Bon, j'avais dit que je postais le premier lundi du mois, mais j'étais un peu KO après avoir fait la Pict'asia à Poitiers (c'était très cool malgré le bruit, j'y retournerai avec plaisir l'année prochaine) du coup le voici une semaine plus tard. Comme je l'avais déjà dit, c'est le dernier chapitre de cette partie 6 ! Le mois prochain, je poste l'intro de la 7e et dernière partie.
Les personnages en bavent beaucoup de manière générale (vous me le faites remarquer régulièrement), mais ce chapitre en particulier mérite son Trigger warning (violence/violence sexuelle). Je sais déjà que vous allez me haïr très fort pour cette fin de partie, mais vous vous en doutez sans doute. J'ai mis mes tripes dans ce chapitre, j'espère qu'il sera aussi marquant à lire qu'il ne l'aura été à écrire, et j'ai hâte d'avoir vos réactions (positives comme négatives).
Chapitre 96 : Le déclic (Riza)
Il y avait une fenêtre dans ma cellule.
Une de ces fenêtres placées à raz du plafond, moins larges que les murs du bâtiment n'étaient épais. Même avec le poids que m'avait fait perdre le temps passé dans le coma, je ne pouvais pas espérer m'échapper par là. De toute façon, ils avaient quand même eu la prudence d'y mettre des barreaux, je les apercevais si je me tenais debout dans le coin opposé.
Je ne pouvais pas sortir, ni même voir l'extérieur, mais je me réjouissais quand même de sa présence, qui laissait entrer un trapèze de lumière sur le mur d'en face, m'informant du cycle des jours et de l'orientation du bâtiment. Cette simple fenêtre, dont je reconnaissais le style, me permettait de savoir que j'étais emprisonnée dans les locaux du Quartier général, et non pas dans la prison de Central.
J'avais décidé que c'était une bonne nouvelle : la pièce était plutôt plus confortable et spacieuse que ce qu'on aurait pu craindre, il y avait même une douche ouverte dans un coin de la salle. Et surtout, si des membres de l'équipe décidaient de m'exfiltrer, cela serait plus facile ici que dans la prison de Central.
S'ils se décidaient…
Si mes calculs étaient exacts, cela faisait vingt jours que j'avais été transférée de ma chambre d'hôpital à cette cellule. Vingt jours d'attente lancinante, entre soins médicaux, silence et incertitude. Ma guérison était d'une lenteur désespérante, et je m'abîmais dans mon désespoir sans pouvoir dire un mot.
Quand je m'étais réveillée de mon coma, pâteuse et encore sous le choc de l'attaque du Bigarré, j'avais eu du mal à reprendre pied. Au début, je n'avais pas eu la force d'émettre le moindre son. Puis, en remettant en branle la partie de mon cerveau capable de raisonner, j'avais compris que garder le silence était le moyen le plus sûr de gagner du temps. Après tout, j'étais à l'hôpital, grièvement blessée. Dans la brume de mon demi-sommeil, j'avais entendu que le médecin qui échangeait avec les militaires dire qu'ils craignaient que j'aie des séquelles neurologiques et que je pouvais avoir un choc post-traumatique. J'avais sauté sur l'occasion pour ne pas devoir répondre des derniers événements.
Depuis ce jour, j'avais réussi à ne pas prononcer le moindre mot, et à filtrer la moindre de mes émotions. On m'avait plus d'une fois reproché mon regard froid, sans comprendre que c'était mon expression naturelle… à présent, ce qui était considéré comme un défaut m'était très utile. Je voyais dans le regard de mes visiteurs le malaise de ceux qui n'arrivaient pas à savoir s'ils avaient affaire à une femme bornée, traumatisée ou réduite intellectuellement.
Je me souvenais de Mary Fisher et des interrogatoires musclés, et je m'étais préparée mentalement à subir le même traitement, mais en vérité, mon état médical empêchait l'Armée de se conduire ainsi. Cela se verrait trop, si j'étais blessée, cela ferait réagir les soignants qui suivaient ma convalescence à coup sûr. Et puis, si mon traumatisme était réel, me torturer aurait été complètement contre-productif.
Alors ils attendaient patiemment que je guérisse… ou que je craque.
Chaque jour, les infirmières passaient, relevaient mes constantes, mon poids, examinaient mes cicatrices, étudiaient ma motricité, me félicitaient pour mes progrès d'une voix forcée, sans doute mises mal à l'aise par mon mutisme inexpressif et l'omniprésence des militaires qui me surveillaient. Malgré tout, j'étais touchée par leur prévenance, leur gentillesse. Elles faisaient des efforts phénoménaux pour m'aider à guérir sans jamais chercher à me forcer à parler.
De mon côté, je faisais les exercices que l'on me montrait à gestes lents, explorant mon corps éprouvé, estomaquée de me découvrir si diminuée, si faible. Les premiers jours où j'étais redevenue consciente, ouvrir les yeux ou bouger les doigts était déjà un effort insurmontable. Depuis, je guérissais, je pouvais de nouveau me tenir sur mes jambes, marcher, porter des poids légers qu'on me confiait… mais tout était si lent, si laborieux, que je me demandais si j'allais retrouver la pleine possession de mes moyens un jour.
Les gens autour de moi, me parlaient sans savoir si je comprenais quoi que ce soit, articulaient exagérément. On coupait ma viande en me laissant dans ma cellule avec une simple cuillère pour manger mon plat. Était-ce parce qu'ils ne me pensaient plus capable d'utiliser un couteau, ou parce qu'ils voulaient éviter que je programme une évasion à partir de ce simple outil ? Un peu des deux, sans doute.
En tout cas, ils ne prenaient pas le risque.
C'était la politique qu'ils avaient décidé d'employer avec moi. Me traiter correctement, physiquement, du moins, mais me retirer tout ce qu'ils pouvaient me retirer sans que ça ne laisse de traces. Je pouvais me doucher dans ma cellule, mais pas faire mes propres tartines. J'avais une fenêtre, mais je ne voyais pas l'extérieur pour autant. J'avais accès à tous les soins médicaux nécessaires, mais ceux qui entraient dans ma cellule le faisaient avec l'interdiction formelle de donner la moindre information extérieure.
De ce qui s'était passé depuis l'attaque du Bigarré, je ne savais rien d'autre que les interrogatoires à sens unique que je subissais chaque après-midi, qui se concentraient sur la fausse identité d'Edward et ses intentions futures. Ils pouvaient m'interroger, je ne savais pas plus qu'eux où il était parti et ce qu'il comptait faire. Je savais juste qu'en ayant fourni une couverture au Fullmetal Alchemist, ma culpabilité était avérée. Je n'étais pas pressée de savoir quel sort m'attendait une fois que je leur donnerai les moyens de me condamner.
Cela ne m'empêchait pas de sentir mon esprit torturé tourner en boucle sur les mêmes questions. Qu'étaient devenus les habitants, mon équipe, Edward, les autres clients ? Étaient-ils sains et saufs, blessés, morts ? Edward était-il emprisonné, bluffaient-ils ? Quelles répercussions cela avait eu, je n'en savais rien, je ne pouvais qu'espérer que le carnage avait vite été jugulé.
