Lorsque James ouvrit les yeux, Severus dormait encore, couché sur le côté, face à lui. Son corps nu, blafard dans la lumière du matin, émergeait de la courtepointe jusqu'au nombril. James chaussa ses lunettes. Bien qu'il fît grand jour, et que les cours du matin eussent vraisemblablement débuté, il voulait prendre le temps de contempler son amant, qu'il n'avait fait qu'entrevoir la nuit dernière. Ses yeux s'attardèrent sur chaque détail de son anatomie, du suçon qui palpitait à la base de son long cou jusqu'à la saillie trop prononcée que formaient ses clavicules sur sa poitrine. James s'avisa qu'il n'avait jamais fait attention, jusqu'alors, à la longueur de ses cils, qui donnait à son regard une intensité singulière. Il approcha son visage si près de celui de Severus qu'il pouvait sentir le souffle de celui-ci réchauffer sa peau à intervalles réguliers. Il avait peine à se retenir d'enfouir son nez dans ses cheveux. Jamais il ne l'avait trouvé aussi attirant, malgré son nez d'oiseau de proie, sa maigreur maladive, sa silhouette aux proportions bizarres – à moins que ce fût cela, précisément, qui lui plût chez lui.

Severus rouvrit brusquement les yeux, comme si quelque chose l'eût surpris. En reconnaissant James, il esquissa un sourire. Ils s'embrassèrent longuement, intensément, leurs hanches emboîtées, et ne résistèrent pas à la tentation de se faire jouir avec leurs mains, se mordant réciproquement le cou.

Ils reprenaient leur respiration lorsque neuf heures du matin sonnèrent à la tour de l'horloge.

« On va se faire arracher la tête par McGonagall », s'avisa brutalement Severus qui, en six ans passés à Poudlard, n'était pas arrivé une seule fois en retard à un cours.

Il se leva et se mit à se rhabiller à toute allure. Avec mille précautions, James se redressa sur son séant ; la zone était sensible, douloureuse même, ce qui ne lui rappelait que trop bien la manière, inattendue pour lui, dont s'était terminée leur nuit. Par réflexe, il jeta un œil autour de lui, afin de s'assurer que le monde continuait d'aller son train. Par le cadre de la fenêtre, il vit, soulagé, le soleil briller d'un éclat indifférent. Et dans la vitre, son reflet lui sembla inchangé : c'était toujours le même visage aux traits fins et réguliers, éclairé par des yeux aux paupières légèrement tombantes et surmonté d'une chevelure noire et drue. Tout au plus l'extrémité de son long nez était-elle rougie d'avoir frotté un peu trop vivement contre les joues de Severus.

Il fut tiré de ses rêveries par un raclement de gorge :

« Rassure-toi, ça ne se voit pas sur ta figure, toussota Severus, qui l'observait d'un regard oblique tout en nouant ses chaussures. Et ce n'est pas moi qui vais aller m'en vanter.

– C'est comme si tu lisais dans mes pensées, répondit James, troublé.

– Pas besoin d'être devin pour comprendre ce que peut ressentir un hétéro en découvrant qu'il adore se faire prendre », ironisa Severus.

James voulut riposter, mais il ne trouva rien de sensé à opposer à cette saillie vipérine. Tout gêné qu'il fût, il devait l'admettre : lorsque Severus s'était mis à aller et venir en lui, il avait éprouvé, malgré la douleur, un plaisir fulgurant, inavouable, qui lui avait fait jeter tous ses principes aux orties. Il ne s'était plus soucié de contrôler quoi que ce fût. Il avait écarté les cuisses, haussé ses fesses, supplié, exhorté, hurlé des mots qu'il n'aurait jamais employés dans un autre contexte, qu'il s'étonnait même de connaître. Qu'aurait dit Sirius en le voyant se comporter ainsi ? Il pouvait imaginer sans peine ses métaphores ordurières.

« Tu penses que je refoulais des choses ? murmura James après un long silence.

– Peut-être as-tu juste élargi ton champ des possibles, sourit Severus, compatissant à son désarroi. Tu as pris ton pied avec des filles, n'est-ce pas ? Moi, je n'ai jamais réussi à aller jusqu'au bout...

– Avec Lily, tu veux dire ? »

Severus opina de la tête avant de commenter d'un ton amer :

« Le comble, n'est-ce pas ? La plus incroyable des filles… Pourtant, à moins de penser à un mec, je ne suis pas foutu de... enfin… »

James manqua de s'étrangler :

« Parce que Lily et toi… vous… vous… ?

– Tu n'avais pas compris ? s'étonna Severus, en essayant de se souvenir de la manière exacte dont il avait présenté sa relation avec Lily à James. Mais je te rassure, on ne fait que se caresser, comme elle avait l'habitude de faire avec son amie avant que celle-ci ne quitte Poudlard. »

James regarda Severus avec l'air d'un poisson en train de s'asphyxier :

« Mais c'est… c'est totalement malsain ! l'admonesta-t-il. Tu sais bien que ce n'est pas un jeu pour Lily ! Cette fille en pince pour toi !

– C'était son idée, se défendit Severus avec maladresse. Depuis que toi et moi… j'ai fait mon possible pour la dégoûter de moi. Elle va bien devoir trouver quelqu'un. Et on pourra redevenir amis, comme avant. »

Severus avait prononcé ces derniers mots avec espoir. James serra les mâchoires : il n'arrivait pas à admettre l'existence d'une proximité physique entre Severus et Lily. La chose lui apparaissait contre-nature, presque incestueuse. Severus ne pouvait pas toucher une fille et encore moins Lily, son amie d'enfance, sa confidente, sa sœur. Il n'avait évidemment cédé à ses avances que pour la retenir auprès de lui. Car, oui, comme il le lui avait dit un jour, il l'aimait, « d'une certaine façon », qui devait se situer à l'intersection du narcissisme, de la nostalgie et d'un attachement sincère.

« Ça m'étonnerait que Lily veuille de ton amitié », répliqua James.

Severus haussa les épaules ; de leurs rapports passés, le Gryffondor avait gardé le don de l'irriter.

« Grouille-toi », se borna-t-il à répliquer en lançant à James son pantalon froissé.

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En bon Gryffondor qu'il était, ce fut James qui prit l'initiative de frapper ; Severus, la cravate de travers, se tenait dans son dos. Derrière la porte, ils entendirent la voix du professeur McGonagall répondre par un « Entrez ! » glacial. James passa une tête, s'excusa laconiquement, puis entra, talonné par Severus, qui essaya de se faire le plus petit possible, même si ces derniers mois, il avait grandi au point de tutoyer Sirius.

Des visages surpris, d'autres railleurs, se tournèrent vers eux. Il y eut quelques rires étouffés. Des sous-entendus à voix basse. Puis quelqu'un siffla. Une voix, dans le fond de la classe, nasilla distinctement : « Qu'est-ce que je vous disais ! » Une autre, près de la fenêtre, s'exclama : « Comme ils sont mignons ! » La rumeur enflait comme la mer sous l'effet de la tempête. Mais pourquoi n'avaient-ils pas décalé leurs arrivées ? songea Severus, qui rasait le mur. Ainsi, ils auraient pu donner le change, et non l'impression qu'ils sortaient tout juste d'une nuit d'amour. À ses côtés, James gardait la tête haute, comme s'il était au-dessus de tout cela.

