Chapitre publié le 14 mai 2017.

Je ne sais pas si Belle est OOC...


Chapitre 11 : Situations inconfortables

« Kairi ? »

Médusée, cette dernière levait un regard déconcerté vers la jeune femme qui l'observait en plissant les yeux, l'air tout aussi surprise qu'elle. Comment l'avait-elle reconnue ?! Elle palpa fébrilement son visage. Avait-elle retrouvé sa véritable apparence d'une quelconque manière ? Ou... Belle pouvait-elle voir à travers les apparences et sentir qui elle était vraiment ?

« Excusez-moi, dit soudainement Belle, mais vous ressemblez à quelqu'un que je connais... Je me suis méprise. »

Kairi retrouva sa voix.

« Non, vous avez raison. C'est moi, je suis Kairi ! »

L'euphorie qui la saisit à la pensée d'avoir enfin, après tout ce temps, retrouvé l'une des connaissances de ses mésaventures de l'année passée élimina toute réserve. Belle ne l'avait pas oubliée. Toutes ces péripéties avaient bien été réelles.

Elle ne s'était pas sentie aussi sincèrement heureuse depuis si longtemps.

Belle écarquilla les yeux.

« Oh, Kairi ! C'est donc bien toi ? Je suis si heureuse de te revoir ! »

Avant que la jeune fille ait eu le temps de cligner des yeux, la jeune femme s'était élancée vers elle et la serrait dans ses bras.

« Tu vas bien ? Que fais-tu là ? Ah, j'étais si inquiète pour vous autres ! »

Après une seconde de surprise, Kairi lui retourna son étreinte.

« Bonjour, Belle. Ça faisait longtemps... ça fait plaisir de vous revoir. »

Belle se recula légèrement et l'observa avec un sourire ému, accroupie sur le sol devant elle.

« Oui, ça fait longtemps. Tu n'as vraiment pas de chance, être arrivée à un tel moment... »

Elle soupira en jetant un regard noir vers l'emplacement sur le tapis où elle avait, quelques instants plus tôt, désintégré un Sans-cœur, puis lui tendit une main que Kairi accepta volontiers, la tirant sur ses pieds.

« Merci beaucoup, fit cette dernière. Si vous n'étiez pas passée par là... »

Belle balaya ses excuses d'un revers de main.

« Ah, ne me remercie pas, c'est la routine pour moi. Mais que fais-tu là ? Il est arrivé quelque chose ?

-Heu... pourrions-nous en parler dans un endroit... sûr ? » proposa Kairi après une seconde d'hésitation.

Le couloir vide et plongé dans la pénombre ne la rassurait pas, malgré la présence de sa nouvelle alliée. Cette dernière lui offrit un sourire éclatant.

« Bien sûr ! Suis-moi ! »

Ouvrant la voie en brandissant son balais d'un air menaçant, Belle la conduisit dans sa chambre, située quelques couloirs plus loin. Elles ne firent pas d'autre mauvaise rencontre, et bien vite, elles se retrouvèrent à l'abri entre les quatre murs d'une chambre à l'aspect confortable occupée par un lit à baldaquin dont les rideaux ondulaient doucement sous la brise légère qui s'engouffrait par la fenêtre entrouverte. Une odeur florale embaumait l'air, diffusée par le bouquet occupant un vase sur un petit guéridon, et la table de nuit croulait sous un tas de livres divers.

Belle referma la porte et se tourna vers elle avec un air doux mais inquiet.

« Je m'excuse de l'accueil que tu as dû recevoir, murmura-t-elle. On ne peut pas dire que la situation soit idéale pour recevoir de la visite, comme tu as pu le voir. »

Kairi ouvrit la bouche, bien décidée à s'enquérir des causes de cette invasion de Sans-cœur, mais la jeune femme avait déjà enchaîné :

« Mais que fais-tu là ? Je n'étais pas au courant de ta visite... Ne me dis pas que... ton monde... !

-Non ! Non, ce n'est pas ça, se hâta de la corriger Kairi. Mon monde va bien, ne vous inquiétez pas.

