Chapitre posté le 14 janvier 2015

Disclaimer : Kingdom Hearts ne m'appartient pas, mais appartient à Square Enix et Disney.

L'image de couverture, provenant de la fin de Kingdom Hearts 2, appartient donc également à Square Enix et Disney.

Je n'ai joué parmi les jeux Kingdom Hearts qu'à KH HD 1,5 Remix, donc, même si j'ai vu des vidéos sur les autres jeux et me suis renseignée sur eux, il reste peut-être des incohérences.

Merci à Julie-Write et Ima Nonyme pour leurs reviews, d'ailleurs quelques petites précisions :

-les noms des chapitres ne reprennent pas complètement les vers du poème de Kairi dans KH2, c'est normal. Ici, c'est sa quête pour se souvenir de ce qu'elle a oublié, alors que dans KH2, c'est sa quête pour retrouver Sora.

-le jour où se passe l'histoire : le premier chapitre correspond au jour 197 de 358/2 Days.

-l'histoire ne commence réellement qu'à partir du chapitre 7

Et merci à Julie-Write pour la mise en favori et en alerte et à Lunamyx Voldy pour la mise en alerte.

Bon, ce n'est pas trop grave mais je me suis rendue compte que j'avais écrit « brides » à la place de « bribes », dans « à part des bribes d'images » dans le chapitre 1. Enfin, il doit rester d'autres fautes de toute façon.

Bonne lecture !


Chapitre 4 : Le moment est venu d'accomplir ma promesse

Kairi se dirigea sans se presser vers la sortie. La majorité de ses condisciples s'étaient déjà rués dehors et elle marchait seule dans les couloirs. Seuls ses pas résonnaient entre les murs percés de portes ouvrant sur les salles désertées. Tête basse, elle s'arracha de ses pensées pour se concentrer sur les marches de l'escalier plongé dans la pénombre, où manquer une marche était chose facile. Calme en apparence, tout se mêlait pourtant dans son esprit comme dans son cœur en un désordre chaotique, d'où n'en émergeait qu'une vague incompréhension. Elle poursuivit son chemin le long du large couloir, à peine éclairé par des néons clignotant dans un silence pesant, tandis qu'un élève solitaire la dépassait à toutes jambes sans lui accorder un regard, pressé de rentrer chez lui, guidé par les rires étouffés des élèves à l'extérieur.

Elle poussa les portes, émergeant dans la lumière déclinante du jour où baignait la cour. Quelques rares élèves s'y attardaient encore, se dirigeant d'un pas léger vers le portail tout en bavardant gaiement. Elle s'arrêta, laissant le battant claquer derrière elle, et les considéra avec un regard vague. Quelquefois, elle pensait qu'elle aurait tout donné pour pouvoir revenir en arrière, à cette époque où elle était comme eux, insouciante et enjouée. Mais une voix en elle l'avertissait que ce ne serait que la solution de la facilité, suivre le cours de sa vie tel que la société l'avait construit pour elle, sans s'interroger réellement sur les choix qu'elle préférerait accomplir, au plus profond d'elle-même. La situation incertaine où elle était plongée depuis son retour lui accordait au moins l'avantage de s'être détachée du parcours habituel de la vie sur cette île, d'avoir l'occasion d'effectuer des choix qui construiraient son existence telle qu'elle souhaitait qu'elle fut.

Repoussant une nouvelle fois ses mèches rouges derrière ses épaules -parfois, elle se demandait pourquoi diable elle avait décidé de les laisser pousser-, Kairi prit le chemin de la sortie, bonne dernière. Elle était si fatiguée qu'elle ne parvenait même pas à en vouloir à Mme Trepe de l'avoir convoquée en fin de classe, la cause de son retard. Kairi soupira tandis que la conversation précédente défilait à nouveau dans sa tête.

Comme convenu, alors que les autres élèves se précipitaient dehors en s'interpellant bruyamment, Kairi était allée trouver Mme Trepe, son professeur. Celle-ci, assise à son bureau, discutait avec un élève sur un problème soulevé par le dernier devoir en date. Un peu nerveuse et mal à l'aise, Kairi patientait derrière le garçon, les mains serrées autour de la courroie de son sac d'école, rejetant parfois avec des gestes agacés ses mèches rebelles en arrière. Tournant la tête, elle avait croisé le regard interrogateur de Selphie, qui refermait son sac à dos quelques tables plus loin, et lui avait fait signe de ne pas l'attendre.

Les élèves avaient quitté la salle un par un et le silence était retombé. Mme Trepe s'était alors tournée avec un soupir vers Kairi, plissant les yeux comme si elle tentait de se souvenir du pourquoi elle l'avait convoquée.

