Allez, on avait fait F5 avant le combat, place aux jets d'initiative !
Journal des reviewers
Liline37 : Après le Tabernacle, on a droit à une autre scène romantique avec Gayle où l'on essaie de le convaincre (ou pas) de ne pas faire le fifou avec la couronne. Gayle est sous-coté et mérite des mamours. Je n'aurais pas dit non à plus de contenu avec lui.
Pour la suite, on reprend la quête principale. J'ai essayé d'organiser les trucs de tout le monde au mieux et de façon crédible, ce qui n'est pas évident car tout est hyper urgent.
Annabesse : Au plaisir d'avoir ton retour alors ^^
Baston time !
CHAPITRE XLVII – OBSCURES CONFRONTATIONS
Viconia ancra son regard dans celui d'Ombrecoeur avec autant de soin qu'elle avait ancré la doctrine de Shar en elle et écarta les bras en direction des spectateurs sharéens qui jugeaient silencieusement leur ancienne camarade. Tous savaient déjà comment leur « sœur » s'était couverte de disgrâce devant Dame Shar ; comment la déesse lui avait apposé la marque de ses ennemis. Mais le constater de leurs propres yeux devait être différent.
« Je suis heureuse que tu sois venue, se réjouit la drow avec une délectation malsaine. Je ferai de ton sort un exemple qui servira pour les initiés de Dame Shar pendant bien des années. Cependant, peut-être est-il encore possible d'envisager un peu de clémence. Donne-moi l'artefact et je ferai en sorte de vite en finir. »
Le visage d'Ombrecoeur se durcit et elle rabroua froidement sa supérieure. Elle n'avait plus à répondre devant elle. Plus maintenant qu'elle savait.
« Je suis ici pour mes parents. » Un sourire sardonique ourla ses lèvres quand une grimace de rage crispa le visage de son interlocutrice. « Vous avez bien entendu. Je sais ce que vous avez fait. Et ce ne sera pas rapide. Pas pour vous. »
Viconia s'offusqua de cette impudence.
« Ta famille est ici, tout autour de toi ! Et tu lui as tourné le dos. En refusant de me remettre l'artefact, tu gaspilles ta dernière chance de faire tes preuves.
_ Pourquoi cet artefact est-il si important pour vous ? », lança Lae'zel qui s'interrogeait beaucoup sur le rapport entre les flagelleurs mentaux et la Dame de l'Égarement.
La femme fronça du nez avec dédain et expliqua que cette « Absolue » dont le nom se murmurait beaucoup représentait une rivale de plus en plus gênante pour Shar en rassemblant sous son égide les mécontents, les bannis... en somme, toutes les âmes qui revenaient naturellement de droit à la Dame Sombre. Bien que Shar ne semblait pas prendre ombrage ou s'inquiéter outre mesure de l'émergence de cette nouvelle déité, il était hors de question de laisser cette menace étendre son influence. Il fallait la tuer dans l'œuf.
Quand Viconia avait appris que cet artefact était la seule chose que craignait l'Absolue et qu'il fallait à tout prix le garder hors de portée de ses ennemis, un contingent sharéen dont faisait partie Ombrecoeur avait aussitôt été envoyé pour le récupérer.
« Une fois que j'aurai anéanti l'Absolue, je trouverai enfin ma place légitime à la droite de Dame Shar, déclama Viconia, l'œil flamboyant de rage. Je ne me laisserai pas évincer par... »
Elle s'interrompit mais elle en avait trop dit. La stupéfaction écarquilla les iris clairs d'Ombrecoeur qui avait compris.
Aussi zélée et dévouée Viconia s'était-elle pourtant montrée, elle avait été mandée par Shar de préparer l'ascension de sa propre remplaçante : Ombrecoeur.
La cléresse secoua la tête sans comprendre. Pourquoi elle ? Pourquoi tout cet acharnement sur elle ? Ses interrogations étaient nombreuses mais elles se montraient moins pressantes que cette envie d'en finir.