« Silence ! » ordonna le professeur McGonagall d'une voix cassante.

Et le silence se fit. Le regard étincelant du professeur de métamorphoses se tourna alors vers James et Severus dont elle considéra avec une moue de désapprobation la mine chiffonnée et la mise dépenaillée. En revenant du parc, ils étaient précipitamment remontés à leurs dortoirs pour chercher leurs affaires de classe, mais n'avaient pas eu le temps de se changer.

« Encore vous deux ! », s'exclama-t-elle.

James se préparait stoïquement à affronter une remarque assassine. Severus, lui, était blême comme s'il s'attendait à être renvoyé de Poudlard. Rajustant son chignon, leur professeur leur fit sèchement signe d'aller s'asseoir puis reprit son cours comme si celui-ci n'avait connu aucune interruption.

Pendant une fraction de seconde, James se félicita de s'en être tiré à si bon compte. Mais il déchanta bientôt ; car, dans les rangs des Gryffondor, la seule place encore vacante se trouvait entre Sirius et Remus ; juste devant Peter ; et à quelques chaises seulement de Lily. James réussit l'exploit de rejoindre sa chaise sans croiser le regard d'aucun d'entre eux. Une fois assis, il s'étonna toutefois de l'atonie de ses camarades, dont aucun ne sembla réagir à son irruption. Il n'aurait su dire que, de Sirius ou de Remus, semblait le plus abattu ; quant à Peter, tassé sur son pupitre, il suivait religieusement le cours. A tout prendre, James aurait préféré une blague salace à ce silence.

« Vous me faites la gueule ? osa-t-il leur demander.

– Tu voulais qu'on t'accueille avec des cotillons ? grommela Sirius. Tu nous fous la honte devant toute notre maison.

– Quant à moi, excuse-moi de ne pas me réjouir de votre bonheur, laissa échapper Remus sans regarder James.

– Je sais vraiment pas ce que tu lui trouves », grogna Peter dans son dos.

Cependant, de l'autre côté de la salle, Severus, en tapinois, prenait place entre Rosier et Avery. Ces derniers ne lui firent aucune remarque, se contentant d'un salut machinal. Assis au rang juste devant le sien, Mulciber prenait des notes avec application. Il profita de ce que le professeur McGonagall faisait la démonstration d'un sortilège pour se retourner subrepticement vers Severus :

« On s'inquiétait », lui lança-t-il, mais il ne paraissait pas contrarié ; il lui souriait, même.

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À partir de ce moment, le désir que ressentaient James et Severus l'un pour l'autre n'eut plus de frein : dès qu'ils en avaient l'occasion, ils se cherchaient, se trouvaient, s'entredévoraient de baisers, se dévêtaient de manière désordonnée, faisaient sauvagement l'amour dans les lieux les plus incongrus, mais de préférence – car Severus avait ses fantasmes, auxquels James était très réceptif – sur les bancs du vestiaire des garçons, profitant de ce que le lieu était désert entre les entraînements. Leurs ébats les laissaient à bout de forces, le corps moulu, la chair meurtrie. James n'avait jamais connu une entente sexuelle aussi parfaite avec un partenaire ni un tel sentiment de plénitude après l'acte. Quant à Severus, après avoir longtemps vécu le sexe comme une humiliation, il avait réconcilié son corps et son cœur : il se sentait choyé, il se laissait embrasser, il osait exprimer ses envies et, parfois, prenait des initiatives – même si, au plus profond de lui, et sans qu'il sût pourquoi, il préférait l'abandon à la conquête ; c'était précisément pour cette raison que James lui plaisait tant.

Une fois, ils avaient eu la folie de le faire après les cours, dans le cachot où Slughorn enseignait les potions : tout en gardant prudemment un œil sur la porte, James avait fait poser à Severus ses avant-bras sur une desserte avant de retrousser sa robe et de se plaquer contre son dos. Puis les fioles que supportait la desserte s'étaient mises à tintinnabuler au rythme de ses coups de reins. Au bout de quelques minutes, Severus avait recraché le bâillon qu'il s'était fait avec sa cravate pour laisser libre cours à ses cris. Furieusement excité à l'idée qu'on pût les surprendre, James n'avait pas tardé à se décharger en lui. Le miracle de l'orgasme que Severus avait connu avec Remus s'était alors reproduit. Avec un mélange de sidération et d'envie, James avait regardé son amant se contracter sous lui, cherchant de l'air avec sa bouche, se raccrochant à la desserte comme s'il se sentait tomber dans le vide, poussant des cris de goule à le rendre fou. Le long et pâle Serpentard était si beau en cet instant, avec le feu aux joues, le front en sueur, ses lèvres minces gorgées de sang, que James en aurait pleuré. Jamais, se disait-il pendant qu'il l'aidait à se rhabiller, il ne se lasserait de le voir et de l'entendre jouir.

Slughorn, dont le bureau était situé à quelques pas, n'ayant pas tardé à surgir pour demander ce qu'il se passait – bien qu'à son trouble manifeste, il n'était pas douteux qu'il le savait parfaitement –, James et Severus s'étaient convenus de se retrouver, à l'avenir, dans des lieux moins exposés.

Lorsqu'ils étaient en public, James, tout feu tout flamme, avait peine à feindre l'indifférence. Malgré les réticences de Severus, qui redoutait les moqueries – mais il faut croire que la popularité de son amant l'en protégeait –, il le tenait par la main lors de leurs virées à Pré-au-Lard, comme le faisaient les autres couples, ce qui n'était pas sans susciter des regards intrigués des passants. Et à la fin d'un match de Quidditch, où Gryffondor avait écrasé Serdaigle, James avait escaladé, plein de boue, la tribune des Serpentards et, dans l'ivresse de la victoire, avait donné un baiser fougueux à Severus sous le nez de Mulciber – même si son intention initiale, en plantant ses coéquipiers sur le terrain, n'était que de le serrer dans ses bras. Mais comment résister au sourire constipé qui avait échappé à Severus en le voyant enjamber les sièges pour le rejoindre ?

Bref, leur liaison n'était plus un secret pour personne – et James, qui détestait les faux-semblants, trouvait que c'était mieux ainsi. Au début, la chose avait fait grincer des dents à Poudlard, particulièrement dans leurs maisons respectives, qui voyaient d'un mauvais œil l'un des leurs s'acoquiner avec un élève d'une maison rivale. Il y avait aussi les admiratrices de James, inconsolables de le voir virer sa cuti après des débuts si prometteurs, et les esprits bornés qui, indépendamment de leur intérêt, condamnaient les amours entre personnes de même sexe. Et puis il y avait tous ceux qui les trouvaient juste mal assortis ; et qui, mauvaise langue, faisaient des paris sur le temps que durerait leur relation.

Car, à part le sexe, qu'on subodorait intense entre eux – il suffisait de voir comment ils se mangeaient des yeux –, qu'est-ce qui pouvait bien les rapprocher ? s'interrogeaient-on à voix basse lors des veillées où s'échangeaient potins et ragots. Comment un être beau et chaleureux comme James avait-t-il pu s'enticher d'un garçon maigrichon et rabat-joie comme Severus ? Quelques voix s'étaient élevées pour souligner l'esprit brillant du Serpentard, son sens de l'humour, un peu cruel certes, ou le charme que lui conférait son tempérament ténébreux. En revanche, tout le monde – même Sirius, qui savait pourtant être de mauvaise foi – admettait que les deux garçons semblaient follement amoureux. Et il n'avait fallu que quelques semaines, comme James l'avait prévu, pour que l'opinion publique cessât de s'en formaliser.

