était un point de vue intéressant. L'hypothèse qu'on puisse se faire un allié d'un Homonculus n'était quand même pas négligeable.

La sonnerie du minuteur vrilla depuis la cuisine, me tirant de mes réflexions.

- Ah, je crois que je vais devoir te laisser, mes soufflés au fromage sont cuits.

- Des soufflés ? Vous les avez fait vous-même ?!

- Évidemment !

- Vous savez cuisinez, vous ?! s'étrangla Edward.

- Je vis seul et j'ai besoin de manger, bien sûr que je sais cuisiner ! répondis-je, un peu piqué au vif par sa réaction. Tu croyais quoi ?

- Je sais pas, moi… bredouilla-t-il. Que vous sortiez tous les soirs, ou que vous bouffiez des pâtes et des pizzas à longueur de temps...

- Tu as vraiment une image désastreuse de ton supérieur, constatai-je, scandalisé et amusé à la fois. Non, je sais cuisiner autre chose que des pâtes, sans me vanter je suis même plutôt bon.

- J'en apprendrai tous les jours.

- Je suis désolé, je vais devoir te laisser, les soufflés n'attendent pas.

- D'accord, fit-il d'un ton un peu dépité.

Malgré le ton léger avec lequel il m'avait résumé les derniers événements, je devinais qu'il traversait une période difficile. Après tout, la dernière fois que je l'avais vu, il venait de découvrir qu'il avait sans doute créé un Homonculus aux traits de sa mère. Ce genre de choses ne s'encaissait pas si facilement.

- Merci de m'avoir appelé, soufflai-je d'un ton sincère. N'hésite pas à téléphoner souvent, même s'il n'y a rien de particulier à signaler, étant donné la situation, il vaut mieux qu'on échange régulièrement des nouvelles. Je devrais être davantage chez moi dans les jours à venir.

- D'accord, murmura-t-il d'une voix à peine audible. Bon appétit Colonel.

- Merci, Edward. Bonne soirée à toi.

- A bientôt !

- A bientôt.

Je raccrochai, un peu à contrecœur, puis me hâtai vers la cuisine. Je n'avais pas menti, les soufflés n'attendent pas. Je me servis de la salade puis m'attablai dans la cuisine pour manger le résultat de mes efforts. Je fermai les yeux, savourant chaque bouchée fondante de mon plat, écoutant la radio dérouler paisiblement un morceau de symphonie classique, me délectant de ce sentiment d'harmonie et de perfection de ce repas, sans pouvoir m'empêcher de me dire que ces soufflés m'auraient paru beaucoup moins bon sans la conversation qui les avait précédés.


Il était deux heures de l'après-midi quand j'arrivai dans le fameux couloir d'hôpital. A force d'allées et venues, mon équipe et moi commencions à le connaître par cœur. En arrivant à la porte de la chambre 489, je toquai distinctement une suite de coups à la porte. Deux coups, un silence, trois coups. Après quelques secondes d'attente, la porte s'ouvrit, laissant voir Hawkeye qui avait gardé son arme à la main, prête à tirer à la moindre menace. Je ne pus m'empêcher de sourire. Elle était toujours sérieuse, presque trop sérieuse. Je n'arrivais pas à me l'imaginer hors de son travail, sans son regard inflexible et son revolver à proximité.

- Lieutenant, je viens vous remplacer, fis-je d'un ton solennel.

Elle baissa son arme, et me laissa entrer avant de refermer la porte derrière nous.

- Quoi de neuf ici ? demandai-je.

- Rien, répondit-elle. Son état est stationnaire, il n'y a pas d'amélioration notable. Les deux infirmières attitrées et le médecin ne font que des passages rapides pour changer les perfusions et faire les examens, ils sont très sollicités par ailleurs. Apparemment, dans son cas, il n'y a rien d'autre à faire qu'attendre.

Je hochai la tête. Je comprenais bien l'idée. La blonde tourna la tête vers le corps étendu vers le lit et baissa ses yeux noisette avec une expression fermée.

