Chapitre publié le 26 juin 2017
Chapitre 15 : La dénonciation
Ses griffes tendues vers son cœur, le Sans-cœur se jeta sur elle. Sans briser sa concentration, Kairi recula précipitamment, serrant le petit cristal vert dans ses mains nerveuses, et une rafale de feu surgit dans les airs, maigre et brève, mais suffisante pour balayer le monstre et le désintégrer.
Les deux autres Ombres en avaient profité pour la rattraper et elle eut tout juste le temps de préparer mentalement un autre sort avant qu'elles ne fondent sur elle. Néanmoins, le stress et l'imminence du danger eurent presque raison d'elle et les flammes manquèrent sensiblement leur cible, se matérialisant avec rage entre les deux Sans-cœur. L'un d'eux fut envoyé voler quelques pas plus loin ; le second chancela, déconcerté, et elle eut droit à deux secondes de répit avant que ses yeux ne revinrent sur elle.
Avec un cri incontrôlé, la jeune fille se jeta à genoux pour échapper au monstre qui bondit sur elle. Les cheveux dans les yeux, la peur aveuglant momentanément son esprit, elle rampa frénétiquement dans une direction au hasard, quittant ses ennemis des yeux. Elle jura mentalement en constatant que le cristal s'était échappé de ses mains tremblantes, et elle n'avait pas la moindre idée d'où il était tombé, ni d'où se trouvaient les Sans-cœur..
Son épaule buta contre le tronc d'un arbre et elle jeta un regard perdu derrière son épaule, repoussant frénétiquement ses cheveux. Les deux Sans-cœur revenaient à la charge, se rapprochant inexorablement, une lueur furieuse dans leurs yeux dorés. Elle enfonça aussitôt la main dans sa poche et en tira la première matéria qu'elle rencontra, concentrant l'énergie comme Aeris lui avait demandé de le faire, et espérant maîtriser le sort...
Un éclair peu maîtrisé jaillit dans l'air, s'abattant sur le sol et une odeur d'herbe roussie lui monta aux narines. Une fois encore, elle avait remarquablement manqué sa cible, mais les deux monstres semblaient abasourdis, et elle en profita pour se relever. Un éclat dans l'herbe attira son attention : sa matéria de feu gisait un peu plus loin, derrière les créatures, et elle se précipita en les évitant soigneusement, consciente que ce sort était celui qu'elle maîtrisait le mieux. En quelques secondes, son sort était prêt et les deux Ombres qui commençaient à peine à reprendre leurs esprits n'eurent aucune chance, disparaissant immédiatement dans une bourrasque de flammes.
Le calme revint dans la forêt.
Kairi se laissa tomber à genoux. La matéria glissa à nouveau de sa main et s'enfonça dans l'herbe. Elle était épuisée, la sueur coulait sur son front, mais le soulagement qui se diffusait en elle était exaltant. Elle recula jusqu'à s'installer dos à l'arbre le plus proche, le corps tremblant, tandis qu'autour d'elle, l'épaisse forêt reprenait vie. Les oiseaux chantaient dans les feuillages au-dessus d'elle, invisibles, témoignant du même soulagement maintenant que le danger était passé et la lumière qui filtrait à travers les feuilles vint caresser ses joues.
Elle mourait d'envie de retirer ses bottes et d'enfoncer ses orteils dans la mousse, de se coucher dans l'herbe fraîche pour une petite sieste bien méritée, mais malheureusement elle avait encore une mission à accomplir. Elle ne s'était pas attendue à ce que ce travail soit aussi éprouvant. Mais elle ressentait en elle une pointe de satisfaction devant ses progrès : elle était parvenue à maîtriser ses sorts pour affronter des Sans-cœur, et seule ! Bien que ce ne soient que des Ombres mais... c'était un bon début.
