Voilà, ça y est, c'est officiel et annoncé : j'ai terminé DSeDP !

330 pages A4 ! Et la cerise sur le gâteau ? Je finis sur un nombre pair de chapitres ! XD C'est complètement random mais je suis trop contente, j'avais espéré le faire sans trop y croire.

Alors savourez tranquilou, vous aurez une fin quoi qu'il arrive !

Du coup, ben... Je retourne sur BG3 et j'essaie de serrer Gayle XD

Journal des reviewers

Liline37 : Tout à fait, l'acte 3 arrive tranquilou. J'ai encore des petits trucs à faire après tonton Ketheric avant d'y arriver ;)

Erwynia : J'aime beaucoup Mizora (rien que pour ses « Tata. » de fin de conversation) mais hélas, vu que Wyll n'est pas inclus dans cette histoire, je n'avais pas de raison de la faire intervenir. ^^'' J'ai trop de gens à gérer à la fois et cette histoire est déjà bien assez longue XD
Tiens bon encore un peu pour Silesta et Astarion. Après la baston, on va s'occuper d'eux. Pour l'instant, ils ont malheureusement plus urgent à gérer.

Daidai : ça me fait plaisir, si tu aimes toujours :) Pour le livre, j'aimerais bien me le faire imprimer mais quand je vois ce que ça donne avec de la mise en page spéciale, je dépasse les 900 pages ^^""

Annabesse : Au moins, tu es sûre d'éviter les spoilers comme ça :) J'aime bien aussi le côté écureuil de Silesta. Je me suis bien amusée à l'accentuer un peu par la suite XD

Allez, go P2 !


CHAPITRE XXXIII – L'APÔTRE DE LA MORT

Ketheric considéra en silence un à un les adversaires qui lui faisaient face en contre-bas de sa plate-forme et tout particulièrement Ombrecoeur, celle qui détenait le prisme tant recherché.

Quand il les avait vus entrer dans sa salle du trône à Hautelune, il lui avait bien semblé que ces âmes éveillées détonaient plus parmi les autres cultistes. Leur regard n'était pas le même ; plus alerte, plus conscient. Quelle ironie.

« Vous auriez dû fuir avec le prisme, la seule chose qui m'aurait empêché d'accomplir ma destinée. Mais l'attrait de la fatalité est bien trop irrésistible, n'est-ce pas ? »

Silesta laissa ses yeux dériver en arrière-plan, loin derrière l'elfe en armure. Elle distinguait les ailes blanches d'Aylin couchées sur elle depuis une plate-forme surélevée. Elle avait encore été enfermée dans un cercle de contention.

« Je veux surtout me débarrasser de ce parasite dans ma tête, cracha Lae'zel avec répugnance et colère.

_ Impossible, rétorqua Ketheric. Vos larves vous sont intrinsèquement liées, et dans la mort, vous lieront aussi à moi. »

L'homme se retourna vers le puits immense au-dessus duquel il se trouvait. Tel était le pouvoir que lui avait octroyé son seigneur, Myrkul : le pouvoir de commander les infinies légions des morts.

« Mais ce n'est pas le seul don qu'il m'a fait. Il m'a donné la seule chose qu'aucune autre divinité n'a pu m'accorder, compléta-t-il en fermant les yeux, prisonnier d'une douleur qui ne l'avait jamais quitté. Il a fait revenir ma fille à la vie. Son cœur s'est remis à battre. »

Le souvenir d'un cercueil de marbre blanc vide au milieu d'une chapelle cernée par les idoles macabres de Myrkul leur revint en mémoire. Voilà donc la raison du changement d'allégeance de Ketheric Thorm ? Parce que le chagrin d'avoir perdu son enfant était si inextricable et accablant, il avait renié Shar pour obtenir la pitié de Myrkul ? Ceci confirmait donc pourquoi la rancune de Shar était aussi tenace envers son ancien adorateur. Elle voulait empêcher le traître de récupérer sa précieuse relique d'immortalité et avait mis Ombrecoeur sur son chemin.

Silesta s'en voulut mais un instant, elle ne voyait plus en Ketheric Thorm le chef des cultistes mais un père brisé par le chagrin qui s'était laissé consumer par le désespoir aveugle jusqu'à ne laisser de lui qu'une obsession contre-nature, jusqu'à commettre l'irréparable.

« En échange de la vie d'Isobel, Myrkul m'a demandé de le servir en tant que son Élu, de me joindre à Orin et Gortash pour accroître les rangs du culte de l'Absolue avant de... avant d'en prendre le contrôle. »

Ketheric eut l'air las, presque contrit. Jamais le Dieu de la Mort n'avait eu fidèle aussi zélé que lui. Il avait mené bien des batailles dans sa vie, au service d'autres divinités et d'autres pouvoirs. Mais pour Myrkul, il aurait condamné Faerûn toute entière à mort.

