Isaac avait mal à la tête. Aux bras. Aux jambes, aussi. En fait, il se rendait doucement compte que la douleur le traversait de part en part, gagnait l'intégralité de son corps. Pour autant, elle n'était pas insupportable. Juste assez forte pour qu'il la remarque.

Isaac était dans un état étrange, un état de semi-conscience. Son éveil était lent, graduel, mais il sentait chacun des changements inhérents à cette progression. Autant dire que ce n'était pas plaisant pour un sou.

Isaac trouva le temps long et plat, parce que son esprit se réveillait un peu plus vite que son corps. Il n'était cependant pas assez alerte pour se poser quelque question que ce soit. En cet instant, c'était comme s'il n'avait pas de vie, pas de souvenir, pas de personnalité. Il n'était pour l'instant rien de plus qu'une enveloppe utilitaire qui se contentait de transmettre son ressenti à son cerveau. Il sentit un peu plus tard qu'on le bougeait et son ouïe, normalement extrêmement fine, ne réussit pas à capter quoi que ce soit d'intelligible. Juste des sons flous et mélangés. Des voix, peut-être ? Il se sentit légèrement froncer les sourcils. Il n'en était même pas sûr. On le redressa, un peu avant de l'installer de manière plus confortable – c'est la seule chose qu'il put déduire de ce remue-ménage.

Tous ses progrès acquis jusque-là concernant un réveil futur partirent en fumée car il perdit à nouveau connaissance avant même d'avoir pu émerger.

Ça, Jackson et Derek le surent tout de suite et ils se regardèrent. Derek chuchota à Jackson de ne pas rester là. Lui, il pouvait gérer Isaac. Le kanima acquiesça et sortit de la pièce.

Jusqu'à maintenant, Derek n'avait jamais laissé personne ne serait-ce qu'effleurer les draps de son lit mais Isaac était aujourd'hui l'exception qui confirmait la règle. Pas pour une raison étrange. Simplement parce qu'il lui avait fait peur et que Stiles occupait l'autre chambre, celle de Peter. Derek et Jackson s'étaient mis d'accord pour emmener les deux jeunes hommes au loft. En fait, cela s'était présenté comme une évidence. On ne savait pas ce qu'il s'était passé. On n'avait pas compris. Le loft avait, quant à lui, été nettoyé. S'il se passait quelque chose, on pourrait donc agir – Derek avait du matériel à disposition, au cas-où.

Le front barré d'une profonde ride d'inquiétude, Derek remonta correctement les draps jusqu'aux épaules d'Isaac dont la pâleur était impressionnante. De sa vie, l'ancien alpha n'avait jamais vu le jeune homme avec un teint aussi clair. Aussi malade. Et le pire, c'était qu'il n'avait aucune idée de ce qu'il pouvait avoir. Deaton l'avait examiné et… Rien, tout avait l'air d'aller. Stiles ? Son état n'avait plus l'air de se dégrader. Le vétérinaire l'avait d'ailleurs regardé en premier. Puisqu'il était humain, sa santé était plus fragile et s'il avait un autre problème, Stiles passait en priorité devant Isaac, dont le métabolisme lycanthropique était bien meilleur.

La morsure de Scott était toujours là. Les crocs avaient profondément perforé sa peau et nul doute que le jeune homme en garderait d'importantes cicatrices, s'il survivait. Pour être honnête, on ne savait pas s'il était sauvé, encore moins si le Nemeton lui avait accordé la chance de vivre. L'arbre avait fait quelque chose, c'était certain, mais quoi ? Ni Derek ni Jackson n'étaient capables de répondre à cette question. Néanmoins, ils étaient sûrs d'une chose.

