L'état de Stiles se dégradait à une vitesse stupéfiante tout en restant un peu stable. Tant que sa douleur était drainée, l'on pouvait avoir l'espoir de gagner un peu de temps. Deaton, à son cabinet, travaillait jour et nuit à essayer de trouver une sorte de remède, quelque chose qui, à défaut de guérir l'hyperactif, pouvait ralentir la progression du venin de la morsure, ou simplement réduire la mortalité de ses effets. Chez les Stilinski, les loups se relayaient : Derek avait pris la suite de Jackson qui avait pris celle d'Isaac. Si le kanima avait eu assez de forces pour rentrer chez lui, le bouclé s'était effondré sur le canapé du salon à l'aube. Lydia, épuisée, supervisait les opérations. Techniquement, Liam devrait prendre le relais de Derek aux alentours de dix heures du matin. Puis, Isaac aurait à revenir au chevet de Stiles. Et ensuite… Elle se débrouillerait avec les autres. Les absents s'occupaient de garder Scott sous surveillance et d'essayer d'apprendre la raison de son emportement incompréhensible, mais tout le monde s'accordait sur une chose : quoi qu'ait pu faire Stiles – s'il avait fait quelque chose et ça, on en doutait – il n'y avait pas à l'attaquer de la sorte. A le mordre. A tenter de le tuer. Parce qu'à ce niveau-là, il ne s'agissait pas d'un simple accès de colère. Scott était parfaitement conscient que son meilleur ami ne désirait absolument pas la morsure, puisqu'il l'avait toujours refusée. Alors, il l'avait mordu en sachant que ladite morsure le tuerait. Il était, en somme, parfaitement conscient et responsable de ses actes. Personne ne chercha à lui trouver de circonstance atténuante. Alpha ou pas, il avait grandement merdé et on ne risquait pas de lui pardonner cela de sitôt. Stiles était un des piliers de leur bande, un soutien fiable et aimé. S'il disparaissait… Personne ne voulait le croire, ni imaginer les potentielles conséquences que sa mort potentielle pourrait avoir sur leur vie à tous. Il était humain, mais solide. Parfois plus qu'un loup-garou. Cela se vérifiait d'autant plus au niveau du mental : l'hyperactif avait survécu à plusieurs tentatives de meurtre, à une possession démoniaque, à la chasse sauvage… Personne ne savait s'il s'était réellement remis de toutes ces épreuves, mais une chose était certaine.
Il avançait, sans jamais se laisser abattre tout en gardant le bien-être de ses compères à cœur. Peu le disaient, mais on l'admirait pour tout cela. Parce que si Scott prônait – ironiquement, au final – sans arrêt la non-violence et la nécessité de ne jamais tuer, c'était Stiles qui mettait tout en place pour mener leurs affaires à bien tout en faisant le moins de mal possible.
Songer qu'il était au bord de la mort en terrifiait plus d'un, le shérif compris. Il était humain et avait si peur qu'il n'osait plus rentrer dans la chambre de son fils, de peur d'empêcher les loups de le maintenir en vie, mais il ne manquait jamais de demander très régulièrement des nouvelles à Lydia, dont les cernes étaient des plus marquées. Elle devait se reposer, elle aussi, mais ce n'était pas sa priorité pour l'instant. L'on pouvait très bien se débrouiller sans elle, mais… Sa présence rassurait tout le monde. Dans un sens, elle dirigeait les opérations et dans ce genre de situation de crise, il était plus facile d'obéir aveuglément à une personne tierce que d'imaginer une solution à proprement parler.
De son côté, Stiles n'avait pas rouvert les yeux depuis cette nuit, lorsqu'Isaac l'avait tenu dans ses bras pour lui prendre sa douleur en continu. La morsure de Scott l'épuisait au sens littéral du terme, tant et si bien que se réveiller était une véritable épreuve. En fait, l'on n'était même pas sûr de le voir s'éveiller à nouveau, mais on se forçait à ne pas y penser. Il y avait tant de facteurs inconnus dans cette histoire que de trouver matière à se ronger les sangs était plus contreproductif qu'autre chose. Ainsi, on agissait mécaniquement, jusqu'à ce que la fatigue l'emporte, et on laissait la place au suivant, sans aucune garantie que la peau de l'hyperactif reprenne quelque couleur que ce soit. Elle restait affreusement pâle… Pâle comme la mort. L'on surveillait sans arrêt ses battements de cœur extrêmement lents et son odeur surprenait sans arrêt par sa fadeur, comme si… Comme s'il ne ressentait plus rien. Ne pensait plus. Était déjà mort.
