Severus n'arrivait pas à dormir. Il repensait à Remus, qu'il avait croisé ce matin, plus cerné que jamais. Il aurait juré que son état s'était encore aggravé. Alors que la pleine lune commençait à se lever, une sorte de prémonition le traversa. Prenant garde à ne pas réveiller les camarades avec lesquels il partageait sa chambre, il se leva pour aller s'accouder à la fenêtre. C'est alors qu'il vit passer Remus en contrebas. La lune éclairait la scène comme s'il faisait jour. Remus marchait d'un pas précipité en tirant sur le col de sa chemise, la bouche grand ouverte, le visage contracté – il souffrait. Severus le suivit du regard : Remus semblait se diriger vers le parc.

Qu'allait-il y faire à cette heure ? se demanda Severus, soudain inquiet. Certainement pas se promener, car, outre qu'il était près de minuit, il pleuvait à verse. Severus bondit sur ses pieds, passa sa robe de sorcier sur sa chemise de nuit et s'élança dans l'escalier. Une fois dehors, il se mit à chercher fébrilement Remus du regard. Hélas, dans l'intervalle, ce dernier avait disparu. Alors, se fiant à ce qu'il avait cru comprendre de ses intentions, Severus alluma sa baguette et se rua en direction du parc. Il s'aida des empreintes de pas qu'avait laissées Remus sur le sol mouillé pour remonter sa trace ; celle-ci semblait le conduire tout droit au saule cogneur qui, de son branchage, fouettait la nuit pluvieuse.

Cette nuit-là, James se trouvait, lui aussi, dehors. Après avoir attendu Remus à l'entrée du parc, il l'avait accompagné jusqu'à mi-chemin, puis l'avait laissé rejoindre seul son repère avant de s'en retourner vers Poudlard. C'est alors qu'il avait entendu résonner un martèlement sourd, le bruit de quelqu'un qui court sur l'herbe. Il s'était jeté derrière un arbre, d'où il avait vu passer Severus, qui fonçait comme un dératé ; il n'aurait jamais pensé qu'il pût être si véloce avec des jambes aussi inconsistantes.

Ce ne fut qu'une fois que Severus l'eut dépassé d'une vingtaine de mètres que James comprit qu'il cherchait à rattraper Remus. Il hésita à rebrousser chemin pour le suivre. Rusard rôdait sûrement dans le coin, prêt à le confondre. Objectivement, il n'avait aucune bonne raison d'être là à cette heure. Et il redoutait qu'une retenue inopinée lui fasse rater une nouvelle séance d'entraînement. De toute manière, se disait-il pour se rassurer, Remus avait suffisamment d'avance sur Severus. À cette heure, il avait sans doute rejoint la cabane hurlante. Et à supposer que ce ne fût pas le cas, Severus n'avait aucune chance de l'intercepter : il ignorait le moyen d'accéder au tunnel.

James reprit sa route, s'entêta une vingtaine de mètres. De nouveau, il s'arrêta. Quelque chose comme un mauvais pressentiment palpitait dans son cou. Il fit volte-face et revint sur ses pas. D'abord, il marcha. Puis il se mit à courir. À plusieurs reprises, il dérapa dans la boue. Il croisa Peter, qui clopinait en sens inverse. Ce dernier lui cria qu'il devait rentrer au château, qu'il avait vu palpiter une lanterne, qu'ils allaient tous se faire prendre. James le traita d'imbécile et se mit à courir de plus belle. Il aperçut, au loin, la haute silhouette de Sirius ; il s'était abrité de la pluie sous le saule cogneur.

« Dis, Sirius, tu n'aurais pas vu passer Rogue ? » demanda James, hors d'haleine.

Appuyé contre le tronc, Sirius tirait négligemment sur une cigarette, avec cet air d'aristocrate décadent qu'il se plaisait à affecter.

« Si », répondit-il, laconique.

Il exhala une bouffée de fumée ; à l'odeur, c'était manifestement des cigarettes moldues.

« Y a pas deux minutes », précisa-t-il.

James regarda rapidement autour de lui ; mais Severus était invisible.

« Et tu saurais où il est, par hasard ?

– Ouaip, sourit Sirius en dévisageant James. Il voulait savoir où était Remus. Alors je lui ai dit pour la racine. »

James tressaillit: son meilleur ami n'avait tout de même pas fait ça !

« Tu veux dire que Rogue est dans le tunnel à cette heure-ci ?

– Exact, répondit Sirius avec une hauteur exaspérante.

– Mais… mais… tu es complètement cinglé ! s'étouffait James.

– De lui avoir révélé l'existence du mécanisme ? demanda innocemment Sirius en écarquillant ses beaux yeux gris. Il voulait rejoindre son Remus. Je l'ai juste… aidé. »

James ne parvenait plus à contenir son ressentiment :

« Mais tu es con ou quoi ? hurla-t-il en serrant les points. Remus a achevé sa transformation à l'heure qu'il est ! Il va le tuer ! »

La tête toujours appuyée contre le tronc du saule, la cigarette entre les doigts, Sirius affichait à présent un sourire mauvais.

« Et ? rétorqua-t-il avec un sang-froid qui glaça James. Si on nous demande, on dira que c'était un regrettable accident. Je lui ai seulement expliqué comment entrer. C'est lui qui a décidé d'y aller. Et toi, tu seras malheureusement intervenu trop tard… Pauvre Servilus. »

James ne voulait pas croire que Sirius pensait ce qu'il disait ; c'était un air qu'il se donnait.

« Tu aurais pu au moins l'informer de ce qu'il l'y attendait ! maugréa James. Cela l'aurait dissuadé d'y aller…

– Et pourquoi l'aurais-je fait ? le reprit Sirius. On a juré à Remus de ne révéler sa condition de loup-garou à personne, tu te souviens ? Si cela se savait, il serait ostracisé. Tu crois vraiment qu'on peut faire confiance à un étron tel que Rogue ? Si je le lui avais dit, il aurait tout balancé. Or je n'ai qu'une parole, moi, tu vois.

– Mais… mais…, balbutiait James, qui comprenait que Sirius était sérieux.

– Mais quoi ? le coupa sèchement Sirius. Tu voulais te faire Evans, n'est-ce pas ? Comme ça, tu pourras la consoler. »

James déglutit douloureusement ; il se sentait à un cheveu de sauter à la gorge de Sirius.

