Le matin, Severus n'avait jamais beaucoup d'appétit. De manière générale, il ne mangeait pas grand-chose ; son poids s'en ressentait. Assis dans le coin le moins lumineux du réfectoire, il rêvassait au-dessus de son assiette, tout en feuilletant distraitement un grimoire qu'il avait déniché, la veille, dans l'armoire de la classe de potions.

Il sentit alors une main, celle d'un homme lui semblait-il, se poser sur le sommet de son crâne. Il n'eut pas le temps de se retourner pour voir à qui elle appartenait qu'on lui enfonçait brutalement la tête dans son porridge. Son agresseur le maintint cinq secondes dans cette position avant de le relâcher et de s'éloigner d'un pas lent. Severus s'était redressé en suffoquant sous les rires étouffés des camarades qui lui faisaient face – pas un n'avait jugé utile de le prévenir de ce qu'il lui allait lui arriver.

Le porridge, encore chaud, lui poissait le visage. Il en avait jusque dans les narines. Severus s'essuya machinalement les yeux avec la manche de sa robe. Lorsqu'il fut en état de les rouvrir, il découvrit que l'auteur de ce mauvais coup n'était autre que James. Comme si de rien n'était, le Gryffondor marchait en direction de la table où avait l'habitude de s'asseoir sa petite bande. Severus ne voyait que son dos, mais il était persuadé qu'il souriait à Sirius qui, lui, était effondré de rire. Un peu plus loin, Lily, qui discutait avec Mary, lui jeta un regard mortifié.

Severus se leva avec ce qu'il lui restait de dignité. Au cours de la dizaine de mètres qui le séparait de la porte, il dut affronter les regards tantôt étonnés, moqueurs ou dégoûtés de ses camarades. A peine fut-il sorti qu'il courut aux sanitaires. Il se passa longuement la tête sous le robinet, moins pour rincer le porridge que pour se laver du sentiment d'humiliation qu'il ressentait.

Le porridge avait laissé d'affreuses traces blanchâtres sur sa manche. Severus aurait aimé pouvoir changer de robe, mais, pauvre comme il l'était, il n'en possédait pas d'autre – et encore la sienne, trop grande, avait-elle été achetée d'occasion.

Alors, faute de mieux, Severus mouilla sa manche, la frotta, la gratta même, dans l'espoir de lui rendre son apparence première. Mais le remède fut pire que le mal : le tissu en resta tout gondolé. Il en aurait pleuré.

Ces derniers jours, James n'avait eu de cesse de le harceler. À chaque fois, Severus avait été pris de court : face à lui, il n'arrivait pas à se défendre. Il n'était même pas sûr de le vouloir. Car si les brimades de James le faisaient souffrir, elles traduisaient aussi de sa part un début d'attention. Severus avait le sentiment d'exister pour lui. Mais il aurait préféré exister autrement. Pourquoi James s'acharnait-il ainsi sur lui ? Comme si cela ne suffisait pas qu'il ne l'aimât pas !

Comme Severus s'y attendait, Lily vint le réconforter à l'intercours :

« Tu sais, Sev', une poignée a ri de toi, mais la majorité a blâmé James, lui affirma-t-elle dans un charitable mensonge.

– Épargne-moi ta pitié, tu veux ? » avait bougonné Severus en s'appuyant dos à la balustre, les bras en croix sur sa poitrine.

Mais Lily était habituée aux accès de mauvaise humeur de son ami.

« Il est jaloux de toi, poursuivit-elle.

– Tu plaisantes ? » répondit Severus, mi-irrité, mi-intrigué.

Lily eut un sourire douloureux.

« J'ai beau l'ignorer, il me drague de manière effrénée. Il a encore essayé de me coincer hier soir après les cours. Je mettrai ma main à couper que c'est juste pour t'embêter.

– C'est peut-être, et plus simplement, parce que tu lui plais, rétorqua Severus, que l'explication de son amie laissait dubitatif. J'imagine qu'il n'a pas oublié tes simagrées aux Trois Balais.

– J'ai l'impression qu'il essaie de me tirer les vers du nez à ton sujet. Il me parle tout le temps de toi. Tu l'obsèdes. »

Mais Severus n'y croyait pas :

« Sérieusement, Lily, à Poudlard, aucune fille ne t'arrive à la cheville. Et je ne parle pas seulement de ton physique. James te voit comme un trophée. Moi-même, si j'aimais les filles, je suis sûr que je ferais n'importe quoi pour que tu sortes avec moi. »

Le regard de Lily se voila. Severus se mordit la langue : pourquoi fallait-il qu'il soit si maladroit avec elle ?

« Excuse-moi, se reprit-il brusquement tandis que Lily baissait les yeux. Je voulais dire que… qu'il n'y a pas besoin de chercher midi à quatorze heures. »

Mais où était-il allé pêcher cette expression démodée ?

« Honnêtement, je crois plus simplement que James me méprise, ajouta Severus après un silence. Je ne vois pas pourquoi il serait jaloux de moi.

– Parce que tu es bien plus brillant que lui, murmura Lily. Et aussi parce qu'il s'imagine qu'on est ensemble. Comme tout le monde chez les Gryffondor, du reste. »

Lily semblait sur le point de pleurer. Severus ne savait plus où se mettre. Pourquoi s'obstinait-elle à l'aimer alors qu'elle n'avait aucun espoir de l'être ? pensa-t-il avec un mélange d'agacement et de compassion. Combien de temps encore leur « amitié » allait-elle tenir sur ces bases ?

Severus donna à Lily une espèce d'accolade qui faillit l'étrangler. En retour, Lily écrasa un baiser passionné sur sa joue. Ces démonstrations d'affection n'avaient pas échappé à James, qui, quelques piliers plus loin, faisait mine de réviser son cours de métamorphose.

Ce soir-là, Severus pensait prendre du bon temps à Pré-au-Lard. Plus exactement, il espérait pouvoir oublier James dans les bras d'un autre. S'il s'interdisait de chasser chez les Gryffondor, Severus n'avait aucun scrupule à regarder les garçons des autres maisons que la sienne. Il avait repéré un Poufsouffle presque aussi beau que Mulciber et qui, paraît-il, couchait occasionnellement avec des garçons – Severus le tenait de l'un de ses amants. Autant dire qu'il partait confiant.

Severus l'avait entrepris dans la ruelle obscure qui menait aux Trois Balais. Tout en marchant, il s'était placé à côté de lui et lui avait discrètement caressé le bras. La tactique était éprouvée. Mais les choses ne se passèrent pas comme prévu. Le garçon, qui avait parfaitement compris où Severus voulait en venir, s'était tourné vers lui d'un air courroucé et lui avait craché au visage. Penaud, Severus avait battu en retraite. Heureusement, au milieu de l'effervescence générale, leur altercation était passée inaperçue.

