Hey ! Bonne annéééééée !
Je vous souhaite une année 2021 pleine de bonnes surprises, de tendresse et de belles aventures, fictives et réelles. J'espère que la reprise n'est pas trop difficile pour vous. Ici, je peine un peu à me remettre au travail, mais continue à imaginer mille et un projets en rêvant du jour ou je pourrai de nouveau faire des festivals et papoter avec vous de vive voix ! ^^
J'espère que vous avez pu prendre des vacances et passer de bonnes fêtes malgré le contexte. Ici, j'ai eu la chance de pouvoir revoir ma famille, même si je ne me suis pas reposée autant que je l'aurais voulu : sans surprise, j'ai sous-estimé le temps qu'allait me prendre les envois des contreparties Ulules - mais ça y est, cette fois, Stray cat est plus ou moins bouclé (plus qu'à poster). Au lieu de me reposer, j'ai aussi eu beaucoup plus d'idées de projets que ce qu'il est raisonnable de vouloir faire et j'ai entre autres retravaillé le scénario de la partie 6. Il continue à évoluer et se caler petit à petit, même si l'ampleur de la tâche me fait peur. Je peux déjà vous dire que le dernier arc sera FAT : entre 35 et 40 chapitres, à vue de nez (le découpage est détaillé mais pas encore complètement calé, je ne suis pas à l'abri de l'apparition de nouveaux chapitres ^^°). Comme on dit dans ma famille "J'espère que vous aimez, la recette est pour quinze !"
En attendant la fin (qui n'est pas pour tout de suite, vous l'aurez compris), je vous laisse découvrir le chapitre d'aujourd'hui avec un point de vue qu'on n'avait pas eu depuis un moment ! Peut-être qu'il répondra aux questions que certains se sont posées dans les reviews (pour lesquelles je vous remercie comme toujours du fond du cœur ^w^).
Sur ce, bonne lecture !
Chapitre 64 : Les ombres du passé (Al)
La nuit était tombée sur la ville, et je restais assis sur la banquette de la fenêtre, regardant la pluie couler contre la vitre et décomposer la lumière des réverbères en petits éclats et rivières. Je n'avais pas envie de réfléchir, alors je restais concentré sur ces ruissellements, me demandant vaguement ce qui poussait ces coulures d'eau à se rejoindre ou se scinder sans raison apparente. Pendant ce temps, Winry, assise face à moi, était occupée à peu près à la même chose.
Ne pas penser, espérer avoir un peu de silence dans nos esprits usés par les derniers événements.
Nous éprouvions tous les deux la même lassitude, le même épuisement désespéré face à nos dernières découvertes.
La musique qui passait toucha à sa fin et la radio commença à crachoter des informations que j'écoutais d'une oreille distraite, détachant mon regard de la fenêtre pour observer de nouveau ce lieu qui nous servait de logement.
C'était un quatre pièces rudimentaire situé à l'étage d'une boucherie chevaline, dans la partie nord de la ville. Un long couloir donnait sur la cuisine, la salle d'eau et quatre chambres au papier peint défraîchi. Pour l'heure, nous étions dans le salon, une pièce basse de plafonds que des appliques éclairaient de manière poussive. Flint s'était assis dans l'un des fauteuils de cuir patiné et bataillait avec un casse-tête en continuant à nous surveiller du coin de l'œil. Gordon, quant à lui, s'était dévoué pour faire la cuisine, et on l'entendait s'affairer par les portes ouvertes. Suite à notre départ pour Central et avec l'impossibilité de loger chez Gracia, c'était lui qui avait négocié avec l'armée la location d'un des logements de fonction de l'armée pour nous loger tous les quatre à moindres frais. Le QG possédait de nombreux appartements, destinés à servir de planque ou de logement de passage, et faute de nouveaux revenus, nous ne voulions pas payer deux chambres d'hôtel pendant une durée indéterminée, au risque de finir à sec.
Je regardai la radio posée sur la commode où traînaient quelques napperons poussiéreux, reportant machinalement mon attention sur la voix déformée du présentateur qui débitait des informations qui me passaient bien au-dessus de la tête.
— Suite à de nombreuses rumeurs, l'armée confirme l'arrestation de Monsieur Greenhouse, directeur de la banque éponyme, par le Général de Brigade Mustang et son équipe.
Je grimaçais. Pourquoi, entre tous les noms, fallait-il que ce soit de lui qu'ils parlent ? C'était sans doute la dernière personne à qui nous voulions penser.
— Il est accusé de malversations financières, trafic d'armes, proxénétisme et enlèvement. Une enquête est en cours pour confirmer les faits, mais l'information est d'ores et déjà un choc pour l'univers de la finance et la population dans son ensemble… des mouvements de panique ont été constatés dans les banques dont il est propriétaire, mais l'armée a tenu à assurer aux clients des banques Greenhouse qu'ils récupèreront…
Je détournai la tête pour regarder la fenêtre, mais croisai le regard de Winry. Ses yeux bleu clair étaient pénétrants comme jamais, empreints d'une colère teintée d'épuisement. Avant la transmutation de ma mère et tous les événements qui avaient suivi, je ne l'aurais jamais imaginée avoir ce regard-là. Après tout, à l'époque, elle était plutôt du genre à pleurer de peur pendant que nous nous livrions à nos expériences, à rire aux éclats ou à montrer franchement son énervement.
— Ça va ? demandai-je.
Elle haussa les épaules sans répondre, et je me sentis le cœur serré, pris d'une envie de la serrer dans mes bras, autant pour la réconforter que pour me rassurer moi-même.
Est-ce que c'était ça, devenir adulte ? Perdre son innocence, porter sa rancœur et ses remords, ravaler ses émotions parce qu'on réalisait qu'elles ne servaient à rien ? Si c'était le cas, je regrettais franchement de grandir.
Je m'affalai un peu plus contre le mur, levant les yeux au plafond, constatant au passage que la peinture s'était écaillée, avant de me perdre complètement dans mes souvenirs.
C'était le milieu de l'après-midi, et nous étions, comme la veille et les jours précédents, installés dans la section deux de la bibliothèque du QG. La grande salle surmontée d'une charpente en bateau renversé et percée de nombreuses fenêtres nous était vite devenue familière, à force d'en parcourir les rayonnages et d'y travailler durant des heures. Les lieux, silencieux, spacieux et clairs, étaient plus agréables que l'appartement défraîchi ou nous passions nos soirées.
Mis à part quelques visites chez Gracia, nous y avions passé le plus clair de notre temps depuis notre arrivée à Central, presque une semaine auparavant. Nous y cherchions en vain les documents qui nous faisaient défaut, Winry pour retrouver l'assassin de ses parents, moi pour tenter de déchiffrer le carnet que j'avais récupéré de la main de Dolcetto, l'une des chimères ayant survécu à l'attaque du Devil's Nest. Je le revoyais encore me faire face, bien campé dans la neige, les mains dans les poches, alors que je courais vers la demeure de Stain. Il m'avait interpellé, et voyant ma mine catastrophée, avait paré au plus pressé. Avec la complicité de Greed et d'une certaine Martel, il avait volé un livre chez Dante, et s'il avait laissé Greed pour fuir, ce n'était pas par lâcheté, mais parce que celui-ci lui avait donné une mission bien précise. Faire parvenir ce livre à un certain Edward Elric, « en guise de remerciement ».
Étant donné que mon frère avait disparu depuis plusieurs mois, il s'était rabattu sur la personne la plus proche, c'est-à-dire moi, et il m'avait observé, guettant un moment ou il pourrait m'approcher sans être vu par le militaire qui m'escortait en permanence.