Pour le convaincre, il fallait attaquer sur un autre front :

« Lorsqu'il va redevenir lui-même, Remus s'en voudra à mort d'avoir tué Rogue, parvint à articuler James d'une voix calme. On ne peut pas lui faire ça… ! Alors viens m'aider à le sortir de là !

– Si tu veux mon avis, Remus nous en serait reconnaissant, corrigea Sirius d'un ton mordant. Entre nous, depuis qu'il s'intéresse à Servilo, on ne le reconnaît plus : il est triste en permanence, n'a plus le mot pour rire, parfois même il nous fait la morale. Tu l'as entendu lors de notre dernière sortie… J'ai envie de retrouver le Remus d'avant.

– Non, non », protestait faiblement James, ébranlé par les sous-entendus de Sirius.

Il n'était donc pas le seul à avoir remarqué l'attirance pathologique de Remus pour Severus.

« Enfin, ce que j'en dis, moi…, ajouta Sirius en chassant élégamment le nuage de fumée qui flottait devant lui.

– Ce n'est pas une raison pour envoyer Severus à la mort ! »

À ces mots, la bouche de Sirius exprima un tel dégoût qu'on eût dit qu'il allait vomir. Il jeta sa cigarette à terre.

« Tu l'appelles par son prénom, maintenant ! insinua-t-il en écrasant le mégot du pied. Ne me dis pas que, toi aussi, tu t'intéresses à ce type.

– Qu'est-ce que tu racontes ? » s'étrangla James.

Sirius s'approcha de lui ; il faisait presque peur :

« Tu crois que je ne t'ai pas vu le mater quand il dormait collé-serré avec Remus et la petite Evans ? mugit-il d'une voix haineuse. Tu étais à ça – il fit le geste avec ses doigts – de te palucher.

– Ce n'est pas lui que je regar… ! » tenta de se défendre James avant de renoncer.

Il n'aimait pas mentir.

« Ce n'est pas pour ça, objecta-t-il pourtant.

– Si ce n'est pas pour son cul, pourquoi te mêler de le secourir ? Il y a quoi d'autre d'intéressant chez lui ? Son âme ? Je ne suis pas certain qu'il en ait une.

– Parce que… ce que…, suffoquait James, ulcéré par le cynisme de Sirius.

– Joli cul, soit dit en passant, continuait Sirius d'un ton désinvolte, la tête inclinée de côté. J'ai pu le constater de mes yeux quand il est sorti du lac. Ça donnerait presque envie, j'avoue. Faut juste faire abstraction de sa gueule.

– Parce que… moi, je ne suis pas un assassin ! » finit par exploser James, dont les yeux s'étaient embués de larmes.

Actionnant la racine, James s'élança à toute allure dans le tunnel.

Il entendit, au loin, Sirius qui l'appelait depuis l'entrée, mais il ne se retourna pas. Sa baguette pointée droit devant lui, il se fraya un chemin dans l'obscurité sourde et humide du tunnel. Il s'en voulait à mort d'avoir perdu du temps à essayer de convaincre Sirius de l'aider dans sa quête. Où était Severus à cette heure ? Le retrouverait-il vivant ? Pourrait-lui parler ? Le tunnel paraissait interminable. James courait si vite que son cœur semblait vouloir éclater à tout instant dans sa poitrine.

Il trébucha, se releva, reprit sa course effrénée. Dans sa tête, les dernières digues qui le séparaient de Severus cédaient une à une : peu lui importait désormais qu'il fût un garçon ; que son meilleur ami l'exécrât au point d'envisager sa mort comme un soulagement ; que tout le monde autour de lui le trouvât bizarre et même un peu louche. James le prendrait dans ses bras. Il lui dirait tout. Et Severus comprendrait.

Enfin, devant lui, à la lumière de sa baguette, James vit scintiller une chevelure noire ; elle se balançait de droite à gauche et de gauche à droite, au-dessus d'une robe élimée et désormais trop courte. Cette démarche saccadée, James l'aurait reconnue entre mille.

« Rogue… Rogue… ! appela-t-il, le cœur au bord des lèvres. Attends ! »

Severus se retourna vers lui, mais sans cesser de marcher. Il ne paraissait pas surpris de le voir. Son regard était moqueur :

« Qu'est-ce qu'il t'arrive, Potter ? On est essoufflé ?

– Arrête-toi ! cria James hors d'haleine. Je… je t'en supplie.

– Pourquoi m'arrêterais-je ? lui lança Severus sur un ton dédaigneux.

– Parce qu'il y a quelque chose de… dangereux au fond de ce tunnel », répondit maladroitement James.

La menace était trop floue pour convaincre Severus de rebrousser chemin.

« Sans blague, quelque chose de dangereux ? répéta ce dernier en orientant le faisceau de sa baguette vers son visage. Quoi, par exemple ? La vérité de ce que vous êtes, Black et toi ?

– Qu'est-ce que tu racontes ? s'étonna James, qui était enfin arrivé à la hauteur de Severus. Je ne vois pas ce qu'on aurait à cacher. Mais si j'étais toi, je n'irai pas plus loin.

– Comme te voilà prévenant avec moi ! ironisa Severus. Je suis touché... Tu crois vraiment que je vais marcher, connard ? »

Sans cesser d'avancer, Severus empoigna James par le col de sa robe et le tira brutalement à lui :

« Où est Remus ? lui demanda-t-il sans desserrer les dents. Réponds !

– Je ne sais pas, mentit James. »

Il ne s'expliquait pas la hargne de Severus à son égard ; c'était la première fois que celui-ci l'insultait. S'était-il enfin décidé à lui faire payer tout le mal qu'il lui avait fait ?

« Tu te fiches de moi ? cracha Severus en le repoussant. Black m'a dit que Remus était au fond de ce tunnel. Il avait son petit sourire pervers ! Ça vous amuse de le martyriser, n'est-ce pas ? Remus m'a raconté comment on le traitait depuis que ça s'était su ! »

Severus marchait de plus en plus vite. James avait peine à le suivre. De quoi Severus parlait-il ? Qu'est-ce que Remus avait bien pu lui raconter ? James avait le sentiment qu'un malentendu était en train de grossir entre eux. Mais comment le dissiper sans, en même temps, divulguer le secret de Remus ?

