Bonjour et bon lundi tout le monde ! Nous voila parti pour un nouveau chapitre du point de vue de Winry, qui devrait répondre à quelques-unes de vos questions - et en laisser d'autres en suspens parce que sinon c'est pas drôle.

J'ai décidé de remanier les titres de chapitres, à l'usage que je trouve que les "chapitre 61 - 2" et compagnie ne sont pas très lisibles... d'autant que je pense revenir à des chapitres de taille "normale" pour la dernière partie de l'histoire. Ne vous étonnez pas s'il y a des petits remaniements/cafouillages dans la numérotation, le temps que je recale ça proprement.

Côté illustrations, je pense mettre ça de côté pour le moment (même si j'ai des illus "rapides" autour du projet que je partagerai surement le moment venu) pour me réserver sur ces passages qui m'intéressent vraiment à dessiner. Il y a d'autres projets en coulisses (comme les illustrations de Stray cat qui est toujours en cours et le projet du Cabaret Bigarré qui commencent à prendre une tournure plus concrète.) Je ne peux pas tout montrer, mais je suis plutôt prolifique en ce moment, ça fait plaisir ! ^w^ Les conventions ne vont pas reprendre tout de suite, du coup je veux mettre ce temps à profit pour avancer un max certaines choses, tout en étant impatiente de refaire des conventions, IRL ou virtuelles (d'ailleurs, j'ai pu faire une petite session "coulisses de Bras de fer" lors de la convention Octopote, c'était une chouette expérience !)

Bref, je suis motivée à bosser, et je vais me taire parce que je suis vraiment trop bavarde ! ^^° Bonne lecture !


Chapitre 63 : Le dilemme - 2 (Winry)

Greyden gara la voiture de fonction sur le bas-côté, sous le couvert des arbres qui avaient empêché la neige de former un épais tapis à cet endroit. Je poussai la porte tandis qu'Alphonse et Gordon sortaient de leur côté. Le froid me gifla les joues et j'inspirai une goulée d'air qui me brûla les poumons. Il faisait froid, mais ce vent qui allait où il voulait faisait du bien après l'air chaud et vicié dans lequel je m'étais pelotonné en refusant de sortir pendant des jours. Je ne voulais pas affronter le regard des habitants de la ville, mais là où nous allions, il n'y aurait pas grand-monde pour me juger.

J'avais hésité, mais finalement, quand Al s'était préparé à son ascension chez Stain, je m'étais souvenue de sa proposition. Il ne neigeait pas aujourd'hui, le ciel était même découvert, c'était le moment ou jamais. Bien sûr, il s'était inquiété que je sois trop fatiguée pour la randonnée qui s'annonçait, mais ma crise de panique m'avait fait réaliser quelque chose : si je ne me passais pas les nerfs en trompant mon esprit ou en me dépensant, j'allais exploser. Et puis, il m'avait vanté la beauté du panorama, et j'étais curieuse de découvrir une partie de ce qui faisait ses journées, pendant que je restais enfermée dans l'atelier ou la résidence.

- Ça va, tu te sens bien ? s'inquiéta Al. Pas trop froid ?

- J'ai enfilé trois pulls, des moufles, un bonnet et un manteau de laine doublée, je pense que je devrais survivre, fis-je avec un sourire.

- Prévenez-nous si vous sentez que vous fatiguez, je vous raccompagnerai jusqu'à la voiture si besoin.

- C'est gentil, mais… j'espère quand même arriver au sommet.

Pour diminuer la difficulté, nous avions fait une partie du trajet en voiture, ce qui nous rapprochait déjà beaucoup et rendait le défi réaliste pour moi. Alphonse prit les devants, commençant à suivre un chemin pentu qui serpentait entre les sapins. Gordon le suivait, puis moi, et Greyden fermait la marche. Si travailler à l'atelier m'avait fait les bras, la marche à pied n'était pas mon fort, et je me sentis rapidement peiner et suer. Alphonse se retournait régulièrement, et je le soupçonnais d'avoir ralenti la marche pour que je puisse le suivre. J'étais à la fois touchée et frustrée à cette idée.

Après avoir été saisie par le froid en sortant de la voiture, je dûs retirer mon manteau pour ne pas suffoquer, et même comme ça, je sentais que j'étais en sueur.

- Est-ce qu'on peut s'arrêter un instant ? demandai-je.

- Il y a un problème ?

- Je meurs de chaud… trois pulls, c'était peut-être un peu trop, fis-je avec un rire gêné.

- C'est vrai que la marche, ça réchauffe !

Je retirai mon manteau et un des pulls et Al me tendit la main pour les attacher à son sac, pourtant bien chargé. Pendant ces quelques secondes de répit, je pris le temps de regarder autour de moi. La rectitude assurée des troncs des conifères contrastait avec le terrain accidenté, les petites branches mortes qui parsemaient leur écorce et le tapis de neige laissait entrevoir terre, roches et épines. Dans ce paysage tout en contraste, le monde semblait en noir et blanc, endormi, suspendu comme dans un conte de fées.

Nous nous remîmes en marche, et si, au début, je luttai pour gravir les pentes, sentant mes jambes s'endolorir à une vitesse inquiétante, je parvins finalement à un état étrangement stable ou mon corps tout entier semblait chaud et indifférent à la douleur. Alors que je pensais que la marche n'allait pas cesser d'être laborieuse, les choses semblaient presque plus faciles qu'au début. Je compris alors que j'avais pris le rythme, et m'autorisai un sourire, observant la nature endormie aux alentours.