Il avait fallu que Greyden se casse la jambe pour que cette opportunité se présente. Malgré l'affection que je portais au militaire qui avait eu la garde de Winry durant notre séjour à Rush Valley, j'étais heureux que cette discussion ait pu avoir lieu.
Elle avait été brève, mais ce manuscrit avait beau n'être qu'un petit carnet à la couverture de cuir souple râpée par le temps, son contenu avait infiniment plus de valeur que son apparence le laissait deviner. Les rares secrets que j'avais réussi à lui arracher me permettaient de mieux comprendre un peu mieux ce qu'étaient réellement des Homonculus, et je brûlais d'impatience à l'idée de continuer mon exploration pour en tirer les armes qui nous permettraient de les combattre.
Winry, quant à elle, s'était abîmée tout entière dans la tâche ardue de retrouver des informations sur les véritables circonstances de la mort de ses parents. J'avais mis à profit toutes les techniques de recherche que j'avais acquises avec Edward quand nous guettions la moindre information sur la transmutation humaine pour l'aider à savoir comment retrouver des informations par des sources détournées. Ainsi, j'avais alterné entre mes propres recherches et la consultation, ligne par ligne, de documents tous plus rébarbatifs les uns que les autres. Elle avait fini par retrouver la date et le lieu exact de leur mort, sous forme d'une simple ligne dans un registre. C'était deux petites lignes parmi des centaines d'autres, mais elle les avait fixées longuement.
Puis nos recherches avaient patiné, pour l'un comme pour l'autre. En tant que simples visiteurs, nous n'avions pas le droit de consulter les documents qui nous auraient vraiment donné des réponses. Gordon et Flint, qui se mouraient d'ennui, en étaient réduits à lire eux aussi, alors que ce n'était manifestement pas leur activité favorite. J'avais presque pitié d'eux, car si faire des recherches était une tâche plutôt rébarbative, surveiller quelqu'un dont c'était la principale occupation était sans doute pire encore.
Winry lâcha un soupir découragé et s'affala sur sa chaise, jetant négligemment la liasse qu'elle tenait sur la table avant de faire rouler sa tête en arrière pour étirer sa nuque endolorie.
Encore un cul le-sac, pesta-t-elle. Plus le temps passe, plus je me dis que je ne trouverai jamais mes réponses ici…
— Votre sujet de recherche est délicat, admit Gordon, levant le nez de son article de journal, l'œil un peu éteint par l'ennui. C'est normal que les rapports d'armée ne soient pas accessibles au public, vous imaginez ?
— Surtout sur la guerre d'Ishbal, grimaça Flint. Croyez-moi, moins on en sait, mieux on se porte !
— Est-ce que j'ai l'air de bien me porter ? lâcha Winry en le fixant d'un œil torve.
Le militaire se redressa, intimidé par sa réaction, et je refermai à mon tour mon traité d'alchimie pour me joindre à la conversation.
— Effectivement, avec les restrictions que nous avons, nous ne trouverons jamais nos réponses.
— Vous, vous pourriez sûrement, soupira Winry en se vautrant sur la table.
Flint la regarda d'un air inquiet.
— Je ne pense pas qu'on ait le droit de faire ça, commenta le rouquin en se grattant la nuque.
Le regard de Winry devait être particulièrement culpabilisant puisqu'il se recroquevilla et se fit tout petit.
AH!
Je me redressai brutalement au point d'en faire tomber ma chaise, dont la chute résonna dans tout le bâtiment.
Les autres se tournèrent vers moi en sursautant et me fixèrent, les yeux ronds. Je me sentis rougir.
— Qu'est-ce qui t'arrive ? lâcha Winry, perplexe.
— J'ai… J'ai cru entendre un cri…
Les militaires s'entre-regardèrent et secouèrent négativement la tête.
— Rien entendu, à part le boucan que toi, tu as fait, annonça Gordon.
— Je… j'ai dû rêver, alors, répondis-je en déglutissant avant de me pencher pour ramasser mon siège.
De l'extérieur, mon comportement devait sembler absurde… pourtant, j'aurai pu jurer que j'avais entendu une voix, à la fois forte et lointaine. Je sentais mon cœur battre la chamade, pris d'une angoisse tout à fait réelle, et arrivai à la seule conclusion qui me restait.
Si je n'avais pas entendu ce cri, je l'avais senti.
J'avais nié l'importance de ces intuitions quand, dans les bois, j'avais l'impression persistante que quelqu'un me suivait, mais la suite m'avait donné raison. Je m'étais juré que je m'étais fait des idées et que c'était simplement le hasard si je pouvais aussi bien deviner les émotions des autres, de Winry en particulier, mais à force de sentir des émotions venues de nulle part me sauter à la gorge, j'avais dû admettre que si surréaliste et inexplicable que ce soit, ces intuitions n'étaient pas à prendre à la légère.
Et à présent, même si rien ne le laissait voir, j'avais eu la sensation que quelqu'un s'était fait attaquer, et celle d'une coupure qui me laissait la gorge sèche.
Je ne pouvais pas m'empêcher de me dire qu'Edward était en danger. Sans raison, sans preuve, sans rien d'autre que cette peur qui me vrillait des entrailles et que je ne pouvais pas expliquer aux autres.
Alors, comme je n'avais pas d'autre choix que de faire comme si rien ne s'était passé, je me rassis et me remis au travail, recopiant les passages intéressants des ouvrages que nous n'avions le droit de consulter que sur place. La conversation reprit, Winry essayant de convaincre les militaires d'emprunter pour elle les documents qui ne nous étaient pas accessibles, Flint refusant catégoriquement. Gordon, qui nous connaissait davantage, semblait plus disposé à nous aider, mais restait tiraillé entre son affection pour nous et le respect des lois.
Ils n'étaient pas dans une position facile. Après tout, ils avaient reçu l'ordre de nous escorter, mais sans arriver à déterminer s'ils devaient surveiller nous actions ou au contraire nous protéger. Enfin, je soupçonnais Gordon et Greyden de s'être attachés à nous au point d'oublier un peu le sens premier de leur mission… Ce n'était pas le cas de Flint, qui ne nous suivait que depuis une semaine et avait conservé avec nous des rapports purement professionnels.
Si Winry leur répondit avec une rancœur non dissimulée, je tâchai de tempérer ses remarques, bien conscient de leurs limites. Pris entre le besoin pressant de trouver la vérité chez mon amie d'enfance et la volonté des militaires de faire correctement leur travail, je me retrouvai entre le marteau et l'enclume.
Était-ce parce que cette discussion tout entière était stressante que je me sentais si mal ? Ma tête me lançait et j'avais la gorge sèche. Je sentis une nouvelle vague d'angoisse m'envahir, une panique profonde qui n'était pas la mienne et renonçai finalement à parler, posant deux mains tremblantes sur mon visage dans l'espoir de dissimuler mon malaise.
Pendant un moment, cela sembla marcher et j'entendais de loin la discussion animée entre les trois autres, puis Winry se retourna vers moi pour me prendre à parti et réalisa qu'il se passait quelque chose d'anormal.
— Al ? Ça ne va pas ?
Je déglutis pour répondre, mais n'y arrivais pas. J'avais la gorge sèche, un poids sur la poitrine qui m'empêchait de respirer correctement.
— Hé ! fit-elle d'une voix soudainement inquiète. Qu'est-ce qui t'arrive ?