Ces paroles ramenèrent son auditoire dans la réalité de l'instant présent et leur rappela pourquoi ils étaient ici. L'éclat de détermination qui se remit à briller dans leurs yeux fit écho à celui qui durcit ceux du général. Il fronça les sourcils. Lui aussi n'avait pas oublié ce qu'il avait à faire.

« Vous êtes tout ce qu'il reste entre moi et ma destinée. Et dans votre bêtise, vous avez apporté le prisme avec vous. » Ses mots se firent de gel, son regard devint métallique. « Je vais vous tuer. Et après cela, je vous relèverai pour faire de vous mes serviteurs. »

L'atmosphère se chargea tout à coup d'une lourdeur étouffante et empreinte de malaise quand Ketheric leva son marteau de guerre. Dans les hauteurs de la grotte se reformèrent des corps squelettiques d'anciens mages au même moment où Lae'zel poussa un cri de douleur en se prenant la tête à deux mains. Un flagelleur mental était là aussi, prêt à aider l'élu de Myrkul à se débarrasser des importuns.

Pendant que Gayle ripostait contre le monstre à tête de poulpe en lui lançant un sort de cécité afin de gagner du temps, Astarion s'essaya à décocher une flèche précise droit dans le cou de Ketheric. Hélas, même si l'archer jouissait d'une acuité redoutable qui fit mouche, le général resta debout et retira le projectile avec la même facilité qu'après l'attentat raté des gobelins. Il fusilla son homologue elfe des yeux.

« Vous ne pouvez pas me tuer, avez-vous déjà oublié ?

_ C'était histoire d'être sûr. Sur un malentendu...

_ Il faut aider Aylin, dit Silesta en attrapant ses bolas. Tant qu'elle sera prisonnière, on ne pourra pas atteindre Ketheric. Couvrez-moi !

_ Couvrez-vous plutôt avec ça. »

Ombrecoeur lui lança un petit flacon rempli d'eau qui semblait tout à fait normale et partit de son côté pour s'occuper du flagelleur pendant que Gayle et Astarion se téléportaient ailleurs grâce à un parchemin de porte dimensionnelle pour se rapprocher de leurs autres assaillants. Encore immobilisée de surprise, Silesta reconnecta sa faculté à réfléchir à son cerveau quand elle croisa le regard noir de Ketheric qui s'apprêtait à lui lancer un sort. La jeune femme s'élança et vida le contenu translucide dans son gosier.

Une brève et étrange sensation de se détacher de son corps la traversa et tout autour d'elle, le décor se fit plus flou et les couleurs déjà blafardes se ternirent davantage. Elle comprit à l'expression rageuse de Ketheric qu'elle venait de disparaître sous l'effet d'une potion d'invisibilité.

Sans perdre plus de temps, Silesta continua sa course droit vers la plate-forme où se trouvait Aylin. Dans son dos, elle entendait Ketheric vociférer et attaquer sans relâche Lae'zel qui l'occupait au corps à corps et ses compagnons qui avaient les autres minions à gérer. Il fallait faire vite.

Elle croisa dans le sens inverse de son chemin un groupuscule de dévoreurs d'intellect qui trottinaient à vive allure, prêts à l'attaque. Elle pinça les lèvres et hésita. Tant pis pour elle, elle ne pouvait pas laisser les autres se faire encore plus submerger.

La saltimbanque fit tournoyer ses bolas et les envoya valser chacun droit sur une créature dès qu'elle fut à portée. L'effet d'invisibilité se dissipa aussitôt comme elle l'avait redouté mais Silesta ne pouvait plus faire machine arrière.

Tout en tourbillonnant vers son objectif, la saltimbanque se fit un plaisir d'expulser une à une les horreurs sur pattes qui fondirent sur elle, même si le bruit que provoquait l'explosion de matière grise contre ses poids de fer était toujours aussi atroce. Dès que le dernier dévoreur fut mis hors d'état de nuire, la jeune femme se jeta à corps perdu contre les filaments rigides pendouillant comme une échelle de lierre dégoûtante menant à l'aasimar. Son agilité d'acrobate fit le reste et elle se retrouva très vite aux côtés d'Aylin.

« Tenez bon, Dame Aylin ! »

L'humaine eut un mouvement d'arrêt. C'était Ombrecoeur qui avait libéré Aylin dans la Gisombre, comment allait-elle faire ici ? Elle n'y connaissait strictement rien en cercle magique !