Jamais ils n'oublieraient ce qu'ils avaient vu.

xxx

Stiles avait froid. Stiles avait mal. Stiles avait peur. Peur, parce qu'il se savait mourant. Mal, parce que la douleur de la morsure de Scott le déchirait de l'intérieur. Froid, parce qu'il était privé de la chaleur dont il avait besoin. Une chaleur particulière, qui le laissait comme… Paralysé. Incapable d'ouvrir les yeux, de bouger. D'émettre le moindre son. De montrer qu'il n'était pas totalement inconscient. En fait, il était en quelque sorte bloqué dans un état où son corps lui tenait lieu de prison. Il l'empêchait de s'exprimer, le retenait là, allongé sur il ne savait quoi. Et cette douleur qui le lançait sans arrêt ! Insupportable… Dans le sens où il la ressentait sans jamais avoir la chance que celle-ci s'évapore, ne serait-ce qu'un instant. Non, il fallait qu'elle continue de le harceler, de lui envoyer des signaux dangereux. Il sentait tout. Tout.

Y compris ce poison qui le tuait lentement… Mais dont la progression en tant que telle s'était totalement arrêtée. Ça aussi, il le sentait.

Mais ça n'allait pas mieux pour autant. Le pire, c'est qu'il savait ce qu'il voulait, ce dont il avait besoin pour se sentir mieux. Que la chose soit mentale ou physique, Stiles pensait à Isaac. Autrement, sa tête était plus ou moins vide. En fait, il ne savait même pas pourquoi son visage seul lui venait à l'esprit… Sans doute était-ce parce qu'il lui avait longuement pris sa douleur, ou… Parce qu'il avait été là, avec lui, quand il s'était senti transpercé de toutes parts par… Eh bien, par il ne savait quoi. En tout cas, Stiles avait senti la présence d'Isaac à ce moment-là, et c'était ce à quoi il s'était raccroché.

Il n'avait pas eu mal, pas vraiment. La sensation était en fait plutôt étrange. Doucereuse, mesquine. Le genre de chose qui semblait positif de prime abord mais qui, en fait, était des plus dangereux. L'appel de la mort, le tunnel doux, accueillant, la lumière, agréable… Contrairement aux croyances et aux idées reçues, Stiles n'avait vu aucun proche décédé, pas même sa mère. Il avait juste entendu une voix sans genre et sans âge l'appeler.

Mais la main d'Isaac l'avait rattrapé et… Stiles n'avait étrangement pas hésité. Savait-il ce qui s'était réellement passé ? Ce qui avait eu lieu sur le Nemeton ? Non, parce qu'il n'avait eu conscience de rien. Sauf de la présence d'Isaac, aussi bien physique que mentale.

Et c'était tout.

Ce fut tout.

Parce qu'il n'y eut qu'Isaac dans sa tête, à cet instant. Rien d'autre, à part le froid. La peur. La douleur.

Et la solitude.

xxx

Scott était devenu fou. Méconnaissable, avec ses traits déformés par une rage qui ne se calmait pas. Il n'y avait que les chaînes engluées d'aconit qui l'empêchaient de se jeter sur Lydia. Et Peter. Jordan. Liam. Théo. Malia. Déjà plusieurs jours qu'il était retenu là, à l'intérieur de l'ancien manoir Hale. Interrogé. Longuement. Pas torturé, par contre – même si Théo et Peter avaient proposé l'idée. Mis à part cette technique, on avait tout essayé. Pas pour le faire parler, mais bien pour essayer de comprendre, puis de le faire changer d'avis.

Parce que la haine que l'alpha entretenait à l'égard de Stiles était terrifiante.

Lydia finit par détourner les yeux de lui et sortit de la cave du manoir, dans laquelle Scott était solidement retenu depuis ce jour où il avait eu la folie de mordre Stiles. Alors qu'elle sortait de la morne bâtisse, elle laissa échapper un soupir. Ce serait mentir que de dire que Scott pouvait être sauvé. Il lui semblait que son ami avait dépassé une limite qu'il serait incapable de franchir dans le sens inverse. Et il ne parlait que de Stiles. Sans arrêt. Il n'arrêtait pas. Il leur avait décrit à tous, en long, en large et en travers, les manières dont il comptait le tuer – s'il n'était pas déjà mort. Parce que des plans, il en avait des tas.

Jamais Scott ne s'était montré aussi créatif de sa vie.