Je haletai, peinant à respirer. Je me souvenais de la crise d'angoisse que Winry avait eue quand nous étions encore à Rush Valley… Sauf que cette fois, je vivais la situation de l'intérieur, et c'était bien pire. J'avais l'impression de perdre pied, de ne plus arriver à respirer. Si j'avais le malheur de fermer les yeux, des images de main noires provoquaient chez moi une nouvelle embardée de panique qui me poussait à les rouvrir aussitôt. En voyant le regard inquiet de Winry, j'eus honte de la laisser me voir dans cet état. Contrairement à elle au moment du procès, je n'avais aucune raison de réagir comme ça.
À moins que..
- Ed.. réalisai-je entre deux inspirations chaotiques, J'ai peur pour Ed.
Elle me regarda avec des yeux ronds, secoua la tête et attrapa un des sachets qui avaient contenu nos sandwiches de ce midi et le défroissa pour me le fourrer sous le nez.
— Respire là-dedans. Ça va t'aider, souffla-t-elle.
J'obéis, baissant les yeux, tandis qu'elle m'enveloppait de ses bras, dissimulant aux autres mes sanglots imminents. J'entendais ma respiration hachée gonfler et dégonfler le sachet de kraft, je sentais les coups d'œil perplexes et vaguement inquiets des autres personnes dans la bibliothèque, et cette attention me poussait à faire taire mes émotions, à vouloir nier la violence de cette peur panique qui m'envahissait pour ne pas attirer davantage les regards. Plus j'essayais de me détacher de ces sensations, me dire que ce n'était que mon imagination, plus j'étais convaincu du contraire, mes tripes me hurlant qu'Edward avait besoin d'aide, là, maintenant, qu'il m'appelait au secours.
— On devrait sortir, murmura Winry tout en me caressant le dos d'un geste rassurant.
Les militaires hochèrent la tête et rangèrent leurs affaires dans leur sac avant de nous accompagner à la sortie du bâtiment. Habituellement, nous aurions remis les livres à leur place, mais je tenais à peine sur mes jambes et tout le monde avait implicitement admis qu'il avait plus urgent. Une fois dehors, nous fûmes accueillis par un rideau de pluie.
Winry m'aida à m'asseoir sur le muret qui séparait les marches du parc et je m'appliquai à reprendre mon souffle, sans parvenir à repousser cette appréhension. Mais au moins, ici, les rares personnes qui passaient étaient trop occupées à tenter d'échapper au mauvais temps pour remarquer qu'un peu plus loin, un adolescent ridicule était en train de s'étouffer dans un sac de papier dans une tentative de contenir une crise de panique.
Peut-être parce que je m'autorisai à accepter cette émotion au lieu de la faire taire, je parvins à en tirer les contours, à ressentir qu'elle ne m'appartenait pas vraiment. C'était une sensation de mort imminente, quelque part entre l'instinct et le lien, mais ce n'était pas moi, et faire la part des choses m'aida à laisser passer l'orage de panique, retrouvant ma capacité de réflexion malgré cette sensation de peur qui me labourait l'estomac.
Si ce n'était ni moi ni Winry, c'était forcément Edward. Et s'il était en danger, il fallait que je fasse quelque chose. C'était aussi simple que ça.
— Tu te sens mieux ? demanda mon amie, voyant que je froissais le sac pour le mettre dans ma poche.
— Oui. Mais il faut que j'y aille.
— Où ?
Je haussai les épaules. Comment dire que je n'en savais rien ? J'avais juste cette sensation étrange que mes pas allaient me guider dans la bonne direction, et comme je n'avais aucun autre outil en main que mon instinct, je me levai pour enfiler les manches de mon manteau que Winry avait précipitamment posé sur mes épaules en sortant du bâtiment, avant d'avancer au-delà du rebord qui nous protégeait du mauvais temps. Il pleuvait à verse, et à travers mes vêtements, je sentis le poids des gouttes qui tombaient lourdement sur ma tête et mes épaules.
— Al ?
— Vous me suivez ?
Winry ne comprenait pas ma réaction, je le voyais dans son regard, mais elle l'accepta. Avec un hochement de tête, elle ouvrit son parapluie et me suivit. Les deux militaires n'eurent pas d'autre choix que nous emboîter le pas en grimaçant, tandis que je laissais mes pieds me guider, me hâtant dans les rues presque désertes de la ville. Mon cœur battait fort et je courais comme on se battait, porté par la conviction que je devais agir d'une manière ou d'une autre. Peu importait que des larmes coulent sur mes joues, elles étaient de toute façon criblées de pluie. Ni le froid ni la fatigue n'allaient me décourager, pas alors que ce hurlement intérieur appelait à l'aide.
Mais au bout d'un moment, cette sensation s'évanouit, et je me retrouvai alors à un croisement inconnu, perdu dans le silence étourdissant que la pluie n'arrivait pas à couvrir. Je sentis une solitude immense tomber sur mes épaules, tandis que la réalité me rattrapait. J'étais trempé jusqu'à l'os, grelottant de froid, mes jambes me portant à peine, bien incapable de dire où nous nous trouvions dans la ville.
La dernière fois que j'avais pris le risque de me mettre dans cet état, c'était pour retrouver Cub, et j'avais fini alité après ça. Ça allait probablement m'arriver à nouveau. Winry, qui m'avait rattrapé, s'appuya sur ses genoux pour reprendre son souffle. Elle risquait de tomber malade par ma faute, et les deux militaires que j'avais baladés sans même y penser devaient être sur les rotules à force de courir par ce temps et furieux contre moi.
Mais ce n'était pas le pire.
Le pire, c'était d'imaginer la raison de ce silence.
Je me laissai tomber à genoux, me tenant la tête, fermant les yeux pour fouiller dans le silence de mon esprit, la terreur me griffant le ventre au fur et à mesure que je ne trouvais plus rien, rien que ce néant tâché d'émotions diffuses comme les étoiles s'effaçant à l'aube. Ce n'était pas eux que je cherchais.
Il ne me restait plus que cette pensée terrible, ancrée en moi comme une certitude.
Edward n'était plus là.
Edward était mort.
Je ne réagis pas vraiment quand Winry se pencha pour m'aider à me relever, demandant quelle mouche me piquait. J'avais répondu machinalement que c'était trop tard, comme arraché à moi-même à l'idée que mon frère puisse avoir été anéanti, à l'idée de ne plus jamais le revoir. Je n'avais plus la force d'expliquer, plus la force d'insister. De toute façon, je ne savais plus où aller. Le lien était rompu, et je découvrais un vide béant qui aurait pu m'avaler tout entier.
Alors je me laissai porter jusqu'à notre résidence, insensible à l'inquiétude profonde des trois personnes qui m'avaient accompagné et pour qui mon apathie n'avait rien de normal.
Ce n'est qu'une fois rentré, envoyé d'autorité prendre une douche chaude, que je sentis quelque chose.
Une pensée infime, une envie de pleurer, un soulagement coupable, ténu, presque insaisissable, mais présent. Il me fallut de longues secondes pour le percevoir, l'envelopper, le reconnaître.
Alors, à ce moment-là seulement, je me laissai aller à pleurer, accroupi sous la douche, en me tenant les épaules comme si je le serrai dans mes bras, laissant la chaleur de cette présence me réchauffer bien plus efficacement que l'eau brûlante qui me frappait le dos.