« … Kairi. Y a-t-il quelque chose dont vous voudriez me parler ? »

Elle n'avait pas répondu, se contentant simplement de secouer la tête avec un regard neutre. Le professeur avait soupiré à nouveau.

« Kairi, j'ai discuté avec vos parents. Ils s'inquiètent beaucoup pour vous, mais je suppose que vous le savez, non ? »

Kairi avait hésité. Que devait-elle dire ? Mais que pouvait-elle dire de toute manière ? Aussi s'était-elle contentée de hocher la tête à nouveau. Mme Trepe lui avait alors envoyé un regard perçant.

« Je suis consciente que vous souffrez de la perte de vos amis, mais... »

Elle avait brusquement relevé la tête. Ses amis ?

« Qui ?! » avait-elle murmuré un peu brusquement.

Mme Trepe avait plissé les yeux.

« Je vous demande pardon ? »

Kairi avait dégluti, puis repris :

« Mes amis ? De qui parlez-vous ? »

Mais Mme Trepe avait balayé sa question d'un geste agacé de la main.

« De Riku, bien sûr. Mais vous le savez mieux que moi. Kairi... -sa voix s'était adoucie- je suis consciente que la situation doit être difficile pour vous, et je n'essayerai pas de vous forcer, mais il est préférable que vous ne vous laissiez pas abattre. Votre avenir est en jeu, vous savez. Je sais, c'est ce que les profs ne cessent de répéter aux élèves, mais rappelez-vous que la réussite scolaire est très importante dans le parcours de l'existence et... »

Elle avait soupiré, puis choisi de regarder Kairi droit dans les yeux, lui parlant avec franchise.

« Je ne veux pas que vous vous détruisiez pour ce garçon. »

Mme Trepe parlait manifestement de Riku, néanmoins, aux yeux de la jeune fille, ses mots prenaient une autre tournure.

Elle savait que, si elle n'y prenait pas garde, elle pourrait se détruire pour Sora. Non, le mot était trop fort. Elle ne se trouvait guère vaillante, mais elle n'envisageait pas qu'elle puisse être assez faible pour être détruite par la disparition d'un être cher. Peut-être était-ce cela qui la tourmentait.

« Kairi ! »

Kairi sursauta, relevant la tête, pour voir Selphie se lever d'un banc et accourir vers elle. Elle l'avait attendue. Ce simple fait lui remit du baume au cœur.

« Alors ? » s'enquit sa camarade.

Kairi haussa un sourcil.

« Alors quoi ?

-Qu'est-ce qu'elle voulait ? s'impatienta Selphie. Elle ne t'a quand même pas mis une retenue ?

-Ah, oh non. Elle... s'inquiétait pour moi, c'est tout. »

Les deux filles reprirent leur route, dépassant le portail, et Kairi perçut distinctement son amie soupirer.

« Quoi ?

-Kairi... Tu sais, tout le monde s'inquiète pour toi, c'est normal, après... Je suppose que tout le monde te l'a déjà dit, moi également, mais je veux que tu saches que... tu devrais t'ouvrir à nous. »

Elle marqua un temps de silence, attendant manifestement que sa camarade lui réponde, mais celle-ci resta muette. Aussi tenta-t-elle à nouveau :

« T'es pas obligée de tout dire d'un coup, tu sais. Juste quelques mots pour commencer, et ensuite...Où tu vas ? »

Kairi n'empruntait pas en effet la route remontant vers leur quartier, mais le chemin descendant vers la grève.

« Je vais voir Ifalna, répondit-elle d'un air absent.

-Ça ne pourrait pas attendre demain ? Il est tard et tu m'avais promis de venir réviser avec moi ce soir. » répliqua Selphie d'une voix boudeuse.

Kairi doutait avoir jamais promis quelque chose de semblable et lui lança un regard navré. Son amie essayait seulement de la sortir de ses sombres pensées. Sur le point de décliner son invitation, elle se ravisa, considérant que cela ne lui ferait pas de mal de faire quelques efforts de sociabilisation. Après tout, Ifalna n'allait pas s'envoler. Elle pourrait toujours lui rendre visite le lendemain.


En réalité, Kairi n'alla pas voir Ifalna le lendemain, mais le surlendemain, d'abord pour des raisons de fatigue : entre ses insomnies et l'obstination de leur prof de sport à les faire courir des heures durant, elle pouvait à peine mettre un pied devant l'autre au soir du mardi. Ce ne fut que mercredi soir qu'elle annonça à Selphie qu'elle ne rentrerait pas avec elle cette fois-ci.

