— Tu désires retourner à Londres ? questionna Cora en marchant à grands pas derrière elle.

— Je n'ai jamais dit cela, rétorqua Alice en accélérant le pas.

La cadette avait décidé d'aller se promener. Après toutes ces semaines dans les grands espaces, elle avait du mal à supporter l'enfermement.

— Mais tu y as pensé, n'est-ce pas ?

— Peut-être que je n'ai pas ma place ici, avoua Alice sincère.

Elle n'avait pas véritablement songé à retourner vivre à Londres mais plus d'une fois, elle s'était demandée si elle avait vraiment sa place dans les Colonies. La vie ici était dure, bien plus dure que sur l'Ancien Continent. Survivrait-elle à cela, elle qui avait été élevée dans un cocon préservé ? Les précédentes semaines avaient prouvé qu'elle en était capable, mais réussirait-elle à survivre sur le long terme ? Rien n'était certain.

— Pourquoi ne m'en as-tu pas parlé ?

— Je... Je ne désirais pas gâcher ton bonheur, mentit-elle à moitié. As-tu réussi à parler avec Mr Poe ?

— Non, nous allons à ce moment même à sa rencontre, répliqua Cora en passant son bras sous le sien.

Les jeunes filles marchèrent environ cinq minutes avant d'apercevoir Nathaniel et Uncas qui les attendaient au pied d'un chêne centenaire. Alice croisa le regard du ,jeune homme.

— Mr Uncas et moi allons vous laisser, Cora, déclara la jeune Écossaise en s'éloignant de sa sœur.

Uncas la suivit sans un mot tandis que sa sœur s'approchait encore un peu plus de Nathaniel. Alice esquissa un sourire. Cora méritait de trouver le bonheur. Toutefois, la jeune fille ne pouvait s'empêcher de ressentir une pointe de jalousie. Bien entendu, la relation de Cora avec Nathaniel allait faire parler mais lui était blanc, et finirait par se faire accepter par la communauté et par leur tante.

— Elle va accepter, n'est-ce pas ? questionna Uncas. La demande en mariage de mon frère ?

— En effet, répliqua Alice. Nous serons bientôt de la même famille, ajouta-t-elle sans trop savoir pourquoi.

— C'est ainsi que cela fonctionne chez les blancs ? demanda Uncas visiblement curieux.

— Pas dans toutes les familles, avoua la jeune fille, honnête.

Elle ne désirait certainement pas qu'il la voit comme une sœur. Uncas et elle s'arrêtèrent de marcher lorsqu'ils se trouvèrent à une distance acceptable du couple. Alice rosit en sentant la main du Mohican effleurer la sienne.

— Miss Alice... Concernant ce que mon frère a dit tout à l'heure... commença-t-il.

Elle releva son visage vers lui. Parlait-il vraiment de ce à quoi elle pensait ?

— Je... Je... Je ne suis pas certaine que cela me regarde, répondit-elle gênée.

— Alice, souffla-t-il en prenant sa main dans la sienne.

Elle jeta un regard inquiet dans la direction de sa sœur et de son futur beau-frère, qui s'embrassaient. Ils ne prêtaient aucune attention à eux. La jeune fille reporta son attention sur Uncas. Son expression était à la fois sérieuse et pleine de tendresse.

— Je ne me marierai pas à une de ces femmes, déclara-t-il d'une voix sûre de lui.

— Votre père...

— Mon père comprendra, se contenta-t-il de répondre.

— En êtes-vous certain ?

Une ombre passa sur son visage et Alice devina que ce n'était pas le cas.

— Il sait lui aussi, n'est-ce pas ?

— Quoi donc ? Que j'ai de l'affection pour vous ? Oui, il le sait.

Le cœur d'Alice se gonfla de bonheur et d'espoir en entendant ces mots. Il avait de l'affection pour elle. La jeune fille ouvrit la bouche pour lui demander ce que le vieil homme en pensait lorsque la voix de Cora leur parvint. Elle la lâcha la main d'Uncas bien que de là où elle se trouvait sa sœur ne pouvait pas les voir.