L'euphorie faillit lui faire perdre de vue sa situation, et elle fut brusquement ramenée sur terre quand un craquement retentit dans un buisson proche. Son cœur bondit dans sa poitrine et elle ouvrit brusquement les yeux, cherchant frénétiquement sa matéria. Cependant, rien ne quitta les fourrés et elle demeura plusieurs minutes sur le qui-vive, ses yeux bondissant d'un buisson à l'autre, avant de se détendre à nouveau, sans toutefois retrouver son insouciance précédente.
Cela faisait quatre jours qu'elle était allée consulter Aeris et que se poursuivait cette routine. Selon ses calculs, elle avait quitté l'île depuis presque une semaine. Une semaine qu'elle était parvenue à accomplir sans se faire démasquer. Et pendant cette semaine, les missions s'étaient enchaînées, dans des mondes inconnus. Et entre deux missions, elle avait commencé à explorer la mystérieuse citadelle, à la recherche du moindre indice lui permettant de percer le mystère de Sora. Malheureusement, elle n'avait pour le moment rien trouvé de plus que des salles blanches ou grises, conçues dans l'habituel matériau étrangement métallique, et complètement vides. Mais la veille, elle avait pénétré lors de ses aventures solitaires dans une nouvelle salle dans les hauteurs de la citadelle au fond de laquelle elle avait découvert une étrange porte qu'elle n'avait pas encore eu le loisir d'aller examiner. Elle avait hâte d'y retourner.
Mais d'abord, il lui fallait accomplir cette mission, apparemment seule car son compagnon avait disparu après n'avoir pas semblé très enthousiaste pour exécuter le travail assigné. Avec un soupir, Kairi se remit sur pieds avec difficulté, récupéra sa matéria et s'essuya son visage en sueur. Elle avait hâte de prendre une bonne douche... mais elle réalisait aussi que rentrer à la citadelle n'éveillait aucun enthousiasme en elle. Elle désirait la sûreté de son propre foyer, pas ce palais froid et hostile... Mais elle était déterminée à réussir sa quête. Il était hors de question qu'elle échoue.
Et maintenant qu'elle apprenait peu à peu à se battre et à se débrouiller, elle devait avouer que l'aventure et le danger avaient un aspect attrayant.
Elle s'était entraînée dur ces derniers jours : Aeris lui avait confié les matérias les plus basiques, lui en avait expliqué le fonctionnement et lui avait donné des conseils utiles pour les utiliser. Elle avait insisté pour que Kairi s'entraîne avec elle jusqu'à ce qu'elle parvienne à allumer la flamme d'une bougie et soigner une écorchure, et elle ne s'était déclarée satisfaite que quand la jeune fille parvint à matérialiser dans les airs une flamme vacillante qui n'avait survécu guère plus d'une seconde. Avant de la laisser se retirer, Aeris avait fouillé dans la réserve et lui avait rapporté plusieurs matérias différentes en lui recommandant de s'exercer. Jusqu'à présent, Kairi s'était surtout entraînée au sort de feu, terriblement utile pour affronter les Sans-cœur, bien qu'elle sache que ce ne pouvait être que temporaire car inefficace en cas d'affrontement avec des Sans-cœur résistants au feu. Elle avait tenté de maîtriser le sort de foudre, sans grand résultat, et les éclairs incontrôlés qu'elle avait produits l'avaient fortement intimidée. Préférant éviter de finir malencontreusement foudroyée, elle avait enchaîné avec le sort de glace, qui lui plaisait davantage. Elle savait enfin que le sort de soin était d'une importance incontestable, mais elle ne manquait pas de potions et avait décidé de le garder pour plus tard.
Il y avait enfin quelques autres matérias auxquelles elle n'avait pas encore touché : un sort de barrière, qui la protégerait contre les attaques physiques, et son équivalent pour les attaques magiques, et un sort d'antidote pour soigner les attaques empoisonnées, mais Aeris l'avait avertie que ces sorts étaient plus délicats à maîtriser et elle les avait laissés de côté. Chaque soir, dans sa chambre, elle prenait de longues heures pour s'entraîner en cachette, en espérant ne pas mettre le feu à son lit, et finissant complètement épuisée. Elle s'était rappelée les avertissements de la jeune femme et avait pris soin de faire le plein d'éthers dans la petite boutique de la citadelle, où chacun pouvait venir se fournir en potions, éthers, antidotes en tous genres.