« Tu veux que je t'accompagnes ? lui offrit cette dernière, bien que l'envie de retrouver son chez-soi se lise clairement sur son visage.

-Non, ça ira. Je connais le chemin. A demain ! »

Sans ajouter un mot, Kairi accéléra le pas, laissant là une Selphie décontenancée.

« Tu devrais pas te fermer sur toi-même, Kairi ! lui cria Selphie dans son dos. On est tous là pour toi tu sais ! C'est agaçant que tu ne t'en rendes pas compte ! »

Kairi se savait injuste, mais elle ne se retourna pas pour lui répondre, se contentant de lui adresser un vague signe d'au revoir de la main.

Le soleil déclinait à l'horizon, les pavés des rues revêtaient une belle teinte dorée et rougeoyante, très chaude comparée à la brise froide qui faisait onduler les herbes bordant les chemins. La rue que la jeune fille empruntait était déserte, bien qu'il ne soit pas tard, mais il s'agissait de la voie descendant vers la plage, où seuls quelques pêcheurs s'attardaient en ce mois de mars. Néanmoins, la plage au crépuscule, qu'elle apercevait de loin, valait le spectacle : le ciel s'était métamorphosé en un immense voile aux teintes chaudes, de l'or au rouge, qui s'étendait jusqu'à l'horizon et se reflétait dans l'eau, lui offrant les mêmes couleurs. Même le sable et les rochers se paraient d'or à ces moments-là. Kairi se souvenait de nombreuses fois où ses amis et elle étaient descendus sur la grève, pour admirer le crépuscule. D'ailleurs... ne l'avait-elle pas observé, cette nuit-là ? Avant la catastrophe qui avait plongé l'île dans les Ténèbres ? Avec quelqu'un d'autre, mais... ce n'était pas Riku...

Elle se sentit soudainement observée et tourna vivement la tête, saisie par un étrange pressentiment. De l'autre côté de la rue, dans l'ombre de deux maisons, une petite silhouette immobile la fixait. Saisie, elle se figea et lui renvoya son regard. Il faisait trop sombre entre les deux murs pour qu'elle distingue les traits de l'intrus, mais elle aperçut deux yeux luire dans la pénombre, deux yeux d'un vert pur. Alors qu'elle hésitait à venir à sa rencontre, l'ombre bougea et disparut, s'enfonçant dans la ruelle.

Kairi resta figée quelques instants. Son cœur s'était emballé. Pourtant, qu'avait-elle à craindre ? Personne sur cette île ne ferait de mal à qui que ce soit, elle pouvait en être certaine. Il s'agissait probablement d'un gamin qui jouait dans la ruelle et avait été surpris par sa venue, tout comme sa présence à lui l'avait surprise. Elle patienta, mais la silhouette ne réapparaissant pas, la jeune fille haussa les épaules et reprit sa route d'un bon pas, entraînée par la pente descendante.

Oui, songea-t-elle en contemplant les dernières lueurs du jour, c'était avec Sora qu'elle avait partagé ce moment devant le crépuscule, la veille de la catastrophe. Elle s'en souvenait à présent. Sora. Elle ne se rappelait toujours pas qui il était, à part qu'il avait été un ami proche, mais elle se rappelait son nom. C'était déjà une avancée considérable, non ? Elle s'en sentait cependant à peine fière. Un sentiment bizarre s'était insinué en elle depuis la découverte de ce souvenir, comme une sorte de mal-être mêlé à du chagrin. Très étrange.

S'ils avaient été si proches, songeait-elle encore, pourquoi l'avait-elle oublié ? Elle avait le soupçon que cela n'était pas étranger à l'attaque des Ténèbres, mais ne pouvait en jurer. Néanmoins cette petite victoire, curieusement douloureuse, ne faisait qu'accroître sa détermination à découvrir le fin mot de l'histoire.

C'est pourquoi, dans les dernières lueurs du jour, la jeune fille fit route vers la guérisseuse de l'île, le long du petit chemin qui longeait la côte. Peut-être pourrait-elle décrypter le mystère de ses rêves... Ifalna, aux dires des villageois, était un peu sorcière : il y a quelques années, des rumeurs de cette espèce avaient engendré une vraie polémique, certains idiots accusant ses remèdes d'être la cause de l'épidémie de grippe qui avait sévi tout l'hiver. Sora en avait été très attristé. Une minute... Comment savait-elle cela ?