Je devais me convaincre en silence que Maïwenn allait bien, sans pouvoir ni la voir ni entendre sa voix, ni en avoir les moindres nouvelles. Je me demandais, le cœur piqué d'aiguilles, si Mustang avait découvert la vérité ce soir-là. Connaissant Edward, j'étais sûre qu'il n'avait pas pu s'empêcher de combattre dans ce contexte tragique. Si c'était bien le cas, je me demandais à quel point mon supérieur m'en voulait, à quel point il était désespéré.
Je me demandais ce que j'avais loupé d'autre, quels événements s'étaient déroulés.
Je me demandais quel jour nous étions.
Je restai immobile encore un moment, assise sur mon lit, fixant le trapèze de lumière qui se découpait en face de moi d'un œil vague. De l'extérieur, mon regard vide et mon mutisme parvenaient peut-être à faire croire à ma stupidité, mais je savais que je ne pouvais pas tenir à ce jeu-là éternellement. À un moment, ma tentation d'avoir des nouvelles du Bigarré serait trop grande, ou ils se lasseraient de m'attendre et décideraient d'employer des méthodes d'interrogatoires plus musclées. D'une manière ou d'une autre, être enfermée dans ces quatre murs finirait par me rendre folle. Si ce n'était pas déjà le cas.
Je savais que j'avais fait le meilleur choix stratégique, mais en réalité, j'étais terrifiée. À force de garder le silence, même si je m'entendais penser, raisonner clairement, je ne pouvais m'empêcher de me demander si, le jour où j'ouvrirai de nouveau la bouche pour parler, je serai capable de m'exprimer, ou si je découvrirais tout à coup que je n'étais plus capable de sortir qu'une bouillie de syllabes inarticulées. Je n'avais qu'un moyen de le savoir, et je ne me l'autorisai pas, même en étant seule dans ma cellule. Je n'aurais pas été étonnée d'être sur écoute.
De même, j'avais beau être de nouveau capable de marcher, porter des poids, les tenir à bout de bras, serai-je encore capable de tirer comme je le faisais auparavant ? Parfois, je m'égarai à prendre une posture de tir, bras tendus, pieds ancrés au sol, singeant un tir à vide pour essayer d'en retrouver les sensations. C'était une chose que j'avais souvent faite, enfant, quand je n'avais que peu d'occasions de m'échapper en forêt pour tirer de ma cachette l'arme volée qui était devenue mon trésor.
Cela faisait si longtemps, que, à défaut de pouvoir recommencer à vivre après ce traumatisme qu'avaient été l'attaque et mes blessures, je me replongeais dans mes souvenirs d'enfance, égrenant mon passé au fil des heures pour meubler mes journées en attendant un changement, un sauvetage.
J'espérais secrètement que l'équipe de Mustang était sur le coup, qu'ils m'aideraient à sortir, d'une manière ou d'une autre. Mustang était fort pour tirer les ficelles, et les autres avaient — du moins je l'espérais — assez d'affection pour moi pour prendre le risque de l'aider. Il y avait la voie légale… et le reste. Alors, je tâchais de me distraire en m'abîmant dans mes pensées, tout en me tenant prête au moindre changement.
Mais cela faisait maintenant vingt jours que j'étais ici, plus d'un mois que je m'étais réveillée, encore plus longtemps que le Bigarré avait été attaqué.
Et rien n'avait changé.
Alors, peu à peu, le doute commençait à s'immiscer dans mes entrailles. Allait-on réellement me sauver ? Le pouvaient-ils ? Le voulaient-ils seulement ?
Après le mensonge auquel j'avais contribué, Mustang avait de bonnes raisons de m'en vouloir, de me haïr, même. Moi qui avais été la première à juger le tournant que sa relation avait pris avec Edward quand il l'avait rencontré sous sa fausse identité, et qui avait fustigé l'adolescent de ne pas avoir dit la vérité, j'étais tout aussi coupable. Edward était immature, Mustang ignorant. Rétrospectivement, je me rendais compte qu'il n'y avait que moi qui aurais réellement pu mettre à l'arrêt ce dérapage. Mon supérieur avait un sens moral, et n'aurait pas insisté si je lui avais dit la vérité dès le début. Même si beaucoup doutaient de ses principes, j'étais sûre de ça.
Et même s'il m'en voulait, même s'il avait sans doute envie de me bourrer de coups de poing pour l'avoir laissé s'enliser dans cette histoire sans agir, je restais persuadée qu'il ne me laisserait pas croupir éternellement en prison. Il y avait la morale, et il y avait le pragmatisme : même convalescente, je restais une alliée de longue date, avec des compétences plutôt rares — même si je n'étais plus si sûre de posséder celles-ci.
Évidemment, je n'avais pas eu l'occasion de m'entraîner au tir depuis ma blessure, et les médecins étaient bien incapables de dire si j'étais sortie sans séquelles de l'attaque. J'avais intérieurement décrété que oui.
Cette idée était vitale pour continuer à tenir, à garder le silence, à enfouir en moi le peu d'expressivité qui parvenait habituellement à atteindre la surface, mais elle avait ses limites.
Par instants, je restais pétrifiée en me disant que j'avais peut-être tort. Par à-coup, je réalisai que les membres de mon équipe pourraient aussi bien être morts, que je n'en savais rien, que je n'en saurais rien tant que j'étais ici. Ou bien ils étaient en fuite, ou emprisonnés, eux aussi. Peut-être qu'il n'y avait plus personne pour tenir la barre de notre rébellion secrète, que les connaissances que nous avions arrachées à l'ennemi s'étaient perdues, qu'il ne restait plus que moi. Peut-être même que je n'étais pas réellement réveillée ?
Mon attente pourrait aussi bien être éternelle.
Alors, peu à peu, à force que les jours contredisent mes espoirs, cette attente tournée vers les autres s'estompait, remplacée par une conviction plus profonde : s'ils ne me sauvaient pas, je m'en chargerais moi-même. Après tout, chaque jour qui passait me rendait un peu plus forte, un peu plus acculée, un peu plus enragée. Je tâchai de ne pas le montrer, de m'entraîner aussi discrètement que possible à travers des exercices de rééducation a priori anodins, d'étudier tous ceux qui passaient dans ma cellule d'un regard vide, attendant l'opportunité, l'erreur fatale qui me permettrait d'échapper du bourbier dans lequel je m'étais mise.
Il y avait bien eu une occasion, il y avait quelques jours. Une infirmière qui m'avait tourné le dos pour répondre à la remarque d'un des militaires l'accompagnant, alors que les couverts n'avaient pas été retirés de mon assiette. J'aurais pu l'attraper, la prendre en otage, le couteau sous la gorge, tenter de me frayer un chemin en les obligeant à me laisser sortir. Mais je ne l'avais pas fait.
C'était trop risqué dans mon état et surtout, je ne me sentais pas capable de risquer la vie d'une personne qui me soignait avec autant de dévotion. Les soldats étaient en bien meilleure forme que moi, mieux armés, mieux entraînés, et dans une configuration pareille, il était pour ainsi dire impossible de s'en sortir sans morts, la mienne ou celle des autres.
