Chapitre publié le 27 mai 2015.

Disclaimer : Kingdom Hearts ne m'appartient pas, mais appartient à Square Enix et Disney.

Ima Nonyme : Merci pour la review ! Ne t'inquiète pas, Vanitas n'est pas responsable de ce qui arrive à Kairi. Pour Sora, hé oui, pour les besoins de l'histoire, il laisse traîner ses affaires. Quant à l'ombre, tu verras au chapitre 7...

Et merci aussi à Suzuka-san et CrimsonRealm pour leurs reviews et la mise en follow (euh si ça se dit).

Ah oui, je réponds aux reviews des personnes non inscrites sur le site en début de chaque nouveau chapitre. Si j'ai fini de publier cette histoire, alors j'y répondrai sur mon profil (je laisse la réponse un mois).

Résumé des chapitres précédents : suite à son retour sur l'île, Kairi, plus seule que jamais, rêve de repartir à l'aventure et fait des cauchemars sur un mystérieux garçon dont elle ne parvient pas à se rappeler. Un jour de mars, elle promet de tout faire et d'enquêter pour résoudre ce mystère. Riku est considéré comme étant mort dans la tempête, Sora a été oublié par tous, et Kairi ne fréquente plus que Selphie, sa meilleure amie, qui tente de l'aider (lui proposant par exemple de participer à la fête du Printemps, quelques jours plus tard). Kairi enchaîne les découvertes : elle se souvient du nom de Sora, rencontre sa mère, Ifalna, la guérisseuse du village, qui a elle aussi oublié Sora, bien qu'elle se souvient qu'elle a eu un fils et accepte d'aider Kairi, décidée à quitter les Îles pour aller à la rencontre de Sora, persuadée qu'il est en danger. Elle fait un autre cauchemar, dans lequel Sora lui apprend qu'il ne viendra plus la voir, et en se réfugiant dans la cachette secrète, redécouvre le dessin que les deux enfants avaient exécuté des années auparavant. En fouillant dans la salle des objets perdus de leur école, elle découvre un sac d'enfant oublié par Sora des années plus tôt, contenant une photographie les représentant avec Riku sur la plage, et de vieux souvenirs refont surface.


Chapitre 6 : Nous nous sommes oubliés mais nous vivons sous le même ciel

Ifalna abandonna son livre et se leva avec un soupir contrarié. Qui donc avait l'audace de venir la harceler de si bon matin ? Le visiteur non désiré semblait perdre patience, tambourinant contre la porte comme un sourd.

« J'arrive, j'arrive », marmonna-t-elle en descendant les escaliers, le visage las.

Derrière la porte, les coups redoublèrent. Ifalna repoussa l'envie de s'en retourner et déverrouilla la porte. A peine le battant se fut-il écarté qu'une fille rousse se précipita à l'intérieur.

« Ifalna, excusez-moi de débarquer comme cela ! s'écria-t-elle sans même la saluer. Mais j'ai quelque chose de très important à vous dire, ça concerne Sora ! »

Ifalna la considéra un instant avec calme, puis referma la porte.

« Kairi. »

Celle-ci lui jeta un regard impatient. Elle était dans un bel état, les cheveux emmêlés par le vent, hors d'haleine – sans doute avait-elle couru jusqu'ici – et les vêtements chiffonnés.

« N'as-tu pas cours ce matin ? » s'étonna Ifalna, sans comprendre ce qui avait pu amener cette fille jusqu'ici un jeudi matin.

Ladite fille leva les yeux au ciel.

« Y a plus important ! » s'irrita-t-elle. Elle s'empara de son sac d'école et commença à farfouiller à l'intérieur.

« Au fait, vous avez des nouvelles ?

-Des nouvelles ? »

Kairi laissa échapper un grognement.

« A propos de Sora, bien sûr.

-... Sora ? »

Mais Kairi ne l'écoutait plus. Elle extirpa une feuille de son sac et la lui tendit avec un sourire victorieux.