Il y avait dans ce paysage une atmosphère mystérieuse et apaisante, un silence profond et contagieux, comme si la neige étouffait non seulement les bruits alentours, mais même le vacarme de mes propres pensées. En marchant entre les sapins, levant les yeux vers le ciel dégagé, blanchi par le froid que j'entrevoyais entre les branches, et en prenant de grandes inspirations d'air piquant, je compris pourquoi Al prenait plaisir à passer ses après-midis à aller et venir. L'extérieur semblait sauvage, infini, libérateur. D'un coup, toutes ces questions de procès paraissaient lointaines et futiles, comme si, en me faufilant entre les arbres, je me rappelais qu'un univers tout entier tournait sans se préoccuper de moi, qu'il était âpre et magnifique.

Alphonse continuait à se retourner de temps à autre pour vérifier que tout le monde allait bien, et en baissant les yeux vers moi, il me décrocha un large sourire que je lui rendis. Un instant, je songeai qu'il était beau quand il souriait comme ça, mais chassai bien vite cette pensée gênante.

Je m'arrêtai pour reprendre mon souffle, tentée d'enlever mon deuxième pull, mais en me voyant faire, Alphonse m'interrompit.

- Attention à ne pas trop te découvrir, il y a quand même beaucoup de vent, je ne voudrais pas que tu tombes malade.

- Ah, oui… je me surestime peut-être, admis-je en renonçant à mon geste. On en est où du trajet ?

- Plus ou moins à la moitié… quand on aura atteint le promontoire on aura fait le plus dur, on sera proches de l'arrivée.

- D'accord, répondis-je avec un sourire. Je m'attendais à pire, pour être honnête.

- Ahaha, tant mieux alors. On s'y remet ? Il vaut mieux ne pas trop traîner, pour éviter de redescendre à la tombée de la nuit.

Je hochai la tête et lui emboîtai le pas. Je sentis mes muscles se crisper, comme si l'arrêt, pourtant court, avait suffit à ce qu'ils soient attaqués par le froid. Serrant les dents en attendant de me réchauffer de nouveau, je continuai la marche. En arrivant plus en altitude, le vent se faisait plus présent, et fouettait mes joues. Cela compensait la chaleur provoquée par l'effort, mais je sentis qu'elles me brûleraient sans doute après coup. Pourtant, je parvins à sourire. Je me sentais vivante. Malmenée mais vivante.

Le chemin arriva à un tournant, et Alphonse et Gordon disparurent quelques secondes, avant que je tourne à mon tour pour le rejoindre, et que je me fige, époustouflée.

La piste longeait la falaise sur quelques mètres dans une zone exempte d'arbres et battue par les vents, qui donnait sur un ciel immense surplombant la vallée et les montagnes alentour, offrant un panorama spectaculaire. Le temps, d'une clarté cristalline, permettait de voir le relief des différentes montagnes se teinter de bleu pâle sous l'effet de la distance et s'adoucir jusqu'aux plaines du Nord. J'avais l'impression qu'on pourrait deviner d'ici les faubourg de Central-city, pourtant si lointains. Le monde, dans son immensité et sa multitude, m'ouvrait les bras, et face à cette vue, je me sentis gonflée d'un sentiment grisant. Rush valley, en contrebas, était déjà plongée dans l'ombre des montagnes, et je vis s'allumer un réverbère, puis un autre, le long d'une rue. Vu d'en haut, la ville semblait minuscule et irréelle, dessin de carte et non plus réalité. Nous étions donc si petits ?

Le vent capricieux sifflait à mes oreilles et me bousculait par bourrasques, me faisant presque perdre l'équilibre, butant contre Grayden qui venait juste derrière moi. Je piétinai pour reprendre l'équilibre et levai les yeux vers le ciel délavé que le soleil bas commençait à nimber d'une lumière à la fois dorée et froide. Il me semblait qu'il brillait plus fort que dans la vallée, comme si escalader ses rochers avait suffit à s'en rapprocher.

Je me rendis compte que le vent et la marche m'avaient laissé le souffle court et pris trois grandes inspirations, sentant mon coeur battre fort dans ma poitrine comme pour manifester sa joie. Quand Al tourna vers moi son visage rougi par le froid, je lui souris comme je ne pensais plus en être capable.
- C'est incroyable !

- Tu comprends pourquoi je voulais te faire venir ici au moins une fois ?

Je hochai vigoureusement la tête, tentée d'ouvrir les bras comme pour étreindre le paysage tout entier.

- C'est vraiment magnifique, confirma Greyden.

- Hé, d'ici, tu dois pouvoir voir ta ville natale, non ? s'exclama Gordon.

- Il y a des chances, si on est assez à l'Est par rapport à la Lovée… fit le militaire en s'avançant, scrutant l'horizon à notre gauche. Tu vois, là bas, le mont des Mains ? À gauche, il y a la chaîne des Dormeurs, et encore derrière, la montagne plus petite, arrondie, c'est la Lovée. Ma ville est de l'autre côté, on peut presque la deviner…

- Je ne vois pas, répondit l'autre en s'avançant à son tour, se penchant en avant.

- Vous ne devriez pas rester aussi près d… commença Alphonse, exprimant une peur qui m'avait saisie en les voyant s'approcher du bord.

Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase qu'une bourrasque nous bouscula, les faisant trébucher et m'arrachant un sursaut. Le sol de terre, de neige et de glace céda sous leurs pieds, m'arrachant un hurlement d'effroi alors que je me jetais en avant dans un mouvement réflexe.

Ce ne fut qu'une fois à plat ventre, étalée de tout mon long à travers le chemin, que je réalisai que par je ne sais quel miracle, j'avais réussi à attraper la main d'un des militaires. Le nez dans la neige et les branches mortes, je ne parvenais pas à avoir la moindre idée de la situation. Je sentis juste qu'Alphonse était tombé à genoux à côté de moi et m'attrapa par les épaules.

- Bien joué, souffla-t-il avant de parler plus fort. Gordon ? Greyden ? Ça va ?

