- Bande d'idiots, appelez le véto ! Hurla Peter.

Au loft, on s'agitait. On courait. On s'affolait. Scott ? Maîtrisé. Il avait fallu plusieurs loups et coups de griffes pour réussir à le maîtriser, ce qui avait été tout sauf facile. Jackson. Peter. Liam. Théo. Isaac. Le bouclé s'était remis aussi vite que possible de la violence dont avait fait preuve l'alpha à son égard – il lui avait brisé deux côtés en l'envoyant valser – mais Derek n'avait pas eu cette chance. Violemment touché à la tête tant le latino l'avait frappé fort et avec sa force d'alpha, il était encore dans les vapes. Lydia l'avait écarté du champ de bataille comme elle avait pu. Les doigts tremblants, elle composa le numéro de Deaton tandis qu'elle regardait Scott, enchaîné à l'un des énormes poteaux du loft. Il avait les yeux rouges de son loup, mais ne pouvait rien faire face aux chaînes imbibées d'aconit et faites avec un mélange d'acier agrémenté d'éclats de sorbier. Puis, son regard larmoyant dériva vers Stiles, au sol. Isaac se tenait au-dessus de lui et lui enjoignait d'un ton désespéré de rester conscient. Son épaule suintait de sang, qui avait déjà imbibé sa chemise à carreaux bleus. Il était d'une pâleur atroce, maladive et avait le souffle aussi court qu'irrégulier.

- Allô ? Entendit-elle à son oreille.

Lydia, ayant complètement oublié l'appel qu'elle avait lancé, sursauta et débita d'une voix rapide ce qu'elle avait à dire :

- Stiles… Stiles a été mordu…

C'était tout. Ça suffisait. Sa voix brisée par le choc encore récent n'était pas capable d'articuler d'autres mots. Le sang de plus en plus sombre s'écoulant de l'épaule de Stiles la paralysait. Elle ne sut pas s'il s'était écoulé un ou dix secondes, mais elle finit par entendre un simple :

- J'arrive tout de suite.

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Deaton frotta sa barbe tout en regardant son patient d'un air inquiet. Il avait l'habitude de s'occuper des animaux, alors se retrouver avec un humain sur sa table d'examen était tout à fait inhabituel. Mais il était également médecin spécialiste du surnaturel, agissant un peu comme l'émissaire de la meute de Beacon Hills. Il connaissait beaucoup de choses, avait longtemps écumé la plupart des livres occultes sur le sujet, notamment la moitié de la bibliothèque des Hale avant que l'incendie ne détruise cette famille et emporte avec eux des centaines d'ouvrages uniques en leur genre.

Mais rien ne l'avait préparé à cela.

La morsure… Elle était profonde et Deaton ne pouvait pas annuler ses effets : ce qui coulait dans les veines de Stiles aurait pu être traité s'il s'agissait de venin. Or, ce n'était pas le cas. Il s'agissait surtout d'une essence quelque peu magique, des particules insaisissables.

Allait-il se transformer en loup-garou ? Le vétérinaire ne parierait pas là-dessus, pour la simple et bonne raison que Stiles avait toujours désiré garder son humanité. Pour devenir un être lupin, il fallait accepter la morsure. C'était donc mal parti, d'autant plus si l'on considérait l'état de Stiles, qui se dégradait de plus en plus. Pas des plus rapidement, mais il ne fallait pas négliger les progrès du poison qui coulait dans ses veines.

Poison qui, malheureusement, avait de grandes chances de le tuer.

L'on ne mourrait pas toujours d'un refus de morsure, mais c'était ce qui arrivait dans la plupart des cas et honnêtement… Alan Deaton se retrouvait particulièrement dubitatif devant une situation qui le dépassait. Lydia l'avait fébrilement briefé concernant la situation et plus particulièrement ce qui avait mis Stiles dans un tel état.

Scott. Elle lui avait avoué que l'auteur de cette morsure n'était autre que Scott. C'était tout bonnement invraisemblable mais le vétérinaire ne pouvait mettre en doute la véracité des paroles de la banshee, en qui il avait totalement confiance. C'était un petit bout de femme qui avait la tête sur les épaules et dont la beauté rivalisait avec son intelligence. Elle n'avait jamais été la cruche qu'on imaginait.

Mais au final, peu importait qui avait mordu Stiles. Le résultat était le même. Deaton étala un peu mieux la couverture de survie sur le corps fébrile de l'hyperactif, dont les tremblements frénétiques n'étaient pas de bon augure. Honnêtement, il avait peur pour lui et aimerait, à cet instant, que le corps de Stiles accepte la morsure. Juste pour qu'il survive et qu'il n'ait pas à annoncer l'horrible nouvelle à Noah Stilinski.

