Chapitre 5
"Vous allez devoir m'expliquer ce qui est arrivé, entendit-elle lorsqu'elle commença à se réveiller.
Son dos lui faisait un mal de chien. Elle ouvrit les yeux et tomba nez à nez avec ceux de Snape. Elle se redressa.
Il était assis juste en face d'elle dans son fauteuil. La pièce dans laquelle elle se trouvait était sombre. C'était un salon d'un style plutôt ancien, une magnifique bibliothèque recouvrait un des murs, un bureau était installé dans un coin recouvert de parchemins. Elle était installée sur un canapé en cuir et recouverte d'une couverture. La cheminée craquait, réchauffant la pièce et l'éclairant agréablement.
"Miss Granger, je ne sais pas dans quoi vous vous êtes encore fourrée, mais vous allez devoir m'expliquer.
— Je n'en sais rien, professeur, dit-elle."
Le choc était passé, mais elle se sentait toujours tremblante. Elle parlait enfin à quelqu'un qui lui répondait, qui la voyait, qui la connaissait.
"Comment ça, vous n'en savez rien ?
— Je me suis réveillée un matin, et j'étais devenue invisible. On ne me voyait plus, on ne m'entendait plus, et personne ne se souvenait de moi. Vous ne savez pas à quel point cela me fait du bien de vous parler. Cela fait des mois que je suis seule..." Finit-elle doucement, les larmes aux yeux.
Snape se sentait déstabilisé devant la détresse de la jeune femme. Son prénom lui était revenu pendant les heures qui avaient suivi son évanouissement, puis ce fut les souvenirs. D'abord des bribes, puis un flot continu et ininterrompu de morceaux d'histoire lui revinrent. Enfin, une fois que la tempête dans son cerveau s'était finalement calmée, il était resté à la regarder, gardant son attention sur sa respiration calme, réfléchissant à ce qui avait bien pu se passer pour qu'il oublie cette fichue Miss Je-sais-tout. Il avait d'abord pensé l'apporter à McGonagall, mais s'était dit qu'il devait d'abord voir cela avec elle.
"Il a bien dû se passer quelque chose. Vous avez pris une potion, ou avez été touchée par un sortilège ?
— J'y ai pensé aussi, mais je n'ai rien trouvé. Je me suis juste réveillée, et j'avais disparu de la surface du monde. Ma chambre n'était plus la mienne, mes amis ne savaient pas que j'existais, vous ne saviez pas.
— Mais je vous vois maintenant, comment l'expliquez-vous ?" Il s'était penché vers l'avant, les coudes posés sur ses genoux, intrigué.
— Je ne sais pas. Vous aviez l'air de sentir quelque chose, alors j'ai essayé de vous faire réagir.
— Bien, maintenant que vous êtes réapparue, vous pouvez retourner dans votre salle commune. Nous verrons tout cela avec la directrice demain matin, il est tard, et si Rusard vous trouve en train de traîner à cette heure-ci, vous allez avoir une retenue dès votre retour parmi nous."
La discussion était close.
Elle était visible, elle pouvait être vue, reconnue, vivante et présente. Elle n'en revenait pas. Elle ne savait pas comment cela était possible, mais ça l'était. Une énergie soudaine prit possession d'elle. Elle se leva rapidement, se dirigea vers la porte.
"Merci, professeur, merci. Bonne nuit.
— Bonne nuit, Miss Granger."
Il s'effondra dans son fauteuil après avoir entendu la porte claquer. Qu'est-ce que c'était encore que toute cette histoire ? C'était invraisemblable, mais Miss Granger ne mentait pas. Il l'avait senti dans sa voix et surtout dans son esprit. Délicatement, il s'était aventuré à la surface de ses pensées. Il s'était vu, travaillant à son bureau, mangeant dans la grande salle, marchant dans les couloirs. Il avait ressenti la sérénité de la jeune fille lorsqu'elle restait là à le regarder pendant des heures, espérant au fond qu'il ait à nouveau une réaction. Il connaissait maintenant le fantôme qui le suivait depuis quelques semaines. Il avait senti cette présence intrigante. Elle n'était pas hostile, simplement elle le surveillait. C'était une présence douce, comme une plume sur l'eau. Elle ne faisait pas beaucoup de vagues, mais avec des sens développés comme les siens, l'alarme s'était déclenchée dans sa tête.