La réminiscence d'un comique de répétition lui revint : Astarion ne l'avait-il pas souvent chambrée sur sa tendance à tout casser autour d'elle ?

Balthazar et son génie nécromantique n'étaient plus de ce monde, il était impossible que ce cercle magique soit aussi imparable que celui de la Gisombre. Sans plus réfléchir, la jeune femme renversa toutes les bougies, crânes et autres babioles magiques qu'elle trouva tout autour de l'ange prisonnier. Son plan fonctionna. La lueur du cercle magique perdit en intensité jusqu'à complètement disparaître, libérant Aylin qui expira soudainement comme si elle sortait d'une longue apnée.

« C'est vous... la reconnut l'aasimar.

_ Silesta. Jongleuse de feu, danseuse et acrobate alias la Destructrice des Décors. Pour vous servir, se présenta-t-elle, tout sourire. Hélas, je ne suis pas le grand numéro que vous attendez depuis un siècle. »

Aylin regarda par-dessus l'épaule de sa sauveuse et ses yeux s'assombrirent aussitôt d'un orage vindicatif. Elle se saisit de son estramaçon resté au sol, déploya ses ailes et fondit sur Ketheric dans un rugissement sonore. Silesta crut voir des étincelles au moment de l'impact entre les deux duellistes et la pression de l'air qui explosa entre eux manqua de la faire vaciller.

Se faisant violence pour détacher son attention du choc des êtres supérieurs, la jeune femme rousse redescendit et repartit tout en recherchant les siens. Pourvu que tout le monde...

La chute de Lae'zel à ses pieds la fit piler.

« Lae'zel ! »

Elle accourut aux côtés de son alliée dont l'affrontement avec Ketheric ne l'avait pas épargnée, loin de là. Par chance, la githyanki était encore vivante mais elle était bien amochée.

« Imbéciles ! Vous ne pouvez pas me tuer, je suis éternel ! »

Le général repoussa Aylin au loin et leva les yeux au ciel, le visage implorant.

« Ô Myrkul... Seigneur des Os, je suis là. Je suis prêt! » Il écarta les bras et recula lentement droit vers le puits. « Je t'appartiens. »

Aylin tendit la main vers lui pour le rattraper mais un instant trop tard. Le corps de Ketheric se fit plomb et l'homme se laissa tomber dans les profondeurs glauques du puits. Aucun bruit de chute ne remonta. Quand elle regarda dedans, elle ne trouva que le silence et un vide sans fond. Les secondes se suspendirent dans le temps et l'espace, insaisissables. Ketheric... était mort ?

Un râle plus râpeux qu'une lame rouillée et plus profond qu'une nuit éternelle s'éleva tout à coup tout autour des combattants.

« Qui ose s'en prendre à mon serviteur ? »

Un rai de lumière blême éructa du puits et un froid glacial emplit l'espace. Une exhalaison de putrescence satura leur odorat.

« Je suis le rictus du crâne dévoré par les vers. Je suis les regrets de ceux qui sont restés et l'errance sans fin de ceux qui ne sont plus. Je suis celui qui hante les sépulcres, le dieu des tombeaux et de l'âge, de la poussière et du crépuscule. »

Tous sursautèrent lorsqu'une immense main squelettique émergea du puits pour s'agripper à son rebord. La voix d'outre-tombe se faisait de plus en plus sonore, de plus en plus imminente. Un deuxième bras sortit et s'accrocha aussi.

« Je suis Myrkul, Seigneur des Os. Et vous avez tué mon Élu. Mais qu'importe... »

Le sentiment de terreur et d'oppression expérimenté dans le bassin menant à la Gisombre ne fut rien en comparaison à ce qui les enlaça. Toute notion leur échappa quand Il apparut enfin. Un immense buste de squelette se dressa de toute sa hauteur depuis les profondeurs du puits. Sa tête était coiffée d'une large couronne d'or en triangle par-dessus un reste déchiré de capuchon de toile noire. Deux squelettes ornementaux se penchaient de part et d'autre de ses épaules, tenant chacun un encensoir fumant.

« Parce que je suis la Mort. Mais je ne suis pas la fin ; je suis un commencement. »

Myrkul étendit son bras d'os et une large faux hérissée de dents disparates se matérialisa dans sa main.

Pendant quelques secondes égarées, Silesta se demanda ce qu'elle faisait là. Elle n'avait pas signé pour tout ça. Ce fut Aylin qui mit fin à la contemplation épouvantée des attaquants et fonçant droit sur le monstre, armée de tout son courage.

