Bonsoir ! Bonjour, si vous lisez ces lignes alors que le soleil brille et que les oiseaux chantent, ça marche aussi !
Je vous présente cette petite histoire. A la base, ça ne devait être qu'un petit OS sans prétention, pour me détendre un peu pendant que je continue l'écriture de TOTD - qui est beaucoup plus conséquente et l'ambiance un peu pesante, j'avoue. BREF ! Je me suis laissée emporter et finalement, je suppose que cette histoire prendra plutôt la forme d'une mini-fic. Une dizaine de chapitres je pense.
Bon, normalement, c'était censé être léger, fluffy tout ça… Mais en fait… NON. Je dois savoir écrire que du dark, du sombre, du violent. Ca vous donne une idée de l'ambiance générale au moins, ahaha.
Le rating M n'est pas là pour faire joli, d'ailleurs. Je vous prépare du gore, du sang, du sexe trash, du viol, donc ne soyez pas choqué(e)s, vous êtes prévenu(e)s. Pour la douceur et la vanille, FF est plein de ressources et libre à vous de vous diriger vers ce type d'histoires.
Merci JKR pour ces personnages et ses merveilleuses idées, tout cela lui appartient. Moi, je ne possède que les mots qui sont ici.
J'espère que ça vous plaira.
L'INCONNUE
Partie 1 : La fille de la Tamise
« On n'oublie rien de ce qu'on veut oublier : c'est le reste qu'on oublie. »
Boris Vian
Londres – 1er juin 2011
Drago referma le dossier d'un mouvement sec et avisa une dernière fois le tableau accroché au mur avant de soupirer longuement.
Des dizaines de clichés recouvraient le panneau de liège. L'horreur était là, elle s'étalait sous ses yeux gris, lui crachant toute la violence et la folie du monde au visage.
Cinq mois déjà que le jeune inspecteur contemplait ce diabolique canevas. Cinq mois et quatre cadavres. Toujours des femmes, brunes, environ un mètre soixante, de corpulence moyenne, entres vingt-cinq et trente ans. Toutes avaient été étranglées après avoir été mutilées et violées. Chacun de leurs corps nus et décharnés avaient été remontés de la Tamise après plusieurs heures à flotter dans les eaux glacées du fleuve.
Le schéma se répétait inlassablement. Presque une par mois. Et pourtant, l'enquête piétinait.
Drago et son coéquipier, à qui on avait assigné cette sordide affaire, avaient l'impression d'être au point mort. Environ une fois par mois, ils se retrouvaient sur une berge de la Tamise, en compagnie de la brigade fluviale, d'une équipe des pompiers de Londres, et ils remontaient un nouveau corps. A chaque fois, leurs regards livides se croisaient et chaque fois, c'était impuissants et la rage au corps qu'ils établissaient les premières constatations.
La durée prolongée que les corps passaient dans l'eau effaçait la moindre trace de potentiels indices. L'ADN, s'il y en avait toutefois eu sur les cadavres, disparaissait aussi aisément que la neige fondait au soleil. Les victimes étant systématiquement retrouvées entièrement nues, ils mettaient un temps fou à les identifier et à remonter le fil de leurs dernières heures en ce cruel monde.
Les pupilles de Drago survolèrent les photographies l'une après l'autre en suivant l'ordre chronologique des meurtres.
Susan Bones. Lavande Brown. Astoria Greengrass. Angelina Johnson.
Susan Bones, la victime numéro un. C'était elle le point de départ, l'élément déclencheur. Susan avait trente ans et travaillait comme préparatrice dans la pharmacie de ses parents. Il était prévu que la jeune femme reprenne l'officine lorsque ces derniers viendraient à prendre leur retraite. Active mais discrète, elle était décrite comme une personne aimable et bienveillante par tous ceux qui l'avaient un jour côtoyée. Elle sortait rarement et sa dernière relation connue remontait à plusieurs mois avant sa disparition. Elle était morte au milieu du mois de janvier.
Victime numéro deux : Lavande Brown. Elle venait d'avoir trente-et-un ans et travaillait pour une célèbre marque de cosmétiques. Elle était réputée pour être assez naïve, joviale et parfois agaçante selon ses collègues de travail, mais néanmoins très douce et elle avait le cœur sur la main. C'était sa petite amie, Parvati Patil, qui avait déclaré sa disparition aux autorités après que Lavande ne soit pas rentrée chez elle un soir de mars. On avait découvert son corps trois jours plus tard.
