Trois semaines se sont écoulées, j'espère qu'elles n'ont pas été trop difficiles pour vous et que vous allez bien. En tout cas, vous allez pouvoir découvrir un nouveau chapitre (ou pour être exacte, la deuxième moitié du chapitre précédent). Nous restons donc du point de vue d'Edward : au programme, ambiance festive et soirée du nouvel an. J'espère que ce chapitre vous plaira, en tout cas je me suis régalée à l'écrire. ^w^
J'espère que ça compensera un peu l'ambiance morose de ces derniers jours. Les festivals s'annulent les uns après les autres, ce qui me prive à la fois de la perspective de vous rencontrer IRL et de la possibilité de vendre mes travaux. Donc je ne vous cacherai pas que ça entame un peu mon moral. Je compte quand même lancer prochainement la campagne Ulule de Stray cat, mon projet de Lightnovel yaoi. J'aimerai finaliser ce projet qui me tient à cœur depuis un bon bout de temps, même si je doute que les conventions pour lesquelles je voulais sortir le livre soient maintenues. :'( Enfin, je vais faire de mon mieux pour finaliser ce projet assez vite, parce qu'après, il y a encore bien d'autres histoires que je voudrais vous partager. D'ici le prochain chapitre, j'aurai sans doute lancé la campagne, donc je vous en reparlerai plus en détail à ce moment-là ^^
Pour revenir à Bras de fer, je profite du combo Nanowrimo + confinement pour avancer un max sur l'écriture. L'objectif de ce mois-ci est pour moi de terminer le premier jet de la 5e partie. Et oui, elle est toujours en cours de rédaction ! Au secours ce projet est tellement long ! x'D Depuis la dernière fois, j'ai aussi terminé l'illustration du chapitre 57 (En cuisine) j'avoue que je suis assez contente du résultat. Vous pouvez la découvrir sur Devianart si ce n'est pas encore fait (le lien est en profil)
Enfin, je me suis lancée dans l'élaboration d'une playlist youtube rassemblant les musiques qui m'ont inspirées cette fanfic ou sont carrément présentes dans l'histoire. Je n'ai fait que la première partie pour l'instant, la suite est bien plus compliquée pour moi parce que j'ai moins de traces concrètes de mes sources d'inspiration. J'espère que vous apprécierez de découvrir un autre aspect de se projet, même si je vous préviens : attendez-vous à un contenu assez disparate ! ^^
C'est par ici : www . youtube playlist?list=PL7xbS9Cs04ybFcFcEW3itYzqRjiBxVHNi ((il suffit de supprimer les espaces)
Sur ce, assez blablaté, je vous souhaite une bonne lecture ! ^^
Chapitre 61 : Jours de fête – 2 (Edward)
Nous étions dimanche matin, et après un petit déjeuner houleux à cause de Natacha qui avait sorti les infections que certains appelaient "fromage", je m'étais enfermée dans le grand salon avec Andy et Jess qui essayaient de me faire danser de façon séductrice, une tâche probablement perdue d'avance.
- Je peux pas juste chanter mon truc et m'en aller ? marmonnai-je, un peu gênée.
- Allons, Angie, tu sais danser, profites-en ! Tu ne vas pas bâcler ton numéro, quand même !
- Non, je suppose que non, admis-je à contrecoeur.
- Allez, regarde, il suffit de décomposer le mouvement : genoux - hanches - bassin puis tu laisses remonter le long de la colonne vertébrale. Genoux…
Je l'imitai étape par étape, me sentant complètement ridicule.
- C'est ça, tu n'as plus qu'à recommencer de plus en plus vite, jusqu'à ce que ça devienne fluide, expliqua Andy en joignant le geste à la parole.
- Pourquoi sur toi ça rend bien alors que quand je le fais, j'ai l'air ridicule ? geignis-je.
- Tu n'es pas ridicule, Angie, tu te juges trop durement, répondit Jess avec un sourire rassurant. Il faut juste que tu te détendes.
J'essayais de répéter le mouvement quand la porte s'ouvrit en grand, laissant passer Lily-Rose.
- Jess, Mel est K.O. tu crois que tu pourras reprendre les rênes pour l'organisation de ce soir ?
- Bien sûr, j'arrive. Je vous laisse continuer !
La grande blonde repartit, me laissant seule avec Andy.
- Mel ne va pas bien ? m'inquiétai-je.
- C'est assez courant, malheureusement, soupira-t-il. Ses règles la mettent au tapis chaque mois.
- Comment ça ?
- Elle a tellement mal que des fois elle en a des vomissements ou des évanouissements.
- Mais c'est horrible ! Et les médecins la soignent pas ?
- Ils ne trouvent pas d'où ça vient, du coup, ils disent soit que c'est le stress, soit qu'elle est douillette, fit le danseur en haussant les épaules d'un ton las.
- Mel ? Douillette ? ! m'indignai-je.
- Je sais, mais bon, qu'est-ce que je peux y faire, moi ? Je ne suis pas médecin. Enfin, du coup, elle reste alitée et attend que ça passe.
Je fixai la porte, choqué par l'idée que les règles puissent être aussi douloureuses et qu'aucun médecin ne puisse l'aider. J'avais au moins la chance que dans mon cas, ce soit simplement agaçant. Je m'étais plus ou moins habitué à cette désagréable routine, même si elle parvenait régulièrement à me prendre au dépourvu.
Les répétitions reprirent, Andy me conseillant avec le ton taquin qui le caractérisait.
- Tu es trop raide, Angie. Il faut danser comme tu ferais l'amour.
- Tu sais bien que j'ai jamais rien fait de ce genre, grommelai-je entre mes dents.
- Tu ne vas pas me faire croire que tu as jamais eu envie ?
À ces mots, je rougis davantage, mes rêves sans visage me revenant en mémoire. C'était mortellement gênant, mais il se contenta de rire sans trop insister.
- Tu sais, les autres ne sont pas dans ta tête, personne ne saura à qui tu penses.
- Mouais…
- Allez, répète l'enchaînement pour voir.
J'obéis au son du métronome, tandis qu'il m'observait, notant en pensée tout ce qu'il y avait à corriger.
Personne ne saurait à qui je pensais… facile à dire après tous les sous-entendus dont j'avais été abreuvée ces dernières semaines. Depuis la soirée du gui, je pensais beaucoup trop à Mustang, et de manière de plus en plus embarrassante. Ces idées, de plus en plus difficiles à nier, entraient en contradiction avec ce que j'étais censé être et me paniquaient totalement. Est-ce que je pouvais encore prétendre être un homme dans des conditions pareilles ? Si ces sentiments étaient réels, à quoi pouvais-je encore me raccrocher pour retrouver mon identité ? Préoccupé par la sensation de me transformer un peu plus en fille chaque jour, une pensée étrange me traversa. Je finis par m'arrêter et prendre une grande inspiration, cramoisi face à la question que je m'apprêtais à poser d'une voix timide.