Elle se précipita vers la salle commune de Gryffondor sans réfléchir. Snape la voyait et la reconnaissait, Harry et Ron très probablement aussi. L'excitation s'était emparée d'elle si fortement qu'elle réussit à atteindre la tour depuis les cachots en un temps record. Son isolement était terminé, elle allait pouvoir parler avec eux, leur dire combien ils lui avaient manqué, combien tout cela avait été dur.
Elle arriva devant le tableau de la grosse dame qui se réveilla puis la regarda avec un air étrange, se détournant alors d'Hermione.
"Pouvez-vous appeler Harry et Ron s'il vous plaît ?"
Elle n'eut aucune réponse.
"Madame ? Je sais qu'il est tard, mais c'est extrêmement urgent."
La grosse dame plissa les yeux et répondit, suspicieuse :
"Le mot de passe..."
Hermione essaya de se rappeler le dernier qu'elle avait entendu. C'était quoi déjà ? Abru... Abri... Abri-sorcier !
"Abri-sorcier !"
Le tableau s'ouvrit toujours sous la vigilance de la grosse dame.
Elle entra rapidement, se dirigea vers le dortoir des garçons. Elle monta les escaliers quatre par quatre et atteignit la porte. Elle entra et dit joyeusement : "Harry ! Ron ! Regardez, je suis là, je suis moi ! C'est incroyable ! Je pensais ne plus jamais exister."
Même avec les cris de joie qu'elle avait poussé, rien ne sembla perturber le sommeil de la chambre. Elle s'avança vers le lit d'Harry et tapota son épaule, celui-ci ne poussa qu'un grognement.
"Harry, réveille-toi. Je suis revenue."
Elle le secoua plus vivement et il finit par émerger. Il tapota à l'aveuglette sur la table de chevet pour récupérer ses lunettes et observa son environnement.
"Harry ? Questionna-t-elle.
— Ron ? dit le garçon. Il y a quelque chose de bizarre... chuchota-t-il.
— C'est qu'un rêve", marmonna le roux.
— Non, c'est autre chose."
Elle était devant lui, mais il ne semblait toujours pas la voir.
"Harry ? Tu ne me vois pas ?"
Il s'assit sur son lit et regarda la porte toujours ouverte.
"Ron, continua-t-il, la porte est ouverte, mais Ron s'était rendormi.
Il se leva, sa baguette devant lui. Il inspecta son environnement sans donner un regard à Hermione.
"Mais Snape me voit, dit-elle, il me voit. Pourquoi pas vous ? Pourquoi vous ne voulez toujours pas me voir ? Vous ne m'avez jamais vue, et aujourd'hui il le faut. Il faut absolument que, pour la première de fois de votre vie, vous remarquiez autre chose que mes parchemins, s'énerva-t-elle.
Elle se planta droite comme un "i" devant Harry.
"Harry ! Par Merlin, je suis là ! Je te promets que si tu me vois, je resterais avec vous, je ferais même du quidditch. Je te promets que plus jamais je ne m'énerverais parce que vous ne travaillez pas et que je vous passerais tous mes cours. Je ferais tout ce qu'il faut pour que vous me voyiez. Allez Harry... Je suis là, je suis Hermione... Finit-elle d'une voix presque inaudible."
Elle regarda le garçon retourner se coucher. Puis un long grognement de désespoir sortit de sa bouche.
"Je n'en peux plus !"