-Oh, je suis soulagée ! soupira Belle. J'ai cru... Mais tu peux me tutoyer, Kairi ! Je ne suis pas beaucoup plus âgée que toi, tu sais. »

Kairi ouvrit la bouche mais les mots moururent dans sa gorge quand retentit dans le lointain un rugissement plaintif, presque désespéré. Elle jeta un regard à Belle mais cette dernière ne semblait pas inquiète, seulement particulièrement lasse et triste. Quand le silence revint, Kairi prit la parole d'une voix presque timide :

« … Et ici ? Que se passe-t-il ?

-Ah, soupira Belle en baissant les yeux, l'air attristé. Depuis quelques semaines, les Sans-cœur se sont comme multipliés, et ils sont devenus plus agressifs. Et la Bête... »

Elle soupira à nouveau.

« Je crois qu'il essaie de nous protéger. Mais il... Quelque chose ne va pas. Il ne me parle plus qu'à peine, il reste enfermé dans sa chambre pendant de longues heures, et il ne sourit plus... Il passe la nuit à pourchasser les Sans-cœur. Je lui ai bien dit de se reposer, mais il ne m'écoute plus. »

Belle releva enfin les yeux et lui jeta un regard presque suppliant.

« Est-ce que tu sais ce qu'il se passe ? Je pensais que les mondes étaient saufs désormais, avec Maléfique et Ansem disparus. Pourquoi les Sans-cœur ont-ils réapparu ? »

Kairi se retint de mentionner le mystérieux groupe qu'elle venait de rencontrer. Peut-être devrait-elle avertir la jeune femme que des individus s'infiltraient dans le château, même si c'était pour se débarrasser des Sans-cœur, mais elle ne savait rien d'eux. Peut-être avaient-ils une bonne raison de rester discrets. Et puis, ça lui ferait de la peine de « trahir » Roxas, curieusement, même si elle le connaissait à peine.

« Je crois que les Sans-cœur seront toujours là tant que les Ténèbres existeront », éluda-t-elle.

Belle fronça les sourcils.

« Je comprends, je crois, mais... il n'y en avait pas avant. Du moins pas dans ce monde.

-Oh ! s'écria Kairi, une pensée subite traversant son esprit. C'est vrai. On m'en a parlé. Je ne connais pas encore les détails, mais il semble qu'une nouvelle menace se soit déclarée.

-C'est vrai ?! Mon Dieu, est-ce que tu sais de quoi il s'agit ? Est-ce Maléfique... ?

-Je ne sais pas encore, avoua-t-elle. Mais je mène l'enquête, ne vous... ne t'inquiète pas », ajouta-t-elle en prenant une posture fière.

Cela faisait si longtemps qu'elle ne s'était pas sentie autant pleine d'énergie. Et une bonne énergie, pas une inquiétude vivace ou une détermination engendrée par telle inquiétude. Un large sourire... un vrai sourire naquit sur ses lèvres.

Belle la regarda puis étouffa un petit rire derrière sa main. Ses traits se détendirent.

« Tu mènes l'enquête ? C'est pour ça que tu as teint tes cheveux ?

-Teint mes... Au fait, comment avez-vous... comment as-tu su que j'étais Kairi ? demanda-t-elle sans prendre le temps de réfléchir à ce qu'elle venait de dire.

-Comment ça ? C'est évident, non ? répondit la jeune femme avec un regard interrogateur. Je suis désolée, Kairi, mais si tu espérais que c'était un déguisement convaincant... Mais le manteau a l'air confortable. »

Mais Kairi ne l'écoutait plus. Elle venait de repérer le petit miroir cloué au mur au-dessus du petit guéridon, le premier qu'elle eût croisé depuis son départ. La jeune fille se dirigea d'un pas fébrile vers le mur et elle vit enfin sa nouvelle apparence.

Elle écarquilla les yeux et son cœur rata un battement.

C'était elle. Le même visage, les mêmes yeux bleus. Les mêmes cheveux aussi, ou plutôt la même coiffure qu'elle avait l'été dernier, coupés courts, et ils étaient noirs. Comment... ?

Les mots de Yeul défilèrent dans son esprit. Que lui avait-elle dit déjà ? Que celle qui veillait sur Sora était liée à elle ? Était-ce... une sorte de double ? Elle ne se rappelait pas avoir eu une sœur jumelle.

Tétanisée, les yeux rivés sur le visage qui lui faisait face, elle entendit à peine la question de Belle qui venait la rejoindre.