Deux grognements répondirent, et je poussai un soupir soulagé. Je me représentais déjà leur corps inarticulé au fond du ravin, et j'étais rassurée d'avoir tort.

- J'ai connu mieux, grogna la voix de Gordon. J'ai réussi à me raccrocher aux branches, mais je n'ose pas bouger.

- Ne prenez pas le risque, si l'arbre casse, il n'y a pas grand-chose pour vous rattraper en contrebas…

- Merci pour l'info, très rassurant, ironisa l'homme.

- Vous tenez le choc ?

- C'est très inconfortable, mais pour l'instant je ne suis pas sur le point de lâcher.

- Moi, si, annonçai-je, sentant que le poignet de Greyden commençait à glisser malgré ma prise.

Alphonse se précipita pour attraper son autre main et m'aider à le tirer, mais nous entendîmes un cri de douleur.

- Je crois que je me suis cassé quelque chose, fit le militaire d'une voix blanche. Je ne peux pas m'appuyer sur ma jambe.

- Oh bordel… oui tu as la jambe cassée, s'exclama son ami.

Je poussai un soupir, avant de prendre une inspiration tremblante.

- Il faut qu'on les tire de là, souffla Al d'un ton qui masquait mal son inquiétude.

Je hochai la tête et il raffermit la prise, puis je rampai prudemment pour attraper l'autre main de Greyden, que je sentais trembler, avant de compter jusqu'à trois, et le tirer en même temps qu'Alphonse. Petit à petit nous arrivâmes à le traîner, faisant réapparaître son visage blême, puis ses épaules, son torse, et enfin, il put ramper sur le chemin pour se soustraire au danger. En voyant l'angle anormal de sa jambe droite, j'eus un haut-le-coeur et compris qu'il s'était sévèrement blessé dans la chute.

- M'oubliez pas, hein ! s'exclama la voix pas très rassurée de Gordon.

- Je cherche une solution, s'exclama Alphonse, alors que par réflexe, je jetai de la neige sur la jambe de son collège.

- Qu'est-ce que vous faites ?

- Vous avez une fracture avec déplacement, je refroidis pour éviter que ça gonfle trop et la couvrir. Vous devriez éviter de regarder, aussi, ça peut être assez dérangeant, ajoutai-je en voyant qu'il était trop tard et qu'il avait déjà détourné les yeux avec une expression horrifiée.

- Il est trop bas pour être à portée de main, il nous faut une corde…

- Alchimie, répondis-je sans cesser de m'activer.

J'entendis Alphonse jurer d'être passé à côté de l'évidence, avant de se précipiter sur un arbuste en tirant un crayon pour tracer un cercle irrégulier sur son écorce. Il tremblait, mais parvint à transmuter une corde et revint vers le bord, à plat ventre pour ne pas risquer une autre chute.

- Je vous passe une corde ! s'exclama-t-il pour couvrir le vent qui n'avait pas cessé de forcir, ajoutant à notre sentiment général de panique.

- Ok !

J'entendis à peine sa réponse, mais je vis Al faire descendre la corde, se figer, puis reculer pour la fixer rapidement à une souche.

- Winry, je vais avoir besoin de toi.

Je hochai la tête et vint attraper la corde aussi pour tirer. Pas après pas, nous arrivâmes à repêcher Gordon, qui avait enroulé la corde autour de son bras tremblant et resta affalé, les bras en croix, pantelant. Je me laissai tomber à genoux à mon tour.

- Vous nous avez fait une de ces frayeurs, soupira Al, sans doute pas loin de s'effondrer aussi. Vous n'aviez pas réalisé le danger de la situation ?

Ils ne semblaient pas en état de répondre.

- Je ne vais pas pouvoir marcher, avoua Greyden.

- Ça je veux bien le croire ! Vu l'état de votre jambe…

- Et moi, je ne suis pas en état de porter qui que ce soit… en tout cas, pour l'instant.

- Je vais rejoindre le chalet de Stain pour lui demander de l'aide, c'est le plus proche qu'on puisse avoir pour l'instant. Ne bougez pas, je reviens !

Je hochai la tête, et Al se leva, partant en trombe sur le chemin qui continuait à serpenter au milieu des arbustes et des pierres. Bientôt, sa silhouette fut avalée par la végétation, et je me retrouvai seul avec les deux militaires mal en point.

Pendant un moment, le seul son fut le sifflement du vent et nos respirations pantelantes. J'avais les jambes flageolantes après cette émotion imprévue, mais tandis que je reprenais mon souffle, me vint une pensée : Si je n'avais pas rattrapé son poignet ?

Je lui avais sans doute sauvé la vie.

Cette pensée prit toute la place dans ma tête, et je me sentis abasourdie d'avoir eu un tel pouvoir sur les évènements. Puis un gémissement de douleur me ramena à la réalité.

- Ça va ?

- Ça fait. Très. Mal, répondit le militaire d'une voix hachée.

- J'imagine. Je peux essayer de réduire la fracture si vous voulez… Mais je vous préviens, ça ne sera pas une partie de plaisir.

- Je… je veux bien.

Je hochai la tête, me penchant sur sa jambe désarticulée que son collège regardait avec une grimace horrifiée.

- Vous feriez mieux de regarder ailleurs, commentai-je en repoussant la neige qui avait fondu sur sa jambe et trempé le lainage de son uniforme.

Il obéit, et je regardai son membre tordu, paniquée à l'idée d'avoir fait une promesse que je ne pouvais pas tenir.

- Il me faudrait de quoi couper le tissu, si j'essaie de remonter l'ourlet vous risquez de vous évanouir de douleur.

- Je… ne suis pas rassuré, fit-il tandis que l'autre me donnait un couteau tiré de sa poche.

- Merci. Ne vous inquiétez pas, ça va bien se passer, soufflai-je pour me persuader moi-même autant que lui.