Entre les Maraudeurs, les relations avaient repris un cours presque normal. Les quatre amis avaient trouvé un arrangement tacite qui consistait à s'interdire d'évoquer leurs affaires de cœur. Ce fut ainsi par d'autres que James apprit que Peter s'était rabiboché avec sa petite amie, que Sirius faisait la cour à une plantureuse sixième année qui répondait au nom de Watson et que Remus passait beaucoup de temps avec Wilkinson, le gardien de but des Poufsouffle, un homosexuel assumé. Cette dernière information fut pour James un soulagement, car elle semblait signifier que Remus était, enfin, passé à autre chose ; il n'aimait guère l'idée de le voir tourner autour de Severus, avec qui il n'avait pas encore osé aborder l'embarrassante question de la fidélité.

James avait tort de s'inquiéter : depuis l'épisode de la cabane hurlante, Severus évitait Remus. Ce n'était pas qu'il lui tînt rigueur d'avoir failli le tuer, ni même de lui avoir laissé une cicatrice sur l'avant-bras – il compatissait au drame qu'était son existence. Seulement il était dérangé par le fait que Remus, en qui il avait cru se reconnaître, fût un hybride ; cette condition lui paraissait presque aussi monstrueuse que celle de moldu. Comment avait-il pu ne pas voir que Remus n'était pas tout à fait humain ? Se rappeler l'intimité qu'ils avaient eue, les confidences érotiques qu'ils s'étaient faites, les avances de Remus, encore réitérées la dernière fois qu'il l'avait croisé aux portemanteaux, lui était devenu insupportable. Ça lui apprendrait à coucher avec le premier venu !

En revanche, Severus avait voulu renouer avec Lily. Les rumeurs qui lui prêtaient une relation avec Norton, un Serdaigle de son âge, avaient remué en lui des sentiments plus complexes qu'il voulait bien l'admettre. Retenant Lily après le cours d'astronomie, il s'était excusé pour les paroles blessantes qu'il avait eues lors du cours de potions, mais celle-ci ne semblait pas disposée à lui pardonner. Comme Severus insistait, elle avait fini par lui cracher qu'elle était jalouse et que Severus devait choisir entre James et elle.

« Pourquoi ? avait demandé Severus. Je ne l'aime pas, lui, comme je t'aime, toi. Toujours ta manie des relations exclusives. Pour ma part, je ne vois aucun problème à ce que tu aies un amant. J'espère même qu'il te rend heureuse, car ce n'est pas mon fort.

– Ça n'est pas plus sérieux avec Andrew que ça l'était avec Leonor, avait rétorqué Lily d'un air maussade. J'aurais préféré perdre ma virginité avec toi, idiot ! »

Sur ces mots, elle s'était jetée sur lui et l'avait embrassé. Severus, pris au dépourvu, l'avait laissée faire avant de la prendre par les épaules et de la repousser doucement. Alors qu'il la tenait à bout de bras, il s'était fait la troublante réflexion que son amie avait encore embelli ces derniers mois : ses joues s'étaient creusées, ce qui lui avait perdre sa moue de poupée, et sa chevelure se terminait désormais à hauteur d'épaule. Et il s'était brusquement demandé l'effet qu'elle lui aurait fait avec des cheveux courts.

« On devrait arrêter cela, lui avait-il finalement dit. Je regrette d'avoir pu te laisser penser que…

– … ça pourrait être physique entre nous ? avait complété Lily d'une voix aigre. Tu n'as pas aimé ce que nous avons fait ensemble cet été ? Ce n'est pas toi qui m'a embrassée la dernière fois ? Toi que ça dégoûtait il n'y a pas si longtemps…

– Je ne pensais pas à toi ! affirma Severus d'un ton catégorique, même si ce n'était pas tout à fait vrai – il s'était dit que Lily aurait fait un ravissant garçon. Ce n'était pas cela, le marché ?

– Répète-le en me regardant, Sev'…

– Tu sais bien que je n'aime pas les filles, se défendit Severus en la lâchant.

– Mais, toute fille que je sois, tu aimes que je t'aime, pas vrai ? Ça te flatte ? »

Et elle tenta de l'embrasser de nouveau, mais Severus détourna vivement le visage.

« T'imaginerais-tu pouvoir me changer ? répliqua-t-il avec une irritation perceptible. Crois-tu que j'ai choisi d'être comme je suis ?

– Je suis plus une petite fille, je n'ai jamais été ta sœur, il n'y a rien à profaner en moi. Tu as le droit de me toucher, Sev'. »

Elle lui prit la main et la posa sur sa joue à elle. Severus la regarda d'un air navré et se pencha pour déposer un baiser sur son front.

« Pardonne-moi, murmura-t-il. Mais si tu me demandes de choisir, je choisirai…

– Un beau sang-pur né avec une cuillère d'argent dans la bouche ? »

Severus sentit son cœur se glacer ; son enfance minable, son origine fangeuse, sa laideur, tout lui remonta à la gorge comme une envie de vomir.

« Toi et moi venons du même monde, poursuivit Lily en laissant courir ses doigts sur le cou de Severus. Mais James ? Nous, nous savons le prix des choses, la vanité du paraître et la noblesse de l'effort. Mais lui ? Lui, l'enfant chéri de ses parents, lui qui n'a jamais connu ni le manque ni l'échec, lui si gâté par la nature et la naissance. Te souviens-tu de la manière dont il t'humiliait il n'y a pas si longtemps avec son ami Sirius, un autre garçon de bonne famille ? Tes remarques sur ton physique, tes habits de seconde main, ton comportement studieux, le fait que tu n'aies pas de cour autour de toi ? Nous, nous n'avons pas de position à préserver. Mais lui ? Crois-tu que parce qu'il s'est soudainement avisé que le sexe était bon avec toi, il va te présenter à ses parents ?

– Tais-toi, Lily », supplia Severus d'une voix faible.

Mais Lily faisait la sourde :

« Profite bien de ces derniers instants avec lui, Sev', car il te larguera bien vite pour se caser avec le bon parti que sa famille lui aura choisi. »

Severus recula brusquement, pivota sur ses talons et quitta la salle sans un mot. Il avait du mal à respirer et ses jambes flageolaient. Les paroles de Lily venaient de lui faire prendre conscience qu'il ne s'était jamais imaginé un avenir avec James. Tout au plus s'était-il inquiété d'être séparé de lui pendant les vacances de Noël qui débutaient à la fin de la semaine. Mais qu'adviendrait-il de leur histoire au terme de leur scolarité à Poudlard ? James continuerait-il à rechercher sa présence ? L'obsession qu'il manifestait pour lui n'était-elle pas une lubie d'adolescent attardé, qui prendrait fin avec son entrée dans la vie active, la nécessité de prendre rang dans la société, les nouvelles rencontres qu'il ferait ? Bien vite, sans doute, James voudrait fonder une famille et…

Severus s'enferma dans les toilettes pour pleurer.

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« Tu n'as pas de valise ? demanda James en regardant les mains vides de Severus.