- Dis, Andy…
- Oui ?
- Tu c-crois que c'est possible que… qu'un homme puisse en… en aimer un autre ?
Il tourna vers moi des yeux ronds avant d'éclater bruyamment de rire.
- Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? fis-je en rougissant davantage. Qu'est-ce que j'ai dit ?
Je compris vite qu'il était pris d'un tel fou rire qu'il mettrait un long moment à me répondre, levant les yeux vers moi avant de pouffer de nouveau et de repartir pour un tour, incapable de garder son sérieux. Je me retrouvai les bras ballants, totalement humiliée par sa réaction, et d'autant plus embarrassée que Natacha, en entendant le raffut, vint pousser la porte du salon.
- Qu'est-ce qui se passe ici ? fit-elle d'un ton curieux.
Andy se redressa, me montra du doigt dans une tentative d'expliquer sa réaction, mais ne parvint pas à émettre autre chose que des sifflements de vieille chaudière. Natacha pouffa de rire en le voyant et se tourna vers moi.
- Qu'est-ce qui lui arrive ? Tu as fait quoi pour qu'il soit dans cet état ?
- J'ai posé une question, répondis-je en me sentant un tantinet humilié et conscient que les choses n'allaient sans doute pas s'arranger dans les minutes à suivre.
- C'était quoi ?
- …
- Allez, crache le morceau je suis curieuse de savoir ce que tu as dit pour qu'il réagisse comme ça, fit-elle en désignant le danseur hilare.
- … Je lui ai demandé si un homme pouvait en aimer un autre, lâchai-je du bout des lèvres.
Natacha éclata de rire à son tour et Andy eut un nouveau sursaut d'hilarité.
- Mais pourquoi tout le monde réagit comme ça ?!
- Sérieusement, Angie ?! fit Natacha en essuyant des larmes de rire. Tu demandes ça à Andy ? Tu n'as pas remarqué qu'il était pédé comme un phoque ?
- Pé… quoi ?
- Homosexuel, quoi.
Je restai immobile, la fixant avec une incompréhension vaguement inquiète.
- Tu as quand même remarqué qu'il avait tendance à monter avec des gars pendant les soirées ? Tu n'es pas aveugle en plus d'être gourde ?
- HE ! m'insurgeai-je. Oui, je me suis rendue compte de ça, bien sûr.
- Tu croyais quoi, qu'ils jouaient au scrabble ?
Je fronçai les sourcils avant de comprendre, ouvrant une bouche scandalisée tandis qu'Andy riait de plus belle en voyant mon expression.
- Tu es vraiment sortie d'une grotte, c'est pas possible d'être aussi naïve !
- Mais… comment ils… NON NE REPONDS PAS A CETTE QUESTION JE VEUX PAS SAVOIR ! !
- Tu es sûre ? Vu tout ce que tu ignores, un cours sur le sujet serait pas de trop, ma belle, fit-elle en me taquinant les joues.
- Oh ferme-là, marmonnai-je, cramoisie et extrêmement vexée.
- Je comprends qu'Andy ait du mal à s'en remettre, fit-elle en lançant un large sourire.
Le danseur se redressa, tâchant de reprendre contenance, mais son sourire menaçait d'exploser de nouveau en fou rire. De mon côté, j'étais encore désarçonné par la réponse que je venais d'avoir.
- Eh les gens, vous en voulez une bonne ? s'exclama Natacha en sortant du salon. Angie vient de demander à Andy si…
Je bondis à sa suite pour la faire taire et elle m'évita en courant et riant au milieu des tables, renversant les chaises et provoquant un beau chahut dans la salle principale sous le regard amusé de nos collègues.
Cela allait me coûter le peu de crédibilité qui me restait au sein du cabaret, mais au moins, j'avais eu une réponse.
La soirée du nouvel an battait son plein et il y avait plus de monde que je n'en avais jamais vu au Bigarré. L'équipe de Mustang était au complet, comme on pouvait s'y attendre, mais plein d'autres militaires étaient venus, notamment Kramer et sa femme, avec qui Roy et moi avions partagé la table lorsque Hawkeye nous avait réunis pour un restaurant. Il me présenta rapidement deux de ses amis que je saluai chaleureusement mais dont j'oubliai aussitôt le nom, puis retournai au bar ou Maï préparait des pintes à la chaîne, pendant qu'Andy présentait le premier numéro d'une soirée spéciale.
- Il y a un monde fou ce soir !
- Oui, c'est génial ! Parti comme c'est, on pourra annoncer un chiffre d'affaire royal à Mel pour la dernière nuit de l'année !
- Ça devrait lui remonter le moral, oui, fit Neil.
Il avait toujours le même sourire feutré qui ne donnait aucun indice son état d'esprit réel, mais en disant ces mots, on sentait une sollicitude inquiète pour sa femme alitée.
- Il y a un paquet de militaires, commenta Lia en rapportant des verres vides avant de charger son plateau de bières.
- Je suppose que la venue fréquente de la bande d'Angie a dû attirer l'attention de leurs collègues.
- Hé, c'est pas "ma bande", me défendis-je en rougissant.
- Tant qu'ils payent et se tiennent bien… répondit la grande brune d'un air renfrogné.
Je repartis moi aussi vers les tables, servant les uns et les autres. Je saluai Riza, Roy et les autres, et pris leur commande sans pouvoir m'attarder pour autant. Vu le monde qu'il y avait, ce n'était sans doute pas ce soir que je pourrai me poser pour papoter et enchaîner les danses. En jetant un coup d'œil au grand brun attablé avec ses collègues, je sentis ma gorge se nouer. Ce n'était peut-être pas plus mal que je sois occupée ce soir, car les jours passant, j'avais de plus en plus de mal à le regarder en face, tandis que mes questionnements à son sujet encombraient toujours plus mon esprit.
Est-ce que je tenais à lui ? Sans aucun doute. Est-ce que je le trouvais beau ? Je ne pouvais pas dire le contraire. Est-ce que j'avais envie d'être plus proche de lui que je ne l'étais actuellement ? Cette question soulevait en moi une explosion de panique.
- Hé, miss ! Oui, toi, la blonde !
Je sursautai en voyant un militaire me faire de grands signes, me rappelant à la réalité, et me hâtai vers la table.