Ses progrès, de même que la certitude d'avoir retrouvé des alliés en Aeris et ses compagnons, renforçaient la détermination de la jeune fille, mais elle demeurait insatisfaite : le problème de la Keyblade n'était toujours pas résolu, problème qui, elle le voyait, mettait Roxas dans tous ses états et semblait même inquiéter Axel, et elle ignorait toujours comment ouvrir ces mystérieux mais si utiles Couloirs des Ténèbres, ce qui la mettait en position de faiblesse. Kairi était ainsi parfaitement consciente que sa situation actuelle ne pourrait durer bien longtemps : bien vite, les supérieurs de ce groupe se rendraient compte qu'elle leur cachait quelque chose, et elle ne leur faisait toujours pas assez confiance pour leur révéler son secret. C'était pour cela qu'elle devait retrouver Sora au plus vite, pour savoir que faire ensuite...
Que faire ensuite, songeait-elle en se frayant un chemin entre les arbres, attentive au moindre son ou mouvement suspect, c'était une bonne question. Elle n'avait pas vraiment réfléchi à ce qui se passerait quand elle retrouverait Sora. Tout dépendait de la situation, bien sûr. Mais même s'il s'avérait que Roxas était bel et bien son ami perdu, elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'elle devrait faire. Lui révéler toute la vérité ? Rentrer avec lui aux Îles ? Mais peut-être devait-il rester avec ce groupe ? Peut-être y avait-il une bonne raison pour laquelle il travaillait avec cette organisation. Après tout, ils chassaient les Sans-cœur.. Même si...
Protéger les mondes ? C'est la meilleure !
Et elle n'avait toujours pas la moindre piste concernant Riku.
Au détour d'un chemin, elle croisa deux autres Ombres, qui parurent aussi surprises qu'elle. Elle se reprit la première et deux secondes plus tard, les deux Ombres se désintégraient dans les flammes, sous son regard apitoyé. Mais elle était surtout ravie, car, si ses calculs étaient justes, elle avait rempli le quota demandé.
Kairi, le cœur léger maintenant que sa mission s'était déroulée sans encombre, poursuivit son chemin en sirotant un éther et déboucha sur la petite clairière près d'un saule pleureur à moitié mort, dont elle et son compagnon avaient fait leur point de rendez-vous à la fin de leur mission. Mi-résignée, mi-agacée, la jeune fille ne put que constater que l'autre ne l'avait pas rejointe. Elle le trouvait sympathique, et c'était la première personne qu'elle avait croisée dans cette citadelle, mais elle ne pouvait que constater qu'on ne pouvait lui faire confiance pour tout sujet qui ne l'intéressait pas, ce qui semblait être tout en dehors de son sitar. Levant les yeux au ciel, elle s'engagea dans la direction que son compagnon avait empruntée, certaine de le retrouver en pleine sieste au bout de quelques détours de sentier.
Elle put constater qu'elle n'avait pas tort : elle remarqua certes des traces noires et humides sur le chemin, signe qu'il avait décimé quelques Sans-cœur, mais elle n'eut pas à chercher longtemps pour le trouver allongé sur la branche basse d'un arbre, son sitar serré contre lui, ronflant sans retenue.
Cela lui rappelait quelqu'un...
Elle s'approcha, un peu amusée malgré elle.
« Demyx ! s'écria-t-elle d'une voix sonore. Hé, Demyx ! Debout ! »
Le garçon tressaillit et ses yeux s'ouvrirent brusquement. Il s'était déjà à moitié redressé, empoignant fermement son sitar, toute trace de sommeil ayant quitté son visage, quand il prit conscience de l'identité de l'importune et se figea.
« X-Xion ? bégaya-t-il en se frottant les yeux. Euh... qu'est-ce que tu fais ici ? »
Kairi croisa les bras, prenant un air faussement sévère.
« A ton avis ? On n'avait pas quelque chose à faire ?
