Publié le 13 avril 2017

Hum, comme je vais avoir mes examens bientôt, je risque de prendre du temps pour publier le prochain chapitre. En attendant, voici celui-ci !


Chapitre 10 : Territoire ennemi

Une série de coups portés contre la porte arracha Kairi au sommeil. Elle grogna, désorientée pendant une fraction de seconde, avant que la voix inconnue ne la réveille totalement.

« Hé, Xion ! Saïx m'envoie te chercher ! T'es réveillée ? »

Les yeux écarquillés, elle se redressa vivement tandis que la conscience de sa situation la rattrapait brusquement.

L'inconnu qui frappait à la porte sembla s'impatienter. D'une voix ennuyée, il reprit :

« Xion ? Tu fais quoi ? Tu sais, Saïx te laissera pas faire la grasse matinée, j'ai déjà essayé, crois-moi ! »

Le cœur battant à tout rompre, la jeune fille eut le courage d'articuler une réponse.

« Je... Je vais bien ! J'arrive !

-Ah pas trop tôt ! Bon, mission accomplie ! »

A sa grande surprise, l'inconnu n'insista pas davantage et elle l'entendit s'éloigner en marmonnant. La jeune fille ne bougea pas pendant quelques secondes, s'assurant qu'il ne revenait pas, sentant la peur refluer peu à peu.

Ce ne fut que lorsque les pas se turent dans le lointain que Kairi balança ses jambes hors du lit et laissa son regard se perdre autour d'elle, entre les murs de la pièce inconnue, tandis qu'elle faisait le point sur sa situation.

Oui... Elle n'était pas censée être ici. Elle avait demandé à Yeul de la faire venir ici. Sora. C'était pour lui qu'elle était venue. Pour le retrouver avant qu'elle ne l'oublie à nouveau, pour le sauver. Et elle avait emprunté ce corps dans ce but...

Kairi poussa un grognement plaintif et se prit la tête dans ses mains.

Qu'ai-je fait ?

Avait-elle perdu la tête ? Comment avait-elle pu perdre son sang froid au point d'agir sur une telle impulsion et de partir ainsi, sans prévenir quiconque ? Non... Il était vrai que le danger, ou du moins, la pensée du danger, ne l'effrayait pas, mais... Ce qu'impliquait sa décision la percutait de plein fouet. Elle ne savait pas où elle était, et elle n'avait aucun moyen de revenir, même si elle le voulait...

Elle n'était pas à sa place ici. Elle laissa son regard tomber sur ses jambes. Les conséquences de ce qu'elle avait fait faillirent lui donner la nausée. Ce n'était pas son corps. Ce n'était pas à elle. Elle n'avait aucun droit d'être là, dans ce corps. Il n'était pas à elle.

Elle ferma les yeux, s'obligeant à respirer profondément et à se calmer. Juste se regarder la rendait malade. Elle avait fait une erreur, et elle ne pouvait plus revenir en arrière.

Ses paumes se couvrirent de sueur tandis que la jeune fille rouvrait les yeux pour observer son corps avec crainte, comme si elle craignait qu'il ne l'attaque. Elle ne le connaissait pas après tout. Il lui était inconnu et elle n'avait pas le droit d'être ici. Et s'il se rebellait contre elle ? Les contusions qui recouvraient ses bras, à peine en meilleur état que la veille, la firent grimacer.

Elle ne connaissait même pas le nom de celle à qui elle avait volé ce corps.

Ah... l'individu qui était venu quelques minutes plus tôt l'avait appelée par ce nom, n'est-ce pas ? Qu'est-ce que c'était ? Elle ne se souvenait pas.

Kairi ferma à nouveau les yeux et se força à écarter ses sombres pensées pour examiner la situation avec calme. Yeul lui avait assuré que Sora était en sécurité. Elle l'avait donc envoyée dans un endroit sûr ! L'homme qui était venu la réveiller était un allié, n'est-ce pas ? Elle n'avait rien à craindre ? Peut-être pourrait-elle même expliquer sa situation et demander à voir Sora ?

Bien que cette pensée fit naître en elle une bouffée d'espoir qui réchauffa son cœur, elle restait consciente qu'elle devait se montrer prudente. Elle n'avait pas la moindre idée de où elle était et de qui étaient ces individus, après tout, même s'ils protégeaient son ami des Ténèbres. Peut-être ne seraient-ils pas ravis de voir une étrangère les rejoindre, ni de perdre leur amie...

Kairi rassembla son courage et se leva d'un bond, s'exhortant mentalement à la bravoure. Elle avait promis. Elle tiendrait sa promesse. Sora comptait sur elle.