Fuyant la chambre en claquant la porte, elle descendit les escaliers, puis quitta la salle commune. Elle s'assit dans le couloir, contre le mur. Tout cela ne finirait jamais ? Puis le doute l'envahit. Et si tout cela n'était qu'un rêve, et si Snape n'avait été que l'invention de son esprit ? Il fallait qu'elle vérifie. Elle ne savait pas quelle heure il était, et elle avait tellement peur de se retrouver à nouveau seule. Une boule se forma dans son ventre, elle avait mal, tellement mal. Elle devait aller vérifier, c'était tout ce qu'elle avait à faire à cet instant, mais elle en était incapable. Elle ne pouvait plus bouger, à peine respirer. Puis une phrase se forma dans sa tête : "Je vais mourir. Je vais mourir seule, dans le noir et le froid, maintenant." Recroquevillée, les genoux contre sa poitrine, elle le ressentait du plus profond de son âme.
Tout cela est faux, se répéta-t-elle. Snape ne me voit pas, c'est terminé, je suis devenue folle.
Son corps finit par arrêter de trembler, ce qui oppressait sa poitrine comme un étau s'était partiellement dissipé. Elle commençait à ressentir à nouveau son environnement. Le bruit calme des couloirs de Poudlard, les gouttes d'eau qui tombent par les petites fuites, le vent à travers les fenêtres, le froid du sol qui passait ses vêtements, le mur rugueux derrière elle. Depuis combien de temps était-elle restée là ? Elle regarda l'extérieur, le jour commençait à se lever. Le ciel n'était plus complètement sombre, il était comme recouvert d'un voile.
Elle se leva, ses os craquèrent d'avoir été si longtemps dans la même position. Elle essuya les larmes qu'elle n'avait même pas senti couler.
Elle descendit doucement les étages du château. Aussi lentement que possible, la peur que toute la soirée de la veille ne fut qu'un rêve la faisait trembler. Si Snape ne l'avait pas vue, si rien de tout cela ne s'était passé, s'en était fini d''elle, plus rien ne la retenait et plus rien ne l'empêcherait de passer par-dessus la barrière de la tour d'astronomie. Elle savait comment son corps finirait, elle avait vu celui de Dumbledore s'écraser au sol.
Elle entra dans la salle de cours et arriva devant la porte du bureau de Snape. Espérant que celui-ci ne fut pas fermé, elle poussa la poignée qui s'abaissa et elle entra.
"J'avais dit, ce matin, Miss Granger, mais pas si tôt. Je ne suis même pas sûr que la directrice soit prête à nous recevoir, dit Snape sans relever la tête de ses parchemins.
— Vous me voyez toujours ? demanda-t-elle, soulagée.
— Bien sûr, vous n'êtes pas redevenue invisible en quelques heures."
Il releva la tête vers Hermione et remarqua aussitôt ses yeux rougis et les tremblements de son corps. Elle le fixait comme s'il ne pouvait même pas exister.
"Miss Granger ? l'appela-t-il.
"Je suis allée à la salle commune, commença-t-elle. J'étais si heureuse d'être revenue, plutôt réapparue, je ne suis jamais vraiment partie."
Il voulut la couper et lui dire que cela lui importait peu qu'elle vienne lui raconter combien elle était ravie de retrouver tous ces cornichons, mais quelque chose le retint.
Elle reprit :
"Je suis allée voir Harry et Ron, j'ai réveillé Harry mais... Elle sentait les tremblements reprendre de plus belle, cette boule réapparaître dans sa poitrine. Sa voix se cassa. Mais... il ne m'a pas vu. Il était réveillé, regardait dans ma direction... Exactement au bon endroit, sans me voir.
Il se leva, s'approcha d'elle.
"J'étais là. J'étais vraiment là. Elle serra ses bras autour d'elle. J'existe.
— Vous existez, Miss Granger," dit-il.
— J'existe, répéta-t-elle. J'existe."
Il fit alors un geste qu'il ne se serait jamais permis auparavant, mais devant la détresse de la jeune femme, il posa un bras sur son épaule, et elle se réfugia contre lui, continuant de répéter qu'elle existait.
"Vous existez, Miss Granger. Je vous vois, continua-t-il, je vous entends."
Il l'entoura de ses bras, regardant par-dessus elle, essayant de se détacher au maximum de la présence d'Hermione dans ses bras.
"Vous n'êtes pas un rêve ? demanda-t-elle.
— D'habitude, on dit plutôt que je suis un cauchemar."