Les soldats qui me gardaient étaient de simples larbins qui ne se doutaient pas de la nature du Généralissime et du complot auquel ils contribuaient. Ils avaient beau être en travers de mon chemin, je ne parvenais pas à les considérer comme des ennemis. Quant aux soignants qui s'occupaient de moi, je me sentais criminelle à la simple idée de devoir les impliquer.
Alors, j'avais renoncé, me raccrochant de nouveau à l'espoir ténu que mon équipe revienne à mon secours.
Depuis, plusieurs jours s'étaient écoulés.
Et rien n'avait changé.
On toqua à ma porte et je tournai la tête vers celle-ci. C'était l'heure de la visite du médecin, qui entra, flanquée de deux soldats qui me scrutaient, prêts à dégainer au moindre geste suspect. C'était une femme presque vieille, avec des lunettes aux montures noires qui se déployaient comme une paire d'ailes sur des traits sévères qu'elle tentait d'adoucir par un vague sourire. Je me contentai d'un regard las dans leur direction, les coudes calés sur les genoux.
Deux soldats et sans doute autant de gardiens de l'autre côté de la porte… C'était bien plus que ce que je pouvais affronter. J'avais beau ne plus être qu'une prisonnière désarmée et convalescente, ils ne relâchaient pas la surveillance.
— Mademoiselle Hawkeye, pouvez-vous vous lever s'il vous plait ? demanda la femme en blouse en accompagnant sa requête d'un geste de main.
Je composais un air hésitant avant de me lever lentement, me grattant la nuque, là où mon crâne avait été rasé lors de l'opération. Ce simple geste fit sursauter les soldats.
Ma réputation m'avait visiblement précédée auprès d'eux… mais j'étais loin d'être à la hauteur de celle-ci. Flottant dans mon uniforme de prisonnier taillé pour un homme, affaiblie, pelée et éteinte, je n'avais même pas le courage d'espérer agir aujourd'hui. Je restais sagement immobile en attendant les ordres. Pesée, tension, examen de ma cicatrice, de mes yeux, tests de réflexes, questions auxquelles je me contentais de répondre par un regard vide… La routine s'égrena une fois de plus, ne variant que dans l'ordre et les mots employés.
Puis vinrent les exercices, tout aussi monotones. La seule chose qui aurait presque pu paraître amusante, c'était de voir cette femme en blouse blanche singer les gestes pour que je l'imite, puisque je faisais semblant de peiner à comprendre. En la voyant lutter pour se relever après une série de squats, à tel point qu'un des militaires lui tendit une main secourable, je me sentis en partie coupable, en partie soulagée de voir que, malgré l'emballement de mon rythme cardiaque, j'avais eu moins de peine à en faire autant.
Enfin, la médecin vérifia mes constantes pour voir comment il avait été altéré par les exercices.
— Le changement de rythme correspond à un effort moyen, annonça-t-elle aux militaires. Sa forme physique s'est bien améliorée, même s'il est sans doute loin de ce qu'on attend de militaires comme vous.
Elle me jeta un coup d'œil en passant, et j'y cherchai malgré moi quelque chose de plus, un message caché, un encouragement… Mais il n'y avait rien de tout cela, et elle s'éloigna pour ranger son stéthoscope dans sa mallette, ses talons claquant sur le sol nu.
— L'hématome sous-dural s'est résorbé depuis un moment, et elle répond à des demandes simples… À mon humble avis, sa condition est d'origine psychologique… Vous n'obtiendrez pas plus d'informations de sa part sans communiquer davantage.
— Nous transmettrons l'information à nos supérieurs, docteur.
— Je crois qu'un Général la connaissant compte lui rendre visite cette après-midi, laissa échapper l'autre militaire.
Son collègue roula de gros yeux vers lui, tandis que je fis de mon mieux pour dissimuler l'espoir soudain qu'avaient fait naître ces mots.
— Très bien. Cela l'aidera sûrement de voir un visage familier, répondit-elle avant de planter son regard dans le mien, laissant passer un silence attentif. Pourquoi ne parlez-vous pas, mademoiselle Hawkeye ?
Elle avait murmuré ces derniers mots, me fixant de près, avec une sollicitude dépourvue de jugement, qui m'aurait donné envie de répondre si je ne savais pas que mon silence était le dernier barrage que je pouvais encore maintenir entre moi et mes ennemis.
Il y eut un long silence entre nous.
— Vous avez terminé ? demanda l'un des militaires, s'impatientant.
— Oui, nous pouvons partir, répondit le docteur en se détournant. Je suppose que vos supérieurs auront des questions à me poser. Au revoir, mademoiselle.
Puis la porte se referma sur le trio, me renvoyant à ma solitude.
J'attendis trois secondes de plus avant de lâcher un soupir tremblant, portant la main à ma bouche. Le fait qu'elle m'ait désigné comme une « mademoiselle » aurait pu être considéré comme une forme de politesse s'il ne signifiait pas la disparition de mon grade… mais à la limite, cela n'avait aucune importance que je ne sois plus considérée comme un membre de l'Armée.
Un supérieur me connaissant compte me rendre visite aujourd'hui.
Je me mis à faire des allées et venues à pas rapide dans ma cellule, comme pour évacuer un trop-plein de tension.
Il était impossible de ne pas penser à Mustang en entendant ces mots, et cette perspective fit naître en moi un espoir fébrile. Sa venue serait le point de départ du changement que je désespérais de voir arriver, le premier point de contact digne de ce nom avec le reste du monde, le premier visage familier que je pouvais espérer revoir depuis l'attaque. Même avec témoin, nous nous connaissions assez pour le savoir capable de me faire passer des informations à mots couverts…
D'un autre côté, la perspective de faire face à sa probable colère après qu'il ait découvert la vérité à propos d'Edward me pétrifiait. D'autant plus si je ne pouvais pas répondre à l'oral, si j'étais sous surveillance. Il pourrait aussi bien m'incendier, m'enterrer sous les reproches, sans que je puisse me défendre.
Peut-être que c'est ça, leur stratégie… pensai-je en laissant mes pieds claquer alternativement à un rythme rapide. Jouer sur mes émotions pour me faire sortir de mes gonds. Il va falloir que je prenne sur moi pour rester impassible.
Je restai immobile quelques instants, mon regard se perdant dans le vide. Il s'agissait, encore une fois, d'un test, d'un bluff à maîtriser. Après une vie entière à me montrer impassible le plus clair du temps, ça ne devrait pas être si difficile.
Comme je n'avais rien d'autre à faire en attendant la prochaine visite, je me replongeai à contrecœur dans mes souvenirs.
— Tu pourrais sourire davantage, soupira Marthe.
— Je ne vois pas l'intérêt de sourire, répondis-je d'une voix guindée à ma tante.
Il me semblait que cette expression correspondait à une forme de joie, ou du moins de satisfaction. Or, je ne ressentais ni l'une ni l'autre en me retrouvant à subir cette énième soirée de bal. D'autant plus en étant encore endeuillée jusqu'au bout des ongles.
La femme souffla, avant de se recomposer une expression policée.
— C'est à cause de ça que tu n'as toujours pas trouvé de parti, tu sais ?