« Ne sois pas stupide, haleta James. Remus est notre ami ! On veut seulement… comment dire… »

James pesa soigneusement ses mots ; il s'agissait de ne pas trop en dire :

« On ne fait que le protéger de lui-même.

– Intéressant comme concept…, siffla Severus. Et maintenant tu vas m'expliquer qu'en m'empêchant de le rejoindre, tu me protèges aussi de moi-même ? »

James sentait qu'il lui fallait trouver un bon argument, là, tout de suite car, au train où ils progressaient dans le tunnel, ils en auraient bientôt atteint le bout. Mais James était toujours tiraillé entre la peur de trahir Remus et celle de perdre Severus. Dans un ultime dilemme, la seconde finit par l'emporter.

« Il faut que tu saches que Remus n'est pas celui que tu crois, commença prudemment James.

– Je suis bien placé pour savoir ce qu'il est, figure-toi ! le corrigea Severus d'une voix acide. C'est moi qui l'ai déniaisé ! Mais je ne vois pas en quoi la chose devrait poser problème. »

James s'immobilisa net et ouvrit de grand yeux : il lui semblait être tombé de quatre étages. Severus venait-il bien de lâcher qu'il avait « déniaisé » Remus ? Et lui qui croyait que leur relation était à sens unique ! James sentit un froid glacial l'envahir. Après avoir été un objet de fantasme, la pensée de Severus dans les bras de Remus lui était désormais intolérable.

Severus, lui aussi, s'était arrêté. Son corps tout entier tremblait de colère : jamais James ne l'avait vu dans un état pareil, même lorsqu'il s'était battu avec Sirius. Severus parut se formaliser de la stupeur qui se lisait sur son visage.

« Cela ne fait pas de nous des monstres, que je sache ! » s'écria Severus avec un accent déchirant.

Il avait les larmes aux yeux.

« Je… je crois qu'on ne parle pas du tout de la même chose », déglutit James, qui commençait à comprendre.

Severus lui lança un regard surpris, haussa les épaules et se remit en route, l'air plus déterminé que jamais. James lui emboîta aussitôt le pas

« Écoute-moi, je t'en prie, juste un instant… » implorait-il.

Mais Severus marchait à toute allure. James n'arrivait plus à le suivre. Inexorablement, il s'éloignait.

« Severus ! finit par crier James. Severus !

– Ne m'appelle pas par mon prénom ! vociféra Severus en se retournant brusquement. Je ne veux rien avoir à faire avec toi ! Tu ne vaux pas mieux que cette pourriture de Black ! »

James ne savait plus quoi dire : l'agressivité de Severus le désarmait. Alors, profitant de ce que Severus avait légèrement ralenti le rythme pour riposter, il jeta ses dernières forces dans une embardée et le rattrapa. Sans savoir ce qu'il faisait, il le prit par le bras. En réaction, Severus le gifla avec une telle violence que le cou de James vrilla – le coup était parti trop vite qu'il pût l'esquiver. James tomba à la renverse et sa baguette lui sauta des mains. Severus profita de son étourdissement pour filer.

Lorsque James reprit ses esprits, Severus avait disparu de son champ de vision. Il n'entendait même plus le bruit de ses pas. Devant lui, il n'y avait que l'obscurité, une rumeur terrifiante et un vide terrible. Le cœur de James se serra. Il prit appui sur sa main, se pencha pour ramasser sa baguette. Il fallait qu'il se relève, qu'il le retrouve, qu'il le sauve de ce qu'il y avait là-bas, dût-il pour cela aller au bout de l'enfer ! La pensée qu'il pourrait lui-même mourir ne l'effleurait pas.

Soudain, au fond de la nuit, un hurlement retentit.

Ils avaient à peine fait vingt mètres après être sortis de la cabane hurlante que Severus, lui échappant des bras, tomba à genoux et vomit. Sans doute avait-il le ventre vide, car seule de la bile sortit de sa bouche. James regarda ailleurs. Une fois que Severus eut fini, il lui tendit la main pour l'aider à se relever. Mais Severus ne la vit pas. Les yeux écarquillés, le regard vide comme s'il revivait la scène, il paraissait en état de choc.

« Je ne peux pas y croire…, répétait-il de manière obsessionnelle. Pas Remus ! »

On sentait qu'il avait envie de pleurer, mais aucune larme ne sortait de ses yeux. James se pencha, souleva Severus par les aisselles et le remit sur ses jambes :

« Il ne faut pas qu'on traîne ici ! À moins que tu n'aies envie de mourir, bien sûr. »

James tenait à présent Severus par les épaules. Leurs visages étaient si près l'un de l'autre qu'ils se touchaient presque. Severus battait nerveusement des cils. Il semblait si vulnérable en cet instant... James éprouvait une absurde envie de l'embrasser. Ce n'était évidemment pas le bon moment. Il lui massa les épaules par pressions légères, pour le détendre.

« Après ce que je viens de vivre, mourir n'est pas le pire qui puisse m'arriver », murmura Severus comme pour lui-même.

Soudain, Severus se dégagea de l'étreinte de James et recula d'un pas. Comme s'il eût voulu reprendre la main sur ce qu'il venait de lui arriver, il le toisa de ce regard provocant qu'il avait souvent et qui le rendait assez irrésistible.

« Je suis sûr que tu vas te vanter partout de m'avoir sauvé ! Tu adores passer pour un héros, pas vrai ?

– Ne dis pas de bêtises ! répliqua vivement James. Je n'ai pas plus intérêt que toi à ébruiter cette affaire ! Moi aussi, j'ai eu peur. Sais-tu ce que nous allons faire ? Rentrer discrètement nous coucher, sans dire ce qu'il s'est passé. Personne n'en saura jamais ri… »

James s'interrompit. Ses yeux étaient tombés sur l'avant-bras droit de Severus ; il découvrit avec horreur qu'il était couvert de sang.

« Il a juste eu le temps de me griffer, murmura Severus en réponse à son regard. Il ne m'a pas mordu, heureusement. »

James retroussa la manche de Severus pour mieux voir ce qu'il en était. La plaie, qui semblait profonde, prenait la forme de cinq entailles parallèles. Elle saignait abondamment. En dirigeant le faisceau de sa baguette vers le sol, James constata que Severus marchait dans son sang.

