Même une fois ses élèves diplômés de Poudlard et donc libres de ne plus se soumettre à son autorité, Minerva McGonagall demeure aussi intimidante qu'au premier jour, alors que les gamins de onze ans attendant la Répartition la rencontrent en sa qualité de directrice adjointe. Sirius en personne, qui a pourtant affronté les partisans de Voldemort et ri plusieurs fois en face de la torture et d'un décès atroce, ne peut s'empêcher de se raidir un peu alors qu'elle darde sur lui un regard suspicieux.
Quoique, lorsqu'on passe un appel via la cheminée, ce n'est jamais très confortable, alors qu'est-ce qu'un zeste de gêne en plus de cela, hein ?
Minerva observe sa tête dans les braises, les bras croisés sur la poitrine.
« Maintenant, Sirius Black, allez-vous enfin me dire pourquoi il était si capital que je vous permette d'emprunter une plume d'inscription scolaire ? » interroge-t-elle, d'un ton qui annonce d'emblée que l'explication a intérêt à exister, et à être parfaitement raisonnée.
Ce que peu de résidents de Grande-Bretagne savent est que pour inscrire un enfant à Poudlard, deux plumes différentes sont nécessaires. La première, la plus essentielle, est la Plume d'Acceptation qui rédige le nom du bambin dans le Livre d'Admission dès que la magie accidentelle commence à se manifester. La seconde est une plume plus ordinaire, spécialement envoûtée afin de déterminer les adresses les plus obscures et compliquées – absolument imparable.
Pour gagner accès à l'une de ces plumes, il fallait obligatoirement être professeur à Poudlard ou en assez bons termes avec l'un d'entre eux pour contourner les restriction administratives. Toute collet-monté que fusse Minerva, elle n'en restait pas moins une grande sentimentale souvent attachée à ses anciens élèves brillants – et Sirius demeure encore magistralement doué en métamorphose, en dépit de ses frasques de jeunesse.
Aussi, il est quasi certain que Minerva a honte d'avoir cru aux mensonges du traître et cherche à se racheter. L'état de panique dans lequel il est venu la supplier de lui prêter son aide n'a pas dû aider non plus – en rétrospective, il a dû rudement l'inquiéter pour qu'elle lui donne la plume et ne réclame d'explications qu'après le fait.
Il ne veut pas la traîner dans un désastre de proportions littéralement divines, mais il lui doit quand même quelque chose.
« Parce que je devais absolument trouver quelqu'un, et il s'agissait de la méthode la plus rapide de ma connaissance. »
Sirius ignore comment oncle Cygnus s'y est pris exactement afin de dissimuler Delphini, le bébé qui est devenu Sally Jackson, si soigneusement que les rituels de localisation que sa chère cousine Bella n'aurait pas manqué d'employer ont été incapables de la pointer dans la direction de l'Amérique du Nord, mais en tout cas c'était efficace. Pour contourner pareille barrière, il faut employer une magie à un niveau égal de puissance au strict minimum – et les enchantements utilisés par Poudlard sont connus pour leur force.
Oh, il existe bien d'autres techniques, mais elles sont toutes illégales, moralement répréhensibles, et nécessitent du temps pour être effectuées. Avec une plume d'inscription, l'adresse est claire et aussitôt disponible sans besoin de sacrifier qui que ce soit, il n'y a besoin que de se mettre en route. Bon, ça n'a pas été simple d'arranger un Portoloin à l'internationale, mais Sirius n'a perdu qu'une semaine plutôt que des mois alors il s'agit d'une victoire écrasante en ce qui le concerne.
Les narines de Minerva se pincent. C'est vraiment fascinant à observer, et Sirius se demande si c'est un vestige comportemental de la forme Animagus féline de son ancien professeur.
« Vraiment ? Il doit s'agir d'une personne extrêmement importante, alors. »
Elle n'a aucune idée de combien elle tape en plein dans le mille. Important ne commence pas du tout à décrire la valeur de Sally et Percy pour le camp adverse – peut-être aussi pour l'Ordre du Phénix, mais là… Sirius hésite. Sally ne sait rien du monde sorcier dans lequel elle vient d'être précipitée, Percy s'apprête à fêter ses deux ans seulement, et tous deux ne peuvent compter que sur lui en tant qu'allié sans la moindre envie d'exploiter leur potentiel.
