Chapitre publié le 5 août 2017.
J'ai peur que la scène du début ne soit pas très bien écrite. Je n'arrivais pas à trouver les mots, même si je l'avais dans ma tête, et je n'en suis pas du tout satisfaite. C'est un peu frustrant.
Chapitre 18 : Le secret du manoir
« T-Toi ! »
Son cri, qui rompit la torpeur de poussière et de pénombre dans laquelle étaient plongés les lieux endormis, ne tira pourtant pas la moindre réaction à l'homme. Il se contenta de lui retourner un regard derrière le bandeau qui dissimulait ses yeux.
Que faisait-il ici ?! Était-il donc, comme elle l'avait brièvement redouté sans oser y réfléchir, le responsable de toute la situation dans laquelle elle se trouvait piégée ?!
Xion sentit la colère, mêlée de peur, enfler en elle et la submerger et, avant qu'elle eut le temps de s'en apercevoir, elle s'était mise en position d'attaque. Elle fit un geste pour invoquer sa Keyblade sans quitter son ennemi des yeux, bien que celui-ci n'ait pas bougé d'un pouce.
Le revoir de sitôt était l'une des dernières choses auxquelles elle s'était attendue, et le choc était dur à encaisser. Tout son corps tremblait de fureur, sans pourtant parvenir à noyer les instincts inquiets qui lui soufflaient de prendre la fuite. Ses pensées défilaient à toute vitesse dans son esprit, comme si son cerveau s'était emballé devant l'imminence du danger.
Sa simple vision ravivait en elle des blessures qui avaient tout juste entrepris de guérir, et qui étaient destinées à ne pas s'effacer avant bien longtemps. Les souvenirs de cette nuit-là affluaient dans son esprit, apportant dans sa bouche l'amertume de la rancœur.
La mission assignée par Saïx de son habituelle voix méprisante, la longue exploration des bois dans la nuit glaciale, la peur au ventre et tous ses sens aux aguets, le combat, honteusement bref, contre l'imposteur, et sa défaite cuisante et humiliante qu'avait suivie des réprimandes mordantes. Elle se revoyait prostrée sur le sol, endolorie et furieuse de son impuissance, plus encore furieuse en constatant que son adversaire n'avait même pas été éprouvé par leur combat, et surtout, surtout, les insultes qu'il lui avait adressées...
Elle n'était pas une usurpatrice !
« C'était donc toi le responsable ! » hurla-t-elle, livide.
Désemparée, elle ne put que constater que sa Keyblade refusait, une fois encore, de lui obéir, mais elle était tellement en colère que cela ne suffit pas à apaiser sa fureur. Si elle n'avait pas de Keyblade, elle avait toujours ses poings.
L'imposteur ouvrit la bouche :
« Nami-
-La ferme ! »
Sans lui laisser le temps d'achever sa phrase, Xion se précipita vers lui. La fureur brûlante aveuglait son esprit, et elle ne pensait plus qu'à une seule chose. Elle se jeta sur lui avec une vitesse qu'elle ne se connaissait pas, le visage tordu par la haine, ses poings fondant sur le visage impassible qu'elle avait appris à tant détester après sa défaite.
Si elle parvint à s'approcher autant sans qu'il ne réagisse, ce fut probablement que, malgré l'expression neutre plaquée sur son visage, la surprise l'avait momentanément déconcerté. Il se reprit très vite ; les poings serrés que la jeune fille brandissait effleurèrent à peine sa joue alors qu'il faisait un pas sur le côté, se déplaçant hors de sa portée. Elle écarquilla les yeux mais eut à peine le temps de tourner la tête que la paume d'une main s'abattit avec force entre ses omoplates, la projetant vers le sol. Coupée dans son élan, la jeune fille tomba par terre avec un cri de surprise et de douleur quand ses genoux heurtèrent violemment la surface dure du plancher. Le choc se réverbéra dans son corps entier, la pliant en deux.
La panique prit aussitôt le dessus, étouffant la douleur. Elle demeura paralysée sur le sol, sans oser détacher le regard du plancher. Elle se raidit instinctivement, mais aucun autre coup ne vint.
Le bruit d'une porte qui s'ouvrait à la volée résonna dans le couloir.
« Puis-je savoir quelle est la cause de ce raffut ?! » tonna une voix familière.
Xion leva aussitôt la tête. L'homme drapé de rouge se tenait quelques pas plus loin, les fusillant d'un regard terrible qui lui fit aussitôt abaisser les yeux. Elle n'osait plus faire le moindre geste : la peur lui nouait les entrailles, figeant tous les muscles de son corps.
Une voix de jeune homme s'éleva derrière elle.
« Je... Je ne sais pas, DiZ, dit l'imposteur, d'un ton où étrangement perçait une once d'incrédulité. Elle m'a attaqué sans crier gare... »
Le regard du dénommé DiZ se tourna aussitôt vers elle et elle tressaillit. Malgré tous ses instincts qui lui ordonnaient de se relever, Xion ne pouvait s'y résoudre.