Venait ensuite Astoria Greegrass. Vingt-huit ans, un visage et un corps de poupée. Fille de l'éminent membre du Parlement à la Chambre des Lord, Henri Greegrass. Une sublime et très riche héritière qui n'avait jamais eu besoin de travailler tant la fortune de sa famille était importante. Astoria naviguait dans les hautes sphères de la société britannique, voyageait souvent et avait un carnet d'adresse bien fourni. Sa sœur aînée, Daphné avait été dévastée par sa mort et sa famille exerçait depuis une pression intense sur Scotland Yard.
Et enfin, Angelina Johnson, la dernière victime en date. Son corps avait été repêché un matin du mois de mai dans un état de décomposition particulièrement avancé. L'identification avait été difficile. Angelina était une joueuse de volley-ball professionnelle, une étoile montante dans son domaine, et c'était son entraîneur qui était venu identifier la dépouille. L'homme avait fondu en larmes en sortant de la morgue.
En somme, les victimes possédaient toutes des profils variés, en dehors de leurs similitudes physiques. En outre, aucune d'elles ne menaient de style de vie à risques. Pas d'addiction à l'alcool, pas de prise de drogue, des sorties raisonnables et des entourages sains. On estimait donc assez aisément qu'elles avaient toutes été des victimes d'opportunité. Leur malchance les avaient conduites à croiser un jour le chemin du tueur. Le mauvais endroit, le mauvais moment.
Rien, en dehors cela, ne liait réellement ces femmes les unes aux autres. Elles n'avaient aucune connaissance en commun, ne fréquentaient pas les mêmes cercles sociaux ou professionnels, ni n'allaient les mêmes salles de sport.
Rien donc, hormis la mort qui les avait toutes fauchées bien trop tôt.
Jusqu'à présent, toutes les pistes que le bureau d'investigation avait suivies s'étaient montrées infructueuses.
A la mort de Bones, les soupçons et l'enquête s'étaient naturellement portés sur le dernier petit ami connu de la jeune femme. Un certain Cormac McLaggen. Vingt-neuf ans, fils de banquier, il avait suivi le même chemin que son père et travaillait depuis six ans dans la finance. Bien que leur rupture remontait à plus de huit mois, le jeune homme avait été particulièrement touché lorsque Drago lui avait annoncé le décès de Susan. En outre, il avait un alibi solide: il se trouvait en Irlande pour voyage d'affaire au moment de la mort de son ex-compagne. Et tout comme pour McLaggen, les pistes suivantes étaient étouffées dans l'œuf.
Bref, l'enquête était au point mort et Drago fulminait.
Si l'annonce du décès d'Astoria avait fait la une des journaux, celle d'Angelina avait littéralement défrayé la chronique. Le bureau d'enquête de Drago subissait de plein fouet la pression médiatique et l'opinion publique mésestimait de plus en plus Scotland Yard. Les nombreuses conférences de presse données par son patron n'y changeait rien. Peut-être avaient-ils tous raison finalement ? Un tueur en série se baladait librement dans les rues de Londres, massacrant des femmes dans la fleur de l'âge en semant la panique et l'horreur. Les Londoniennes n'osaient plus sortir sans être accompagnées. La ville plongeait doucement dans le chaos. Et lui et son équipe n'avançait pas. C'était terriblement frustrant.
Le jeune inspecteur se massa les paupières en soupirant une nouvelle fois d'un air las avant de consulter la montre à son poignet.
Minuit vingt-quatre.
Cette affaire le rendait fou. Elle l'arrachait au sommeil, rendait ses nuits blanches et ses journées grises. Drago avait besoin de repos autant qu'il désirait élucider cette enquête.
Peut-être aurait-il dû refuser l'offre que Kingsley Shacklebolt lui avait fait deux ans plus tôt. Peut-être aurait-il dû rester à la bridage des mœurs. Il s'y épanouissait, s'y sentait utile et efficace. C'était d'ailleurs pour l'ensemble de ses raisons que le directeur du département de la Criminelle était venu le débaucher pour lui offrir le poste qu'il occupait désormais.