-Non, je... »
Il écarquilla soudain les yeux et sauta à terre.
« C'est vrai, la mission ! Xion, s'il te plaît, la supplia-t-il en la regardant avec des yeux de chien battu, ne dis rien à Saïx ! Il va me tuer s'il apprend que je n'ai pas rempli le quota... »
Kairi roula des yeux.
« C'est bon, soupira-t-elle. Tout est fait. Je savais que t'allais pas faire grand-chose, alors j'ai rempli le quota à moi seule.
-Oh, c'est vrai ? Tant mieux ! s'écria-t-il, retrouvant immédiatement son entrain sans prêter attention à sa remarque cinglante, ni sembler coupable d'avoir laissé sa coéquipière se débrouiller seule. Saïx est sur les nerfs en ce moment, je n'avais vraiment pas envie de me prendre ses foudres.
-Pourquoi ? demanda-t-elle d'un ton absent en le regardant ouvrir un Couloir des Ténèbres, tentant en vain d'en comprendre le mode d'emploi.
-Il est encore plus à cheval sur les résultats et la productivité depuis que le groupe a été réduit d'un tiers, rigola Demyx, avec une légèreté presque choquante pour des paroles aussi dures. Ça se comprend, mais quel plaie ! »
Alors ça expliquait toutes ces places vides à la table de la salle à manger... La curiosité s'empara d'elle et, alors qu'ils s'engageaient dans le chemin de Ténèbres, elle posa une question qui aurait pu lui coûter cher et la trahir s'il ne s'agissait pas de Demyx, et si apparemment, Xion n'était pas censée en connaître la réponse :
« Pourquoi le groupe a été réduit ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
-Hein, t'es pas au courant ? Le Porteur de la Keyblade les a anéantis au manoir Oblivion ! »
Le Porteur de la Keyblade ? Tu veux dire Sora ? faillit-t-elle s'écrier, ce qui aurait achevé de la trahir, mais sous le choc de la révélation, elle en perdit ses mots et s'arrêta net, à l'insu de Demyx qui continua sa route.
« Ah zut ! murmura-t-il soudain, s'arrêtant à son tour. Est-ce que je pouvais dire ça à toi ? Écoute, oublie ce que je viens de dire, d'accord ? Xion ? »
Il se retourna, constatant que la jeune fille ne l'avait pas suivi.
« Xion ? Ça va ? Tu fais quoi ? »
Kairi se reprit aussitôt, tâchant de masquer son trouble.
« Rien, mentit-elle. Je crois que je suis juste fatiguée, c'est tout. J'ai beaucoup travaillé aujourd'hui.
-Je te comprends ! Ces Sans-cœur étaient un vrai cauchemar ! Mais on a réussi, on peut rentrer se reposer. »
Il reprit sa route sans plus s'inquiéter pour la jeune fille qui le suivit lentement, plongée dans ses pensées.
Sora... les avait annihilés ? Mais... c'est impossible ! Je croyais que Sora était ici. Je croyais qu'il était en sûreté. Et pourquoi aurait-il fait une chose pareille ? Pourquoi aurait-il tué tous ces gens ?
Les implications la taraudaient. Parce que si Demyx disait vrai, si Sora avait décimé le groupe, cela pouvait avoir plusieurs significations, aussi douloureuse l'une que l'autre : ou Sora s'était perdu et avait cédé aux Ténèbres, le poussant à l'assassinat d'êtres humains, ou bien, et c'était le plus vraisemblable, considérant les faits gênants auxquels elle avait déjà assisté depuis son arrivée, et ses doutes et son malaise, cette organisation n'était pas les amis de Sora, et il y avait une bonne mais terrible raison pour laquelle il les avait combattus. Et si cette dernière hypothèse était juste, songeait-elle tandis qu'ils quittaient les Ténèbres et retrouvaient les couloirs froids et neutres de la citadelle, alors cela signifiait que si Sora était ici, c'était pour son malheur, et qu'elle se retrouvait en ce moment-même chez des ennemis mortels.