La porte de son cabinet s'ouvrit dans un fracas tonitruant et Deaton sursauta. Derek, Isaac et Lydia apparurent, tendus comme jamais. Les trois jeunes gens s'avancèrent et Alan se rappela subitement que cette partie du bâtiment n'était pas entourée d'aconit. Il faudrait peut-être qu'il y remédie un jour.

- Votre présence tombe bien, dit-il à voix basse, il souffre.

Derek comprit aussitôt le sous-entendu alors qu'Isaac et Lydia fronçaient les sourcils. L'ancien alpha souleva un tantinet la couverture de survie et attrapa la main tremblante et pâle comme la mort de l'hyperactif. Il la serra fort. Et des veines noires sillonnèrent la peau de l'un et de l'autre. Derek se mit instantanément à grimacer et Stiles, toujours inconscient, poussa un discret soupir s'apparentant à l'expression d'une part de bien-être. Son corps se détendit et ses tremblements diminuèrent en intensité.

Mais les quatre autres occupants de la pièce échangèrent des regards inquiets. Celui de Deaton était particulièrement sombre.

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Ce fut la douleur qui sortit Stiles du sommeil étrange dans lequel il s'était péniblement mais profondément enfoncé. Il grimaça et cela suffit à amplifier sa souffrance. L'hyperactif mit assez peu de temps à sortir de l'état de brouillard qui survenait à chaque réveil, simplement parce que l'entièreté de son corps semblait être parcouru par une nuée de petites décharges électriques partant toutes d'un seul et unique point : son épaule. L'une d'elles, un peu plus violente que les autres, le fit pitoyablement gémir et il se força à ne pas bouger, juste pour limiter l'ampleur de la douleur. Aucune pensée ne le traversa véritablement. Aucun questionnement, aucune hypothèse. Il était assez vide et pourtant, il continuait d'émerger avec une brutale lenteur. Son souffle se coupa. Une, deux, trois secondes. Puis, il se remit à respirer à peu près normalement, sans comprendre l'origine de cette coupure. Cette fois, ce n'était pas à cause de la souffrance qui avait pris possession de son corps entier, mais bien autre chose. C'était comme… Un dysfonctionnement, un problème pénible et hasardeux. Quelque chose qu'il fallait réparer.

Une forme de chaleur s'enroula autour de son poignet et Stiles ne put s'empêcher de pousser un soupir de soulagement en sentant toute sa souffrance le quitter. Et comme si son esprit n'attendait que cela, Stiles ouvrit les yeux et sentit toutes ses pensées affluer, les unes à la suite des autres. Il reconnut les murs de sa chambre grâce aux lueurs lunaires que laissaient apparaître ses rideaux entrouverts. Il remarqua avec surprise la silhouette féminine avachie sur la chaise de son bureau, et lorsqu'il baissa les yeux, ne put manquer celle, plus masculine, à genoux au bord de son lit, la main enroulée autour de son poignet. La faible luminosité lui permit toutefois de remarquer le noir caractéristique des veines lupines. Le cœur de l'hyperactif rata un battement. Sa douleur. On lui prenait sa douleur.

- Arrête, murmura-t-il.

Mais c'est à peine si l'ordre était un souffle et Stiles se surprit à ne pas pouvoir faire plus. Était-il dans un tel état de faiblesse ? Fronçant les sourcils d'inquiétude, il vit des mèches bouclées bouger légèrement et entendit une voix basse lui demander de se rendormir. C'était tentant, très tentant d'autant plus qu'il ne ressentait plus la moindre douleur et qu'il était épuisé, mais… Non. Il lutta et murmura qu'il ne voulait pas dormir. Il avait besoin de bouger, de faire quelque chose.

- Stiles, repose-toi, fit le chuchotement étranglé d'Isaac.

- Non, non, souffla péniblement l'hyperactif. Explique-moi, dis-moi ce qu'il se passe, j'ai besoin… J'ai besoin de ça.

Ses souvenirs lui revenaient lentement et ne l'atteignaient pas encore complètement. Il avait les images, mais n'en ressentait pas encore vraiment l'impact. Le fait qu'Isaac soit là ne l'étonnait pas réellement, et il oublia assez rapidement que Lydia somnolait à côté. Mais s'il y avait bien une chose qui le guidait, c'était l'urgence. Il sentait qu'il devait aller vite, qu'il devait faire quelque chose. Tout de suite. Ses paupières étaient atrocement lourdes et il fallait avouer que la manipulation d'Isaac le fatiguait autant qu'elle lui faisait du bien. La morsure était-elle si douloureuse que cela ? Était-ce son corps qui la rejetait ou y avait-il autre chose ? Une violente quinte de toux le prit et le fit se redresser brusquement, rompant momentanément le contact avec Isaac.