Ed…
Suite à cet événement, la vie avait repris son cours, nous laissant tous un peu enrhumés, mais pas non plus franchement malades. Après un peu de repos, nous avions recommencé nos recherches à la bibliothèque. Personne n'avait osé me demander frontalement ce qui s'était passé, par pudeur ou par peur de parler d'un comportement qui était au choix absurde ou surnaturel. Je crois bien que je leur avais fait un peu peur, et moi-même, je ne savais pas trop quoi en penser. J'étais partagé entre le besoin de vider mon sac à ce sujet et la peur d'être traité de fou par mon entourage. Si Edward avait été là, je suis sûr que même lui m'aurait regardé de travers. Après tout, ce qui s'était passé n'avait rien de logique, et en tant qu'Alchimiste, l'absence de fondement scientifique de cette expérience me perturbait au plus haut point. Je n'arrivais pas à trouver comment j'aurai pu expliquer ce qui s'était passé et cette idée me mettait mal à l'aise.
Peut-être était-ce parce que j'y faisais plus attention depuis cet événement, j'avais l'impression de percevoir plus finement la présence des gens, comme si j'entendais le brouhaha distant de discussions, quelques pièces plus loin. Ces sensations, trop insaisissables pour que j'en retire quelque chose de concret et trop omniprésentes pour que j'arrive vraiment à les ignorer, me donnait régulièrement des maux de tête, et il me fallait beaucoup d'efforts pour ne pas me laisser gagner par des sautes d'humeur. Entre Winry et les militaires, la situation était tendue, et j'étais moi-même trop préoccupé pour avoir l'énergie d'arrondir les angles, même en étant conscient qu'ils étaient nos meilleurs alliés dans nos recherches sur les assassins de Winry.
Je ne pouvais pas m'empêcher de penser à mon frère. Je restais convaincu que ce qui s'était passé avait un lien avec lui, même si je n'avais pas les mots pour l'expliquer. Cette rupture m'avait fait réaliser que si, jusque-là j'avais pu rester serein et persuadé qu'Edward allait bien, c'était parce que jusqu'à ce moment-là, j'étais accompagné par cette sensation diffuse, mais rassurante. Sa disparition, même temporaire, m'avait fait sentir qu'Edward pouvait mourir, que je pouvais me retrouver seul.
Et maintenant, que suis-je censé faire? pensai-je en baissant mon livre.
Mon regard se perdit dans la pièce presque déserte, et s'attarda sur une silhouette plus familière.
Hawkeye était là. J'avais beau ne pas la connaître si bien, en la voyant, je n'avais qu'une envie, courir la supplier d'aller la voir pour lui demander des nouvelles. Si Edward ne communiquait pas avec Winry et moi, c'était parce que nous étions ses proches. Or, Hawkeye n'était pas particulièrement liée à Edward… officiellement. Officieusement, s'il y avait une personne vers laquelle il pouvait se retourner sans risque à l'heure actuelle, c'était elle.
Je posai mon ouvrage et me levai sans un mot, attirant l'attention de Winry qui comprit pourquoi en suivant mon regard. Nous arrivâmes pour la saluer, et je me sentis bien maladroit face à cette adulte intimidante. D'ailleurs, les soldats qui nous suivaient semblèrent stupéfaits de nous voir nous adresser à elle sans hésiter. J'avais alors appris sa promotion et supposais que Mustang avait dû aussi monter en grade, puis lui avait posé à mots couverts la seule question importante.
Comment allait Edward ?
Je n'avais pas prononcé son nom, mais en voyant son expression triste et vaguement embarrassée, je sus que le message était passé. Elle m'avait répondu d'un ton hésitant.
« Il s'est battu avec un animal plus costaud que lui il y a quelques jours et m'a fait une belle frayeur. »
Elle avait ajouté qu'il n'y voyait plus très clair et n'avait pas le droit de sortir, et si j'avais eu un doute jusque-là, ce détail me confirma que ce n'était pas de son chien qu'elle parlait.
J'étais à la fois soulagé d'avoir des nouvelles et un peu inquiet de sa réponse. Était-il à l'hôpital ? Blessé ? Dans quelle situation s'était-il fourré ? Était-il en sécurité ? Je ne pouvais pas demander plus d'informations sans que les militaires trouvent ça étrange, et je ne voulais pas que leurs rapports journaliers contiennent des éléments qui pourraient aider l'armée à retrouver Ed. Malgré tout, j'avais le ventre noué à l'idée de devoir me contenter de ces maigres indices.
Hawkeye, sans doute pressée, clôtura la discussion.
— Je vais devoir vous laisser, j'ai énormément de travail. Je compte sur vous pour monter la garde, il ne faudrait pas qu'il leur arrive quelque chose de fâcheux.
Les militaires avaient hoché la tête, gênés d'être au centre de l'attention de l'intimidante militaire, et celle-ci était repartie après un instant de flottement.
J'avais l'impression d'avoir laissé passer ma chance. J'avais mille questions à poser à propos d'Edward, et je posai machinalement une main sur ma poitrine, sentant sous mes vêtements ce petit sac que je portais en collier et qui contenait le cahier de notes que je transportais partout et ne sortais presque nulle part. Je n'avais pas pu le lui confier pour qu'il arrive entre les mains de Mustang ou d'Edward, et je ne savais pas si j'aurai d'autres occasions de le faire. D'un autre côté, retrouver un visage familier, et savoir qu'elle ne se trouvait pas très loin avait quelque chose de rassurant, me donnant l'impression que derrière son regard froid, elle veillerait sur nous comme elle avait pu veiller sur mon frère. C'était une pensée réconfortante.
— Vous… la connaissez bien ? articula Flint d'une voix prudente.
— Je n'irais pas jusque-là, mais bon… mon frère travaillait pour son supérieur, donc j'ai eu des occasions de la croiser.
— Oh, fit le militaire avec une certaine déférence.
Je souris, amusé de le voir aussi impressionné. Cela me rappela les moments qui avaient suivi mon retour, et l'embarras de voir tous ces militaires se montrer familiers avec moi sans que je me souvienne d'eux. Je ne sais pas ce qu'il en était avant que je retrouve mon corps, mais à l'heure actuelle, Hawkeye, qui nous avait logés un temps, était la personne qui m'était la plus familière dans l'armée, exception faite de Hugues.
— Après, je ne les connais pas très bien, généralement nous ne faisions que passer… À part pour commenter les disputes entre mon frère et son supérieur, je n'ai pas tellement discuté avec eux.
— Je vois…
— C'est tout de même impressionnant… commenta Gordon. Le Colonel Hawkeye, ce n'est pas n'importe qui.
— Vous en avez entendu parler alors que vous venez du QG Sud ? s'étonna Winry. Je ne pensais pas qu'elle serait aussi célèbre.
— Entre le fait qu'elle travaille pour le Flame Alchemist et celui que c'est peut-être la meilleure sniper du pays, bien sûr qu'elle est célèbre !
— J'avais entendu dire qu'elle était aussi très belle, lâcha Flint. Je dois avouer que ce n'était pas des rumeurs.
— Hé bien, tu as un crush ? se moqua son collègue. Laisse tomber, t'as aucune chance.
— Mais pas du tout ! Et pourquoi j'aurais aucune chance d'abord ? pesta le rouquin en rougissant.
Sa contradiction m'amena un rire, et la bibliothécaire nous fusilla du regard, estimant que nous avions dépassé le seuil de décibels acceptables au sein de la salle de travail. Nous allâmes nous rasseoir comme des enfants pris en faute et je continuai à fouiller les registres, cherchant désespérément de nouvelles références à nous mettre sous la dent pour avancer dans nos recherches respectives. En même temps, je songeai que c'était étrange de se sentir proche de l'équipe des militaires et de si mal les connaître. Entre mon ignorance d'enfant et les années d'amnésies qui avaient suivi, ma connaissance du monde et des autres me semblait bien lacunaire.