— Nous nous marierons au printemps ! s'exclama Cora quand Alice et Uncas arrivèrent à leur hauteur.

— Et je vais rester à Albany cet hiver, ajouta Nathaniel à l'intention de son frère.

Ce dernier hocha la tête.

— Je vais annoncer la bonne nouvelle à mon père, Cora, dit-il en lui prenant les deux mains.

Alice détourna les yeux, gênée quand il déposa un baiser sur la joue de sa sœur. Cette dernière le suivit du regard alors qu'il s'éloignait aux côtés de son frère.

— Alice ! Te rends-tu compte ? Au printemps prochain, Nathaniel et moi serons mariés.

La jeune fille esquissa un sourire. Cora était heureuse et c'était tout ce qui comptait pour le moment.

Tante Eliza ne prit pas la nouvelle particulièrement bien. Alice n'était pas là lorsque Cora le lui annonça mais sa sœur le lui raconta plus tard lorsqu'elles allèrent se coucher. Cora lui avait annoncé après le dîner, lorsque Alice était partie dans leur chambre pour lire tranquillement. Tante Eliza avait fixé Cora sans trop la croire. Une Munro épouser un de ces sauvages ? Que diraient les gens ?

Cora rit malgré elle en décrivant l'expression sur le visage de leur tante tandis que Alice ne pouvait que songer à Uncas. Si Tante Eliza avait aussi mal réagi au prochain mariage de Cora avec un Blanc alors il était certain que jamais Alice ne pourrait épouser Uncas, non pas qu'elle l'eut cru un jour.

— Alors je lui ai expliqué que Nathaniel n'était pas un sauvage, qu'il était Américain et que ses parents étaient tous les deux d'origine anglaise et chrétiens, déclara Cora. Elle m'a dit qu'elle n'autorisera jamais cette union et je lui ai simplement répondu qu'il faudra bien qu'elle le fasse puisque je ne comptais pas changer d'avis.

— Ne crains-tu pas qu'elle ne les autorise pas à passer les prochaines nuits dans les écuries ? Demanda Alice inquiète.

— Tante Eliza a beaucoup de défauts mais pas celui-là, rétorqua Cora. Elle a donné sa parole sur cela et ne reviendra pas là-dessus.

Alice hocha la tête mais cela ne la rassura nullement. Cora continua de parler pendant encore quelques minutes avant de souhaiter bonne nuit à sa sœur. Les deux sœurs soufflèrent sur la bougie qui éclairait leur chambre mais alors que l'aînée s'endormit sans le moindre mal, la cadette n'y parvint pas. Toutes ses pensées étaient tournées vers Uncas et leur relation impossible. Elle savait qu'elle n'avait pas le droit de ressentir ce genre de sentiments à son égard mais Alice ne pouvait faire autrement. Devrait-elle céder totalement ? Devait-elle tenter encore de résister ? L'infortunée ne savait plus que faire. Elle se retourna dans son lit de longues minutes tout en faisant attention à ne pas déranger sa sœur qui ronflait légèrement. Enfin, elle finit par trouver le sommeil mais ce ne fut pas celui qu'elle espérait. Celui-ci fut rempli de cauchemars. Cora refusait de lui parler après avoir appris qu'elle désirait épouser Uncas et ce dernier finissait par l'abandonner en pensant le faire pour son bien.

Alice se réveilla en sursaut et en sueur alors que le soleil se levait à l'horizon. Elle se glissa hors du lit en faisant attention à ne pas réveiller sa sœur qui dormait encore à poings fermés et se dirigea vers le bassinet. La jeune fille entreprit de se laver avant d'appeler Mrs Donovan à l'aide de la clochette. La femme arriva moins de deux minutes plus tard.

— Cora dort encore, déclara Alice avant qu'elle ne pénètre dans la chambre.

Mrs Donovan hocha la tête et l'aida à mettre sa robe, la même que la veille avant de la coiffer dans le plus grand des silences.

— Merci, chuchota Alice en se regarda dans le miroir.

