La respiration de l'hyperactif était lente et laborieuse, mais il faisait de son mieux pour ne pas attirer l'attention d'Isaac là-dessus. S'il était réveillé ? Oui et ce, depuis que le loup s'était glissé contre lui et l'avait pris dans ses bras, l'enfermant dans une étreinte qui, il le savait, lui permettait de tenir le coup, tout comme il savait que plusieurs membres de la meute s'étaient relayés jusqu'à maintenant. Mais il était trop fatigué pour rester conscient dans ses moments-là et à vrai dire… Il n'essayait même pas. Là… Il n'arrivait simplement pas à céder de nouveau sa place au sommeil. C'était une question de douleur, d'inconfort. Isaac lui prenait tout ce qu'il pouvait, c'était certain. Mais ce qui coulait dans ses veines était en train de le tuer, inexorablement. Et même s'il avait l'esprit embrouillé, il était dans un de ces rares moments où la lucidité était reine et où il aimerait… Juste flotter dans une inconscience bienheureuse. Être dans un monde où rien ne pouvait lui arriver, parce qu'il ne savait rien. C'était d'ailleurs partiellement vrai. Il ne savait pas ce qui avait pu amener Scott à entrer dans une telle rage au point de le mordre… Et sans doute n'aurait-il jamais l'occasion de le savoir. Exténué, il garda les yeux fermés et se laissa aller contre la chaleur rassurante du corps d'Isaac. C'était égoïste, mais il en avait besoin. Les autres ne dégageaient qu'une tiédeur incompréhensible. Une tiédeur qui ne comblait pas le froid intérieur qui le gagnait. Fut un moment où il se mit à grelotter, où Isaac rabattit la couverture sur eux alors même que l'humain suait à grosses gouttes et ce, sans jamais desserrer son étreinte. A cause de la fatigue qui pesait sur lui malgré le repos qu'il s'était accordé, Isaac ne remarqua pas tout de suite que Stiles était réveillé. S'il avait été plus en forme, sans doute aurait-il senti le changement léger dans son rythme cardiaque. L'énergie qu'il avait, il la réservait à la douleur qu'il continuait de prendre, inlassablement. Et lorsqu'il ne tiendrait plus, un autre prendrait sa succession… Encore, et encore… Jusqu'où irait-on ? Personne ne le savait. Personne le savait, mais tout le monde avait peur. De son côté, Alan Deaton cherchait des solutions et de l'autre… Les membres de la meute se relayaient pour maintenir l'humain envie.
L'humain.
Un simple statut qui le conduisait tout droit vers un destin flou et ténébreux. Un statut qui le relayait techniquement au rang de « faible », mais… Stiles ne l'avait jamais été. Sur le plan mental, il était le plus fort de tous et ça, personne n'en avait jamais douté. Il s'agissait d'une vérité dont tout le monde était conscient. L'hyperactif était là depuis le début. Humain ou pas, il n'avait rien à prouver.
Pas même qu'il ne désirait pas la morsure. Ça aussi, on le savait.
Mais Scott avait bafoué ce désir qui, depuis le début, dictait les agissements de Stiles. Ce désir louable de rester celui qu'il avait toujours été. L'hyperactif avait déjà dû être tenté par certains aspects de la vie lupine, mais… Jamais au point de vouloir sauter le pas. Et maintenant ? Et maintenant, sa déchéance ne faisait que confirmer ce fait. Il mourait à petits feux, sans que l'on ne puisse rien faire d'autre que lui prendre sa douleur dans l'espoir de ralentir le processus.
- Isaac ? Entendit-il faiblement.
La voix de Stiles, à peine audible, parvint toutefois facilement aux oreilles éveillées du loup-garou qui, s'il n'avait pas perçu ses battements de cœur, n'avait put qu'entendre avec force cette voix brisée, enrouée par la faiblesse, ce souffle si ténu qu'il semblait trembler entre les lèvres de l'hyperactif. Cachant sa surprise de le savoir éveillé, Isaac resserra doucement son étreinte sur lui et se concentra pour lui prendre toujours plus de douleur. Il se crispa, mais continua.
- Je suis là, lui dit-il doucement.
Avec ce réveil des plus rares depuis qu'il avait été mordu, Isaac se prit fugacement à espérer qu'il aille mieux. Son loup intérieur calma aussitôt ses ardeurs : son instinct lui soufflait qu'il s'agissait d'autre chose.
- Ça ne va pas durer, souffla péniblement Stiles, l'expression douloureuse.
Malgré la manipulation du loup, il sentait la douleur revenir par vagues, traverser son corps avec une lenteur sadique et honnêtement, il ne savait pas s'il serait capable de la supporter longtemps. Ce n'était pas elle qui le dérangeait foncièrement, disons… Que cette souffrance couplée à sa déchéance physique et à la lenteur de ses réflexions… Stiles se sentait clairement décliner et le mélange de toute cette pourriture physique détruisait peu à peu son mental que l'on aurait autrefois pu qualifier d'acier. Il avait suffi d'un éclat de colère. D'une morsure. Un rien pouvait tout changer. Un rien l'avait changé.