« Naminé, explique-toi ! »
L'ordre avait été lancé d'une voix tonnante, mais la force implacable qui émanait de l'individu suffit à la rendre muette. Elle pouvait sentir qu'il n'attendait que la moindre occasion pour s'en prendre à elle. Et sans sa Keyblade, elle se sentait incroyablement impuissante.
Quand est-ce que ce cauchemar va enfin se terminer...
« Réponds !
-Je crois qu'elle est encore déboussolée, intervint soudain l'imposteur. Elle vient de se réveiller, n'est-ce pas ? »
Un grognement de mépris qui n'était pas sans lui rappeler Saïx s'échappa de la bouche de DiZ.
« Fort probable. C'est la première fois que je la vois réveillée, rétorqua-t-il comme si la jeune fille n'était pas présente. Si ce n'est que ça, alors que cela ne se reproduise pas », ajouta-t-il en plongeant son regard d'or brûlant dans ses yeux.
Xion déglutit avec difficulté et choisit de garder le silence autant que possible. De toute manière, même si elle avait tenté de parler, elle en aurait été incapable.
DiZ et l'imposteur se parlaient toujours au-dessus de sa tête, mais elle n'écoutait plus que d'une oreille distraite. Toute cette situation était si dénuée de sens que son cerveau ne parvenait plus à suivre, comme si elle s'était retrouvée dans un rêve particulièrement bizarre. Peut-être que si elle attendait patiemment, l'ordre du monde se restaurerait de lui-même ?
« Naminé ! Je te parle ! »
Son cœur rata un battement quand elle comprit que le dénommé DiZ s'adressait de nouveau à elle, la contemplant de toute sa hauteur avec un dégoût non dissimulé. C'était comme se faire réprimander par Saïx, et elle serra ses mains pour tenter d'en calmer les tremblements.
« Tu nous dois des explications. Tu es restée évanouie pendant neuf jours. Neuf jours ! Ni Riku ni moi-même n'étions parvenus à en déterminer les causes. Explique-toi ! »
Un silence mortel retomba sur les lieux alors que les deux individus attendaient sa réponse.
Toujours prostrée sur le sol, la jeune fille ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit. Quelle réponse désiraient-ils ? Elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'il lui arrivait ! Neuf jours ? S'était-il vraiment écoulé autant de temps ?
Roxas... Axel... Je suis désolée, ce n'était pas ma faute. Je ne sais pas ce qu'il se passe.
...Où êtes-vous ?
« Naminé ! »
N'appréciant guère son mutisme, DiZ fit un pas menaçant en avant et une réaction violente s'empara de Xion qui manqua tomber en arrière en voulant se dérober. Il ne s'en émut pas le moins du monde et la dévisagea avec fureur, l'hostilité de son visage renforcée par les bandeaux qui dissimulaient en partie son visage.
« Es-tu en train de nous trahir ? Je te préviens, je ne tolérerai pas le moindre cas de rébellion ! C'est toujours ainsi, avec vous autres Simili. Vous promettez votre loyauté comme de parfaits sujets, mais dès qu'on vous quitte du regard, vous nous poignardez dans le dos ! Tu crois que je ne t'ai pas à l'œil ? Détrompe-toi. Alors maintenant, cesse de te taire, et dis-nous la vérité !
-Je ne sais pas ! » cria Xion.
C'était la réponse à éviter car, loin de calmer la fureur de DiZ, elle ne fit que rajouter de l'huile sur le feu. Il fit un autre pas en avant, et il fut ainsi assez proche pour que la jeune fille soit perturbée par l'expression de son visage, qui avait tourné vers quelque chose proche de la haine.
« Et tu penses que je vais avaler ça ? Tu es une sorcière qui possède les connaissances du royaume de l'esprit et du sommeil. Comment... ?
-DiZ. C'est inutile. »
Au grand soulagement de cette dernière, le regard terrible de l'homme en rouge quitta Xion pour se diriger vers un point hors de sa vue, derrière elle, au-dessus de sa tête.
« J'espère que tu as une bonne raison d'intervenir.
-On ne parviendra qu'à l'affoler ainsi, expliqua l'imposteur sans se laisser démonter par les paroles glaciales qui venaient de lui être adressées. Mieux vaut la laisser reprendre ses esprits avant d'essayer de l'interroger. De plus, il est probable qu'elle dise la vérité : je n'ai pas encore réussi à trouver des réponses du côté de l'Organisation, mais je pense qu'ils ont une part de responsabilité là-dedans. »
DiZ demeura silencieux pendant de longues secondes. Son ire semblait s'être apaisée, mais elle savait, après avoir côtoyé Saïx, à quel point ce genre d'apparence pouvait être trompeur. La ressemblance avec son supérieur était plus que frappante quand il se détourna enfin avec un reniflement méprisant.