La jeune fille descendit au rez-de-chaussée et ne voyant personne dans la salle à manger décida de se rendre aux cuisines. Uncas était attablé avec le palefrenier avec lequel il semblait discuter. Les deux hommes cessèrent leur conversation en la voyant et l'employé de sa tante se leva tel un piquet.

— Bonjour Miss Alice, déclara-t-il poliment.

— Bonjour Monsieur, répliqua-t-elle, ne sachant toujours pas son nom.

— Bonjour Miss Alice. Le déjeuner est prêt, je vous l'apporte dans deux minutes, déclara Dotty.

— Je mangerai ici, Dotty, rétorqua Alice en s'installant autour de la table.

Le palefrenier écarquilla les yeux en la voyant s'installer à côté de lui et en face d'Uncas.

— Bonjour Mr Uncas. Avez-vous bien dormi ? demanda-t-elle poliment.

— Parfaitement, Miss Alice.

— Merci Dotty, dit-elle à la cuisinière qui venait de lui servir une tasse de thé.

Puis, Dotty posa une assiette d'œufs brouillés avec une tranche de lard devant Alice qui esquissa un sourire. Ce genre de repas lui avait manqué durant les événements des dernières semaines.

— Votre père et votre frère ne sont pas réveillés ? questionna-t-elle après quelques secondes de silence.

— Ils ont décidé de se rendre en ville.

— Et vous n'êtes pas allé avec eux ? s'étonna-t-elle.

— Ils n'avaient pas besoin de moi, se contenta-t-il de répondre.

Le reste du repas se passa en silence. Alice quitta la pièce après avoir remercié Dotty pour le délicieux repas et retourna dans sa chambre pour se laver les dents avec sa brosse en soie de porc. Leur mère faisait toujours attention à que Cora et elle aient une hygiène buccale exemplaire avant son décès et Alice avait continué ainsi bien après qu'elle eut quitté ce monde. La jeune fille attrapa son livre avant de s'installer à l'extérieur sur une chaise pour le lire.

Elle vit Uncas quitter les écuries. Elle jeta un coup d'œil autour d'elle. La place de la ferme était vide. Alice sentit les battements de son cœur s'accélérer. Oserait-elle y aller ? La jeune fille hésita à peine quelques secondes avant de se lever. Elle pénétra dans la maison pour déposer son livre sur l'un des meubles de la salle à manger puis quitta la maison après avoir annoncer à Mrs Donovan qu'elle allait se promener non loin. Les alentours immédiats de la ferme étaient saufs.

Elle quitta la maison avant que la gouvernante ne puisse lui interdire d'y aller et traversa la cour d'un pas rapide. Au loin, elle aperçut Uncas qui pénétrait déjà dans la forêt. Elle accéléra le pas, espérant ne pas le perdre. Était-elle folle ? Stupide ? Peut-être les deux à la fois. Elle avança de quelques mètres dans la forêt espérant le retrouver mais ne vit aucune trace de lui.

— Votre sœur sait-elle que vous êtes là ? demanda une voix masculine derrière elle.

La jeune fille porta la main à son cœur et se tourna vers Uncas. Comment avait-il fait pour arriver dans son dos alors qu'il avait plusieurs centaines de mètres d'avance sur elle, ? Alice n'en avait pas la moindre idée.

— Non, mais j'ai dit à Mrs Donovan que j'allais me promener, rétorqua-t-elle.

Uncas la fixa quelques secondes avant de reprendre sa route. Il s'arrêta en voyant qu'elle ne le suivait pas.

— Vous ne venez pas ?

Alice esquissa un sourire avant de le rejoindre. Les deux jeunes gens marchèrent en silence une dizaine de minutes. Uncas observait le sol et les buissons, ils étaient sur la piste d'un quelconque animal. Le Mohican se baissa et prit le poil accroché sur un des buissons. Il le porta à son nez et l'examina quelques secondes.

— Qu'est-ce que c'est ? questionna Alice curieuse.

Elle avait murmuré mais pourtant avait l'impression d'avoir gâché l'harmonie de la forêt.

— Des poils de chevreuil, rétorqua-t-il en les lui tendant.

— A quoi voyez-vous cela ? demanda-t-elle intéressée.