Je hochai la tête, acceptant la sentence sans broncher. Si elle espérait me blesser avec ces mots, elle se trompait lourdement. À près de dix-huit ans, j'avais déjà compris depuis plusieurs années que mon désintérêt pour le sexe opposé était inhabituel. Les rares filles de mon âge que j'avais l'occasion de côtoyer lors des mondanités que je subissais semblaient s'émerveiller de chaque garçon rencontré, alors que je regardais ceux-ci avec une indifférence distante.
Je ne pouvais pas en dire autant des nuques dégagées par des chignons chargés d'ornements, des épaules nues et des décolletés de cesdites filles, qui m'émouvaient bien plus qu'il l'aurait fallu.
J'avais de la chance d'être naturellement peu expressive, et que mon entourage borné soit incapable d'imaginer mes penchants : si, par mégarde, mon regard s'attardait un peu trop sur elles, ceux qui le remarquaient supposaient qu'il s'agissait d'un signe de jalousie pour les tenues flamboyantes ou le caractère lumineux de celles que je contemplais, fascinée. « Cela n'a rien d'étonnant », avais-je déjà entendu souffler : « avec son physique banal et son caractère austère, on ne peut pas dire que la fille Hawkeye soit très séduisante. Et maintenant que son père est mort, elle n'est même plus héritière. »
Tant mieux, pensai-je.
Je priais pour que cela dure. Je n'avais qu'un rêve, un espoir. Me faire transparente au possible, afin que l'on m'oublie à tel point que je puisse disparaître des bals sans que personne ne s'en rende compte. Je m'étais promis de remplacer un jour la routine d'habillage laborieuse des soirées par celle, plus exaltante, d'une tenue de chasse au milieu de la nuit.
John Brooks me manquait.
Le garde-chasse vieillissant avait été mis à la retraite à la mort de mon père. De manière générale, j'avais assisté, impuissante, à la mise à sac du domaine par la famille de mon oncle. Je savais que mon père n'aurait aimé aucun des choix faits après sa mort, depuis celui des morceaux de son enterrement jusqu'aux changements dans la gestion des terres, et si j'avais des regrets, ce n'était pas vraiment vis-à-vis de lui.
Le peu de choses que j'appréciais dans ce domaine oppressant avait disparu de ma vie l'un après l'autre : la bibliothèque revendue, les parties de chasse à l'aube avaient cessé, ma chienne Junon était morte, les apparitions ponctuelles du bâtard Alchimiste avaient cessé et même Violet, la jeune femme qui s'occupait de moi et s'était mariée deux ans auparavant, quittant son service. C'était à force de fermer les yeux quand elle me coiffait et de sentir mon cœur battre plus vite qu'il l'aurait dû que j'avais compris que j'aurais aimé connaître une intimité plus grande avec elle.
Mais elle était partie. Elle et tous les autres m'avaient abandonnée, en quelque sorte.
Il ne restait que des bribes de la vie que j'aurais voulu vivre, et celles des autres, qui continuaient sans moi, me laissant seule, absente et amère, au milieu d'une société qui ne me correspondait décidément pas.
Il ne restait plus que le domaine aux pierres grises et aux tentures lourdes, l'argent, l'honneur et le lignage. Mon cousin, pour lequel je n'avais aucune affection, avait hérité du domaine, puisque mon père était mort avant que je ne conçoive un héritier. Depuis, ma tante, qui ne m'avait jamais porté beaucoup d'estime, cherchait avant tout à se débarrasser de moi en me mariant au plus vite.
Je ne tenais pas spécialement à perpétuer la lignée, et il était de toute façon trop tard pour « faire un héritier ». Je ne me sentais pas assez redevable envers ma famille pour leur offrir plus qu'une obéissance de façade, en caressant l'idée d'être libre une fois majeure. Puisque ma famille n'avait rien à m'offrir, c'était à moi d'aller le chercher… ailleurs. Mon père m'avait bien fait sentir depuis ma naissance que j'étais une déception. Il aurait fallu que je sois un homme pour trouver grâce à ses yeux.
Je m'autorisai un petit soupir, attendant que la soirée se finisse et que je puisse retrouver la douce solitude de ma chambre. Si seulement j'étais un homme, tous les défauts que l'on m'attribuait seraient devenus des qualités appréciées. On ne dirait pas de moi que j'étais austère, simplement appliqué, je pourrais m'illustrer aux parties de chasse dont j'étais exclue, on n'attendrait pas de moi que je m'intéresse aux froufrous et jupons. Mon calme serait apprécié et l'on me demanderait mon avis sur la gestion économique du domaine au lieu de me parler couture…
Mais je n'étais pas un homme, et cette constatation me pesait chaque jour un peu plus. J'en venais à regretter ma poitrine, mes cheveux longs, et tout ce qui me définissait comme femme aux yeux des autres.
On ne pouvait pourtant pas dire que je tenais mon entourage en haute estime… En vérité, je n'aurais rien eu à faire de leur opinion si mon destin ne dépendait pas du bon vouloir de ceux-là.
— Mademoiselle Hawkeye, me feriez-vous l'honneur de cette danse ?
Il me fallut quelques instants pour assimiler que c'était à moi qu'on parlait. Je tournai la tête vers l'homme qui s'était adressé à moi et restait figé, la main tendue et le sourire aux lèvres, en attendant ma réponse dont le délai frôlait l'impolitesse.
Finalement je sentis ma tante me pousser entre les omoplates et fus contrainte de faire une courbette en guise de confirmation. Quand je quittais ma chaise, je sentais mes muscles former une croix tendue, du haut de ma nuque à mes omoplates. Je n'aimais pas danser. Je ne connaissais cet Alan Knight que de nom et je ne tenais pas à ce que ça change. Je n'avais pas envie d'être là et je me sentais hérissée comme un chat qu'on venait d'arroser d'eau froide.
Je pris de grandes inspirations pour retrouver mon calme. Je n'avais pas le choix, de toute façon, alors autant faire bonne figure. Je sortis mon meilleur sourire de façade et levant les yeux vers celui qui m'avait invité. Les cheveux noirs bien gominés, la fossette d'un sourire fréquent — d'un côté seulement — les yeux d'un vert délavés, il était plutôt bel homme selon des critères objectifs. En prenant ma main pour mener la danse, il me parla d'un ton affable, et je répondis poliment. Il faisait de mon mieux pour que je me détende, mais ses efforts n'eurent qu'un effet mitigé.
Je n'aimais pas le contact des hommes.
Assise sur mon lit, accoudée sur un genou, le nez fourré dans mon bras, je m'évadais de ce souvenir qui me glaçait après-coup et revins dans le présent.
Je voulais partir d'ici, quitter ces quatre murs. Admettons que j'arrive à me débarrasser des gardes, que pouvais-je faire après ? Je n'allais pas pouvoir aller bien loin dans mon état physique, et si je n'étais pas enfermée dans les locaux de la prison pour une raison qui m'échapper, s'échapper du QG de Central-City n'avait rien d'une partie de plaisir.
Si je me fiai à la lumière passant par la fenêtre, j'étais dans un bâtiment orienté sud-est. Il n'y en avait pas tant que ça, si on exceptait la seconde bibliothèque, le champ de tir et les bâtiments d'entraînement, il restait le bâtiment G et Tribunal de Justice militaire. Je fouillai dans ma mémoire pour retrouver les détails du plan du QG et ma situation exacte. J'étais à peu près sûre que je me trouvais dans un de ces deux-là, qui se trouvaient tous les deux à l'ouest du complexe.