- Tu nous serviras deux pintes, belle gosse ? De l'ambrée s'il y en a.
- Je… bredouillai-je désarçonné par la familiarité de l'homme qui me mit immédiatement mal à l'aise. Je note.
Je pris les commandes alentours puis me faufilai au bar pour rassembler ce qu'on m'avait demandé, puis revins servir le duo à contrecoeur.
- Voici, deux ambrées. Ça fera 7 cents.
- Huit pour la princesse… oups, fit-il en laissant tomber la monnaie à terre.
Je me penchai pour la ramasser, et quand je croisai son regard en me redressant, quand je vis son sourire, je sus que sa maladresse était volontaire. Cette prise de conscience me troua l'estomac. Je me figeai, et en voyant ma réaction, son sourire s'élargit.
- Allons, il ne faut pas tirer cette tête, tu es plus mignonne quand tu souris. Allez, souris ma belle.
Avais-je envie de sourire ? Pas vraiment, si j'avais écouté mon instinct à ce moment précis, j'aurais plutôt explosé mon plateau sur sa face. Avec ses airs doucereux, il me rappelait Ian Landry, réveillant des souvenirs que j'aurais préféré garder enterrés. Je ne savais pas quoi faire à part tourner les talons et demander à quelqu'un d'autre de le servir, mais un mélange de peur et de fierté m'empêchait de lui tourner le dos. Je n'arrivais juste pas à accepter le mépris malsain avec lequel il me regardait, sans trouver comment me rebiffer.
- Byers, je ne pensais pas vous voir ici, commenta une voix familière tandis qu'un bras se glissait nonchalamment sur mes épaules, me faisant sursauter.
- Oh, Général Mustang… C'est donc vrai que vous passez vos soirées au Bigarré, fit-il avec une fausse déférence.
- Cela m'arrive, oui.
J'entendais à peine leurs échanges tant le contact du bras de Roy m'avait intérieurement incendiée. Il me tenait contre lui, sans me serrer, sans brutalité, mais comme pour dire que j'étais à lui. Et moi, j'avais l'impression que j'allais imploser en sentant son corps si près, son odeur qui m'enveloppait, sa chaleur qui m'envahissait.
Oh mon dieu ça s'arrange pas, pensai-je en détournant les yeux, remarquant Natacha qui fixait la scène d'un air goguenard.
Quand il m'éloigna de la table, le bras toujours sur l'épaule, j'étais incapable de dire quels avaient été les derniers mots qu'ils avaient prononcés. Roy se pencha vers moi tout en nous faisant avancer entre les tables.
- Je suis désolé d'avoir été aussi cavalier, mais je connais cet homme… ne t'en approche pas et dis à tes collègues de s'en méfier comme de la peste, murmura-t-il à mon oreille, me faisant frissonner.
- … D… d'accord.
Je compris mieux son geste sans parvenir à le trouver anodin, mais c'est avec le plus grand flegme qu'il me lâcha pour rejoindre la table.
- Byers est là, annonça-t-il à Riza d'un ton grave.
- Moi qui espérais passer une bonne soirée, soupira Riza. Hayles est au courant ?
- Je ne suis pas sûr, répondit Roy. Je suis désolé d'avoir agi comme ça, mais je préférai ne pas prendre de risque.
- Vous avez bien fait, je suppose, concéda la blonde à contrecoeur.
Encore un peu embrumée par l'embarras, je mis quelques secondes à comprendre qu'ils parlaient de la manière dont il m'avait éloigné du militaire.
- Quoi ? Il y a un problème avec Byers ? s'étonna Havoc.
- Évidemment, vous n'êtes pas au courant… C'est une affaire privée, répondit Roy d'un ton distant.
- … Je dois vous laisser, je vais bientôt devoir me changer pour mon numéro, bafouillai-je.
- C'est normal, Angie, c'est ton travail, fit Fuery d'un ton rassurant. En plus il y a plein de monde ce soir !
- Est-ce que tu pourras juste prévenir Hayles ?
- Ok, fis-je. Je file !
Natacha vint à ma rencontre et m'attrapa le poignet pour me traîner dans les coulisses.
- C'est bientôt l'entracte, il faut qu'on se prépare fissa.
- Je sais, désolé !
- Je vois bien que tu es occupée à te faire draguer, mais…
- Arrête avec ça ! m'indignai-je en rougissant. Ça n'a rien à voir ! Il y a un client pas net, apparemment Hayles le connaît.
- Ah ?
- Un militaire, avec un nom en B… Bryan… ? Non, c'était pas ça…
- … Byers ? demanda Clara en m'entendant hésiter.
- Oui, c'est ça, Byers.
- Ok, je vais me le faire… fit-elle en se redressant avec un regard noir.
- Rhabille-toi d'abord, commenta Andy en passant.
- Et toi, vire du vestiaire de filles, que je puisse me changer, grommelai-je.
- Tu sais bien que je te materais pas ma belle ! rappela Andy avec un clin d'oeil.
- Même ! Ça me gêne !
- Clara, tu pourras prévenir Maï qu'il est là, histoire qu'elle ne tombe pas dessus par hasard ? fit Natacha en jetant sa robe sur le dossier d'une chaise.
- Ça marche !
Je me changeai à la hâte, puis Tallulah me coiffa pendant que Natacha reprenait mon maquillage. Les unes et les autres avaient bien tenté de m'éduquer à me maquiller et coiffer moi-même, mais devant le résultat, elles avaient toutes fini par renoncer et reprendre les commandes. J'entendais Jess et Roxane chanter en duo et souris. Depuis les coulisses, je ne voyais pas leur danse, mais je ne doutais pas de leur succès, et les applaudissement confirmèrent mon intuition.
- À nous !
Je retrouvai la chorégraphie de Pistol, ce numéro que nous faisions en trio, Natacha, Tallulah et moi. Appliquée à danser, je retrouvai le plaisir de la musique qui me traversait de part en part, le rythme de Molly à la batterie, les cascades de notes de Wilhelm, et le claquement de nos fers sur les planches de la scène. Comment ne pas sourire ? Ces moments étaient toujours magiques.
Comme toujours, le numéro passa à la vitesse de l'éclair, et je redescendis après avoir été gavée d'applaudissements. La salle était pleine, et l'ambiance s'en ressentait. Tout le monde semblait décidé à passer une bonne soirée.
- N'empêche, c'est dommage que tu ne veuilles pas arrêter de porter tes gants, sportive comme tu es, tu ferais un malheur en pole dance.
- Je n'ai pas l'intention de me mettre à poil pour danser.