– Je reste à Poudlard », murmura Severus le nez dans son écharpe tandis que les diligences qui devaient conduire les élèves à la gare approchaient au pas.

Severus grelottait, mais son visage était indéchiffrable. James écarquilla les yeux : il ne remarquait que maintenant que Severus ne portait pas de cape de voyage. James était tellement persuadé que ce dernier retournerait, comme lui, dans son foyer pour les vacances qu'il avait jugé vain de l'inviter à passer Noël chez lui. Car James y avait pensé. Il était même allé jusqu'à imaginer la manière dont il aurait présenté Severus à ses parents. Il leur aurait inventé un centre d'intérêt en commun ; en réfléchissant bien, il en aurait trouvé un qui fût crédible. Ses parents, qui avaient accepté la présence de Sirius l'été dernier, n'auraient évidemment pas posé de questions ni fait de difficulté ; la belle demeure qu'ils possédaient à Godric's Hollow était suffisamment vaste pour héberger une personne supplémentaire, d'autant que les cousins du côté de son père, devenus grands, seraient absents cette année.

Dans une agréable rêverie, James s'était vu faire visiter à Severus les lieux de son enfance. Il lui aurait montré la place du village, le reliquaire en or massif qui scintillait dans la crypte de l'église, le petit plan d'eau où il avait pêché des truites l'été dernier avec Sirius et qui serait certainement gelé à cette période de l'année. Ils se seraient donné des baisers derrière un saule pleureur. James lui aurait fait porter ses vêtements, pour qu'ils prennent son odeur. Il aurait insisté pour qu'il goûte le pudding aux griottes de sa mère. Et tous les soirs, à peine la maisonnée endormie, il l'aurait rejoint ; ce dernier l'aurait attendu, nu sur le lit, déjà prêt ; ils auraient fait l'amour en silence ; d'abord Severus en lui, puis lui en Severus ; ils l'auraient fait contre le mur ou à même le parquet parce que les vieux sommiers grinçaient ; enfin, au point du jour, James serait retourné dans sa chambre par l'escalier de service. Peut-être, plus tard, un jour, parce que les secrets étaient des prisons, finirait-il par le dire à ses parents. S'ils ne devinaient pas tout seuls. Il se demandait ce que dirait son père, surtout. Ce n'était pas le genre de sujet dont on parlait chez les Potter.

« Au revoir, James ».

Pris d'un remord, James faillit dire à Severus de faire sa valise et de venir avec lui, mais il était trop tard pour se raviser, sans doute ; Severus lui demanderait de son habituel ton pète-sec pourquoi il ne s'y prenait que maintenant ; sa mère soupirerait qu'il aurait pu la prévenir et que la bonne n'avait pas fait le lit ; et puis il allait faire attendre la diligence. Alors James répondit simplement :

« Au revoir, Sev' ».

Posant sa main sur l'épaule de Severus, il chercha ses lèvres, mais, comme ils n'étaient pas seuls, Severus le repoussa :

« Pas devant tout le monde, je te l'ai déjà dit ! Ça ne regarde que nous.

– Tu préfèrerais que j'aie honte de toi ? répliqua un peu vivement James, qui détestait être bridé dans ses démonstrations d'affection.

– Pourquoi aurais-tu honte de moi ? » repartit Severus avec plus de sècheresse encore.

James ne sut pas quoi répondre. Bien sûr qu'il n'avait pas honte de Severus. Il assumait totalement leur relation. Déjà, on chargeait les valises sur le porte-bagages et les élèves se bousculaient pour monter dans la diligence.

« Qu'est-ce qui se passe avec ta famille ? demanda-t-il brusquement à Severus. Pourquoi tu ne retournes pas auprès d'eux ?

– Pourquoi j'y retournerais ? répliqua Severus sans changer de ton cependant que ses yeux lançaient des éclairs.

– Tu vas continuer longtemps à répondre à mes questions par d'autres questions ? s'impatienta James. J'essaie juste de comprendre. De te comprendre. Je me rends compte qu'on n'a jamais parlé de nos familles respectives.

– La diligence va partir sans toi », le coupa Severus.

Faisant fi de la pudeur de Severus, James plaqua un baiser sur ses lèvres avant de s'engouffrer dans la diligence. Dès que la portière se fut refermée sur lui, il passa la tête par la fenêtre pour essayer d'apercevoir Severus, mais celui-ci avait déjà disparu.

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De toute la journée, Severus avait évité de se montrer au réfectoire. Il redoutait d'y croiser un de ses camarades d'infortune, qui n'aurait pas manqué de l'apostropher. Or il ne voulait voir personne. Il vivait comme une infamie le fait de devoir rester à Poudlard pour les fêtes. Mais pourquoi ne lui avait-on pas donné de quoi payer son voyage du retour ? Il aurait préféré endurer les disputes de ses parents entre la dinde et le pudding plutôt que d'être là, tel un objet mis au rebut, dans ce château presque vide, à dépérir loin de James.

James… Severus aurait voulu pouvoir l'oublier, mais ce matin-là, avant même le lever du jour, un grand-duc maculé de neige était venu toquer à la fenêtre de sa chambre. Severus dormait seul, en travers de deux lits qu'il avait rapprochés. Il s'était levé pour ouvrir et le volatile, secouant ses ailes, avait laissé tomber un paquet dans ses mains. Severus, fébrilement, avait coupé la ficelle, déchiré le papier, puis déplié un papier de soie moucheté d'or qui enveloppait un épais pullover. Pendant le déballage, une enveloppe était tombée par terre. Severus s'était penché, avait fait sauter le cachet puis lu :

« Pour que mon grand frileux se réchauffe en mon absence. J'espère que j'ai pris la bonne taille. Tu me manques. Joyeux Noël en avance. J. »

Severus avait dégagé le pullover de son emballage pour l'examiner avec attention. L'article n'avait rien d'une production ménagère. Il avait été acheté à Londres, dans une boutique de luxe, comme l'attestaient le sceau sur l'emballage, mais aussi le soin apporté aux finitions, les coudières en cuir, la légèreté et l'extrême douceur de la maille, sans doute du cachemire. Severus l'avait enfilé. Le pullover était un peu large, mais la couleur, une sorte de vert bouteille, flattait son teint et le col, qui montait jusqu'à sa mâchoire, habillait élégamment son long cou maigre. Le grand-duc attendait sa réponse sur le rebord de la fenêtre. Severus l'avait renvoyé d'un geste brusque, car il n'avait rien à lui remettre en échange. Ce cadeau, hors de prix, était venu lui rappeler que James et lui n'étaient définitivement pas du même monde.

Alors que Severus lisait, dos à la cheminée, dans le salon du rez-de-chaussée réservé aux invités – un lieu confortable et bien chauffé où les élèves n'étaient pas censés traîner, mais Rusard était en congé –, il se sentit soudainement faible. Une lointaine odeur de poulet rôti lui chatouillait les narines. Il entendit un bruit de roulement accompagné de cliquetis de vaisselle ; manœuvrés par des mains invisibles, les charriots redescendaient aux cuisines.

Il lui revint alors en mémoire qu'il n'avait dans l'estomac que trois tasses d'un reste de thé trop infusé. Au prix d'un immense effort sur lui-même, il se retint d'aller mendier auprès des elfes de maison un relief du dîner qui venait de se terminer. Tirant un mouchoir de sa manche, il le roula en boule, l'enfonça dans sa bouche et se mit à le mâcher lentement afin de tromper sa faim. Elle finirait par passer, il le savait, et une période de douce euphorie succéderait à la faiblesse.