Peut-être était-il mieux de voir cela comme une sorte de … quête. Premièrement, elle devait se préparer et sortir d'ici. Puis, elle devait rejoindre les autres résidents de ce lieu étrange, qui l'attendaient, vraisemblablement. Ensuite, elle aviserait.

Elle s'étira et inspecta son corps une fois de plus. Il ne lui semblait pas si horrible, maintenant qu'elle y pensait. En fait, il ne lui semblait pas si différent de son vrai corps. Elle s'y habituerait vite.

Mais à peine eut-elle esquissé un geste en direction de son manteau qui gisait sur le lit qu'un coup fut de nouveau frappé contre la porte, la faisant sursauter.

« Xionnn ! gémit une voix plaintive, appartenant au même individu que précédemment, mais plus geignarde, t'es pas venue alors Saïx a cru que je m'étais défilé et il m'a renvoyé te chercher ! Tu fais quoi ? T'as pas le droit de faire la grasse matinée. »

Kairi respira profondément. Tout allait bien, tout allait bien. N'étaient-ils pas ses amis ? Ou du moins les amis de celle qu'ils pensaient qu'elle était ? Elle s'avança jusqu'à la porte, posa la main sur la poignée, hésita une fraction de seconde et l'entrouvrit.

Le battant s'ouvrit sur un jeune homme qui ne semblait pas beaucoup plus âgé qu'elle. L'air à moitié endormi, les cheveux blond foncé en bataille, il était vêtu du même manteau noir qui recouvrait tout son corps. Il ne semblait pas bien méchant, songea Kairi en le dévisageant.

Le jeune homme la regarda de haut en bas et lui envoya une grimace, et elle prit conscience qu'elle ne s'était pas rhabillée.

« Tu sors dans cette tenue ? dit-il en lui lançant un regard bizarre. Enfin, c'est pas mon problème. Par pitié, dépêche-toi de venir ou Saïx va encore se déchaîner contre moi ! »

Kairi le regarda tourner les talons et disparaître dans le couloir.

« Xion... marmonna-t-elle. C'est donc ce nom. »

Elle se fit une note mentale de s'en souvenir.

N'ayant nulle envie de trop attirer l'attention dès le premier jour, la jeune fille se hâta de se préparer. Elle enfila de nouveau son manteau -ça ferait l'affaire n'est-ce pas ?- se passa un peu d'eau sur le visage et aplatit du mieux qu'elle put ses courts cheveux noirs.

En jetant un dernier regard autour d'elle, légèrement nerveuse à l'idée de quitter son sanctuaire, ses yeux furent attirés par la fenêtre pour la première fois depuis son réveil. A sa grande surprise, rien n'avait changé au-dehors : le ciel pesait toujours d'un noir d'encre sur la cité silencieuse sur laquelle la lune en forme de cœur répandait une lueur pâle et bienveillante. Peut-être était-il encore tôt ? Elle n'avait pas pu dénicher de réveil ou d'horloge dans cette petite pièce, et elle répugnait à de nouveau la fouiller de fond en comble. Ce n'était pas sa chambre et elle se refusait à transgresser le domaine de son hôte plus que nécessaire.

Le cœur battant, Kairi inspira à fond, rassembla son courage, et passa la tête par l'entrebâillement de sa porte.

Le couloir était désert et silencieux. Personne ne l'interpella, et elle quitta son refuge sur la pointe des pieds, prenant soin de refermer silencieusement la porte derrière elle.

Elle réalisa alors qu'elle n'avait aucune idée de l'endroit où elle était censée se rendre.

La jeune fille tourna la tête, comme à la recherche d'un écriteau quelconque, mais son regard ne rencontra que les murs ternes et froids. En désespoir de cause, elle décida d'emprunter la même direction que l'étrange individu, ce qui la mena à faire en sens inverse le chemin qu'elle avait parcouru la veille. Elle descendit la passerelle métallique jusqu'à l'étage inférieur et suivit le couloir sur le qui-vive, s'attendant à se faire interpeller à tout moment.

Mais curieusement, elle ne croisa personne. En fait, elle n'entendait pas le moindre son. Rien n'avait changé depuis la veille. Elle aurait même pu croire être seule dans cette mystérieuse forteresse.

Au bout de quelques minutes de marche solitaire durant lesquelles elle devenait de plus en plus anxieuse, se sentant inconfortablement sans défense, elle parvint à un croisement. Un couloir transversal s'ouvrait de part et d'autre, couloir qui semblait en tous points identique à celui qu'elle venait de parcourir.

Elle se mordit la lèvre, refoulant difficilement la panique qui germait en elle. C'était pire que d'être perdue lors du premier jour d'école.