Le gémissement de douleur de Lae'zel à ses pieds rappela à Silesta qu'elle n'était pas seule. Ni une ni deux, la jeune femme hissa comme elle put son alliée et essaya de l'entraîner le plus en retrait possible de l'épicentre du conflit tout en appelant Ombrecoeur à la rescousse.

À peine eut-elle le temps de déposer la guerrière dans un coin reculé qu'un étrange totem de crânes enchaînés apparut non loin d'elle, pulsant d'une inquiétant énergie nécromantique.

Silesta terminait de réduire l'effigie macabre en miettes lorsque la cléresse arriva tout en jetant des coups d'œil affolés derrière elle.

« Elle est salement touchée, lui expliqua la saltimbanque en lui désignant la githyanki blessée. Comment vont les autres ?

_ Les mages sont morts et Astarion a fait passer un sale quart d'heure au flagelleur mental qui avait pris le contrôle de l'esprit de Gayle pour essayer de le tuer. »

Silesta n'eut pas à se demander bien longtemps si le roublard avait réagi par esprit de camaraderie ou parce qu'il avait toujours été en guéguerre avec le magicien d'Eauprofonde. C'était définitivement de la fierté mal placée.

Elle se tourna vers la demi-elfe.

« Au fait... À tout hasard, en tant que prêtresse... les bénédictions, la purification, tout ça... Vous n'auriez pas quelque part dans vos talents quelque chose contre un apôtre de la Mort ? »

Les gros yeux atterrés que renvoya la prêtresse à son amie se heurtèrent à un sourire désolé et plein de bonne volonté de vouloir détendre un peu l'atmosphère. Quoi ? Elle pouvait toujours deman...

Un cri de douleur d'Aylin leur fit baisser la tête dans un réflexe de protection soudain. En haut, l'aasimar luttait vaillamment mais la puissance de son adversaire était bien supérieure à celle de Ketheric qui l'avait déjà affaiblie. L'aura nécromantique oppressante de Myrkul amenuisait considérablement les forces de tout ceux qui l'approchaient de trop près et les sorts de Gayle ou les flèches d'Astarion, aussi précis étaient-ils, ne suffiraient pas à affaiblir leur ennemi bien trop imposant. Ombrecoeur avait essayé toute la magie radiante qu'elle connaissait jusqu'à épuiser ses forces. Silesta serra la mâchoire en comprenant que son alliée ne serait plus bonne qu'à s'occuper de Lae'zel avant qu'elle ne se vide de tout son sang.

Elle cligna des yeux et porta la main sur le sac qui reposait sur sa hanche.

« Ombrecoeur, avez-vous un parchemin de pas léger ? Je dois rejoindre les autres. »

La prêtresse fouilla dans ses affaires et finit par lui tendre un rouleau de feuille jaunie.

« Je connais ce regard. Qu'est-ce que vous allez faire ?

_ Je ne sais pas, mais est-ce une si mauvaise chose de ne pas savoir ? »

Même au seuil d'une mort potentielle, Astarion ne quittait pas ses pensées.

La jeune femme rousse partit en courant et serra le parchemin entre ses mains tout en se focalisant sur la chevelure neigeuse d'Astarion qu'elle devinait au loin sur une corniche surélevée.

« Inveniam viam ! »

Elle disparut pour réapparaître directement entre les deux hommes qui ne relâchaient pas leurs efforts. Tous deux s'accordèrent un rapide coup d'œil à leur alliée pour s'assurer qu'elle allait bien.

« Messieurs, je mets au défi vos talents de visée », annonça leur cadette en sortant quelque chose de son sac.

Gayle interrompit ses incantations en reconnaissant l'objet. La fiole de sang transformé d'Araj Oblodra. Il ouvrit la bouche et se perdit quelques instants dans une incertitude flottante.

« Vous êtes complètement folle.

_ Et désespérée par l'envie de ne pas mourir ici comme moi, compléta Astarion, malgré tout toujours séduit par le grain de folie parfois chaotique de Silesta. Quand vous voudrez. »

L'elfe se saisit d'une flèche qu'il enflamma et banda son arc, paré au lancer. D'abord réticent, Gayle finit par lui aussi préparer une boule de feu dans sa paume et se mit en position. Remettant ses derniers espoirs dans un baiser sur le flacon, Silesta arma son bras tout en reculant, puis elle enchaîna quelques petits pas chassés avant de lancer la fiole aussi loin que possible.

L'éclat cristallin tourbillonna dans les airs droit sur le squelette géant.

« Dame Aylin, allez-vous-en ! » cria Silesta, les mains en porte-voix.