Severus se sentit saliver malgré lui. Il se serait délecté d'une poignée de haricots bouillis, de pelures de saucisses ou même d'un os à ronger. Il avait l'habitude. Il se nourrissait de rien lorsqu'il était chez ses parents. Le chien était mieux traité que lui.

Severus reprit son livre – un traité d'herboristerie – et essaya de lire. Mais il fut bientôt dérangé par un bruit en provenance du hall d'entrée, sur lequel donnait le salon. Quelqu'un s'approchait d'un pas erratique. Le bouton de porte tourna sur lui-même et Sirius, la mine défaite, entra dans un coup de vent. Severus faillit en lâcher son livre : le Gryffondor était bien la dernière personne qu'il s'attendait à trouver ici.

Sans doute Sirius avait-il escompté, comme Severus une heure plus tôt, trouver le lieu vide, car il sursauta en apercevant le Serpentard, dont la lèvre supérieure s'était retroussée en une moue de mépris.

« Qu'est-ce que tu fiches là, Black ? Même ta famille te trouve insupportable ?

– Et toi, en as-tu seulement une ? répliqua Sirius, qui s'était immédiatement ressaisi. Ou bien ton infortunée génitrice t'a-t-elle trouvé si vilain qu'elle t'a abandonné à la naissance ? »

Severus crut qu'après cet échange d'amabilités, Sirius allait tourner les talons et le laisser poursuivre tranquillement sa lecture. Mais il n'en fit rien. Il s'encoigna dans l'embrasure de la fenêtre et fit mine de regarder au dehors. Il faisait nuit noire, bien qu'il fût à peine huit heures du soir. Severus fit pivoter son fauteuil vers le feu, presque éteint à présent, et, les pieds posés sur les chenets, reprit sa lecture. Il lui sembla entendre Sirius soupirer.

Au bout d'un quart d'heure, Sirius se leva, fouilla dans un placard et s'approcha de Severus, qui mit tout ce qu'il lui restait d'énergie à l'ignorer.

« Tu joues ? » lui demanda Sirius en posant une main sur son épaule.

Surpris par cette familiarité, Severus releva les yeux et vit que Sirius, qui lui parut cerné, tenait à la main un jeu d'échecs. Son ennemi juré devait être désespéré pour lui faire une telle proposition, pensa-t-il. Avant de se rendre compte que lui-même était dans un état pitoyable puisqu'il avait envie de dire oui.

Sans attendre sa réponse, Sirius se détourna de lui et s'en alla poser le plateau de jeu sur un petit guéridon. Tandis qu'il disposait les pièces sur les cases, d'une manière qui trahissaient son manque de pratique, Severus referma son livre, le posa sur la console de la cheminée et approcha son fauteuil du guéridon. Sirius s'assit et, comme si ce fût la chose la plus naturelle du monde, sortit un paquet de cigarettes de sa manche.

« T'en veux ? lui demanda-t-il en agitant le paquet sous son nez. Je les ai reçues par hibou ce matin. Des américaines. Cadeau de James.

– C'est interdit », objecta mollement Severus.

L'ingénuité avec laquelle Sirius s'adressait à lui le laissait dubitatif : à quel jeu jouait-il ?

« La transgression, c'est ça, précisément, qui leur donne leur goût incomparable », sourit Sirius en piochant une cigarette dans le paquet.

Tandis qu'il l'allumait, Severus l'observait d'un air agacé.

« Ça ne te fait pas envie ? », le taquina Sirius.

Il tapota l'extrémité de sa cigarette au-dessus du couvercle cabossé d'une chope de Bièraubeurre, qu'il avait sorti de sa poche.

« Tu devrais essayer. »

Reprenant le paquet, qu'il avait posé sur le guéridon, Sirius en extirpa une seconde cigarette, l'alluma d'un coup de baguette et la tendit à Severus avec un sourire provocant. Ce dernier la fixa longtemps des yeux, oscillant entre le dégoût et la curiosité. Finalement, il s'en saisit du bout des doigts : il s'était toujours demandé quel plaisir Sirius pouvait bien prendre à fumer ces horreurs moldues, hormis celui de jouer les rebelles de pacotille. Il approcha la cigarette de sa bouche, la coinça entre ses lèvres, inspira une petite bouffée puis expira : une élégante volute bleuâtre s'éleva dans l'atmosphère. Severus réprima une grimace : la fumée, âcre, laissait sur sa langue une désagréable sensation d'astringence.

Sirius se mit à scruter le visage de Severus d'un l'œil vitreux. Il ne pouvait pas être dans son état normal pour le regarder comme ça, pensa Severus, mal à l'aise, en tirant à nouveau sur sa cigarette. Pourtant, pour une fois, Sirius ne sentait pas l'alcool. Il semblait juste fatigué, désabusé.

« Faut vraiment avoir de la merde dans les yeux ! finit par décocher Sirius.

– Pardon ? s'enquit Severus.

– C'est vrai, quoi… de quelque côté qu'on te regarde, tu es moche ! »

Severus cligna des yeux. Il était accoutumé aux railleries sur son physique, celles-ci avaient commencé dès son plus jeune âge, mais il avait peine à comprendre l'acharnement de Sirius à son égard : ce beau garçon ne pouvait pas se sentir menacé, c'était une attaque gratuite, un moyen de tromper son ennui. Severus décida de jouer sa meilleure carte : celle du cynisme :

« Qu'importe, tant qu'il se trouve des mecs pour baiser avec moi ».

Severus désigna d'un mouvement du menton la cigarette qui se consumait entre ses doigts :

« En fait, c'est infect, ce truc. Comme toi. »

Et il écrasa la cigarette dans le couvercle. Réduit à quia par son sens de la répartie, Sirius le dévisageait avec l'air de vouloir l'égorger.

« À toi l'honneur de débuter la partie, lui lança sportivement Severus en se calant dans son fauteuil, les jambes croisées. Je t'aurais bien rappelé les règles, mais je crois que c'est le cadet de tes soucis.

– Toi, fulmina Sirius, toi, tu as de la chance que James tienne à ta tronche de déterré, sinon je… je… !

– Laisse-moi deviner… Tu m'aurais cassé la gueule ? En même temps, au point de laideur où j'en suis, cela ne changerait grand' chose… »

Sirius ne répondit rien. Il se pencha sur le plateau en affectant un air concentré, ce qui le rendait vaguement ridicule, et, après quelques secondes passées à mordiller sa cigarette, poussa un pion. Chassant la fumée d'un geste de la main, Severus se pencha à son tour et déplaça un cavalier d'un geste assuré. Les joueurs enchaînèrent ainsi quelques coups, sans un mot. Avec sa dame, Sirius ravit un fou à Severus. En représailles, Severus lui arracha un pion d'un coup en passant. Ce fut alors que Sirius brisa le silence, demandant avec une indifférence feinte :

« Et sinon, pourquoi n'es-tu pas retourné chez toi pour Noël ?

– Est-ce que je t'en pose, des questions ? se hérissa Severus.

– Tu peux, répondit Sirius d'un air serein en jouant son coup. Je te répondrai.

– Il n'y a que toi pour penser que ta vie de merde intéresse quelqu'un, mon pauvre !