Alors qu'elle hésitait devant l'entrée d'un couloir, cherchant désespérément un signe qui lui indique la direction à suivre, une voix brisa le silence :

« Hé ! Xion ! »

Kairi sursauta violemment et se retourna d'un bond. Un individu inconnu, revêtu lui aussi d'un manteau noir, se dirigeait vers elle à grandes enjambées, un large sourire aux lèvres.

Déglutissant, elle lui fit face en tentant de dissimuler sa nervosité. Elle ne parvenait pas à se faire à l'idée qu'il ne pouvait la voir telle qu'elle était vraiment, une imposteur.

L'homme s'arrêta à quelques pas. Il était grand, et elle dut lever la tête pour le dévisager, et sa chevelure rousse extravagante lui valut de sa part un coup d'œil admiratif.

« Tu vas bien ? Je commençais à m'inquiéter. »

Il avait dit cela sur un ton cordial, sans se départir de son sourire enthousiaste, mais elle put déceler dans son regard une once d'inquiétude.

« Xion ? »

Oh. Elle ne lui avait pas prêté attention. Elle se hâta de formuler une réponse :

« Je... Je vais bien, articula-t-elle. Je ne suis pas très réveillée, c'est tout. »

Il se gratta la nuque, comme embarrassé.

« Oh, c'est que ça. J'avais peur que tu sois à nouveau... Peu importe. Il faut qu'on y aille où ça va chauffer pour nous. »

Il lui tapota l'épaule – elle eut du mal à réprimer un mouvement de recul instinctif – et, sans attendre sa réponse, comme confiant qu'elle le suivrait, repartit dans le couloir. Kairi le suivit, le soulagement perceptible sur son visage. Elle avait trouvé un guide, qui de plus semblait gentil. La première difficulté était passée.

Peut-être la conduisait-il tout droit vers Sora ? Un large sourire s'épanouit sur son visage à cette pensée.

En réalité, l'étrange individu la conduisit tout droit jusqu'à une vaste pièce. A cause de l'uniformité et la sobriété extrême de son décor, aussi vide que celui des couloirs, il lui fallut quelques secondes pour réaliser qu'il s'agissait d'un salon : quelques banquettes et tables basses conçus dans ce même matériau métallique étaient disséminées un peu partout au sein de cet vaste espace gris et froid, dont le mur du fond était percé d'une vaste baie vitrée, donnant une vue imprenable sur le ciel obscur et la ville qui s'étendant jusqu'à l'horizon.

Pas un salon, songea-t-elle. Une simple réplique. Cet endroit n'a aucune âme.

Kairi ravala sa nervosité et pénétra dans la salle.

Il n'y avait presque pas âme qui vive. Dans un coin de la pièce, le garçon qui était venu la chercher dans sa chambre semblait en grande conversation avec un troisième individu vêtu de noir, vers lequel se dirigea le rouquin qui l'avait guidée jusqu'ici. Contrairement aux deux autres, celui-ci ne paraissait en rien amical et dégageait une aura menaçante, fixant d'un œil sévère son collègue qui se ratatinait devant lui. Son visage zébré d'une cicatrice encadré de cheveux raides et bleus la mit mal à l'aise et elle détourna les yeux de la réprimande qui se déroulait. Il devait s'agir de ce Saïx que les autres résidents semblaient craindre. Le chef de ce groupe, peut-être ?

Je me demande... Si je leur demande à voir Sora, est-ce qu'ils accepteront ?

Yeul lui avait dit que c'était un lieu sûr, n'est-ce pas ? Mais quelque chose dans l'atmosphère ambiante lui faisait froid dans le dos, lui criant de se raviser. La jeune fille hésita, reporta son attention sur le visage balafré de l'homme aux cheveux bleus qui toisait désormais Axel d'un regard froid. Elle fit un pas dans leur direction...

« Ah, on dirait que la pépée s'est décidée à se joindre à nous ! »

La voix sarcastique et sonore interrompit toute action qu'elle ait pu avoir en tête. Kairi tourna la tête et croisa le regard narquois d'un individu qu'elle n'avait pas remarqué, nonchalamment assis sur l'une des banquettes aux allures inconfortables. Elle constata sans surprise qu'il portait un manteau noir. Ses longues mèches noires étaient rassemblées en une queue-de-cheval, découvrant un visage anguleux barré d'une cicatrice, la bouche tordue en un rictus.

« Tu faisais de beaux rêves, poulette ? » s'enquit-il encore sur un ton taquin.

Elle n'aimait pas le regard qu'il lui jetait.

« Ça ne vous regarde pas », laissa-t-elle échapper sans parvenir à se retenir.

Elle se figea immédiatement, consciente d'avoir commis une erreur, mais l'autre éclata de rire.

« Hé bien, tu as du répondant ce matin !