Je coupai le tissu et l'ouvris avec précaution pour dévoiler une chair gonflée râpée par la chute et rougie par le froid. Un simple coup d'oeil me suffit pour comprendre quel os était cassé. Je n'étais pas médecin à proprement parler, mais travailler sur les automails, ça demandait un minimum de connaissances du corps humain, et ça, j'en étais capable. En tout cas, Pinako m'avait formée pour ce genre de situation.

- Ça ne va pas être agréable, prévins-je.

Le militaire hocha la tête, tremblant, couvert de sueurs froides, et attrapa son écharpe pour la fourrer dans la bouche.

- Gordon, tenez ses jambes s'il vous plait. Il ne faut pas qu'il bouge, ça pourrait aggraver la fracture.

Pas plus rassuré que moi, mon assistant improvisé m'obéit néanmoins, et je n'eus plus d'autre choix que poser les mains sur la jambe pour essayer de la remettre en place. Il suffit de l'effleurer pour arracher un cri et je serrai les dents. D'autres personnes se seraient débinées, mais avec mon métier de mécanicienne d'automail, ce n'était pas des hurlements de douleur qui allaient m'arrêter. Après avoir estimé les contours aussi délicatement que possible, je posai deux mains fermes sur la cheville pour la remettre en place, arrachant un hurlement que l'écharpe ne parvint pas le moins du monde à étouffer. Je palpai ensuite la peau, arrachant des gémissements de douleur tandis que je lissai, suivant les contours de l'os pour estimer s'il était correctement replacés, et réajustai, sentant son corps se crisper dans une tentative d'échapper à la douleur, contrée par un militaire qui se sentait dépassé par la situation.

- C'est bon… c'est fini, soufflai-je.

Gordon le relâcha, laissant son collègue pantelant, tremblant de tous ses membres. Je songeai qu'il allait falloir lui faire une attelle si nous voulions espérer pouvoir le déplacer, mais en voyant son expression, je compris qu'il valait mieux lui laisser un peu de répit. De toute façon, je ne savais pas trop comment faire quelque chose de satisfaisant avec aussi peu d'équipement.

- Et vous, Gordon, ça va ?

- Je me suis un peu cabossé, mais ça a l'air d'aller, répondit-il en pliant ses bras dans toutes les directions pour vérifier. En tout cas, je vais pas trop me plaindre.

- C'est déjà ça…

Le silence retomba, comblé par le vent qui hurlait à nos oreilles. Le soleil baissait, effleurant les montagnes, nimbant tout d'une lumière orangée qui fit briller les flancs de montagne. La pierre était d'un rouge vif, intense, et la neige était colorée d'un éclat irréel lui donnant des airs d'or liquide. Si nous n'avions pas été pas dans une situation dramatique et si le vent ne nous avait pas glacé, j'aurais pu admirer le paysage jusqu'à ce que le soleil disparaisse derrière les montagnes.

Je tournai la tête vers Grayden, qui tremblait vivement. Entre le vent et l'état de choc, il devait être gelé. Je poussai un soupir et m'approchai.

- Ça va aller ? demandai-je.

- Je me sens pas très bien… bredouilla-t-il

- J'imagine, fis-je en enlevant mon pull pour le poser sur ses épaules.

- Vous allez attraper froid !

- Non, je vais m'activer à préparer une attelle pour qu'on puisse vous transporter plus facilement tout à l'heure.

- ça fait combien de temps qu'il est parti ?

- Une demi-heure, peut-être ?

- Il y a beaucoup de marche jusque chez Stain ?

- Un peu moins d'une heure, répondit Gordon. Peut-être une demi-heure s'il y va en courant.

- On en a pour une heure à attendre son retour… autant s'activer avant que la nuit soit tombée, fabriquer une attelle dans le noir, ça ce sera pas une partie de plaisir.

Je me levai, frictionnai mes avant-bras pour me réchauffer. Je n'avais plus qu'un pull sur le dos, et la température ne cessait pas de chuter. J'avais beau faire semblant d'être assurée, je n'en menais pas large. Je rebroussai chemin, cherchant des branches assez droites pour fabriquer une attelle et assez petites pour que je puisse espérer les couper ou casser avec ma force et le couteau de Gordon. Je me mis à la tâche, sentant mes mains trembler et mes dents claquer.

Il faut que je fasse attention à ne pas me blesser aussi, il ne manquerait plus que ça, pensai-je en fronçant les sourcils, concentrée sur une tâche de plus en plus pénible. La luminosité baissait à une vitesse alarmante, et quand je revins rejoindre les autres avec quatre branches d'approximativement quarante centimètres, le soleil avait à moitié disparu derrière les montagnes, rougeoyant comme jamais. Je ne pris pas le temps d'admirer le spectacle et me penchai sur la jambe, posant les branchages à côté de moi, réalisant que je n'avais rien pour les maintenir contre sa jambe. Devais-je retirer mon pull et le découper pour fixer le tout ? Si je faisais ça, je risquais vraiment d'attraper la mort. Il fallait que je trouve une autre solution.

- Il me faut quelque chose pour fixer l'attelle, des bandes de tissu, de la corde, n'importe quoi… Il n'y a pas d'herbe en cette saison, et je n'ai trouvé aucune tige assez souple pour qu'on puisse l'utiliser pour fixer l'attelle

- … On peut utiliser nos fourragères, fit Greyden dans un filet de voix.

- Bonne idée !

Les deux militaires décrochèrent la cordelette qu'ils portaient à l'épaule, et, avec l'aide de Gordon qui maintenait les branches pendant que je creusais la neige pour passer le lien sous sa jambe sans la déplacer, je parvins à un résultat rustique mais fonctionnel.

- Ça va ? demandai-je avec sollicitude au blessé.