- On va tout faire pour, voulut le rassurer Isaac en se serrant le plus possible contre lui.
Il sentait le corps glacé de l'hyperactif, et ça lui faisait peur. Il voulait le réchauffer, il en avait besoin ! Le froid, c'était la mort, et Stiles ne devait pas mourir. Il fallait juste du temps, en gagner suffisamment pour permettre à Deaton de trouver une solution. Il en avait forcément une. Il en avait toujours, même si cet adage était techniquement plus adapté à Stiles qu'à n'importe qui d'autre.
- Vous n'y arriverez pas, articula l'hyperactif. Je le sens.
Il fut alors pris d'une quinte de toux qui, si Isaac ne l'avait pas vue venir, lui aurait probablement fait desserrer son étreinte sur l'humain. Le loup-garou serra les dents. Stiles n'avait pas le droit d'être défaitiste alors qu'il incarnait l'esprit positif de la meute. Mais la toux continua, sèche, comme si elle obligeait Stiles à expirer l'air qu'il s'efforçait d'emmagasiner pour respirer.
- De l'eau ! Quémanda le bouclé d'une voix forte. De l'eau !
Les loups, à l'étage d'en-dessous, l'avaient forcément entendu. Pour preuve, c'est un Liam épuisé au possible et précocement sorti de son sommeil qui apporta le verre d'eau tant attendu. Malgré sa manipulation qui lui prenait une énergie folle, Isaac eut la force de se redresser tout en gardant l'hyperactif contre lui, dans ses bras striés de noir. Comprenant le message silencieux, le petit blond fit délicatement boire l'hyperactif l'eau claire et fraîche qui lui fit un peu de bien. Stiles ferma les yeux et l'on crut qu'il s'était rendormi, jusqu'à ce que, libéré de sa toux, il murmure un « merci » des plus faibles. L'arrière de son crâne alla rencontrer le torse du bouclé, qui crut un instant défaillir.
Stiles lui faisait l'effet d'un pantin désarticulé, un mannequin inanimé. Un cadavre pas encore rigide.
Liam, face à eux, déposa le verre à moitié vide sur la table de nuit faiblement éclairée par la veilleuse de la chambre. Savoir que Stiles était réveillé lui faisait du bien, même s'il n'était pas sûr de pouvoir considérer cela comme un bon signe. Néanmoins, il esquissa un faible sourire qui fit écho à la douleur présente dans les yeux d'Isaac. Parce que tout cela les dépassait. Parce que la moindre évolution, le moindre changement pouvait être un progrès ou une dégradation de la situation.
Parce qu'on ne savait rien.
Epuisé, Liam repartit se coucher en bas et Isaac se rallongea, Stiles toujours enfermé entre ses bras. Cette fois, il l'entendait, sa respiration laborieuse et la douleur mentale qu'elle faisait naître en lui était folle. Malgré tout ce que l'on faisait pour lui, il souffrait. Isaac eut envie de lui dire à quel point il était désolé, à quel point il aimerait pouvoir faire plus pour cet ami qu'il aimait savoir contre lui. Vivant. Le peu de chaleur qu'il dégageait était pour lui l'espoir ténu de savoir qu'il pouvait tenir encore un peu. De toute manière, il le fallait. Stiles ne pouvait pas disparaître ainsi. C'était trop injuste. Toutefois, il ne fit pas l'affront de continuer à lui dire que tout allait bien se passer, qu'il allait s'en sortir. Il se contenta de lui prendre sa douleur au mieux et de le serrer fort contre lui.
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Comme les autres, Derek arborait des cernes impressionnants. Le métabolisme des loups-garous avait beau être plus efficace et rapide que celui des humains, lui et ses compères se donnaient à fond depuis désormais Quatre jours.
Et il y avait enfin du neuf.
Il déboula, telle une furie, dans le salon des Stilinski. Depuis la morsure de Stiles, la maison était devenue un endroit stratégique. Il fallait être opérationnel et présent à toute heure du jour ou de la nuit. Cette fois, Stiles ne se réveillait plus, même dans les bras d'Isaac, et sa température avait commencé à chuter. Un arrêt cardiaque ? Il en avait fait un, la veille, et l'on avait bien cru sa dernière heure venue. Mais c'est une Melissa éplorée qui avait réussi à réanimer l'hyperactif avec toute l'aide qu'elle avait pu recevoir de la partie de la meute présente vingt-quatre heures sur vingt-quatre au domicile Stilinski. Emmener Stiles à l'hôpital n'était pas envisageable : personne ne pourrait le soigner ni comprendre la menace surnaturelle qui pourrissait en lui.