Un instant, j'eus cette envie impulsive d'attraper tous les journaux des années passées et de les lire de bout en bout dans l'espoir de savoir enfin tout ce qui s'était passé pendant ses années dont je ne me souvenais pas. Puis une pointe de douleur me vrilla la tempe et me ramena à la réalité. Il y avait sans doute mieux à faire que céder à cette boulimie d'informations.
Le soir suivant, je m'étais retrouvé à aider Gordon à préparer à manger une soupe à l'oignon. Comme Winry et moi étions trop absorbés dans nos recherches et que Flint s'était avéré être un cuistot lamentable, il avait pris les choses en main et se préoccupait des repas, ne demandant guère plus qu'un coup de main et un peu de compagnie. Je m'étais donc retrouvé à couper des oignons en reniflant tandis qu'il s'excusait platement de me faire subir ça.
— Ce n'est pas grave, je sais que ça va passer, répondis-je en souriant, serrant tout de même les paupières.
L'activité n'était pas la plus agréable, mais l'aider m'avait rappelé que se consacrer aux tâches du quotidien avait quelque chose d'apaisant.
— N'empêche, je repense à aujourd'hui… C'était impressionnant de vous voir discuter comme ça avec le Colonel Hawkeye.
— Elle et son équipe sont des humains comme les autres, non ?
- « Flame Alchemist » et « humain », ça ne va pas trop dans la même phrase.. Pour les autres, je ne dis pas, mais ces deux-là, ce sont des légendes.
Je haussai les épaules. Hawkeye m'apparaissait comme étant une personne posée et intimidante, et Mustang comme un homme intelligent, mais froid. Ils étaient brillants, sans doute, mais cela ne m'impressionnait pas vraiment.
— J'oubliais à qui je parlais, fit soudainement le militaire en versant les oignons dans la cocotte. Après tout, toi et ton frère, vous êtes au moins aussi spéciaux.
— Je ne me trouve pas spécial, commentai-je en me lavant les mains.
Je n'étais ni grand, ni beau, ni supérieurement intelligent. En fait, je m'étais surtout habitué à ce que mon frère soit impossible à rattraper, et plutôt que développer un orgueil destiné à se faire jeter à terre en permanence, j'avais appris à ne plus y accorder d'importance, même si parfois, j'étais tenté d'être jaloux.
Enfin, tout ça, c'était avant nos séparations et le silence pesant de sa disparition. Si je le retrouvais, je n'aurais pas d'autre envie que de le serrer dans mes bras en pleurant.
— Tu es très impressionnant, corrigea Gordon. Je n'ai jamais vu une personne de ton âge travailler par elle-même avec autant de rigueur et d'acharnement.
— C'est parce que vous n'avez jamais rencontré mon frère.
Le militaire soupira et couvrit le plat qui rissolait, inondant la pièce d'une odeur prometteuse.
— En effet. Et si je le voyais, je serais dans l'obligation de l'arrêter.
— Ça ne donne pas envie de vous le présenter, commentai-je en rangeant le beurre dans le frigidaire.
— J'imagine bien. Mais j'avoue que je serai curieux…
— Je peux vous prédire. Si vous le trouviez, vous essayeriez de l'arrêter et il vous mettrait à terre d'un coup d'alchimie en tâchant de ne pas vous blesser. Vous ne feriez pas le poids.
— Hé bien, tu malmènes mon ego !
— Je suis juste honnête.
— C'est bien ça qui est triste, fit l'homme en s'esclaffant. C'est sans doute la vérité, et ça me rappelle à quel point je suis un type normal, qui ne fait pas le poids.
— Désolé, bredouillai-je. Ce n'est pas ce que je voulais dire.
Le silence retomba, et il reporta son attention sur le plat, versant de l'eau avant de couvrir le tout pour laisser mijoter.
— Tu ne te demandes pas pourquoi ton frère a trahi l'armée comme ça ? C'est quand même quelque chose d'assez incroyable.
— Vous essayez de me tirer des aveux ? demandai-je en plissant les yeux.
— Non, je suis réellement curieux. Je crois que tout le monde a été choqué d'apprendre la nouvelle. Surtout qu'il a défié le Généralissime en personne… C'est à peine croyable comme histoire.
Je le jaugeai du regard. Je le sentais honnête, mais même si l'expérience me poussait à accorder crédit à mon instinct, je n'allais pas pour autant lui raconter toute la vérité. Au mieux il ne me croirait pas une seconde, au pire il transmettrait à l'armée des informations que nous préférerions garder pour nous… Comme le fait que la secrétaire du Généralissime soit une Homonculus, et l'hypothèse que son supérieur lui soit complice.
— Je n'étais pas là, donc je ne sais pas comment ça s'est passé. Mais il y a une chose dont je suis sûr. C'est que s'il a fait cela, c'était qu'il avait une bonne raison.
— Tout de même…
— Ça ne vous est jamais arrivé, ce genre de chose ?
— Me rebeller contre le chef d'État ? ! Jamais de la vie !
— Être témoin d'une injustice. Prendre conscience que les ordres que vous recevez sont tellement absurdes ou cruels que vous n'avez pas d'autre choix que de désobéir.
Gordon s'était figé pour me regarder avec une attention renouvelée, je le vis du coin de l'œil même si je faisais semblant d'être concentré sur la pile de vaisselle que je rassemblais pour la mettre dans l'évier.
— Si votre supérieur vous demandait de tuer votre famille, ou de trahir votre conviction la plus profonde… Ou si vous saviez que quelqu'un n'a pas d'autre but que de détruire les autres dans son intérêt… Vous lui obéiriez ?
Il y eut un long silence qui me laissa supposer que Gordon réfléchissait sincèrement à ma question.
— Non, admit-il dans un souffle.
— Je pense que c'est quelque chose comme ça qui s'est passé, épiloguai-je.
— Tu ne doutes pas de lui ?
— Pas une seconde. Il est impulsif, colérique et il fait parfois des erreurs, mais… Y'a pas plus épris de justice que lui.
Le militaire hocha la tête avec un sourire. Je supposai que je lui avais donné la réponse à ses questions, idée qui me procura une pointe d'inquiétude. Celle-ci se dissipa un peu plus tard dans la soirée, quand il nous annonça que Flint et lui nous aideraient à trouver les documents qui manquaient. Était-ce la manière dont Hawkeye avait parlé de nous, ou la discussion que nous avions eus tous les deux, je n'en savais rien… mais nous avions obtenu gain de cause.
Les jours suivants s'écoulèrent sans heurts, Gordon utilisant son statut de militaire pour nous faire parvenir de la documentation sur cette fameuse journée. Il nous restait le travail monstrueux de lister les militaires présents dans la zone à cette période et de déterminer où ils étaient le jour même. Des heures passées à lister des matricules puis à les barrer au fur et à mesure de nos recoupements avec les registres, alors qu'ils étaient tués ou rapatriés. Je me sentais glacé de penser que derrière chaque suite de nombres anonymes que je rayais, se cachait une vie fauchée par la guerre. À force d'acharnement, la liste diminuait, mais il restait tant de soldats, tant de noms inconnus parmi les matricules. En regardant la liste qui comptait encore des centaines de personnes, je me demandais comment nous en arriverions à bout, et surtout, comment retrouver le nom du coupable.