La soirée de Severus s'était arrêtée là. Il était rentré seul à Poudlard, la queue entre les jambes. Puis il avait filé dans les sanitaires du rez-de-chaussée, ceux-là même où il avait fait sa toilette matinale. Pour finir par pleurer toutes les larmes de son corps au-dessus d'un lavabo – au moins n'en mettait-il pas partout.

Severus s'était vu dans les bras de ce garçon. Il aurait accepté n'importe quoi, même des choses dégradantes. Peut-être même qu'il se serait laissé embrasser, pour une fois. Pourquoi l'autre l'avait-il traité ainsi ? Pourquoi ne voulait-il pas de lui précisément ? Severus était vexé et frustré tout à la fois. Il se regarda dans le miroir fêlé qui surmontait le lavabo, s'y trouva plus laid que jamais. Il aspergea d'eau froide ses yeux rougis.

Il aurait voulu aller dormir. Mais il ne pouvait pas remonter dans cet état au dortoir. On voyait trop qu'il venait de pleurer. Au-dessus de sa tête, une fenêtre, ouverte en grand, battait au vent. Il lui sembla entendre, dans son dos, une porte grincer. Appuyé au lavabo, il n'en continuait pas moins de se tamponner les yeux. Sûrement un courant d'air, pensa-t-il.

« Bonsoir, Severus », dit soudain une voix qu'il se souvenait d'avoir déjà entendue quelque part.

Le cœur de Severus se contracta dans sa poitrine. Lentement il releva les yeux : le visage balafré de Lupin se reflétait dans le miroir. Aussitôt, Severus laissa retomber ses yeux au fond du lavabo. Il ne voulait pas qu'il le voie comme ça. Comment se débarrasser de lui ? Le bougre avait l'air de vouloir tailler une bavette. C'était le gentil de la bande, pensa Severus. En retrait des autres. Trop tendre pour approuver leurs mauvais coups, mais trop faible pour oser leur tenir tête. Severus ne le détestait pas, alors qu'il se serait bien vu tuer Sirius. Il le trouvait juste fade, insipide, inconsistant même, ce qui était, d'une certaine façon, presque pire.

« Tu n'es pas à Pré-au-Lard avec les autres ? grommela-t-il à son adresse, mais en cachant son visage avec ses cheveux.

– Mes parents n'ont pas signé l'autorisation de sortie », répondit Remus de sa voix bizarrement rauque.

Il donnait toujours l'impression d'avoir un chat dans la gorge.

« Sans blague », fit mine de s'intéresser Severus.

Il entraperçut ses yeux gonflés dans le miroir qui lui faisait face : combien de temps ces stigmates allaient-ils mettre à disparaître ?

« Ils ne trouvent pas mes notes fameuses, expliqua Remus d'un air désabusé. Ils pensent que je devrais m'amuser moins et travailler plus. »

Severus ne fit aucun commentaire ; à vrai dire, il se fichait complètement de la vie de Remus.

Il y eut un silence. Avec un peu de chance, l'autre allait se diriger vers les urinoirs pour faire son affaire. Et, lui, il en profiterait pour aller se planquer ailleurs.

Mais Remus ne bougea pas.

« Quelque chose ne va pas, Severus ? lui demanda-t-il ingénument. Qu'est-ce qui te fait pleurer comme ça ? »

Severus cessa de respirer : son cœur battait à tout rompre. Mais de quoi ce crétin, à qui il ne se souvenait pas d'avoir jamais adressé la parole, de quoi se mêlait-il ? Severus fit volte-face, prêt à lui jeter une phrase blessante à la tête. Mais la bonté qu'il lut sur le visage de Remus le désarma. Le Maraudeur ne riait pas. Il avait l'air de s'inquiéter. Severus ne savait pas s'il devait s'en sentir touché ou avili. Ce n'était pas tous les jours qu'un garçon lui demandait comment il allait. Lily était bien la seule à se soucier de son état psychologique.

« Rien, éluda Severus. C'est juste que… je me suis pris un vent ».

Il se voyait mal donner plus de détails à ce garçon qu'il connaissait à peine.

« Ce sont des choses qui arrivent, compatit poliment Remus. Les filles sont parfois…

– Ce n'était pas avec une fille », le coupa abruptement Severus, sans trop savoir pourquoi il tenait tant à cette rectification.

Les yeux de Remus s'écarquillèrent.

« Ha… », béa-t-il d'un air vaguement niais.

Severus se ratatina contre son lavabo, auquel il s'accrochait à présent comme à une bouée. Lui aussi se sentait stupide : qu'est-ce qui avait bien pu lui passer par la tête ? Pourquoi avait-il corrigé Remus ? L'autre allait s'imaginer que… et il aurait raison.

Severus tenta de relativiser les conséquences de la bombe qu'il venait de lâcher. Visiblement, Remus n'était pas animé de mauvaises intentions ; il n'irait pas le crier sur tous les toits. De toute façon, il n'en pouvait plus du mensonge permanent qu'était devenue sa vie depuis qu'il avait découvert son attirance pour les garçons.

Remus s'était ressaisi. Très sérieusement, il s'excusa.

« Je ne savais pas que tu préférais... enfin, que tu étais… » balbutia-t-il ensuite, avant de s'ensabler.

Remus paraissait gêné à l'idée de préciser sa pensée. Le bassin toujours appuyé contre le rebord du lavabo, Severus l'observait en silence. Remus craignait-il de se salir la bouche ?

« Que j'étais… ? répéta Severus en fronçant les sourcils.

– Oh, je ne te juge pas, crut bon de mentionner Remus. Sur le sujet, je ne partage pas l'opinion… de certains, ajouta-t-il dans une allusion à peine voilée à ses amis. D'ailleurs… »

Dans une tentative désespérée pour rattraper sa maladresse, le malheureux Remus n'en finissait plus de s'embourber :

« … j'ai des amis qui sont comme ça. »

Mais quel ectoplasme ! pensa Severus, qui bouillonnait. Il se sentait à deux doigts de lui mettre son poing dans la figure. Allait-il le dire, à la fin ? Ce n'était pas compliqué. Cinq syllabes. Ho-mo-se-xu-el.

Severus se força à se calmer. Ce Remus ne semblait pas si méchant : il était juste bête comme ses pieds, dépourvu de la moindre subtilité. Mais Severus ne voulait pas le planter là sans l'avoir un peu embêté auparavant.

« Puisqu'on en parle, allons jusqu'au bout, dit-il d'un ton sardonique. Tu me parles de tes amis, mais toi-même, es-tu comme ça ? »

Severus avait insisté sur le pronom ça, espérant que Remus saisirait le second degré de sa question. C'était juste une manière de le taquiner. Une aimable plaisanterie.