« J'ai trouvé ça dans la salle des objets perdus de l'école, déclara-t-elle, apparemment surexcitée. Regardez, regardez ! »

Indécise, Ifalna s'empara avec précaution du papier, ne sachant qu'en penser : il s'agissait en réalité d'un cliché représentant trois enfants sur la plage. Elle haussa les sourcils et lança un regard perplexe à la jeune fille qui guettait sa réaction.

« Oui, et alors... ?

-Mais regardez ! »

Reportant son attention sur la photographie, elle nota cette fois-ci la rousseur de la fille et sa vague ressemblance avec sa visiteuse. Ifalna sourit.

« C'est toi, n'est-ce pas ? » demanda-t-elle en désignant la petite fille.

Mais Kairi se contenta de lever les yeux au ciel.

« Évidemment ! C'est pas pour ça que je vous la montre ! »

Ifalna se pencha à nouveau sur le cliché, ne comprenant pas trop ce qui se tramait. Kairi lui faisait-elle une blague ? C'est alors qu'elle reconnut l'un des deux garçons et elle regretta aussitôt ses pensées.

« Oh », murmura-t-elle, l'air désolé.

Kairi lui jeta un regard attristé.

« Vous avez vu ? Vous vous rappelez ? demanda-t-elle à voix basse.

-Bien sûr, répondit Ifalna en lui jetant un regard compatissant. Comment aurais-je pu l'oublier ? Je suis vraiment désolée, Kairi... »

Kairi soupira.

« Vous n'avez pas à vous excuser, Ifalna. »

Elle se tourna vers le mur, masquant son visage derrière un rideau de cheveux.

« C'est juste... j'avais besoin de vous en parler... Il me manque vraiment...

-Kairi... surtout ne pense pas que je n'en ai rien à faire, mais... je veux dire, tout comme toi je le regrette, bien que je le connaissais à peine... »

Kairi se retourna vers elle avec un air horrifié.

« Quoi ? NON ! Ne dites pas ça ! Ifalna, ne perdez pas espoir ! Même si vous l'avez oublié, vous le connaissiez, et vous le connaissez toujours ! Vous vous en souviendrez à nouveau, je vous le promets ! »

Ifalna, saisie par cette virulente réponse, leva les mains devant elle pour la calmer.

« Hé doucement... Bien sûr que non, je ne l'ai pas oublié, voyons. »

Kairi lui lança un regard d'espoir.

« C'est vrai ?

-Bien sûr ! répliqua Ifalna avec chaleur. Néanmoins, j'aimerais te demander... Tout va bien avec tes parents ? »

Le regard de Kairi se fit méfiant, comme pour l'inciter à ne pas se mêler de ses affaires.

« ... C'est-à-dire ? »

Mal à l'aise, Ifalna se passa la main dans les cheveux, refusant de croiser le regard de l'adolescente.

« Je veux dire, avez-vous de bonnes relations... en ce moment ?

-Pas vraiment. »

L'atmosphère s'était tendue. Ifalna continua, intimidée :

« J'ai l'impression que tu commences à me voir... comme une sorte de mère... Je veux dire, si tu as envie de parler de ça, pourquoi ne pas t'adresser plutôt à tes parents ? »

Kairi écarquilla les yeux.

« Mais Ifalna, vous êtes sa mère ! Évidemment que je dois vous en parler ! »

Ifalna fronça les sourcils.

« ... De qui tu parles ?

-Et vous de qui vous parlez ? rétorqua Kairi.

-De Riku, bien sûr ! »

Les deux femmes échangèrent un regard. Puis Kairi éclata d'un rire nerveux et se frappa le front.

« Mais je ne parlais pas de Riku, moi ! » Elle se saisit du cliché dans un mouvement brusque et désigna du doigt le troisième garçon, un petit brun au sourire radieux. « Je parlais de Sora ! De Sora ! »

Ifalna, indécise, rapprocha le cliché de son visage, rendue nerveuse par le regard inquiet de la fille qui guettait sa moindre réaction. D'une voix tendue, cette dernière prit tout d'un coup la parole.