« Pardon ? demanda-t-elle d'un ton absent.

-Je me demandais si tu avais besoin de quelque chose, répéta la jeune femme avec gentillesse. Tu es venue au beau milieu de la nuit... Y a-t-il quelque chose d'important dont tu voulais nous faire part... ?

-Non, je... je ne savais pas que c'était la nuit...

-Oh, ne t'inquiète pas, je n'ai pas l'intention de te chasser ! Mais je préfère te prévenir, les couloirs ne sont pas sûrs la nuit, comme tu as pu le remarquer tout à l'heure. Je peux préparer une chambre pour toi, si tu veux ? »

Kairi détacha finalement les yeux de son reflet et se retourna vers elle, forçant un sourire.

« Merci, mais ce n'est pas nécessaire. J'ai déjà un endroit où rentrer.

-Oh, et bien... »

La raison de sa présence ici lui revint subitement à l'esprit.

« En fait, j'espérais que tu puisses m'aider ! Je cherche quelqu'un, et j'ai vraiment besoin d'aide.

-Bien sûr ! Je ferai tout mon possible pour t'aider, lui assura Belle avec un sourire doux. Qui cherches-tu ?

-C'est un ami à moi, expliqua Kairi en tentant de contrôler sa voix. Il s'appelle Sora. »

Un instant de silence. Belle inclina la tête, perdue dans ses pensées, et le cœur de Kairi, qui examinait attentivement son visage, se serra.

« Ah, je suis désolée, Kairi. Je ne crois pas connaître cette personne. Pourtant... J'ai l'impression d'avoir déjà entendu ce nom. »

Elle aussi avait oublié. Vaincue, Kairi laissa la déception prendre le dessus et haussa les épaules.

« Ce n'est pas grave, dit-elle d'une voix qui trahissait ses émotions. Je ne pensais pas vraiment qu'il serait ici. Je peux aller chercher ailleurs.

-Mmh... »

Belle ne l'avait pas écoutée. Les yeux dans le vague, elle porta une main songeuse à son menton.

« Je crois... N'était-ce pas lui qui nous avait sauvées ? »

Elle reprit soudainement ses esprits et lança un regard d'excuse à la jeune fille.

« Je suis désolée. J'ai bien peur de ne pouvoir t'aider.

-Non, non, ce n'est rien. »

Kairi secoua la tête en souriant.

« J'ai d'autres endroits où je peux chercher. Tout ira bien.

-Oh... Tu es sûre de ne pas vouloir rester pour la nuit ? On a des chambres disponibles, tu sais, tu ne dérangeras pas !

-Merci beaucoup, mais je ne peux pas rester plus longtemps, déclina Kairi. Je dois partir. »

Belle la regarda avec inquiétude puis sourit.

« D'accord. Sois prudente, et je suis sûre que tu retrouveras ton ami. »


Kairi referma la porte derrière elle en soupirant mais avec un sourire aux lèvres. Elle était déçue, certes, mais surtout heureuse d'avoir retrouvé une connaissance. Ce qui s'était passé l'année dernière... C'était réel.

« Xion ? »

Elle sursauta violemment quand le chuchotement perça la pénombre. Se retournant vivement, elle aperçut Roxas quelques pas plus loin dans le couloir, qui la fixait étrangement. Avait-il entendu leur conversation ?

Il se rapprocha.

« Tu vas bien ? »

Oh. Il était seulement inquiet. Elle hocha la tête et lui offrit un vrai sourire.

« Bien sûr ! Ne t'inquiète pas ! »

Elle ne mentait pas.

Roxas parut saisi par sa réaction et détourna les yeux avec... était-ce de l'embarras ? De la timidité ?

« Tu as terminé de ton côté ?

-Euh... »

Alors que Kairi cherchait désespérément une réponse, son cerveau passant immédiatement en revue toutes sortes d'excuses, son regard tomba sur l'arme que tenait Roxas quand un éclat de lune se prit sur sa lame alors qu'il passait devant une fenêtre, et elle en perdit ses mots. Décidément, cette journée était pleine de surprises.