Je repensais à cette hypothèse que nous avions, celle qu'il s'agissait en réalité d'un Homonculus. Si c'était le cas, en travaillant ainsi, nous avions bien peu d'espoir de connaître la vérité. Peut-être même n'y avait-il aucune trace de l'événement. Mais je ne me voyais pas annoncer à Winry que nous n'allions sans doute nulle part avec ces recherches. Moi-même, je patinais dans mes tentatives de déchiffrer le carnet que j'avais récupéré et que je commençais à connaître par cœur à force de le relire… J'avais envie qu'au moins un de nous deux trouve des réponses à ses questions. Et je sentais qu'un feu couvait chez Winry, le besoin de savoir, de comprendre, de pouvoir demander des comptes… Même si… si c'était Envy ou un autre des Homonculus qui l'avait tué, comme je le supposais, nous n'aurions jamais cette réponse.
Je poussai un soupir désabusé et décidai de revenir à des préoccupations plus terre à terre.
— Comment on peut déterminer à quel soldat correspond un matricule ? demandais-je finalement à Flint.
Le soldat nous aidait sans grand enthousiasme, poussé par l'ennui et la volonté de son collègue, mais ma question sembla être pour lui une occasion de s'occuper et il s'appliqua à me répondre.
— Il y a une logique derrière ! D'abord on a le numéro est composé d'une suite de chiffres qui désignent l'année et le bureau de recrutement. C'est ça qui permet de consulter les registres pour retrouver les noms correspondants. Après, on a le mois d'inscription et notre numéro propre, qui correspond à l'ordre d'inscription des soldats. Par exemple, moi c'est 09 - 1909 donc — 4005, qui correspond à la région sud, préfecture, bureau du cinquième arrondissement, 08 pour août, et 0001 ! Et oui, j'étais le premier du mois à être inscrit, annonça le rouquin avec un sourire satisfait.
— Je sens que tu en es tellement fier que tout ton entourage connaît ton matricule par cœur, commenta Gordon d'un ton amusé.
— Et comment ! Pour une fois que je suis le premier en quelque chose !
Son collègue eut un rire moqueur qu'il réprima aussitôt en se rappelant que nous étions à la bibliothèque.
— C'est assez bien pensé, fit Winry, attentive elle aussi. Je me demandais comment vous faisiez pour retenir une suite de nombre pareille, mais finalement, c'est assez facile une fois qu'on connaît la logique derrière.
— Celui de Flint est particulièrement simple, ce n'est pas le cas de tout le monde. Mais oui, ça aide à se le remémorer rapidement. Et ça donne pas mal d'informations sur les collègues, aussi. On sait tout de suite quel âge ils ont, d'où ils viennent…
— Quel âge ils ont ?
— La plupart des militaires entrent dans l'armée à 21 ans, donc même si ce n'est pas systématique, c'est un bon indicateur.
Pas tous, ne pus-je m'empêcher de me dire en repensant à Edward.
— C'est assez personnel, alors… commenta Winry.
— En effet.
— Je peux vous aider ? demanda une voix féminine.
Notre présence presque permanente à la bibliothèque avait attiré l'attention de ceux qui y travaillaient et je supposai que voir deux adolescents et leurs gardes du corps étudier des registres avec tant d'acharnement avait titillé leur curiosité. Mais en me retournant vers la personne qui s'était adressée à nous, je reconnus un visage familier. Il fallut que je fouille dans mes souvenirs pour raccrocher cette femme à lunettes au visage rond et avenant à un souvenir tangible, jusqu'à ce que je la revoie insulter le Général Mustang de tous les noms. Pour autant, je n'arrivais pas à remettre la main sur son nom.
— C'est moi, Shiezka ! Vous ne vous souvenez pas ? Vous et votre frère m'aviez aidé à retrouver ma place de bibliothécaire ! J'ai même travaillé pour Hugues pendant un temps…
— Sisi, ça me revient ! mentis-je avec un sourire.
C'était arrivé avant que je retrouve mon corps, la seule trace que j'en avais, c'était les récits qu'on m'en avait faits, qui avaient leurs limites. Mais je sentais sa bienveillance, et il me semblait bien qu'Edward s'en était fait une alliée avant notre départ pour Dublith. Je décidai de lui faire confiance.
— J'ai entendu dire que vous étiez de passage à Central et que vous passiez votre temps à la bibliothèque, donc j'ai décidé de profiter d'une pause pour vous rendre visite et savoir si je pouvais vous rendre service. Après tout, en tant que bibliothécaire, je pourrai peut-être vous être utile.
— Eh bien… ça ne serait pas de refus, admis-je. On cherche des informations sur la suppression de l'hôpital civil construit à Vaylia, pendant la guerre d'Ishbal.
— Hé bien, c'est un sujet spécifique. Vous me surprendrez toujours ! Pourquoi vous cherchez ça ?
— Mes parents y travaillaient, souffla Winry. Sarah et Urey Rockbell. J'aimerais éclaircir les circonstances de leur mort.
— Oh… fit Shiezka.
Elle baissa les yeux vers mon amie d'un air peiné, puis repris.
— Je tâcherai de voir ce que je peux faire. Si je trouve des documents utiles, je vous les ferai parvenir, répondit-elle avec un clin d'œil.
— Merci beaucoup !
Elle aurait pu prendre congé, mais resta plantée là, hésitante.
— Vous… n'avez pas de nouvelles de votre frère, n'est-ce pas ?
Je secouai négativement la tête avec un pincement au cœur. De toute façon, si ça avait été le cas, je n'aurais pas pris le risque de l'annoncer à voix haute devant nos gardiens.
— On a reçu deux cartes qui sont sans doute de lui, mais elles ne disent rien de là où il est ni de ce qu'il fait, soupirai-je.
Elle hocha la tête et soupira.
— Je vois… J'espère que vous aurez vite de ses nouvelles.
En réalité, j'espérais que ça ne serait pas le cas, cela voudrait probablement dire qu'il aurait attiré l'attention de l'ennemi… mais elle avait l'air franchement inquiète, et connaissant mon frère, je la comprenais. Je me mis à réfléchir à une manière détournée de lui suggérer de parler à Hawkeye, qui en savait plus que moi à ce sujet, mais rien de brillant ne me vint à l'esprit, et je me rendis compte au bout de quelques instants que je ne lui faisais pas confiance à ce point.
Après quelques banalités, elle nous salua et repartit, me laissant un peu de réconfort à l'idée qu'elle nous aide. Si Edward et Hugues l'avaient fait travailler, elle devait être particulièrement compétente.
Elle l'était effectivement, puisque le lendemain même, une pile de documents plutôt respectable était arrivée sur notre table… et c'est ce jour-là que Winry avait découvert la terrible vérité. Un rapport indiquait un ordre de mission à l'hôpital de Vaylia, le jour même de leur mort. Si l'intitulé restait laconique et peu explicite, j'avais senti mon ventre me nouer en le voyant. Quand on savait ce qui s'était passé, il n'y avait pas de doute à avoir. J'avais tendu la feuille à Winry sans un mot, appréhendant cette idée dérangeante : s'il y avait une trace de l'événement dans les registres, ce n'était peut-être pas aux Homonculus qu'on devait leur mort, mais à un militaire chargé de la mission. Winry avait recopié le matricule et s'était mise à chercher, les mains tremblantes, dans un des registres de l'armée de l'Est. Elle touchait au but et je l'avais observée, n'osant pas prendre la parole. C'est dans un silence quasi religieux qu'elle avait tourné les pages du livre, et j'avais senti une explosion d'émotions m'envahir alors qu'elle n'avait pas bougé.