« Shar n'a que faire de vous, médit la jeune femme aux cheveux couleur de lune. Elle n'aurait fait que vous utiliser avant de vous jeter. »
La mère supérieure la fusilla des yeux et se tourna vers les autres aventuriers pour leur proposer un marché : s'ils détenaient l'artefact, c'est parce qu'ils étaient eux aussi des ennemis de l'Absolue, n'est-ce pas ? S'ils lui livraient Ombrecoeur, les forces de Shar se ligueraient avec eux contre la fausse divinité.
Le sang de Silesta ne fit qu'un tour face à une telle ignominie et le visage de ses compagnons s'assombrit.
« Jamais, asséna la saltimbanque.
_ Vous l'aurez voulu, trancha la drow, l'œil noir. L'il Alurl ! Pour Shar ! »
Il n'en fallut guère plus pour que l'étincelle d'animosité qui brillait dans les prunelles de l'assistance ne s'embrase de l'envie de vengeance qui y dormait. Les traîtres n'avaient pas leur place dans les bras de la Dame de l'Égarement.
Sans aucune hésitation, Ombrecoeur fonça sur Viconia, prête à prendre sa revanche sur celle qui lui avait tout pris, pendant que les autres sharéens fondaient droit sur les autres.
Silesta réalisa alors que leurs ennemis étaient bien plus nombreux qu'eux, en plus d'être très bien entraînés pour la plupart. La jeune femme eut un moment de figement sous la peur. À ses côtés, Gayle fit preuve de moins d'hésitation et s'occupa de la première moitié d'amphithéâtre qui se précipitait sur eux.
« Voco arvina ! »
Une nappe de graisse épaisse et luisante vint s'étendre sous les pieds des assaillants dont la course prit aussitôt fin dans une glissade aussi brusque que lourde et sonore à cause des armures. Trop heureux de disposer de cibles aussi vulnérables, Astarion se fit un plaisir de compléter l'œuvre du magicien en décochant une flèche enflammée dans le tas avant de disparaître dans les ombres, prêt à intercepter ceux qui auraient la chance de survivre.
« Bien joué, Gayle, félicita Silesta. Mais ça ne durera pas éternellement.
_ Alors mieux vaut penser stratégie. Permettez-moi. Citius ! »
Le magicien prit la jeune femme par les épaules et la seconde suivante, tous deux se retrouvèrent à l'entrée menant à l'amphithéâtre. D'abord surprise par ce brusque retour en arrière, Silesta comprit enfin la raison de cette retraite quand elle vit les sharéens courir vers eux en empruntant le même chemin étroit. La technique de l'entonnoir.
« Ira et dolor ! »
Ce fut au tour d'Astarion de briller par son sens tactique. Alors qu'un groupe de quatre sharéens commençait à s'engager dans les marches, un tourbillon de dagues s'abattit sur eux pour les lacérer sans pitié. Les corps tombèrent les uns sur les autres avant même d'avoir atteint la moitié de l'escalier.
Silesta se tourna vers Gayle avec un rictus moqueur.
« C'est une technique vicieuse de planqué.
_ Mais ça marche.
_ Et je fais quoi, moi, avec mes bolas ? J'attends mon tour pour enfin agir ?
_ Eh bien, vous... »
Sa phrase mourut dans une exclamation subite, comme si Gayle venait d'être frappé par quelque chose d'invisible. La saltimbanque demanda à son aîné ce qui lui arrivait mais ce dernier fut incapable de lui répondre. Quand il se tapota la gorge avec une expression entre la colère et la crainte, elle comprit qu'il avait été réduit au silence et la peur l'étreignit à son tour. Un mage muet deviendrait une proie sans défense.
Silesta attrapa ses bolas et se mit en position.