L'aasimar eut un moment d'hésitation puis finit par décoller d'un battement d'ailes. La fiole n'était plus qu'à quelques mètres. Astarion relâcha ses doigts autour de la corde. Gayle tendit la main.

« Ignis ! »

Les deux traits de feu jaillirent et convergèrent d'une même trajectoire sur le minuscule point translucide qui se brisa. Il y eut d'abord comme un arrêt dans le temps. Puis, une concentration de lumière rosée éclata avec la violence d'un typhon qui se libérait soudainement de sa prison trop étroite. Une détonation de mille éclairs s'évacua dans une telle force qu'elle balaya tous les humanoïdes présents comme s'ils étaient des fétus de paille. Tous furent éjectés brusquement plusieurs mètres derrière tandis que l'apôtre du Dieu de la Mort poussait un hurlement retentissant, une moitié d'épaule réduite en fumée. La créature chancela et en lâcha sa faux, se faisant engloutir par une lueur verdâtre maladive jusqu'à se faire consumer dans les flammes qui l'attirèrent lentement dans les profondeurs du puits. Sa voix d'outre-tombe se perdit dans les abîmes et mourut quelques instants plus tard en ne laissant derrière lui que la silhouette titubante de Ketheric Thorm qui se matérialisait petit à petit sur le rebord.

« C'est impossible... La mort ne peut rien contre moi... Je suis son maître... gémit-il avant de guetter les cieux d'un air suppliant. Monseigneur, répondez-moi ! »

Il se laissa tomber à genoux, brisé par le silence qui lui avait répondu. Rien... Il l'avait abandonné...

Le dos encore endolori par son vol plané, Silesta s'avança lentement et eut tout juste le temps de voir le général s'effondrer en appelant sa fille une dernière fois.

L'élu de Myrkul était mort, et pour de bon cette fois.

« Le scélérat est MORT ! »

La voix tonitruante d'Aylin déchira ce court silence avec autant de violence que l'explosion qui l'avait empêchée d'achever elle-même son bourreau. Dans un élan de rage aveugle, la guerrière entreprit de ventiler toute sa haine contenue depuis un siècle en massacrant à mains nues la dépouille encore chaude à ses pieds.

« Adieu, misérable ! Nous t'avons enfin brisé corps et âme ! »

Silesta ne saurait dire ce qui lui fut le plus douloureux à entendre entre la puissance des émotions refoulées d'Aylin ou les os de Ketheric qui se brisaient sous l'éclatement de ses chairs. Heureusement pour elle, elle put compter sur la prévoyance de Gayle qui la préserva de cette scène insupportable par sa main posée devant ses yeux. Le magicien connaissait bien la sensibilité de son amie. Lui-même peinait à supporter ce triste spectacle.

Quand Aylin eût fini de déverser sa rancune, les aventuriers consentirent à la retrouver au bord du puits. Le souffle encore court, la femme les remercia par un hochement de tête.

« À présent... Nous allons nous frayer un chemin vers nos destinées respectives, délivrés de nos chaînes. Mon épée et ma loyauté sont vôtres, mes amis, leur annonça-t-elle d'une voix profonde. Je vais nous créer un portail de sortie. Faites ce qu'il vous reste à faire. »

Sur ce, elle ouvrit un portail lactescent par lequel elle s'en retourna, abandonnant le groupuscule dans une léthargie post-traumatique.

Leur respiration fut pendant de longues secondes la seule chose qui troubla le silence.

« Finalement, ce n'était pas si difficile, essaya Silesta d'une petite voix qu'elle voulait détachée.

_ Vous plaisantez ? Vous avez juste terrassé le champion d'un des Trois Funestes par la puissance de votre sang ! » s'exclama Gayle, encore ahuri de ce qui s'était produit.

Le faible tremblement effrayé qui avait point dans sa voix fit l'effet d'une douche glacée à la jeune femme qui se rabroua sous la panique.

« Q-Qu'est-ce qui vous dit que ce ne sont pas les talents alchimiques de cette drow qui y sont pour quelque chose ?

_ Dois-je vous rappeler quel est le composant principal de cette potion ?

_ Je préfère que ce soit mon sang qui explose plutôt que vous, Gayle Dekarios ! »

Silence tendu entre les deux alliés qui se dévisagèrent avec la même angoisse.

« La pierre infernale dans l'armure de Ketheric. Prends-la », résonna tout à coup la voix de la visiteuse nocturne dans la tête de la terroriste au sang explosif.