- Qui a dit que tu devais être à poil ? Être en sous-vêtements suffit !
- C'est déjà trop dénudé pour moi ! grommelai-je.
- On reparle de ta tenue pour Toxic ?
- Lily-Rose m'a manipulée ! C'était beaucoup plus décent sur le dessin qu'elle avait fait ! En plus elle a encore retiré des morceaux de tissu à l'essayage sous prétexte que "ça ne mettait pas en valeur ma gestuelle."
- Allons, tu sais bien qu'elle a fait ça pour l'amour de l'art !
Je fis une moue dubitative. J'avais accepté de porter une robe fendue et très décolletée, pas de me retrouver le nombril à l'air dans une tenue à peine plus couvrante qu'un ruban de paquet cadeau. Seulement, Lily-Rose avait été tellement insidieuse dans ses changements que je n'avais pas su quand me rebiffer, et de fil en aiguille, je me retrouvais avec un costume et une chorégraphie que je n'étais pas sûre d'assumer.
- Ne fais pas cette tête, va. Tu es vraiment à tomber par terre dans cette tenue, fit Natacha d'un ton rassurant.
- Je me change et je retourne faire le service. Vu le monde qu'il y a, mon aide ne sera pas de trop.
Fuyant les taquineries de Natacha avec cette pensée que je n'avais aucune envie d'être "à tomber par terre", je revins au bar ou Neil me désigna la cuisine.
- C'est le coup de feu pour les plats, tu peux leur donner un coup de main pour le service ?
Je traversai la pièce effervescente et trouvai Lily Rose et Maï en train de s'affairer en discutant.
- Tu veux que j'empoisonne son assiette ?
- Bien sûr que non ! s'insurgea la militaire.
- Tu n'es plus au bar ? lui demandai-je.
- Je me planque pour ne pas croiser Byers.
- Mais qu'est-ce qu'il t'a fait ce gars pour que tout le monde le déteste à ce point ?
- On te racontera plus tard, apporte plutôt ça à la table 13, répondit Lily Rose en me fourrant deux assiettes dans les mains. Et les deux salades pour la 11, tant que tu y es !
C'est avec une certaine appréhension que je ressortis, les bras encombrés d'assiettes. On m'avait montré la technique pour en porter un maximum d'un coup, mais je n'avais pas l'aisance de celles qui faisaient ça depuis des années, et je savais bien que j'avais une réputation de brute. Je parvins à enchaîner les aller-retours sans catastrophe, et quand les choses se tassèrent un peu, j'en profitai pour retrouver la table des militaires, trouvant tout le monde en train de manger les plats qu'ils avaient commandés pendant que j'étais en coulisses.
- Ça va, vous passez une bonne soirée ?
- C'est toujours aussi bon ! confirma Breda en levant la main d'un geste appréciateur.
- Parfait !
- Hé, Angie, au fait, je me posais une question, ajouta-t-il en levant les yeux vers moi, m'arrêtant dans mon élan. Pourquoi tu portes toujours un gant à la main droite ?
Je me mis à rougir et attrapai mon automail dans un mouvement réflexe, comme si ce geste me permettrait de dissimuler mon secret. Personne ne m'avait posé la question aussi frontalement au Cabaret, et j'avais fini par croire que tout le monde s'en fichait, mais en voyant les regard curieux de Falman, Fuery et Roy, je compris que je ne pourrais pas toujours m'en tirer aussi facilement.
- Je… je n'aime pas trop en parler… j'ai eu un accident, inventai-je d'une voix gênée.
- Qu'est-ce qui s'est passé ?
- … Un départ d'incendie, bredouillai-je. J'ai eu le bras brûlé, et… j'ai pas envie de le montrer du coup.
- Ah, je comprends mieux… fit Breda, un peu songeur. Désolé, je ne voulais pas t'embêter avec ça, c'était par simple curiosité.
- Je comprends que ça intrigue, fis-je avec un sourire figé. Je vais retourner faire le service.
Je fuis la tablée, le ventre noué. Mentir à Breda et ses collègues, c'était une chose, mais Roy… Le regard pesant d'Hawkeye n'arrangeait rien à ma culpabilité. Oui, si j'avais été moins idiot, j'aurais dit la vérité depuis longtemps, et je ne serais pas en porte-à-faux comme ça. Mais quand on avait été assez faible pour se laisser engluer dans une situation pareille, comment pouvait-on espérer avoir la force de s'en sortir ?
Comme je passais à côté d'elle, Clara m'attrapa en passant le bras autour de mes épaules et me fit pivoter d'un quart de tour.
- Hé, toi qui connais bien les militaires, tu pourrais pas récupérer deux paires de menottes ?
- Pour quoi faire ?
- Si je te le raconte, tu regretteras d'avoir posé la question.
- Encore un truc sexuel c'est ça ?
- Héhéhé, tu commences à me connaître, on dirait, répondit-elle avec un sourire félin et un hochement de tête.
Je haussai mon épaule pour me dégager de sa prise.
- Ok, je leur demanderai… Allez, lâche-moi, je dois travailler.
- Ça ne te gêne pas quand c'est Mustang.
- C'est pas que ça me gêne, c'est que je suis occupée ! Et vu le monde qu'il y a, tu ferais mieux de faire le service au lieu de m'emmerder !
- Rabat-joie ! lança-t-elle avant de repousser ses cheveux derrière son épaule.
Je soufflai sous le coup de l'agacement, puis repris ma route. Sur scène, les grandes silhouettes d'Aïna et Lia dansaient dans des robes d'un vert intense, menées par le piano de Wilhelm et Claudine qui jouait du violoncelle avec application. Je restai deux secondes à observer avant d'être hélé par un client. Il était juste à côté de la table du fameux Byers, j'approchai donc avec une pique d'inquiétude, mais, peut-être parce que Mustang avait eu ce geste possessif, le militaire n'essaya pas de me parler quand je passai à côté de la table.
- On pourra avoir une nouvelle bouteille de vin, et une carafe d'eau ? demanda l'homme qui m'avait appelé, un grand brun moustachu, les cheveux gominés en arrière.
- Bien sûr, je vous amène ça tout de suite, répondis-je avec un sourire après avoir vérifié l'étiquette.
- Allez, ce soir, je farcis la dinde, s'exclama une voix goguenarde. Histoire de bien commencer la nouvelle année.
Je me retournai, outrée. C'était Byers qui avait dit ça, et vu le ton employé, c'était manifestement sexuel.
- C'est indélicat, commenta le client à côté de moi.
- Je suis désolée… bredouillai-je.
- Ce n'est pas vous qui êtes malpolie.