-Qu'est-ce que vous faites ? »

La voix glaciale la fit tressaillir. Elle se retourna pour constater que l'individu aux cheveux bleus s'était approché, la dévisageant de toute sa hauteur avec mépris. Kairi fit involontairement un pas en arrière devant son regard glacial.

« Xion. Mieux vaut tard que jamais. »

Il jeta un coup d'œil condescendant vers le porte-bloc qu'il tenait à la main.

« Aujourd'hui, tu es en mission avec Roxas, au château de la Bête. Je lui ai déjà donné les consignes de la mission, renseigne-toi auprès de lui. Et surtout... – il planta ses yeux jaunes dans ceux de la jeune fille et elle déglutit avec difficulté – ... tâche de ne pas échouer cette fois. »

Sans attendre sa réponse, il lui tourna le dos. Kairi demeura quelques secondes figée sous le coup de la nervosité – elle sentait sous ses gants ses paumes se couvrir de sueur – puis s'autorisa à respirer.

Cet individu ne lui inspirait désormais pas confiance ! Elle avait été si saisie qu'elle avait à peine compris ce qu'il venait de lui annoncer. Que devait-elle faire ? Elle jeta un regard impuissant autour d'elle, mais personne ne lui prêtait attention : l'individu aux cheveux bleus, l'air de prendre son mal en patience avec difficulté, écoutait désormais les plaintes de l'individu aux cheveux blond foncé, l'homme qui l'avait abordée s'était replongé dans le contenu de son livre et le rouquin avait disparu.

Une main se posa sur son épaule, la faisant sursauter.

« Bonjour, Xion ! On est ensemble aujourd'hui ! C'est génial, non ? »

Kairi se retourna pour faire face à l'individu à la voix inconnue et se figea. Ses yeux s'écarquillèrent et elle fut sûre et certaine que l'espace d'un instant, son cœur cessa de battre.

Sora ?


L'aube vint effleurer sa forme recroquevillée, et elle ne bougea pas.

Recroquevillée sous la fenêtre, Xion sentait distraitement la brise légère soulever le voile blanc qui pendait devant les battants, s'engouffrer par l'ouverture et effleurer son cou, mais cette touche bienfaisante ne parvenait pas à l'arracher à son désarroi.

Elle n'avait pas quitté cette position depuis... elle ignorait combien de temps s'était écoulé. La nuit avait passé, le ciel avait pâli, et désormais, une aube rougeâtre se levait.

Elle avait enfoui son visage dans ses genoux ramenés contre sa poitrine. Elle avait un peu froid, mais elle ne tenta pas de se réchauffer.

Elle ne comprenait pas.

Elle s'était à nouveau évanouie, n'est-ce pas ? Ce n'était pas la première fois, mais elle avait espéré que cela ne se reproduise plus. Cependant, ce qu'elle avait ressenti cette fois-ci... c'était différent. Et surtout...

Il n'y avait pas de miroir dans l'étrange pièce où elle s'était réveillée – pourquoi avait-elle été transportée ici ? –, et elle n'avait pas osé la quitter ni même s'approcher de la porte, mais Xion était convaincue que quelque chose n'allait pas avec son apparence. Ses cheveux, étrangement trop longs, s'étaient comme décolorés. Elle ne portait plus son manteau, mais une courte robe blanche qui lui était inconnue.

Sa seule consolation était qu'elle avait pu, une fois un peu plus calme, reconnaître les lieux. Elle était déjà passée dans les parages à plusieurs reprises ; c'était dans les environs qu'elle s'était cachée quand sa Keyblade se refusait à elle. Elle se trouvait dans une pièce du premier étage du vieux manoir abandonné au cœur de la sombre forêt près de la cité du crépuscule. Le paysage familier des toits de la ville et du clocher qu'elle pouvait apercevoir au-delà de la cime des arbres lui avaient procuré un maigre réconfort quand elle avait jeté un coup d'œil par la fenêtre. Rien ne l'empêchait de quitter les lieux pour se rendre au clocher, mais la peur et la confusion la clouaient sur place.

Xion entrouvrit la main et fixa sa paume de ses yeux fatigués. Sa Keyblade refusait à nouveau de se matérialiser, mais cela ne la surprenait même pas. Plus inquiétant, quand elle avait tenté de faire apparaître un Couloir des Ténèbres, rien ne s'était passé. Ce qui ne lui était jamais arrivé. Elle leva la main, se concentra du mieux qu'elle put, et tenta à nouveau d'invoquer les Ténèbres, en vain : pas même une volute de Ténèbres ne se matérialisa.

« … Je ne pourrai même pas entrer dedans, pas dans cette tenue », murmura-t-elle pour se distraire de l'angoisse qui serrait sa gorge.

On l'avait prévenue des dangers à emprunter les chemins des ténèbres sans le manteau protecteur. Même les Similis n'étaient pas exempts des conséquences.