Elle pressa le pas, de plus en plus persuadée qu'auprès d'Ifalna l'attendaient les réponses. Elle s'enfonça dans l'ombre des arbres qui bordaient la route, alors que les maisons se faisaient plus rares. Ifalna vivait derrière un bosquet d'arbres, dans un cottage au bout du chemin, d'après ses amis. Non... songea-t-elle à nouveau. Ses amis ne lui avaient jamais indiqué le lieu exact où vivait la guérisseuse. A vrai dire, elle ne l'avait jamais su, n'est-ce pas ? Qu'est-ce qui l'aurait poussée à s'y rendre ? Alors comment connaissait-elle le chemin, comment ses jambes pouvaient-elles la guider dans cette direction qu'elle savait être la bonne ?

Le soleil avait disparu, délaissant quelques effluves dorées à l'horizon alors que le ciel s'assombrissait. La brise glacée se faisait plus forte, faisant bruire le feuillage des arbres au-dessus de sa tête. Elle frissonna et se hâta. Il commençait à faire froid et une odeur de pluie, ainsi que la lourdeur de l'air lui indiquaient l'imminence d'un orage. Comme une autre nuit dont elle ne voulait pas se souvenir.

Kairi repéra bien vite, à moitié dissimulé dans l'obscurité, un vieux portillon de bois qu'elle poussa, se faufilant entre les buissons avant d'émerger dans un petit jardin rempli d'ombres, la propriété de la guérisseuse. En ce début de printemps, les fleurs s'y épanouissaient déjà. Ifalna avait un don pour cela, c'était certain. Au cœur des massifs de fleurs s'élevait la demeure, foyer lumineux dont des lueurs chaleureuses s'échappaient des fenêtres. Elle s'y précipita, sonna à la porte avec anxiété. L'atmosphère apaisante du crépuscule s'était brusquement envolée, et elle se retrouvait là, perdue au cœur d'un jardin parsemé d'ombres, dans le vent glacial, sous un ciel orageux.

« Entrez ! » fit une voix féminine, étouffée par les murs.

La jeune fille n'hésita qu'une seconde, et poussa la porte, pénétrant avec timidité à l'intérieur. L'air se réchauffa sensiblement, néanmoins, le vestibule était désert. Elle ferma la porte derrière elle et avança d'un pas, incertaine.

« Euh... bonjour ? »

Personne ne lui répondit.

« Il y a quelqu'un ? insista-t-elle.

-Oui ! lui répondit la même voix, dans une pièce vers le fond. Par ici ! »

Le vestibule comportait deux portes, une à gauche et une à droite, ainsi qu'un escalier qui s'envolait à l'étage. Elle avança un peu, pas tout à fait certaine de ce qu'on attendait d'elle, pour découvrir la présence d'un petit couloir derrière l'escalier, menant à ce qui y semblait être une salle de séjour. Une femme aux longs cheveux châtains vêtue d'une robe magenta s'affairait devant une table, au centre de la pièce, le visage plissé par la concentration. La jeune fille s'avança un peu, hésitant à franchir le seuil, et constata qu'un vieil homme reposait sur la table, ses traits figés dans une grimace de souffrance. Sa jambe gauche était en sang. La femme, certainement Ifalna, semblait faire tout son possible, jonglant entre des dizaines de sachets de plantes séchées, de flacons aux couleurs chatoyantes et de pots de pommades étalés sur une petite table devant elle. Une forte odeur de sang la prit à la gorge et elle jugea plus sage de ne pas s'attarder, reculant d'un pas.

Ifalna sembla prendre conscience de sa présence et leva les yeux vers elle avant de rapidement retourner à sa tâche.

« Désolée, jeune fille, mais cette intervention est plutôt urgente. Je vous demande de patienter. »

Kairi hocha la tête et se replia dans le couloir. Ifalna n'avait sans doute pas besoin de spectateur. Désœuvrée, elle commença à faire les cent pas dans le vestibule, dans un silence de mort uniquement troublé par les cliquetis des ustensiles d'Ifalna et le froissement de ses sachets d'herbes. Il y en avait, songea-t-elle avec amertume, qui avaient moins de chance que de subir de simples insomnies.

Sans y penser, la jeune fille poussa une porte au hasard pour pénétrer dans une cuisine propre, claire et simple. Un reste de poulet dormait dans le four, une coupe de fruits trônait sur le plan de travail. Une cuisine comme les autres, cependant, à nouveau, une curieuse sensation de familiarité l'envahit. Cet endroit ne lui était pas étranger, alors même qu'elle ne se souvenait pas y avoir mis les pieds. Kairi s'assit sur une chaise, se frottant le front, tentant de faire revenir un souvenir en particulier.