Je hochai la tête, mortifiée et repartis chercher les boissons, puis commençai à noter les commandes de desserts et transmettre en cuisine. Finalement, je n'avais pas besoin qu'on m'explique ce que Maï avait à reprocher à ce type, je pouvais très bien l'imaginer par moi-même. Voyant le travail acharné que faisaient les deux amies, je me proposai pour leur donner un coup de main. Je me retrouvai à verser le chocolat fondu sur les profiteroles pendant que Maï faisait flamber les crèmes, puis je ressortis avec les assiettes posées en équilibre précaire.
Ne pas les faire tomber, ne pas les faire tomber Lily-Rose et Maï vont pleurer si elles doivent refaire des desserts, pensai-je en me faufilant avec les tables. Je servis sans me tromper, puis pris la commande de l'horrible militaire, qui, à ma grande surprise, me parla poliment. Était-ce grâce au geste de Mustang ? Si c'était le cas, je lui en étais infiniment reconnaissant.
Le spectacle touchait à sa fin quand j'arrivai avec les desserts à la table de Roy, Riza et compagnie.
- Je suis toujours étonné de voir tout ce que tu arrives à porter sans rien casser, commenta Havoc.
- Hé, qu'est-ce que ça veut dire, ça ? ! Tu insinues que je suis maladroite c'est ça ?
- Pas mon genre, voyons !
- Du coup, quel est le programme de la soirée ? Il est bientôt minuit, mais après ?
- Après le spectacle, on fera un bœuf et on dansera toute la nuit, répondis-je avec un sourire. Je ne sais pas ce que ça va donner avec autant de monde, mais je pense que ça sera amusant ! Enfin, si vous avez des talents cachés de musicien, c'est le moment de nous en faire profiter !
- Breda peut vous faire un concerto de ronflements comme ça ! fit Havoc en levant une main appréciatrice.
- Et toi une symphonie de geignements en sol mineur, grommela Breda.
- Arrête, en ce moment, je suis le plus heureux des hommes, contredit le grand blond avec un large sourire.
- Ah, avant que j'oublie, est-ce que vous pourriez me prêter deux paires de menottes ?
- Hein ? !
- Me regardez pas comme ça ! bredouillai-je en rougissant violemment. C'est pour Clara, elle m'a demandé si elle pouvait vous les emprunter le temps de la soirée. Promis, elle ne les cassera pas !
Mustang recracha son verre en piquant un fard, et Breda eut un rire gras en voyant sa réaction.
- Houla ! Notre Général…
- Général !
- a manifestement des choses à raconter !
- Plutôt mourir, lâcha-t-il placidement sans parvenir à retrouver une couleur normale pour autant.
J'avais peut-être détesté le petit déjeuner où Clara avait raconté avoir "testé Roy Mustang", selon ses propres termes, mais en voyant sa réaction, je ne pus m'empêcher de rire franchement, ce qui n'arrangea rien à son cas. Breda et Havoc étaient tellement hilares que prêter leur outil de travail leur sembla être une rétribution bien faible pour ce moment. Je pris les menottes et les fourrai dans les poches de ma robe avec de grands remerciements.
Il y eut des applaudissements annonçant la fin du numéro, puis Andy monta sur scène pour un petit discours, qu'il avait comme d'habitude émaillé de piques d'humour. Il raconta rapidement comment l'aventure du Bigarré avait commencé huit ans auparavant, avec les fuites de la verrière et le lierre qui avait envahi la cuisine, décrivant les difficultés et les imprévus les plus cocasses. Il présenta les uns et les autres au fur et à mesure de l'aventure, raconta comment Natacha l'avait traîné sur les toits pour l'aider aux réparations, avouant qu'il continuait à avoir le vertige malgré la torture régulière.
- Cette année, on a vu arriver de nouvelles personnes, Tallulah, notre mascotte officielle, un petit rayon de soleil de de tendresse, fit-il tandis qu'ils l'applaudissaient et qu'elle les saluait, mais aussi Ray. C'est le meilleur des bricoleurs, depuis qu'il est là, on n'a plus peur de mourir sous un projecteur ! Merci à lui !
Il y eut une salve d'applaudissements, et Ray sortit timidement des coulisses pour saluer la foule, aussi embarrassé qu'heureux.
- Et comme notre famille continue à s'agrandir, le mois dernier, c'est Angie et Roxane qui sont arrivées. Venez, les filles !
Je traversai la salle en rougissant, puis bondis sur la scène tandis que Roxane s'éloignait du bar pour saluer aussi. En voyant la salle comble du haut de la scène, un sourire me dévora le visage. J'étais heureux de voir que le Cabaret marchait bien, et je savais à quel point les autres avaient travaillé dur pour cela, à quel point ils le méritaient.
- Angie, c'est la petite dernière… elle est tellement pure que d'un côté, on a envie de préserver son innocence, de l'autre, on ne peut pas s'empêcher lui faire des farces.
Je lui arrachai le micro pour le faire taire sous les rires du public, surjouant l'indignation.
- Déjà, je ne suis pas petite, et puis il dit ça mais je peux vous garantir qu'il penche TOUJOURS pour la deuxième option.
Il me rattrapa en passant son bras autour de mon cou et récupéra le micro avec son habituel sourire charmeur.
- Elle dit ça parce qu'elle ne sait pas à quoi elle échappe !
Tout le monde s'esclaffa et le discours continua encore un peu, prenant des airs de clowneries par moments, puis nous redescendîmes de scène et Andy arriva à la conclusion.
- Rien de tout cela n'aurait été possible sans Mel, notre mère de famille à tous. Malheureusement, elle est malade ce soir, mais je suis sûr que si vous faites assez de bruit, elle vous entendra depuis sa chambre !
Il eut gain de cause puisque le public, particulièrement motivé, applaudit et siffla avec énergie. En tournant la tête, je constatai que Neil avait quitté le bar, et supposai qu'il était avec elle en ce moment même. Jess avait pris sa place, accoudée au zinc pour suivre le discours avec un sourire empreint d'affection.
- Enfin, merci à vous tous d'être là ce soir, on est ravi de vous accueillir. C'est grâce à vous, spectateurs, que ce lieu a pu renaître de ses cendres. Je compte sur vous pour revenir faire la fête et faire vivre ce cabaret encore longtemps ! Je vous invite à trinquer au Bigarré !
- Au Bigarré ! s'exclamèrent les visiteurs, levant leur verre avec le sourire.
- Il y a encore du temps avant minuit, je compte sur vous pour enflammer la scène pour vos dernières danses de l'année. Et maintenant, musique !