James réfléchit trois secondes puis, d'un geste vif, il arracha une manche de sa chemise et la noua autour du bras de Severus.

« Qu'est-ce tu fiches, Potter ? lui demanda Severus, stupéfait.

– Tant pis pour la discrétion, je vais t'emmener à l'infirmerie. En attendant, je te garrotte. Sinon je crois bien que tu te seras vidé avant qu'on soit arrivé. »

Severus ne regimba pas. Sa perte de sang l'avait déjà bien affaibli. Lorsqu'ils sortirent du tunnel, il se mit à vaciller sur ses jambes. Il semblait être à deux doigts de s'évanouir.

James, qui marchait à ses côtés, le retint. Attendit patiemment que le rideau noir qui s'était abattu devant les yeux de Severus s'éclaircît. Puis il lui prit le bras, celui qui n'était pas blessé, et le mit en écharpe autour de son cou. Ils se remirent en marche. James avait passé son autre bras autour de la taille de Severus, qu'il serrait trop fort. La tête de ce dernier roulait par intermittences sur son épaule et James devait lutter plus que jamais contre sa lancinante envie de l'embrasser.

L'un soutenant l'autre, ils parvinrent péniblement à l'infirmerie. Derrière eux s'étirait une longue traînée de sang. James lâcha un instant Severus pour secouer Madame Pomfresh, qui s'était assoupie sur une chaise. Elle se réveilla en sursaut.

« Mais où étiez-vous, vous deux ? tempêta-t-elle. Rusard vous a cherché partout ! Vos professeurs se sont inquiétés ! »

Et dire que James avait pensé que leur escapade nocturne passerait inaperçue.

« Vous vous êtes encore battus ? » leur demanda ensuite Madame Pomfresh d'un air suspicieux.

Car la marque des doigts de Severus restait bien visible sur la joue de James. Le regard de l'infirmière se déporta ensuite vers le visage de Severus, qui était blanc comme un linge. Un petit clapotis se faisait entendre. Il fallut trois secondes à Madame Pomfresh pour comprendre quelle en était la source.

« Mais vous pissez le sang, mon garçon ! s'exclama-t-elle en lui offrant prestement sa chaise. Comment vous êtes-vous fait cela ? »

Severus s'y laissa tomber, la tête dans les épaules, et ne répondit rien. James l'aida à retirer sa robe, qui était imbibée de sang. D'un coup de baguette, Madame Pomfresh sutura la plaie. Puis elle délia le garrot qu'avait improvisé James avant d'administrer à Severus un remontant de sa composition. Ce dernier eut un haut-le-cœur en l'avalant.

Madame Pomfresh s'en alla alors prévenir le professeur McGonagall, laquelle jugea que l'incident était suffisamment grave pour qu'elle dérangeât le directeur en pleine nuit.

C'est ainsi que la noble silhouette de Dumbledore surgit dans l'encadrement de la porte, bientôt suivie par celle, fluette, de McGonagall. Ils étaient tous les deux en chemise de nuit.

« Et maintenant, jeunes gens, vous allez nous dire ce qu'il s'est passé ! intima Dumbledore, qui ne paraissait pas aussi en colère qu'il disait l'être. Toute la vérité, je vous prie ! »

James et Severus regardaient leurs pieds.

« C'est de ma faute », se lança Severus, toujours avachi sur sa chaise.

Il n'avait pas eu la force de se lever à l'arrivée de Dumbledore.

« Si cela est arrivé, poursuivit-il d'une voix faible, c'est parce que cette nuit j'ai… j'ai voulu suivre Lupin.

– À l'heure où il est parti, n'étiez-vous pas censé être dans votre lit ? le tança Dumbledore. Encore votre fichue curiosité, Mr Rogue ?

– J'étais… inquiet pour lui… Il semblait aller mal. J'ai trouvé suspect qu'il sorte à une heure aussi tardive. J'ai pensé qu'il allait peut-être… faire une bêtise.

– Au moins cela partait-il d'une bonne intention, convint Dumbledore d'une voix radoucie. Et ensuite ?

– Alors que j'approchais du saule cogneur, j'ai perdu sa trace. Et je suis tombé sur Black. Il fumait en cachette des cigarettes moldues, crut utile de préciser Severus, pas tant parce qu'il aimait cafarder que parce qu'il haïssait Sirius. Je lui ai demandé s'il avait vu passer Lupin. Il m'a répondu que si je voulais le retrouver, je n'avais qu'à appuyer sur une des racines du saule. La grosse, au centre. Je l'ai fait, le passage s'est ouvert et je me suis engagé dans le tunnel. Puis Potter m'a rejoint. Il a essayé de m'empêcher d'aller plus loin. Et là… on s'est battu. Ou plutôt je l'ai giflé un peu fort, admit Severus, dans ce qui ressemblait à un début d'excuse.

– Et pourquoi avez-vous refusé d'écouter les mises en garde de Mr Potter ? interrogea Dumbledore. En tant qu'ami intime de Mr Lupin, il était informé de son état.

– Parce que ce crétin me déteste tellement qu'il ne voulait pas croire que je cherchais à l'aider ! » intervint James en lançant un regard en coin à Severus.

Dumbledore eut un petit sourire. Severus fit comme s'il n'avait pas entendu ce que James venait de dire :

« Après ça, j'ai continué mon chemin et je suis arrivé à cette espèce de cabane qui semblait hantée. J'entendais quelque chose remuer, des cris étranges. Finalement, je suis entré et… »

Severus n'alla pas plus loin ; sa voix s'était brusquement cassée.

« Et vous avez été attaqué par Mr Lupin, qui était alors en pleine crise, compléta McGonagall en pointant son menton en direction de l'avant-bras de Severus.

– Par un monstre qui voulait me tuer ! rectifia Severus d'un ton horrifié. Remus, lui, ne m'aurait jamais fait cela !

