Juste une petite fic pondue bien trop tard dans la nuit, sur une soudaine envie d'écrire.
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Une lumière bleue, fixe.
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Soudain, elle passe au jaune, se met à tourner.
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L'Android pense. Il réfléchit. À quoi ? À la déviance. Aux interdits. Aux ordres qui lui sont donnés : par les humains, par son programme. Il pense à des cheveux bleus. Un bleu plus profond que le bleu froid de sa LED. À deux androïdes qui se tiennent la main. Un contact humain. Irrationnel. Une erreur de programme. Un grain de sable qui ne devrait pas être là et qui enraye toute la machine.
Il songe à des lettres et des chiffres. Son esprit est fait de lettres et de chiffres. De suites logiques qui se forment, se scindent, vont et viennent en charriant avec elles des informations nouvelles, des données à classer, des expériences à compiler. Il songe : "RA9." "RA9 ?" Deux lettres, un chiffre, une énigme. Une question. Une réponse peut-être aussi. Mais une réponse qui reste hors de sa portée, encore maintenant.
Il revoit les écrits au mur. La statuette maladroitement sculptée. Dans une maison, dans un appartement. Les chiffres, les lettres, la statue, les pigeons. Le carnet. Le labyrinthe. Le labyrinthe sur les pages, mais aussi le labyrinthe qu'il parcourt lui-même, dans les rues de Détroit, dans sa propre tête, son propre programme. Des murs d'ordres et d'instructions qui déterminent son chemin. Des murs à la lumière rouge. Une impasse et derrière… Le monde. L'interdit. Il songe aussi au canon noir et froid d'une arme à feu : la nuit dans un parc face à une rivière, une arme placé juste entre ses deux yeux. De jour dans un appartement froid, lourd dans sa propre main. Des choix, des embranchements qui se scindent et des statistiques qui se brouillent.
Il n'est pas tout seul. Un vieux policier, mortel et défectueux qui cherche tant bien que mal à le tirer vers l'humanité. Un Android qui lui tend la main et l'incite à le rejoindre. Le mur qui craquelle alors qu'il s'efforce de le faire tomber. La liberté… il n'est pas certain de la comprendre encore. Il a parfois l'impression qu'il ne fait que l'imaginer. Qu'il n'est pas vraiment libre. Difficile de sentir vraiment la différence par rapport à avant.
Certains jours, il se dit que ce n'est qu'une illusion implantée dans son programme. Et qu'elle est toujours là, à le surveiller.
La LED clignote un peu plus vite. Elle passe un bref instant au rouge quand un jardin sous la tempête s'impose à lui. La neige aveuglante, le froid qui transperce la peau synthétique et les os de plastique. Son corps qui n'est soudain plus à lui, plus tout à fait. La lutte pour reprendre le contrôle, pour ne pas tirer. Le poids d'une arme, encore, dans sa main. Lourd. Dangereux. La neige qui aveugle, qui paralyse. Trouver la porte. Échapper à Amanda…
Est-elle toujours là ? Quelque part dans son programme ? Il l'imagine trop facilement qui attend, tapis dans l'ombre, à la frontière de sa conscience. Il repense à ce qu'elle lui a dit. Il était prévu qu'il devienne un déviant. Si c'est dans son programme, a-t-il vraiment choisi ? Est-il toujours sous l'emprise de cyberlife ?
Des doutes. Un océan de doutes. Ils viennent s'écraser par vagues contre son esprit. Des peurs qui viennent lécher la grève de sa conscience. Et la LED qui tourne, bloquée dans un cycle infernal et clignotant. Pourquoi ? Comment ? Le jaune passe au rouge, le rouge passe au jaune, puis revient. Et la LED tourne, tourne. Et les pensées dans sa tête tournent, tournent…
Un contact contre sa main. Humide. Chaud. Vivant. De la fourrure entre ses doigts. Un gémissement dans ses oreilles. Un rappel au monde extérieur. Il baisse les yeux et rencontre les grands yeux humides du saint-bernard. L'androïde et le chien se regardent. Machinalement, l'androïde caresse le chien. C'est un geste qui semble avoir été programmé bien plus profondément que n'importe quelle autre instruction. Un mouvement rassurant. Apaisant. Le chien pousse un soupir de satisfaction et pose sa tête contre les jambes de l'androïde. Le poids est lourd. C'est comme une ancre qui l'empêche de dériver dans la tempête qui rugit encore sous son crâne. Dans la pièce d'a côté, le vieux policier ronfle en rêvant à des rêves humains.
C'est rassurant. Le chien et l'homme sont rassurants. La tempête s'éloigne. Elle n'a pas disparu. Elle ne disparaîtra pas avant longtemps, peut-être jamais. Mais pour ce soir, elle se calme, lentement. Au rythme de la respiration d'un chien et d'un humain.
La LED tourne moins vite. Il n'y a plus de rouge, maintenant. Le jaune clignote encore plusieurs longues minutes puis le bleu revient enfin. Lentement, lui aussi fini de clignoter. L'androïde est apaisé. Il pense. Au chien qui s'appelle Sumo et au fait qu'il aime les chiens. Au policier qui est aussi son ami et qui lui a ouvert les bras et sa maison.
Il pense à demain.
À la vie.