Riku entra et lui lança un regard interloqué, haussant les sourcils devant la scène sous ses yeux. Elle lui renvoya un regard dépité : il n'était pas au courant qu'ils s'étaient réunis ici pour s'entraîner à la préparation de son gâteau d'anniversaire, ce qui avait été un vrai fiasco.

C'était cela. Elle était déjà venue ici, pour préparer l'anniversaire de Riku... le dernier en date avant la catastrophe, quand il avait eu quinze ans. Étrange... Pourquoi ici, pourquoi chez la guérisseuse du village ? Cela n'avait aucun sens. Fronçant les sourcils, Kairi se leva et sortit, décidée à explorer chaque pièce de la maison, en commençant par l'autre pièce qui s'ouvrait sur le vestibule : une simple salle à manger, occupée par une longue table de bois. Simple et classique. Les rideaux vert pomme aux fenêtres adoucissaient l'atmosphère chaleureuse de la pièce. Ses pieds s'enfoncèrent dans la moquette qui recouvrait le sol.

Elle s'avança vers la table, caressant le bois du bout des doigts.

Souvenirs, souvenirs... Elle ne pouvait plus nier ne jamais avoir mis les pieds ici.

Après quelques instants, elle se dirigea vers les escaliers, et commença à en grimper les marches, lentement pour ne pas trahir sa présence. Chaque marche passée, ce sentiment de familiarité devenait plus fort : elle était déjà venue ici. A de nombreuses reprises.

L'escalier émergea dans un couloir sombre. En face, une porte, pourtant identique aux autres, attira immédiatement son attention. Sans hésiter, elle se dirigea vers elle, mais fut soudainement prise de scrupules et se figea, la main sur la poignée. Elle avait l'impression de pénétrer dans un sanctuaire interdit.

Elle poussa néanmoins la porte.

Une simple petite pièce s'ouvrit à elle. Sans doute une chambre d'ami. Près de la fenêtre gisait un lit, où ne demeurait qu'un matelas, preuve que personne n'y dormait plus. Quelques autres meubles occupaient l'espace – une armoire, un bureau et sa chaise, une table de nuit – mais à part cela, la pièce était vide, sans indice quelconque prouvant que quelqu'un y ait un jour vécu. Kairi avança de quelques pas précautionneux, se sentant presque coupable de venir ternir la sérénité sacrée du lieu, endormi dans l'oubli et les ombres. Elle alluma la lampe pour chasser ces dernières et jeta un coup d'œil circulaire autour d'elle.

Il n'y avait rien de spécial, mais la pièce lui était vraiment trop familière. Ses yeux se promenèrent sur la surface lisse et nue du bureau, sur le parquet légèrement poussiéreux, le matelas fané, avant de se poser sur l'armoire. Elle traversa la pièce plongée dans le silence et tira le battant, sans savoir à quoi elle pensait s'attendre, car l'armoire, bien entendu, était vide.

Kairi s'écarta, déçue. Souvent, dans les romans, les armoires renfermaient toutes sortes de choses, et elle s'était imaginée que ce serait le cas de celle-ci. La jeune fille s'avança vers le bureau, en ouvrit les tiroirs un à un, en vain. Mais que cherchait-elle ? Mue par une impulsion soudaine, elle s'accroupit pour jeter un coup d'œil sous le lit et... son regard rencontra une forme plate et longue, petit objet de bois étendu dans l'obscurité. Intriguée, elle étendit le bras et le ramena à elle, considérant sa trouvaille : une simple épée de bois pour enfant.

« Entre ! Fais comme chez toi. »

Timidement, cependant, Kairi, du haut de ses cinq ans, pénétra dans la maison à la suite de son ami.

« Ma mère n'est pas là.

-Ta mère ? »

Il brandit fièrement l'épée de bois avec laquelle il aimait fanfaronner en jouant au chevalier.

« Oui, c'est la meilleure guérisseuse de l'île. »

« Oh ! Vous êtes là... »

Kairi sursauta et sauta sur ses pieds, sans lâcher l'épée de bois. Ifalna se tenait sur le seuil, lui jetant un regard désapprobateur.

« Kairi, n'est-ce pas ? Que faites-vous ici ?

-Madame, balbutia Kairi. Euh... »

Les yeux d'Ifalna balayèrent la pièce, son regard mécontent faisant place à une expression songeuse. Elle avisa l'épée de bois, et fronça imperceptiblement les sourcils.

« Il fallait attendre dans le vestibule, fit-elle d'un ton ennuyé. Vous n'auriez pas dû entrer ici. »

Son regard revint sur Kairi.