- Pour ce que l'on sait, il pourrait rester inconscient durant des années. Il y a d'autres personnes à qui c'est arrivé.

Je voyais où elle voulait en venir. L'attente pourrait être interminable. S'il ne se réveillait pas spontanément, ou si la taupe ne se décidait pas à bouger ses pions, nous pourrions rester dans cette situation durant des semaines, voire des mois, sans y trouver la moindre issue. Ce n'était vraiment pas encourageant.

- Quand même, quel métier ingrat, commentai-je.

- En effet, confirma-t-elle. Avec tout le travail que vous m'avez donné, je mériterais au moins une augmentation.

- Je pourrais essayer d'arranger ça. Vous ne déméritez pas, je ne pense pas que cela poserait problème à mes supérieurs.

- Je ne disais pas ça sérieusement, Colonel. J'ai déjà tout ce qu'il me faut, que ferais-je de cet argent supplémentaire ?

- Un appartement plus grand ? Des bons restaurants ? Plus d'armes à feu ? Ou vous pourriez peut-être acheter un collier à diamants pour Black Hayatte ?

Ma dernière remarque lui arracha un petit sourire.

- Vous voyez, je n'en ai vraiment pas besoin.

- Il n'y a rien qui vous ferait plaisir ?

- Rien qu'on ne puisse acheter, répondit-elle en regardant droit devant elle.

Je hochai la tête en silence. Hawkeye était d'un caractère introverti et solitaire, et on pouvait difficilement l'imaginer sortir faire la fête ou vivre en colocation… D'aussi loin que je me souvienne, je n'avais jamais eu le moindre indice d'une relation amoureuse la concernant, et j'étais peut-être la personne avec qui elle était la plus proche. Nos rapports conservaient toujours une raideur un peu formelle. Pourtant, tout le monde a besoin de compagnie, de temps en temps… Même moi. En regardant son profil fin, je me demandai confusément à quel point elle pouvait se sentir seule quelquefois. Bien sûr, ce n'était pas une question que je poserais à voix haute. Elle ne me pardonnerait jamais d'imposer un sujet aussi intime. Par conséquent, je me contentai de ne rien dire.

- Vous avez eu des nouvelles d'Edward ? demanda-t-elle. Cela fait longtemps qu'il est parti pour Resembool, je m'étonne qu'il reste aussi longtemps là-bas, connaissant son caractère.

- En effet, vous le connaissez bien, répondis-je en soupirant. Il est actuellement à Dublith, chez son Maître. J'ai eu de ses nouvelles hier soir, ajoutai-je en voyant un éclat de surprise dans son regard.

- Il va bien ?

- Aussi bien que possible dans une situation moralement délicate.

Je sentis une interrogation dans son regard, mais comme je m'apprêtais à lui répondre, elle tourna les yeux vers notre prisonnier et secoua négativement la tête. Je me souvins alors qu'on disait que les personnes dans le coma pouvaient parfois entendre dans leur sommeil les gens qui parlaient autour d'eux. Même si c'était peu probable, parler du Fullmetal était le point de départ de tellement de secrets que je préférai également me taire.

- Je vous en parlerai une autre fois.

- Oui, moi aussi.

Je baissai les yeux vers elle, surpris à mon tour. Elle me regarda, et malgré son habituelle expression neutre, je sentis qu'elle hésitait.

- Est-ce qu'il vous a parlé de ce qui lui est arrivé au cinquième laboratoire ? demanda-t-elle d'une voix plus douce qu'à l'accoutumée.

- Il m'a raconté tout ce qu'il avait vu là-bas, oui, répondis-je, étonné par sa question. Pourquoi ?

- Je me posais la question, simplement, répondit-elle d'un ton plus tranquille.

J'eus confusément le sentiment que sa question cachait quelque chose, mais quoi ? Sans doute était-ce de la curiosité face aux événements de septembre, à moins qu'elle ait eu l'occasion d'en discuter elle-même avec lui, mais je ne voyais pas en quelle occasion. De toute façon, je ne voyais pas comment elle pourrait savoir quelque chose que j'ignorais à propos d'Edward.