Veut-il vraiment les exposer à Dumbledore ? Le Directeur de Poudlard et fondateur de l'Ordre est un homme sincèrement vertueux, aucun doute là-dessus… mais il a une guerre à mener. Et un chef de faction ne peut pas hésiter à recourir à tous les avantages possibles et imaginables sur lesquels il réussit à mettre la main, qu'il les cherche délibérément ou que ceux-ci lui tombent tout cuits dans le bec.
Au final, l'ancien détenu opte pour une tactique qui ne ferait pas honte à ses ancêtres politicards : détourner l'attention au moyen d'une vérité partielle.
« C'est une cousine de la famille Black. Elle n'a qu'une vingtaine d'années, elle a cru être normale toute sa vie, et c'est seulement depuis hier qu'elle est consciente que son bébé pourrait devenir une cible à cause de quelque chose sur lequel elle ne peut rien. Je veux dire, qui choisirait d'être apparenté à cette famille ? »
Là, il a jeté l'appât. Si Minerva présume que la famille dont il parle est bien la sienne plutôt que celle des Jedusor ou des Olympiens, et bien… ce n'est pas exactement faux, n'est-ce pas ?
Les sourcils de son interlocutrice remontent sur son front, mais sa bouche se tord dans une grimace de compassion. Oui, elle se rappelle la précédente guerre contre Voldemort, les attaques contre des sorcières enceintes et des bambins à peine capables de marcher pour être d'origine moldue, accusés de polluer la société sorcière en y insérant leurs pedigrees moins qu'impeccablement purs. Il y a une raison pour laquelle les classes de Poudlard ont été si petites pendant une bonne demi-douzaine d'années et n'ont élargi qu'à partir de 1992.
Lily aussi a été dans cette position. C'est presque de la justice poétique, voir la fille du Seigneur des Ténèbres dans la même détresse que la plus notoire de ses victimes – sauf que Sally ne mérite rien de tout ça, pas d'après ce que Sirius a vu d'elle. Mais depuis quand les Parques se soucient-elles de pareils détails ?
La directrice de Gryffondor le détaille par-dessus ses lunettes, et Sirius s'efforce de paraître aussi serein que possible malgré les flammes lui léchant le menton et ses genoux meurtris par les dalles aussi dures que froides de la cuisine.
« Je suppose que c'est une raison qui en vaut bien une autre » finit-elle par déclarer – en bonne lionne, jamais elle ne supportera l'idée d'une femme vulnérable et d'un bambin exposés au danger alors qu'il a le pouvoir de les protéger. « Sont-ils en sécurité, maintenant ? »
« On ne peut plus » renifle le dernier rejeton mâle de la lignée Black. « En passant, dites à Dumbledore que j'ai trouvé le lieu de réunion parfait pour notre petit club, comme il me l'a demandé. Juste… ça prendra un peu de temps pour accueillir des visiteurs. »
Assez de temps pour qu'il puisse fournir davantage d'explications à Sally et se mettre d'accord avec elle sur un alibi concernant sa présence. Vu qu'elle ressemble à Bella comme deux gouttes d'eau, impossible de cacher sa filiation de ce côté-là, mais peut-être qu'il peut raconter qu'elle est la fille de Rodolphus Lestrange, rejetée parce qu'on la croyait Cracmolle ? Ça se pratique encore aujourd'hui dans les familles archi-conservatrices et traditionnelles…
Bien sûr, la farce ne durera pas dès qu'un petit fouineur regardera la tapisserie de trop près. Il faudra qu'il trouve moyen de la recouvrir ou de dissimuler les noms…
« Je lui transmettrais le message » fait Minerva avant d'hésiter : « Voulez-vous que je lui parle de vos cousins ou préférez-vous en discuter directement avec lui ? »
C'est tentant, de laisser la directrice adjointe servir d'intermédiaire. C'est juste…
« Je m'en chargerais moi-même, mais merci d'avoir proposé. »
Il s'agit de sa famille, probablement les deux seuls membres à qui il est en mesure de parler sans recevoir un maléfice en pleine figure. Et Sirius a du mal à se détacher des gens à qui il tient.
Autrement, la mort de James et Lily ne continuerait pas à faire aussi mal.