– C'est vrai que j'ai une vie de merde, geignit Sirius en s'avachissant dans son fauteuil. Ou plutôt une famille de merde. »

Severus releva la tête, abasourdi. Rêvait-il ou bien cet olibrius de Sirius était-il en train de se confier à lui ? Il était en plein cauchemar !

« Mon père est le dernier des rétrogrades, ma mère hurle comme une harpie, mon petit frère est en train de virer Mangemort, deux de mes cousines ont un pet-au-casque… »

Sirius marqua un temps :

« Et pour couronner le tout, mon frère de cœur… baise avec toi.

– Tu me vois trop honoré de figurer dans la liste de tes fléaux », ricana Severus.

Sur ce, il fit un roque ; selon ses calculs, il ne lui faudrait désormais plus que trois coups pour venir à bout de Sirius.

« Mais qu'entends-tu par « Mangemort » ? demanda abruptement Severus. En plus d'être un des élèves les plus médiocres de Serpentard, ton frère serait-il… nécrophage ? »

Sirius le regarda d'un air éberlué :

« Ne me dis pas que tu n'as jamais entendu parler des Mangemorts ! s'exclama-t-il d'une manière qui ne laissait pas de doute sur sa sincérité. Tu dois bien être le seul, à Poudlard !

– Crois-tu que je te poserais la question, autrement ? » s'irrita Severus, pris en flagrant délit d'ignorance.

Le regard de Sirius détailla à nouveau les traits de Severus.

« Tu n'es donc pas un Sang-pur, lâcha-t-il en fixant bizarrement son nez. Tu me diras, maintenant que j'y pense… ton nom n'apparaît nulle part dans ma généalogie. »

Ce fut au tour de Severus d'ouvrir de grands yeux.

« Tu n'es pas sans savoir que les Sangs-purs sont tous plus ou moins apparentés, explicita Sirius. Ce n'est qu'une question de degré.

– Quel rapport entre ces « Mangemorts » et le fait que je sois ou pas un Sang-pur ? se crispa Severus, brutalement renvoyé à ses origines.

– Lord Voldemort recrute ses partisans chez les Sangs-purs, repartit Sirius d'un air songeur. Et préférentiellement chez les Serpentards. Si tu avais été d'origine sorcière, tu aurais forcément entendu parler de lui, sans doute même aurais-tu été démarché ; tu as le genre de profil qui l'intéresse... C'est dingue, à te voir, je n'aurais jamais pensé que tes parents étaient moldus ! »

Severus reçut l'adjectif comme une gifle :

« Ma mère est sorcière, maugréa-t-il. Je porte le nom de mon père, mais c'est à elle que je ressemble. »

Sirius s'esclaffa :

« Ça oui ! dit-il en attrapant un cavalier. Je me souviens de l'avoir aperçue à côté de toi à King's Cross, il y a deux ou trois ans. On s'était bien marré avec James ! Sérieux, son tarin était encore plus crochu que le tien ! Incroyable ! Ton paternel est un moldu, donc ? C'est pour ça que tu t'es fâché avec lui ? »

Severus se rembrunit davantage encore :

« Au lieu de te gondoler, veux-tu bien m'expliquer qui est ce Lord ? » esquiva-t-il.

Prenant un air mystérieux, Sirius se pencha vers lui et se mit à raconter, manifestement enchanté de pouvoir apprendre quelque chose à son ennemi :

« Le pire mage noir que le monde sorcier ait connu. Un ancien élève d'ici, Serpentard, ça va sans dire. À l'époque, il se faisait appeler Tom Jedusor. C'était un type brillant, à ce qu'on raconte, séduisant, aussi. Pendant sa scolarité, son comportement a été irréprochable. Toujours affable, travailleur, obéissant, respectueux de ses professeurs. On prédisait à Jedusor une carrière de ministre, rien de moins. Slughorn avait fait de lui son favori. Seulement voilà… à sa sortie de Poudlard, Jedusor a vrillé. Il s'est mis en tête de rendre sa pureté à la race sorcière, alors que lui-même sortait d'on ne sait où, en éliminant tous les moldus, nés-moldus et autres traîtres à leur sang. Charismatique comme il l'est, il a réussi à rallier à ses idées nauséabondes plusieurs de ses anciens camarades de maison : voilà comment sont nés les Mangemorts. Heureusement que l'Ordre du Phénix empêche ces tarés de faire trop de dégâts ! »

Severus avait écouté Sirius avec une attention qu'il ne lui avait jamais accordée jusqu'à présent. A mesure qu'il parlait, ses yeux se décillaient. C'était donc à Jedusor que Slughorn avait fait allusion lorsqu'il lui avait parlé d'un « prédécesseur » qui avait « mal tourné ». Severus comprenait mieux, à présent, ce qu'on reprochait à ces mages noirs qui suscitaient son admiration.

« Quand tu dis « éliminer », tu veux dire utiliser le sortilège de la Mort ? interrogea calmement Severus, sans plus se soucier de sa combinaison de coups.

– Oui, confirma Sirius, l'air grave. Ces types n'ont pas seulement l'esprit tordu : ce sont des assassins.

– Un peu comme toi, en somme », murmura Severus tandis que ses yeux rétrécis le crucifiaient.

Mais Sirius soutint son regard sans ciller ; son arrogance était insupportable :

« C'était une blague ! cracha-t-il en faisant rouler son cavalier dans la paume de sa main. Rien à voir. Une blague de mauvais goût, d'accord, mais une blague. J'ignorais que tu étais un Sang-mêlé. C'est toi-même qui viens de me l'apprendre.

– Alors c'est comme ça que les Sangs-purs nous appellent, répliqua Severus d'une voix traînante. Sang-mêlé. Et pourquoi pas Sang-impur ? ou Bâtard ? »

Son visage, naturellement pâle, était devenu livide et ses lèvres minces étaient agitées d'un tremblement nerveux.

« Dois-je comprendre que si tu avais su… », reprit-il en détachant soigneusement chaque syllabe de sa voix grave et caressante.

Sirius parut soudain embarrassé ; à tel point qu'il écrasa sa cigarette dans le couvercle.

« … tu ne te serais pas contenté d'une simple… « blague » ?

– Ne dis pas de conneries ! aboya Sirius en tapant du poing sur le bras de son fauteuil. Je n'ai rien à voir avec ces détraqués ! Je n'ai pas choisi d'être réparti à Serpentard ! James s'est monté la tête en s'imaginant… La vérité, c'est que je t'avais dans le nez et que je voulais te foutre une bonne frousse. J'étais certain que… qu'en entendant les grognements de Remus, tu prendrai peur et que tu rebrousserai chemin !

– Parce que les « Sangs-mêlés » sont forcément des pleutres ? Sais-tu que je suis allé au bout du tunnel ?

– Ce que tu peux être de mauvaise foi ! se défendit Sirius avec véhémence. Je t'ai déjà expliqué que je ne savais pas pour toi. Et je n'ai jamais dit ou même insinué que les Sangs-mêlés étaient une race inférieure ! Tu me fais un mauvais procès !

– Vraiment ? insista perfidement Severus. Dans ce cas, pourquoi catégoriser les gens en fonction de la « pureté » de leur sang ?

– Je… je… », bégaya Sirius, pris de court.