« Astarion, essayez de vous occuper des mages ! Je reste avec Gayle. »
À peine eut-elle le temps de prononcer ces mots que d'autres sharéens en armure et armés de lances accouraient dans sa direction. La jongleuse arma ses bras et s'engagea dans une nouvelle danse pour garder au maximum son adversaire à distance tout en essayant de le désarmer.
La tâche s'avéra plus ardue que prévue car en dépit de son armure, son opposant était vif et ses mouvements d'estoc forcèrent la jeune femme à reculer et à esquiver, d'autant plus que la pensée de savoir Gayle vulnérable derrière elle lui mettait une pression supplémentaire.
Son angoisse monta d'un cran quand Silesta vit arriver dans le dos de son adversaire un autre sharéen dont l'absence d'arme entre les mains laissait entendre qu'il s'agissait d'un lanceur de sorts venu en profiter. Hélas, cette demi-seconde de relâchement d'attention fut la fenêtre de vulnérabilité que le lancier espérait. D'un mouvement sec de la hampe, il balaya les chevilles de la jeune femme qui perdit aussitôt l'équilibre et tomba, sa tête heurtant au sol.
La douleur vrilla comme une onde de choc dans son crâne et son corps se raidit, incapable de bouger. Dans sa bouillie de perception, il lui sembla entendre retentir la voix de Gayle, ce qui lui suffit à presque s'abandonner dans les limbes qui l'entouraient. S'il pouvait de nouveau incanter, il saurait s'en tirer...
Le tumulte des combats se brouilla à ses oreilles pendant un temps qu'elle ne sut égrener.
« Silesta ? »
Elle força sur ses paupières et le brouillard se dissipa sur le visage inquiet de Gayle. Le simple fait de lui sourire semblait étirer la douleur à sa tête.
« Heureuse de réentendre votre voix...
_ Vous êtes la bien la seule à me le dire, s'amusa le mage. Ça va ?
_ On dirait. »
Quand Gayle l'aida à se redresser, ce fut comme si le monde tanguait. Silesta porta la main à ce qu'elle pensait être une bosse mais sentit ses cheveux se coller en mèches humides. Son cerveau enregistrait à peine que ces traces carmines sur ses doigts correspondaient à du sang que Gayle s'occupait déjà de lui donner une potion de guérison.
« Buvez vite. Astarion va m'en vouloir s'il sent ça.
_ Quoi ? Vous voulez dire qu'il peut reconnaître l'odeur de mon sang juste comme ça ? »
Une gorgée de liquide tiède atténua les vagues de douleur qui pulsaient par à-coups à l'arrière de sa tête et permit à Silesta d'écouter Gayle lui confirmer que le vampire devait suffisamment apprécier le sang de son calice au point de détecter toute effusion qui n'était pas de son fait. C'était d'ailleurs grâce à cette faculté qu'Astarion avait pu vite intervenir au temple de Shar quand les fantômes des Tribuns de la Nuit les avaient attaqués.
À cette révélation, Silesta ne sut retenir un vague sourire, heureuse de savoir que son compagnon veillait sur elle de loin. Cette théorie se confirma d'ailleurs assez vite quand le roublard croisa ses alliés en bas des marches ; son furtif coup d'œil qu'il balaya sur la jeune femme rousse ne passa pas inaperçu chez cette dernière.
« Vous vous inquiétiez ? minauda-t-elle innocemment.
_ Vous avez disparu si vite, je craignais que vous ne vous retrouviez coincée entre deux portes dimensionnelles avec Gayle », se moqua l'elfe.
Fierté représentative, quand tu nous tiens.
L'amphithéâtre était redevenu presque silencieux. Il ne régnait entre ses murs noirs que les vociférations enragées d'Ombrecoeur et Viconia qui s'affrontaient de toute leur violence à l'autre bout de la salle.
Gayle était sur le point d'asséner à l'odieuse mère supérieure un sort qui permettrait à Ombrecoeur d'en finir mais c'était sans compter sur la farouche détermination de la demi-elfe.