Le blond se leva dans un geste rageur et, acceptant la fatalité, quitta son bureau pour rentrer chez lui. Il habitait depuis quelques années un bel appartement dans la City de Londres, non loin de la Cathédrale St Paul.
Il traversa le dédale de couloirs des locaux du poste de police et rejoignit le parking souterrain sans parvenir à se défaire de la désagréable sensation d'impuissance qui l'accompagnait depuis des semaines déjà.
La circulation était fluide, les rues quasi désertes. Il venait d'ouvrir la fenêtre en dépassant Trafalgar Squarre lorsque la sonnerie de son téléphone de service résonna dans l'habitacle.
- Inspecteur Malefoy, dit-il en décrochant le combiné.
Bon, téléphoner au volant n'était peut-être pas très légal, mais qui oserait le reprocher à un agent de Scotland Yard ?
- Bonsoir inspecteur, répondit l'interlocuteur, excusez-moi de vous déranger à cette heure mais…
- Je vous écoute, Jacob.
Jacob était le régulateur du standard. Un homme d'une cinquantaine d'années qui avait délaissé l'action du terrain pour un poste plus tranquille, mais néanmoins de la plus haute importance. Il était le lien entre les différents services du poste, mais aussi avec les multiples institutions Londoniennes. Hôpitaux, service d'urgences, cellules psychologiques, pompiers, tous les appels émis ou reçus par le poste de police passaient inévitablement par Jacob. Et il était étonnamment efficace dans son rôle.
- La brigade fluviale a trouvé une fille, en début de soirée.
Putain de merde…
Son poing gauche se resserra instinctivement autour du volant, tandis qu'il imaginait le corps froid et sans vie de cette nouvelle victime.
- En début de soirée ? Et pourquoi est-ce qu'on ne me prévient que maintenant ?
- Eh bien, les…
- Oubliez ça Jacob, coupa le blond. Le médecin de la brigade a daté l'heure de la mort il y a combien de temps ?
- Excusez-moi inspecteur, je me suis mal exprimé, reprit Jacob. La fille est vivante.
Drago écrasa brusquement la pédale de frein et pila à un feu rouge. Dans sa poitrine, son cœur s'était mis à battre un peu plus vite. Avait-il mal interprété les informations du régulateur ?
- Qu'est-ce que vous dites ?
- On n'en sait pas plus pour l'instant, mais elle est en vie. Elle a été conduite au St Mary's Hospital vers vingt-heure quinze.
- Vous êtes sur ?
- Absolument. Le médecin de garde vous attend là-bas.
- Est-ce qu'elle a parlé ? Est-ce qu'on sait quelque chose d'autre ?
- Pas encore inspecteur.
- Merci Jacob !
Vivante ? Une nouvelle jeune femme avait été retrouvée dans la Tamise, comme toutes les autres, mais elle vivait ? Ça devait être une erreur… Ou une nouvelle fausse piste. Un accident fortuit qui n'avait sûrement aucun lien avec l'affaire qui hantait ses nuits depuis des mois. Jacob n'avait donné que très peu d'informations, finalement.
Un bruyant coup de klaxon résonna derrière lui et Drago releva les yeux. Le feu de signalisation était passé au vert et la file de conducteurs dans son dos s'impatientait. Il embraya et redémarra, l'esprit embrumé.
Il devait se rendre à l'hôpital le plus vite possible. Mais il ferait un détour avant cela.
Le jeune homme se déporta et prit la direction de l'est, incapable de maîtriser le tambour incessant qui battait la mesure dans sa cage thoracique, tout en composant un numéro sur son téléphone.
La sonnerie retentit deux fois dans le vide.
- Malefoy ? demanda une voix endormie dans le haut-parleur.
- Je sais qu'il est tard, désolé. Il y a eu du nouveau ce soir, habille-toi, je passe te prendre dans dix minutes. On nous attend au St Mary.
La personne sembla grogner à l'autre bout du fil avant d'étouffer un bâillement bruyant que Draco ignora avant de raccrocher.
Il s'arrêta au milieu d'un quartier pavillonnaire bordant Regent's Park une poignée de minutes plus tard et laissa son regard anthracite courir sur les façades couleur ocre. Une lumière orangée vacillait derrière la fenêtre d'une petite maison de plein pied.