« Il m'est arrivé un drôle de truc à l'école, quand j'ai récupéré la photographie. »

Voyant qu'Ifalna ne répondait pas, elle continua :

« Je me suis souvenue... De plusieurs choses. Il était là quand les Ténèbres ont envahi l'île. »

Elle se tut devant l'absence de réaction d'Ifalna, qui lui jeta un étrange coup d'œil. Le silence retomba dans la pièce.

« Au fait, risqua encore Kairi. Avez-vous... cherché une solution pour pouvoir réutiliser la Matéria ? »

Ifalna abaissa le cliché, hésita, puis se lança :

« Je ne comprends pas. »

Kairi fronça les sourcils, l'air contrarié, mais ce furent trois mots qui réduisirent ses espoirs à néant.

« Qui est Sora ? »

Un silence lourd s'abattit sur la pièce. Kairi n'avait pas bougé. Sans doute pensait-elle avoir mal entendu. Puis, tandis que ses traits revêtaient une expression indéfinissable, elle recula d'un pas.

« Vous... »

Ifalna recula également. Tout cela semblait si irréel.

« Vous... »

Elle serra le cliché dans son poing.

« Vous... ne vous souvenez pas. »

Et là-dessus, Kairi avait disparu. La porte claqua avec violence tandis que le son de sa course s'atténuait peu à peu dans le vent. Ifalna demeura figée contre le mur, la photographie froissée dans sa main glacée.


Quand Kairi surgit en trombe dans sa maison, sa mère l'attendait, les bras croisés et le visage furieux, adossée contre le mur du vestibule.

« Je peux savoir ce que cela signifie ? » demanda-t-elle sèchement.

Kairi ne répondit pas et se détourna.

« Le lycée a appelé, continua sa mère. Tu n'es pas allée en cours. Comment... Où étais-tu ? Que t'est-il passé par la tête ? »

Sa fille lui jeta un coup d'œil. Elle ne pouvait pas parler. Sinon, elle allait éclater en sanglots, et elle en avait assez de pleurer. La colère l'envahit.

Sa mère avait remarqué ses traits dévastés et sa fureur se mua en inquiétude.

« Kairi... Est-ce que ça va ?

-... Non. Je crois que je suis fatiguée. C'est pas grave si je reste là aujourd'hui ? »

Sa mère la dévisagea.

« Bien sûr que non. Va te reposer. On en reparlera après. »

Kairi hocha la tête et monta d'un pas lourd les escaliers pour s'enfermer dans sa chambre, sans un regard en arrière. Une fois à l'intérieur, elle referma la porte et se jeta sur son lit, enfermée dans ses pensées.

Ifalna avait oublié. Encore.

C'était comme si leur discussion de la veille n'avait jamais eu lieu. Kairi se sentit soudainement très seule. Elle entendait ses parents converser à voix basse dans la pièce voisine. Sans doute parlaient-ils d'elle. Une pensée flottait dans son esprit, amère et douloureuse, née dès qu'Ifalna avait lâché ces trois mots, sans pour autant se former explicitement.

Si elle a oublié, sans doute finirai-je également pour l'oublier à nouveau.

Les douces lueurs de l'aube accueillirent la jeune fille à son réveil, fraîche comme une rose : pour la première fois depuis des mois, elle avait passé une très bonne nuit, nullement perturbée par le moindre cauchemar. Ce fut le cœur léger et l'esprit clair qu'elle se rendit en cours ce jour-ci.


« Mais où est-ce que tu étais ? » souffla furieusement Selphie quand Kairi s'assit à ses côtés.

Tout autour d'elles, les lycéens bavardaient dans le brouhaha habituel en s'installant à leurs places, quelques minutes avant le début du cours. Selphie secoua la tête.

« Kairi ! Tu as fichu le camp hier matin comme une folle sans même me donner une explication ! Je peux savoir ce qu'il t'arrive ? »

Kairi se passa la main dans les cheveux.

« Oh, euh – Selphie haussa les sourcils, attendant sa réponse avec une impatience non dissimulée – j'étais... je ne me suis pas sentie très bien... comme si j'allais vomir. Je n'ai pas dû dormir assez, je suis rentrée chez moi », inventa-t-elle.