– Et par quel miracle vous êtes-vous tiré de ce mauvais pas ? demanda Dumbledore dont les doigts jouaient avec sa barbe. Ils ne sont pas nombreux, ceux qui peuvent se vanter d'être sortis vivants d'une confrontation avec un loup-garou. Auriez-vous utilisé un sortilège de votre cru, vu que vous ne pouvez pas vous empêcher d'en inventer ? »

Severus mit du temps à répondre ; les mots qui suivirent semblèrent lui coûter un empire :

« Grâce à Potter, concéda-t-il du bout des lèvres. ll m'a sauvé », ajouta-t-il sans juger utile de donner plus de détails.

James, qui se tenait debout derrière Severus, se redressa légèrement. McGonagall eut un rictus presque indécelable et quitta la pièce.

De son regard perçant, Dumbledore dévisagea successivement James puis Severus.

« Finalement, à quelque chose ce malheur aura été bon, conclut-il avec une moue blasée. J'ose espérer que cet incident, que j'ai déjà oublié, vous aura réconciliés. Essayez de dormir un peu, à présent. Quant à vous, Mr Rogue, soignez-vous bien. Et tenez votre langue, je vous prie. »

Severus et James voulurent objecter qu'ils n'avaient jamais été amis et qu'il ne pouvait donc pas être question d'une quelconque « réconciliation ». Mais au moment où ils ouvraient la bouche, leurs regards se croisèrent. Chacun comprit ce que l'autre avait sur le bout de la langue, ce qui privait son énoncé du moindre intérêt. Dans l'intervalle, Dumbledore avait quitté la pièce.

Madame Pomfresh fit asseoir les deux blessés sur la table d'examen et les ausculta en détail. Elle ne trouva à James que quelques ecchymoses, lesquelles ne nécessitaient pas de traitement. En revanche, la blessure de Severus, parce qu'elle avait été causée par un hybride, la préoccupait : le risque d'infection était élevé. Elle appliqua une compresse pour finir d'étancher la plaie avant de la badigeonner d'un liquide fumant. Puis elle se mit à prospecter dans son armoire à pharmacie dont elle sortit plusieurs tubes, une paire de ciseaux et une boîte de bandages.

« Il faut que je descende à la réserve, grommela-t-elle. Je n'ai plus d'essence de Murlap. Quant à vous, ajouta-t-elle à l'attention de James, au lieu de traînasser ici, vous feriez mieux d'aller vous coucher ! »

Madame Pomfresh disparut dans un froufrou amidonné, abandonnant les garçons côte à côte sur la table d'examen. James regarda discrètement autour de lui. Quand il fut certain que Severus et lui étaient parfaitement seuls, il donna un coup de bassin pour se rapprocher de son voisin. Les mains posées sur les genoux, Severus semblait s'être transformé en statue.

Les deux garçons étaient à présent assis l'un contre l'autre. Mais ils regardaient droit devant eux. Un robinet goutait au loin. La main de James vint se poser sur celle de Severus, qui fit un bond mais ne s'enfuit pas. Puis leurs doigts, lentement, s'entrecroisèrent. James avait les oreilles qui bourdonnaient. Severus, lui, sentait son estomac se tordre. D'un même mouvement, ils se tournèrent l'un vers l'autre. Ils n'avaient pas besoin de mots pour se comprendre : leurs yeux brillaient. James prit Severus par le cou et approcha son visage du sien. Mais ce fut Severus qui l'embrassa en premier.

Sans doute était-ce cela, pensa Severus lorsque ses lèvres rencontrèrent celles de James, le sentiment que laissait le baiser du détraqueur : celui d'une aspiration par le vide. Sauf que dans son vide à lui flottait, de loin en loin, quelques souvenirs heureux, les rares qu'il avait gardés de son enfance : une discussion sous un chêne où Lily lui avait dit qu'elle l'admirait ; ce noël où une voisine, qui avait pitié de lui, lui avait offert un coffret de chimie amusante ; la fois où il avait enfin réussi à enfourcher un balai et la sensation du vent dans ses cheveux lorsqu'il s'était élevé dans les airs. Son premier baiser avec James ne laissait plus de place à autre chose que du bonheur.

James, lui, se demandait pourquoi il s'était si longtemps interdit d'aimer Severus. Ce qui avait bien pu lui faire peur en lui. Sans cesser de l'embrasser, il glissa une main dans sa chemise de nuit, dont il fit sauter un bouton, et lui caressa tendrement le flanc droit. Sous ses mains un peu calleuses, la peau de Severus était douce comme il l'avait imaginée. Ce contact suffit à le mettre dans tous ses états. Abandonnant les lèvres de Severus, il défit les trois premiers boutons de sa chemise de nuit et s'attaqua à son cou, auquel il se mit à infliger des suçons. Severus, qui avait plongé sa main dans les cheveux de James, semblait convulser.

Un raclement de gorge les ramena à la réalité : sous sa cornette, Madame Pomfresh les regardait d'un air qui paraissait osciller entre la réprobation et une curiosité amusée. Les deux garçons reprirent aussitôt leurs places initiales. Severus reboutonna sagement sa chemise de nuit. James expira à fond en essayant de penser à une chose répugnante.

« Je dois finir de soigner la blessure de votre camarade, expliqua patiemment Madame Pomfresh à James en dévissant le bouchon de la bouteille d'essence de Murlap. Aussi, auriez-vous l'amabilité, Mr Potter, de nous laisser ? En ce qui vous concerne, mon office s'arrête là… »

Elle darda un œil entre les cuisses de James :

« … car j'imagine que c'est le genre de mal dont vous préférez être soulagé par Mr Rogue ? »

James était devenu cramoisi. Il se laissa glisser de la table d'examen.

« Bonne nuit, Madame. À demain… Severus », murmura-t-il en s'éloignant à reculons.

Severus esquissa un clin d'œil.

Après un crochet aux toilettes, James marcha en direction des dortoirs, l'air hagard. Il ne savait plus où il en était. Jamais il n'aurait pensé qu'un jour il éprouverait des sentiments pareils pour un garçon, qui plus est du genre de Severus. Mais, en cet instant, c'était comme s'il l'avait toujours, obscurément, aimé.

Sur le coup de deux heures du matin, James réintégra à pas de loup la chambre qu'il partageait avec ses camarades Maraudeurs. Sa veste de pyjama roulotée au-dessus du nombril, Peter ronflait béatement en travers du matelas. Près de la fenêtre, le lit de Remus, dont les rideaux étaient restés grand ouverts, était encore vide ; les nuits de pleine lune, Remus ne revenait qu'au petit matin, une fois la lune couchée, et restait alité jusqu'au lendemain.