- Bon, je vais vous laisser, j'ai une équipe à surveiller. Connaissant mes collègues habituels, je m'attends au pire.

Le ton était sévère, son visage sérieux, mais la petite étincelle dans son regard prouvait qu'elle disait ça avec un certain humour.

- Bon courage pour l'attente, Colonel.

- Ne vous inquiétez pas, Lieutenant, j'ai de la lecture, fis-je en tirant de mon sac le livre relié de cuir que m'avait offert Shiezka.

- Les Liaisons dangereuses ? Je ne sais pas pourquoi, ça ne m'étonne pas que vous lisiez ça, commenta-t-elle avec une ironie un peu plus marquée.

- Il paraît que je suis un Valmont, répondis-je en haussant les épaules. Je me devais de me renseigner.

- Sans aucun doute, oui.

La militaire rangea son arme dans l'étui, m'adressa un salut formel, puis sortit prudemment de la pièce après avoir vérifié que la voie était libre. Il y avait peu de chance que quelqu'un la voie, nous étions dans une partie reculée du bâtiment, au dernier étage, et ce n'était pas le genre d'endroit où l'on passait par hasard.

Je regardai ma montre, puis poussai un soupir, constatant qu'il me restait trois heures et cinquante-sept minutes à tuer aux côtés d'un terroriste inerte. Au moins, je ne risquais pas d'être distrait dans ma lecture…


Le jour avait bien décliné quand je sortis enfin du bâtiment B du quartier général. Admirant la lumière basse qui repeignait les bâtiments austères d'une belle teinte dorée, je pris une grande bouffée d'air frais. Le vent chassa les cheveux de mon front et balaya avec la lassitude d'une après-midi passée face à mes dossiers. Ayant sans cesse des appels des différentes équipes qui me tenaient au courant de l'avancée de leur garde, j'étais souvent interrompu, et les piles de rapports et comptes-rendus descendaient avec une lenteur désespérante. Heureusement, je pouvais me dire que ce n'était pas ma mission la plus importante, cela me permettait de relativiser le retard accumulé.

Je rentrai à pied, profitant de cette soirée claire et venteuse après tout ce temps passé enfermé. En passant par une allée arborée, je songeai que l'automne était bien là. Si certains arbres étaient encore verts, la plupart avait déjà pris leurs nuances chaudes, jaune orangé, rouge vermeil ou prune. Les jours n'allaient pas cesser de raccourcir, et bientôt, je ne verrais plus la lumière du soleil que par la fenêtre de mon bureau. Cette idée ne me réjouissait pas vraiment.

Raison de plus pour profiter du soleil tant que je le peux encore, pensai-je en m'étirant.

Je pris donc des chemins un peu détournés, m'arrêtant chez le poissonnier pour m'acheter une truite, puis chez le maraîcher pour acheter un peu de persil, un citron et des amandes fraîches. J'ajoutai quelques tomates, sans doutes les dernières de l'année, puisque la saison touchait à sa fin. Avec les pommes de terre qui me restaient chez moi, j'allais me préparer un festin.

Une fois chez moi, je déposai mes emplettes au frais dans le garde-manger le temps de prendre une douche, puis allumai la radio qui commença à diffuser une retransmission de concert symphonique. Je poussai un peu le son pour l'entendre de la cuisine, et m'attelai à la tâche, essayant de rester concentré sur ces gestes simples pour ne pas trop penser à l'éventuelle déception de ne pas avoir d'appel ce soir-là.

Après avoir mis de l'eau à bouillir, la première tâche était de casser les coques pour en extraire l'amandon, ce que je fis patiemment en fredonnant la mélodie du premier mouvement, que je connaissais très bien. Une fois ma douzaine d'amandes récupérées, je les jetai dans l'eau bouillante pour pouvoir les monder plus facilement. Les peaux rejoignirent les éclats vert tendre des coques, et j'eus enfin le fruit nu.