- Disons que mon pied est dans le sens où il devrait être… c'est déjà pas mal…

Je hochai la tête avant de répondre.

- Avoir un membre dans une position anormale peut être assez dérangeant à voir.

- Vous avez l'air assez assurée.

- Je fabrique des automails, ça fait partie de mon travail de connaître le corps humain.

- C'est vrai que vous avez aussi fait des poses par le passé.

J'opinai et une bourrasque passa, me laissant pétrifiée de froid.

- Remettez votre pull, fit Greyden en me le tendant. Vous allez attraper une pneumonie à ce rythme.

- Mais vous êtes en état de choc, vous devez être glacé.

- Pas plus que vous. Et même si j'échoue totalement à ma tâche, je suis censé vous protéger.

A ces mots, j'eus un sourire et obéis, renfilant le pull qui me coupa un peu du vent sans parvenir à me réchauffer. Mes mains étaient bleuies de froid, je ne pouvais pas m'empêcher de claquer des dents. À ce rythme, je risquais vraiment de tomber malade. Le temps qu'Al arrive, et que nous atteignons la maison de Stain, allais-je tenir le choc ?

- Venez par là, fit Gordon, en indiquant la place entre les deux militaires, assis côte à côte. On ne peut rien faire de plus en attendant du renfort, autant rester aussi au chaud que possible.

Je hochai la tête et vins m'asseoir entre eux deux. Je me sentis aussitôt coupée du froid, protégée par le bras du militaire qui s'était posé sur mes épaules, mais je sentis aussi une appréhension sourde pointer. Cette proximité me rappelait Thaddeus. Est-ce que je craignais qu'ils me fassent quoi que ce soit ? Non, ils étaient tous deux polis et protecteurs, et avec une jambe cassée, je n'avais pas grand-chose à craindre de Greyden. Malgré tout, j'avais beau savoir que rester calée entre les deux militaires était le seul moyen de ne pas tomber en hypothermie, une partie de moi avait le ventre noué par une angoisse qui me hurlait de m'écarter.

Au-dessus de nous, le ciel d'un bleu d'encre s'assombrissait sans cesse laissant apparaître des étoiles à l'éclat glacé, tandis qu'à nos pieds, le reflet orangé des lampadaires se détachait de plus en plus dans la sombre vallée.

- Au moins, on profite de la vue, soupira Greyden.

Sa remarque m'arracha un rire tremblant. J'espérais qu'Al reviendrait bientôt, avec la nuit qui tombait, mon inquiétude ne faisait qu'augmenter. Quel genre de créatures rodait dans la forêt derrière nous ? Qu'allions-nous faire si Al ne revenait pas ? Depuis le temps, il devrait déjà être là. La peur m'étreignait, je ne parvenais pas à cesser de trembler, malgré la présence des militaires qui essayaient de me rassurer et de me changer les idées, se rassurant eux-mêmes par la même occasion.

Le temps paraissait plus long que jamais, mais finalement, Je sentis Gordon tourner la tête.

- Regardez ! s'exclama-t-il.

À travers les arbres, une lumière dansait au rythme de pas rapides. Je sentis mon coeur battre la chamade, et, moins d'une minute après, Al déboucha, portant à bras-le-corps un brancard improvisé. Juste derrière lui suivait un homme grand et maigre, le visage barré d'une tache violacée, portant une lampe tempête et un tas de couvertures. Nous les accueillîmes avec une exclamation de soulagement, et Al se précipita vers moi pour me me couvrir de mon manteau, qu'il avait emporté dans la précipitation.


La remonté fut laborieuse, Gordon et Stain luttant pour porter le brancard, moi éclairant le chemin, les épaules chargées de couvertures qui ne parvenaient pas à me réchauffer, mais nous arrivâmes sans encombre au chalet. Le soulagement était intense en retrouvant lumière et chaleur d'une habitation. Si Stain abreuva les militaires de reproches pour leur imprudence avec une rudesse toute montagnarde, il leur sortit tout de même une eau-de-vie pour les aider à se remettre de leurs émotions, avant de préparer un repas bien plus abondant que prévu. Étant donné la situation, il était hors de question de redescendre de nuit, aussi Stain et Alphonse s'allièrent pour préparer un campement de fortune, l'un poussant les meubles, l'autre transmutant des matelas. De mon côté, je m'étais réfugiée près du feu, peinant à me réchauffer après ce long moment exposée au vent. Mes mains me faisait mal et mes lèvres étaient gercées, fendues par le froid.

Le repas fut étrangement chaleureux, les adultes prolongeant avec un digestif qui semblait bien trop fort pour Alphonse et moi, puis Greyden s'avoua vaincu et s'allongea, sachant tout de même qu'avec la douleur, il ne dormirait sans doute pas bien cette nuit. Inquiets pour moi sans doute, les autres me laissèrent la place la plus proche du feu. Terrassée par la fatigue, je m'endormis aussitôt dans le dortoir improvisé.

Le lendemain, j'étais reposée, mais j'avais la gorge enrouée et les jambes pétries de courbatures. La descente promettait d'être rude. Greyden se sentait plutôt mal après une nuit blanche à batailler contre une douleur croissante. Heureusement, Alphonse et Gordon étaient, eux, en pleine forme, prêts à porter un brancard pendant des heures. Le retour sembla interminable, mais nous parvînmes finalement à la voiture avec un soulagement non dissimulé. À notre arrivée à la résidence, ce fut un remue-ménage bruyant. Entre les résidents morts d'inquiétude, Craig et les militaires venus enquêter sur notre disparition, les lieux étaient noirs de monde.