Dans un dernier élan belliqueux, la prêtresse invoqua un rayon de lumière aveuglant qui déstabilisa Viconia et permit de lui porter un coup de lance droit dans la clavicule. La femme cria et s'effondra, clouée au sol comme un papillon à son cadre d'exposition. Silesta, Gayle et Astarion se dépêchèrent d'approcher, suivis de Lae'zel qui venait d'assurer le dernier souffle de son adversaire d'un coup d'épée précis.
Pantelante, Ombrecoeur serra encore plus fermement la hampe de la lance de Séluné alors qu'elle toisait son ancienne tutrice de tout son dégoût. Sa colère trouva un écho dans les yeux de Viconia qui lui ordonna d'en finir et de l'achever.
« Vous n'avez pas répondu à toutes mes questions, rétorqua la cléresse avec froideur. Où sont mes parents ?
_ Ah, quelle directivité... railla Viconia d'une voix étranglée par le mal. Qu'as-tu fait des techniques d'interrogatoire que je t'ai enseignées ? Qu'en est-il de la finesse ?
_ Répondez ! »
Une nouvelle pression de fer de lance dans sa blessure constitua assez de « finesse » pour l'otage qui révéla à sa cadette que ses parents se trouvaient dans la Chambre de l'Égarement, la salle voisine derrière elle. Là où ils avaient toujours été.
« Tu les as bien souvent vus mais nous ne t'en avons laissé aucun souvenir, souffla Viconia avant d'étirer un sourire cruel. Mais eux n'ont pas oublié. Ils ont vu comment nous t'avons refaçonnée. Ils ont pleuré. Ils ont saigné, bien souvent par ta propre main. Les retrouvailles s'annoncent mémorables, à défaut d'être heureuses. »
Silesta était livide, glacée par ce qu'elle entendait. Ombrecoeur avait été contrainte de torturer sa propre famille ? Qu'en était-il de ses parents, forcés à subir cette ignominie face à leur fille qui ignorait sûrement qui ils étaient ? Quelle cruauté.
Elle ferma les yeux pour s'aider au maximum mais la jeune femme sentait déjà son corps se durcir comme le marbre et ses oreilles bourdonner.
Le visage d'Ombrecoeur était insondable, perdu dans un spectre oscillant entre l'horreur et la haine. Pourquoi ? Pourquoi avoir déployé autant d'efforts juste pour elle ?
« Tu étais ma mission, grinça la femme à terre. Je devais prendre un enfant de Séluné pour l'enrôler auprès de Dame Shar et ainsi prouver que les ténèbres l'emporteront toujours sur la lumière. »
Ce que Ombrecoeur ne savait pas, c'était que Shar avait ordonné à Viconia de massacrer tous les disciples qu'elle commandait dans une enclave sharéenne située à Eauprofonde. Ce que la drow avait fait car nul ne contestait les ordres de la déesse. Tout avait été calculé, préparé et organisé pour que cette petite fille enlevée dans les bois devînt ce qu'elle était appelée à devenir afin de prendre plus tard sa place à la droite de la Dame Sombre. Et pourtant, cette enfant devenue aujourd'hui femme avait tout balayé d'un revers de la main.
« Je n'attends aucune pitié, c'est pour les faibles. Maintenant, tu sais quel a été le prix de ton éducation, lança Viconia avec hargne en plantant ses yeux dans ceux de la prêtresse. Fais ce que tu as à faire. »
Égarée dans des émotions confuses, la demi-elfe ne remarqua l'ombre agile et rapide de Silesta qu'au dernier moment, quand la jeune femme rousse frappa d'un coup de dague droit dans la poitrine de Viconia. Tout se passa si vite que personne n'eut le temps de faire quoi que ce fût hormis lire ce vide assassin qui habitait les yeux gris de la saltimbanque.
« Silesta ! » s'exclama Ombrecoeur en la prenant avec elle pour l'éloigner.