Il parut réfléchir :

« Je ne fais aucune différence, finit-il par affirmer d'un ton sentencieux en plaçant enfin son cavalier sur le plateau. Je veux dire : aucune différence entre les Sangs-purs et les autres. Pour moi, il n'y a pas de raison de les discriminer. Je ne suis pas d'avis qu'il faille leur interdire d'étudier à Poudlard. Mes parents, eux, voudraient carrément les empêcher d'exister, prohiber les mariages mixtes, obliger les femmes à avorter. C'est d'ailleurs à cause de leur radicalisation, si tu veux savoir, que j'ai quitté le domicile familial l'été dernier... »

Sirius s'arrêta là ; il passa la main dans ses boucles d'un geste machinal :

« À toi de jouer, renifla-t-il.

– Arrête, Black, tu vas me faire pleurer ! persifla Severus en écartant le plateau de jeu pour signifier la fin de la partie. C'est tellement émouvant : un Sang-pur qui trahit son illustre lignage au nom de la mixité du monde sorcier… On pourrait en faire un roman… Dis plutôt que tu t'es fait foutre à la porte pour avoir ramené à la maison une fille aux origines pas nettes !

– Tu doutes de ma sincérité, langue de p… ?

– J'ai du mal à croire à ta belle ouverture d'esprit sur ce sujet alors que, dans le même temps, tu fais montre d'une telle intolérance envers les garçons de mon espèce.

– De ton espèce ? répéta Sirius, sans comprendre.

– Tu sais bien, mugit Severus. Ceux auxquels tu donnes les doux noms de tafiole, lopette, pédale... Je m'arrêterai là de cette énumération, car elle serait interminable et... »

Severus se leva avec une raideur intimidante :

« … je m'avise qu'il se fait tard… Je te laisse à tes contradictions, mon cher Black, et te souhaite bonne nuit. Ta conscience, heureusement, ne t'empêchera pas de dormir.

– T'es vraiment qu'un sale donneur de leçons ! grommela Sirius alors que Severus s'éloignait d'un pas lent. J'aurais dû te laisser te morfondre dans ton coin ! Je ne comprends vraiment pas ce qui m'a pris de te parler !

– Rien d'autre, sinon ? lança Severus par-dessus son épaule avant de quitter la pièce. Pas de nom d'oiseau pour conclure ? Tu me déçois, Black. »

Sirius, toujours assis, semblait ravaler quelque chose ; Severus passa la porte.

« Pourriture ! », entendit-il fuser dans son dos.

Il y avait du mieux, se dit-il avec un demi-sourire.

SRJPSRJPSRJP

La nuit qui suivit cette conversation, ou plutôt cet échange de coups, Severus ne dormit pas. Les allusions à son impureté native l'avaient piqué au vif : Sirius affirmait « ne faire aucune différence » entre ses pairs et les autres, mais il ne niait pas qu'il y en existât une. Au fond de lui-même – Severus s'obstinait à le penser –, ce cabot, qui se décrivait comme traître à son sang, restait un Sang-pur qui n'éprouvait que mépris pour les Sangs-mêlés. Sa prétendue commisération, ce n'était que de la pose ; une manière de se donner bonne conscience – typique de sa caste –, de se distinguer de son frère cadet, si influençable, et surtout de faire enrager ses parents.

Severus s'enroula sur lui-même. « Sang mêlé », se répétait-il. Comment Sirius avait-il pu user d'une dénomination aussi odieuse ? Il avait suffisamment honte de son géniteur sans qu'on vînt lui rappeler son existence ! Déjà qu'il devait porter son nom infâmant. Dans ses écrits secrets, il signait toujours Prince, en signe de reconnaissance pour sa mère, qui, à défaut d'amour, lui avait transmis ses dons magiques. Il lui devait tout, au fond. N'était-ce pas grâce au grimoire qu'elle avait imprudemment laissé traîner au grenier qu'il s'était initié, dès le plus jeune âge, à la magie noire ? Il se rappelait parfaitement l'euphorie qui s'était emparé de lui lorsqu'il avait réussi son premier maléfice : faire tomber une branche sur le crâne de cette peste de Pétunia. Pour la première fois de sa vie, il avait cessé d'être la chose de son père ; il s'était senti puissant.

Et dire qu'il y en avait certains pour laisser entendre qu'il n'était pas un vrai sorcier ! À tout prendre, Severus aurait préféré être orphelin ; ou mieux, un enfant trouvé. D'ailleurs, plus petit, il s'était persuadé qu'il l'était. Parce que ces parents indignes ne pouvaient pas être ses vrais parents. Parce qu'avec le talent qu'il s'attribuait, il méritait mieux que cette filiation sordide. Alors, la nuit, sous ses draps, il écrivait une autre histoire de son enfance ; une histoire où sa mère était protectrice et aimante ; et son père, une source d'inspiration pour lui.

À son arrivée à Poudlard, Severus avait reconnu en Dumbledore le père dont il avait toujours rêvé. Il ne lui avait, bien sûr, jamais dit ; ç'aurait été déplacé ; et malgré son solide orgueil, Severus ne sentait pas tout à fait digne d'être le fils d'un sorcier aussi prestigieux. Mais il avait cru remarquer, ce qui le réconfortait, que Dumbledore lui prêtait plus d'attention qu'aux autres élèves. Et le jour où il l'avait surpris à la bibliothèque en train de lire Le Banquet, il lui avait même témoigné quelque chose qui ressemblait à de l'affection – Severus osait à peine y croire, mais comment expliquer autrement cette main que Dumbledore avait passée dans ses cheveux ? Dans sa grande sagesse, le vieux directeur avait-il perçu sa détresse ? Pensait-il, en le traitant avec égards, le guérir de son attirance morbide pour la magie noire ?

Le soleil se leva sur le corps prostré de Severus. Fendant la brume matinale, le Grand-duc qu'il avait sèchement congédié la veille revint toquer au carreau. Severus était dans un tel état d'épuisement qu'il trébucha sur sa descente de lit en marchant vers la fenêtre. Il déroula avec appréhension le parchemin attaché autour de la patte de l'oiseau. Comme il s'y attendait, James s'inquiétait de son silence, lui demandait s'il avait bien reçu son cadeau, espérait qu'il lui plaisait. Et il l'embrassait. Severus déchira la lettre, chassa le volatile et alla se recoucher. Comment James pourrait-il comprendre les affres qu'il traversait ? Il disait l'aimer, sans doute était-il sincère ; seulement il était de la même race que Sirius. L'incompatibilité de leurs origines finirait par les rattraper, Lily avait raison. De toute façon, cette garce de Lily avait toujours raison. Sa relation houleuse avec Severus l'avait laissée sans illusion ni complaisance vis-à-vis de l'espèce humaine.

En se regardant dans le miroir des sanitaires, Severus se vit comme Sirius le voyait : disgracieux. Et il ressentit l'irrésistible envie de se faire du mal. Ce n'était pas la première fois que cela lui arrivait, mais jamais sa détestation de lui-même n'avait été aussi violente. Il se claquemura dans sa chambre et n'en sortit plus. Il passait ses journées au lit à dévorer les innombrables livres qu'il avait empruntés à la bibliothèque, notamment l'Histoire des sorciers qui ont marqué leur temps, en douze volumes. Il s'était mis en tête de compenser ce qu'il ne serait jamais – un Sang-pur – par ce qu'il était décidé à devenir – le sorcier le plus savant de sa génération. Dans cette quête de grandeur, son corps, ses besoins, ses pulsions, lui apparaissaient comme autant d'obstacles ; il aspirait à être un pur esprit. Alors, pour toute nourriture, il buvait du thé noir à s'en donner des palpitations ; la bouilloire en fer blanc sifflait en permanence sur le foyer de la cheminée.