On m'apprit à demi-mot que faute de nous voir revenir, certains avaient pensé à un accident dramatique, sans être trop loin de la vérité, d'autres avaient supposé une évasion. Greyden fut emporté à l'hôpital de la ville sans attendre, tandis qu'un nouveau soldat du nom de Flint prit sa relève au pied levé pour me surveiller. Il fallut expliquer au moins cinquante fois ce qui s'était passé aux uns et aux autres, et je crus qu'on ne nous laisserai jamais nous poser pour manger un déjeuner pourtant bien mérité. J'étais épuisée par cette histoire, un peu fiévreuse, sans doute. Aussi, une fois le repas terminé, je partis m'allonger, dormant comme une pierre pendant une bonne partie de l'après-midi.

Quand je me réveillai, je me sentis sereine comme je ne l'avais pas été depuis longtemps. Ma décision était prise. Égoïste, peut-être, mais c'était la mienne, et le simple fait d'avoir fait mon choix était un soulagement infini. Je comprenais mieux ce que voulait dire Louise en me lançant un "Dans ce cas, la bonne décision sera la tienne". Il fallait faire un choix, et l'accepter. Je me levai, enfilai un pull, encore endormie et engourdie, puis toquai à la porte de la chambre d'Alphonse, qui m'invita à entrer. Il était attablé à la petite table qui lui faisait office de bureau et semblait préoccupé, mais son visage s'éclaira en me voyant.

- Ça va, Winry ? Tu n'es pas malade ?

- Fatiguée, mais je crois que j'ai assez dormir pour que ça s'arrête là. Par contre, j'ai pris ma décision.

Il se redressa, concentrant toute son attention sur moi.

- Je vais accepter l'accord. Je sais que c'est lâche, mais je ne suis pas une combattante. Je n'aime pas lutter, je n'ai pas le courage de brandir mes idéaux et de me rebeller contre ces institutions. J'aimerais que ce soit le cas, mais je n'en ai pas la force. Pas pour le moment. Je ne supporterais pas la reprise du procès, je ne supporterais pas le mépris ambiant, je ne supporterais pas d'aller en prison. Et je me dis que je me rendrai sans doute plus utile en étant en liberté.

Al poussa un long soupir que je ne parvins pas à interpréter, et je compris à ce moment-là que s'il ne m'avait jamais donné son avis, il en avait bien un.

- Je suis soulagé, fit-il finalement, m'arrachant un sourire. Je dois te montrer quelque chose.

Il me fit signe d'approcher et je me penchai par dessus son épaule, tandis qu'il tirait de sa chemise un carnet de cuir défraîchi.

- Qu'est-ce que c'est ? soufflai-je, sentant à la déférence de ses mouvements que c'était quelque chose d'important.

- Un carnet d'étude sur la transmutation humaine… et les Homonculus.

Je restai soufflée.

- D'où tu sors un truc pareil ?

- On me l'a donné. Hier. Quand je me suis retrouvé seul à courir vers la maison de Stain, je suis tombé sur un homme qui m'a barré la route. Sur le coup, j'étais près à me défendre, mais il m'a fait comprendre qu'il ne me voulait pas de mal. Qu'il voulait transmettre quelque chose à Edward… que c'était une promesse faite à Greed.

- Je ne comprends pas…

- Tu te souviens quand Dante est morte ? En fait, Greed et les chimères ont volé ce livre chez elle, et il contient des informations uniques sur les Homonculus.

- Et… ils te l'ont donné à toi ?

- Edward avait rencontré Greed, tu te souviens ? C'est lui qui les a prévenus que les militaires allaient faire une descente au Devil's Nest. Mais Ed a disparu… alors ils se sont rabattus sur moi, mais comme j'étais suivi par un militaire et qu'eux-mêmes étaient recherchés par l'armée, il n'avaient pas pris le risque de me contacter jusque-là. Ce n'est qu'hier qu'il a pu me parler face à face.

Je restai figée, un peu incrédule en pensant que pendant que nous attendions, il avait fait face à cette étrange situation. Il avait, ni plus ni moins, papoté avec un membre des Snakes & Panthers. Parce que si beaucoup s'interrogeaient sur ces mystérieux terroristes qui sabotaient régulièrement l'équipement de l'armée sans jamais se faire prendre, pour Al et moi, leur identité ne faisait pas de doute : nous étions presque sûr qu'il s'agissaient des chimères survivantes qui avaient prêté allégeance à Greed. D'anciens militaires opposés au Homonculus… ceux qui avaient assassiné Dante.

- Tu n'as pas eu peur de faire face à ces tueurs ?

- … Ce n'est pas eux qui ont tué Dante. Enfin, c'est ce qu'il m'a dit, je n'ai pas de preuve, bien sûr… Mais j'ai eu le sentiment qu'il était honnête.

Je n'osais pas remettre en question le fait que l'argument me semblait un peu léger pour leur faire confiance.

- C'est quand même… improbable, comme rencontre. Ils t'ont dit quoi d'autre ?

- On n'a pas beaucoup plus parlé, je l'ai remercié pour le livre et je lui ai dit que j'étais pressé, que nous avions un blessé, et je suis reparti aussi sec. C'était une situation très bizarre, conclut-il avec un rire gêné.

- Ahaha, j'imagine. Il s'en est passé des choses, hier.

Il hocha la tête, se penchant sur le livre ne feuilletant les pages de parchemin d'un air soucieux.

- Et tu apprends des choses ?

- Oui et non… Comme souvent, ce cahier est codé, et même si je reconnais le cercle de transmutation humaine pour l'avoir déjà étudié, il y a d'autres cercles de transmutation que je n'ai jamais vus, le reste me dépasse. Je n'ai pas le niveau pour comprendre tout le contenu. Il faudrait retrouver Edward, pour lui donner ce livre. Ou bien le confier à Mustang.

- Le Colonel ?

- C'est le meilleur alchimiste qu'on puisse voir actuellement… et… Edward lui fait confiance.