Cette dernière se laissa faire avec autant de docilité qu'elle avait jeté de haine dans son geste, contemplant avec un détachement sidérant l'expression hébétée de la drow se figer à jamais dans la mort.
Pour la première fois témoin du phénomène lié au spectre sombre de son alliée, Lae'zel ne cacha pas son effarement face à la scène, tout comme Gayle et Astarion qui avaient été pris de court.
« Silesta... l'appela la cléresse en essayant de capter son regard statique. C'est bon, c'est fini. »
Les yeux gris encore froids se centrèrent sur elle.
« Elle ne vous fera plus de mal. Ni à votre famille. »
Ombrecoeur se mordit la lèvre et eut un regard aux autres qui étaient encore ébranlés. Elle finit par sourire doucement à son amie, le temps pour elle de revenir à la vie.
Petit à petit, la conscience de Silesta réintégra son esprit et ses entrailles se gelèrent quand elle comprit qu'elle avait succombé à une nouvelle pulsion. Elle prit peur et s'écarta d'Ombrecoeur comme si elle craignait de lui faire du mal à son tour.
« Je... J'ai...
_ Elle n'a eu que ce qu'elle méritait, l'arrêta tout de suite la demi-elfe. N'y pensez plus. »
Plus facile à dire qu'à faire. Hélas, Silesta n'avait pas le choix, il n'y avait plus rien d'autre à faire maintenant qu'elle avait achevé Viconia sans sommation.
Elle serra les poings en hochant la tête, plus par obligation que réelle approbation et suivit les autres, la tête basse et l'estomac noué.
Elle avait recommencé et sans lutter. Pourquoi ? Cette violence, cette envie de tuer allaient bien au-delà de l'envie de venger Ombrecoeur de son ancienne tortionnaire. Silesta ne connaissait pas Viconia, tout comme ce n'était pas elle qui avait souffert par sa faute et pourtant, comme les précédentes fois où son spectre sombre l'avait enlacée, le besoin de châtier était réel. Personnel.
Ses pensées lugubres n'eurent pas le temps de s'éterniser car la porte de la Chambre de l'Égarement s'ouvrait devant nos aventuriers dans un silence oppressant. Les regards furent aussitôt tous attirés en contre-bas de l'escalier menant vers un autre plateau surélevé où l'on distinguait deux silhouettes lévitant au-dessus du sol, les bras retenus en croix contre ce qui ressemblait à des miroirs.
« Mes parents... souffla Ombrecoeur d'une voix sourde en se précipitant dans les marches. Par les dieux... »
Quand ils approchèrent, ils découvrirent un elfe aux cheveux mi-longs sombres et une femme humaine étendus tels des crucifiés à leur prison magique. Leurs traits fatigués et usés par des années de sévices et leurs vêtements en haillons témoignaient du calvaire qu'ils avaient traversé.
En entendant des pas approcher, l'homme releva le menton de sa poitrine et observa sans émotion cette jeune femme demi-elfe à la chevelure argentée comme son épouse. Encore une ruse ignoble de ces sharéens...
Le miroir qui le retenait pulsa d'une énergie sombre qui lui arracha un tressaillement de souffrance. La femme prisonnière à ses côtés mit plus de soin à détailler celle qui était en train de la dévisager.
« Non... Ce n'est pas une ruse, Arnell. C'est elle. » Son visage émacié s'éclaira d'un grand sourire épuisé. « Jenevelle. Jen. Ma petite fille. »
La sidération émue d'Ombrecoeur se renforça tout à coup, galvanisée par ces visages qui lui souriaient avec tendresse.
« Ça va aller. Je vais vous faire sortir d'ici. C'est termi... Argh ! »
Les dents serrées, la prêtresse tenta de réprimer la lancinante douleur qui incendiait sa main droite telle une lame de glace qui perforait sa peau. Elle ne sentait plus ses doigts, juste cette souffrance qui commençait à remonter le long de son bras comme un venin le long de ses veines. Une lueur parme inquiétante irradiait de la blessure et répandait sa sombre malfaisance autour de la jeune femme qui finit par ployer sous le mal et se laissa tomber à genoux en étouffant un gémissement.