« Vous êtes la mère de Sora. »

Ifalna n'eut aucune réaction, excepté un léger frémissement de sa lèvre supérieure.

« Vous... vous le connaissez, n'est-ce pas ? » cria presque Kairi.

Ifalna soupira.

« Je ne sais pas.

-Que... Quoi ?

-Je ne sais pas. »

Elle soupira à nouveau, puis, d'un geste, l'invita à la suivre.

« Sortons d'ici. Cette pièce me fait froid dans le dos. »


Dix minutes plus tard, les deux femmes étaient attablées dans la cuisine, une tasse de café réchauffé devant elles. Kairi, qui n'aimait pas le café, attendait patiemment que la guérisseuse commence, mais celle-ci, cependant, semblait avoir du mal à trouver les mots. Elle but une gorgée, puis ouvrit la bouche, hésitante :

« Alors oui, j'ai eu un fils. Je crois.

-Vous... croyez ? répéta Kairi, dubitative.

-Je ne m'en souviens pas. »

Ifalna hésita, l'air indécise. Kairi la regarda par-dessus sa tasse, refoulant son impatience sans intervenir : c'était à Ifalna et à elle seule de trouver les mots et la volonté de les délivrer. Néanmoins, comme la femme ne semblait pas parvenir à se décider, elle prit finalement la parole :

« J'avoue que je me sens un peu... vexée, dit-elle doucement. J'ai passé des mois à m'inquiéter, j'ai interrogé les autres sur ce mystérieux garçon et tous ont prétendu ne pas le connaître, et là, vous... vous me dites que vous êtes dans le même cas que moi... Je croyais que j'étais seule... C'est soulageant d'une certaine façon... un peu frustrant aussi. »

Ifalna eut un faible sourire.

« Kairi... Je suis désolée, mais je ne peux pas t'aider. Je ne me souviens de rien. Même pas de son nom.

-Il s'appelle Sora. » répliqua Kairi avec un brin de fierté.

Fière de s'en être souvenue. Les lèvres de la guérisseuse s'arrondirent en un « o » muet.

« Sora, répéta-t-elle. Ça veut dire « ciel » dans une langue ancienne. Dans ma famille, on avait cette tradition de nommer les enfants selon un élément de la nature -elle émit un petit rire- bien que je n'ai jamais su ce que signifiait Ifalna. »

La sentant moins taciturne, Kairi ne répondit pas, se contentant de lui sourire avec bienveillance pour la pousser à continuer.

Ifalna avala une gorgée puis reprit :

« J'ai vu beaucoup de choses de ma vie, tu sais. Je vivais jadis dans un monde appelé... je ne m'en souviens même plus. Oh, ajouta-t-elle en relevant les yeux vers elle, je ne sais pas si tu es au courant. Tu sais, notre monde n'est pas le seul...

-Oui, je suis au courant, la coupa-t-elle. Je... je m'en suis rendue compte il y a peu.

-Bien... et donc, je n'habitais pas ce monde avant. J'avais une famille, là-bas. J'ai même eu une fille, et j'étais heureuse, mais... malheureusement, j'ai eu quelques ennuis qui m'ont conduite à émigrer ici. Et je suis restée seule, acceptée en temps que guérisseuse. Du moins je le croyais. »

Elle parvint enfin à esquisser un sourire sincère.

« Je n'avais jamais vu cela néanmoins. Depuis quelques mois, j'avais au fond de moi la certitude qu'il manquait quelque chose mais je n'y ai pas vraiment prêté attention. Et puis en nettoyant la maison, je suis entrée dans cette pièce et... c'était bizarre, je ne me souvenais plus de la dernière fois à y avoir mis les pieds, j'en avais presque oublié l'existence. Et je me suis dit : qu'y avait-il dans cette pièce ? Est-ce que quelqu'un y avait déjà logé ? Est-ce que … j'avais eu un enfant ? »

Kairi avait baissé les yeux, par politesse, songeant qu'Ifalna n'aurait peut-être pas envie qu'elle l'observe dans un moment pareil.

« Et... avec le temps, cette certitude s'est installée. Celle d'un fils disparu, oublié, que je ne reverrai jamais. J'ai cessé d'aller dans cette pièce, mais rien n'a changé... »

Elle se tut brusquement.

« Et vous... vous ignorez tout de lui ?

-Oui, souffla Ifalna. A vrai dire, je pensais presque parfois être victime de mon imagination, de mon désir d'être moins seule. En fait, je l'espérais. Cela aurait été moins dur pour moi. »

Un éclair d'espoir illumina alors son visage.