Comme elle n'avait rien d'autre à faire, elle tenta distraitement à nouveau d'ouvrir un Couloir, pour ne rencontrer que l'échec et la déception. Alors qu'elle laissait retomber sa main, la porte s'ouvrit brusquement.

Elle faillit se cogner au battant entrouvert de la fenêtre tant elle sursauta violemment.

Bien qu'elle n'avait jamais pénétré à l'intérieur, elle était pourtant certaine que le manoir était inhabité ! Pourtant, l'homme à la stature imposante entièrement vêtu d'un long manteau rouge était bel et bien là, la fixant entre les bandelettes qui dissimulaient ses traits. La froideur et le dégoût émanant de ces yeux jaunes qui la transperçaient lui firent immédiatement penser à Saïx.

« Naminé, puis-je savoir ce que tu fabriques ? » tonna-t-il d'une voix terrible qui lui donna envie de se faire toute petite.

Naminé ?

Elle ne savait que répondre, le fixant avec des yeux ronds, et il ne prit pas la peine d'attendre sa réponse.

« Pas la peine de faire l'innocente ! J'ai senti que tu essayais d'ouvrir un Couloir. Es-tu idiote ? Tu tiens à ce que nos ennemis nous localisent ? »

Il plissa des yeux, la dévisageant d'un air soupçonneux.

« ...Ne me dis pas que tu prépares quelque chose ? »

Comme elle demeurait figée et muette sous le choc, il laissa échapper un grognement méprisant et se détourna.

« Ne t'avise pas de recommencer. Si tu désobéis, je le saurai. Je t'ai à l'œil, Naminé, ne fais pas la sottise de croire que je puisse accorder ma confiance à une Simili. »

Sans la regarder, sur le point de quitter la pièce, il donna un coup de menton en direction de la table.

« Remets-toi au travail. »

Sur ces mots, il était parti. La porte claqua derrière lui et se fut le silence. Xion recommença à respirer.

Que... Que se passe-t-il ici ?

Ce n'était pas la première fois qu'elle se retrouvait dans une situation incompréhensible, seule et sans soutien, mais elle ne put s'empêcher de trembler comme une feuille quand elle se força à se remettre sur ses pieds, pour être prête au cas où l'homme revienne. Ce que l'Organisation lui avait enseigné lui revenait en tête malgré sa peur : elle ne pouvait rester accroupie par terre, dans une telle situation de faiblesse, quand un individu inconnu rôdait dans les parages. Surtout alors qu'elle ne comprenait rien à ce qui se passait.

Avec la lumière de l'aube, elle put en se relevant apercevoir ce qui avait précédemment échappé à son attention : sur la table gisaient quelques objets dont les couleurs tranchaient avec la blancheur du décor. En s'approchant, Xion découvrit que près d'une trousse de gros crayons de couleur reposait un carnet à dessin dont s'échappaient des feuilles couvertes de couleurs. Son regard fut attiré par l'une d'entre elles et elle laissa échapper une exclamation étouffée.

Elle s'empara du dessin avec des doigts tremblants.

L'auteur de ce dessin était loin d'être un grand artiste, mais elle reconnut immédiatement les trois personnages qui se tenaient côte à côte. Comment, pourquoi, qui donc les avait dessinés ? Les avait-on toujours observés ?

Elle étala fébrilement les autres dessins sous ses yeux. Des paysages qui lui étaient inconnus, d'autres qu'elle reconnaissait pour y être allée en mission... Des enfants qui jouaient sous le soleil au bord de la mer... Ses doigts s'arrêtèrent sur le dessin d'une fille rousse qui tenait dans sa main un objet en forme d'étoile.

Xion reconnaissait cette image. Elle ignorait comment, mais elle la reconnaissait.

Elle avait l'impression que les murs de la pièce se refermaient sur elle. L'air lui manquait et une douleur sourde et désagréable résonnait dans son crâne. Elle eut à peine conscience que le dessin lui échappait des mains tandis qu'elle portait les mains à son front et fermait les yeux. Des images floues s'entremêlaient en un tourbillon de couleurs derrière ses paupières, et il y avait cette fille...

Les images refluèrent très vite, comme drainées hors de sa mémoire, mais pour être remplacées par un épais brouillard, emprisonnant son esprit. Xion gémit, chercha à tâtons la table pour trouver quelque chose sur lequel s'appuyer. Elle avait l'impression que quelque chose lui était arraché, tiré hors de son esprit et de son corps... Quelque chose lui serrait la poitrine, et elle ouvrit la bouche, cherchant désespérément de l'air...

La fille aux cheveux rouges disparut et le brouillard recouvrit son esprit. Ses pieds perdirent contact avec le sol. Avant qu'elle ait eu la chance de comprendre ce qui se passait, Xion s'effondra, sans conscience.