Wilhelm et Molly commencèrent à jouer à ce signal, Natacha les rejoignit avec son saxophone éclatant, et Andy sauta à bas de la scène et se faufila à ma hauteur, m'attrapant et m'attirant sur la piste pour un swing endiablé.
- Tu as décidé de t'acharner sur moi ce soir ? demandai-je en riant tout de même.
- Pas plus que d'habitude, voyons ! répondit-il tandis que la piste se remplissait de couples. Pourquoi tu fais un bruit de chaînes ?
- C'est les menottes que j'ai empruntées pour Clara.
- Des menottes ? Il se passe quelque chose que j'ignore ? fit-il en riant.
- Je n'ai pas tout suivi, j'avoue que je me contente d'obéir à sa demande sans vouloir en savoir plus.
Je me sentais emportée par le rythme de la batterie et du piano, la mélodie bondissante du saxo, entourée de couples en pleine envolée. La vie était belle, sans aucun doute, et si moqueur qu'il soit, danser avec Andy était un plaisir. Il avait une énergie communicative, et il me prit au dépourvu avec un porté particulièrement acrobatique, m'arrachant un rire qui sembla le satisfaire. Il enchaîna les morceaux sans me laisser de répit, et c'est seulement au décompte de minuit qu'il arrêta de me faire virevolter pour m'attraper par les épaules en déclamant avec un grand sourire les dernières secondes avant le nouvel an. Comptant avec lui en essayant de ne pas mourir étranglée, je riais tout en songeant avec un pointe de tristesse qu'il ne manquait qu'Al et Winry, pour que cette soirée soit parfaite.
Clara m'attrapa en passant pour récupérer les menottes, en me taquinant comme à son habitude, tandis qu'Andy, inépuisable, trouvait une autre partenaire de danse. Quand je jetai un œil à la table des militaires, je vis qu'elle s'était désertifiée en mon absence, ne laissant que Riza en train de siroter son vin. Tout en cherchant Roy du regard, je m'assis à côté et me servis un verre d'eau que je bus cul sec avant de le remplir et de le vider à peine plus lentement.
- Où sont les autres ? demandai-je, constatant qu'il n'y avait ni Havoc, ni Fuery, ni Mustang à la table.
- Havoc est au bar pour pouvoir voir Roxane pendant qu'elle travaille, Breda et Fuery dansent avec des clientes, et la dernière fois que j'ai vu Mustang, il discutait avec le lieutenant Kramer.
- Tu ne t'ennuies pas en étant seule ?
- Oh non, je trouve ça plutôt reposant au contraire, répondit-elle avec un sourire. Je te regardais danser, c'est vraiment impressionnant.
- Merci, mais je n'ai aucun mérite, je ne fais que suivre Andy, répondis-je avec un sourire.
Le silence retomba, et je baissai les yeux vers mes chaussures en faisant des cercles machinaux du pied.
- Tu ne lui as toujours pas dit la vérité, n'est-ce pas ?
- … Non, soupirai-je.
- Tu n'as pas eu d'occasion depuis la soirée de l'autre jour ?
- Si, on a pu passer du temps seuls tous les deux, mais…
Je me frottai le bras, les yeux baissés.
- Je n'ai pas eu le courage de lancer cette conversation. Je n'ai vraiment pas envie de voir sa réaction… Je crois que je ne me sens pas capable d'affronter ça.
- Tu sais que plus tu attends, pire ce sera.
- Je sais… mais je me dis… au pire… s'il n'apprend pas la vérité…
- Tu ne comptes quand même pas lui cacher ça éternellement ? ! s'étrangla-t-elle.
- Il n'y a qu'une poignée de personnes qui est au courant de mon changement, et… celui qui me sert de père peut me faire revenir à mon état antérieur… au fond, tout ce qui m'arrive en ce moment n'est qu'une parenthèse avant que je revienne à la normale.
En prononçant ces mots je me sentis immensément triste. C'était pourtant ce que je voulais, retrouver mon corps, ma vie d'avant. Danser m'amusait, mais je n'avais pas besoin d'être une femme pour ça, et je pourrais échapper à toutes les coquetteries auxquelles je me pliais actuellement pour ne pas être reconnu. Je pourrais être de nouveau moi-même, complètement, pour de bon.
- Tu penses vraiment ce que tu dis ? fit-elle. Parce que dans ce cas, tu devras dire adieu à tout ce que tu as vécu ici.
Je levai les yeux vers le plafond de tentures, les guirlandes de lampions, la scène ou Claudine et Lia jouaient un duo plein d'énergie. Une fois n'était pas coutume, Andy avait été arraché à la danse par Aïna, qui l'obligeait à ramasser les verres vides des tables. En cuisine, Lily-Rose et Maï devaient s'attaquer à une plonge particulièrement monstrueuse. Neil était revenu au bar et Tallulah apportait des bières en quantité. Wilhelm avait abandonné son piano le temps de se désaltérer et s'était assis à côté de Molly qui semblait bouder. Je savais qu'une fois que je serai redevenu Edward Elric, je n'appartiendrais plus à ce petit monde, que même si j'y revenais, rien ne serait plus pareil.
- J'ai déjà tourné le dos à mon enfance en brûlant la maison où j'ai grandi, et mon frère a oublié ces quatre dernières années… côté pertes, je n'en suis plus à ça près, répondis-je en regardant dans le vague. Tout le monde ici a vécu sans Bérangère, ils s'en tireront très bien après mon départ.
Riza planta son regard dans le mien et je sentis qu'elle ne se laissait pas berner par mon apparente désinvolture. Oui, cette idée me faisait mal. Mais quel choix avais-je, au fond ? Elle s'apprêta à dire quelque chose, puis se ravisa.
- C'est ta vie, après tout… soupira-t-elle. Je n'ai pas à décider à ta place… mais ne t'avise pas de rejeter la faute sur les autres si ça ne se passe pas comme tu l'espères.
- J'assumerai mes choix, murmurai-je à mi-voix.
- Dites-donc, vous avez l'air vachement sérieuses toutes les deux ! s'exclama Fuery en revenant à la table, suivi de près par Breda. Vous parlez de quoi pour tirer une tronche pareille ?
- Rien qui vous regarde, répondit froidement Hawkeye.
- Vous feriez mieux de venir danser au lieu de déprimer à table. Allez, Hawkeye, je vous invite ! lança le binoclard en tendant la main vers la militaire stupéfaite.
- Comment ? ! lâcha-t-elle. Est-ce que j'ai une tête à danser ?
- Alleeeeez, c'est une scottish, c'est la danse la plus facile du monde ! lança le binoclard avec un large sourire.