Choisissant ma lame la mieux affûtée, je me mis à effiler les amandes, en prenant tout mon temps pour avoir des tranches fines et régulières. Ce travail soigneux avait quelque chose de relaxant, il faisait appel à une concentration paisible qui n'avait rien à voir avec le bouillonnement intérieur que demandait l'organisation de ma mission actuelle. Un instant, j'imaginai la tête de mes collègues s'ils me voyaient penché à faire de minuscules lamelles d'amande. Ils auraient sûrement des yeux ronds, incapable de croire que le Colonel qu'ils connaissaient puissent faire des choses aussi laborieuses de son propre chef, le plus absurde étant sans doute de trouver ça agréable. Le souvenir de la stupéfaction d'Edward en apprenant que je cuisinais m'amena un sourire. Peut-être qu'un jour il cesserait de refuser de manger chez moi. Ce serait l'occasion de cuisiner pour quelqu'un d'autre, ce qui ne m'était pas arrivé depuis une éternité.

Après avoir tout coupé, je mis le four à préchauffer, puis étalai le fruit de mon travail dans un plat pour les faire torréfier quelques minutes. En attendant que le four chauffe, je m'attelai au vidage du poisson, puis commençai à couper quelques fines tranches de citron et de tomate, avant de hacher finement le persil avec l'ail que je venais d'éplucher.

Je mis mes amandes au four, puis m'attelai à l'épluchage de quelques pommes de terre avant de les émincer pour accompagner mon plat. Tout allait bien, jusqu'à ce que je réalise quelque chose qui effaça toute ma bonne humeur. La dernière fois que j'avais fait cette recette, c'était quand Hugues était passé à East City. Mon cœur se serra en repensant à lui, craignant pour sa vie, et le plat que je préparais me parut soudainement scandaleusement superficiel. Lui devait avoir de la peine à faire des repas corrects, et les produits étalés sur mon plan de travail étaient un luxe obscène quand je repensais à lui.

Depuis la carte transmise par Shiezska, j'avais reçu une autre enveloppe par son intermédiaire, il y a une semaine de cela. La carte postale était la gravure d'un paysage de montagne, et au dos, en guise de signature, il s'était contenté de dessiner – très maladroitement d'ailleurs – une poule. Pas d'informations, pas de paroles rassurantes, rien de plus qu'un petit signe discret pour montrer qu'il était encore en vie. J'avais posé cette carte sur mon secrétaire, à côté de la première, et à chaque fois que mon regard tombait dessus, j'étais envahi d'un mélange de réconfort et de tristesse. Le plus dur était sans doute de ne rien pouvoir faire pour lui. Je ne pouvais pas partir moi-même dans le Nord à sa recherche – vu le paysage représenté sur la gravure, c'était manifestement dans cette région-là qu'il se trouvait – et je ne pouvais y envoyer personne sans risquer d'attirer les soupçons ou de le compromettre. Les semaines passaient, et cette impuissance me démoralisait complètement dès que j'avais le malheur d'y penser.

Sans m'en rendre compte, je m'étais immobilisé au milieu de mon travail, le couteau encore à la main, et mis à fixer le vide devant moi. Je serais sans doute resté comme ça longtemps si ce n'était pas à ce moment-là que mon téléphone avait choisi de sonner.

Je repris pied avec la réalité, m'ébrouai machinalement pour chasser cette apathie, posai mon couteau, me rinçai les mains, puis me dirigeai vers le téléphone pour répondre.

- Allô Colonel ? fit une voix familière.

- Allô Fullmetal, répondit-je à voix assez basse.

Je n'avais pas réalisé que j'avais parlé si doucement. En réalité, j'étais encore ému à cause de Hugues, et en cet instant, avoir l'appel d'Edward était peut-être ce dont j'avais le plus besoin, même si j'aurais préféré mourir que d'admettre à voix haute que j'étais devenu un peu dépendant de ce gamin capricieux.

- … ça va ? demanda l'adolescent d'une voix plus calme qu'à l'accoutumée.