« Quoi ? balbutia ce dernier, comme pris les mains dans le sac. Enfin, je… je… »

Severus se délectait de l'embarras du Maraudeur. Chacun son tour, pensait-il. Avec une pointe de sadisme, usant de sa voix la plus onctueuse, il précisa sa question :

« As-tu déjà ressenti l'envie de coucher avec un garçon ? »

Naturellement, Remus, piqué au vif, allait faire mine de s'insurger, jurer ses grands dieux que, lui, personnellement, même s'il n'avait rien contre ça, bien sûr que non, il n'était pas… Et il se déciderait à prononcer le mot infâmant : « homosexuel ». Enfin, ça, ce serait s'il parvenait à rester poli. Sinon, il cracherait les mots « pédé » ou « tapette », en faisant des moulinets avec ses bras pour dissiper toute ambiguïté.

Mais, à la grande surprise de Severus, ce ne fut pas ce qui se passa.

Se décomposant sous ses yeux, Remus se mit à regarder le bout de ses souliers griffés.

Peut-être l'avait-il jugé trop vite, se ravisa Severus, pris d'un remords. Remus semblait doué de sensibilité. En cet instant, il lui paraissait même vulnérable. Il n'était visiblement pas de la même trempe que ses détestables amis. Severus devinait chez lui comme une faille – un traumatisme d'enfance, peut-être. Il songea que Remus était toujours resté muet sur l'origine des cicatrices qui le défiguraient. Il savait, en outre, qu'il connaissait, à intervalles réguliers, des épisodes de fatigue extrême, sans raison apparente. Son teint hâve, ses cernes, ses lèvres décolorées faisaient alors peine à voir. Il lui arrivait de s'endormir en cours. Certaines rumeurs le disaient malade. D'autres lui prêtaient des nuits mouvementées avec ses complices.

Severus, imperceptiblement, se détendit. Au fond, il lui ressemblait un peu, ce Remus.

« Parfois, il m'arrive de… me poser des questions » admit soudain Remus.

Et il se tut à nouveau. Le regard pudique qu'il promena alors sur le carrelage valait tous les aveux du monde.

Severus avait le sentiment de voir Remus pour la première fois. Avait-il bien entendu ? Ce garçon à la dégaine d'apprenti bûcheron se posait des questions sur son orientation sexuelle ! Il semblait pourtant à l'abri de ce genre de questionnements – Severus se targuait d'avoir un radar pour démasquer ses semblables. Il s'avisa aussitôt que cette révélation lui ouvrait des perspectives insoupçonnées : peut-être James, au fond, n'était-il pas si inaccessible qu'il en avait l'air. Il lui faudrait tirer cela au clair.

Toujours sonné de son insuccès du jour, Severus songea que Remus, avec lequel il n'avait maintenant plus de raisons de se gêner, tombait à pic. Car il avait furieusement faim de garçons. Il sentait Remus curieux. Serait-il tenté jusqu'à franchir le pas avec lui ? se demandait-il.

Lorsqu'il voulait arriver à ses fins avec un garçon, Severus savait faire preuve de culot. L'expérience lui avait, en outre, appris que les indécis du genre de Remus adoraient cela.

« Je vois, enchaîna Severus d'un ton faussement détaché. Et cela te dirait-il d'avoir la réponse ?

– Pardon ? trémula Remus en s'empourprant.

– Je veux bien me dévouer, insinua Severus en se rapprochant de son camarade, sur lequel il dardait à présent un regard effronté. Maintenant, si tu veux.

– C'est une proposition ? s'étrangla Remus.

– De toute évidence », murmura Severus.

Il y avait, au fond de ses yeux noirs, une lueur qui parut troubler Remus, qui recula.

« Je ne sais pas…, répondit Remus d'une voix étouffée, en fuyant son regard. Je ne suis pas sûr… »

Mais Severus sentait que les inhibitions de Remus étaient tranquillement en train de céder.

« Tu me trouves trop laid ? le provoqua-t-il gentiment – il avait fait un pas en avant et son épaule touchait presque celle de Remus.

– Non, pas du tout, protesta Remus en rougissant de plus belle. Tu es… enfin… J'aime bien les garçons dans ton style, tout menus. C'est juste que… en fait, je n'ai jamais… enfin, avec… te moque pas… tu vois ? », bafouilla-t-il en surprenant le regard amusé de Severus.

Il reprit enfin sa respiration. Cette confession semblait l'avoir soulagé d'un poids immense. Il prit la main de Severus dans la sienne, comme s'il eût voulu le remercier.

« Et toi, tu voudrais bien ? lui demanda-t-il timidement, comme si, après le rentre-dedans que venait de lui faire Severus, il pouvait encore douter de la réponse.

– A ton avis ? » soupira Severus, lassé de ces palabres.

Il dégagea sa main de celle de Remus, empoigna le col de sa chemise et l'attira contre lui. Celui-ci fit la grimace :

« Je dois te sembler bien niais, s'excusa-t-il.

– Tu l'as déjà fait avec une fille ? » esquiva Severus, qui espérait de toutes ses forces que Remus lui répondrait « oui ».

Il n'avait pas la moindre envie d'avoir à le dépuceler – il savait qu'il s'y prendrait forcément mal.

Heureusement, Remus opina de la tête.

« Plusieurs fois, confirma-t-il, comme s'il avait perçu l'anxiété de Severus.

– Et… ? s'enquit ce dernier, qui y croyait à moitié.

– La fille était très contente », lâcha Remus, fier de lui.

Severus en resta bouchée bée : ce garçon était-il un candide ou bien était-il en train de l'allumer ? Dans l'état de manque où Severus se trouvait, il n'en fallait pas plus pour le chauffer à blanc. Il allait voir tout de suite si Remus était le bon coup qu'il se vantait d'être. Il l'attrapa par le coude, le poussa sans ménagement dans la cabine la plus proche puis verrouilla la porte derrière eux.

Ils se dévisageaient en silence, essoufflés à la seule pensée de ce qu'ils s'apprêtaient à faire. Puis leurs corps se frôlèrent, se bousculèrent, s'enlacèrent confusément. L'endroit était si exigu qu'ils pouvaient à peine se mouvoir. Puis, sans un mot, chacun se mit à déshabiller l'autre. Ils lancèrent leur robe par-dessus la porte, pour ne pas s'encombrer, avant d'entreprendre d'arracher les boutons de leurs chemises. Ils étaient trop pressés pour s'appliquer. Severus remarqua, sans s'y attarder, qu'une étrange odeur de sous-bois imprégnait les vêtements de Remus. Déjà, ils en étaient à piétiner leurs chemises respectives.

Lorsqu'il découvrit le torse de son partenaire, Severus se retint d'éclater de rire : sous ses habits, il ne se l'était pas imaginé aussi velu ! Les poils bruns qui tapissaient sa poitrine ne parvenaient toutefois pas à dissimuler sa musculature, que Severus trouva anormalement développée pour un garçon de son âge. Il se dégageait de Remus un charme un peu animal qui n'était pas pour lui déplaire.

Remus, quant à lui, semblait complètement hypnotisé par la poitrine plate et maigre de Severus, qu'il se mit à caresser du bout des doigts.