« C'est... »

C'était une... Keyblade, n'est-ce pas ? L'arme qui avait choisi Sora, elle s'en souvenait à présent. Elle n'en avait que des souvenirs flous, mais il était impossible que cette clé géante d'où émanait une aura sereine et ancienne soit quelque chose d'autre. Elle ne pouvait plus en détacher les yeux alors qu'elle réalisait les implications de ce qu'elle voyait.

« X... Xion ? demanda prudemment le jeune garçon. Est-ce que...

-Où l'as-tu trouvée ? » l'interrompit-elle.

Elle n'avait pas voulu parler aussi fort, ni paraître aussi sévère, mais ses pensées étaient entièrement tournées vers ce qu'elle avait sous les yeux. Inconsciemment, elle fit un geste en direction de l'arme, mais Roxas la leva au même moment devant son visage pour l'examiner.

« C'est... C'est la même que d'habitude. Qu'est-ce qu'il t'arrive, Xion ? Tu es... bizarre aujourd'hui. »

Kairi le dévisagea sans un mot.

Etait-il Sora finalement ? C'était Sora, qui avait été choisi par la Keyblade, non ? Et ce garçon, qui lui ressemblait, il pouvait la manier lui aussi... Il ne pouvait pas y avoir d'erreur, n'est-ce pas ?

La jeune fille se mordit la lèvre, choisissant ses mots avec soin, tandis que Roxas l'observait silencieusement, de plus en plus mal à l'aise.

« Roxas... Je dois te demander quelque chose, dit-elle finalement.

-Bien sûr ! Est-ce qu'il... s'est passé quelque chose ?

-Non, répondit-elle sans savoir s'il faisait allusion à quelque chose qu'elle – que Xion – devait savoir. C'est autre chose. J'aimerais savoir si tu connais quelqu'un qui s'appelle Sora ? »

Il ne répondit pas immédiatement, et elle pu voir la surprise ou la confusion naître sur son visage, sans trop savoir comment elle devait l'interpréter. Puis il détourna le regard et fronça les sourcils.

« Je ne crois pas... Mais pourtant... C'est bizarre...

-Oui ? le pressa-t-elle.

-Je ressens quelque chose, avoua-t-il, une main sur son cœur. Je ne sais pas trop, mais c'est comme si ce nom résonnait en moi. Comment connais-tu ce nom ? Qui t'a parlé de cette personne ? »

Oh, elle n'avait pas pensé à cela. Elle dut faire appel à toutes ses maigres capacités d'actrice pour conserver son sourire calme et hausser les sourcils, tout en répliquant sur un ton badin :

« Je ne sais pas trop moi-même. C'est bizarre, non ? »

C'était vraiment un mensonge lamentable, mais Roxas ne semblait pas le remarquer, fixant le sol sans le voir.

« C'est étrange, oui, continua-t-il. Je me demande... Si ça n'a pas un lien avec mon ancienne vie.

-Ton... ancienne vie ? répéta-t-elle avant d'avoir pu s'en empêcher.

-Avant que je devienne un Simili, je veux dire.

-Euh... »

Un Simili ? Elle n'en avait jamais entendu parler. Et elle avait le sentiment que ce n'était pas une question qu'elle pouvait poser sans s'attirer des soupçons.

Etait-il donc Sora ? Il possédait la Keyblade, mais ses traits étaient légèrement différents des souvenirs flous qui habitaient sa mémoire. Mais il avait parlé d'une autre vie... Et il y avait elle, cette fille à qui elle avait emprunté le corps, et qui lui ressemblait sans pour autant être elle...

Finalement, Kairi prit la décision de continuer son « enquête », et de rester avec eux jusqu'à percer ce mystère. Elle avait déjà accumulé beaucoup d'informations en quelques heures et elle décida qu'elle pouvait en être contente. Mieux valait ne pas se précipiter.

« Tu as fini de remplir ton quota ? » demanda soudain Roxas, changeant complètement de sujet et la prenant par surprise.

Ah... à propos de cela...

« Je … euh... »

Elle n'avait honnêtement aucune idée de ce qu'elle était censée répondre.

« Je n'ai pas pu », déclara-t-elle finalement.

Elle se sentit rougir d'embarras. Roxas ne parut pas mécontent mais l'inquiétude revint sur son visage.