Sa question m'embarrassa j'étais plus habitué à échanger des piques avec lui, à me moquer, ou à la limite, le soutenir dans les moments difficiles… mais que lui s'inquiète pour moi, ce n'était pas naturel, et je n'étais pas sûr d'apprécier la situation. C'est pourquoi je m'éclaircis la gorge et répondis d'une voix que j'espérais aussi claire et joyeuse que possible.

- Oui, ça va, je suis en train de préparer des truites aux amandes… Oh merde, les amandes ! m'exclamai-je en réalisant qu'elles étaient restées dans le four. Je te pose un instant, je reviens !

Je laissai le combiné sur la table et me précipitai dans la cuisine pour les ressortir, en m'attendant au pire. Finalement, j'étais arrivé au bon moment, et quand je sorti le plat du four, son contenu était doré à point. Je poussai un soupir de soulagement. Avec le temps passé à les préparer, j'aurais vraiment été très vexé si elles avaient brûlé. Je posai le plat à refroidir sur la gazinière, puis revins aussi sec dans le salon.

- Allô ? Tu es toujours là ? demandai-je en reprenant le combiné.

- Yep, répondit le petit blond d'un ton impertinent.

- C'est moi ou tu me parles de manière de plus en plus relâchée ?

- Vous vous faites des idées, Colonel, fit-il d'un ton moqueur.

La remarque voulait tout dire sur le sujet, mais je ne pouvais que sourire en entendant sa voix.

- Je vous interromps encore en pleine préparation de repas ? demanda-t-il. Je ne voudrais pas déranger.

- Ne t'inquiète pas, maintenant que j'ai sorti mes amandes du four, je n'ai rien sur le feu, le reste peut attendre aussi longtemps que je l'aurai décidé.

- Ça va, elles n'avaient pas brûlé ?

- Elles étaient parfaites, répondis-je avec un sourire.

- Coup de chance, hein ?

- Tout à fait, admis-je en songeant que si son appel ne m'avait pas tiré se mes sombres pensées, je les aurais sans doute laissées se consumer lentement jusqu'à ce que je sois alerté par l'odeur de brûlé.

- Quoi de neuf par chez vous ? fit le petit blond d'un ton tranquille.

- Pas grand-chose. On a mis en place la surveillance et commencé à répandre des infos ici et là, maintenant il faut être patient et attendre de voir des résultats.

- Comme la pêche… Je vous souhaite bon courage, c'est mortellement ennuyeux comme activité, grommela Edward.

- C'est vrai que la patience n'est pas ton fort, fis-je d'un ton taquin.

- Hé ! Je peux être très patient… Si je veux.

- Je n'en doute pas, fis-je en songeant que pour devenir Alchimiste d'Etat, il fallait être un sacré acharné du travail. Et toi, que deviens-tu ?

- Boah, pas grand-chose, la routine. Al parle à Cub – l'Homonculus – Winry travaille sur de nouveaux automails, je passe pas mal de temps dehors à me promener, aider des gens ici et là.

- Je t'imagine bien grimper dans les arbres pour aller chercher des chatons coincés et courir après des petites frappes pour récupérer le sac à main qu'ils ont volé à une vielle dame, fis-je d'un ton amusé.

- C'était à peu de chose près ma journée d'hier, avoua le petit blond, incapable de dissimuler sa stupéfaction.

Je ne pus m'empêcher d'éclater de rire, ce qui le fit pester et me réjouit encore davantage. L'imaginer à l'autre bout du fil, grommelant et aussi rouge que son manteau me rendait irrépressiblement joyeux. Je continuai donc à le taquiner, avant de redevenir un peu plus sérieux.

- Pffff, en plus vous avez parlé de bouffe, maintenant j'ai encore plus faim.

- Tu n'as pas encore mangé ? m'étonnai-je.

- Non, on attend que mon maître soit rentré pour préparer le repas ensemble, elle livre un buffet pour une fête, expliqua-t-il, provoquant sans le savoir une bouffée de souvenirs nostalgiques. Izumi y tient.

- Je vois, répondis-je. Mais c'est bien de partager un moment tous ensemble.