Drago abaissa la vitre côté passager et apprécia l'air doux de cette nuit de juin qui vint fouetter son visage. La rue était plongée dans une semi-pénombre. Les lampadaires diffusaient une lueur pâle au-dessus des trottoirs et se reflétait sur les toits des voitures alignées le long de la chaussée.
La porte du pavillon s'ouvrît et un homme descendit les marches du perron en trottinant.
- J'espère que ça vaut le coup, maugréa l'homme en guise de salutation avant de s'installer dans le véhicule.
- Je n'en sais encore rien pour l'instant Potter… répondit Drago en mettant le contact.
Harry Potter, son coéquipier depuis deux ans, haussa vaguement les épaules avant d'enclencher la ceinture de sécurité. Il avait les cheveux en bataille, plus encore que d'ordinaire, et ses lunettes rondes tombaient sur le bout de son nez. Son visage portait encore les stigmates du sommeil auquel Drago venait de l'arracher.
Les deux hommes lancèrent un regard vers la porte d'entrée de la maison.
- Salut Ginny, lança Drago. Je te le ramène rapidement…
Ginny Weasley, l'épouse de Harry, leur adressa un petit signe de la main avant de disparaître dans le couloir en refermant la porte.
Harry et Ginny étaient mariés depuis huit ans. Ils s'étaient rencontrés très jeunes, et pour ce que Drago en savait, ils étaient très heureux. Ils avaient eu deux garçons, James et Albus, ainsi qu'une petite fille, Lily, qui allait avoir quatre ans au mois d'octobre.
Drago avait conscience que jongler entre la paternité et le travail devait être épuisant pour le jeune brun. Mais Harry était un enquêteur hors pair, particulièrement doué pour son métier.
Si lui était instinctif et fonceur, Harry était la force tranquille. Il était méticuleux, persuasif et était passé maître dans l'art de faire parler les suspects autant que les témoins réfractaires. Lorsque Drago avait quitté les mœurs pour la brigade criminelle, le brun l'avait tout de suite accueilli avec joie et respect, prenant compte de ses états de service plus qu'élogieux. Il lui avait fait une place dans son bureau et, même si leurs avis divergeaient parfois, ils s'écoutaient et savaient œuvrer de concert pour mener leurs enquêtes à bien.
Les deux homme étaient opposés en tous points, mais, paradoxalement, c'étaient ces différences de caractère qui faisaient que leur binôme fonctionnait aussi bien. Au-delà de réussir à mettre leurs deux cerveaux en commun, ils éprouvaient une grande confiance l'un envers l'autre. Ils n'auraient jamais pris le risque de mettre en péril la vie de leur coéquipier.
- Bon, est-ce que j'ai le droit de savoir pourquoi tu m'as tiré du lit à une heure pareille ? interrogea Harry en passant une main sur son visage fatigué.
- Les gars de la BF ont remonté une fille dans leurs filets ce soir.
- Et c'est reparti…
La mine de Harry s'assombrit soudainement et il eût du mal à contenir un soupir contrit.
- Elle est encore en vie Harry ! ajouta Drago dont la voix trahissait une lueur d'espoir.
- Pardon ?
- Ouais, Jac' m'a dit qu'ils l'avaient emmenée au St Mary.
Du coin de l'œil, Drago observa Harry hocher la tête silencieusement. Une forme de soulagement non feint courut brièvement sur les traits de son visage. C'était la première fois qu'une de ses enquêtes traînait autant en longueur et Harry avait l'impression constante de nager en plein brouillard. Il se sentait démuni, inutile et ces dernières semaines avaient été particulièrement stressantes. Il tentait de laisser ses états d'âme au travail, s'attachant à ne pas laisser son travail empiéter sur sa vie de famille et veillait à ne jamais inquiéter Ginny. Mais la tâche était devenue particulièrement difficile depuis que la presse s'était emparée de ce sinistre sujet et que Londres, si ce n'était tout le Royaume, attendait des résultats rapides de leur part.
- Je ne sais pas si elle a déjà parlé ou, si elle l'a fait, ce qu'elle a pu dire à la BF. Ils nous attendent sur place…
- Hm… J'imagine qu'ils ont déjà du effectué les premières constatations en la déposant à l'hôpital. Si elle a passé un moment dans l'eau, même par ces températures, elle devait être mal en point.
- Il y a de fortes chances, agréa Drago alors que la voiture s'engageait sur Park Road. J'espère qu'on pourra l'interroger rapidement.