- Qu'on descende tout de suite Stiles ! Le véto a une piste, il faut qu'on y aille, s'empressa de déclarer l'ancien alpha.
- Où ? Demanda Lydia, droite malgré l'épuisement qui la tuait, elle aussi.
Malgré tout, elle gardait un air digne et un regard alerte. Il en était de même pour Jackson et Liam. Le shérif, qui avait tout entendu depuis la cuisine, vint faire face à Derek et lui demanda de tout lui dire tout de suite. S'il ne pouvait pas intervenir directement pour sauver la vie de son fils, il tenait tout de même à savoir ce qui allait lui arriver.
- On doit l'emmener au Nemeton, lui apprit Derek. Deaton m'a dit qu'il nous attendrait là-bas. Pour le reste, je vous expliquerai sur la route.
- On prend ma voiture, décida tout de suite Noah.
Les gyrophares de la police empêcheraient quiconque de les ralentir. Quelques secondes plus tard, Isaac descendit prestement les escaliers, l'hyperactif toujours aussi inanimé dans ses bras. Le shérif détourna le regard, pas certain de tenir le coup s'il fixait le corps presque sans vie de son fils. Très vite, on s'anima.
- Derek et Isaac, avec moi, ordonna le shérif.
- Il faut quelqu'un en plus avec nous, je vais bientôt lâcher, expliqua rapidement Isaac alors que l'ancien alpha lui ouvrait la portière côté passager.
- Je pourrais…
- Garde ton énergie, elle est plus forte que la nôtre, refusa Isaac.
De par le fait qu'il avait été un alpha par le passé, Derek avait une plus forte résistance que les autres, et il avait été convenu qu'il ne s'épuiserait pas au même rythme que les autres, car son énergie pourrait s'avérer vitale en cas de situation critique.
- Très bien, comprit Hale. Jackson, appela-t-il ! Liam, tu vas rejoindre les autres.
La partie de la meute qui se chargeait d'interroger et de museler Scott depuis le début de cette histoire. D'après ce que son oncle Peter lui avait dit, l'alpha continuait de se débattre comme un beau diable et était parti dans des accès de folie inconcevables. Liam hocha la tête et s'en alla.
De son côté, la voiture du shérif démarra en trombe. Noah au volant. Derek assis côté passager. Isaac et Jackson à l'arrière, l'hyperactif entre eux. Et même s'il avait encore un peu d'énergie, Isaac passa le flambeau au kanima, qui s'empressa à son tour de caler l'humain contre lui et de lui prendre sa douleur. La position n'était pas aussi intime que celle que prenait Isaac, mais elle était tout aussi efficace. Ses traits harmonieux se crispèrent, mais il ne se plaignit pas. Comment pourrait-il ne serait-ce qu'y songer alors que l'humain subissait cette souffrance depuis qu'il avait été mordu ? Comment oser émettre une plainte alors que ledit humain mourait peu à peu ?
- Crache le morceau, finit par lâcher le shérif en appuyant sur la pédale d'accélérateur.
Derek n'hésita pas une seconde, mais… Il ne dit rien. A la place, il sortit son téléphone portable de sa poche et mit en route le message qui avait tout changé. Le message vocal que lui avait envoyé Deaton.
« Derek, j'ai du nouveau. Je ne peux pas te dire que ça va tout arranger, ni le sauver. Néanmoins, il y a quelque chose qu'on peut tenter. J'ai fait toutes les recherches que j'ai pu, mais c'est un souvenir qui m'a donné une idée. Dis à la meute d'emmener Stiles au Nemeton sitôt que tu auras écouté mon message. N'attendez pas, c'est très important : c'est peut-être sa seule chance. »
Légère pause.
« Stiles a une étincelle en lui. Quelque chose de rarissime dont j'aurais dû me souvenir bien plus tôt, mais c'est sans doute elle qui le maintient en vie à l'heure actuelle. Le fait que vous lui preniez sa douleur est un plus non négligeable qui permet à cette étincelle d'agir. Si elle n'était pas là, Stiles serait déjà mort, il n'aurait pas duré plus d'un jour. Tu te souviens de cette fois-là où il était chargé de disperser la poudre de sorbier autour du club ? Il n'en avait pas assez... Je ne lui en avais pas donné assez. Et pourtant, quand tu es arrivé, le cercle de sorbier était complètement fermé. »
Les regards incrédules se croisèrent, l'espoir combattit le choc. Impossible de prédire le gagnant.
Le message se termina ainsi :
« C'est pour cette raison que vous devez l'emmener au Nemeton. Il est humain, mais il a quelque chose en plus. Il n'y a que sur la balise qu'on pourra tenter quelque chose. Elle est l'endroit où toutes les étincelles sont nées. Si on lui permet de reprendre celle de Stiles, on peut espérer qu'elle nous le rende vivant. »