Il avait dit ces mots à contrecoeur, mais il fallait savoir mettre de côté ses griefs personnels pour s'allier contre notre ennemi. J'avais compris qu'il ne l'appréciait pas en tant que personne, j'étais moi-même assez mal à l'aise face à cet homme froid et intimidant, mais ni Alphonse ni moi ne doutions de ses compétences et de son intelligence.

- Il faut qu'on aille à Central, concluai-je.

Il hocha la tête.

- Je n'aurai pas voulu partir seul pour la capitale en te laissant en plein procès. Tu comprends mon soulagement ?

- Oui.

Et cette pensée m'enleva un poids. Alphonse était soulagé. Certes, il y avait Thaddeus, qui était un ennemi détestable… mais combattre les Homonculus était un tout autre niveau d'implication. Si j'étais empêtrée dans mon procès, ou emprisonnée, comment pourrai-je aider Ed, Al et les autres ? Je devais rester libre pour contribuer, à ma modeste échelle, à cette lutte. Peut-être que je ne servirais pas à grand-chose, mais il fallait au moins essayer.

Et oui, peut-être était-ce la solution de facilité d'éviter le procès, peut-être était-ce lâche de ma part, mais j'avais le sentiment que c'était ce que je devais faire.


L'annonce de l'abandon des poursuites fit pas mal de remous, alors que certains attendaient la reprise du procès avec impatience ou appréhension, selon leur degré d'implication. J'avais signé le contrat la veille, et j'avais reçu immédiatement un chèque de banque plus élevé que ce que je n'avais jamais possédé dans ma vie. En voyant la satisfaction de Thaddeus, Marshal et ses sbires au moment de la signature, je m'étais sentie sale. Je savais que je ne me pardonnerais jamais complètement de les avoir laissé gagner, mais ce qui était fait était fait.

Après l'annonce de l'abandon du procès, je croisai Betty Ketten qui me regarda avec une déception teinté de mépris. Je l'avais prévenue de ma décision, lui disant qu'en connaissance de cause, elle pouvait accepter le contrat, et qu'à défaut de vérité, elle pouvait au moins récupérer de l'argent, dont je ne doutais pas qu'elle l'utiliserait à bon escient. Elle avait décliné froidement et raccroché, ne pouvant dissimuler sa colère face à ma décision.

Oui, j'avais laissé gagner une enflure. Oui, j'avais déçu ses espoirs. Oui, les habitants de la ville allaient sans doute me regarder comme une allumeuse ou affabulatrice, éventuellement les deux, aussi contradictoire que ça puisse être. J'allais avoir du mal à me regarder dans la glace pendant un bout de temps.

Mais j'étais libre.

- Je suis désolée de vous avoir déçue, lui dis-je en pesant mes mots.

La grande femme détourna la tête et repartit, me laissant seule avec ma culpabilité et l'idée que j'avais sans doute perdu une amie. Avions-nous été amies ? Je n'en savais rien. Toute cette histoire m'attristait profondément.

Maintenant que le procès était officiellement terminé, je n'avais plus qu'une idée en tête. Quitter Rush Valley, à qui cette affaire avait donné un arrière-goût amer. J'avais adoré cette ville, puis je l'avais détestée. Désormais, je voulais juste en partir.

L'après-midi se passa dans une ambiance de flottement étrange tandis que je préparais mes bagages. Le téléphone avait été rétabli, et Louise nous rapporta des rumeurs comme quoi les lignes téléphoniques auraient été détruites de manière volontaire. L'idée nous avait laissés indifférents, Al et moi. Depuis l'automne, les Snakes & Panthers multipliaient les sabotages dans la région, menant la vie dure aux militaires sans jamais faire de victimes, et ces aléas de l'équipement étaient devenus la norme. Les militaires les haïssaient sûrement, mais du côté des civils, l'opinion était plus partagée face à ces mystérieux rebelles à qui l'on commençait à attribuer des pouvoirs surhumains. Le massacre qui avait eu lieu au Devil's Nest n'avait pas vraiment fait pencher l'opinion public en faveur de l'armée dans la région, et pour nous qui en savions plus, cette constatation était plutôt satisfaisante.

Dans tous les cas, le rétablissement des lignes téléphonique permit à Al de joindre Gracia, lui annoncer l'issue du procès et demander si elle pouvait nous loger. Elle annonça à regret qu'elle n'avait plus assez de place pour nous accueillir depuis son déménagement, à moins de dormir dans le salon.

Si nous n'avions été que deux, nous aurions sans doute accepté ces conditions spartiates pour pouvoir passer plus de temps avec elle et sa fille, mais les militaires ne cessaient pas de nous surveiller, et loger quatre personnes supplémentaires chez elle aurait été invivable. Il nous faudrait prendre un hôtel, ou trouver un appartement à louer. J'avais cet argent, même si je préférais ne pas le dilapider trop vite, je pouvais me permettre de payer pour le logement. Peu importait, je me réjouissais de la revoir. Il y avait un redoux, ce qui faciliterai sans doute la circulation du train, demain.

En préparant mes bagages, une pensée me vint à l'esprit. Avec toute cette agitation, je n'avais pas eu le temps d'aller voir comment allait Greyden après sa blessure. Je quittai ma chambre pour aller voir Gordon, qui en savait sans doute plus. J'appris qu'il était encore à l'hôpital, en attendant qu'un ami puisse venir le chercher pour le raccompagner chez sa famille où il serait bien entouré le temps de sa convalescence.

- Il va sans doute se faire traiter d'imbécile, vu la situation dans laquelle c'est arrivé, mais je pense qu'il sera content de retrouver ses proches.

- J'aimerai aller le voir, lui dire au revoir.