- On est sûr qu'il y a un lien au moins ?
- On n'est jamais sûr de rien Potter et tu le sais…
Le silence s'installa dans l'habitacle et les deux hommes se perdirent dans le flux bouillonnant de leurs réflexions intérieures. Cette piste pouvait être à double tranchant. Si la victime était, d'une manière ou d'une autre, liée à leur enquête, ils venaient de faire une avancée majeure et sans précédent. Peut-être que, grâce à cette malheureuse, ils parviendraient enfin à faire enfermer le malade qui mutilait des femmes et mettraient fin à la période de terreur qui régnait sur Londres.
Mais peut-être aussi que cette pauvre fille n'avait rien à voir avec tout cela. Le tueur n'avait jamais laissé une de ses victimes en vie. Non, bien au contraire. Il s'assurait de se débarrasser de leurs cadavres dans le fleuve afin de ne laisser aucun témoin derrière lui.
Les deux inspecteurs n'avaient pas besoin d'en parler, l'évidence s'imposait d'elle-même : il ne valait mieux pas tirer de conclusion hâtive avant d'avoir pu interroger la jeune femme.
Le St Mary's Hospital était un immense complexe de style victorien tout en pierres grises et en briques orangées s'étalant sur un pâté de maisons entier.
Drago gara la voiture sur le parking des urgences. Selon le message qui lui avais été transmis sur le trajet par Jacob, c'est là que la patiente avait été admise plus tôt dans la soirée. Un des médecins de garde attendait de les recevoir.
Ils se présentèrent au secrétariat, esquivant le ballet incessant des ambulanciers et de leurs brancards, les infirmières dans leurs blouses bleu clair, ainsi que les patients et leurs familles qui s'agitaient au milieu de cette véritable fourmilière.
- Inspecteurs Potter et Malefoy, déclara Harry en tendant sa carte à la secrétaire de l'autre côté du comptoir. La brigade fluviale et les pompiers ont amené une jeune femme aux alentours de vingt-heures ce soir. Nous devons voir un des médecins de garde ce soir.
La secrétaire médicale, une dame d'un certain âge aux cheveux blancs coupés très courts, plissa légèrement les paupières d'un air interdit avant de tapoter sur le clavier de son ordinateur.
- Prenez ce couloir, dit-elle finalement en désignant une porte coupe-feu sur le gauche. Tout de suite à gauche, puis la deuxième à droite. Box 106, le médecin va pour y rejoindre.
- Merci.
Le binôme s'élança dans le couloir en suivant les instructions de la secrétaire, délaissant l'agitation palpable qui régnait dans la salle d'accueil des urgences.
Drago n'avait jamais aimé les hôpitaux. S'il en côtoyait souvent en raison de son métier, c'était pour lui une source d'angoisse à chaque fois qu'il y mettait les pieds. Le bruit constant des machines et des humains, l'odeur aigre des détergents, les locaux surchauffés et l'ombre de la mort qui flottait les couloirs. Rien ce tout cela ne lui plaisait.
Ils tournèrent à droite au bout du couloir, atteignant un corridor aseptisé en tout point semblable aux autres, où s'alignaient de petites salles les unes à côtés des autres. Le long du mur, des dizaines de lits médicalisés s'étendaient en estafilade, tous inoccupés.
- Ah ! Drago, entendit le blond dans son dos.
Il se retourna et adressa un sourire à l'homme qui avançait à grandes enjambées dans le couloir pour se hisser à leur hauteur.
- Salut Theo, répondit-il en serrant la main que le médecin lui tendait.
Theodore Nott terminait ses dernières années d'internat au St Mary avant son diplôme. C'était surtout l'un des plus vieux amis de Drago, leurs parents se connaissant depuis bien avant leurs naissances.
Le futur titulaire salua également Harry. Ils croisaient régulièrement Theo, lorsqu'ils devaient se rendre, comme cette nuit, à l'hôpital St Mary.
- Vous êtes là pour notre mystérieuse inconnue ? demanda-t-il en feuilletant le tas de dossiers qu'il avait glissé sous son bras.
Les inspecteurs échangèrent un bref regard.
- Bon… qu'est-ce que tu peux nous dire sur elle ?