Ce fut l'esprit agité par ces sombres pensées qu'elle se retrouva à errer dans les couloirs déserts de la citadelle. La pensée qu'elle n'avait pas atterri, sans rien pour se défendre ou même revenir en arrière, chez des alliés, mais chez les ennemis de celui qu'elle cherchait désespérément, peut-être même les ennemis des mondes, l'obnubilait. Elle tentait en vain de ne pas trop songer aux implications, ne tenant pas à perdre son calme.
Et surtout, son inquiétude pour Sora avait redoublé après cette révélation. Il était ici, Yeul le lui avait affirmé, mais elle n'osait imaginer l'état dans lequel elle allait le retrouver. Était-il prisonnier dans un cachot en ce moment-même ? Pourtant, Yeul avait assuré qu'il était en sécurité...
Non... Elle lui avait assuré que la jeune fille dont elle avait emprunté le corps veillait sur lui. Elle n'avait pas mentionné cette organisation. Ce qui pouvait signifier, si Sora était l'ennemi du groupe, que cette Xion le cachait aux yeux de ses collègues et le protégeait. Cela ne faisait-il pas d'elle une traîtresse ? Et si Sora était dissimulé, Xion seule savait où, comment allait-elle le retrouver ?
« Xion ! »
Brusquement arrachée à ses pensées, Kairi sursauta et se retourna, sur la défensive, surtout après ce qu'elle venait d'entendre. Elle se détendit en constatant qu'il ne s'agissait que de Roxas et qu'il ne témoignait aucune hostilité, courant vers elle, sourire aux lèvres mais une lueur inquiète dans ses yeux bleus.
« Xion, tu ne viens pas à la tour de l'horloge, aujourd'hui ? » demanda-t-il d'un ton dépité quand il l'eut rejointe.
Ah, c'est vrai. Elle était si plongée dans ses pensées qu'elle avait oublié leur petite rencontre quotidienne. Elle força un sourire.
« Si, bien sûr. Désolée, j'étais un peu fatiguée. Demyx m'a laissée faire tout le boulot », tenta-t-elle de plaisanter.
Roxas, aveugle à son trouble, se laissa duper.
« Demyx est toujours comme ça... Je t'ai raconté quand on a été envoyés en mission au Colisée ? Ah, mais si tu es fatiguée, ne te sens pas obligée de venir ! » s'écria-t-il soudain avec un regard d'excuse.
Kairi le considéra, un sourire attendri aux lèvres. Elle avait du mal à croire que ce jeune garçon si gentil fasse partie d'une organisation de criminels, quel que soit leur objectif.
Peut-être était-il bel et bien Sora, soufflait une voix distrayante dans son esprit. Demyx avait parlé du « Porteur » de façon si distante, comme s'il était un étranger et presque un inconnu, pour eux, mais... elle se souvenait que Roxas avait parlé d'une autre vie qu'il aurait oubliée... Peut-être... quelque chose était arrivé au Porteur, à Sora, et il était devenu Roxas, une tout autre personne ? Elle fronça les sourcils, peu convaincue par ses propres suppositions. Elle en revenait toujours au même point : les indices lui manquaient. Elle devait prendre son mal en patience, même si elle mourait d'envie de demander franchement à Roxas s'il était Sora.
« Ne t'inquiète pas, je vais venir, décida-t-elle finalement. Je peux encore marcher. »
Roxas hocha la tête sans la regarder, comme s'il ne l'avait pas entendue.
« Tu … euh, tu as pu retrouver la Keyblade ? »
Il lui demandait ça chaque jour après les missions, et à chaque fois, elle ne pouvait que le décevoir.
« Pas encore. Mais je m'améliore de plus en plus avec la magie ! »
Elle avait dit cela pour le dérider, mais elle lui tira à peine un sourire machinal.
« C'est bon, ils n'ont pas l'air de s'en être aperçu pour l'instant, poursuivit-il d'un ton nerveux. Et Axel nous l'aurait dit s'ils avaient remarqué quelque chose. Mais si jamais... »
Il s'interrompit brusquement, les traits figés, comme s'il venait d'envisager quelque chose de nouveau.