Quand Silesta voulut aider son amie, elle s'immobilisa aussitôt en se rendant compte que le décor avait changé.
« Ce n'est pas encore terminé », répliqua une voix grave et impérieuse.
La Chambre de l'Égarement avait laissé place à un vide glacé où tourbillonnait un vent en bourrasque chargé de nuages sombres et le sol n'était plus qu'un plateau porté au creux de la main d'une femme gigantesque.
Sa peau couleur suie laissait ressortir l'or de ses innombrables bijoux et des ornements de son habit et ses yeux étaient couverts par la large coiffe en demi-lune qu'elle portait. La déesse Shar était aussi altière que l'avaient représentée les innombrables statues jalonnant ses temples et les malheureux mortels qui se retrouvèrent en sa présence eurent tôt fait de sentir toute son écrasante aura s'abattre sur leurs épaules.
« Vois, lança la déité à son ancienne protégée. Peu importe si tu rases cet endroit ou si tu tues tes frères et sœurs. Chaque fois que tu essayeras de t'éloigner de moi, chaque fois que tu te rapprocheras de Séluné, mon emprise sur toi se resserra. »
Sa voix fit frissonner ceux qui l'entendaient pour la première fois. Elle était un murmure suave et sournois qui vous attirait vers les ombres pour succomber à leur douceur vénéneuse.
Ombrecoeur avait à présent la force de faire face ; elle ne courberait pas l'échine face à sa divine interlocutrice.
« Assez ! Je partirai avec mes parents. Je les arracherai de vos griffes !
_ Impossible, soupira Arnell avec dépit. Emmeline et moi sommes toujours liés à toi. Tu ne peux pas à la fois nous libérer et te défaire de ta malédiction. Sauve-toi. Défais-toi de cette malédiction. La Vierge Lunaire aura davantage besoin de toi que de nous. Tu es l'avenir et nous le passé. »
Shar fut admirative de la sage éloquence dont fit preuve l'elfe. Malgré tout ce temps, son esprit semblait avoir plutôt bien enduré, contrairement à son épouse qui avait bien plus souffert. La vie humaine était si brève, si fragile.
« Voici ta toute dernière leçon, énonça la déesse à Ombrecoeur. Je te laisse pour que tu réfléchisses à tes erreurs et fasses ton choix. »
Le brouillard tempétueux disparut tout d'un coup au profit du silence de la Chambre de l'Égarement, laissant sur les malheureux mortels un reste fugace de vertige.
« Elle est partie ? J-Je ne comprends pas... s'agaça la cléresse avec un tremblement dans la voix qui trahissait son trouble.
_ Shar refusera de reconnaître sa défaite tant qu'elle ne t'aura pas pris une ultime chose, expliqua son père avant d'ancrer ses yeux dans les siens. Nous ne la laisserons pas gagner. Pas après tout ce que nous avons enduré. Libère-toi de son emprise et reconstruis ta vie. »
Silesta se recentra sur Ombrecoeur qui fixait ses parents avec effroi, tétanisée par l'improbité du « choix » que lui imposait Shar. Elle-même se sentait écartelée.
Une leçon ? Où était la leçon dans cet énième tourment infligé par une déesse capricieuse et vexée à son ancienne disciple ? La souffrance physique d'une plaie ou le déchirement émotionnel d'avoir sacrifié sa famille ? C'était ignoble.
« Je ne peux pas vous laisser... souffla la prêtresse d'une voix étranglée. Je suis venue pour vous.