« Xion ? Ne me dis pas... Tu as encore un problème avec ta Keyblade ? »

Sa... Keyblade ? Cette Xion possédait-elle elle aussi une Keyblade ? Comment était-ce possible ? Est-ce que tous les membres de ce groupe en possédaient une ? Elle ouvrit la bouche mais ne trouva pas les mots, figée sous la surprise.

Contrairement à ce à quoi elle s'était attendue, les traits de Roxas s'adoucirent.

« Tu ne peux plus la matérialiser de nouveau, c'est ça ? demanda-t-il doucement.

-... C'est ça », acquiesça-t-elle après une seconde d'hésitation, pas mécontente d'avoir une excuse toute faite.

Une grimace de désespoir tordit brièvement le visage de son interlocuteur qui se passa la main dans ses cheveux d'un geste anxieux.

« Comment c'est possible ? Je croyais que c'était réglé... »

Il s'interrompit et la regarda, se forçant à paraître calme et assuré :

« Écoute, on n'a qu'à rentrer et aller voir Axel. Il saura sans doute quoi faire, comme la dernière fois. D'accord ? »

Comme elle hochait la tête, il poursuivit :

« Utilise la magie en attendant. Ça ira ? Alors on y va...

-Euh, hésita Kairi, sentant l'embarras redoubler. Je suis vraiment désolée... Roxas, mais... »

Le jeune garçon, qui s'était déjà détourné, tourna la tête par-dessus son épaule.

« Qu'est-ce qu'il y a ?

-J'ai bien peur... que ça ne va pas être possible non plus. »


Kairi se sentait un peu coupable de lui causer tant d'ennuis, vraiment. Elle n'était pas tout à fait sûre qu'il était Sora, mais il était gentil, et elle ne voulait pas lui causer tant de troubles. Il avait été horrifié par sa révélation, et elle n'avait pu qu'assister à son affolement, dont elle ne comprenait pas vraiment les causes, consciente qu'elle ne pouvait lui révéler la vérité. Ce n'était que la première journée, mais plus le temps passait, plus son plan lui paraissait défaillant et dangereux.

A sa grande surprise, ils n'étaient pas rentrés immédiatement à la citadelle, mais ils s'étaient rendus, ou plutôt elle l'avait suivi, dans une ville paisible et peu animée, recouverte d'un ciel crépusculaire. Elle n'eut pas eu le temps de regarder autour d'elle car il l'entraîna aussitôt jusqu'en haut du clocher qui surmontait la gare devant laquelle ils étaient apparus. Elle en comprit la raison en constatant que le rouquin de ce matin les attendait, négligemment assis sur le parapet, dangereusement près du bord – mais elle devait admettre que la vue sur la cité en valait le risque –, une glace à la main. A leur approche, il se tourna vers eux et les salua, mais Roxas se précipita aussitôt vers lui, les sourcils froncés, sans lui retourner son sourire.

« Axel ! On a un problème ! »

Axel perdit immédiatement son sourire et ses yeux se plissèrent. Kairi décida sagement de demeurer en retrait tandis que Roxas se lançait dans de grandes explications avec des gestes saccadés.

Quand il s'interrompit enfin, à bout de souffle, elle croisa le regard intrigué d'Axel. Il avait gardé son calme, contrairement à son camarade, mais il l'observait comme s'il tentait de lire ses pensées.

« Oh, vraiment ? l'entendit-elle murmurer. Et que faisons-nous maintenant ?

-Si Saïx l'apprend... », commença Roxas en triturant nerveusement ses gants.

C'était donc ce Saïx qui lui faisait autant peur.

« Xion pense qu'elle connaît quelqu'un qui pourrait l'aider, se reprit-il, bien qu'il semble toujours incertain. Il faut qu'elle aille voir Aeris !

-Hum... Aeris ? De qui parles-tu, Roxas ?

-Une habitante de la Forteresse Oubliée. Elle s'y connaît beaucoup en magie », précisa Kairi.

Elle espérait du moins que cette dernière y soit toujours... Elle lui avait beaucoup parlé après son réveil à la Forteresse Oubliée l'année dernière et la jeune femme avait été très gentille et compréhensive avec elle. Elles partageaient des points communs, sur certains aspects... Peut-être savait-elle quelque chose sur Sora, mais surtout, elle était une grande magicienne et avait même commencé à enseigner quelques sorts à Kairi, ou du moins avait-elle essayé dans le peu de temps qu'elles avaient eu. Dans la situation actuelle, si Kairi voulait maîtriser le plus rapidement possible des sorts basiques pour ne pas s'attirer davantage de soupçons, elle était son seul espoir.

