Lydia sortit du manoir en courant. Il lui fallait de l'air, maintenant. Elle ne pouvait plus rester ici, à apaiser les uns et les autres. Comment pouvait-elle continuer de les canaliser alors qu'elle-même ne se contrôlait plus ? Il y avait des limites à ce qu'elle pouvait tolérer, à ce qu'elle pouvait encaisser.
Là, c'était juste trop.
Dans d'autres circonstances, elle aurait passé outre et aurait continué d'endosser ce rôle dont elle ne voulait pas, mais dont elle comprenait l'importance. Pas cette fois. Plus maintenant. Elle était à bout et… Terrifiée. Transie de peur. Toute la pression accumulée ces derniers jours se relâchait si brutalement qu'elle était incapable de maintenir un état d'esprit correct.
Les loups dans le manoir avaient manqué de prudence un instant, juste un instant… Et c'était elle qui en avait fait les frais. Cela n'avait pas duré plus de quelques secondes, mais ç'avait été suffisant pour la marquer et elle savait qu'après ce qu'il s'était passé… Plus rien ne serait pareil. Jamais.
- Lydia ! Hurla-t-on depuis l'entrée du manoir.
- Lydia, merde ! Reviens !
Elle n'écoutait pas, continuait de courir. Les yeux secs. Pourtant, c'était comme si elle pleurait. Parce qu'ils la brûlaient… Tout comme la griffure sur son bras. Ce n'était rien. Pas grand-chose. Trop peu profond pour qu'elle y accorde une réelle attention. C'était le geste qui y était associé qui l'avait marquée. Et elle avait su, dès l'instant où ça s'était passé, qu'elle devait partir. Elle n'était pas comme ses amis, ne détenait pas ce merveilleux métabolisme qui la ferait guérir en quelques secondes. Son pouvoir à elle, c'était d'hurler, d'annoncer la mort. De sentir des choses et éventuellement, d'établir une sorte de connexion avec l'au-delà. On n'était pas censé l'exposer au danger comme elle l'avait été. Si elle ne s'était pas protégée, si elle n'avait pas pensé à lever son bras… Son cœur battait trop fort dans sa poitrine. Elle avait mal. Elle n'y retournerait pas : on ne pourrait pas l'obliger à revenir. Elle avait tout fait pour que chacun appréhende la situation au mieux, tout fait pour les stabiliser au niveau des émotions. Les plus difficiles à gérer à ce niveau-là, c'était Malia parce qu'elle était indomptable et Liam parce qu'il était encore un peu jeune et qu'il n'était pas encore complètement familier avec ses facultés.
Mais là, c'était elle qui avait besoin d'aide. Et son aide, elle la trouverait en rentrant chez elle. Il fallait juste qu'on la laisse tranquille. Qu'on laisse sa tête se reposer. Elle avait besoin d'être seule.
Peter et Jordan n'étaient pourtant pas de cet avis. Le premier l'attrapa et l'emprisonna entre ses bras après l'avoir rattrapée en usant de ses facultés surnaturelles. Le second arriva, son téléphone portable à la main. Lydia se débattit, hurla à l'ancien alpha de la laisser partir. Elle ne voulait pas y retourner, elle avait assez donné. Peter jeta un regard empli d'urgence au policier.
- Donne-moi ton téléphone et retournes-y, ordonna-t-il.
Même si Jordan n'avait, techniquement, aucun ordre à recevoir de lui, il obéit instantanément. S'ils étaient tous les deux partis instinctivement pour rattraper la rouquine et l'empêcher de faire une bêtise, il fallait tout de même que l'un d'entre eux y retourne, au manoir. Après ce qu'il s'était passé, mieux valait renforcer la sécurité.
- Renvoie Dunbar chez lui, ajouta-t-il prestement après avoir pris, d'une main, le téléphone que l'adjoint lui tendait.
Son autre bras maintenait fermement Lydia contre lui. Il ne comptait pas la laisser s'en aller, du moins pas comme elle l'entendait. Sitôt Jordan parti, il glissa le téléphone dans sa poche et, de sa main nouvellement libre, pressa les plaies du bras de la jeune femme tandis que celle-ci continuait de se débattre pour essayer de faire en sorte qu'il la lâche. Autant dire que face à sa force d'ordre surnaturel, c'était peine perdue. A sa manière, Peter fit de son mieux pour la rassurer, lui montrer que c'était fini. Qu'elle n'allait pas rester au manoir, non : on respectait son choix. Elle partirait, oui. Il fallait d'abord lui laisser le temps à lui, Peter, d'appeler son neveu. Pour l'informer de la situation. Et elle ? Elle allait aller au loft. Non, pas chez elle – c'était trop dangereux de la laisser seule pour l'instant. Peter était persuadé que, dans la panique, Lydia pouvait faire une bêtise à tout moment. Elle avait la respiration hachée, saccadée, le cœur battant à une vitesse incroyablement dangereuse. Elle n'avait pas simplement peur : elle était traumatisée, trahie. Mentalement affaiblie par ces derniers jours, ces dernières nuits, ces moments où elle avait été là, sur tous les fronts. On avait encore besoin d'elle… Mais on ferait sans.
Peu à peu, ses mouvements se firent moins énergiques, moins désespérés. Moins grands, moins nets. Lydia pleurait, cessait de se débattre, laissant son corps prendre appui contre celui de Peter dont une humanité certaine imprégnait les iris clairs.