- C'est mieux quand tout le monde est de bonne humeur, grommela le petit blond.

- Qu'est-ce qui se passe ?

- Disons que je me suis disputée avec Winry et mon frère, et qu'Izumi a dû mal à décolérer, donc je passe le moins de temps possible en leur compagnie.

- Tu t'es disputé avec Alphonse ? demandai-je, aussi surpris que peiné.

- Oui, murmura-t-il.

- A cause de ce dont nous avons parlé l'autre fois ?

- Oui… Je n'ai pas réussi à lui en parler avant nos retrouvailles avec Izumi, et il m'en veut terriblement. Je le comprends, j'avais promis de ne plus rien lui cacher…

- Oh… fis-je, comprenant aussi bien le malaise de l'adolescent que la rancoeur de son frère. Je ne te donnerai pas de leçons à ce sujet, étant donné le temps que j'ai mis avant d'avouer à Hawkeye ce qui s'était réellement passé.

- C'est vrai…

- Personne n'a envie d'être tenu à l'écart de ce genre d'informations, c'est sûr… j'aurai été furieux si j'avais été à sa place.

Un silence embarrassé me répondit, au point que je me demandai si la communication n'avait pas été coupée.

- Allo ? Toujours là ?

- Oui, murmura-t-il d'une voix nouée.

- Allons, ne te mets pas trop martel en tête. Il avait besoin de temps pour digérer la nouvelle, mais si tu fais des efforts pour lui parler, vous vous réconcilierez sûrement. Il est quand même de bonne composition.

- Le truc, c'est que je lui en veux un peu aussi.

- Pourquoi ça ?

- Il fait ami-ami avec l'Homonculus, alors qu'il a bien vu que c'était un ennemi. Pour lui parler, il faudrait déjà qu'il ne soit pas à côté de ce monstre…

Même si j'étais un peu peiné, sa mauvaise foi m'amena un sourire. Je les avais assez vus ensemble pour savoir que des deux, la plus forte tête était sans aucun doute Edward. Mais pour le coup, c'était à lui de s'excuser, et sa susceptibilité légendaire ne l'aidait pas à faire le premier pas.

- Essaye de lui tendre la perche, fis-je d'un ton encourageant. Si tu lui en donnes l'occasion, je suis sûr qu'il sera heureux de se rabibocher avec toi.

- Ouais, marmonna-t-il. J'ai l'impression que vous me parlez comme à un gamin.

- Ce n'est pas ce que tu es, peut-être ? répondis-je d'un ton involontairement tendre.

Il tempêta de nouveau, mais même s'il m'abreuvait de jurons, je sentais que ça n'avait plus rien à voir avec la colère brûlante qu'il avait quand nous nous prenions le bec dans mon bureau au QG. Je réalisai à quel point notre relation avait changé.

- Rhaaah, Izumi ne rentre que dans une demi-heure, et j'ai trop faiiiim, gémit-il en trépignant d'impatience.

- Tu n'as qu'à attraper un bout de pain en attendant le repas, non ? proposai-je plus charitable que lors de ma réplique précédente.

- Ouais, je pourrais faire ça, mais il faudrait que je lâche le téléphone, marmonna-t-il.

- Et c'est grave ?

Il eut un instant d'hésitation, puis repris la parole d'un ton désinvolte, éludant ma question.

- Allez, foutu pour foutu, racontez-moi ce que vous faites à manger ce soir. Je n'en reviens pas que vous ne soyez pas un cuisinier catastrophique, ça ne correspond tellement pas à l'image que je me fais de vous, il va me falloir du temps pour m'habituer à l'idée, fit-il d'un ton moqueur.

Je ne relevai pas l'impertinence et lui répondis fièrement.

- Au menu de ce soir, truites aux amandes effilées en papillotes sur lit de pommes de terre émincées.

- Putain, vous vendez du rêve.

- Merci. Mais tu sais, mis à part la préparation des amandes, c'est très facile à faire.