Elles furent distraites par deux lycéens qui haussaient le ton, quelques tables plus loin. Tidus et Wakka, comme d'habitude...

« Et tu penses que je vais croire ça ? fit Selphie avec un regard sceptique.

-Mais quoi ? Tu peux demander à mes parents si tu ne me crois pas, se défendit Kairi.

-Tu sais très bien que ce n'est pas ce que je voulais dire ! »

Kairi se mordit la lèvre tout en se détournant, sortant son cahier de son sac d'école.

« Je... écoute, ça va mieux aujourd'hui. Je serai même en mesure d'aller à la fête de demain », ajouta-t-elle dans l'espoir que ce sujet distraie son amie.

Cette dernière se contenta de lui renvoyer un regard désapprobateur, ayant clairement compris sa tactique, mais elle n'eut pas le loisir de poursuivre suite à l'arrivée du prof.

Durant toute la durée du cours de français, au lieu d'écouter le professeur discourir pendant deux heures sur les mérites d'un roman qu'elle avait lu à de nombreuses reprises, Kairi se contentait de griffonner sur son cahier, sentant avec agacement les regards en coin que lui jetait Selphie. Oui, elle avait l'esprit ailleurs depuis ce matin, et alors ? Ne pouvait-elle pas rêver de temps en temps ? Elle sut cependant gré à Selphie de ne plus aborder le sujet quand elles quittèrent la salle, deux heures plus tard. En réalité, elle demeura silencieuse tandis qu'elles se dirigeaient vers la cour. Ce ne fut que lorsque les deux filles attendaient devant la porte de leur cours suivant qu'elle reprit la parole, hésitante.

« Tu sais... j'ai pensé à un truc. »

Kairi la regarda.

« Euh... Tu connais Yeul ? »

La jeune fille réfléchit. Yeul ? Ce nom lui disait vaguement quelque chose. Selphie enchaîna :

« Elle est un peu spéciale. Elle a notre âge, mais elle ne va pas à l'école. Elle vit dans une maison à l'écart du village, près de la forêt. »

Voyant que Kairi ne comprenait toujours pas de quoi son amie voulait parler, elle ajouta, très embarrassée :

« Tu sais... l'année dernière... Il y a eu un scandale à cause de ça... Parce qu'elle vit avec … un homme, qui a au moins dix ans de plus qu'elle... Tu sais ? »

Ah oui, cette histoire lui rappelait vaguement quelque chose maintenant. Mais elle ne voyait pas du tout où Selphie voulait en venir.

« Il paraît qu'elle possède des dons de voyance, continua cette dernière. Certaines personnes vont la consulter, même s'ils ne s'en vantent pas. Elle est de bon conseil, même si elle n'a pas vraiment une bonne réputation... »

Se penchant vers elle, Selphie chuchota :

« Tu sais, Linoa... La fille qui a un problème mental... »

Kairi détourna les yeux, mal à l'aise. Linoa était ainsi appelée parce qu'elle était victime de cauchemars depuis sa petite enfance. Kairi ne pouvait s'empêcher de se demander si elle aussi était ainsi qualifiée dans son dos.

« Elle est allée la voir, murmura Selphie. Et elle n'a plus jamais été la même. Elle n'a jamais voulu dire ce qu'il s'était passé, ce que Yeul lui avait révélé... mais depuis, elle n'a plus souffert de ces cauchemars...

-C'est... intéressant », marmonna Kairi.

Cette histoire de sorcière ne lui disait rien de bon. Néanmoins, recourir à Ifalna, la dernière option envisagée, s'était finalement révélé inefficace, maintenant que la femme était retombée dans son amnésie. Alors peut-être que cette Yeul, quelle que soit sa réputation, serait plus à même de lui fournir les réponses dont elle avait si désespérément besoin...

Selphie chercha une page vierge dans son cahier et sortit un stylo de son sac.

« Attends, je vais te faire un plan, ce sera plus simple pour toi... »

Intriguée, Kairi la regarda dessiner hâtivement des lignes et des mots sur sa feuille qu'elle déchira grossièrement avant de la lui tendre.