Alors oui, Lydia avait besoin de prendre l'air, car l'aura de haine qui embaumait désormais le manoir l'étouffait. Des jours qu'elle était là, à essayer d'agir avec les autres. Qu'elle essayait de lui tirer les vers du nez et qu'elle lui démontrait que l'horreur qu'il semblait avoir décelé chez Stiles n'était rien d'autre que la sienne. Celle qu'il avait laissé s'exprimer en le mordant. En éclatant de fureur au loft, en plantant profondément ses crocs dans la chair pâle de celui qui, pourtant, ne cessait de l'épauler depuis des années déjà. Stiles avait, bien sûr, ses défauts à lui. Mais rien qui ne puisse justifier un tel déferlement de violence, une telle haine à son encontre. Ce qui la surprenait également, c'était que si Scott avait évoqué Allison le jour où il avait mordu l'hyperactif, il n'avait plus jamais prononcé son prénom. Toutes ses pensées convergeaient vers Stiles.

Une fois suffisamment loin du manoir, Lydia sortit son téléphone de sa poche et appela tout de suite Derek, par instinct. Sans doute parce qu'il était le propriétaire du lieu dans lequel se trouvait son meilleur ami. Lydia aimerait vraiment être au chevet de Stiles et rester à ses côtés. Aider, faire quelque chose. Pour être honnête, elle ne savait pas ce qui était arrivé au Nemeton. Tout ce que Derek lui avait dit la première fois qu'il l'avait contactée, c'est qu'il s'était effectivement passé quelque chose. Quoi ? Il ne le lui avait pas dit, mais il avait semblé suffisamment déboussolé pour qu'elle comprenne que c'était du sérieux. Toutefois, il lui avait confirmé que Stiles était toujours en vie.

De ce qu'il lui apprit lors de ce nouvel appel après qu'il eut décroché, c'est que c'était toujours le cas – pour l'instant. Derek lui demanda des nouvelles de Scott et Lydia fut tristement honnête. Au bout du fil, un silence, puis :

- Retenez-le bien, quitte à augmenter la dose d'aconit. Jackson et moi, on reste au loft.

Même si elle savait devoir rester ici, Lydia tenta tout de même sa chance :

- Est-ce que… Vous avez besoin d'aide ? Si je peux faire quelque chose…

- Pour l'instant, il vaut mieux que tu restes avec les autres. Ne t'approche pas trop près de Scott, mais reste au manoir. Ta présence les canalise tous. Elle leur fait du bien.

Et c'était la vérité. Lydia savait fort bien qu'en l'absence de Stiles, c'était elle qui les stabilisait. Parce qu'elle était une banshee, une fille au tempérament unique. Son intelligence l'aidait à analyser rapidement les choses, et… Elle était capable de commander lorsque la meute se retrouvait sans chef. Derek l'était aussi, assurément – en cela, ils se ressemblaient. Ils géraient, chacun de leur côté.

Et bordel, ce que c'était fatigant.

- D'accord, souffla-t-elle, abattue mais consciente de tout cela.

Léger silence.

- Si on a du nouveau, tu seras la première au courant.

Elle sut à son ton qu'il ne plaisantait pas, qu'il tiendrait son engagement. Derek ne manquait jamais à sa parole. Un petit « hmm » passa la barrière de ses lèvres. Sans doute était-il temps de raccrocher, songea-t-elle. Et alors qu'elle allait pour conclure l'appel…

- Lydia ? L'appela l'ancien alpha.

- Oui ? Répondit la jeune femme, un brin lasse.

- Fais attention à toi.

Sa voix chaude et profonde fit frissonner la banshee qui ferma les yeux un instant, comme pour mieux profiter de ces mots qu'elle ne lui avait jamais entendus prononcer jusqu'alors. Des mots inédits, prononcés d'une manière particulière et emplis d'une chaleur étonnante. Une chaleur qui faisait du bien.

L'instant d'après, Derek raccrocha. Mais la tonalité de fin d'appel du téléphone ne put faire réprimer à Lydia le léger sourire fatigué qui étira ses lèvres.