- Moi ? Pas grand-chose. Les pompiers sont arrivés avec elle peu après ma prise de service. C'était la folie aux urgences ce soir. On l'a mise en box dans la foulée et on lui a fait une batterie d'examens de routine avant de lui coller une perf.
- Est-ce qu'elle a parlé de ce qui lui était arrivé ? demanda Harry avec empressement.
- Hm… écoutez les gars, je crois qu'il vaut mieux que je vous laisse voir ça avec mon chef de service. Il est un peu spécial dans son genre, mais il connaît son boulot. Je dois vous laisser, j'ai des patients qui m'attendent…
- Merci Theo.
- Il va vous rejoindre dans quelques minutes, dit le jeune interne en s'éloignant, le nez déjà replongé dans un dossier.
Effectivement, un médecin, stéthoscope autour du cou et cheveux noirs, sortit du bureau des infirmières à la hâte et les rejoignit dans le couloir. C'était un homme à la carrure large, au nez crochu et à l'air particulièrement acariâtre. Il leur adressa un bref signe de tête avant de désigner le box 106 du menton.
- Bonsoir messieurs, commença-t-il. Docteur Severus Rogue, je suis le médecin de garde ce soir. Je suppose que vous êtes là pour la demoiselle ?
- En effet. Que pouvez-vous nous dire sur elle ?
- Mon temps est précieux, alors je serai bref. Elle a été retrouvée ce soir sur les berges de Westminster Millenium Pier. Elle était en sous-vêtements, n'avait aucun papier sur elle et semblait complètement désorientée selon les dires de la brigade fluviale.
- Vous avez son identité ?
Le médecin fit claquer sa langue contre son palais avec suffisance. Il passa une large main dans ses cheveux d'ébène, l'air plus pincé que jamais.
- Comme je viens de vous le dire, elle n'était en possession d'aucun document et elle avait l'air de ne pas réaliser ce qui se passait autour d'elle, reprit Rogue avant de chercher un compte-rendu dans le dossier de la patiente. Elle a été incapable de nous donner son nom, son âge ou d'expliquer ce qui a pu lui arriver… On lui a fait un bilan biologique à son arrivée dans le service, je viens d'ailleurs de le recevoir.
- Et donc ? s'impatienta Drago.
- Donc, elle était grandement déshydratée. Forte carence en fer et taux de diazépam explosant les scores.
- Oui, enfin plus clairement ?
Drago vrilla son regard acier vers son coéquipier. De toute évidence, Potter aussi perdait patience. Il était presque deux heures du matin, la fatigue et la nervosité les tendait. Et tous ceux qu'ils rencontraient s'entêtaient visiblement à les faire tourner autour du pot. L'attente devenait agaçante.
Ils virent, sans relever, les narines du médecin frémir légèrement.
- Du valium, inspecteurs. Et à très forte dose, ajouta-t-il. Couplé avec de la méthadone ou tout autre dérivé morphinique, cela provoque souvent des pertes de mémoires à long et moyen terme, voir des hallucinations dans certains cas.
Rogue baissa les yeux vers le compte-rendu de résultats avant de le leur tendre, les lèvres légèrement pincées. Drago et Harry conservèrent un instant le silence, emmagasinant les informations données par le chef de service.
- Que pouvez-vous nous dire sur le plan physique ?
- Aucun signe d'agression sexuelle, si c'est ce que vous entendez par là. Toutefois, il y a des marques évidentes de strangulation autour du cou ainsi que des hématomes sous-cutanés sur les chevilles et les poignets provoqués par des entraves serrées. Elle a sans doute été maintenue attachée pendant un moment. Probablement à l'aide de lanières de cuir ou d'une ceinture.
Il marqua une courte pause, comme s'il cherchait ses mots un moment.
Les mésaventures de cette jeune femme avaient-elles un quelconque lien avec l'enquête que menaient les employés de Scotland Yard ?
Jusqu'ici rien ne le laissait penser. Si elle avait été retrouvée errant sur les quais du port, elle n'avait pas pour autant été jetée dans la Tamise, comme toutes les autres victimes. Elle n'avait pas été violée et, bien que très légèrement vêtue, elle n'était pas entièrement dénudée. Il y avait finalement bien peu d'éléments pouvant rapprocher ce cas des précédents.
- Quoi d'autre ? encourage le blond. Qu'est-ce qui vous a poussé à contacter les autorités ? Des droguées, les urgences doivent en voir passer tous les soirs, non ?