« C'est simple, tu prends le chemin qui quitte le village – pas la voie principale, le chemin qui passe derrière les champs – et tu le suis jusqu'à la grosse ferme rouge. Ensuite tu tournes à gauche à côté du puits, et tu continues jusqu'à la dernière maison avant la forêt. Tu ne risques pas de te tromper, il y a très peu d'habitations dans ce coin. C'est complètement désert. »

Kairi haussa un sourcil, reconnaissante mais dubitative.

« Et... comment tu connais son adresse ?

-Oh euh... »

Selphie esquissa un sourire gêné.

« C'était quand il y a eu cette rumeur l'année dernière... tu sais... à propos d'elle et de cet homme... Mes amies voulaient aller voir ce qu'il en était vraiment et... j'ai décidé de les accompagner. On n'a rien vu ! ajouta-t-elle avec précipitation en voyant que Kairi avait du mal à contenir un rictus amusé. On a eu trop peur pour s'approcher. Et c'était pas mon idée, d'abord ! C'était Refia qui... ! »

Kairi éclata de rire.

« T'inquiète pas, je te dénoncerai pas ! Mais je croyais que la curiosité était un vilain défaut...

-Maiis non, les profs disent que c'est une qualité essentielle !

-Je ne pense pas qu'ils veulent parler d'espionner la vie privée des autres, observa-t-elle.

-On n'espionnait pas, on se renseignait ! » se renfrogna Selphie en faisant mine de bouder.

Kairi sourit. Maintenant qu'elle y pensait, c'était bon de retrouver les discussions légères et insouciantes d'autrefois.

« Bah, je verrai probablement ce qu'il en est de mes propres yeux... Mais merci pour le conseil. »

Selphie hocha la tête.

« Mais de rien... J'espère que ça pourra t'aider... – elle soupira – tout a changé depuis l'année dernière... j'aimais mieux quand on était au collège. »

Kairi se contenta de sourire. Selphie ne savait pas à quel point elle avait raison... Tout avait changé depuis un an.

Elle n'était pas superstitieuse. Mais quelque chose semblait aller dans un certain sens quelque chose lui soufflait que le moment approchait, que bientôt, elle n'aurait plus besoin d'avoir peur et de se réfugier dans les vestiges des jours heureux, besoin auquel elle n'avait pu résister deux nuits plus tôt.

Il régnait dans la classe une ambiance festive. Les professeurs peinaient à se faire entendre mais ne semblaient pas s'en formaliser, l'esprit ailleurs. Autour d'elles, les élèves discutaient sans trop se soucier de baisser la voix. Alors que Selphie échangeait des mots avec Tidus, Kairi gribouillait sur la marge de son cahier, à mille lieues des préoccupations actuelles de ses condisciples. Selphie lui donna un léger coup de coude, la poussant à relever la tête.

« Tu as tout ce qu'il te faut pour samedi ? » chuchota-t-elle.

La jeune fille la regarda sans comprendre.

« Euh... samedi ? » répéta-t-elle.

Selphie roula des yeux.

« Tidus et moi, on se demandait si tu avais tout ce qu'il te fallait pour samedi, répéta-t-elle sans se soucier de vérifier que le prof ne les entendait pas. Pour ton costume. Pour... la fête, tu sais ?

-Oh. »

Kairi remit ses pensées en ordre.

« Euh... à vrai dire... »

Elle n'avait jusqu'à récemment jamais envisagé avec sérieux l'idée d'y participer, alors inutile de préciser qu'elle n'avait jamais pensé à son déguisement. L'année précédente, elle s'était changée en une sorte de déesse aquatique. Cela avait été chouette. Riku, lui, pour la première fois, n'était pas venu déguisé, arguant que ce n'était qu'une fête de gamin. Elle lui avait rétorqué que, entre lui et elle, c'était lui le moins mature et avait souri devant son air vexé.