« C'est très bien, dit lentement Axel sans quitter Kairi des yeux, mais comment connais-tu cette personne ? Je ne crois pas que tu aies jamais mis les pieds à la Forteresse. »

Kairi réprima un mouvement de recul et un froncement de sourcils défiant. Elle n'aimait pas le ton que l'autre avait employé. En apparence désinvolte, il transmettait néanmoins une nuance légèrement menaçante, presque imperceptible – et elle était sûre que Roxas ne s'en était pas aperçu – et elle sut aussitôt qu'elle allait devoir se surveiller constamment pour ne pas se trahir devant lui. Roxas semblait lui faire aveuglément confiance, mais celui-ci...

Roxas répondit à sa place :

« Xion ne sait pas vraiment elle-même, dit-il en lui jetant un coup d'œil. Elle pense que c'est peut-être quelqu'un qu'elle connaissait dans sa vie d'avant. »

Un instant de silence.

« Hm », fit Axel sans détacher son regard de celui de Kairi. Puis il soupira et se gratta la nuque. « Bon, je ne comprends pas trop ce qu'il se passe, mais... je suppose que dans la situation actuelle, on a pas le choix, non ? »

Kairi retint un soupir de soulagement.

« Je... merci, à tous les deux, murmura-t-elle.

-Pas de problème ! C'est à ça que servent les amis ! » lui répondit Roxas, qui avait miraculeusement retrouvé sa bonne humeur.

Axel ne répondit rien.


Naminé était effondrée. Elle avait écouté les explications de Yeul jusqu'au bout, s'affaissant de plus en plus contre le dossier de la chaise qu'elle n'avait pas quittée. C'était mauvais, vraiment mauvais. Elle avait le corps d'une personne ordinaire et ne pouvait retourner auprès de Sora. Comment allait-elle accomplir sa promesse et lui retourner ses souvenirs ? Les mondes avaient besoin de lui, et Dieu seul savait ce que l'Organisation pouvait préparer en ce moment même... Elle comprenait la détermination de Kairi, c'était aussi ce qui l'avait poussée à sauver Sora des griffes de l'Organisation. Mais... Elle réprima un sanglot.

Des bribes de la conversation précédente refirent surface dans son esprit :

« Je suis désolée, Naminé, expliquait Yeul, mains croisées sur ses genoux. Il s'est passé quelque chose que je n'avais pas prévu. J'avais promis à Kairi qu'elle serait sauve, que je l'amènerais auprès de Sora, mais... Une existence s'est interposée. C'est de ma faute. J'aurais dû anticiper.

-Une existence ? » osa Naminé, les lèvres tremblantes.

Puis la réalisation se fit dans son esprit. Après tout, cela faisait plusieurs semaines qu'elle avait constaté l'existence de ce problème.

« Est-ce que tu parles de cette fille ? »

Yeul inclina la tête.

« Oui, c'est exact. Xion a été conçue avec les souvenirs les plus forts de Sora, le sais-tu ?

-Oui, ceux de Kairi », répondit simplement Naminé.

Elle porta la main à sa bouche quand elle réalisa ce que cela signifiait. Yeul confirma ses peurs :

« J'ai voulu envoyer l'âme de Kairi vers le corps de celle qui était liée à elle. Je n'avais pas prévu qu'au lieu d'atterrir dans le corps de sa Simili, elle rejoigne celui de celle née de la Kairi dans le cœur de Sora.

-Mais... ce n'est pas possible ! Si c'est ce qui s'est réellement passé, pourquoi suis-je ici ? L'échange n'aurait pas dû marcher avec moi...

-Je crois... que l'existence de Xion s'est seulement ajoutée au processus. Ce qui signifie, si tu es là, que l'esprit de Xion, l'âme individuelle qu'elle s'est créée, a rejoint ton corps... et tu as rejoint celui de Kairi, comme il était prévu. »

Naminé serra ses mains tremblantes. Xion... Kairi... que devaient-elles être en train de vivre en ce moment même ?