Il dormait si peu qu'il lui arrivait d'avoir des hallucinations ; on lui tirait les cheveux, des mains l'étranglaient, il était foulé à terre et un homme sans visage, toujours le même, le violait. Severus eut bientôt des difficultés à se lever ; ses jambes ne le portaient plus. Mais les pages continuaient à s'envoler. Il lui semblait parfois que sa tête allait exploser. Alors il se resservait du thé et se remettait à lire. Chaque jour, James dépêchait son Grand-duc auprès de lui ; Severus ne lui ouvrait même plus. James lui en voudrait ? Peu lui importait ! Il fallait bien que James prît, lui aussi, sa part de souffrance dans cette histoire !

Severus passa ainsi une semaine à s'abîmer. Jusqu'à ce qu'on vînt frapper à la porte de sa chambre. Il avait fallu tout ce temps pour que quelqu'un, à Poudlard, se rappelât son existence, pensa Severus dans un état de semi-conscience. Sans chercher à savoir qui pouvait bien lui rendre visite, il sortit de son lit, tituba, alla ouvrir. C'était Sirius. Severus avait conservé assez de lucidité pour remarquer que son ennemi n'avait pas l'air en grande forme, lui non plus. Ce dernier dévisagea Severus avec une expression où la colère laissa peu à peu place à la perplexité :

« James est mon ami, attaqua Sirius sans préambule. Alors je te demande – gentiment – de ne pas le laisser crever d'inquiétude. Il attend désespérément une réponse à ses lettres. Tu aurais au moins pu faire l'effort de ne pas gâcher son Noël.

– Noël », répéta Severus d'une voix éteinte.

Quel jour était-on ? Il avait perdu la conscience du temps. Il n'avait même pas la force de s'insurger que Sirius ose s'immiscer dans sa relation avec James. Du reste, c'était sans doute James lui-même qui, las de voir son Grand-duc revenir bredouille, avait supplié son ami de venir lui parler. À en croire sa mine contrariée, Sirius ne s'acquittait de cette mission qu'avec la plus grande répugnance.

« Tu n'as qu'à lui écrire que je vais très bien… », articula péniblement Severus en faisant mine de vouloir claquer la porte au nez de Sirius.

Mais son geste était trop lent pour empêcher ce dernier de bloquer la porte avec son pied.

« On ne t'a pas vu hier, pour le réveillon, enchaîna Sirius d'un ton soupçonneux. Dumbledore s'en est étonné et McGonagall m'a demandé si, par hasard, j'aurais des nouvelles de toi. Tes camarades de maison croyaient que tu étais finalement rentré chez toi. Et moi, je suis certain de ne pas t'avoir croisé une seule fois au réfectoire cette semaine. À quel jeu joues-tu ? Tu es malade ? Pourquoi te caches-tu ? »

Comme Severus ne répondait pas, le regard de Sirius, par la porte entrebâillée, se mit à balayer la chambre en désordre, à la recherche d'un indice qui l'eût aidé à comprendre son étrange comportement. Ne trouvant rien d'autre qu'une pile de livres au pied du lit et une tasse de thé fumante sur la table de chevet, Sirius perdit patience :

« Que fiches-tu de tes journées à part te farcir la tête de tes lectures ? »

Blanc comme un linge, évanescent dans sa longue chemise de nuit, Severus regardait dans le vide ; on eût dit un des fantômes qui hantait Poudlard.

« Je te parle, Severus ! » insista Sirius.

Severus ne s'étonna même pas de s'entendre appeler par son prénom – c'était la première fois que Sirius lui faisait cet honneur – ni de sentir celui-ci attraper son poignet. Il était sur le point de s'évanouir d'inanition. La main de Sirius le serra plus fort.

« Je vais t'emmener à l'infirmerie, reprit ce dernier d'un ton calme mais résolu.

– Non, non, murmura Severus en secouant la tête. Je n'ai rien que Madame Pomfresh puisse soigner.

– Peut-être pourrait-elle, au moins, te convaincre de te nourrir ? hasarda Sirius, en faisant le tour du poignet de Severus avec ses doigts, comme pour vérifier qu'il était aussi dramatiquement étique qu'il le paraissait.

– Fous le camp, Black, répliqua Severus sans élever la voix ni retirer son poignet de l'étreinte de Sirius, car il n'en avait plus l'énergie. Tu n'as rien à faire dans les quartiers de Serpentard.

– Je pars si tu me promets d'écrire à James. Il a besoin de comprendre ce qui est en train de te trotter dans la tête. »

Severus fit tristement non de la tête. Il vacilla sur ses jambes, puis se sentit flotter. Autour de lui, les objets ondulaient, se déformaient.

« Ton but, c'est de disparaître ? » s'écria Sirius, manifestement alerté par son état.

Il l'avait pris par les aisselles et le soutenait pour l'empêcher de tomber. Severus ne répondit rien.

« Je suis désolé », chuchota Sirius d'une voix si basse qu'elle en était presque inintelligible.

Severus n'était pas certain d'avoir bien entendu : ce traître de Sirius venait-il de s'excuser pour avoir voulu sa mort ? Il ne put s'empêcher de se demander si ce repentir tardif était sincère ou bien si Sirius aimait James au point de consentir à se renier.

« J'écrirai à James demain, répondit finalement Severus d'une voix désincarnée, moins parce qu'il croyait Sirius que parce qu'il voulait mettre fin à la conversation, tant il peinait à parler. J'ai besoin de… me reposer un peu. Lâche-moi maintenant. »

Après une seconde d'hésitation, Sirius s'exécuta et recula d'un pas. Severus referma doucement la porte sur lui et regagna son lit, où il se laissa tomber de tout son long.

Quelques minutes plus tard, Severus entendit un léger bruit derrière la porte. Bien qu'il fût exténué, il se releva pour aller voir : un plateau chargé de victuailles était posé sur le seuil. Du pied, Severus le poussa à l'intérieur et referma la porte en oubliant de la verrouiller. Il se laissa tomber par terre, tenta d'avaler une cuillérée de soupe de citrouille, la régurgita aussitôt sur le tapis. Cela faisait trop longtemps qu'il n'avait pas mangé pour que le réflexe d'avaler lui revînt aussi facilement. Alors il rajouta une bûche dans le feu et se traîna à genoux jusqu'à son lit.

Son estomac lui faisait mal, ses lèvres étaient gercées, il avait froid et le bruit du vent dans les arbres qu'il apercevait au loin, par l'étroite fenêtre en ogive, lui semblait incroyablement amplifié – c'était comme s'il marchait au cœur de la forêt interdite. Il s'allongea sur les draps glacés – à moins que ce fût de la neige. Oui, il s'en rendait compte à présent, les murs étaient tombés, le ciel le surplombait, il neigeait sur lui, la neige l'ensevelissait. Peu à peu sa conscience s'engourdissait. Son corps lui semblait si léger, presque impalpable. Quel soulagement ! Jamais il n'était allé aussi loin dans le refus de vivre.