Tous remuèrent la tête au même moment, à croire que l'ordre leur avait été donné en même temps. Silesta se dévoua et s'agenouilla tout en prenant son poignard pour extraire la pierre. Le corps de Ketheric commençait déjà à se refroidir alors que sa mort ne remontait qu'à trois minutes. La pierre fuchsia que la jeune femme prit entre ses doigts, elle, dégageait une chaleur synonyme d'une énergie considérable.

Soudain, une vive lumière dans son dos la fit se retourner sous les murmures ébahis de ses compagnons. Silesta n'en revint pas. Devant elle s'avançait la gracieuse elfe aux cheveux cendrés qui habitait ses rares songes.

« Qui est-ce ? se tendit Ombrecoeur, sur ses gardes.

_ La femme qui vient parfois visiter mes rêves, comme la femme brune que vous m'aviez décrite en ce qui vous concernait. »

L'inconnue balaya les lieux de son regard vert forêt tout en réfléchissant à voix haute.

« Incroyable. L'Absolue n'est donc ni une déesse, ni un mortel. C'est le cerveau vénérable que vous avez vu, celui qui était retenu captif en ces lieux par les élus des Trois Funestes. » Elle se tourna vers la saltimbanque, l'air grave. « C'est cette couronne qui le contrôle et ces pierres comme celle que tu tiens contrôlent la couronne. Nos ennemis sont bien plus redoutables que je ne le pensais s'ils ont réussi à se rendre maîtres d'un cerveau vénérable. »

Loin d'emmagasiner correctement toutes les informations tant elle était abasourdie, Silesta secoua les mains.

« Attendez, attendez. Comment se fait-il que vous puissiez sortir de l'artefact ? »

L'elfe eut un faible sourire. Ce n'était là qu'un répit temporaire, quoique toujours bon à prendre. Maintenant que le cerveau vénérable était en route pour la Porte de Baldur, son influence en ces lieux n'était plus.

« Un instant, l'arrêta aussitôt Lae'zel en se mettant devant Silesta. Vous avez dit « sortir de l'artefact » ? Que voulez-vous dire ? »

Oups.

« Ah... Je me disais bien que j'avais oublié de vous parler de quelque chose », grimaça la saltimbanque en se grattant la joue, gênée.

Œillade noire en face qui de toute évidence n'aimait pas la rétention d'informations. Silesta soupira.

« Laissez-moi tous vous expliquer et, Lae'zel, attendez que je termine avant de crier. »

L'humaine commença alors à résumer à ses alliés le contenu de son dernier échange avec l'inconnue de ses songes - ou plutôt, du prisme - tout en prenant bien soin de mentionner seulement à la fin le passage concernant le vol de l'artefact directement à la reine Vlaakith sur fond de coup d'état probable si un secret honteux venait à s'ébruiter parmi les githyankis.

Comme elle le redouta, le visage de la guerrière à la peau verdâtre se décomposa au fur et à mesure du récit jusqu'à ne conserver qu'une horreur outrée qui tremblait de rage. Elle alterna entre Silesta et l'elfe, la respiration rapide.

« Mensonges ! Je... Je n'entends que de la démence dans ces paroles ! s'emporta-t-elle. Vous dites que ma reine est un imposteur, je devrais vous arracher la langue avoir proféré telle infamie !

_ Votre réaction est compréhensible, Lae'zel, et je sais qu'il est difficile si ce n'est inconcevable de le croire, répondit l'elfe avec calme. Mais en cet instant très précis, il n'est nullement question de la légitimité du pouvoir de votre reine. Il s'agit de votre survie à tous, notre survie. »

La githyanki fit glisser ses pupilles de reptile sur l'inconnue.

« Je suis comme vous. Je veux me défaire du joug de l'Absolue, juste ça, insista-t-elle. Je suis dans le prisme, vos pensées n'ont aucun secret pour moi. Vous pensez que je vous mens, que j'essaie de vous tromper pour vous causer du tort... Pour quelle raison ferais-je une chose pareille ? Après tout ce temps ? Et encore plus après un premier coup porté au cerveau vénérable ?

_ Qu'est-ce qui me dit que vos intentions ne vont pas plus loin ? siffla Lae'zel sur un ton suspicieux.

_ Actuellement, rien, je le reconnais. C'est pour cela que j'ai encore besoin de votre confiance. Sans moi, vous ne pourriez rien faire contre le contrôle de votre parasite. Vous l'avez vu chez les gobelins et devant Ketheric Thorm.