« Tu es en train de dire que Kairi se trouve avec l'Organisation, murmura-t-elle, l'anxiété étranglant sa voix.

-Oui. C'est malheureusement le cas.

-Et cela ne te fait pas peur ? Pourquoi as-tu fait tout cela ? Pourquoi as-tu tout bouleversé ? Je ne comprends pas. »

L'expression de Yeul était indéchiffrable.

« Je fais seulement ce que Kairi m'a demandé. Même si, je dois l'avouer, la suite des événements ne sera pas sans intérêt. Mais reste assurée que je ne bouleverse pas l'ordre des mondes par pur jeu. »

Naminé ignorait si elle était sincère, mais elle jugea que la contredire serait une perte de temps. Elle décida de poser la question qui lui tenait à cœur :

« Que va-t-il arriver à Kairi désormais ? Ne peut-on pas la sauver ?

-Elle est apte à se débrouiller par elle-même, répondit Yeul. Et je ne peux pas intervenir directement de cette manière. Mais... les jours seront durs pour elle pendant quelques temps.

-P-Pourquoi ? osa demander Naminé, bien qu'elle se doutait de la réponse.

-Elle n'a aucun pouvoir. Le corps de Xion peut manier la magie et le pouvoir des Ténèbres – celui d'ouvrir les Couloirs – mais Kairi ne sait pas les utiliser. Sans doute y parviendra-t-elle avec un peu d'entraînement, mais la voilà vulnérable aux Simili. Elle ne peut manier la Keyblade, car c'était le cœur de Xion qui le lui permettait, et ce cœur n'est plus là.

-L'Organisation... elle va immédiatement comprendre, souffla Naminé.

-Je ne pense pas. Kairi est plus forte que tu sembles le penser. »

Naminé s'agita et rougit un peu sous l'embarras.

« Non, je... Je le sais, mais... Je ne peux pas m'empêcher de m'inquiéter. »

Un sourire perça les traits impassibles de Yeul.

« C'est compréhensible. Ceci étant dit, il n'y a rien que tu puisses faire pour elle dans le temps présent.

-Mais... Et Xion ? Que va-t-il lui arriver ? »

Comment réagira DiZ ? Comment réagira-t-elle si elle découvre Sora ? Son sang se glaça à cette pensée.

Elle ne put s'empêcher de se sentir un peu coupable quand la réponse de Yeul, énoncée d'une voix égale, la rassura sur ces points.

« Elle est désormais dans un profond sommeil. L'existence de Xion est neuve et encore fragile, et elle est arrivée dans ton corps qui n'est composé de si peu de choses qu'il n'aurait pas dû persister. Cela a formé une entité qui peine à exister. C'est pour cette raison que j'ignore si elle survivra. Si elle parvient à se réveiller et à s'arracher une place dans le monde, elle aura, tout comme toi, des troubles pour utiliser ses pouvoirs à cause de son nouveau corps. Mais pour le moment, elle risque de disparaître. »

« Naminé ? »

La jeune fille sursauta et releva la tête. Yeul était entrée sans qu'elle s'en aperçoive dans la pièce où elle avait passé toute la nuit et la journée suivante. Caius, qui l'avait suivie, était resté près de la porte, les surveillant du coin de l'œil, les bras croisés.

« Qu'as-tu l'intention de faire maintenant ? » demanda-t-elle d'une voix douce.

La jeune fille baissa à nouveau les yeux vers ses genoux.

« … Je l'ignore. Tout ce que je faisais, c'était pour aider Sora, mais j'en suis incapable maintenant. Je veux les aider, lui et Kairi, mais je ne sais pas comment faire.

-Je comprends. Je pense... »

Yeul fut interrompue par des exclamations furieuses qui montaient de l'extérieur de la maison, rapidement suivies par des coups sourds frappés contre la porte d'entrée. Celui qui frappait ne retenait pas ses coups.

Les trois occupants de la pièce se figèrent, ou plutôt Naminé se pétrifia, Caius se redressa brusquement, le regard alerte et la main posée sur le pommeau de l'épée à l'aspect sinistre qu'il venait de matérialiser, et Yeul n'eut aucune réaction, mais se tourna lentement vers le vestibule.

« C'est la maison de la sorcière ! s'éleva une voix furieuse. C'est elle qui a la fille du maire ! »

Naminé sentit aussitôt le regard de ses deux hôtes se tourner vers elle.