Pour sortir au plus vite du terrain de l'Armée, j'avais donc intérêt à tourner à droite en sortant de ma cellule et chercher la porte la plus proche. Si mes souvenirs étaient bons, ce coin du QG était une zone plutôt peu fréquentée, entourée de chemins arborés où traînaient quelques fumeurs, mais elle était trop loin du réfectoire pour être un endroit privilégié lors des pauses de midi. Cela m'arrangerait, si je devais m'évader, de passer par là.
Encore faudrait-il que je parvienne à passer le pas de la porte, pensai-je en fourrant ma tête dans mon bras, enfonçant mon autre main dans ma chevelure avec lassitude.
Je pouvais toujours répéter mille fois mon évasion dans ma tête, tant que je n'aurai pas le courage de sacrifier d'anciens collègues pour échapper à l'Armée, je n'avais aucune chance de sortir d'ici.
Je n'avais pas envie de tuer inutilement. J'aurais préféré qu'on me sorte de là.
Cela m'aurait prouvé que je n'étais pas seule.
Est-ce que j'étais seule au monde ?
Je me rendis compte que si je ne m'étais pas encore évadée, c'était sans doute par manque d'opportunité, parce que ma faiblesse physique diminuait mes chances de réussite… mais aussi, surtout peut-être, parce que je ne voulais pas imaginer le pire : être la seule survivante au carnage laissé par le Bigarré, à part peut-être Edward, sur lequel on m'avait interrogé si souvent.
Je n'avais pas envie de perdre cet espoir en ne comptant plus que sur moi-même.
Quand la serrure de ma cellule cliqueta, annonçant une nouvelle visite, je me retins de bondir. J'avais eu de longues heures pour espérer la venue de Mustang, pour chercher les gestes et les regards qui me permettraient de communiquer avec lui sans éveiller les soupçons. J'avais aussi eu le temps de craindre son regard, sa colère, d'imaginer son visage durci et froid.
Bref, j'étais sur les charbons ardents, et soulagée que l'attente prenne fin. Je m'assis sur mon lit, les mains appuyées sur le rebord, prête à me lever pour accueillir le nouveau venu ou le suivre, le cœur battant.
Mais quand je vis la silhouette en uniforme et aux cheveux noirs passer le pas de la porte, flanquée par les deux gardiens, les battements se figèrent et je me sentis tout à coup glacée, pétrifiée.
Ce n'était pas Roy Mustang.
Plutôt grand, les cheveux noirs bien gominés, il portait une barbe soigneusement taillée qui aurait pu m'empêcher de le reconnaître si je n'avais ressenti cette peur viscérale en le voyant.
Alan Knight.
Je pensais ne jamais le recroiser. J'étais convaincue que ce fragment du passé était derrière moi, et en voyant mon agresseur camper fièrement sur ses deux pieds, plantant son regard dans le mien avec un sourire en coin, le même qu'à l'époque, en revoyant ses yeux délavés et sa fossette, toutes mes pensées furent emportées par un vent de terreur pure.
Comment, pourquoi était-il là ? Je n'en savais rien, mais je me sentis basculer dans une noirceur presque ancestrale, la gorge nouée pour ne pas vomir son odeur qui me revenait en mémoire, écrasée par le poids de son corps qui m'avait dominée plus jeune.
Encore incrédule, je le vis se pencher vers moi sans quitter son sourire infect, et me murmurer.
— Cela fait longtemps, Riza Hawkeye. Vous n'avez pas changé.
Sa voix me fit l'effet d'un coup de poing dans le ventre. J'aurais été incapable de lui répondre, quand bien même je l'aurais voulu. Il se redressa et se tourna vers les subalternes.
— Vous pouvez disposer.
— Si je puis me permettre, Général Knight, cette prisonnière est sous haute surveillance.
— Croyez-moi, si vous voulez des aveux, il vaut mieux me laisser le plus de latitude possible. Et puis, n'oubliez pas que je suis armé.
— Dans ce cas… murmura l'autre soldat.
Il s'avança vers moi et se pencha pour me menotter les mains. Je me laissai faire, tendant machinalement les poignets devant moi pour l'aider, puis les laissai retomber mollement sur mes genoux une fois entravée. Je me sentais sans vie, sans pouvoir, sans espoir. Le destin me rattrapait et je ne pouvais pas lutter contre lui. J'étais même incapable de penser, il ne restait plus que ce sentiment de fatalité terrible, cet écrasement étouffant.
Dans un autre contexte, j'aurais pu fuir, j'aurais pu me rebeller, j'aurais pu le confronter… mais là, j'étais acculée, face à lui, sans ressource.
Comme cette nuit-là.
— Nous vous laissons, Général. Appelez-nous dès que nécessaire. Nous viendrons immédiatement.
— J'y compte bien, répondit-il avec une petite pointe hautaine dans la voix.
Les soldats hochèrent la tête et se dirigèrent vers la porte, sur le point de nous laisser seuls.
— Ah, et…
Ils se figèrent.
— Ne vous étonnez pas s'il y a un peu de bruit.
J'eus l'impression que mes entrailles se retournaient comme un gant en entendant ces mots. La placidité avec laquelle il les avait prononcés, l'horreur qu'ils sous-entendaient, et l'impunité dont il disposait… les soldats se contentèrent de hocher la tête après avoir évité mon regard. L'un d'eux semblait mortifié, mais il obéit tout de même.
Un simple Sergent obéissait aux ordres d'un Général, n'est-ce pas ?
Même si cela impliquait de le laisser seul dans la cellule d'une prisonnière en sachant pertinemment ce qui allait se passer, ce qu'il allait garder sous silence et porter avec lui.
Quand la porte se ferma avec un cliquetis, que les deux autres militaires m'abandonnèrent à mon sort et que le silence retomba, tout espoir disparut, je n'eus plus qu'une pensée en tête.
Je veux mourir.
.
Je veux mourir.
Comme cette nuit où je m'étais roulée en boule au pied de mon arbre, secouée de sanglots et de spasmes, révulsée de dégoût. Comme ce moment où j'avais tiré de sa cachette la boite en fer blanc avant de l'ouvrir d'une main tremblante. Le Walter était là, dernier fragment de ma vie d'avant.
Il ne restait plus qu'une balle dans la boite. John Brooks n'était plus là pour me fournir des munitions en douce, alors je l'avais gardé pour une occasion spéciale.
Je chargeai l'arme, la pointai contre ma gorge nouée, l'index tremblant sur la gâchette. Je sentais le pouls dans ma gorge et mon corps révulsé qui cherchait à s'enfuir hors de lui-même par tous les moyens, de se vomir pour fuir l'horreur de ce qui venait d'arriver. J'avais été impuissante et dominée jusqu'au bout, ce geste était tout le pouvoir qu'il me restait.
Je voulais être libre.
— Asseyez-vous, Riza.
Alan avait parlé d'un ton doucereux, bien conscient de la terreur qu'il m'inspirait. Il en tirait visiblement un plaisir immense, comme à l'époque.
Quel enfoiré, pensai-je de très loin, me voyant me lever pour obéir, m'asseoir à la chaise qu'il désignait.