« Est-ce que tu penses, murmura-t-il en fronçant les sourcils, que ce serait de la faute à l'imposteur ? »
Kairi le dévisagea en plissant le front. L'imposteur ? Encore quelque chose qu'elle ignorait. Roxas ne remarqua pas son trouble, plongé dans ses pensées.
« Tu tu souviens, quand tu as... échoué... à l'arrêter, continua-t-il avec un regard d'excuse, tu t'es évanouie la première fois peu de temps après, non ? Tu étais vraiment déprimée après... Tu penses que ce pourrait être une conséquence ? »
Il serra le poing avec un air féroce qu'elle ne lui connaissait pas.
« Ils ont prévenu que l'imposteur était dangereux... Tu crois que c'est de sa faute ? Peut-être qu'il t'a jeté un sort ! Ou... ou peut-être que... »
Elle n'avait pas la moindre idée de qui il parlait, et, parfaitement consciente qu'elle ne pouvait l'interroger sans se trahir, Kairi se contenta de lui renvoyer un sourire gêné et décida de changer de sujet.
« Au fait, Roxas, j'avais un service à te demander. »
Instantanément arraché à ses sombres pensées, il lui offrit aussitôt un sourire encourageant.
« Bien sûr ! Qu'y-a-t-il ? Je ferai tout pour t'aider ! »
Surprise par sa dévotion fougueuse, Kairi demeura sans voix pendant une fraction de seconde. C'était étrange à quel point Roxas semblait différent des autres membres de cette Organisation...
« Est-ce que tu pourrais m'aider à maîtriser les Couloirs des Ténèbres ? J'ai essayé de mon côté, mais sans résultat.
-Tu veux dire que ça non plus, tu ne l'as toujours pas retrouvé ? » s'écria-t-il, écarquillant les yeux. Il parut horrifié quand elle fit non de la tête et lui attrapa la main. « Viens avec moi ! Je vais te montrer, on n'a qu'à aller dans la petite salle d'entraînement, il n'y a personne à cette heure ! Ne t'inquiète pas, ce n'est pas si difficile ! »
« Il semble que nous ayons un problème. »
C'était le soir, bien que dans le monde d'Illusiopolis, où le temps semblait s'être figé, ce concept n'avait pas beaucoup de sens. Mais les missions assignées avaient été exécutées, le dîner était terminé depuis longtemps, et, à cette heure-là, tous les membres se trouvaient habituellement dans leur chambre, pour du repos bien mérité. Même les salles d'entraînement étaient désertées. Cependant, les ordres de Saïx étaient incontestables et tous, excepté les deux Porteurs de Keyblade et Xemnas lui-même, s'étaient rendus bon gré mal gré à leur convocation, dans le salon à la vue imprenable sur la cité.
Saïx laissa son regard sévère parcourir ses collègues, assis autour de lui sur les banquettes, l'air ennuyé ou intrigué, avant de poursuivre :
« Je vous ai convoqués afin d'obtenir des explications sur l'origine de ce problème, pour pouvoir déterminer s'il convient d'en informer le seigneur Xemnas ou non. » Il baissa les yeux vers le porte-bloc qu'il tenait dans la main. « J'ai ici les résultats des dernières missions des derniers jours. Même un novice pourrait constater la baisse majeure de cœurs récoltés.
-Allons, grogna Xaldin, qui semblait à deux doigts de se lever pour retrouver son lit. C'est pas notre problème, ce n'est pas nous qui avons une Keyblade. Il suffit juste de brusquer un peu les gamins, si c'est nécessaire. »
Saïx lui jeta un regard perçant.