Kairi était de plus en plus perdue.

Enfin, il était vrai que des pièces du puzzle s'assemblaient peu à peu, mais d'autres apparaissaient au fur et à mesure qu'elle découvrait de nouvelles informations. Elle s'y était néanmoins attendue.

Elle fixait le dos du jeune garçon aux cheveux blonds qui avançait devant elle, prenant soin de rester près de lui. Hors de question qu'elle le perde de vue et qu'elle se retrouve seule dans un endroit pareil. Elle avait réussi à surmonter sa réticence et à suivre le garçon – Roxas – dans le Couloir des Ténèbres, mais, même au bout de longues minutes à marcher en silence entre les Ténèbres aux couleurs changeantes qui tourbillonnaient autour d'elle en des parois intangibles, elle ne parvenait pas à se détendre et jetait autour d'elle des regards anxieux, les poils se dressant sur ses bras. Elle n'aimait pas du tout cet endroit. Il repoussait son être entier. Elle n'avait pu masquer son tressaillement quand il l'avait invoqué sous ses yeux, même si personne ne s'en était aperçu. Cette action, cependant, avait immédiatement ravivé sa méfiance et elle ne pouvait s'empêcher de laisser des pensées suspicieuses naître en elle. Qui avait-elle vu utiliser les Ténèbres pour circuler entre les mondes ? Les Sans-cœur, et Ansem. Ceux qui avaient tenté d'annihiler tout ce qui comptait pour elle.

Kairi n'était pas rancunière, mais le sentiment de malaise qu'elle éprouvait depuis son arrivée envers les individus qui étaient censés veiller sur Sora ne faisait que se renforcer. Elle était heureuse de ne pas leur avoir divulgué son identité. Yeul avait dit que Sora était en sécurité mais... tous ses instincts lui criaient de rester sur ses gardes.

Peut-être finirait-elle par tout leur avouer. Peut-être, quand elle les connaîtrait mieux. Pour le moment, elle avait pris la décision « d'enquêter », comme elle disait avec une pointe de fierté, autrement dit comprendre ce qui se passait, pour ensuite décider de comment agir.

« Xion ? Est-ce que ça va ? »

Elle cligna des yeux. Le dénommé Roxas s'était arrêté et la regardait par-dessus son épaule, les sourcils froncés. Il semblait sincèrement inquiet.

Ces yeux bleus... Comme les siens.

« Xion ? »

Kairi reprit contenance.

« Oui... Oui, je vais bien ! Je suis encore un peu endormie. »

Et elle avait un peu faim aussi ? Ne prenaient-ils pas de petit-déjeuner dans ce groupe ?

Roxas parut légèrement soulagé mais se détourna avec réticence.

« Oh... tant mieux. Tu ne parles pas depuis ce matin, alors je me demandais... »

Ils reprirent leur route en silence. Kairi gardait les yeux fixés sur le dos du jeune garçon, tiraillée entre deux possibilités.

Il ressemblait tellement au garçon de ses souvenirs, ce ne pouvait pas être une coïncidence. S'agissait-il de Sora ? Elle n'avait cessé de le fixer depuis tout à l'heure, mais ne parvenait pas à se décider. Il lui ressemblait, mais... ses traits étaient un peu différents peut-être ? Sa voix ne sonnait pas comme elle l'avait pensé. Et... non, elle était loin d'être sûre qu'il s'agissait de lui.

Devait-elle lui en parler ? Devait-elle garder le silence pour le moment ? Elle ne savait que choisir. Elle brûlait d'envie de confirmer ses doutes, mais...

Les Ténèbres se dissipèrent. Kairi cligna des yeux, prise au dépourvu quand les murs aux couleurs changeantes s'évanouirent, laissant place à un paysage nocturne et silencieux. Ils étaient apparus au centre d'une cour dallée de pierre, ceinte de hauts murs et ornée de statues aux formes lugubres dans la pénombre. Devant eux se dressait un imposant château qui semblait les toiser de sa haute silhouette qui se découpait dans le ciel étoilé. Pas une lumière ne brillait aux fenêtres et elle frissonna. Il faisait un peu froid.

Roxas se tourna vers elle.

« Le quota d'aujourd'hui est de 300 Sans-cœur, dit-il. Saïx préférerait qu'on en chasse des gros, mais... n'en fais pas trop d'accord ? Si tu te sens mal, ne force pas, qu'importe ce que dit Saïx ! »

Elle hocha distraitement la tête, plus occupée à regarder tout autour d'elle avec fascination. Les Couloirs des Ténèbres étaient vraiment pratiques. Elle regrettait presque de ne pouvoir les invoquer.

Cela aurait été si facile... de quitter les Îles...