— La texture, l'odeur et la couleur.

Alice porta les poils à son nez mais sentit seulement une odeur forte d'animal sans pouvoir en dire plus. Ils continuèrent à suivre la piste de la bête pendant au moins deux kilomètres quand le cri d'un animal leur vint aux oreilles. Uncas arrêta la jeune fille d'un bras alors qu'ils se trouvaient à l'orée d'une clairière. Les yeux d'Alice s'agrandirent en voyant ce qui était en train de se passer sous ses yeux. Un chevreuil était en train de monter une chevrette.

La jeune Écossaise se sentit rougir alors que ses yeux ne pouvait se détacher du spectacle que donnaient les deux animaux. Était-ce ainsi que cela se passait pour les Hommes ? Elle jeta un coup d'œil dans la direction d'Uncas et constata que lui aussi la regardait. Silencieusement, le guerrier Mohican lui fit signe de le suivre. Perturbée par la scène dont elle venait d'être témoin, Alice lui emboîta le pas en silence.

Elle se sentit rougir encore violemment lorsque des images indécentes lui vinrent à l'esprit. Le souvenir des baisers enflammés d'Uncas accéléra la course de son cœur. Pourtant, la chevrette n'avait pas l'air de trouver la chose très agréable, serait-ce pareil pour elle ? La jeune fille secoua la tête en se rappelant le bien-être qu'elle avait ressenti dans les bras d'Uncas. Peut-être que les animaux et les Hommes ne fonctionnaient pas exactement pareil ? Ou peut-être que si... Alice ne savait plus. La jeune fille se doutait que ce à quoi elle songeait était péché, mais que pouvait-elle faire ? Dieu lui en voudrait-il vraiment d'aimer une de ses créatures ?

— Pourquoi nous arrêtons-nous ? demanda-t-elle lorsqu'ils le firent une trentaine de minutes plus tard. Je ne suis pas fatiguée, tenta-t-elle de le rassurer.

— Je le suis, mentit-il effrontément.

Alice esquissa un sourire, touchée qu'il prenne ainsi soin d'elle. Uncas s'installa sur un rocher et, prise d'une impulsion, la jeune Écossaise vint s'asseoir à sa gauche. Il lui tendit sa gourde et elle but une longue gorgée d'eau avant de lui rendre.

— Pourquoi n'avez-vous pas tué le chevreuil tout à l'heure ? questionna-t-elle soudainement.

Uncas lui jeta un coup d'œil surpris. Il sembla réfléchir quelques instants avant de déclarer :

— Il est important de laisser la nature se reproduire.

Alice hocha la tête et se sentit à nouveau rougir en revoyant la scène. Pourquoi avait-elle obligé d'en être témoin en présence d'Uncas ? Ce n'était pas la première fois qu'elle était témoin d'un accouplement animal. A sept ans, elle avait observé le chien de leur voisin monter sur leur chienne. Puis à dix ans, sa mère avait voulu faire un poulain à sa jument préférée. Alice et Cora s'étaient cachés pour observer l'événement. L'acte semblait violent et Alice s'était demandé longtemps comment le corps de la jument avait pu accepté un membre aussi long que celui de l'étalon. Elle avait vite compris que c'était le moyen pour faire des enfants et craignait plus que tout devoir subir un jour un tel assaut. Elle rougit, honteuse, en se rappelant qu'elle avait dit à sa mère qu'elle ne voulait jamais se marier. La femme, surprise, lui avait demandé pourquoi et Alice en larmes avait répliqué qu'elle ne voulait pas qu'on lui fasse mal comme l'étalon avait fait mal à la jument. Sa mère l'avait observée quelques secondes, cherchant sans doute les bons mots. Puis, avec bienveillance, lui avait expliqué que lorsqu'elle serait mariée avec un homme bon, cela ne serait pas douloureux.

Sa mère n'avait rien ajouté et le rouge qui lui était monté aux joues était signe qu'elle en avait déjà dit beaucoup. Alice n'aborda plus jamais le sujet avec elle.