_ Et c'est ce qui nous a permis de tenir, sourit sa mère avec émotion. Quoi qu'ils te forçaient à nous faire, nous savions que tu étais toujours là, quelque part. Tu es si courageuse, ma chérie. Il est temps pour toi de te libérer de Shar. Nous serons en paix. »
Ombrecoeur était brisée, tiraillée par l'opposition de sa volonté à celle de sa famille. Ses yeux clairs allaient et venaient entre son père et sa mère, à la recherche de ce qu'il fallait faire. Ce qui était juste.
« Ombrecoeur... »
Elle se tourna vers Silesta qui lui souriait de toute sa confiance.
« Ce sont vos parents et vous n'avez qu'une envie : les retrouver, eux et cette vie qu'on vous a prise. J'en sais quelque chose », ajouta-t-elle avec un début de trémolo qui érailla ses mots. Elle déglutit et se reprit. « Vous ferez le bon choix. Pour nous qui n'avons plus de tête, le cœur est notre dernier juge.
_ Mais la malédiction... La douleur... Elle ne s'en ira jamais. »
La saltimbanque hocha la tête en fermant les yeux sans se défaire de son sourire. Oui, la difficile contrepartie de tout marché. Elle releva le menton.
« Je suis convaincue que les sacrifices qui nous mettent dans la balance face à autrui en valent la peine, même si sur le coup, on ne sait pas si on prend la bonne décision. Vous êtes forte, mon amie. Forte et résiliente. Vous pourrez endurer ce mal, tous les trois. Comme une famille. » Elle essaya de rire, plus légère. « Allez, quoi. S'il vous plaît. J'aimerais qu'au moins une des deux amnésiques de la bande prenne sa revanche. »
La demi-elfe sonda son amie, emportée par les vibrations à la fois fragiles et puissantes de ses paroles. Oui, de tous ses compagnons, Silesta était la plus proche de sa situation et elle avait mis dans le mille. Comment son alliée faisait-elle pour retranscrire si réalistement cet état de dilemme qui la mettait au supplice ?
Galvanisée par le sage soutien de la jeune femme rousse, Ombrecoeur se tourna vers ses parents. Elle n'avait pas fait tout ce chemin pour faire demi-tour maintenant. Elle repartirait avec eux. Elle ne les abandonnerait plus jamais.
« Nous avons fait notre temps, Jenevelle, répliqua Arnell. Nous ne voulons pas être un fardeau pour toi.
_ Vous n'êtes pas un fardeau, au contraire. Ma force vient de vous. Je crois savoir d'où me vient mon obstination.
_ Mais...
_ Arnell, coupa son épouse d'une voix faible mais assertive. Si Jen veut retrouver sa famille, elle l'aura. Fais ce que tu as à faire, ma chérie. »
Ombrecoeur hésita un instant, ne sachant d'abord quoi faire. Son attention finit par se porter naturellement sur sa main, celle-là même qui la faisait tant souffrir... et qui la ferait souffrir encore.
Sa paume s'illumina tout à coup d'une douce lumière blanche et une sensation nouvelle l'étreignit, apaisante et bienveillante. C'était doux comme un zéphyr. Séluné s'était-elle penchée sur elle pour lui offrir son assistance ?
Guidée par ce que lui dictait son instinct, la prêtresse tendit la main vers les miroirs ombreux qui retenaient ses parents et la lumière qu'elle détenait s'accentua, brillante comme la pleine lune dans un ciel sans nuage. La surface lisse sans reflet se gorgea de blancheur et les liens magiques retenant les prisonniers disparurent.
Ombrecoeur alla aussitôt aider sa mère pour lui éviter de retomber au sol trop brutalement tandis que Arnell se redressait lentement, le corps raidi par l'inconfort de sa douloureuse position maintenue pendant des années.