Sirius, lui, ne dormait pas : il se tenait assis en tailleur sur son lit. La clarté de la lune, tombant en diagonale entre les rideaux, donnait à son visage racé un aspect presque fantomatique. James et lui se dévisagèrent longuement à travers la pénombre. James était certain que son ami l'attendait, mais il n'aurait su dire, dans l'expression qu'il affichait en cet instant, ce qui l'emportait, de la vexation ou du soulagement.

Enfin, James se décida à rompre le silence :

« J'aurais apprécié de pouvoir compter sur ton aide ! lança-t-il à Sirius avec aigreur. C'est tout de même à cause de toi que je me suis retrouvé à risquer ma peau ! Et tu ne m'as même pas attendu pour rentrer ! J'espérais au moins te trouver à la sortie du tunnel !

– Pas ma faute, me suis fait choper par Rusard, bougonna Sirius. Il m'a confisqué mes clopes. Et cette vieille bique de McGonagall, quand elle m'a vue dans sa loge, elle m'a collé direct jusqu'à la fin de l'année, comme ça, sans explication. Je crois que je peux oublier le championnat de Quidditch. Quand je pense que ce gros lâche a réussi à passer entre les gouttes… », ajouta-t-il en lançant un regard chargé de mépris à Peter, qui dormait toujours.

Les lèvres de James s'étaient mises à trembler de colère : ce sale gosse ne lui demandait même pas comment allait Severus, comme si sa vie était une chose négligeable !

James s'entendit hurler :

« Vu ce que tu as fait ce soir, Sirius, tu peux t'estimer heureux de ne pas avoir été définitivement renvoyé ! ».

Les yeux de Sirius se rétrécirent. Depuis son lit, Peter, qui s'était mis à se retourner, grommela un : « Vos gueules, je pionce ».

« Renvoyé pour une mauvaise blague ? feignit de s'étonner Sirius avec un haussement d'épaules. Il n'y a pas mort d'homme. Tu as sauvé le cul de ce brave Servilus, n'est-ce pas ? »

James jugea préférable de ne pas répondre à cette nouvelle provocation. Après ce qu'il avait vécu cette nuit, il n'avait pas le cœur à s'accrocher avec Sirius, qu'il savait de toute façon irrécupérable. Il se glissa dans son lit, s'enfouit la tête dans son oreiller et s'endormit en repensant au baiser que Severus et lui avaient échangé. Il espérait que le réveil ne serait pas trop cruel.

De son côté, Severus passa la nuit à l'infirmerie. Il grelotait d'une fièvre bizarre que Madame Pomfresh attribua à un début d'infection. Elle le veilla jusqu'à ce qu'il s'endorme. Malgré le puissant élixir qu'elle lui avait fait ingurgiter et qui était censé soigner les traumatismes, Severus fut assailli de cauchemars : il n'avait de cesse de revivre le moment où il avait pénétré, hors d'haleine, dans la cabane hurlante. Il avait alors trébuché sur ce qu'il restait des habits de Remus, dont les lambeaux s'éparpillaient partout sur le sol, avant de voir se retourner face à lui une créature aux yeux jaunes dont le visage difforme ressemblait confusément à Remus, mais dont le corps et la voix n'avaient plus rien d'humain.

Severus se souvenait avoir hurlé à s'en rompre les cordes vocales, puis avoir éprouvé une douleur terrible, comme si on lui eût arraché un membre, avant d'être emporté, pantelant, par des bras inconnus. Il revoyait enfin le visage bouleversé de James tout près du sien. Cette vision avait instantanément rendu ses rancœurs dérisoires : comment en vouloir à un garçon qui, tout ayant peur, avait risqué sa vie pour sauver la sienne ?

Lorsqu'au petit matin, Severus se réveilla, la tête lourde, le corps ruisselant de sueur et l'avant-bras encore douloureux, il fut étonné de trouver Mulciber assis sur la chaise à côté de son lit – Madame Pomfresh devait être partie se coucher.

« Comment vas-tu, Severus ? » lui demanda Mulciber, d'un air sincèrement inquiet.

Son camarade l'avait-il vu s'agiter dans son sommeil ? pensa Severus en se frottant les yeux. Que faisait-il ici ? Depuis combien de temps était-il là à le regarder ?

« La nuit dernière, quand j'ai vu que tu n'étais plus dans ton lit, je t'ai cherché partout, poursuivit Mulciber. Personne n'a su me dire où tu étais passé. Et je t'ai retrouvé ici ! C'était bien le dernier endroit où je pensais que tu étais passé. Que t'est-il arrivé ? »

Touché, malgré lui, par la sollicitude de Mulciber, Severus faillit répondre qu'il s'était fait attaquer par un loup-garou, mais aussitôt il se ravisa : Dumbledore lui avait demandé de garder pour lui le secret de Remus. Alors, du ton bourru qu'il se plaisait à affecter en présence de Mulciber, il se borna à répondre :

« Rien, une bêtise.

– Rien ? se récria Mulciber en montrant du doigt l'avant-bras de Severus, entouré d'un épais bandage. Tu me fais marcher, avoue ! Tu es blessé, n'est-ce pas ?

– Un stupide accident …, hasarda Severus, que la soudaine curiosité de son camarade mettait mal à l'aise, car elle ressemblait un peu trop à de l'affection.

– Pourquoi t'es-tu relevé en pleine nuit ? insistait Mulciber. Tu avais rendez-vous avec quelqu'un ? Tu as fait une mauvaise rencontre ? »

Son camarade de chambrée semblait chercher la confirmation d'un scenario qu'il avait échafaudé pour expliquer sa disparition inopinée.

« Ce n'est pas comme cela que les choses se sont passées », objecta mollement Severus, sans toutefois alimenter Mulciber d'une explication de rechange.

Mulciber rapprocha sa chaise, qui n'était pourtant pas bien éloignée du lit. Severus se raidit.