La douleur déferla instantanément, avec une violence telle que Stiles en eut le souffle coupé si brusquement que ceci, ajouté à sa quinte de toux, le fit s'étouffer. Le gémissement témoignant de sa souffrance qu'il allait pousser mourut dans sa gorge. Isaac agit très vite en bondissant sur le lit et en l'entourant de ses bras, l'accompagnant dans une étreinte plus utile qu'autre chose. Ainsi, le contact resterait maintenu et il continuerait de lui prendre cette douleur intense, bien trop forte pour un simple humain. Le corps tendu comme un arc à cause de la souffrance se détendit instantanément et laissa place à de légers spasmes. Peu à peu, Stiles retrouva une respiration plus ou moins normale et cessa de tousser. Dans un état de faiblesse avancé doublé d'un épuisement croissant, l'hyperactif se laissa misérablement aller contre son ami loup-garou sans plus résister. Les larmes qui perlaient à ses yeux brillaient sous les rayons de la lune.

Une douce lueur illumina la chambre : Lydia, parfaitement réveillée à cause de la violente quinte de toux de Stiles, venait d'allumer la lampe du bureau. Son visage blafard et sans aucune trace de maquillage ne cachait rien de son angoisse sourde. Elle se précipita sur le lit demanda des explications à Isaac qui lui résuma brièvement la situation : Stiles avait toussé si brusquement qu'il l'avait malencontreusement lâché. Le principal concerné, dont les yeux étaient à peine entrouverts, reposait mollement contre le corps puissant du loup-garou. La douleur semblait l'avoir terrassé, décuplant son épuisement. Mais Lydia n'était pas convaincue.

- Je ne le lâche plus, lui assura Isaac, des cernes commençant doucement à orner ses yeux. Je te jure que je ne le lâche plus.

La banshee se mordit la lèvre inférieure. S'endormir tout en sachant son meilleur ami au bord de la mort avait été une épreuve, tant et si bien qu'elle s'était assoupie seulement quelques minutes plus tôt. Et la voilà déjà réveillée, écroulée de fatigue, perdue, angoissée. Puisqu'Isaac était capable de sentir son odeur et ne devait pas se concentrer sur autre chose que sa mission, la jeune femme fit de son mieux pour garder la tête aussi froide que possible. Elle regarda un instant l'heure sur son téléphone avant de relever un regard sérieux sur le loup-garou.

- Jackson devrait prendre le relais dans deux heures, dit-elle d'une voix un tantinet enrouée. Tiens le coup jusque-là.

Isaac hocha simplement la tête – une manière pour lui de s'économiser tandis que la douleur provenant de l'hyperactif le tiraillait de part en part. Mais il n'en montrait rien. A vrai dire, il faisait tout son possible pour ne pas la laisser complètement l'atteindre. S'il cédait à son envie d'hurler et de se rouler par terre, Stiles en subirait le revers.

D'autant plus que la prise de sa douleur était actuellement ce qui lui faisait tenir le coup.

Parfaitement consciente de tout cela, Lydia posa sa main sur la joue de Stiles en un geste aussi amical que maternel. L'hyperactif, à nouveau gagné par l'épuisement, avait les yeux qui papillonnaient dans un effort d'ores et déjà vain pour rester éveillé. Le mal qui le rongeait en partant de son épaule le vidait sensiblement du peu d'énergie qu'il avait. Les bras et la manipulation d'Isaac n'arrangeaient rien. Il voulait parler, assommer ses amis de questions toutes aussi utiles et pertinentes les unes que les autres, mais il en était incapable. Si prononcer un mot avait été un véritable effort, la chose s'était démultipliée au point qu'ouvrir la bouche ne fut pas le moins du monde envisageable. Sa vue se fit floue tandis que le froid du poison continuait de le gagner. Intérieurement, il s'affola. Il ne fallait pas qu'il sombre à nouveau. Il fallait qu'on lui explique, qu'il comprenne ! Mais la caresse de Lydia sembla avoir le même effet que l'étreinte salvatrice d'Isaac.

- Dors, chuchota la banshee en esquissant un sourire qui se voulut rassurant. On est avec toi.

Ses paupières se fermèrent toutes seules. Qu'il le veuille ou non, il avait atteint ses limites.