La jeune femme se laissa faire lorsqu'il commença à la tirer dans une direction qui lui disait vaguement quelque chose. Les jambes tremblantes, elle eut toutefois besoin qu'il passe un bras autour d'elle pour qu'elle garde un certain équilibre. Autrement, elle tomberait : son corps suivrait alors son esprit en morceaux. Il s'effondrerait, se briserait. Lydia se trouva bientôt assise sur le siège d'une voiture luxueuse, un modèle ressemblant à la Camaro de Derek. Oncle comme neveu avaient des goûts de luxe en matière d'automobile, mais elle s'en fichait. L'air exsangue, elle ne pleurait plus, seuls ses yeux rougis et les sillons encore humides sur ses joues témoignaient de cet élan traumatique qui l'avait prise si soudainement.
A côté d'elle, Peter parlait au téléphone tout en conduisant d'une main de maître. Il ne commettait aucun écart. Et même s'il déviait un peu, elle n'en aurait cure. Elle voulait juste rentrer chez elle. Ne plus sortir pendant un moment. Prendre du recul sur tout ça. Se protéger. C'était une pure connerie de rester aussi proche de Scott alors qu'elle n'était… Rien de plus qu'une humaine, en soi. Une humaine insensible à la morsure et dont le rôle était d'annoncer la mort, mais… Une humaine quand même.
Oh oui, en cet instant, Lydia se sentait diablement vulnérable, plus faible que jamais. On ne pouvait plus lui demander d'assumer quelque rôle que ce soit : pour l'instant, elle n'en était plus capable.
C'était bête, parce que ça s'était joué… A peu. A une influence qu'on avait sous-estimée, en fait. Disons que Liam… Avait reçu son pouvoir de loup grâce à la morsure de Scott et que ce dernier… Pouvait le manipuler. Et c'était ce qu'il avait fait. Il avait rendu son aura d'alpha plus puissante que d'ordinaire et si tous les loups présents avaient pu y résister et s'en détacher grâce à leur expérience, Liam n'avait rien pu faire d'autre qu'obéir. Desserrer un peu certains liens, puis pousser Lydia vers lui à un moment opportun. Le pauvre blondinet ne savait même pas ce qu'il avait fait, mais une chose était certaine : pour lui et pour les autres, il devait partir, rentrer chez lui. L'influence que Scott avait sur lui était trop dangereuse. Hagard, il s'était retrouvé dans les bras de Théo, qui l'avait éloigné de l'alpha une fois la catastrophe passée. De par sa morsure récente et sa jeunesse… Liam était extrêmement manipulable. Un outil certain pour Scott.
Néanmoins, rien de tout ça n'était bon : ni le retour de Liam chez lui, ni la fuite de Lydia. A sa manière, Scott faisait au mieux pour séparer les troupes, faire en sorte de les affaiblir pour mieux s'enfuir. Retrouver Stiles, le faire agoniser un moment, puis l'achever. Scott détaillait chaque jour à ses geôliers une manière différente de mettre fin aux jours de son meilleur ami. Mais là, c'était fini : on ne les prendrait plus par surprise.
Après avoir vaguement informé Derek de la situation, Peter contacta Chris Argent.
xxx
Stiles n'avait plus froid. A vrai dire, il était en capacité d'affirmer qu'il se sentait relativement bien et c'était justement pour cette raison qu'il n'avait pas envie de bouger et qu'il regrettait, dans un sens, de s'être réveillé. Histoire de se convaincre qu'il pouvait retourner à souhait dans le monde du sommeil, il garda les yeux fermés. Apprécia la chaleur douce contre lui, l'étreinte qu'il sentait sans se rendre compte que c'en était une. Sa main était toujours sur celle d'Isaac, qui n'avait pas bougé d'endroit depuis un moment. Depuis qu'elle était arrivée là, en fait. Et ça lui allait, à Stiles. Ainsi, il était bien. Sentait sur sa nuque le souffle chaud et apaisant d'un Isaac parfaitement détendu contre lui, le bout du nez dans ses cheveux courts et bruns. Stiles, que toute forme de douleur avait déserté, se sentait en sécurité. D'ailleurs, il savait qu'Isaac était avec lui, et pas juste parce qu'une légère odeur boisée parvenait à ses narines humaines. Disons qu'il ressentait sa présence jusqu'aux tréfonds de son être, tout comme il le sentait épuisé mais… En bonne santé.
Et si cela pouvait n'avoir l'air que d'un détail, ça n'en était pas un.
Pour Stiles, c'était diablement important. Il sentait son cœur battre à vitesse régulière et tout le reste – qu'il ne saurait identifier – était fluide. Isaac allait bien. Isaac était avec lui. Isaac ne le lâchait pas, même profondément endormi.
Si Stiles et Isaac étaient amis depuis un moment, ils ne s'étaient jamais considérés comme extrêmement proche. Au départ, ils ne s'appréciaient d'ailleurs pas du tout. Le temps et la meute leur avait permis d'apprendre à se connaître et de s'aimer – en tout bien tout honneur – et ça leur allait fort bien. Tant qu'ils pouvaient compter l'un sur l'autre, c'était ok. Mais là, si on demandait à Stiles de s'éloigner d'Isaac, il refuserait aussitôt. Il voulait rester près de lui, il en avait besoin et le pire, c'est qu'il ne saurait même pas dire pourquoi – c'était juste ainsi.
Sauf qu'une impression on ne peut plus désagréable vint lui faire froncer les sourcils et le faire sortir de cette torpeur dans laquelle il voulait rester. L'impression que quelque chose n'allait pas. Et s'il entendit un peu de bruit venant de l'étage inférieur du loft, ce n'est pas ça qui l'alerta.
C'est la douleur qui émanait d'il ne savait qui. Une douleur aussi bien mentale que physique qu'il sentait alors même qu'il était allongé dans un lit, à l'étage, contre Isaac. Et du sang. Il sentait du sang, aussi, mais pas de façon olfactive. Tout ça, c'était de l'instinct, quelque chose qu'il ne comprenait pas mais qu'il ne pouvait nier.
Stiles ouvrit les yeux.