« Je l'aurais parié, enchaîna Selphie en échangeant un sourire amusé avec Tidus. Si tu veux, tu peux venir avec nous après les cours. On a encore quelques emplettes à faire. »

Kairi détourna les yeux avec prudence, jurant avoir vu le professeur leur couler un regard inquisiteur. Elle reporta son attention sur le soleil qui, de l'autre côté de la fenêtre la plus proche, entamait de bon cœur sa chute vers l'horizon.

« Ne t'en fais pas pour moi, déclina-t-elle poliment. Je dois toujours avoir chez moi le costume de l'année dernière. Ça devrait suffire.

-Tu es sûre ?

-Oui, je suis un peu fatiguée. »

Ce n'était pas tout à fait vrai. Après tout, sa nuit ininterrompue par quelque rêve importun avait été très profitable. Néanmoins, elle n'avait aucune envie de passer deux heures supplémentaires de la journée à fouiller les magasins pour un bout de tissu acceptable. Pourquoi avait-elle accepté de se rendre à cette fête, déjà ?

« Si tu le dis », souffla Selphie avec une petite grimace peu convaincue.

Elle lui jeta un regard soucieux puis retourna à son cahier. Kairi la dévisagea quelques instants avant de faire de même, vaguement coupable de causer autant de soucis à son amie, sa meilleure amie qui avait tenu à ses côtés durant toute cette année. Qu'aurait-elle fait, si Selphie s'était définitivement éloignée d'elle, ne supportant plus les tourments qu'elle était la seule à connaître ? Elle s'en était dispensée et ne lui avait jamais fait comprendre qu'elle aurait préféré la laisser tomber pour ses autres connaissances. Peut-être devrait-elle l'en remercier, songeait-elle parfois. Devait-elle ? Elle ignorait comment aborder le sujet, craignant de voir Selphie avouer des choses qu'elle lui avait toujours caché par politesse, de se voir rejeter. Il fallait qu'elle prenne du recul.

Peut-être aurait-elle dû accepter de les accompagner au moins ce soir-là...

Kairi eut, bien plus tard, ce soir-là, l'occasion de confirmer cette impression. Elle aurait dû accompagner Selphie et Tidus au centre-ville. Braver la foule d'étudiants surexcités qui terminaient leurs emplettes de dernière minute pour les réjouissances du lendemain, se faufiler dans les allées exiguës des boutiques entre les groupes d'enfants qui scrutaient les bocaux de confiseries avec envie, à la recherche d'un costume attrayant et de quelques accessoires, il n'y avait rien de mieux pour se distraire, comme elle avait pu en faire l'expérience les années précédentes.

Elle empruntait seule le chemin du retour. Les rayons du soleil déclinant réchauffaient son dos tandis qu'une légère brise froide jouait avec ses cheveux et lui glaçait les doigts. Selphie et Tidus avaient bifurqué vers le centre-ville quelques rues plus tôt et elle s'était plongée dans le silence, observant d'un air mi-blasé mi-nostalgique les banderoles colorées qui ornaient les rues, s'enroulant autour des poteaux, courant le long des barrières et formant des arches de papier au-dessus des têtes des passants. Elle avait vu ce spectacle des centaines de fois (ou plutôt, en vérité, moins d'une quinzaine de fois) mais il conservait encore quelques traces d'une magie fascinante. Quelques personnes s'activaient dans la rue, conversant joyeusement tout en achevant les préparatifs pour la fête à venir : un homme balayait la rue, deux autres, armés d'une échelle, s'attelaient à dresser une énième banderole en travers de la rue sous le regard d'une fillette enjouée et d'un quatrième homme chargé d'un énorme tas de banderoles bariolées attendant leur tour. Une femme installait une table devant la clôture de sa propriété. Deux enfants se disputaient dans leur jardin sur le choix de leur costume. Une fille que Kairi reconnaissait vaguement pour l'avoir déjà croisée à l'école installait des décorations de carton au-dessus de sa porte, tandis qu'un garçon qui devait être son frère faisait des allers-retours entre le perron et la maison pour apporter tout ce dont ils avaient besoin. Enfin, elle croisa un couple qui descendait à l'échoppe la plus proche pour des commissions de dernière minute.