- C'est malpoli de refuser, commenta Breda.
- Et c'est pas tous les jours la nouvelle année ! renchéris-je.
Elle me regarda avec un oeil noir.
- Traîtresse.
- Allez, je suis sûre que tu t'amuseras plus que tu le penses, Fuery se débrouille bien en plus !
Joignant le geste à la parole, je poussai son épaule pour la déloger de sa chaise, et elle finit par se lever en désespoir de cause. En allant vers la piste, elle avait l'air de monter à l'échafaud, mais l'enthousiasme enfantin de Fuery parvint, sinon à la dérider, du moins à lui faire quitter son expression mortuaire.
- Hé bien, je ne pensais pas voir ça un jour, commenta Breda en riant. J'ai bien fait de faire boire Fuery !
- Pas trop, j'espère ? commentai-je, un peu inquiet.
- On ne travaille pas demain, il pourra toujours cuver toute la journée.
- Ahaha, vu comme ça !
- Elle dit qu'elle ne sait pas danser, mais elle se débrouille pas si mal, en fait.
- Oui, mais ça fait bizarre de voir ça, c'est assez contre-nature.
- Ahahah, tellement. Je vais prévenir Havoc. Hawkeye qui danse, c'est le genre de phénomène qu'on ne voit qu'une fois dans sa vie !
- J'avoue, je vais prévenir Roy aussi.
Je passai quelques secondes à me faufiler entre les tables, cherchant des yeux le militaire, réalisant qu'entre le service et le spectacle, je l'avais à peine vu de la soirée. En le trouvant enfin, je me figeai.
Il était attablé avec une belle femme d'environ son âge, cheveux auburn, silhouette parfaite dans sa robe rouge vif. Même sans être très intéressé par le sujet, j'étais bien obligé d'admettre qu'elle était extrêmement séduisante. Et surtout, elle discutait avec lui, épaule contre épaule, le sourire aux lèvres, le couvant du regard.
Mon ventre se tordit dans toutes les directions en même temps. Mustang avec une femme, ça n'avait rien de nouveau ni d'étonnant… alors pourquoi je me sentais aussi blessée, déçue ? Je n'avais quand même pas eu la prétention d'être une personne spéciale à ses yeux ? Il avait flirté avec moi, je l'avais repoussé, il était passé à autre chose. C'était tout. À ses yeux, j'étais une femme parmi d'autres. L'affaire était close, et c'était le mieux, puisque Bérangère était de toute façon amenée à disparaître tôt ou tard.
Je n'avais pas le droit de vouloir autre chose que de l'amitié, ce serait un drame inextricable. J'aurais mieux fait de me réjouir que la situation se simplifie d'elle même. J'en étais pourtant incapable.
Réalisant que j'étais restée plantée là au milieu du passage, je fis demi-tour et me dirigeai vers les cuisines, sentant malgré moi mon visage se fermer.
Wilhelm faisait la vaisselle tandis que je l'essuyais, la mine morose. Il respectait mon silence boudeur, sans doute plus par tempérament que par égard pour moi, mais ça me convenait. Je ne savais plus depuis combien de temps je séchais verres, assiettes et couverts qui semblaient s'empiler sans fin. C'était le prix à payer d'une soirée pareille, avec le monde qu'il y avait, les boissons défilaient à un rythme soutenu. Quand j'étais arrivé en cuisine pour proposer à Maï de la remplacer, j'avais fait une heureuse, et elle s'était empressée de partir danser. Peu après, Wilhelm était arrivé avec la même idée, et nous nous étions retrouvés tous les deux à travailler en silence, laissant les autres s'amuser ou faire le service. Natacha était ensuite venue avec une nouvelle fournée de verres sales et m'avait attrapée pour me câliner. Je l'avais rabrouée sans délicatesse, renonçant à dissimuler ma mauvaise humeur.
Je continuai à aligner les verres propres, le ventre noué en pensant à Mustang et l'inconnue, rageant intérieurement de ne pas parvenir à trouver ça sans importance. J'aurais voulu m'en foutre, mais j'avais envie de hurler.
- J'arrive au bout, on dirait, commenta Wilhelm de sa voix grave.
- Tu devrais retourner en salle, tu sais bien qu'ils ne peuvent pas se passer de toi, commentai-je en me forçant à sourire.
- Et toi ?
- Ça va, je vais m'occuper de ça, fis-je en désignant l'égouttoir encore bien encombré.
- Comme tu veux.
Je me retrouvai seul dans la pièce désordonnée, et j'avais beau l'avoir souhaité, ça ne me soulagea pas. J'entendais les autres jouer de la musique, danser, rire, mais je n'avais plus le cœur à tout ça. Quand la porte s'ouvrit, je m'attendis à ce que ce soit Natacha et ses moqueries, ou du moins un des membres du cabaret. Les seuls comportements que j'aurais tolérés à cet instant auraient été le silence de Wilhelm ou la tendresse inconditionnelle de Tallulah.
- Ça va ?
Je sentis mon cœur faire une embardée en reconnaissant la voix de Roy, mais je ne me retournai pas.
- Je travaille, lâchai-je d'une voix distante.
Il ne répondit pas, mais je l'entendis faire quelques pas, puis apparaître à côté de moi, attrapant un torchon et un verre laissé à égoutter.
- Qu'est-ce que vous fichez ?
- Je te donne un coup de main pour que tu finisses plus vite et que je puisse t'inviter à danser.
Je plissai les yeux, murée dans un silence boudeur. Il pouvait bien paraître affable, je ne comptais pas me laisser berner par ses politesses.
- Qu'est-ce que j'ai fait pour être vouvoyé de nouveau ?
Je rougis mais persistai à regarder ailleurs. Je ne voulais pas croiser son regard, je ne voulais pas dire pourquoi je faisais la gueule, ça serait revenu à lui avouer des sentiments encore trop confus et torturés pour que je les accepte moi-même.
- J'aurais apprécié de pouvoir t'inviter à danser avant minuit, mais Andy ne voulait pas te lâcher, donc j'ai renoncé et j'en ai profité pour parler aux gens que je connaissais, Kramer et sa femme, et Robinson, une journaliste que j'avais déjà rencontrée il y a quelques mois. Elle veut faire un article à propos de mon parcours dans l'armée.
Je m'empourprai. L'entendre se justifier d'un reproche que je n'avais même pas formulé à voix haute me mettait extrêmement mal à l'aise. Il était trop perspicace, je ne voulais pas avoir à l'admettre.
- Est-ce que je pourrai avoir ma première danse de l'année avec toi ? fit-il simplement.