Severus passa son bras autour de la taille de Remus et le plaqua contre lui. Tout en l'embrassant dans le cou, il dégrafait, de sa main libre, le pantalon de Remus. Une fois qu'il eût fait sauter la dernière agrafe, il glissa sa main dans l'espèce de caleçon que Remus portait en dessous et s'empara de son sexe. Il entendit Remus expirer lourdement. Le désir d'un garçon devait le tarauder depuis longtemps, car il était déjà au comble de l'excitation. Severus pouvait sentir pulser sa verge entre ses doigts.

Soudain Remus inclina la tête. Il cherchait les lèvres de Severus. Celui-ci tressaillit comme sous l'effet d'une décharge électrique. Sans un mot, il repoussa Remus.

Ce dernier n'insista pas, mais la déception se lisait sur son visage.

« On ne s'embrasse pas ? se hasarda-t-il à demander.

– On est là pour baiser. Tu verras ça avec un autre. »

Manifestement choqué par la crudité de Severus, Remus voulut répondre quelque chose. Mais le Serpentard ne le lui en laissa pas le loisir : il l'avait bâillonné avec sa main. Il n'aimait pas les partenaires bavards, ça lui coupait ses effets. Il plongea à nouveau sa main dans le caleçon de Remus et se mit à le paumoyer sans pitié. Ce dernier se mordait les lèvres pour ne pas crier. Bientôt, n'y tenant plus, il commença à haleter dans la paume de Severus. Puis à gémir d'une petite voix aiguë. La manière dont il essayait de se contenir arracha un sourire à Severus. Le bassin de Remus se frottait contre le sien au rythme des va-et-vient qu'il imprimait à sa verge congestionnée.

Au bout de trois minutes, Severus s'avisa qu'ils avaient perdu assez de temps : à tout moment, ils risquaient de se faire surprendre. Il défit son propre pantalon, qui tomba sur ses chevilles avec un bruit d'étoffe froissée. Remus cessa soudain de gémir. Son regard croisa celui de Severus : il paraissait pris de panique.

« Ne t'inquiète pas, lui souffla Severus, qui avait l'habitude de ce genre de réaction. C'est toi qui vas le faire.

– Tu… tu ne préfèrerais pas qu'on aille ailleurs ? murmura Remus, qui paraissait soulagé. Dans un endroit plus… confortable.

– Pour qu'on se fasse choper ? rétorqua Severus d'un ton sec. Tu as une idée de la manière dont on traite les gens de notre espèce ?

– Mais enfin, on n'est pas des bêtes ! » rétorqua Remus, d'un ton amer.

Severus ne répondit rien. Il prit la main de Remus et se mit à lui sucer l'index et le majeur en le regardant droit dans les yeux – il crut que Remus allait défaillir tellement cela avait l'air de lui plaire. Puis, sans lâcher la main de Remus, il lui tourna le dos, prit appui contre le mur du fond avec son autre main et se pencha légèrement en avant. Il guida alors les doigts de Remus entre ses fesses. Patiemment, il lui enseigna l'art de la préparation : enfoncer un doigt, puis l'autre, faire coulisser, écarter. Remus, très attentif, apprenait vite. Lorsque Severus se sentit assez détendu, il rendit sa liberté à la main de son partenaire et se cabra de manière suggestive. Il s'attendait à ce que Remus rentre immédiatement dans le vif du sujet – il devait être sur des charbons ardents.

Mais, une nouvelle fois, Remus le prit au dépourvu. De son doigt humide, il sépara la chevelure de Severus en deux bandes qui retombèrent chacune d'un côté de son cou, puis ses lèvres vinrent se coller à sa nuque trempée de sueur. Sa respiration se fit lente, profonde, comme s'il se repaissait de l'odeur de Severus. La tête dans le creux de son épaule, il se mit à l'embrasser amoureusement. De son autre main, il lui caressait le flanc, le ventre, le creux de la hanche. Lorsque son partenaire se piqua d'agacer ses mamelons, Severus ravala un soupir d'exaspération. Il était excité au point d'en avoir mal. Et l'autre le faisait languir avec ses tendresses absurdes.

« Mais qu'est-ce que tu fabriques ! grogna-t-il. On n'est pas là pour effeuiller la marguerite !

– Tu es sûr que tu es prêt ? chuchota Remus dans son cou. Je suis tellement à cran…

– Tais-toi et prends-moi, merde ! »

Remus l'embrassa à nouveau dans la nuque puis, empoignant ses hanches osseuses, il s'exécuta d'un vigoureux coup de bassin. Severus, dont la tête avait heurté le mur, se retint de crier. Soit il avait été trop confiant sur son degré de préparation, soit la nature avait été généreuse avec Remus – dans le feu de l'action, il ne s'était pas trop attardé sur son anatomie.

Bien que Severus eût tout fait pour la lui dissimuler, sa grimace de douleur n'avait pas échappé à Remus. Il s'immobilisa, marqua un temps, puis reprit son mouvement avec une infinie douceur. Severus sentait la douleur refluer peu à peu. Mais pourquoi fallait-il toujours en passer par là ? Heureusement, Remus n'était pas une brute. Il fit si bien que la douleur finit par s'évanouir. Severus se sentait bien, en confiance même.

« Ne te retiens plus », lui enjoignit-il.

Il ne fallait pas le dire deux fois à Remus. Il prit Severus au mot. La joue aplatie contre le carrelage, ce dernier commença à éprouver du plaisir. Beaucoup de plaisir. Un plaisir comme il n'en avait jamais connu. Car Remus, tout inexpérimenté qu'il prétendait être, s'appliquait à lui en prodiguer. Sa main droite avait quitté la hanche de Severus pour venir s'enrouler autour de son sexe. Tout en allant et venant en lui, il l'embrassait dans le cou et le caressait doucement. C'était délicieux, pensa Severus, qui sentait ses fesses trembloter. Avait-il jamais eu un amant si sensuel ?

Il s'était juré de rester muet, comme il le faisait d'habitude. Et pourtant, au bout d'une minute, il se mit à gémir, de manière de plus en plus bruyante. Il s'excitait lui-même avec ses cris. Bientôt, il entendit Remus soupirer son prénom à l'unisson.

« Tourne la tête vers moi, finit par l'implorer Remus – il semblait ne plus en avoir pour très longtemps. Je ne t'embrasserai pas, je te le promets ».

Severus se contorsionna pour regarder Remus. Celui-ci le fixait avec une intensité assez perturbante.

« Tu me rends fou », agonisa-t-il.

Sur ce, il accéléra à la fois le mouvement de son sexe et celui de sa main. Il ne cessait pas, pour autant, de couvrir de baisers le cou de Severus.

Attaqué de tous les côtés, Severus peinait à résister à la vague de plaisir qu'il sentait monter inexorablement en lui. Le mur auquel il s'agrippait était – il l'aurait juré – en train de tanguer.

Dans son cou devenu brûlant, les baisers de Remus se muèrent en suçons. Il le mordait même un peu, aux endroits où sa peau était plus épaisse. Sa main à la paume large et enveloppante coulissait sur sa verge de manière pressante. Severus avait peine à respirer. Pas de doute, Remus était déterminé à le faire jouir jusqu'à ce que mort s'en suive.