Il s'assit en face de moi, croisant les doigts pour appuyer son menton dessus, souriant comme s'il était sur le point d'entamer une discussion avec un ami qu'il n'avait pas vu depuis longtemps. Le contraste entre son ton et ses actes m'avait toujours révulsé, accentuant la cruauté de son comportement.
— Cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas vus.
Je lui jetai un regard noir, gardant le silence.
— Mais visiblement, vous ne m'avez pas oublié. Je suis flatté.
Comment aurais-je pu oublier mon violeur ? Comment aurais-je pu échapper à ce souvenir qui m'avait hanté si longtemps, à cet homme que j'imaginais avoir dans le viseur de mon arme à chaque fois que je lâchais une balle sur le front d'Ishbal ?
— Je ne pensais pas vous voir dans une telle situation. Entre les séquelles de votre blessure et votre emprisonnement pour complicité avec un terroriste, vous êtes en bien mauvaise posture… Vous auriez dû accepter les fiançailles à l'époque, vous n'en seriez pas là aujourd'hui.
Non, je n'en serai pas là. Je serai déjà morte, je le savais. Plutôt mourir que de devenir la chienne de ce salaud. Je n'étais pas née pour ça.
Peu à peu, le choc passant, je me réhabituai à sa présence. J'apprivoisai ma peur, je savais qu'elle ne me sauverait pas, et je laissai la colère renaître, remonter des profondeurs de mon être, cette colère qui m'avait fait préférer la vie. Celle qui m'avait fait tirer dans le tronc en face de moi, avant d'essuyer mes larmes et de tenter le tout pour le tout.
Cette nuit-là, j'avais fui pour ne pas sombrer. J'avais puisé dans l'énergie du désespoir pour m'échapper.
Et en regardant cet homme qui me toisait d'un air doucereux, conscient d'avoir tout son temps et de pouvoir faire ce qu'il voulait de moi, parce que je ne me défendrai pas, parce que personne d'autre ne me défendrait, je compris que j'étais exactement dans la même situation qu'à l'époque.
— Vous savez, je vous aimais bien, Riza, souffla-t-il d'une voix insupportablement douce, levant la main pour caresser ma joue, m'arrachant un tressaillement.
Je tâchai de rester immobile, aussi vidée de ma substance que possible. Quand il m'avait violée, ce jour-là, j'avais été tellement sidérée que je n'avais opposé aucune résistance. Incrédule, impuissante.
Faible.
— Je pourrai essayer de faire quelque chose pour vous, si vous le voulez. Vous sortir d'ici, pour commencer. Nous pourrions revivre quelque chose ensemble. Si vous acceptez de collaborer, de dire où est Edward Elric, je pourrai négocier une remise de peine. Vous savez que je suis prêt à faire beaucoup de sacrifices pour vous.
Je clignais des yeux, gardant le silence, et il sourit.
— Vous savez que je suis la seule option qui vous reste, n'est-ce pas ? Personne d'autre ne pourra vous aider. Alors, pourquoi ne pas accepter votre défaite ? Vous vous êtes bien battue.
Il frappait un point sensible, cette idée que Mustang et les autres m'avaient peut-être abandonnée à mon sort, mais je fis de mon mieux pour garder une expression aussi vide et impassible que possible ;
— Mais peut-être ne comprenez-vous rien à ce que je dis. Peut-être qu'il serait temps d'essayer de parler, pour prouver aux autres que vous en êtes incapable. Peut-être pourriez-vous montrer à quel point vous êtes limitée. Si vous étiez en hospitalisation longue, peut-être qu'on vous laisserait accès à un jardin. Vous aimez toujours autant la nature, n'est-ce pas ?
Il s'était levé, les mains dans les poches, et s'approchait, peu à peu, et à chaque geste, je me sentais un peu plus empoisonnée et salie par anticipation. Mais je me concentrai sur ses mots, me préparant au moment où il lâcherait une énormité comme celles qu'il m'avait murmurées pour m'empêcher de sortir de ma sidération.
— Est-ce que vous vous souvenez seulement de mon nom ? murmura-t-il, penché sur moi. J'en viens à me demander si les médecins n'avaient pas raison en disant que vous aviez des séquelles irréversibles.
Mon être tout entier hurlait, mais j'étais pétrifiée, à l'exception des tremblements qui commençaient à parcourir mes mains, mes bras, mon dos. Je ne pouvais pas me soustraire à ses gestes.
— Dites mon nom, ordonna-t-il à mi-voix.
J'entrouvris la bouche, la gorge sèche, bien incapable de parler, quand bien même je l'aurais voulu, et il sourit d'un air entendu. Il s'était prouvé à lui-même qu'il avait toujours le pouvoir, que ma fuite, à l'époque, avait été une tentative désespérée de lui échapper, mais que j'étais, aujourd'hui encore, à sa merci.
— Vous êtes la plus belle des biches effarouchées, susurra-t-il.
Puis il m'embrassa, me faisant tressaillir. Il prit le temps de s'écarter pour observer ma réaction et la savourer, avant de se pencher un peu plus pour déboutonner mon uniforme de prisonnier. Je restai impassible, incapable de savoir si c'était moi qui luttais pour faire taire mon indignation ou mon esprit qui avait quitté le navire, tandis qu'il prenait mes mains pour les soulever et continuer son affaire.
Et comme à cet instant où l'arme résiste avant de lâcher, juste avant que le coup parte, je sentis le déclic se faire dans ma tête.
Mes mains qu'il avait soulevées et calées sur mon épaule attrapèrent vivement ses cheveux, mes ongles se plantan dans son oreille et son cuir chevelu, et d'un geste vif qui contenait toute la force de ma rage et tout mon dégoût, je lui écrasai la tête sur le coin de la table.
Puis je pris une grande goulée d'air comme si je venais d'atteindre la surface tandis qu'il tentait de se redresser, titubant sous le choc. Je me levai de la chaise avant lui, enserrant la chaîne de mes menottes sur sa nuque pour l'empêcher de bouger, et lui donnai deux coups de genoux, dans l'abdomen, dans le plexus. Il tomba à genoux, puis s'effondra, me laissant pantelante, éperdue, les gestes d'autant plus violents que je tremblais incontrôlablement.
Crève.
Crève, crève, crève.
La dernière fois, j'avais eu le choix entre fuir et mourir.
C'était la même chose aujourd'hui.
Je le haïssais tellement que face à lui, je pouvais prendre tous les risques. Quitte à mourir intérieurement, autant mourir tout court, autant m'évader, même si c'était sans doute sans espoir.
Je le vis rouvrir la bouche pour reprendre son inspiration, appeler à l'aide, et lui donnai un nouveau coup de pied pour le faire rouler sur le ventre. Il se plia en deux, me laissant la jouissance absolue d'avoir vu briller la peur dans les yeux qu'il avait levés vers moi.
Ce n'était que justice.
Ce n'était pas du tout assez, mais j'avais toujours rêvé de vengeance, et s'y laisser aller était enivrant.
Évasion.
Ce mot unique me rappela à l'ordre. Mon vrai but, la chose à faire, c'était de fuir. Je me laissai tomber à genoux pour tirer son arme du Holster et le braquer sur lui sans attendre qu'il reprenne son souffle. Quand il fut de nouveau en étant de respirer, il croisa mon regard, plus d'une fraction de seconde cette fois. Sa stupéfaction outrée de voir les rôles inversés m'aida à calmer ma respiration, à soulager mon corps secoué de spasmes de dégoût d'avoir été touché par lui.