Elle comprenait un peu ce qui avait tant attiré Riku dans les Ténèbres.

« Très bien, c'est parti ! fit Roxas d'une voix qu'il s'efforçait de rendre enthousiaste. On répartit comment ? On chasse 150 Sans-cœur chacun ? Ça ira ? »

Ce qu'il avait juste dit la frappa de plein fouet.

Etaient-ils des alliés finalement ? Peut-être utilisaient-ils le pouvoir des Ténèbres, mais ils chassaient les Sans-cœur... Ils protégeaient les mondes... Tout comme Sora.

Kairi réalisa cependant une seconde chose et écarquilla les yeux.

« Des ...Sans-cœur ? Il y en a toujours ? » s'écria-t-elle avant d'avoir pu se retenir.

Mais... Sora n'avait-il pas vaincu Ansem ? Les mondes n'étaient-ils pas censés être saufs ?

Ah... Les paroles de Yeul lui revinrent en mémoire. Un nouveau danger planait.

Toute à ses pensées, elle ne remarqua pas le drôle de regard que lui jetait Roxas.

« Euh... Oui ? Tant qu'il y aura des Ténèbres, selon Axel. Même si on en a déjà tué beaucoup, il y en a toujours qui apparaissent... »

Il soupira d'un air las.

« C'est vrai que parfois... je me demande si ce qu'on fait sert à quelque chose.

-Les mondes ne sont donc pas vraiment en sécurité, quoi qu'on fasse, murmura Kairi, qui ressentait elle aussi une déception perçante. Tout ceci n'avait-il donc aucun sens ? »

Roxas secoua vivement la tête et s'approcha d'elle en agitant les mains.

« Si, bien sûr que si ! Souviens-toi, nous devons compléter Kingdom Hearts ! C'est notre but, c'est pour cette raison que l'Organisation a besoin de nous ! Tu n'es pas inutile, Xion ! »

Compléter... Kingdom Hearts ?

Que voulait-il dire ? Elle ouvrit la bouche, oubliant momentanément que montrer son incompréhension trahirait qu'elle n'était pas celle qu'ils pensaient qu'elle était, mais Roxas reprit la parole, lui évitant ce trouble.

« On fait comme on a dit la dernière fois ? Je vais du côté des jardins, tu vas à l'intérieur, et on se rejoint ici, d'accord ? Surtout, n'en fais pas trop, et prends garde à la Bête ! »

Kairi hocha la tête sans dire mot. Il lui offrit un grand sourire puis partit de son côté en direction d'une porte percée dans la muraille, la laissant seule au milieu de la cour lugubre et silencieuse. Elle le suivit du regard jusqu'à ce qu'il ait disparu, puis soupira. Elle était enfin seule depuis le début de cette journée, et pouvait enfin se détendre sans avoir peur de commettre un faux pas.

« Kingdom Hearts... »

Ce mystérieux groupe... veillaient-ils sur Kingdom Hearts et sur les mondes ? C'était sans doute cela, n'est-ce pas ? Pourtant...

Pourquoi est-ce que j'ai l'impression que je ne dois pas leur faire confiance ?

Elle chassa immédiatement ces pensées quand les mots de Roxas lui revinrent en tête. La Bête... Ne serait-ce pas... ?

Elle se souvenait un peu de la Bête. Elle l'avait brièvement rencontrée quand elle s'était réveillée, des mois auparavant, entre les hauts murs de la Forteresse Oubliée, mais ne lui avait pas parlé. Elle savait seulement qu'il avait voyagé entre les Mondes pour retrouver sa bien-aimée. Elle avait plus de souvenirs de cette dernière, une jolie jeune femme nommée Belle, l'une des Princesses de Cœur enlevées par Maléfique et Ansem. Kairi avait un peu discuté avec elle et l'avait beaucoup appréciée.

Elle leva les yeux vers le château obscur. C'était donc ici qu'elle vivait ? Peut-être pourrait-elle l'aider...

Le cœur battant à cette idée, Kairi se dirigea vers les lourdes portes de bois qui barraient l'entrée. En s'arc-boutant contre le battant, elle parvint à l'entrouvrir et passa la tête à l'intérieur, embarrassée à l'idée de s'introduire de cette manière indigne chez ses amis.

Son regard se perdit dans un hall plongé dans l'obscurité. Pas un son, pas un mouvement, un silence aussi lourd que celui d'un tombeau. Loin de se sentir en sécurité, la jeune fille fit quelques pas précautionneux à l'intérieur, examinant nerveusement les statues aux formes indéfinissables les plus proches. Elle était seule et il n'y avait aucun doute que des Sans-cœur rôdaient dans les parages, à en croire Roxas. Petite consolation, ses bottes ne produisaient pas le moindre son qui avertirait les monstres de sa présence.