« Laisse-toi aller », lui susurra Remus à l'oreille, comme si ça ne suffisait pas.

Et le rythme de son bassin devint implacable. La main droite à présent agrippée à la nuque de Severus, il le labourait avec une fougue un peu folle.

Severus se sentait lâcher prise. Ses jambes flageolaient. Il ne parvenait plus à garder les yeux ouverts. Partant de ses entrailles, des détonations le secouèrent comme s'il n'était plus qu'une poupée de chiffons. C'était tellement puissant, il n'avait jamais connu pareilles sensations. Dans son dos, Remus redoublait d'efforts. Ce garçon était le diable. Severus émis un râle, cria le prénom de Remus, plusieurs fois, en réclama encore. Et il fit ce qu'il n'avait jamais fait pendant l'amour : il insulta son partenaire. De tous les noms d'oiseaux qui lui passèrent par la tête.

Remus avait pris Severus par le menton. Une nouvelle fois, il tourna son visage vers le sien. Il sembla satisfait de le voir ravagé de plaisir.

« Tu es si beau comme ça, Severus, chuchota-t-il. Je vais te faire hurler tous les gros mots de ton répertoire. »

Il le pénétra plus profondément encore. Comment était-ce possible ? pensa Severus en fermant les yeux. Le sexe de Remus semblait infini. Il devait y avoir de la sorcellerie là-dessous !

Severus ouvrit grand la bouche. Il manquait d'air. C'était comme si un torrent de lave s'était répandu dans ses veines. Il perdit conscience de l'endroit sordide où il se trouvait ; de ce garçon contre lui qui sentait l'ours ; de l'écœurante odeur de détergent qu'exhalait, entre ses jambes, la cuvette des toilettes. Son corps, agité de violents spasmes, cessa de lui appartenir. Il s'entendit feuler, geindre, hoqueter, hurler des mots obscènes. Il tapait contre le mur comme s'il eût cherché à le défoncer. Enfin, il se raidit et la jouissance, comme une rafale, l'emporta au loin. Tout devint blanc. Il flottait.

Remus l'avait retenu pour l'empêcher de tomber. Malgré son hébétude, Severus l'entendit distinctement réprimer une espèce de rugissement. Il était venu, lui aussi.

Les garçons laissèrent leurs corps enchevêtrés glisser le long de la cloison puis s'affaler à terre. Ils étaient tous deux hors d'haleine. Il leur fallut quelques minutes pour reprendre leur souffle et leurs esprits.

Remus aida Severus à se relever, l'essuya avec du papier, alla rechercher leurs robes à l'extérieur de la cabine, insista pour reboutonner la chemise de Severus.

Puis il se regardèrent avec l'air de ne pas savoir quoi se dire. Remus osa une plaisanterie sur les cris qu'avait poussés Severus au plus fort de sa jouissance, les comparant à des hurlements de loup. Severus, lui, ne savait pas au juste ce dont il avait envie en ce moment : gifler Remus pour le punir de l'avoir fait crier comme ça ou bien, pour les mêmes raisons, le supplier de recommencer ?

« On a dû t'entendre prendre ton pied jusqu'à l'autre bout du château, gloussa Remus. Ce n'est pas toi qui m'expliquais qu'on devait rester discret ? »

Severus s'était planté devant le miroir.

« Te marre pas, idiot », maugréa-t-il – il en avait mal à la gorge.

Remus était décidément un petit cachottier, se dit alors Severus tout en se recoiffant avec ses mains. À croire qu'il avait prémédité ce qu'il venait de se passer. Mais peu lui importait. Seul comptait le résultat : à la différence des autres fois, Severus ne se sentait pas sale. Juste repu. Ses yeux brillaient, ses joues rutilaient. On ne voyait plus son nez. Il était beau. Même James succomberait à le voir ainsi.

« Severus ».

Il sursauta. Dans le reflet du miroir, Remus le regardait tristement.

« Tu ne veux toujours pas m'embrasser ? » lui demanda-t-il d'une voix éteinte.

Severus se crispa. Sans se retourner, il fit non de la tête. Puis, d'un bond, il sortit, laissant Remus derrière lui. Il remonta le couloir à toute allure. Et dire que c'était à Remus qu'il devait d'avoir ressenti son premier orgasme. Ce qu'il pouvait être irréfléchi ! Comment avait-il pu être naïf au point de croire qu'il s'en tirerait sans dommage ? Il se serait donné des gifles.

Les circonstances qui avaient conduit à ce que Severus se retrouvât invité à la garden party des Gryffondor étaient assez obscures. Il avait cru comprendre que c'était Lily, soutenue par Remus, qui avait insisté pour qu'on ajoutât son nom sur la liste. Après bien des réticences, Sirius et James, qui étaient à l'initiative de l'évènement, avaient fini par accepter.

« C'est bien pour te faire plaisir, Lily », avait ajouté James, qui semblait avoir avalé un balai.

La vérité, c'était que la veille, James avait été convoqué dans le bureau de la directrice de Gryffondor. Slughorn, son homologue de Serpentard, était également présent. Raide comme la justice, McGonagall avait alors prononcé le mot « harcèlement scolaire » avant de hurler que si James continuait à « importuner Mr Rogue », elle n'hésiterait pas à prendre des mesures disciplinaires. Elle était allée jusqu'à parler de renvoi définitif. Et ajouté que « Mr Black, lui non plus, ne perdait rien pour attendre ». Slughorn avait approuvé d'un hochement de tête avant de suggérer des excuses publiques pour l'affaire du porridge. James avait piteusement regardé ses pieds. Qui avait bien pu le dénoncer ? Severus lui-même ? Cette brave Lily, qui prenait toujours sa défense ? Quelque autre justicier du dimanche ? La mort dans l'âme, James avait dû promettre de ne plus recommencer. Et – même – de faire des efforts pour être agréable avec Severus ; ce qui lui avait permis d'échapper à des excuses publiques.

Bref, Severus avait trouvé un carton d'invitation dans son casier. « Les Maraudeurs ne t'embêteront pas, ils me l'ont promis », lui avait assuré Lily pour le convaincre de venir. « D'ailleurs, il t'aime bien, Remus, non ? » avait-t-elle ajouté avec un clin d'œil complice auquel Severus se garda bien de répondre. Ils s'étaient convenus de ne pas se raconter leurs coucheries respectives. Car Lily était jalouse. Et Severus, étrangement, aussi.

Après avoir hésité toute la nuit, Severus était finalement venu. Remus avait-il vendu la mèche ? se demandait-il avec anxiété alors qu'il marchait en direction du lac, sur le bord duquel la garden party devait se tenir. Il lui aurait fortement déplu que le moment d'égarement qu'il avait eu avec Remus arrivât aux oreilles des autres Maraudeurs.