Oui, la fête du Printemps était une fête très importante, bien que la plus appréciée ici soit celle de l'hiver, plus communément appelée Noël. La fête du Printemps, c'était le carnaval : une explosion de couleurs. Les gens se costumaient, envahissaient les rues, riaient, oubliaient leurs ennuis le temps d'un jour. Les cinq troupes de théâtre de l'île montaient leur propre spectacle, tandis que des orchestres, ou toute personne sachant jouer correctement d'un instrument, se postaient au coin des rues pour animer la ville. De nombreux adultes se portaient volontaires pour préparer gâteaux et sodas et se faire un peu d'argent en les vendant le long des avenues. Certains organisaient même des jeux, comme des chasses au trésor ou des concours. Au final, c'était une fête à laquelle on ne s'ennuyait jamais. Le seul problème était l'humeur du ciel : en mars, le temps était particulièrement instable, et si Kairi se remémorait des carnavals fabuleux sous un merveilleux soleil d'été, une fois sur deux, le ciel était gris et pluvieux, et l'ambiance parfois morose. Ce jour-ci, l'état céleste permettait d'espérer un temps agréable pour le lendemain, bien que les récentes averses laissent craindre le pire.

Kairi laissait donc ses pensées vagabonder en suivant l'avenue : elle songeait au lycée, à Selphie et Tidus, à la fête du lendemain, à ses parents... Elle ne sut plus comment, mais de fil en aiguille, elle en vint à penser à Ifalna, la guérisseuse. Elle ne pouvait s'empêcher de ressentir une pointe de colère à son encontre – Ifalna lui avait promis de l'aider, et elle l'avait laissée tomber – avant de se remémorer qu'il s'était passé quelque chose : la conversation qu'elles avaient eue, l'avancée qu'elles avaient obtenue, tout cela s'était effacé de sa mémoire. Ifalna était retombée dans l'oubli dans laquelle elle avait été plongé avant la visite de Kairi. Tout cela la mettait grandement mal à l'aise : et si c'était inévitable ? Si tout ce qu'elle avait réussi à se remémorer disparaissait à nouveau ? Sans qu'elle ne puisse rien y faire, sans même qu'elle le sache ? Qu'allait-elle faire ? Que pouvait-elle faire ?

Une autre question surgit soudainement dans son esprit, dérangeante, mais si entêtante qu'elle ne put la chasser : serait-ce grave ? Si elle oubliait de nouveau, elle oublierait qu'elle avait su. Elle ignorerait qu'elle aurait oublié. Cela ne lui ferait pas de mal, non, à condition que les cauchemars disparaissent également. Si elle ne pouvait rien pour lui, coincée sur cette île sans espoir de partir, sans moyen de le secourir, peut-être oublier leur infortune serait la solution pour lui épargner remords, frustration, peine et douleur. Non ! se dit-elle aussitôt. N'avait-elle pas promis ? Elle avait juré de se souvenir. Si c'était tout ce qu'elle pouvait faire pour lui, conserver sa mémoire, elle se devait de le faire, n'est-ce pas ? Même si cela impliquait en souffrir.

En es-tu si sûre ? lui soufflait une petite voix dans un coin de son esprit. Qu'elle souffre ne leur serait d'aucune utilité, ni à elle, ni à lui. Dans ce cas, ne pouvait-elle pas laisser tomber ? Ce serait beaucoup moins douloureux. Après tout, il y avait quelques jours, elle ne se souvenait toujours pas de son nom. Et puis, qu'est-ce qu'Ifalna venait faire dans tout cela ?

Kairi ralentit l'allure, et s'arrêta tout à fait au milieu de l'avenue, sous le regard intrigué d'un passant qui échangea un regard interloqué avec un ouvrier des banderoles. Elle n'y prit pas garde, fronça les sourcils. Il fallait qu'elle remette de l'ordre dans tout cela. Elle n'aimait pas quand quelque chose lui échappait. Après une seconde d'indécision, elle se dirigea vers le bas-côté et s'assit sur un banc, pour échapper aux regards curieux de ses concitoyens.