Elle était restée immobile, impassible, puis avait refermé le livre, le reposant sur la table.
— J'ai une question à poser, j'arrive, avait-elle fait d'une voix calme avant de se lever pour se diriger vers le bureau des bibliothécaires.
Elle s'était à peine levée que j'avais saisi le livre pour le rouvrir et chercher à mon tour, cherchant une explication à son comportement. Il fallait que je comprenne. Concentré que j'étais à trouver rapidement la bonne page, le bon numéro, tandis qu'elle discutait avec la bibliothécaire, j'avais pris conscience trop tard de ce qui était en train de se dérouler.
Deux choses étaient arrivées simultanément. Le cri des soldats qui avaient bondi de leurs chaises et un nom familier qui m'avait sauté aux yeux sur la page.
Le fameux matricule recherché était celui de Roy Mustang.
Sentant la panique des militaires, j'avais relevé la tête et réalisé que Winry s'était purement et simplement enfuie. Sous ses airs calmes, elle ne devait avoir eu qu'une pensée en tête : encastrer sa tête contre un mur.
J'avais couru à la suite des militaires, espérant l'empêcher d'agir ainsi, et laissai en plan toute notre documentation, nos manteaux et nos sacs.
— Putain, je l'avais pas vu venir, avait pesté Flint en courant. C'est quoi cette tentative d'évasion sortie de nulle part, là ?
— C'est plus compliqué que ça, avais-je répondu.
Sans doute que le militaire était en colère contre elle et s'était senti trahi. Je pouvais le comprendre. Mais quand il l'avait vu foncer dans un des bâtiments de l'autre côté de la cour enneigée, il semblait avoir réalisé que son but était autre.
Je n'avais pas réussi à la rattraper pendant qu'elle cavalait dans les escaliers alors que je m'attendais a n'avoir aucune difficulté. Elle avait couru de toutes ses forces, sans prudence et sans limites. Prête à tout pour se venger, sans réfléchir aux conséquences.
C'était une catastrophe.
— Qu'est-ce qu'on est censés faire, maintenant ? souffla Winry.
Je clignai des yeux, revenant au présent de cette soirée morne, et regardai de nouveau dans sa direction. Assis face à face sur la banquette de la fenêtre donnant sur la rue pluvieuse, nous avions tout des adolescents en train de se morfondre.
— Ça… soufflai-je. Je n'en sais rien.
J'avais confié le manuscrit sur les Homonculus à Edward, et Winry avait obtenu la vérité. Aucune de ces deux pensées n'était très satisfaisante. Je me sentais réduit à l'état de simple porteur, et elle avait vu s'effondrer ses espoirs de revanche.
Bon, elle lui a quand même explosé le nez à coup de clé à molette, ça ne compense pas la mort de ses parents, mais j'imagine que ça soulage.
Je n'avais pas vraiment d'empathie pour Mustang, je le connaissais peu, et pour l'essentiel, je le trouvais froid et hautain.
Seulement…
Seulement, quand Winry avait asséné la vérité, j'avais senti un torrent de désespoir m'assaillir et me glacer des pieds à la tête.
Seulement, il y avait Edward.
Je ne l'avais pas réalisé sur le coup, trop estomaqué par l'acte de Winry et inquiet des conséquences, mais je l'avais retrouvé. Quand nos regards s'étaient croisés, j'avais été pris d'une émotion qui ne trompait pas.
Je secouai la tête en repensant à cette silhouette d'une jeune fille bien apprêtée, qui remontait ses lunettes rondes sur son nez. J'avais beau reconnaître les traits de son visage, l'avoir déjà vu travesti, ce changement d'apparence était dur à avaler. D'ailleurs, quand, après-coup, j'avais glissé à l'oreille de Winry que c'était lui, l'inconnue qu'elle avait bousculée pour frapper Mustang, elle m'avait regardé d'un air outré.
Pendant qu'elle avait obtenu les réponses à ses questions à propos de Mustang et de la mort de ses parents, moi, j'avais eu le bonheur inattendu de pouvoir retrouver Edward en chair et en os. J'aurais pu pleurer de soulagement en le serrant dans mes bras, mais j'avais réussi à l'éviter.
Cette conversation avait été trop courte à mon goût, et la joie de le revoir arrachée par cette séparation abrupte, étrange, cette obligation de faire comme si on ne se connaissait pas. Malgré tout, l'entrevue nous avait laissé le temps pour l'essentiel. Se demander pardon et clore cette culpabilité qui était restée suspendue entre nous. Voir que… elle allait bien, que ce faux rôle était manifestement devenu plus facile avec le temps. Je ne savais pas quoi penser de cette transformation hautement improbable, mais ça n'entamait pas mon affection pour lui… elle… je ne savais plus trop. Difficile d'utiliser le masculin en se remémorant cette silhouette qui avait tout d'une jeune fille particulièrement mignonne. Pourtant, j'avais vraiment retrouvé mon frère en lui parlant, et si perturbante que la situation ait pu être, j'en étais avant tout heureux.
Dommage que la discussion se soit arrêtée sur Mustang, à qui je comptais transmettre le carnet. Après ce que je venais d'apprendre, je n'en avais plus aucune envie, et j'étais soulagé de pouvoir le confier à Ed en main propre. Je n'en étais pas au même niveau de colère que Winry, mais je n'étais pas près de lui pardonner pour autant.
Et j'avais ressenti chez Ed une rancœur beaucoup plus poignante que ce à quoi je m'attendais, alors qu'il s'était excusé à propos du Général. Comme s'il était coupable de quelque chose. Alors je m'étais souvenu de la discussion téléphonique que j'avais surprise entre eux, lors de ce soir d'orage, de la douceur de leurs échanges et de la confusion que cela avait provoquée chez moi. Plusieurs mois après, en y repensant et en revoyant ses yeux baissés, sa bouche pincée comme pour se retenir de pleurer, je me sentais enfin prêt à mettre des mots dessus. Edward aimait Mustang. Je ne savais pas comment exactement, je n'avais vu que la partie émergée de l'iceberg, et je n'avais aucune idée de ce qui s'était passé en mon absence… mais j'en savais assez pour voir que ce fait provoquait chez lui un terrible conflit.
Il aurait été naturel de haïr Mustang comme je le faisais, mais pour lui, ça n'était pas aussi simple… Et même s'il n'avait pas posé les mots pour le dire, cela n'avait pas été nécessaire : j'avais ressenti sa détresse dans mes propres entrailles, au point de ne pas avoir pu m'empêcher de répondre que j'étais désolé pour lui.
La conversation s'était arrêtée là, me laissant sur ma faim. Il y avait tant d'autres choses à dire, tant de temps à rattraper, et nous n'avions eu que quelques minutes de liberté ensemble. La situation me laissait encore plus frustré qu'avant.
Puis Winry était revenue, escortée par Hawkeye. Je l'avais sentie éprouvée, épuisée comme quelqu'un qui avait pleuré longtemps, et sans doute avait-ce été le cas. Mustang était resté à son bureau, prétextant une réunion imminente, mais je crois qu'il préférait éviter de croiser le regard de son équipe.
J'avais serré Winry dans mes bras et attendu le retour de Flint et Gordon, soulagés de ne pas être mis à pied par le Général. Ils s'en étaient tirés avec un sermon d'Haweye — ce qui n'avait tout de même rien d'agréable — et nous étions rentrés tous les quatre au logement, trop sonnés par les derniers événements pour décrocher un mot. Winry s'était excusée de nous avoir mis dans cette situation et était partie s'allonger, épuisée pour le compte. Je n'avais pas tardé à faire de même.