« Enfoncez la porte ! » cria quelqu'un d'autre, aussitôt approuvé par ses camarades.

A ces mots, Caius empoigna son épée et vint se poster derrière la porte, une lueur meurtrière dans les yeux. Le cœur de Naminé rata un battement. Elle reconnaissait la haine dans la voix de ces personnes. Elle l'avait connue dans celle de l'Organisation. Une haine qui appelait au sang. Elle ne pouvait plus... elle ne pouvait plus esquisser le moindre geste.

« Kairi ! cria une autre voix. Kairi, tu es là ? Tu m'entends ? C'est moi, Selphie ! »

Cette voix était différente. Ce n'était pas la haine qui y transparaissait, mais une inquiétude sincère pour une autre personne qu'elle.

« Dois-je y aller ? demanda Caius à Yeul.

-Attendez ! »

Naminé ne sut comment elle avait trouvé la force de se relever. Mais elle ne pouvait pas laisser la situation dégénérer.

« C'est moi qu'ils cherchent, non ? Je veux dire, c'est Kairi ? Alors... je peux y aller. Ils ne doivent pas savoir la vérité, non ?

-Ce serait préférable qu'ils l'ignorent, en effet, déclara simplement Yeul, que la situation semblait laisser de marbre.

-Très bien. »

Naminé récupéra le sac d'école de Kairi qui gisait sur le sol et se dirigea vers la porte. Caius s'écarta sur son passage, comprenant que le danger était évité. Elle posa la main sur la poignée, priant pour que les villageois échauffés de l'autre côté ne perdent pas patience et n'enfoncent la porte, puis se retourna vers ses hôtes.

« Je dois seulement garder le rôle de Kairi en attendant que Kairi soit rentrée, n'est-ce pas ?

-Oui, répondit Yeul, avec une ombre de sourire qu'elle ne sut interpréter. T'en sens-tu capable ? »

Naminé se détourna.

« Je pense... Je... Merci pour votre accueil.

-Bien sûr. Reviens quand tu veux. »

Naminé tourna la poignée.

Elle fut accueillie par les visages déformés par la rage et la peur d'une quinzaine de villageois, brandissant des bâtons, fourches et autres armes diverses. L'hostilité qui émanait d'eux, qui semblaient à deux doigts de se jeter sur elle quand la porte s'entrouvrit, suffit presque à la faire reculer, mais alors qu'elle esquissait un pas en arrière, une jeune fille se détacha du lot et se jeta dans ses bras, l'enserrant entre ses bras.

« Kairi ! Je suis soulagée, tu peux pas savoir à quel point ! sanglota-t-elle contre sa poitrine. Tu vas bien ? Tu n'es pas venue à la fête, et je savais que tu avais l'intention d'aller chez la sor-sorcière, puisque c'est moi qui t'en avais parlé... Je suis désolée ! J'avais peur qu'il te soit arrivé quelque chose d'horrible... »

Naminé n'eut pas le temps de réfléchir à une réponse appropriée que deux autres adultes laissaient tomber leurs armes et se précipitaient vers elle.

« Kairi, ma chérie, tu vas bien ? s'écria une femme au visage tordu par l'inquiétude. Tu n'es pas rentrée de la nuit ! Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? »

Oh, alors ils devaient être... Selphie et les parents de Kairi, non ? Elle les avait entraperçus dans les souvenirs de Sora... Naminé ne put que demeurer figée sous le choc. Tous ces gens... Elle n'en avait jamais vu autant à la fois. Qu'est-ce qu'on attendait d'elle ? Que devait-elle dire ou faire ? Son mutisme ne semblait que renforcer leur inquiétude.

Elle força un sourire. Elle pouvait prétendre. Les Simili étaient doués pour prétendre, comme le disait DiZ.

« Je vais bien », articula-t-elle.

Les parents de Kairi la serrèrent dans ses bras et elle se figea à nouveau.

Sentir que des gens étaient inquiets pour elle, même si ce n'était pas vraiment pour elle, était étrange. Elle n'avait connu cela qu'avec Sora, et cela avait été tout aussi étrange. Ainsi pensait-elle avec confusion en suivant les humains en direction de la ville.