« Alors que je te cherchais dans le château, j'ai vu Sirius revenir du parc, reprit Mulciber. Il venait de se faire coincer par Rusard en train de vagabonder. Ce ne serait pas lui qui t'aurait agressé, par hasard ? »

A l'évocation de Sirius, Severus fut saisi d'une irrépressible bouffée de haine : il songea que l'inconscience de ce chien fou avait manqué de leur coûter la vie, à James et à lui.

« Non, répondit-il d'une voix éraillée. Mais… au fond… c'est tout comme. »

Mulciber eut une moue perplexe qui aurait pu rendre son visage comique s'il n'avait pas été aussi beau.

« Cette ordure m'a sciemment laissé faire quelque chose de dangereux sans rien m'en dire, ajouta Severus.

– Je vois, acquiesça Mulciber, sans chercher à approfondir – son opinion sur Sirius semblait faite. Cela ne m'étonne pas de ce gus. J'ignore pourquoi, mais il te hait. Je suis persuadé que s'il ne craignait pas de représailles, il t'éliminerait sans aucun état d'âme. En attendant, il fait courir des bruits sur toi. Sais-tu qu'il raconte partout que tu couches avec des garçons ? »

Piqué au vif, Severus s'efforça pourtant de tourner la chose en dérision. il était persuadé que la révélation de ses inclinations jetterait un froid entre eux. Or il éprouvait une reconnaissance sans bornes envers Mulciber, à qui il devait d'avoir acquis une forme de légitimité dans sa propre maison. Le voir prendre ses distances aurait été comme une répudiation.

« Sans blague ? » grinça finalement Severus.

Il se garda toutefois de démentir : s'il n'avait pas le courage d'assumer ce qu'il était, il n'était pas pleutre au point de faire semblant de juger la rumeur scandaleuse.

Hélas, sa tentative de sourire narquois faisait plutôt l'effet d'une grimace de douleur.

Les sourcils de Mulciber s'étaient rapprochés. Il ne semblait pas se résoudre à cette réponse. De ses yeux verts piquetés de tâches jaunâtres, il se mit à dévisager son camarade comme s'il cherchait à lire dans ses pensées. Troublé, Severus pensa que, jusqu'à ce matin, son camarade ne l'avait jamais regardé ainsi. Pour la première fois, il se demanda pourquoi, après l'avoir ignoré pendant la plus grande partie de sa scolarité, Mulciber s'était brusquement mis à s'intéresser à lui. Et pourquoi il tenait tellement à lui faire entretenir de bonnes relations avec Avery et Rosier, leurs camarades de chambrée, deux brutes épaisses que Severus peinait à apprécier. De manière générale, les fréquentations de Mulciber ne s'accordaient pas avec la sympathie que lui-même pouvait inspirer, avec ses manières posées et son tempérament charmeur. La seule chose qui rapprochait Severus d'Avery et de Rosier était son attrait pour la magie noire ; c'était d'ailleurs, avec le quidditch, leur unique sujet de conversation ; ils pouvaient en discuter des nuits entières.

Après un temps qui parut une éternité à Severus, Mulciber reprit lentement la parole, sans toutefois cesser de fouiller du regard le visage émacié de Severus :

« En tout cas, si Sirius s'imagine te nuire en répandant ce genre de rumeurs, il se fourre complètement le doigt dans l'œil ! Car figure-toi que ni moi ni mes amis n'avons de problème avec ça. »

Severus faillit rire en entendant Mulciber employer le « ça » qu'il avait déjà remarqué dans la bouche de Remus. Mais il ne savait pas trop quel crédit accorder à l'affirmation selon laquelle ses nouveaux amis ne se formaliseraient pas de la chose. Il voulait bien croire que Mulciber était compréhensif : celui-ci avait fait montre d'une patience infinie lorsqu'il s'était agi de le remettre à niveau en quidditch, l'aidant à se relever à chaque fois qu'il tombait, lui prodiguant des encouragements, essayant de trouver dans ses erreurs quelque chose à valoriser. Mais, s'agissant de l'ouverture d'esprit des deux autres, Severus était plus circonspect. Peut-être Mulciber cherchait-il simplement à lui faire reconnaître ses penchants, qu'il devait soupçonner – Severus ne niait pas avoir eu à son égard des regards déplacés. Mais en quoi cela pouvait-il bien l'intéresser ?

Severus n'eut pas le temps de pousser plus loin ses réflexions ; la porte de l'infirmerie s'était ouverte sur la silhouette mince et musclée de James. Mal remis des péripéties de la veille, le Gryffondor s'avança dans la pièce d'un pas traînant avant de s'immobiliser, l'air contrarié ; il venait de remarquer la présence de Mulciber. Aussitôt, ce dernier bondit sur ses pieds, prit congé en saluant Severus d'un hochement de tête et s'enfuit comme si l'idée de se trouver dans la même pièce que James l'insupportait.

Dans l'intervalle, Severus s'était redressé dans son lit. Dès que la porte se fût refermée, James vint s'asseoir, sans un mot, au bord du matelas. Severus le regarda par en-dessous, en contractant les narines. La coloration violacée de ses paupières, qui contrastait avec la pâleur un peu cireuse de son teint, donnait à son regard un éclat inquiétant. James remonta ses lunettes sur son nez bien que celles-ci fussent parfaitement en place.

James ne s'expliquait toujours pas son acharnement passé vis-à-vis de Severus. Ce dernier ne lui avait jamais manifesté de franche hostilité. Tout au plus lui avait-il lancé quelques piques au détour d'un cours, pour railler ses piètres performances scolaires. James prit alors conscience que ce qui l'avait longtemps horripilé chez Severus, et ce qui à présent le fascinait, c'était son détachement vis-à-vis de toutes les choses dont lui-même tirait sa fierté : sa jactance, son assurance virile, ses succès au quidditch et surtout ses conquêtes féminines. En public, Severus était mutique, absent et étonnamment passif. À la différence de James, il ne prenait pas soin de son apparence. Il promenait avec indifférence son nez impossible et sa silhouette maigre à faire peur comme s'ils n'étaient pas les siens. Même s'il semblait accessible aux compliments, il ne s'attribuait jamais la moindre qualité ; de manière générale, il ne parlait pas de lui-même et encore moins de ce qu'il ressentait.