« Mais toi, tu sais, n'est-ce pas ? Tu sais qui était ce Sora ! »

Elle était passée naturellement du vouvoiement au tutoiement, sans y prêter attention, comme si la jeune fille n'était plus une étrangère par le fait qu'elle affirmait connaître son fils. Kairi secoua la tête, l'air navré.

« Non. A vrai dire, je vis la même chose que vous... Et j'espère retrouver la mémoire. Tout ce que je sais, c'est son nom, son apparence et aussi... on était très proches...

-Vraiment ?

-Oui, je crois qu'il m'a souvent invitée ici.

-Oh ? Je ne m'en souviens plus. »

Ifalna ne parvenait pas à dissimuler sa déception.

« Comment était-il ?

-Oh... Très gentil, je crois. Très optimiste, il me semble. Il souriait beaucoup et voyait toujours les choses avec bonne humeur. Un peu paresseux aussi – elle rit, émue – et beaucoup trop naïf. Il était très proche de moi et de Riku. Je crois qu'on passait beaucoup de temps ensemble, tous les trois. C'était le plus doué d'entre nous pour se faire des amis... »

Ifalna buvait ses paroles avec intérêt.

« Il a vos cheveux, poursuivit Kairi. Je veux dire, votre couleur de cheveux. Mais des yeux bleus, comme la plupart des d'habitants de cette île. D'ailleurs, qui est son père ?

-Je... je ne sais pas. »

Vu le ton et l'air embarrassés de la guérisseuse, Kairi soupçonna qu'elle devait en avoir une petite idée, dont elle n'avait aucune envie de lui faire part. N'insistant pas, elle continua :

« Je le vois souvent dans mes rêves depuis quelques mois. Mais jusqu'à présent, cela ne m'a rien apporté de nouveau.

-Et qu'est-ce qui a changé ?

-Pardon ?

-Qu'est-ce qui a changé ? insista Ifalna. Comment as-tu réussi à percer à jour son identité alors que moi, sa mère, n'y suis pas arrivée ? »

Ifalna lui en voulait-elle de s'être souvenue du nom de son fils avant elle ? Culpabilisait-elle de ne pas y être parvenue seule ? Sa question l'avait prise au dépourvu.

« Euh, et bien... Lundi, j'ai... Cela va vous paraître étrange. J'ai... promis de tout faire pour me souvenir de lui et là... les choses se sont, dirais-je, enclenchées.

-Enclenchées ? répéta la guérisseuse en haussant les sourcils.

-Le jour même, j'ai retrouvé le premier cadeau qu'il m'avait offert, le jour de notre rencontre, il y a dix ans. C'est celui qui a marqué le début de notre amitié.

-Qu'est-ce que c'était ?

-Un stylo. Tenez. »

Elle farfouilla dans son sac d'école - posé sur le sol à ses côtés - et lui tendit l'objet en question. Ifalna le prit avec délicatesse, l'examinant comme s'il s'agissait d'un trésor, sous l'œil attentif de Kairi.

« Mais ça ne veut pas dire que je... je ne me souviens de rien de plus, madame. »

Ifalna sourit soudainement.

« Ce stylo.

-Oui ?

-C'est drôle, je m'en souviens après toutes ces années. Je ne l'avais pas acheté pour Sora, à l'origine. C'était un cadeau de bienvenue offert par le gérant d'une petite boutique de l'autre côté de l'île, je crois, quand je suis arrivée ici... »

Elle reposa l'objet, les yeux dans le vague, perdue dans ses pensées.

« Tu dis que tu le vois en rêve ? demanda-t-elle brusquement.

-Oui. Enfin, ce sont plutôt des cauchemars. C'est pour cette raison que je suis venue en réalité, pour me débarrasser de mes insomnies. Mais...

-...Maintenant tu hésites, compléta Ifalna.

-... Oui. Avant, je ne voyais en ces rêves que des cauchemars sans autre utilité que celle de me faire douter et m'épuiser, mais maintenant... c'est le seul contact que j'ai avec lui désormais. Du moins c'est ainsi que je vois les choses. Peut-être que... je pourrais retrouver mes souvenirs ainsi. »

Ifalna se prit la tête dans les mains, l'air soudainement épuisée.

« Ce qu'il faut qu'on m'explique, c'est ce qu'il s'est passé, siffla-t-elle. Quelle est la cause de tout ça ? Que lui est-il arrivé ? Pourquoi a-t-il disparu ? Pourquoi... tout le monde l'a-t-il oublié ?! »

Kairi abaissa les yeux, mal à l'aise.

« Je l'ignore. Je crois que c'est à cause de l'invasion des Ténèbres, l'année dernière...