Le médecin de garde émit un petit reniflement dédaigneux avant de tendre le dossier médical complet vers eux. Il repoussa les pans de sa blouse pour glisser ses mains dans ses poches.
- Pochette bleu, page 4.
Drago fit tourner les pages des différents documents. Son regard se posa une série de clichés numériques, imprimés depuis un ordinateur.
- Ça, ça craint vraiment… souffla Harry du bout des lèvres.
L'ensemble des blessures corporelles de la jeune femme s'affichaient sur le papier glacé. Si une grande partie, notamment les marques de ligatures, semblaient superficielles, une des photographies les troubla particulièrement.
Elle représentait un petit symbole gravé à même la chair de la victime, sur l'intérieur de la cuisse droite. Un cercle tracé dans un triangle et barré d'un trait vertical.
Le même symbole qui avait été retrouvé, au même endroit, sur tous les corps. Celui qui représentait les méandres chaotiques du cerveau du tueur. Sa signature.
- Est-ce qu'on peut la voir ?
- Elle est réveillée, oui. Je doute toutefois que vous puissiez tirer quelque chose étant donné les évidents troubles de la mémoire rétrograde.
- Rétrograde ?
- La mémoire latente, l'acquis, l'appris. En d'autres termes, elle ne sait plus qui elle est. Pas plus qu'elle ne comprend sa place dans le monde…
- C'est définitif ? s'enquit Drago, profondément troublé par la nouvelle.
- Difficile à dire. Cela varie selon les sujets. Le plus souvent non, les souvenirs reviennent avec le temps. Un mois, un jour, une semaine… Le cerveau est un organe encore bien méconnu.
Drago opina du chef sans pour autant relever la remarque. Il avait bien conscience de la vérité – et les invariables questionnements – que soulevait l'énumération de ce simple fait. Le cerveau, comme bien des choses, était un abysse sans fond. Il fallait être fou, présomptueux ou naïf, pour croire un seul instant qu'on pouvait le comprendre ou comprendre les rouages tortueux de la psyché humaine.
Severus Rogue jeta un rapide coup d'œil à la montre qui ornait son poignet.
- Et elle est encore faible, ne faites pas durer cela trop longtemps. Messieurs, veuillez m'excuser…
Les coéquipiers hochèrent la tête en signe d'approbation et Harry ouvrit la porte du box alors que l'urgentiste s'éloignait dans le couloir pour continuer la visite de ses patients. Sa nuit, comme la leur, était bien loin d'être terminée.
La chambre 106 était sombre, le néon blafard du plafonnier était éteint et seule une petite lampe jaunâtre grésillait dangereusement sur la table de chevet. Les rideaux occultants en PVC avaient été enclenchés, isolant encore plus la petite pièce du reste de l'hôpital. L'odeur de la javel était plus forte ici que dans le reste du bâtiment. Drago fronça le nez en pénétrant à l'intérieur de la pièce.
Elle était là. L'inconnue de la Tamise. L'anonyme. Étendue sur un lit médicalisé au confort rudimentaire, les yeux injectés de sang, les cheveux gonflés d'humidité et les joues roses. Au milieu de la poche de perfusion qui gouttait doucement et du « bip » caractéristique et régulier du moniteur cardiaque, elle ressemblait à un animal en cage, acculée par la peur, pétrifiée par l'incompréhension.
Si Harry présenta un regard de convenance désolé, Drago laissa ses pupilles métalliques la transpercer de part en part. C'était ainsi qu'il analysait les gens, les situations, les paroles. Il plissait imperceptiblement les paupières et ancrait son regard sur ce qui attirait son attention. Il fixait si intensément les choses que ce geste, pourtant anodin, devenait dérangeant et lourd de sens.
Une petite trentaine, brune, comme les autres. Plutôt mignonne… Très mignonne, pensa-t-il intérieurement tandis qu'il détaillait la jeune femme qui se recroquevillait sur le lit.
- Mademoiselle ? débuta Harry avec toute la prudence du monde, en s'approchant du lit. Je me nomme Harry Potter et voici mon collègue, Drago Malefoy…
Le brun désigna le blond du bout des doigts et laissa passer un battement.
Les iris de la fille passaient alternativement de l'un à l'autre, les lèvres légèrement entrouvertes. Il flottait sur son visage moucheté de taches de rousseurs un mélange de détresse et de méfiance non feintes.