- Non mais tous les gens qui savent cuisiner disent ça, je sais bien que c'est faux. Perso, j'ai jamais dépassé le stade de la cuisine survivaliste. Si c'est comestible, on le fout au-dessus du feu et on mange quand ça a l'air cuit.

Je dus me mordre la lèvre pour réprimer mon fou rire. Je me le représentais tellement en train de faire carboniser des poissons au-dessus d'un feu de bois en pestant.

- Tu es vraiment un homme des cavernes, Fullmetal.

Sentant qu'il ne pouvait pas nier ma dernière phrase, l'adolescent bougonna vaguement des paroles inarticulées.

- Si tu veux, la prochaine fois que tu passes chez moi, je te montrerai comment on s'y prend pour faire des truites en papillote.

J'avais prononcé ces mots sans réfléchir, et aussitôt après, j'eus l'impression d'avoir fait un immense saut dans le vide. Je n'avais pas prévu de dire ça. Ce n'était pas mon genre d'inviter des gens chez moi, et de toute façon il avait toujours refusé de manger autre chose qu'un apéro sur le pouce lors de nos entrevues. Une partie de moi aurait voulu effacer ces derniers mots, de peur d'essuyer un refus blessant. Dans le silence qui venait de retomber, je sentis mon cœur battre un peu plus vite. C'était idiot, mais je me sentais soudainement vulnérable.

- …Je pourrais les manger après ? demanda-t-il d'un ton curieux.

- Bien sûr, c'est le but, répondis-je avec soulagement.

- Dans ce cas, j'adorerais. Franchement, je suis trop curieux de vous voir aux fourneaux, cette idée est tellement cocasse !

J'avais de la chance qu'il n'y ait personne pour voir l'expression béate qui s'était peinte sur mon visage. Je venais de tendre le bâton pour me faire battre j'avais invité le Fullmetal à venir manger chez moi, lui donnant tout le loisir de se moquer de moi pendant que je cuisinerais. Et le pire, c'est que je n'arrivais pas à le regretter. Je restai encore un moment à discuter avec lui, parlant de sujets un peu plus sérieux. Je lui glissai deux mots sur la carte que j'avais reçue de la part de Hugues et dont je n'avais pas eu le temps de parler la veille, donnai quelques nouvelles ici et là.

Il fut très peiné d'apprendre la mort de Jayme durant l'attaque du fourgon, ils avaient travaillé ensemble lors du transfert de Bald et avait gardé un bon souvenir de ce jeune militaire. Alors, pour ne pas rester sur une note négative, je lui racontai aussi comment j'avais pincé Breda, Havoc et Fuery en plein concours de balistique de boulettes de papier, alors que je rentrais d'une réunion. Il rit de bon cœur, pas du tout surpris par mon récit, puis annonça qu'Izumi était enfin revenue et qu'il allait être l'heure de préparer le repas. Je pris congé, en lui souhaitant bon appétit, songeant que la faim commençait à se faire sentir de mon côté aussi.

Quand je revins dans la cuisine, je fus surpris de découvrir en jetant un œil à l'horloge que j'avais passé près d'une heure au téléphone avec lui. Je n'avais pas vu le temps passer. Était-ce le signe qu'il était en train, imperceptiblement, de devenir un ami ? Après tout, jusque-là, il avait toujours refusé de manger chez moi. Cela voulait bien dire que quelque chose avait changé.

Je me remis à la tâche. Je savais parfaitement ce qu'il me restait à faire : mettre le four à préchauffer, couper les patates en fines tranches avant de les disposer dans un plat et de les assaisonner, puis préparer la truite en la déposant dans une feuille d'aluminium beurrée avant d'y glisser des rondelles de citron et de tomate, ajouter le mélange d'ail et de persil, les amandes, décorer de deux rondelles de citron supplémentaires, avant de refermer la papillote et de la déposer dans le plat. Cela fait, je mis le plat au four et réglai le temps, puis rangeai mon plan de travail en attendant que ça cuise. Durant toutes ces opérations, un sourire était resté vissé à mon visage à cette simple idée.

La prochaine fois que je ferai cette recette, ce sera avec Edward.