Donc... elle ne pouvait rien pour lui. Parce qu'elle était coincée ici, parce qu'elle n'avait aucun pouvoir. Elle serra les lèvres. Ce n'était pas la première fois que la réflexion de son inutilité lui traversait l'esprit, même si elle s'était interdite d'y penser. Elle savait qu'elle n'était pas inutile et qu'elle comptait pour eux, mais parfois, surtout dans ces moments où elle se prenait à fixer le ciel désespérément vide, la mer qui s'étendait à perte de vue des heures durant à la recherche d'un signe quelconque qu'ils lui auraient adressé, elle ne pouvait s'empêcher de penser que, s'ils avaient besoin d'elle, ils l'auraient contactée. S'ils tenaient à elle, ils le lui auraient fait savoir. Des mois qu'elle était là, des mois que le soleil se levait et se couchait sur l'île immuable, la plage déserte et la mer vide, et elle n'avait pas la moindre trace d'eux. Pas un indice, pas un message pour lui dire qu'ils allaient bien. Elle devrait s'en inquiéter, car cela signifiait qu'ils ne pouvaient, pour des raisons graves, communiquer avec elle, et elle s'inquiétait, mais parfois, la pensée perfide s'installait en elle : ils n'avaient pas besoin d'elle, elle ne leur était d'aucune utilité. Ils avaient tout : une arme légendaire, l'usage de la magie, le pouvoir des Ténèbres, un vaisseau gummi, la connaissance des mondes, l'expérience. Et elle ? Son cœur de Princesse, qui était plus un inconvénient qu'autre chose apparemment, à en croire sa dernière mésaventure.

Elle savait que ces pensées n'étaient pas bonnes pour elle. Avec un sourire forcé, elle se hâta de reprendre le cours de son raisonnement. Elle était coincée ici, sur cette île certes agréable, mais plus coercitive qu'une prison. Il fallait qu'elle parte, qu'elle aille les retrouver... Peut-être qu'il faudrait rejoindre cette forteresse, ce château en ruine où elle avait été enfermée... Ah oui, la Forteresse Oubliée. Un lieu qui, si le nom ne lui disait rien, lui semblait curieusement familier. Mais ce n'était pas cette familiarité qui l'intéressait. Les seules personnes avec qui elle avait vaguement fait connaissance après son sauvetage s'y trouvaient. Kairi avait particulièrement parlé avec Aeris (les deux filles s'étaient trouvées de nombreux points communs), mais elle se souvenait d'un garçon à la morosité équivalente à celle de Riku dans ses pires jours, un certain Leo (ou Leon), et d'une fille de son âge qui l'avait beaucoup amusée pour sa manie de se prendre pour le plus grand ninja de tous les temps. Ils devaient détenir des informations importantes, elle en était certaine.

Mais d'abord, elle devait se rendre là-bas. Il n'y avait pas trente-six solutions : le vaisseau gummi en semblait la plus abordable, mais encore faudrait-il en dénicher un... C'était pour cette raison qu'elle était allée demander son aide à Ifalna, même si c'était idiot, pourquoi la guérisseuse cacherait-elle un vaisseau gummi dans son garage ? Non, ce n'était pas pour cette raison qu'elle lui avait demandé de l'aide... Pour quoi alors ? Elle se frotta le front. Elle se sentait si fatiguée et elle avait le soleil dans les yeux. Elle ferma les yeux et fit un effort pour se concentrer. Ifalna était liée à tout ceci, mais de quelle manière ? Il y avait quelque chose dont elle devait se souvenir.

Kairi ouvrit les yeux et fixa ses mains glacées par la brise crépusculaire. Elle pressentait déjà l'angoisse qui allait suivre quelques secondes plus tard, et se força à demeurer assise, la tête penchée, à respirer calmement. Elle avait tout le temps devant elle. Ou peut-être pas justement. Elle leva une main tremblante pour repousser les cheveux qui tombaient une fois encore devant ses yeux. La nuit allait tomber.