Cette pointe d'humour fit revenir un peu Hermione à elle, et elle renifla.
"Si vous êtes un cauchemar, alors je ne sais pas ce qu'étaient ces derniers mois.
— Des vacances ?
— L'enfer."
Il la tint encore quelques minutes, puis la relâcha doucement.
"Miss Granger ?
— Oui ? Elle essuya encore des larmes. Elle pleurait bien trop ces derniers temps.
— Je peux vous voir à nouveau, comment expliquez-vous que personne d'autre ne le peut ? Êtes-vous sûre que Potter n'était pas simplement perdu d'être réveillé cette nuit ?
— Je ne sais pas.
— Mais nous sommes bien d'accord que cela n'a pas de sens.
— Ma vie n'a pas beaucoup de sens en ce moment, professeur."
Il la regarda. Elle disait la vérité. Il ne l'avait pas vue depuis, quoi, novembre ? octobre ? avant ça ? Il serait incapable de réellement se rappeler la dernière fois qu'il lui avait demandé d'arrêter d'aider cet idiot de Londubat dans un cours.
" Vous voudriez bien faire une expérience ?
— Si cela peut vous convaincre.
— Je vous crois, dit-il sincèrement, mais j'ai besoin de vérifier par moi-même.
— Bien sûr."
Elle sortit du bureau et retourna dans ses appartements de fortune. Elle prit une douche rapide et s'habilla. Vers 9h, elle entra dans la grande salle. Snape était installé à la table des professeurs, comme convenu au préalable. Elle s'avança entre les tables et se mit en plein milieu de la salle. Il lui avait simplement demandé de venir vers les autres professeurs et de leur poser une question. Mais Hermione était sûre d'elle. Elle avait déjà dû esquiver quelques élèves en venant. Il voulait une preuve, il en aurait une. Elle commença.
" Ah ! non ! c'est un peu court, jeune homme ! On pouvait dire… Oh ! Dieu ! … bien des choses en somme… "
Elle se tint droite comme un piquet.
"En variant le ton, par exemple, tenez : Agressif : Moi, monsieur, si j'avais un tel nez, Il faudrait sur-le-champ que je me l'amputasse !
Elle disait cela en regardant Snape.
"Amical : Mais il doit tremper dans votre tasse. Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap !"
Elle s'avança vers la table des professeurs et continua à réciter tout en s'approchant de Snape.
"Descriptif : C'est un roc ! … c'est un pic ! … c'est un cap ! Que dis-je, c'est un cap ? … C'est une péninsule !"
Snape se leva rapidement, comme pour l'arrêter.
"Severus ? demanda McGonagall, surprise de la réaction inexpliquée de son collègue.
"Curieux : De quoi sert cette oblongue capsule ? D'écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux ? Dit-elle, pile-poil en face de son professeur. De toute façon il ne pourrait même pas lui enlever des points.
— Rien, Minerva, juste une crampe.
— Tu bois bien trop de café, répondit la directrice, je t'ai déjà dit de boire du thé. C'est bien meilleur.
— Gracieux : Aimez-vous à ce point les oiseaux, que paternellement vous vous préoccupâtes de tendre ce perchoir à leurs petites pattes ? Finit-elle."
Elle s'applaudit elle-même.
"Merci, merci," dit-elle, en faisant des signes de mains et saluant un public désintéressé par sa présentation.
Elle regarda Snape dont la mâchoire s'était crispée.
"Vous voyez bien ? Professeur McGonagall, qu'avez-vous pensé de ma tirade ? demanda-t-elle. Rien ? enfin, elle était super. Et vous, professeur Snape, vous avez apprécié ?
— Je... commença-t-il."
McGonagall se tourna vers lui, intriguée par l'attitude étrange du professeur assis à côté d'elle.
"Ne répondez pas, on vous prendrait pour un fou. Ils ne me voient pas. Vous êtes le seul. Je vous attends dans votre bureau."
Et elle quitta, le dos bien droit et le sourire aux lèvres. Elle ne s'était pas amusée comme ça depuis si longtemps.