La jeune fille jeta un coup d'œil dans la direction d'Uncas tout en repensant aux paroles de sa mère. Uncas était un homme bon, n'est-ce pas ? Elle secoua la tête. Elle n'était pas même mariée avec lui. Comment pouvait-elle songer à ce genre de choses ?

— Vous sentez vous bien, Miss Alice ? demanda-t-il soudainement.

— Très bien, répliqua la jeune fille.

Ses yeux gris étaient plantés dans ceux presque noirs d'Uncas et son cœur rata un battement. Les lèvres d'Uncas se trouvèrent sur les siennes en moins de quelques secondes. Alice se rapprocha un peu plus de lui et passa ses bras autour de son cou. Elle sentit les mains d'Uncas lui caresser le dos avant de s'aventurer vers sa poitrine. A travers le haut de sa robe, le jeune homme prit son sein gauche en coupe. La jeune Écossaise ne se déroba pas et poussa même un soupir de bien-être. C'était la première fois qu'un homme la touchait à cet endroit et Alice sentait une sensation étrange de plaisir s'insinuer dans son ventre alors qu'il continuait de caresser son dos avec son autre main.

Était-ce normal que tout cela soit si agréable ? Ne sachant pas exactement quoi faire, les mains d'Alice naviguaient l'une sur le torse d'Uncas, l'autre dans son dos. Ils s'embrassèrent ainsi un long moment, profitant l'un de l'autre jusqu'à ce que les mains d'Alice se fassent plus baladeuses. L'une d'elles passa sous la chemise d'Uncas touchant la peau douce de son estomac. Se rendant sans doute compte de ce qu'elle faisait la jeune fille la retira vivement. Elle se sentit rougir violemment et, sentant sans doute que quelque chose n'allait pas, Uncas mit fin au baiser.

— Que se passe-t-il ?

— Je... Rien, répondit-elle. Ne t'arrête pas ! lâcha-t-elle avant qu'elle ait pu se retenir.

Alice se sentit rougir de plus belle en se rendant compte des mots qui venaient de sortir de sa bouche et surtout du fait qu'elle venait de le tutoyer. Uncas, quant à lui, lui sourit doucement avant de l'embrasser à nouveau. La main du jeune homme passa sous sa jupe et remonta le long de ses jambes. Était-il vraiment en train de se passer ce qu'elle pensait ? Alice poussa un gémissement en sentant les doigts d'Uncas caresser sa cuisse tandis qu'une sensation étrange naissait dans son intimité.

La jeune fille ne désirait plus qu'une chose qu'il la touche à cet endroit. Le baiser se fit plus passionné. Alice savait qu'elle était perdue.

Alice réajusta son chapeau une dernière fois avant sortir du couvert de la forêt. La jeune fille se dirigea vers la ferme de sa tante d'un pas lent. Une sensation étrange, comme un manque, lui tenaillait l'entrejambe. Elle rougit légèrement en constatant cela. Uncas avait été si prévenant. Contrairement à ce qu'elle s'était imaginée, le jeune homme était resté face à elle pendant leur rapport et n'avait cessé de l'embrasser. Lorsqu'il était entré en elle, la sensation n'avait pas été des plus agréables puis petit à petit son corps s'était habitué à cette présence étrangère et... Alice sentit ses oreilles chauffer tandis qu'elle se rappelait les gémissements qu'elle avait laissés échapper.

La jeune fille pénétra dans la cour de la ferme quelques minutes plus tard. Son regard se posa sur sa sœur qui affichait une expression inquiète.

— Alice ! s'écria Cora en se précipitant vers elle. Tante Eliza ! Je l'ai retrouvée ! Où étais-tu ? demanda-t-elle en la prenant par les épaules.

— Je suis partie me promener.

— C'est ce que Mrs Donovan nous a appris mais tu es partie ce matin vers sept heures et il est plus de dix heures, rétorqua Cora.

— J'avais besoin de marcher, rétorqua-t-elle.

— Tu aurais dû me réveiller. Je n'aime pas que tu erres ainsi seule dans les bois, surtout après ce que nous avons vécu.

— Je vais bien, tenta de la rassurer Alice. J'avais juste besoin de me retrouver un peu seule, mentit-elle.