Je sentais la haine que j'éprouvais envers moi-même d'avoir laissé ça arriver, à l'époque aujourd'hui, de l'avoir laissé me toucher alors qu'il n'avait pas le droit. Je savais que je n'avais pas le choix, qu'il fallait que je le laisse me rapprocher assez pour pouvoir l'attaquer par surprise et avoir le dessus, mais je savais aussi que je ne me pardonnerais pas de sitôt d'avoir dû céder autant de terrain pour pouvoir gagner.
Son arme tremblait dans mes mains. Je voulais tirer. Je voulais voir son visage défiguré, ensanglanté, et envoyer au pays des morts celui qui avait failli me détruire. Et en le regardant droit dans les yeux, je savais qu'il le sentait. Il savait que j'étais capable de tirer, que j'avais ma vie entre ses mains comme il avait eu mon corps entre les siennes.
Je voulais qu'il meure.
Mais si je tirai ce coup, je tirais le signal d'alarme, j'avais une munition de moins pour m'échapper… J'aurais subi ça pour rien, et la satisfaction de le tuer serait vite remplacée par ma propre condamnation.
Alors je déglutis, luttant contre moi-même, et me contentai d'ouvrir la bouche, pour lâcher mes premiers mots depuis des semaines.
— Vous ne me connaissez pas, Knight, grognai-je d'une voix rauque, enrouée, étrangère, mais intelligible tout de même. Je ne suis pas une proie, mais un prédateur.
Pitié, ne me tuez pas, vous le regretteriez ! gémit-il, tout à coup pitoyable.
J'esquissai un mouvement et il leva les mains pour se protéger, fermant les yeux. Il ne me vit pas retourner l'arme pour le frapper à la tempe de toutes mes forces avec la crosse. Deux fois.
Je me redressai, à bout de souffle, et lui marchai dessus pour rejoindre la porte, lui piétinant l'entrejambe et le visage au passage. Son corps mou était écœurant, et je compris que je l'avais sans doute assommé.
Il n'était pas mort — probablement pas — mais il était hors d'état à coup sûr, et je me contenterai de ça.
Je ne m'étais pas laissée faire. Avoir riposté contre celui qui avait failli me détruire m'avait demandé un effort terrible et avait laissé mon organisme en état de stress intense, mais rien n'était joué. Déjà, les soldats de l'autre côté de la porte s'affairaient.
— Général ? Général ?
La porte se déverrouilla, et j'accueillis l'homme en cueillant sa mâchoire d'un coup de poing qui, s'il n'était pas très puissant, eut le mérite de la surprise. Il tituba et je mis en joue l'autre soldat, lui tirant dans le genou. Il s'effondra dans un cri, laissant tomber son arme, et j'attrapai le premier par le galon pour lui administrer un coup de genou bien placé.
Je n'avais rien contre eux — sinon je n'aurais pas fait l'effort de les garder en vie. Je ramassai l'arme de l'un, donnai un coup de pied dans celle de l'autre pour la faire valser le plus loin possible, et me mis à courir dans le couloir qui me sembla irréel et d'une immensité vertigineuse après mes semaines d'enfermement.
Aussitôt, mon cœur s'accéléra déraisonnablement et je sentis mes poumons me brûler. Mes limites physiques se rappelaient brutalement à moi, me faisant comprendre que j'étais en danger et que mes ressources étaient très restreintes. Toujours menottée, une arme dans chaque main, courant péniblement, la chemise déboutonnée battant sur mon soutien-gorge défraîchi, je devais offrir un spectacle bien improbable.
Je croisai un duo de secrétaires que je mis en joue et qui levèrent aussitôt les mains, puis un militaire qui tenta de s'interposer et qui se prit une balle dans le mollet. Je sautai par-dessus, sentant le choc de mes talons sur le parquet se répercuter dans tout mon squelette, et continuai ma course vers l'extrémité du couloir.
— Elle est armée !
— Bon sang, qu'est-ce que vous avez fichu ? !
J'entendais les cris des militaires derrière moi, les balles qui sifflèrent sans m'atteindre alors que je tournai à l'angle du couloir, ouvrant la porte de l'escalier d'un coup d'épaule. Je jetai un coup d'œil par-dessus la balustrade de la cage d'escalier et sentis ma tête tourner en découvrant les trois étages qui se déroulaient en dessous de moi. Il n'y avait rien de plus banal que ces murs beiges, ces parquets et le faux plafond blanc de ce bâtiment, mais mon monde était devenu si petit et étriqué que j'avais une sensation de vertige en redécouvrant l'ampleur des lieux.
À moins que ça soit simplement parce que l'effort était trop fort pour mes capacités diminuées.
J'y pensais avec un détachement absurde en dévalant les escaliers, les bras relevés vers la droite pour ne pas avoir mes armes dans mon champ de vision et avoir les mains proches de la rambarde malgré mes menottes, fixant les marches pour ne pas tomber. En arrivant au demi-étage, j'entendis la porte claquer et relevai la tête. Ils arrivaient. Je tirai deux coups de semonce pour les obliger à reculer, tournai l'une des armes vers la porte qui me faisait face pour tirer dessus alors qu'elle commençait à s'ouvrir.
Puis je recommençai à courir, entre emprisonnement et liberté, encore ivre de rage, trop débordée par ce sentiment que le monde se dépliait autour de moi pour avoir le temps d'avoir véritablement peur. J'avais failli mourir, j'avais cru rester enfermée pour l'éternité entre ces murs blancs, et maintenant, ce décor qui défilait autour de moi et ces visages me semblaient lointains et irréels, comme si je ne faisais plus véritablement partie de ce monde.
Au milieu de cette perte de limites, mon esprit flottait, guidé juste par une conscience monotâche, concentrée sur un objectif : m'échapper, sans causer de morts, si possible. Je ne pensais pas à mes pieds nus, à mes poumons déchirés par une respiration trop rapide. Je ne pensais pas à l'après, à comment j'allais bien pouvoir trouver de l'aide, évadée, menottée, échevelée, sans ressources. Tout cela était trop loin pour que j'aie le luxe de m'en inquiéter.
Surtout quand d'autres me tiraient dessus.
Je sautai les dernières marches pour échapper aux balles de ceux qui me poursuivaient, et chutai, sentant chaque point de contact avec la réalité me heurter douloureusement. Les murs étaient rêches et le carrelage glacé. Je me relevai et jetai un œil à travers la fenêtre des portes battantes pour savoir ce qui m'attendait. Trois soldats étaient de l'autre côté, se tenant en embuscade. Je m'accroupis vivement pour échapper au tir de l'un d'eux à travers la porte, puis la poussai de tout mon poids, me laissant tomber en avant.