Ce n'était que le lendemain qu'elle avait trouvé la force de raconter son entrevue, éprouvée par ce souvenir, par les aveux sans fard de l'homme qui n'avait cherché ni à adoucir la vérité ni à se donner des excuses. Il lui avait avoué son crime, raconté comment cela s'était passé, pourquoi, répété leurs dernières paroles, ces mots qu'ils n'avaient jamais oubliés, et enfin, il lui avait fait cette promesse : celle qu'une fois les Homonculus mis à terre, elle aurait le droit de décider de son destin et de lui faire payer son crime.
— Il avait l'air de souffrir de ce qu'il avait fait, avait-elle conclu. Ça ne me rendra pas mes parents et ça ne m'empêchera pas de le détester, mais… si c'est vrai qu'il se sent coupable, cela me soulage un peu.
Je ne savais pas si on pouvait le croire. Il fallait être honnête, je ne connaissais pas cet homme, et je n'avais pas vraiment envie de le connaître davantage. La seule chose qui le sauvait à mes yeux était l'affection que Hawkeye, Hugues et Edward lui portaient. S'ils s'y étaient attachés, il devait y avoir une raison, même si celle-ci m'échappait.
Alors, sans y mettre beaucoup d'enthousiasme, Winry et moi avions tâché d'encaisser cette idée, de garder en tête cette promesse sans trop oser y croire. Après tout, qu'étions-nous, deux enfants face à un Général de l'armée ? Nous ne pouvions compter que sur sa bonne foi et celle de Hawkeye.
Enfin… au moins, nous savions la vérité.
— À table, tout le monde ! s'exclama Gordon, troublant le calme méditatif de la pièce.
Winry se déplia pour se diriger vers la table sans enthousiasme et je la suivis avec aussi peu d'énergie. Pourtant, le plat que le militaire installa sur le dessous de plat sentait divinement bon.
— Bon, j'espère que ça vous plaira, commenta-t-il en commençant à servir le ragoût pour tout le monde. Désolé pour l'attente.
— Ce n'est pas grave, je n'ai pas vraiment faim, commenta Winry.
— Allez, ne faites pas cette tête, tenta Gordon.
— Mettez-y un peu de bonne volonté, commenta Flint. Nous aussi, on pourrait tirer la gueule… on est passé àça de la mise à pied avec cette histoire !
— Le Colonel Hawkeye a été très coulante de nous laisser repartir avec vous après ce qui s'est passé. Vu le ton du Général, je nous voyais bien partis pour la cour martiale.
— Il faut avouer qu'on est passés pour des pantins.
— Ce n'était pas le but, murmura Winry, honteuse.
Si nous avions vu d'un très mauvais œil l'arrivée des militaires, force était d'avouer qu'avec le temps, ils étaient devenus un de nos rares soutiens.
— Je suis soulagée que vous soyez restés avec nous, admit mon amie. Je n'aurais pas aimé me retrouver avec des inconnus suite à cette affaire.
— Si vous voulez qu'on continue à être vos gardiens, soyez un peu plus coopératifs ! À un moment, l'armée va finir par en avoir marre d'avoir des problèmes et nous remplacer par des soldats plus sévères que nous. On a quand même dû faire un rapport sur ce qui s'est passé, grimaça Gordon en s'asseyant. J'espère que ça ne portera pas à conséquence.
— Alala, Gordon est en train de se transformer en maman à cause de vous. Regardez-le, il vous houspille, il essaye de vous protéger et réparer vos conneries, et il fait même la cuisine ! Il lui manque plus que les bigoudis !
— Toi tu as gagné le droit de faire la vaisselle ce soir, grommela le principal intéressé.
— Qu'est-ce que je vous disais ? commenta-t-il en le désignant de l'index.
— Tais-toi et mange !
— Oui Maman !
Leurs clowneries parvinrent à nous dérider et je me mis à manger. Malgré toute l'amertume que je pouvais avoir face aux derniers événements, je devais avouer que j'étais content qu'ils soient là. Il était maintenant clair que leur but était de prendre soin de nous, même si, en pratique, cela se faisait souvent à leurs dépens.
— Du coup, vous n'avez plus de projets, c'est ça ?
— Plus vraiment, soupira Winry. Je crois que la seule chose un tant soit peu logique qui me reste à faire, c'est de rentrer à Resembool, rejoindre Pinako.
— Oui, quoi qu'elle en dise, je pense qu'elle ne sera pas contre un peu d'aide, confirmai-je. Mais avant, j'aimerais profiter de la vie à Central quelques jours de plus et me changer un peu les idées.
— Tu as un projet en tête ? demanda Winry.
— Tu te souviens des deux filles qui étaient là l'autre jour ? Comme j'étais resté au bureau, j'ai pu discuter un peu avec elles, elles travaillent dans un cabaret.
— Oh.
— Tu veux aller dans un cabaret ? Toi ? s'étonna Flint.
— Quoi, j'ai bien le droit d'être curieux non ? fis-je en rougissant tout de même.
— Tu es moins vertueux que je le pensais…
Je grommelai un peu tandis que Gordon prit ma défense.
— C'est vrai qu'il y a beaucoup de spectacles à Central, pourquoi ne pas en profiter ? C'est quand même une bonne occasion !
— C'est pas donné d'aller au théâtre…
— C'est dix cents l'entrée, ça va encore ! I manger, à boire, et des jolies filles ! annonçai-je, répétant la description que m'en avait fait Havoc.
— Le galopin ! s'esclaffa Flint. Tu ne fais même plus semblant de cacher tes motivations !
— Je pensais que c'était un bon argument pour vous, répondis-je du tac au tac.
— Il n'a pas tout à fait tort, admit Gordon avec un sourire, se resservant un verre.
— Winry, ça ne t'embêterait pas que l'on reste à la capitale encore un peu ? Je serai vraiment curieux d'aller voir ce Cabaret Bigarré au moins une fois.
Elle hocha la tête, faisant mine de me regarder avec jugement. En vérité, elle savait qui je comptais retrouver là-bas et elle était au moins aussi curieuse que moi de redécouvrir Edward dans cette autre vie.
— On irait quand, alors ? demanda Flint qui n'était finalement pas difficile à convaincre.
— On peut y aller demain ou mardi. Havoc m'a dit que c'était fermé le lundi, et que le mercredi, n'était, hem… pas tout public.
— … Dommage qu'on doive y aller avec vous, commenta Flint avec une moue particulièrement peu gracieuse.
— Si on n'était pas là, vous n'iriez pas tout court, commentai-je d'un ton boudeur.
Havoc n'avait pas donné plus de détails, et comme je n'avais aucune idée de ce à quoi pouvait ressembler ce genre de soirée, cela m'intriguait moi aussi. Enfin, je n'avais pas le penchant naturel pour la désobéissance de mon frère, donc je me bornerai à une soirée « normale », quelle que soit cette norme.
La conversation continua, et je savourai de retrouver une ambiance plus détendue. Winry s'était un peu apaisée, et les militaires ayant constaté que son écart ne semblait pas porter à conséquence avaient retrouvé leur bonne humeur. Si les choses pouvaient rester comme ça, cela me convenait très bien.
Seulement, quand quelqu'un toqua à la porte, interrompant notre discussion, je pressentis aussitôt que ce ne serait pas le cas.