— Alice ! Vous êtes là ! s'exclama sa tante qui venait de sortir de la maison. Où étiez-vous partie comme ça ?

— Se promener dans les bois, répliqua Cora à sa place.

La jeune fille s'excusa promptement d'avoir causé de l'inquiétude à sa tante. Cette dernier lui pardonna après lui avoir fait promettre de ne plus faire cela. Elle venait juste de la retrouver et ne désirait nullement la perdre de nouveau.

Ce jour-là, durant le dîner, Tante Eliza leur apprit qu'elles allaient recevoir des invités pour un bal qu'elle avait décidé de donner en l'honneur du retour de ses nièces. Aussi, les deux jeunes filles durent changer de toilettes peu avant le début de la soirée.

— Nathaniel aimerait que nous habitions non loin de son frère après le mariage, déclara Cora alors que Mrs Donovan était en train de la coiffer.

— Compte-t-il revenir dans les environs après son mariage ? questionna Alice d'un ton qu'elle espéra neutre.

— Non, les Lenape, la tribu dans laquelle Uncas va prendre épouse est matrilinéaire. Cela signifie que l'homme entre dans la tribu de sa femme en l'épousant tout comme les enfants qu'ils auront plus tard.

— Les enfants d'Uncas ne seront donc pas des Mohicans ?

— En effet, répliqua Cora l'air grave. Nathaniel m'a dit qu'Uncas et leur père étaient les derniers de leur tribu.

— Les derniers Mohicans ?

Cora secoua la tête négativement avant d'expliquer :

— Ils ne sont pas à proprement parler les derniers Mohicans mais les derniers de la tribu dont ils sont originaires. Merci Mrs Donovan, ajouta-t-elle en s'admirant dans le miroir.

— Tu es magnifique, Cora, déclara Alice sincère.

Son aînée lui sourit doucement avant de lui retourner le compliment. Les deux sœurs descendirent au rez-de-chaussée et pénétrèrent dans la salle à manger dans laquelle se trouvaient déjà un certain nombre d'invités. Alice ne connaissait pas la plupart d'entre eux. Avant leur aventure vers Fort Henry, Cora et elle n'avaient passé que quatre jours à Albany.

Les présentations durèrent une éternité et finalement ils passèrent à table. Alice fut placée non loin de sa sœur, à côté d'une jeune fille à peine plus âgée qu'elle, d'un homme de loi au visage austère et en face d'un jeune homme bien mis. Avant Uncas, Alice n'aurait pas hésité à s'imaginer courtisée par un homme tel que lui, peut-être aurait-elle même songé au mariage. Après quelques discussions avec lui, la jeune fille ne put s'empêcher de se demander ce qui avait pu un jour l'attirer dans les personnes telles que lui. Il était arrogant et sûr de sa personne.

Lorsque vint le moment du plat principal, l'un des convives, sans doute plus audacieux que les autres, leur demanda de leur conter leur aventure dans les forêts de la province de New York. Était-il vrai qu'elles avaient fait le voyage avec des peaux-rouges ?

Alice baissa la tête vers son assiette ne souhaitant pas participer à la conversation. Après ce qu'Uncas et elle avaient fait le matin-même, la jeune fille avait peur de se trahir rien qu'en évoquant son nom.

— Vous avez dû avoir tellement peur, déclara la jeune fille à côté d'elle.

Alice tourna son regard vers elle et cette dernière lui offrit un gentil sourire. Le visage rond, les joues parsemées de taches de rousseur et les yeux d'un joli bleu foncé, Amelia Abbott avait l'air d'être personne pleine de douceur et de gentillesse. Elle semblait si différente des jeunes filles de bonne famille qu'Alice avait fréquentées à Londres puis à Boston.

— Je dois dire que j'ai cru mourir plusieurs fois. Heureusement que Mr Poe et sa famille était là pour nous prêter main forte, répondit-elle dans un murmure.