Il comprenait tout à fait, et un trajet fut organisé, en voiture pour m'éviter d'être confrontée aux réactions des habitants. Je me sentais un peu lâche, mais rester à l'intérieur de ce cocon restait plus confortable qu'affronter le mépris de tous.

Dans l'hôpital, je fus accueillie très poliment, et nous montâmes tous les quatre jusqu'à la chambre de Greyden, dont le visage s'illumina à notre arrivée.

- Ah, vous voilà ! J'ai appris pour le procès, je suis heureux de savoir que vous êtes libérée de tout ça.

Sa réaction bienveillante me soulagea. Lui au moins ne me jugeait pas pour ma lâcheté. Tout le monde entra dans la pièce pour discuter et prendre des nouvelles. Il allait beaucoup mieux après avoir été soigné et plâtré, et surtout depuis qu'il avait accès à des antidouleurs. Je m'excusai platement pour ce que je lui avais fait subir, et il me rabroua en riant.

- Vous avez eu la meilleure réaction possible, on n'aurait pas pu me déplacer autrement… D'ailleurs, les médecins qui se sont occupés de moi ont dit que vous aviez fait du bon travail, ils ont été impressionnés de savoir que c'était une autodidacte qui avait fait ça.

- C'était la première fois que je remettais une fracture, mais j'ai quand même eu une formation de médicale ! Entre mes parents et ma grand-mère…

- Tous les mécaniciens ne peuvent pas en dire autant ! fit remarquer Flint, qui avait remplacé le soldat blessé. Aujourd'hui, la plupart d'entre eux reproduisent des plans et laissent des opérateurs spécialisés se charger de la pose… Votre famille a fait du bon travail avec vous.

- En tout cas, j'ai de la chance d'avoir été avec vous ! Ça ne sera guère que la deuxième fois qu'une Rockbell me sauve la vie.

À ces mots, je me redressai sur ma chaise, le fixant avec des yeux ronds.

- Vous avez rencontré ma mère.

- En effet. Elle m'a soigné lors du conflit d'Ishbal. C'était une personne remarquable.

- Pourquoi vous ne me l'avez pas dit avant ?

- Vous aviez d'autres préoccupations.

Je me mordis la lèvre. On ne pouvait pas dire le contraire. Mais maintenant qu'il avait dit ça, je me sentais débordé par l'émotion à l'idée qu'il avait vus mes parents sur le front d'Ishbal.

- Est-ce que vous pourriez… nous laisser tranquille quelques minutes ?

Tout le monde comprit, et se dirigea vers la sortie à pas lents, fermant derrière eux. Je voyais leurs silhouettes à travers le verre dépoli de la porte, signe qu'ils n'étaient pas partis bien loin et seraient prêts à débouler au moindre problème.

- Parlez-moi de mes parents, demandai-je d'une voix nouée.

- Sarah Rockbell vous ressemblait beaucoup, j'avoue que cela m'a fait un drôle d'effet de vous rencontrer. Quand j'ai appris qu'il fallait vous garder, je me suis porté volontaire. J'étais vraiment curieux de vous rencontrer, même si nous n'étions pas partis sur de très bonnes bases, vous et moi…

Je hochai la tête. Je m'étais habituée à la présence des militaires, mais à l'époque, le moins qu'on puisse dire était que je ne les avais pas vus arriver d'un bon oeil.

- On me dit souvent que je ressemble à ma mère, fis-je en croisant les doigts, nerveuse et émue à la fois.

- Je confirme. C'était une forte tête, mais profondément généreuse, et… ça m'a fait un choc de les voir morts. Je pense qu'ils auraient été fiers de vous.

Je sentis les larmes me monter aux yeux. C'était traître de me dire une chose pareille.

- C'est vous qui avez retrouvé leurs corps après le bombardement ?

- Le bombardement ? Non, ils sont mort avant que l'hôpital ne soit visé.

- Quoi ? Mais l'armée nous a annoncé qu'ils étaient morts lors d'une attaque à la bombe.

- Ça ne m'étonne pas… mais c'est faux.

Sa réponse me laissa sous le choc. On m'aurait menti sur la mort de mes parents ?

- Je… je ne suis pas surpris que ce soit ce qu'ils aient annoncé à la famille, mais… la vérité est bien moins reluisante.

- La vérité ?

- Vous voulez vraiment savoir ?

- Oui, répondis-je d'une voix rauque, la gorge nouée. Bien sûr que je veux savoir, vous en avez trop dit.

- Ils ont été assassinés. Par un militaire.

- C… comment ?!

L'armée. Le pouvoir en place. Les Homonculus. Aussitôt, je me représentai Envy face à eux, et je me sentis glacée par la rage.

- Comment pouvez-vous me dire ça avec autant d'assurance ?

- J'y étais. J'étais encore à l'hôpital le jour où c'est arrivé. J'ai entendu des coups de feu et je suis allé voir, aussi vite que je le pouvais avec ma béquille… Quand je suis arrivé près de la pièce, j'ai vu partir un homme en uniforme, et… leurs deux corps. Je n'ai jamais su qui avait fait ça, mais je vous jure que si j'avais pu courir, je l'aurais rattrapé et étranglé, quel qu'il soit.

- Comment sont-ils morts ? murmurai-je, presque incapable de parler.

- Une balle dans la tête. Ils n'ont pas eu le temps de souffrir.

Cette phrase était un maigre réconfort.

Mes parents avaient été assassinés. Par un militaire. Par un Homonculus ? J'avais besoin de savoir. Je les soupçonnais d'être coupables, après tout, Edward nous l'avait appris, c'était les Homonculus qui avaient provoqué la guerre d'Ishbal. La haine que j'avais envers eux monta d'autant à cette idée.

Mais surtout, j'avais tout à coup très froid face à nouvelle, cette terrible prise de conscience.

C'était aussi cela, se battre jusqu'au bout.