Je tombai sur le côté, au milieu de mes ennemis en uniforme, l'un s'étant pris la porte en plein visage, les deux autres me tenant en joue. Je me tordis les poignets et les deux coups partirent, l'un dans la jambe, l'autre à l'épaule. Les cris de douleur, les cavalcades dans l'escalier, tout cela résonnait, faisant plus de bruit en un instant que je n'en avais entendu durant des semaines. Je m'appuyai sur mes coudes pour me relever, grimaçai en sentant que les menottes avaient taillé ma chair à force de mouvements brutaux, poussai sur mes pieds nus pour passer de quatre pattes à deux et bondir vers la porte d'entrée.
Cette porte de sortie était proche, mais semblait inatteignable tant mon évasion était folle, impossible, désespérée. Tout cela n'était peut-être qu'un rêve, une hallucination que je m'étais construite pour donner du sens à mon enfermement.
J'en avais rêvé tant de fois.
Chaque mètre était une victoire et chaque pas une libération, malgré mon corps endolori, ma gorge nouée, mes entrailles déchirées par un point de côté alors que je n'avais même pas couru cent mètres. Je ne m'étais jamais sentie aussi hors du monde et vivante à la fois.
Je me jurai que l'on ne m'enfermerait plus jamais, quitte à en mourir. Je ne me rendrais pas.
Quand j'atteignis la porte d'entrée en m'y écrasant presque, quand je tournai la poignée et l'ouvris, je me sentis comme un lion ébranlant les barreaux de sa cage.
Le bâtiment s'ouvrait vers une zone arborée, pavée par endroit, silencieuse et vide, à peine troublée par le vent. L'air froid me saisit, et je lâchai une expiration qui forma une brume imperceptible.
Durant cette fraction de seconde où je restai figée à la porte du bâtiment, redécouvrant l'extérieur, je me sentis vaciller devant ce décor silencieux, fourmillant de détails et de couleurs qui réapparaissaient après avoir été effacées de ma vie. Il y avait tout ce dont j'avais l'impression d'avoir oublié jusqu'à l'existence : la morsure du vent, la couleur du ciel, l'odeur de la terre, les arbres nus qui tiraient imperceptiblement vers le vert, annonçant le printemps imminent, et, un peu plus loin, une rangée de magnolias dont les fleurs dessinaient des centaines de flammes allant du blanc au violet. Ce décor que j'aurai trouvé anodin avant me semblait tout à coup d'une beauté stupéfiante, et durant un instant d'éternité, je me sentis comme écrasée par la richesse et la complexité de ce monde que j'avais oublié.
Mais j'étais toujours en danger de mort, je devais toujours m'échapper.
Alors, sans cesser de dévorer des yeux tout ce qui m'entourait, je me remis en branle pour me faufiler entre les arbres et me dissimuler derrière les haies taillées.
Ma tête me tournait, je titubais, mes pieds glacés s'écorchaient sur la terre et les dalles trop dures pour mon corps ramolli par l'enfermement, j'entendais les cris des militaires qui sortaient du bâtiment et j'entrevoyais des silhouettes qui accouraient de plus loin. Je ne savais pas comment j'allais me sortir de cette situation, mais j'étais trop envahie de sensations et d'émotions pour y penser réellement.
Puis je jaillis d'une haie et tombai face à deux silhouettes en uniformes que je mis aussitôt en joue, avant de les reconnaître et de me figer.
Jean Havoc était fidèle à lui-même, toujours aussi grand, blond et pataud, la clope au bec et la bouche bée.
En revanche, il me fallut plus de temps pour reconnaître la deuxième personne à côté de lui. Émacié, blême, l'œil noir et les cheveux trop longs, Mustang avait terriblement changé.
Je me sentis en état de choc en les voyant. Parce que, à force d'être isolée, je m'étais sentie si seule que je me demandais s'ils existaient encore ; et ils existaient bien, ils fumaient comme si de rien n'était, à quelques mètres du bâtiment où j'étais enfermée. Ils n'avaient rien fait pour moi. Ils m'avaient laissée dépérir là.
— Hawkeye ? bredouilla Havoc.
Je me sentis me gonfler d'une fureur sans doute réciproque, si j'en croyais les sourcils rassemblés de Mustang et son regard noir vrillé sur moi.
Je réalisai alors quelque chose que mon cerveau avait refusé de percevoir.
Son arme était braquée sur moi.
Non.
Ça.
Ça, ça n'était pas possible.
J'entendais les cris des militaires qui me poursuivaient se rapprochaient, et compris que j'étais acculée. Déjà. C'était l'hallali.
Cela avait été si court.
Mon monde trop étroit se heurtait à la réalité. Dans mon imaginaire, Mustang et les autres se battaient pour moi, ou du moins se battaient tout court. Ils luttaient pour faire tomber les Homonculus. Ou bien ils étaient morts.
Dans aucune version imaginable, ils ne me barraient la route quand je cherchais à m'enfuir.
Jamais je n'aurais imaginé le voir me menacer de mort. Je l'avais pourtant vu sombrer, vriller un paquet de fois, mais ce revirement était inconcevable.
Comment avaient-ils pu laisser tomber ? Me laisser tomber, laisser tomber les autres ? Comment pouvait-il avoir baissé les bras ?
Comment avais-je pu le laisser faire ?
Le regard du grand blond allait de moi à Mustang, qui me tenait toujours en joue, et sa cigarette tomba de sa bouche. Lui non plus ne comprenait pas comment il pouvait être témoin d'une scène pareille. Piètre réconfort, puisqu'il n'esquissait pas un geste, trop stupéfait pour réagir.
De mon côté, je ne parvenais plus à bouger, estomaquée.
Pourquoi ? Depuis quand Mustang me haïssait ? Son regard noir était rempli d'une fureur que j'avais vue plus d'une fois, mais qu'il n'avait jamais dirigée vers moi. Pour cause, je pensais être son amie. Je l'avais suivi, soutenu, porté, sauvé parfois. J'avais sacrifié une bonne partie de ma vie pour le voir monter, pour l'aider à renverser Bradley, bien avant de découvrir l'ampleur du complot des Homonculus. J'avais cru en lui.
Et je l'avais trahi.
Était-ce à cause d'Edward, Angie ? Est-ce que ce mensonge avait fini par le rendre fou ? Il n'allait quand même pas me tuer à cause de ça ? Être furieux, oui, mais au point de sacrifier son ancien bras droit ?
Était-il devenu mon ennemi ?
Où était-ce Envy qui avait pris sa place ?
Je ne savais pas, je ne savais plus et je n'avais pas le temps de comprendre.
Mon cerveau tournait à toute vitesse, cherchant une issue dans ce cul-de-sac.
Reculer, c'était être cueillie à coup sûr par mes poursuivants.
Avancer, c'était affronter Mustang.
Je m'étais préparée à sa fureur, à ses cris, à sa rancœur et à subir une punition, d'une manière ou d'une autre, pour l'avoir laissée sombrer dans la romance mensongère qu'il avait vécue au Bigarré.
Mais pas à ça.
Je ne me rendrai pas.
Je n'avais pas le choix. Alors, je serrai les dents et décidai de croire qu'il restait en lui quelque chose qui retiendrait son geste, comme je retenais le mien malgré l'adrénaline qui m'électrisait. Je serrai la mâchoire, et me remis à avancer en le regardant droit dans les yeux, presque avec provocation.
Je vis son geste. J'entendis le déclic, aussi irréel que le reste.
Et la balle m'atteignit en pleine tête.
Fin
de la sixième partie.