Il fut très émouvant de voir comment Ombrecoeur, fière amazone en armure tachée du sang de ses ennemis, perdit ses moyens face à cette femme chétive et affaiblie qu'elle tenait dans ses bras sans savoir quoi dire ou quoi faire. Son visage d'ordinaire neutre au mieux ou froid au pire était en train de se fendre de la fragilité de la petite fille qu'elle était encore pour Emmeline Saintefeuille. Cette dernière n'avait pas besoin de plus pour enfin retrouver son enfant.
Sans un mot, elle attira Ombrecoeur contre elle et l'étreignit doucement, sans la brusquer, sans la submerger. Juste ce qu'il fallait pour l'apaiser. Arnell vint aussi serrer sa fille dans ses bras, ce qui fit tout drôle à cette dernière. Elle qui ne l'avait vu qu'au-travers d'une bribe de souvenir, cette étreinte lui apparut pourtant si familière et rassurante.
Silesta inspira, profondément touchée par le tableau qui s'offrait à elle. Le soulagement qu'elle éprouvait pour son alliée était indescriptible. Elle s'imprégna de cette émotion brute non sans s'interroger un peu égoïstement. Et elle ? Vivrait-elle un jour quelque chose d'aussi fort ? Son tour viendrait-il ?
« Vous avez bien parlé, lui glissa Gayle, ne cachant pas non plus son sourire. Après tout ce que Shar lui a pris, Ombrecoeur mérite de retrouver les siens. »
Silesta opina du chef en signe d'assentiment, imitée par Lae'zel.
« La chair d'Ombrecoeur restera meurtrie mais sa volonté est d'acier. Elle ne faiblira pas comme elle ne l'a jamais fait auparavant.
_ Oui, la souffrance peut briser n'importe qui, mais elle l'endure avec ténacité, ajouta Astarion avant d'étirer un sourire moqueur. J'aurais payé cher pour voir la tête de Shar. »
L'humaine rousse à ses côtés eut un regard pour lui, consciente que les tourments d'Ombrecoeur provoquaient peut-être en lui des échos peu réjouissants. Elle cilla et s'étonna de l'étrange œillade de biais que le vampire lui lança. Quel était cet air suspicieux qu'il dardait ainsi avec autant de sérieux ?
Ses interrogations prirent fin quand Ombrecoeur se sépara de ses parents.
« Partons de cet endroit de cauchemar. Ensemble.
_ Venez avec nous à la taverne du Chant de l'Elfe, proposa Gayle au couple. Nous nous arrangerons pour vous obtenir une chambre.
_ Merci, Gayle », lui sourit Ombrecoeur avec reconnaissance.
Arnell et Emmeline les remercièrent tous pour leur gentillesse et les laissèrent ouvrir la marche vers la sortie.
Il était frappant de constater à présent à quel point les Saintefeuille avaient été impitoyablement marqués par leurs décennies d'enfermement. Leurs gestes étaient mal assurés, faibles. Le plus dur à voir était l'air absent d'Emmeline, comme si une part de son esprit avait été absorbé dans les ombres de Shar sans aucune possibilité de retour. Même si son époux semblait afficher une plus grande résilience, quelque chose dans son regard demeurait éteint et sans joie.
Il leur faudrait beaucoup de temps pour accepter et guérir. Mais si Ombrecoeur restait auprès d'eux comme elle le faisait déjà en soutenant sa mère pour l'aider à marcher, il ne faisait aucun doute que ces trois-là auraient suffisamment d'amour et de pardon pour se reconstruire... et vivre enfin.
Silesta sourit doucement.
« Vivez cet instant pour moi, Ombrecoeur. »
La technique de l'entonnoir est testée et approuvée pour ce combat. C'est vraiment génial... sauf quand on a des CAC qui peuvent rien faire XD
Il y a vraiment des gens qui ont livré Ombrecoeur ? Dur...
Gayle, check ! Ombrecoeur, à peaufiner mais check !
Prochain chapitre... ça va (un peu) barder. Mais sans barde. Mais entre qui et qui ? Pourquoi ? Avez-vous su lire entre les lignes pour deviner ? :) à suivre !