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Isaac cala le corps inanimé de l'hyperactif contre le sien, et puis Liam lâcha sa main. Il n'était pas encore assez à l'aise pour prendre ainsi le châtain dans ses bras, comme boucle d'or le faisait.
- Je vais… Je vais dormir, articula le louveteau, épuisé.
Compréhensif et un faible sourire aux lèvres, Isaac hocha la tête.
N'étant pas un loup depuis très longtemps, Liam tenait moins le coup que les autres, mais il faisait de son mieux. Ses yeux papillonnaient déjà. Une chose était certaine : il n'allait pas prendre la route pour rentrer chez lui. Le canapé du salon, sur lequel Isaac s'était reposé quelques heures, suffirait amplement. Le louveteau salua son aîné et s'éclipsa. Isaac l'entendit faire un crochet par la cuisine, où Lydia prenait un café pour rester d'attaque. Et puis, naturellement, il se reconcentra sur le corps rendu frêle par le venin de la morsure, corps qui se trouvait au creux de ses bras, contre son corps. Isaac n'avait jamais réellement été du genre tactile. Longtemps, il avait eu sa dose de contacts avec une récurrence en fonction de la hargne violente que son père entretenait à son égard. Et pourtant, pour une fois, c'était simple et surtout, nécessaire. Enfin, Isaac pourrait se contenter de tenir la main ou le poignet de son ami, mais l'avoir contre lui était plus rassurant. Ainsi, il savait qu'il était toujours là, avec lui. En vie… Pour combien de temps ? Demanda une petite voix dans sa tête. Le bouclé n'en avait aucune idée, mais il raffermit son étreinte sur l'hyperactif. Il n'entendait plus les battements de son cœur, il les sentait. Et c'était rassurant, parce que tangible. La douleur était là, toujours, parcourant son corps avec une perfidie stupéfiante. S'il arrivait à la supporter, c'était uniquement grâce à sa condition lupine et il comprenait, peut-être mieux que quiconque, à quel point elle pouvait tuer Stiles. Un humain ne pouvait pas survivre à de telles décharges. Elles étaient… Trop fortes, trop nombreuses et les veines d'Isaac, bien noires. Elles atteignaient son visage. Il était fatigué, c'était clair, mais il fallait continuer. Ils devaient tous tenir, jusqu'à ce que Deaton trouve une solution… S'il y en avait une. Il ne fallait pas se démoraliser. Y croire était la seule chose à faire.
Isaac ferma les yeux, parce qu'il ne fut pas capable de s'en empêcher. Toutefois, il se mentalisa pour ne pas s'endormir, ou bien la manipulation s'arrêterait là et Stiles souffrirait. Ça, ce n'était pas envisageable. Une bouffée de haine l'envahit. Dire que Scott avait merdé était un euphémisme. De sa vie, Stiles n'avait sans doute jamais été aussi immobile. Isaac avait déjà dormi avec lui, durant des soirées meutes plus ou moins alcoolisées : s'il était insensible à l'alcool grâce à sa nature lupine, ce n'était pas le cas de Stiles. Et lorsqu'il dormait, il bougeait de temps à autres. Pas cette fois. Son corps était complètement inanimé et c'était à se demander si le venin de la morsure… Ne l'avait pas déjà tué. Isaac refusa de songer à cette éventualité. Stiles faisait partie de sa vie depuis qu'il était un loup : autant dire que cela commençait à faire un moment. Au départ, ils ne s'appréciaient pas des masses. Isaac trouvait Stiles complètement idiot et Stiles trouvait Isaac arrogant au possible, une espèce de Jackson avec des bouclettes. Et puis à force de faire équipe, d'œuvrer pour la protection de la ville, chacun avait découvert que l'autre… N'était pas si mal et qu'une amitié restait possible. Désormais, ils s'appréciaient beaucoup et cette amitié n'en était qu'à ses balbutiements. Alors non, Isaac ne perdrait pas espoir et continuerait d'assurer auprès de lui, quitte à s'épuiser à la tâche, qui lui prenait une certaine énergie. Les bras serrant le corps inanimé contre lui, le bouclé se concentra et tenta de lui prendre un maximum de douleur ou en tout cas, plus que ce qu'il lui prenait déjà. Et il endura. Il endura, parce qu'il le fallait. Parce qu'il voulait réentendre cette voix espiègle et rassurante. Revoir l'hyperactif gesticuler partout et tout le temps. Apercevoir cet éclat de vie si distinctif dans ses prunelles ambrées.
Et contre lui, Stiles bougea légèrement. Posa sa main sur la sienne, coupant le souffle d'Isaac un instant.