Je laissai passer un silence, puis finis par hocher la tête, cédant dans un mélange de soulagement et d'inquiétude. Cela sembla lui suffire, et même si j'aurais préféré crever que l'admettre à voix haute, le fait qu'il soit venu me dénicher me soulageait.
Peut-être que finalement, il tenait quand même un peu à moi…
Je n'arrivais pas à savoir si je devais considérer ça comme étant une bonne ou une mauvaise chose.
- Hé bien, on a battu notre record ! commenta Neil d'un ton satisfait, après avoir terminé les comptes. C'était la soirée la plus rentable qu'on ait faite depuis l'ouverture du Bigarré.
- Héhéhéhé, l'année commence bien ! fit Jess en trinquant au thé.
- Super nouvelle ! Sur ce, je vais me pieuter ! annonça Andy avec un grand bâillement.
- Ouh, toi je sens qu'on va pas te revoir avant mardi, commenta Natacha en riant.
La fête avait duré jusqu'à six heures passées, autant de danses, de chants, de rires, émaillés de moments de plus en plus improbables au fur et à mesure que le temps passait et que la salle se vidait. Nous avions entendu Clara interpréter une chanson idiote parlant d'un général vendu sur le marché pour "quelques choux-fleurs et un cageot de pommes pas mûres", sans aucun doute dédiée à Mustang, et qui avait fait rire toutes les personnes encore présentes. Neil nous avait ensuite fait découvrir ses talents de ventriloque avec une chaussette verte transformée en marionnette, nommée Frédégonde et doté d'un humour tellement infect qu'il était dur de croire qu'une personne aussi affable que lui ait pu l'avoir inventée et animée.
Après n'avoir fait que le croiser pendant la première partie de la soirée, j'avais finalement passé beaucoup de temps avec Roy, tantôt pour papoter en buvant avec les autres, tantôt pour danser. Le swing, le tango, la valse, le lindy et le big apple, tout y était passé, et aucun événement gênant ne fut remis sur le tapis, à mon grand soulagement. Mes collègues m'avaient taquinée, mais pas plus que d'habitude. J'avais aussi tenté d'apprendre des pas de claquettes à Havoc, Breda et Fuery, avec un résultat mitigé, et fait des concours de virelangues que j'avais gagné haut la main, sans doute aidée par le fait que j'étais la seule personne encore sobre de la tablée. Si on exceptait le fait que Breda m'avait posé trop de questions à mon goût, m'obligeant à mentir à répétition sur ma vie passée, j'avais finalement passé un excellent réveillon, et vu les yeux brillants de joie et de fatigue des personnes encore debout au matin, je n'étais pas la seule.
- Il faudra faire des courses rapidement, en général, on compte sur les restes, mais on en a pas des masses cette année !
- Je veux bien aider à porter, ça me fera prendre l'air, proposai-je.
- Et tu dors quand ?
- Dormir, c'est pour les faibles ! m'exclamai-je en pliant le bras.
J'avais beau avoir fait une nuit blanche, je me sentais en pleine forme. L'année commençait dans la bonne humeur, j'étais bien entouré, et je vivais des moments que je savais éphémère et précieux. Je le savais, j'aurais bien des occasion d'y repenser avec mélancolie, mais il était trop tôt pour ça. Quand la sonnette de l'entrée sonna, annonçant sans doute le facteur, je bondis, prête à ouvrir la porte. Je traversai la salle principale, passant à côté de Wilhelm dont la silhouette endormie sur le canapé ressemblait à un tas de branches noueuses, puis poussai la porte du couloir pour ouvrir. À l'entrée attendait, non pas le facteur, mais un homme tenant un grand bouquet de fleurs jaunes.
- Bonjour et bonne année à vous.
- Bonne année !
- J'ai une livraison pour Bérangère Ladeuil.
- C'est moi ! répondis-je avec un large sourire.
- Voici pour vous !
- Merci beaucoup, répondis-je, surprise de me retrouver avec ce cadeau inattendu dans les bras. À qui dois-je ce magnifique bouquet ?
- Oh, le commanditaire est resté anonyme, fit l'homme.
- Je ne pourrai pas le remercier...
- Ce sont des choses qui arrivent, plus souvent qu'on ne le pense ! Je vais filer, j'ai du travail qui m'attend. Bonne journée miss !
- Merci, vous aussi !
L'homme remonta au volant de sa camionnette et repartit, puis je traversai le cabaret dans l'autre sens, ramenant l'imposant bouquet. Jess me dénicha un vase qu'elle remplit d'eau pendant que le coupais les tiges et enlevais le papier de soie qui l'entourait. Une enveloppe en tomba, je la ramassai et la glissai dans ma poche, tandis que les autres me taquinaient, demandant quel admirateur secret m'avait fait un présent pareil. Évidemment, ils évoquèrent Roy, mais je n'y croyais pas une seconde.
Peut-être était-ce la réponse de Fierceagle à mon courrier ? En tout cas, connaissant les membres du cabaret, il valait mieux se poser dans un coin tranquille pour ouvrir son courrier. Une fois le bouquet installé dans la cuisine et admiré, je profitai du départ des autres pour ressortir l'enveloppe et l'observer davantage.
Elle était bleu pâle et de petite taille, sans aucune mention. En la retournant, je vis un sceau de cire blanche dessinant la silhouette d'une chouette, ce qui ne m'avança pas davantage. Intriguée, je le décollai pour ouvrir et en tirai une petite carte assortie, avec un texte élégamment écrit à la plume.
"Il paraît que vous avez une poigne de fer sous votre gant de velours, mademoiselle Iris Swan."
Ce n'était que deux lignes de texte, sans signature, sans rien d'autre, mais je les lus et relus en boucle, incrédule, sentant mes mains trembler et une profonde terreur monter, me dévorant de l'intérieur dans un long crescendo de panique. Dans un geste irréfléchi, je marchai vers le poêle et y jetai l'enveloppe au feu avant de refermer brutalement la portière, les mains crispées sur la poignée comme si elle pouvait empêcher cette vérité de ressortir des flammes. Je restai immobile dans la pièce silencieuse, les mains tremblantes, effaré par ma propre réaction, affolé de savoir que mon geste était vain, qu'effacer cette preuve ne changeait rien à cette situation terrifiante.
Quelqu'un connaissait mon secret.
Quelqu'un connaissait non seulement ma véritable identité, mais aussi le rôle que j'avais joué à Lacosta.
Je n'avais aucune idée de qui avait envoyé ce bouquet, mais une chose était sûre : ce n'était pas un ami.