_ Elle a raison, appuya Silesta avec conviction. Lae'zel, nous avons déjà bien assez à faire avec un cerveau vénérable pour s'empêtrer en plus dans une histoire de révolution gith. Ce n'est pas le bon combat. »

La guerrière contracta la mâchoire. Elle était écartelée. Sa dévotion et sa loyauté envers sa reine l'invectivaient de châtier ceux qui osaient blasphémer mais sa survie immédiate lui confirmait que sans cet artefact et donc sans cette inconnue, sa croisade contre les ghaiks prendrait fin aussitôt. Elle avait envie de commettre un massacre.

Après un très long et douloureux silence, Lae'zel poussa un cri de rage non contenue.

« Tsk'va ! » pesta-t-elle, l'œil noir. Elle essaya de reprendre son souffle. « Soit, si nous n'avons pas le choix. Mais si vous m'avez dupée, je vous égorgerai sans hésitation. »

Silesta accusa le coup mais elle l'avait mérité. Elle n'aurait pas dû attendre d'être mise au pied du mur pour lui parler.

La petite parenthèse du risque de mutinerie venait de se refermer de justesse, il était temps de reprendre le fil de la conversation précédente. Gayle fut le premier à le faire et se tourna vers l'inconnue.

« Vous avez parlé de la pierre de Ketheric. Ces pierres, d'où viennent-elles au juste ?

_ À en juger par ses symboles, je dirais que la couronne a été forgée en Néthéril. Un ancien empire dont je ne vous apprendrai rien concernant sa maîtrise de la magie, Gayle. »

Il se raidit comme s'il avait été frappé par la foudre. Le Néthéril. Cette même nation maudite à qui il devait la bombe qui logeait dans sa poitrine.

« Le cerveau portait une couronne de domination dont on a desserti les trois joyaux. Des pierres infernales conçues pour contrôler celui qui la porte, poursuivit l'elfe en les regardant un par un. Voilà donc la véritable source de pouvoir de vos parasites. C'est cette magie du Néthéril qui décuple leur potentiel et vous empêche d'être soignés. Au vu des effets de la couronne sur les larves, je n'ose imaginer ce qu'elle ferait aux tissus cérébraux. »

Il y eut un silence où rebondirent des regards lourds. Tout cela était bien plus vaste et complexe que la simple quête au remède dans laquelle ils s'étaient lancés.

Encore intrigué par la présence de Gortash dans la liste de leurs opposants, Astarion demanda à l'inconnue si elle avait reconnu leurs ennemis. Elle opina du chef sans grande certitude.

« Vous qui viviez à la Porte de Baldur, Astarion, vous aviez déjà reconnu le trafiquant d'armes et esclavagiste Enver Gortash. C'est un fervent disciple de Baine, le Dieu de la Tyrannie. Quant à la femme, j'ignore qui elle est. Mais à la façon dont l'envie de tuer la rend extatique, je tablerais sans hésitation sur une adoratrice de Bhaal, le dieu du Meurtre. »

Le sourire cruel et sardonique d'Orin revint au premier plan de la mémoire de Silesta et lui arracha un frisson glacé. Nul doute que l'inconnue avait mis dans le mille.

« Enfin, comme vous venez de le voir, Ketheric était un serviteur de Myrkul. Autrement dit, l'Absolue n'est qu'une couverture derrière laquelle se cachent les Trois Dieux Morts et leurs élus, nos véritables adversaires. »

Rien que ça. Comme si le fait de réchapper à l'avatar personnifié de la Mort elle-même ne constituait pas déjà un miracle. Une subite fatigue extrême s'abattit sur eux, changeant leur faculté à réfléchir en une mélasse collante où s'enlisaient leurs pensées confuses.

« Et maintenant ? Qu'est-ce qu'on fait ? lâcha Silesta, tout aussi dépassée que semblaient être les autres.

_ Nous devons nous préparer pour le combat de nos vies et de celles des habitants de Faerûn, répondit l'inconnue avec force. L'armée de l'Absolue marche en ce moment même sur la Porte de Baldur et un cerveau vénérable s'apprête à transformer en flagelleurs mentaux tous ceux qui seront à sa portée dès qu'il en recevra l'ordre. »

Un sursaut de tension les saisit tout à coup.

« Un ordre que les élus ne vont plus tarder à lui donner, réalisa Lae'zel avec horreur. G'lyck... Le Grand Dessein des ghaiks. La renaissance d'un empire illithid. »

L'elfe confirma ses craintes d'un hochement de tête.

« Nous devons prendre le contrôle du cerveau avant que cela ne se produise en reprenant aux élus leurs deux autres pierres infernales. Nos chances de réussites sont bien minces, mais il faut tenter le tout pour le tout. Si nous échouons, tout sera perdu, assena-t-elle en serrant le poing.