-Hein ? »

Ifalna avait relevé la tête, la fixant d'un air confus. Ah oui, elle n'est pas au courant, songea la jeune fille, qui commença à tout lui raconter. Il lui fallut au moins quarante minutes pour venir à bout de l'incrédulité de la guérisseuse, qui demeura trois bonnes minutes silencieuse à la suite de ces révélations.

« J'avais déjà entendu parler de cette légende des Princesses de cœur quand j'étais jeune, confessa-t-elle, mais... je n'aurais jamais pensé que tu en étais une... Je ne dis pas ça pour t'offenser. » ajouta-t-elle précipitamment.

Kairi laissa échapper un petit rire.

« Pas de problème, madame. »

Ifalna joua distraitement avec le stylo de Sora.

« Donc... Riku n'est pas mort dans une tempête, n'est-ce pas ?

-Non. Il rentrera bientôt, affirma Kairi. Mais ne le dites à personne. Personne n'est au courant de ce qu'il s'est passé, cela ne créera que de la confusion.

-Entendu. »

Un second moment de silence s'installa avant que Ifalna ne pose la question fatidique.

« Et … Sora ? »

Kairi soupira.

« Je... je ne sais pas encore. Peut-être a-t-il été emporté par les Ténèbres... Les Ténèbres peuvent-elles effacer quelqu'un de la mémoire des gens ? »

Ifalna fit la moue.

« Ce n'est pas dans leur nature. Cela n'est possible que si quelqu'un le fait sciemment.

-Que voulez-vous dire ?

-Et bien, si quelqu'un use le pouvoir des Ténèbres pour agir sur la mémoire du Monde. C'est très probablement possible. Mais les Ténèbres seules n'auraient pas cet effet-là. Pas à ma connaissance. »

Elles réfléchirent quelques instants.

« Je crains que quelque chose de terrible ne lui soit arrivé, avoua Kairi, mais...

-Pourtant tu dis que cet ...Ansem a été éliminé, non ? Et ses complices avec lui ?

-C'est vrai. D'après ce que Léon et les autres m'ont raconté. Et les mondes ont été restaurés, n'est-ce pas, puisque nous sommes là... »

Elles étaient dans une impasse, songea la jeune fille quand une idée subite la percuta.

« Ifalna... Vous dites que vous êtes venue d'un autre monde, n'est-ce pas ? s'exclama-t-elle.

-Oui c'est exact, lui répondit la guérisseuse avec un regard interrogateur. Pourquoi ?

-Comment ? Comment vous avez... ?

-Oh... En fait, j'ai utilisé un sortilège très ancien de mon peuple...

-Vous pourriez l'accomplir à nouveau ?

-Impossible. La matéria - le cristal - nécessaire pour réaliser le sortilège, ne marche malheureusement qu'une fois. Elle est déchargée à présent, et n'a plus aucune utilité. »

L'enthousiasme de la jeune fille retomba devant le regard déconcerté de la guérisseuse qui la priait de s'expliquer.

« J'espérais pouvoir me rendre à la Forteresse Oubliée pour rendre visite à Léon, expliqua-t-elle, et essayer d'obtenir des informations... »

Et peut-être, qui sait, partir à sa recherche, ajouta-t-elle mentalement. Le silence retomba, lourd et embarrassé.

« Je peux toujours voir s'il y a un moyen de la recharger. » ajouta Ifalna d'un ton peu convaincu.

Kairi lui sourit tristement. Il était évident que la guérisseuse ne lui faisait cette offre que pour lui faire plaisir, et non parce qu'elle avait le moindre espoir de trouver une solution.

« Merci. Je crois que je vais rentrer. J'avoue que je ne sais pas quoi faire de plus...

-Oh, ne t'inquiète pas, lança Ifalna en se levant pour raccompagner son invitée dans le vestibule, les souvenirs commencent à te revenir, non ? Avec le temps, je suis sûre que tu recouvriras la mémoire.

-Que nous recouvrirons la mémoire. » corrigea Kairi avec un léger sourire.

Ifalna hocha la tête en évitant son regard.

« Tu ne veux pas ton remède contre l'insomnie ?

-Oh ça ira, l'assura Kairi en passant la lanière de son sac par dessus son épaule. Après tout, ces rêves sont peut-être l'unique moyen qu'il me reste pour percer à jour ce mystère. Je suis peut-être naïve, mais je suis sûre qu'ils me mèneront à lui. »

Peut-être pourrais-je tenir ma promesse de me souvenir. Peut-être mon vœu sera-t-il entendu.