« Ce n'est pas un simple relâchement. Le problème s'est fait sentir dès samedi et la baisse a été soudaine, non progressive : la récolte de cœurs a chuté de moitié. Roxas et Xion avaient été envoyés ce jour dans le même lieu, et j'ai d'abord pensé qu'ils s'étaient simplement montrés incroyablement paresseux parce qu'ils étaient ensembles, mais... les missions suivantes permettent de constater que Roxas ne semble pas avoir de problème. Xion, en revanche, ne récolte plus de cœurs. Le problème vient donc d'elle. »
Il parcourut l'assemblée du regard, comme exigeant des explications, et s'arrêta sur Axel, qui évita son regard tout en s'efforçant de maintenir un air neutre, bien qu'assombri.
« Alors ? poursuivit Saïx d'un ton qui ne tolérait aucune contestation. Certains d'entre vous ont été en mission avec elle depuis ce samedi. Qu'avez-vous remarqué ? Demyx, tu était avec elle qu'aujourd'hui. Qu'as-tu à dire sur son comportement ? »
Demyx, qui semblait sur le point de s'endormir de fatigue ou d'ennui, c'était difficile à dire, tressaillit et leva les mains, comme pour tenter de calmer un chien enragé.
« H-Hé, ne mets pas tout le problème sur moi ! La mission d'aujourd'hui s'est super bien passée : elle a tué plein de Sans-cœur ! »
Saïx plissa les yeux.
« Comment ?
-Hein ?
-Avec la Keyblade ? Elle a utilisé la Keyblade ?
-Ben je suppose ? répondit Demyx, perplexe, se grattant la nuque. Pourquoi elle l'aurait pas utilisée ?
-En gros, tu n'as rien vu, soupira Saïx, dont la patience commençait à faiblir. Ça ne m'étonne pas de toi. Aucun cœur n'a été récolté grâce à cette mission. Ce qui signifie très probablement qu'aucun Sans-cœur n'a été tué avec la Keyblade. Ce qui signifie deux choses : soit Xion refuse, pour une quelconque raison, de l'utiliser, soit elle n'en est plus capable. »
Le regard de Saïx s'attarda sur Axel, qui regardait obstinément par la fenêtre, les bras croisés. Xigbar remarqua l'altercation et eut un sourire discret avant d'intervenir :
« J'étais en mission avec la poulette dimanche. On a travaillé séparément, mais je peux vous dire qu'elle a pas fait grand-chose ! Et pas parce qu'elle refusait de travailler ! En fait, elle avait du mal à affronter un seul Sans-cœur Si je n'étais pas arrivé... »
Saïx hocha la tête, l'air étrangement satisfait.
« Nous pouvons donc conclure que Xion peine à utiliser ses pouvoirs et peut-être même en a perdu l'usage. Cela... est gênant. »
Son regard revint sur Axel et tous les yeux se tournèrent vers lui.
« Axel. N'as-tu pas des explications à nous donner ? »
Axel ne montra aucun signe qu'il l'avait entendu. La tête baissée vers ses genoux, il faisait tourner entre ses doigts le bâtonnet de la glace qu'il avait mangée plus tôt dans la soirée. Seul : ni Roxas ni Xion n'était venu le rejoindre, ce qui n'était pas inhabituel, car parfois les missions s'éternisaient quand Saïx se montrait trop exigeant, même s'il était rare que tous deux soient absents en même temps. Mais quand il était retourné à la citadelle, il avait croisé Roxas dans le couloir menant à la salle d'entraînement, qui, sans même mentionner son absence, lui avait expliqué avec enthousiasme qu'il avait aidé Xion à s'entraîner à maîtriser les Couloirs des Ténèbres, dont elle avait également inexplicablement perdu l'usage, et tous les progrès qu'elle avait déjà faits.
Ses épaules bougèrent et son menton se redressa mais il refusait toujours de regarder Saïx.
« … Il se pourrait... que Xion ait perdu l'usage de sa Keyblade », répondit-il d'une voix douloureuse.
Maintenant qu'ils en étaient là, à quoi servait-il de le cacher ?
Des murmures surpris s'élevèrent autour de lui. Il avait parfaitement conscience que les yeux de Saïx ne le quittaient pas.
« Ce n'est pas surprenant, dit finalement ce dernier. Ce n'est qu'un échec, après tout. On s'en occupera comme il se doit. »