Lily l'accueillit avec un grand sourire. De larges nappes à carreaux s'étalaient déjà sur l'herbe et trois filles s'affairaient à disposer la vaisselle. Un groupe de garçons se débattait avec un parasol à fleurs. Mary distribuait à qui en voulait les sandwichs au concombre qu'elle avait préparés le matin de bonne heure. Un garçon à lunettes, pas très dégourdi, essayait de trancher proprement un rosbif froid, pendant que trois autres le regardaient faire en commentant. Sous les regards énamourés d'un essaim de filles, Sirius faisait sauter les bouchons de bouteille d'un geste virtuose. Peter se promenait d'un air hagard, un bocal de cornichons à la main. Quant à James, chemise déboutonnée jusqu'au nombril, il bâillait aux corneilles, en prenant ses meilleures poses.

Severus était dans ses petits souliers. Car à part lui, il n'y avait là, évidemment, que des élèves de Gryffondor, dont, pour la plupart, il ne connaissait même pas le nom. Surgissant à ses côtés, Remus le salua d'une accolade et en profita pour lui donner un baiser furtif dans le cou. Severus, qui avait senti le rouge lui monter aux joues, jeta un regard anxieux autour de lui. Mary profita de son trouble pour lui faire accepter un de ses sandwichs, qui se révéla spongieux et insipide. Peter vint le renifler en lui tendant un saladier de chips. Sirius lui donna une tape derrière la tête en passant. Et James l'ignora, ce qui était le mieux qu'il puisse faire. C'était bien ce que Severus pensait : il n'avait rien à faire là.

Mais il faisait un temps magnifique. Et Sirius servit à Severus un vin frais délicieux qui lui monta aussitôt à la tête : est-ce à cause de la chaleur, de son estomac presque vide ou de la mauvaise nuit qu'il avait passée ? Severus se sentit tourner. Il s'assit sur une nappe à côté de Lily, qui lui tapota l'avant-bras en souriant. Remus lui tendit une assiette. Severus mangea en écoutant les plaisanteries que faisait un groupe de garçons. Alors que le soleil tombait d'aplomb, il se décida enfin à ôter sa robe, dans laquelle il étouffait, et à déboutonner sa chemise de deux boutons. Il reprit deux fois du dessert, du triffle aux fraises. Finalement, il ne se sentait plus si pressé de partir, même si le fait de se sentir en permanence déshabillé du regard par Remus était un peu embarrassant.

Les nappes furent repliées, les déchets jetés dans un grand sac et un quatuor de filles alla nettoyer la vaisselle dans le lac. C'est alors que quelqu'un – un jeune homme roux qui zézayait – parla d'aller se baigner. Tout le monde applaudit. Les habits commencèrent à voler tout autour de Severus. Fouillant dans leur sac, les filles sortaient des maillots de bain, des nattes de plage et de la crème solaire. Les garçons se déshabillaient de manière désordonnée ; certains avaient pensé à passer un caleçon de bain sous leur pantalon ; d'autres pratiquaient le naturisme. Les serviettes de bain s'entassaient sur le rocher à côté de l'étroit sentier qui descendait au lac.

Puis James, Sirius et Peter eux-mêmes entreprirent de se mettre à l'aise. Tétanisé, Severus se tenait légèrement à l'écart, avec Remus, qui ne semblait pas non plus vouloir se baigner.

« Remus, tu viens faire trempette avec nous ? demanda Sirius.

– Plus tard, peut-être, répondit Remus, en clignant de l'œil. J'ai besoin de me reposer.

– D'accord, acquiesça Sirius d'un air entendu.

– Et toi, Severus ? » demanda Peter de sa voix nasillarde.

Severus grinça des dents. Il aurait dû s'y attendre. James finissait de déboutonner sa chemise. Sirius, lui, était déjà torse nu.

« Hein ? insistait Peter, avec son air nigaud habituel.

– Non », lâcha Severus.

La vérité, c'était que Severus aurait préféré mourir plutôt que de se déshabiller devant eux. En plus, il savait à peine nager. Ils allaient se moquer de lui, à coup sûr.

« Quel dommage, on bavait déjà à la pensée d'admirer ta superbe musculature, ironisa Sirius.

– J'ai pas pris mon maillot », maugréa Severus, qui espérait s'en sortir avec cette excuse d'écolier – il n'en avait même pas, de maillot.

– Un quoi ? se récria Sirius avant de se mettre à rire à gorge déployée. Mais il n'y a que les gonzesses et les tapettes pour s'embarrasser de ce truc ! Moi, je me baigne toujours à poil ! Ça fait prendre l'air à ma queue ».

James s'esclaffa. Alors un léger différé, Peter, lui aussi, se mit à ricaner : il lui fallait toujours un peu de temps pour digérer les informations. Remus, lui, sembla se tasser. Quant à Severus, il ne bougeait pas, sidéré par la beauferie de Sirius. Soudain, Remus prit congé d'eux avec un signe de tête et s'éloigna d'un pas rapide. Severus le regarda entrer dans l'ombre majestueuse que jetait le grand hêtre sur la pelouse.

Cependant Sirius, penché en avant, dénouait ses chaussures. Lorsqu'il se redressa, il remit en place la mèche de cheveux qui lui était tombée sur l'œil. Cinq secondes plus tard, son pantalon s'écrasait sur ses chevilles. Severus s'efforçait de ne pas regarder. Sirius invectiva un groupe de filles qui caquetaient un peu plus loin.

« Hé, les filles, rangez vos yeux, vous allez me faire rougir ! » dit-il d'une voix de fausset.

Il avait bien vu que les filles avaient les yeux rivés à son corps d'athlète. Tout sourire, il banda alors les muscles de sa poitrine : il adorait qu'on le regarde.

Severus crut que l'intermède avait clos le sujet. Mais Peter revint à la charge :

« Une serviette, ça suffit, commenta-t-il pragmatiquement. Tu la gardes jusqu'à ce que tu sois au bord de l'eau. »

Et sous le nez de Severus, horriblement mal à l'aise, Peter agita celle qu'il avait pensé à prendre. Mais Severus n'avait pas même cet accessoire pour sauver sa pudeur. Pour corser le tout, Sirius et Peter étaient maintenant nus. Et James était en bonne voie de l'être également. Severus recula de quelques pas. C'est alors que Lily lui lança une serviette à la tête. Tout à sa confusion, Severus n'avait pas remarqué qu'elle se trouvait juste derrière lui.

« Tu as de la chance, lui dit-elle en souriant. J'en avais pris deux. »

Elle était déjà en maillot de bain. Sa main droite tenait un panier en osier, dans lequel étaient pliés ses vêtements. Discrètement, elle pointa son menton vers un bosquet qui se dressait à une vingtaine de mètres du rivage :

« C'est là qu'on s'est changé avec Mary, chuchota-t-elle à Severus. T'inquiète, on ne verra rien. Vas-y ! »

Severus hésitait. James le regardait du coin de l'œil avec un sourire goguenard tout en nouant sa serviette autour de sa taille. Avec Sirius, ils se mirent à marcher en direction du lac. Peter regarda bêtement autour de lui, comme s'il ne les avait pas vus partir, puis se précipita à leur suite comme un caniche.