James savait qu'il avait beaucoup à se faire pardonner de Severus : le sauvetage de la nuit dernière ne pouvait, à lui seul, effacer des années d'humiliations. Bien que James n'eût jamais eu froid aux yeux, une étrange timidité s'était emparé de lui. Il se rendait compte qu'il n'avait aucune idée de la manière dont Severus fonctionnait. La personnalité du Serpentard donnait l'impression d'être une forteresse inviolable. Par quoi commencer ? James aurait voulu pouvoir dire quelque chose, même de banal, pour briser la glace, telle que « Bonjour ! » ou « As-tu passé une bonne nuit ? », mais aucun son ne sortait de sa gorge, comme si on y avait coulé du plâtre.

De ses yeux noirs, Severus continuait de le fixer d'un air impassible, presque froid. James se sentit soudain honteux de son comportement de la veille ; peut-être, au fond, que Severus ne voulait pas ? Peut-être ce baiser n'avait-il été, pour lui, qu'une manière de lui témoigner sa reconnaissance ou, pire, un égarement passager ? Dans l'état de choc où le Serpentard se trouvait alors, cela pouvait se comprendre : celui qui avait failli le tuer n'avait-il pas été son amant ? James finit par se demander s'il n'avait pas abusé de la situation.

« Qu'est-ce que tu attends, abruti ? » finit par lui dire Severus d'un ton sec.

James n'était pas certain de comprendre ce qu'il voulait : des excuses sans doute ?

« Je suis désolé, se mit-il à bredouiller sans oser regarder Severus dans les yeux. Je me suis vraiment comporté comme un con. C'est que tu étais si… différent. Mon opinion sur toi a changé, mais je comprendrai que tu m'en veuilles… Dis-moi comment me faire pardonner.

– Embrasse-moi », répondit Severus à mi-voix, tout en fixant James de ce regard de défi qui le rendait si séduisant.

À ces mots, il posa sa longue main sur la cuisse de James qu'il se mit à malaxer d'une manière très suggestive. Ce dernier prit une profonde inspiration : l'aplomb de Severus, qu'il découvrait, avait de quoi faire perdre ses moyens même à un tombeur de son espèce.

« Si c'est ce que tu veux », articula-t-il d'une voix sourde en se rapprochant de Severus.

Il le saisit par le cou, sous l'angle que formait sa mâchoire, et caressa doucement sa jugulaire avec le bout du pouce. Puis il inclina la tête, ferma les yeux et happa la bouche de Severus, qui, sans lui rendre son baiser, ne s'y déroba pas. Après avoir un peu résisté, le Serpentard se décida à desserrer les dents ; James engouffra alors sa langue dans la cavité humide à la recherche de la sienne, plus insaisissable qu'une aiguille. Quand il finit par la trouver, il sentit Severus frissonner violemment contre lui, comme s'il expérimentait une sensation nouvelle, ce qui fit monter d'un cran l'excitation que James ressentait déjà.

Il enlaça étroitement le corps maigre et nerveux de Severus, dont les contours saillaient sous la fine chemise de nuit qu'il portait, puis glissa une main dans l'encolure et écarta de l'autre les cheveux qui masquaient le visage de Severus. S'ils n'avaient pas été à la merci de regards indiscrets, il l'aurait déshabillé pour pouvoir humer le parfum de sa peau. Sa main glissa ensuite de la chevelure de Severus à sa nuque qu'il empoigna sans ménagement pour approfondir encore leur baiser. La respiration de Severus devint entrecoupée ; sa main se crispa sur la cuisse de James, qui sentit une boule de chaleur remonter du ventre à sa tête.

« Tu me tues, haleta Severus en dégageant brusquement son visage de celui de James. Tu les bouffes comme ça, tes copines ? Les pauvres.

– Tu ne peux pas savoir comme tu m'excites, lâcha spontanément James – mais qu'est-ce qu'il lui prenait de dire des choses pareilles ?

– Je vois ça, chuchota Severus avec un sourire moqueur. Tu devrais apprendre à contrôler tes pulsions. Si j'avais la trique à chaque fois que je vois un garçon qui me plaît, je me serais fait griller mille fois. »

James s'efforça de ne pas rougir. Il ne pensait pas que Severus, qu'il s'était toujours figuré comme un intellectuel asexué, pût être aussi dégourdi dans ses manières ni aussi cru dans son langage. Ce garçon, en plus d'avoir un charme fou, était décidément plein de surprises. Mais quelque chose, dans tout cela, le chiffonnait ; ce Severus décomplexé ne collait pas du tout avec la romance un peu niaise que tout le monde, y compris lui-même, lui prêtait avec Lily.

« Si tu aimes tant les garçons, alors Evans, c'est juste une couverture ? demanda-t-il à brûle-pourpoint.

– Comment dire…, balbutia Severus, visiblement pris au dépourvu par la question de James. Pas exactement. Je l'aime… mais d'une certaine façon ; je veux dire qu'on ne couche pas ensemble… enfin… pas vraiment. »

Severus jugea préférable de s'arrêter là ; il se voyait mal raconter à James comment il leur arrivait, à Lily et à lui, de se « dépanner » pendant leurs périodes d'abstinence et encore moins le plaisir paradoxal qu'il prenait à donner de la joie à son amie – peut-être y trouvait-il un moyen de se racheter ?

L'irruption de Madame Pomfresh mit brutalement fin à leur conversation : les deux garçons s'écartèrent d'un air penaud. Le regard lourd de reproches, Madame Pomfresh congédia James au prétexte que Severus devait « se reposer ». Une fois dans le couloir, James s'avisa que les cours débutaient dans moins de dix minutes. Il remonta à son dortoir sans avoir pu prendre de petit déjeuner. Mais, en cet instant, c'était plutôt du corps de Severus dont il aurait voulu se rassasier. Il rassembla distraitement ses affaires de classe : trois manuels, un chaudron pliant, son plumier et une baguette neuve – l'ancienne, il l'avait perdue dans la cabane hurlante. Les confidences allusives de Severus ne laissaient pas de le perturber : il n'arrivait pas à comprendre ce que signifiait « aimer d'une certaine façon » et « ne pas vraiment coucher » avec quelqu'un. Sur ces deux sujets, ses idées à lui étaient limpides : il aimait Severus tout court et il voulait authentiquement coucher avec lui.