_ Une situation périlleuse avec une balance fatale déséquilibrée ? résuma sobrement Astarion avec un rictus. Voilà un programme qui nous est familier. »

Silesta aurait aimé lui donner tort, hélas, le déroulé de leurs péripéties depuis qu'ils s'étaient retrouvés à bord du vaisseau ne faisait que corroborer ses dires. Toutefois, il fallait reconnaître que le tournant qu'ils abordaient n'était pas des moindres.

L'elfe regarda les aventuriers, plus déterminée que jamais.

« Je serai votre bouclier, promit-elle. Mais vous devrez être mon épée. Et quand se présentera l'occasion de frapper, il faudra la saisir parce qu'il n'y aura pas de seconde chance. »

Elle disparut sur ces dernières paroles, tout comme son portail qui laissait apparaître le ciel parme de la dimension astrale déjà visitée en rêve.

Une intense sensation de vide les saisit ; violent paradoxe avec leurs esprits qui bouillonnaient d'excitation. Les regards lourds de sous-entendus criaient tous la même chose : les choses étaient loin d'être terminées.

« Je suppose que nous allons rester encore un peu ensemble, déclara Ombrecoeur, un faible sourire dans son soupir.

_ Comme si notre situation n'était déjà pas assez difficile, marmonna Lae'zel avec plus de lassitude que de réel ressentiment.

_ Nous vous manquerions trop », se justifia Silesta avec une grande assurance.

Voilà qui permit aux cinq alliés de se délester quelque peu du poids qui s'affaissait sur leurs épaules déjà bien chargées.

Oubliant un instant la suite terrible des événements qui les attendaient, ils revinrent vite au concret du présent sous l'impulsion de Silesta qui s'était attelée à fouiller le corps de Ketheric dans l'espoir de trouver quelque chose d'utile.

« L'écureuil est de retour », se moqua Ombrecoeur.

La demi-elfe fut vite mise à quia par le bouclier de Ketheric qui fut mis sous son nez.

« Vous ne me ferez pas croire que même si Thorm reste un traître à Shar, vous ne voulez pas de ceci », répliqua la saltimbanque avec un grand sourire faussement sournois.

Silence.

« Le mien commence à se gondoler sérieusement », siffla la prêtresse entre ses dents en prenant le bouclier.

Lae'zel se fit beaucoup moins prier pour récupérer l'impressionnant marteau de guerre de leur ennemi, impatiente à l'idée de fracasser les crânes de leurs futurs adversaires avec.

Un relent d'apitoiement s'empara de l'écureuil roux quand il trouva une petite note soigneusement pliée dans le revers d'un gantelet du général. Ce n'était que quelques mots d'amour d'une enfant pour son père adoré qui serviraient plus tard de funeste serment pendant plus d'un siècle. Silesta replia la note et la remit où elle l'avait trouvée. Si elle était heureuse que le général fût mort, elle voulait néanmoins que le père trouve la paix.

Quand elle se releva, la jeune femme vit ses amis franchir un par un le portail laissé par Aylin vers la sortie, sauf Astarion qui semblait absorbé par ses pensées. Aussi indolent pouvait-il se montrer, le vampire devait forcément être tourneboulé par tout ce qui venait de se produire et ce que cela impliquait.

Maintenant qu'elle était complètement vidée de son énergie et de ses pensées, Silesta se retrouva à nager en plein doute. Était-il toujours en colère après elle ?

« Vous allez bien ? » s'inquiéta-t-elle en le rejoignant au portail.

Le vampire émergea et eut un regard vers elle. Lui aussi semblait se souvenir de la césure qui avait fractionné sa relation avec son alliée. Il finit par détourner la tête, l'air sombre.

« Disons que je réalise qu'une traque au cerveau géant ne me laissera pas le temps de trouver une alternative pour mes cicatrices. »

Le courant d'air froid qu'il laissa derrière lui après avoir traversé le portail immobilisa la saltimbanque qui en baissa le nez. Même sans colère ni sarcasme, ce qu'il venait de dire suffit à la mettre mal. Il lui en voulait toujours et peut-être avait-elle vraiment tout gâché. Le vide en elle se fit plus béant.


ç_ç Courage, ma choupinette. Bientôt, bientôt.

Le fait de ne pas être allée à la crèche des githyankis a vraiment été un casse-tête scénaristique à gérer ici, ça m'a privée de tellement de gros trucs pour rendre Lae'zel plus docile... J'ai rattrapé le bouzin comme j'ai pu.

Silesta, Destructrice des Décors. J'aime ce titre. Je veux un HF dans le jeu qui nous demande de péter 100 éléments du décor avec « Destructeur des Décors » en guise de nom XD