« Ça te fera du bien », insista Lily.

Severus n'avait plus aucune bonne raison pour refuser. Alors, de guerre lasse, il se traîna jusqu'au bosquet conseillé par Lily, se déshabilla maladroitement, accrocha ses vêtements aux branches et enroula la serviette de son amie autour de ses hanches. Elle était rose et sentait l'adoucissant. Il ne pouvait pas être plus ridicule. De là où il était, il entendait James, Sirius et Peter qui s'ébrouaient déjà dans l'eau comme de jeunes chiens. Il hésita à s'enfuir.

Lorsque Severus finit par ressortir du bosquet, pieds nus, vêtu de son seul succédané de pagne, les regards se tournèrent vers lui. Le groupe de filles arrêta de pouffer. Peter éructa. Sirius, qui ramassait des cailloux sur la grève en prévision d'une bataille de ricochets, leva un sourcil. Lily, au-dessus de l'épaule de Mary, eut un regard en biais. Depuis le hêtre, au tronc duquel il s'était appuyé, Remus plissait des yeux pour mieux voir. James, lui-même, s'arrêta de nager. Dans la lumière éclatante de cet après-midi d'été, le corps de Severus était si fin, si pâle, si imberbe qu'il en semblait presque irréel.

James se prit à l'observer tandis que, se faisant une visière de sa main, Severus s'approchait à vive allure du rivage, visiblement impatient de disparaître dans l'eau. Chacun de ses pas imprimait une légère secousse à ses hanches étroites, dont on pouvait voir saillir les os. À proprement parler, le jeune Serpentard n'était pas beau ; mais il y avait, chez lui, un on-ne-savait-quoi qui suscitait la fascination. Sa silhouette semblait ne vouloir se conformer à un aucun standard masculin avec sa maigreur bizarre, sa grâce un peu gauche, son allure presque androgyne qu'accentuaient ses longs cheveux.

Ebloui par le soleil, auquel il n'était pas habitué, Severus, lui, n'eut conscience de rien. Quand il fut au bord du lac, il escalada un rocher, retira sa serviette d'un geste nerveux et se laissa tomber de toute sa hauteur. James, dont les yeux émergeaient au ras de l'eau, avait eu le temps, malgré tout, d'entrapercevoir son sexe. Cet organe avait toujours suscité, chez lui, une intense curiosité. Il se demandait comment Severus, chichement membré comme il pensait qu'il l'était, s'y prenait pour satisfaire Lily. Il avait fini par se convaincre qu'il devait tricher avec ses mains ou s'aider de sortilèges. Mais, en réalité, à la différence du reste de son corps, le sexe de Severus était d'une apparence et d'une taille tout à fait normale, hormis le fait qu'il était quasiment glabre.

Tête la première, James descendit jusqu'au fond du lac où frétillaient toutes sortes de créatures vaguement monstrueuses recueillies par Hagrid, puis il donna un violent coup de pied pour remonter à la surface. Sirius faisait des longueurs. James chercha Severus du regard, se demandant s'il oserait s'aventurer aussi loin que lui dans le lac. Il eut bientôt la réponse : Severus, qui nageait d'une manière empruntée, s'était à peine éloigné du bord et semblait avoir froid. Bientôt, il ressortit de l'eau, s'enveloppa prestement de sa serviette et retourna au bosquet presque en courant. James, qui se tenait toujours aux aguets tel un crocodile, put, cette-ci, se rincer l'œil avec ses fesses. Il fut surpris de les trouver aussi charnues que des pêches ; le reste de son corps était si désespérément longiligne…

Cette vision l'avait, bien malgré lui, troublé. Il mit son excitation sur le compte de la chaleur et de son abstinence forcée. Il resta longtemps immergé pour faire retomber la pression, nageant là où l'eau était la plus froide. Au loin, il vit Severus rejoindre Remus sous le hêtre. Ils se parlaient. Mais James était trop loin pour entendre ce qu'ils se disaient.

« Tu m'as donné chaud, chuchotait Remus, encore étourdi par la vision du corps nu de Severus s'élançant dans le lac. Que dirais-tu de remettre ça cette nuit ?

– Mauvaise idée, ponctua Severus, qui s'était laissé tomber dans l'herbe à côté de lui.

– Ne vas pas me dire que tu n'as pas aimé, je ne te croirais pas !

– On s'est trouvé ce soir-là, c'est sûr. Mais là n'est pas la question… Le problème, c'est que… tu as le béguin. »

Remus parut accuser le coup.

« Ça ne me dérange pas que tu n'aies pas de sentiments pour moi, se ressaisit-il brusquement. Je ne suis pas du genre compliqué. Je prendrai ce que tu as à donner…

– … pour essayer d'en obtenir davantage ! le contredit fermement Severus. Je sais très bien ce que ça fait d'aimer dans le vide. Alors trouve-toi quelqu'un d'autre. On pourra rester amis, si tu veux. »

Remus laissa tomber son menton sur sa poitrine.

« J'ai déjà assez compliqué avec Lily… murmura Severus, comme pour lui-même.

– C'est sûr que trois personnes dans un lit, ça commence à faire beaucoup… ironisa Remus.

– Arrête ! se récria Severus en tapant du poing sur le sol. Je ne suis pas avec elle !

– Vous êtes juste toujours fourrés ensemble à vous faire des papouilles…

– C'est mon amie ! C'est tout !

– Sûr ? le nargua Remus. Parce que tout le monde, à Gryffondor, est persuadé du contraire… James plus encore que les autres. Il s'est mis en tête de coucher avec elle avant la fin du mois. Tu devrais lui dire que c'est ouvert… »

Severus ne releva pas cette dernière phrase. Il se mit à mâchonner nerveusement un brin d'herbe.

« Lily voudrait, mais je la vois comme une sœur, reprit-il.

– Dans ce cas, qui ? grogna Remus d'un ton soudain agressif. Qui t'empêche de tomber amoureux de moi ? Mulciber, que tu dévores des yeux pendant les matchs de Quidditch ? Ne nie pas, Severus !

– Je ne dirais pas non, admit Severus. Mais je ne l'aime pas. ll ne regarde que les filles, de toute façon.

– La chose te bloque ? »

Severus se sentait perdre patience. Pourquoi Remus insistait-il autant ? Il avait envie de profiter de l'instant, pas de se chamailler avec lui. Il se laissa tomber en arrière et son corps dégingandé se déplia dans l'herbe comme une étoile de mer. Il entendait au-dessus de sa tête bruire le grand hêtre

« Si seulement on tombait amoureux en fonction de ses chances de succès, soupira Severus en fermant les yeux. En vrai, ça te tombe dessus comme la foudre sur cet hêtre. Et tu n'as pas d'autre choix que de faire avec. »

Remus avait quitté le tronc du hêtre et s'était assis à quelques centimètres de lui, jambe écartées. L'air maussade, il arracha un pissenlit d'un geste machinal.