- Nous travaillons pour la police de Londres, reprit le brun. On l'appelle également Scotland Yard et…
- Je sais ce qu'est Scotland Yard et la police. Je suis amnésique, pas complètement stupide, coupa sèchement la petite brune.
Drago ne put réprimer le rictus moqueur qui étira ses lèvres.
- De quoi vous souvenez-vous ? Le moindre détail peut avoir son importance… ajouta Drago.
La brune haussa les épaules avant d'enfoncer davantage sa tête dans l'oreiller.
- Je… Je me souviens seulement avoir ouvert les yeux dans ce… dans cette chambre, dit-elle des trémolos dans la voix.
- Et avant cela ?
La jeune femme sembla hésiter. Si les deux enquêteurs se retinrent d'en faire part, ils remarquèrent aisément ses yeux s'embuer soudainement. Elle semblait se faire violence pour retenir ses sanglots, laissant planer le silence dans la chambre un moment. Elle porta, inconsciemment, une main autour de son cou violacé.
- Seulement des impressions… Je crois qu'il faisait jour. Il y avait de la lumière… Blanche et forte. Ça m'aveuglait. Et j'avais froid. Très froid… Le reste est flou.
Harry dodelina doucement de la tête et posa une main compatissante sur l'épaule de la jeune femme qui eut un mouvement de recul.
- Vous ne vous rappelez rien d'autre ? Je veux dire, votre vie, votre nom ?
Il doutait d'obtenir la moindre réponse, mais Drago estimait devoir essayer. Il n'obtint qu'un nouveau silence froid et un regard accusateur de la part de son coéquipier. Drago n'aimait pas rendre les armes. Il détestait abdiquer, s'avouer vaincu. Il échangea un regard avec Harry qui semblait partager son désarroi et décidèrent, sans se concerter, de quitter la jeune femme, sachant pertinemment qu'ils n'en tireraient rien de plus.
Et pourtant sa voix fluette s'éleva dans le pièce alors que les enquêteurs amorçaient déjà leur départ.
- Je sais que la Terre effectue sa rotation autour du soleil en trois-cent-soixante-cinq jours. Que John Wilkes Booth a assassiné Abraham Lincoln en 1865. Que Madonna a divorcé deux fois et que, allez savoir pourquoi, je suis capable de vous décrire chaque étape du développement d'une photo argentique.
Son regard noisette, rendu orangé par la faible lueur de la lampe, s'était perdu quelque part près de la fenêtre. Il fixait un point un point invisible, cimenté dans l'espace vide de la petite chambre. Et le temps, comme cette amarre impalpable le long du mur, semblait s'être momentanément suspendu.
- Mais le reste… reprit la brune dans un murmure étranglé. Le reste n'a aucun sens. Peut-être suis-je danseuse étoile ou serveuse dans un bar. Peut-être que j'aime les poires et que je déteste la pluie. Peut-être ai-je vingt-six ans, peut-être en ai-je trente-trois. Peut-être suis-je mariée, célibataire. Je n'en ai aucune idée.
Drago déglutit avec difficulté, la gorge soudainement prise dans un étrange étau, alors qu'il continuait d'observer la jeune femme de son regard pénétrant. Là, allongée sur ce lit dans une fine blouse pervenche, il n'y avait Personne. Personne. Rien qu'une armure de chair, d'os et de vulnérabilité presque désarmante.
Il se demanda ce qu'elle pouvait ressentir à cet instant. Quel pouvait-être ce sentiment qui s'emparait-elle, maintenant que la drogue quittait ses veines et que la conscience emplissait de nouveau son cerveau ? Que pouvait-on réellement ressentir, finalement, lorsque vos souvenirs vous avaient été volé ?
Cette question tourna dans son esprit et le perturba un moment.
- Nous allons vous laisser vous reposer. Lorsque vous vous sentirez mieux, nous reprendrons. D'accord ?
- D'accord.
- Si jamais quelque chose vous revient, quoi que ce soit, même si ça vous paraît sans importance, appelez-nous.
Le blond assura ses paroles en déposant une petite carte avec le numéro de leur bureau et leurs noms sur la table de chevet.
- Prenez soin de vous.
Ils quittèrent le box 106 après un ultime regard bienveillant vers l'inconnue.