Au fond du hall, Kairi discernait tant bien que mal la masse sombre d'un escalier qui s'élevait vers les étages. Personne ne l'interpella et elle traversa le hall sans incident, mais alors qu'elle posait le pied sur la première marche, un rugissement retentit dans le lointain, la figeant sur place.

Les poils se dressèrent sur sa nuque et ses bras, et elle retint son souffle, l'oreille aux aguets, mais le silence était déjà retombé.

Qu'est-ce que c'était ?

C'était la Bête, n'est-ce pas ? Ce hurlement animal, empli de rage... Était-elle en danger ?

Indécise, Kairi se mordit la lèvre, mais plus rien ne vint troubler le silence.

Les couloirs étaient déserts et plongés dans l'obscurité et le silence. Seuls les rayons de la lune qui s'infiltraient par les immenses fenêtres venaient déposer leurs lueurs sur l'épais tapis qui recouvrait le sol, étouffant ses pas.

Kairi ne pouvait nier qu'elle avait peur et que l'inquiétude ne faisait que croître au fur et à mesure qu'elle avançait sans croiser personne. Où étaient les habitants de ce château ? Elle avait entendu la Bête, mais où était Belle ? Et n'y avait-il pas d'autres résidents, ou des gardes, des serviteurs ?

Se pourrait-il... qu'il se soient changés en Sans-cœur, eux aussi ?

Une volée de marches la conduisit à un autre couloir, plus étroit que les précédents, dû aux meubles luxueux qui s'alignaient contre le mur, sous des tableaux aux proportions gigantesques. Un vrai château de prince, auquel le clair de lune donnait une atmosphère sinistre. Alors qu'elle s'arrêtait devant une fenêtre, en plein milieu du couloir, pour contempler le paysage nocturne – elle avait de sa position une vue imprenable sur l'épaisse forêt de pins qui s'étendait au delà des murailles du château –, quelque chose bougea sur sa droite.

Kairi ne put retenir un cri quand un lambeau d'ombre se détacha de l'ombre d'un meuble près de l'entrée du couloir pour se précipiter vers elle, coupant tout retour en arrière. Un lambeau d'ombre pas plus haut qu'un tabouret mais doté de yeux jaunes et de griffes acérées.

Un Sans-cœur ! Elle recula en mouvements désordonnés, percutant un meuble dans la foulée et envoyant valser les bibelots qui le recouvraient. La panique la saisit de son étreinte douloureuse, effaçant toute sorte de pensée rationnelle. Elle se souvenait... Elle se souvenait de cette nuit au cours de laquelle son monde s'était effondré... De cette forteresse perdue hors du Monde, et du visage d'Ansem...

Elle se rappela juste à temps de courir quand l'Ombre se jeta sur elle, mais ses pieds se prirent dans le tapis, l'envoyant trébucher contre une fenêtre qui trembla sous le choc. Les yeux écarquillés, elle se redressa et se précipita vers le fond du couloir. Comment était-elle supposée se battre ? Elle n'avait rien pour se défendre ! Les petits objets fragiles disposés sur les meubles ne lui seraient d'aucune utilité contre des Sans-cœur.

Une étreinte glacée attrapa sa jambe et, avec un cri étouffé, Kairi s'écroula contre le mur. Sa tête cogna violemment contre la paroi de pierre et, à moitié assommée, elle aperçut les petites créatures aux yeux jaunes curieux mais aux griffes mortelles, désormais au nombre de trois, se rapprocher d'elle, prêtes à plonger leurs pattes dans sa poitrine...

Une porte proche s'ouvrit brutalement et, avant qu'elle ait pu tourner la tête, un balai s'abattit sur l'Ombre la plus proche avec une telle violence qu'elle se désintégra. Les deux autres couinèrent et se jetèrent sur la nouvelle venue, pour seulement subir le même sort.

« Ah ! Disparaissez, sales bêtes ! » s'écria une voix féminine, triomphante, mais à bout de souffle.

Kairi leva les yeux. Brandissant un simple balai, le front luisant de sueur et échevelée, Belle examinait le couloir d'un air féroce et déterminé, prête à affronter toute nouvelle menace. Comme aucune ne se matérialisait, elle laissa retomber son bras et s'appuya sur son arme de fortune, le souffle court.

« J'étais sûre d'avoir entendu du bruit par ici... »

Son regard tomba sur la jeune fille qui n'avait toujours pas bougé, prise de court, et elle demeura figée quelques instants. Il vint à l'esprit de Kairi l'urgence d'expliquer sa présence, mais une lueur de reconnaissance illumina furtivement les yeux de la jeune femme qui fronça les sourcils, l'air profondément troublée.

« ...Kairi ? »