« James, alors ? » suggéra-t-il avec l'air de ne pas y toucher.

Severus ne répondit rien. Les bras croisés derrière la tête, il avait décidé de faire semblant de dormir. C'était la seule manière de mettre fin à cette conversation qui n'avait que trop duré. Remus semblait abattu : il avait eu sa réponse.

James, justement, revenait de sa baignade. Il tiqua un peu en voyant Remus si près de Severus, l'air manifestement ému. Mais James connaissait son ami depuis assez longtemps pour savoir que les garçons ne l'intéressaient pas.

« Tu devrais aller faire un tour dans l'eau, lança-t-il à Remus en l'éclaboussant d'une volée de cheveux mouillés. Elle est super bonne ! »

James feignait d'ignorer la présence toute proche de Severus, qui semblait, de toute façon, s'être assoupi.

« Je suis fatigué », répondit Remus d'une voix traînante.

Il ajouta à voix basse :

« Je n'ai pas encore tout à fait récupéré de la dernière pleine lune.

– J'avais oublié », s'excusa James – tout s'expliquait.

James reprit ses vêtements, qu'il avait jetés en tas au pied du hêtre. Alors qu'il se redressait, son regard balaya l'horizon à la recherche des deux autres Maraudeurs. Si bien qu'il ne vit pas Severus l'observer subrepticement à travers ses longs cils.

James finit par apercevoir Sirius, qui sortait triomphalement du lac après avoir épaté la galerie avec son crawl de compétition. ll lui fit une mimique qui semblait dire : « Frimeur ! »

En cette fin de journée, la chaleur était écrasante. Et Remus, épuisé. Il s'allongea dans l'herbe à côté de Severus. James avait terminé de se rhabiller. Il observait Severus à la dérobée. La tête renversée en arrière, ce dernier s'était, cette fois-ci, définitivement abandonné au sommeil. Sa bouche s'était entrouverte et sa pomme d'Adam montait et descendait maintenant à intervalles réguliers le long de son cou. En se relâchant, les traits de son visage avaient perdu les plis d'amertume que James leur connaissait. Ce dernier s'avisa que, sans toutes les défenses qu'il mettait autour de lui, Severus était attirant.

Soudain, un frelon, qui cherchait quelqu'un à piquer, vint se poser sur le front de Severus. James, qui avait remarqué l'insecte, fit un pas en avant. Mais Remus fut plus rapide. Roulant sur son flanc gauche, il décolla son torse du sol en prenant appui sur son coude, se pencha juste au-dessus du visage de Severus et, d'une chiquenaude, chassa le frelon, qui disparut en tourbillonnant. Puis il regarda Severus dormir avec une telle intensité qu'il ne battait même plus des cils. Son désir pour le jeune Serpentard crevait les yeux. Son visage était si proche du sien qu'il semblait sur le point de l'embrasser.

À l'idée que Remus se décide à le faire, en mettant la langue, James se sentit tout émoustillé. La vision de Severus se laissant tomber nu dans l'eau clignotait confusément dans sa tête. James se figurait que Severus, réveillé à ce contact, prendrait Remus par le cou pour lui rendre son baiser ; puis que Remus le retournerait brutalement par terre, le déshabillerait sans lui laisser le temps de réagir et, à califourchon, lui ferait l'amour de manière bestiale, sans se soucier qu'on les vît. Imaginer le corps gracile de Severus en train de se tortiller sous celui, trapu, de Remus, était encore plus excitant que se figurer Leonor dodelinant de la tête entre les cuisses de Lily. Mais pourquoi ces images obscènes venaient-elles le hanter ? Décidément, pensa-t-il, il ne pratiquait pas assez.

Cependant Remus s'était arraché à la contemplation de Severus. Il détourna la tête, se laissa lourdement retomber sur le dos et s'étira en baillant avant de s'endormir, la tête inclinée du côté où gisait Severus. Lily se sépara de Mary, qui, assise sur un rocher, soignait une plaie qu'elle s'était faite au pied, et rejoignit les deux endormis d'un pas traînant. La nage l'avait fatiguée. Ses cheveux ruisselaient encore. Elle retira ses chaussures et, sans se formaliser de la présence de Remus à la droite de Severus, vint se coucher de l'autre côté. Comme l'avait fait Remus avant elle, elle tourna son visage vers Severus avant de se laisser glisser dans le sommeil. Le feuillage du hêtre jetait une ombre palpitante sur leurs corps immobiles.

Tout à coup, Severus s'agita légèrement, comme s'il rêvait. Un gémissement sourd lui échappa. Se retournant tantôt vers Remus, tantôt vers Lily, il finit par bousculer le premier, qui ouvrit un œil, se colla à lui, puis se rendormit. Deux minutes plus tard, Lily se rapprochait elle aussi, entremêlant sa chevelure à celle de Severus. Elle posa sa main sur le flanc du jeune homme, comme pour s'assurer qu'il était toujours là. À présent, les corps des trois dormeurs ne formaient plus qu'un.

À les voir ainsi soudés, James n'en croyait pas ses yeux : mais qu'est-ce qu'il avait, ce Severus, à aimanter tout le monde comme ça ? De nouveaux fantasmes germèrent dans la cervelle détraquée de James. Il emboîtait leurs corps respectifs en des combinaisons inédites, toutes plus jouissives les unes que les autres. Mais c'était à Severus, la pièce centrale du mécanisme, qu'il réservait les pires outrages. Severus, se répétait James en lui-même, comme un refrain. Qu'est-ce qui avait bien pu lui sembler grotesque dans ce prénom à la sonorité à la fois sifflante et caressante ? Il sentait remuer en lui un incompréhensible désir. Regarder Severus ne lui suffisait plus. Il aurait voulu l'arracher à cette double étreinte. L'avoir pour lui seul. Mais qu'est-ce qui lui arrivait ? Severus n'avait d'yeux que pour Lily, les indices concordaient. Et lui, il n'était pas comme ce vicieux de Remus, à reluquer Severus pendant qu'il dormait.

« Haheum », toussota Sirius à côté de lui, sa serviette mouillée sur l'épaule.

Sirius embrassait d'un même regard perplexe le trio de dormeurs et James, dont il n'avait pas échappé à son œil expert qu'il était tendu comme un arc.

« Excuse-moi de te demander ça, James, mais j'ai la vague impression d'avoir loupé un épisode, grommela Sirius en se grattant la tête d'un air gêné. Il se passe quoi entre vous, au juste ? Cela ne fait-il pas un peu trop de monde dans la même histoire ? Enfin, je ne dis pas ça pour critiquer, mais... »

Pour toute réponse, James haussa les épaules :

« Je ne vois pas de quoi tu veux parler, Sirius. ».

Il tendit le bras pour décrocher la serviette qu'il avait suspendue à l'une des branches du hêtre pour la faire sécher. Et, sans dire au revoir à Sirius, il se mit à marcher en direction du château.