Amelia hocha la tête en souriant tandis que Cora poursuivait son récit sous l'attention générale. Après le repas, Tante Eliza demanda à Alice de jouer du piano-forte. La jeune fille s'installa devant l'instrument sans se faire prier et commença à jouer. Les touches coulaient sous ses doigts tandis que le silence s'était fait dans l'assemblée. D'aussi loin qu'elle se souvenait, Alice avait toujours jouer de cet instrument. Elle se rappelait les spectacles qu'elle donnait à sa mère jusqu'à son décès puis les heures d'entraînement lorsque Cora et elle avaient déménagé à Boston. Alice vivait la musique, c'était ce que sa mère disait toujours lorsqu'elle était encore de ce monde.

Plus tard dans la soirée, alors qu'une autre personne s'était installée derrière l'instrument, Alice décida d'aller prendre l'air. Amelia lui demanda poliment si elle pouvait l'accompagner et la jeune Écossaise ne vit aucune raison de refuser.

— Habitez-vous à Albany depuis longtemps ?

— J'y suis née, répliqua Amelia.

— Vraiment ?

— Oui, mes parents ont décidé de s'installer ici peu avant la naissance de mon frère aîné, le garçon qui était en face de vous durant le dîner, crut-elle bon de préciser. Papa a dû quitter l'armée à cause d'une blessure à la main.

Les pensées d'Alice s'envolèrent vers son père qui avait perdu la vie en uniforme, à quelques pas d'elle. Heureusement, Cora n'avait pas parlé de cela lors du dîner. Personne n'avait besoin de savoir qu'elles se trouvaient à moins d'une vingtaine de mètres de lui quand ce Magua lui avait arraché le cœur.

— Oh quelqu'un arrive, remarqua Amelia.

Le regard d'Alice se posa sur la maison et la jeune fille vit une silhouette s'avancer dans l'obscurité : Uncas. Il venait de sortir de la cuisine par la porte de service. Il releva son visage à cet instant-là et s'arrêta soudainement de marcher alors qu'il se trouvait à deux mètres d'elles.

— Bonsoir Mr Uncas, déclara-t-elle tentant de garder un ton neutre.

— Bonsoir Miss Alice, répliqua-t-il. Mademoiselle, ajouta-t-il à l'attention d'Amelia.

La jeune Écossaise n'osa pas jeter un regard dans la direction de sa nouvelle amie, effrayée par la réaction qu'elle pourrait avoir.

— J'ai cru voir que vous étiez allé chasser. Avez-vous réussi à attraper quelque chose ? Questionna-t-elle sur le ton de la conversation.

— Un chevreuil, rétorqua-t-il.

Alice se sentit rougir en se rappelant qu'elle avait vu un tel animal le matin même et ce qui s'était passé peu de temps après. Heureusement pour elle, la nuit seulement éclairée par un quartier de lune voilé par les nuages, ne permettait pas de le voir.

— Votre frère a-t-il réussi à trouver un endroit où se loger durant l'hiver ?

— Le Révérend Barnett a accepté en échange de travail, répondit-il.

— Très bien. Nous n'allons pas vous retenir plus longtemps. Bonne nuit Mr Uncas.

— Bonne nuit Miss Alice. Mademoiselle.

Il leur offrit un léger signe de tête avant de se diriger vers les écuries.

— Est-ce l'Indien qui vous a sauvé la vie ?

Cora avait raconté qu'Alice s'était fait enlever par les Hurons et qu'Uncas avait été le premier sur les lieux lors de son sauvetage.

— En effet.

— Il semble parler parfaitement l'Anglais, remarqua Amelia. C'est la première fois que je me trouve si proche d'une personne de sa race. Papa et James m'obligent à rester dans ma chambre quand ils font des affaires avec eux.

Alice ne répondit rien bien qu'elle sente dans la voix d'Amelia comme une petite pointe d'excitation, la même qu'elle avait ressenti avant leur voyage vers Fort Henry.

— Nous devrions rentrer, déclara finalement Alice. Je commence à avoir froid.

Amelia hocha la tête en souriant avant de la suivre vers la porte de la maison. Peut-être devrait-elle essayer d'être amie avec elle ? Avoir une compagne de son âge ne risquait pas de lui faire du mal.