« Tu es trop tendre. Ne te laisse pas abuser par ces créatures, c'est ainsi que tu courras à ta perte. Je t'ai déjà prévenu, n'est-ce pas ? L'affoler, vraiment ? Ne me fais pas rire. Cette fille ne possède pas de cœur. »
Il semblait en avoir fini avec eux car il s'éloigna sans leur accorder un regard supplémentaire. Mais alors qu'il atteignait le palier d'un escalier qui émergeait au fond du couloir, il lança un dernier avertissement menaçant.
« Naminé, maintenant que tu te sens mieux, j'imagine que tu sais ce qu'il te reste à faire. Remets-toi au travail, et plus vite que ça. Tu nous as déjà fait perdre assez de temps. »
Sur ces paroles, il disparut dans l'escalier, et avec le son de ses pas et son aura sinistre, une partie de la tension qui pétrifiait la jeune fille s'évanouit. Elle inspira brusquement une goulée d'air, réalisant seulement maintenant qu'elle avait retenu sa respiration. Le désarroi enfla dans sa poitrine. Elle ne voulait pas être ici. Pourquoi est-ce que cela lui arrivait à elle ? Des larmes rageuses lui montèrent aux yeux.
Quelque chose bougea sur sa droite, et Xion tourna la tête pour découvrir l'imposteur, légèrement penché vers elle, mais demeurant prudemment en retrait.
« ...Tu te sens mieux ? »
Il ne présentait aucune émotion hostile, mais Xion était trop désorientée pour s'en soucier. La rancœur se mêla à son désarroi quand elle croisa son regard dissimulé et elle le foudroya du regard.
« Laisse-moi tranquille ! » lança-t-elle sèchement.
Peu lui importait de paraître gamine, peu lui importait de risquer de le provoquer, ou qu'il décide de l'attaquer en réponse à son hostilité ! Elle n'en avait cure.
Mais l'imposteur se contenta de soupirer et se redressa. Impossible de deviner ce qu'il pensait avec ce bandeau qui lui couvrait les yeux et sa voix qui demeurait parfaitement atone.
« Quant tu seras calmée, j'aimerais bien qu'on discute pour que tu m'expliques ce qu'il t'est arrivé, d'accord ? Je repars en attendant. J'ai à faire. »
Elle ne prit pas la peine de lui répondre, se contentant de lui décocher un regard de défi pour lui faire comprendre ce qu'elle pensait de sa demande.
« Tu devrais retourner dans ta chambre, dit-il. N'en fais pas trop, contente-toi de reprendre ton travail. Je me charge du reste. Je trouverai ce qu'il t'arrive. »
Si elle le connaissait mieux, elle aurait compris que le jeune homme, malgré son air maîtrisé, ne comprenait pas du tout la situation et préférait prendre ses distances, malgré la sincère volonté de l'aider. Mais elle ne le connaissait pas, et Xion se contenta de le suivre d'un regard meurtrier alors qu'il la dépassait sans un mot et empruntait la direction par laquelle avait disparu DiZ.
« … et la prof nous a crus et elle nous a laissés sortir avec vingt minutes d'avance ! J'aurais jamais pensé que ça pouvait marcher. »
Selphie éclata de rire et Naminé l'imita du mieux qu'elle put, tentant de forcer un sourire convainquant bien qu'elle n'ait pas vraiment compris en quoi cette discussion puisse être considérée hilarante. Elle dut paraître naturelle car aucune des filles de la table ne lui lança un regard étrange. La fille assise en face d'elle, qui venait de raconter cette histoire, et dont elle avait oublié le nom, eut un sourire satisfait, ayant obtenu l'effet désiré, et quand elle se retourna pour écouter sa voisine de table qui avait pris la parole à son tour, Naminé rabaissa les yeux vers son assiette à moitié pleine.
C'était midi et, comme elle l'avait appréhendé, les élèves de l'établissement s'étaient rassemblés dans une grande salle rectangulaire aux murs pâles percés de grandes fenêtres, pour s'attabler avec leur plateau autour des grandes tables qui encombraient l'espace. Elle avait dû faire la queue devant des présentoirs où s'alignaient toutes sortes de mets avec Selphie et un groupe de filles de sa classe dont elle connaissait les noms de seulement la moitié, et s'était retrouvée dans un bref instant d'embarras quand la femme au bout de la file, l'avait jaugée du regard, attendant manifestement quelque chose de sa part. Quand Naminé l'avait dévisagée avec de grands yeux, elle avait soupiré avec lassitude et avait précisé « Votre carte de cantine, mademoiselle », sans cacher que la jeune fille lui faisait perdre son temps. Naminé avait rougi comme une pivoine en lui tendant la carte désirée, et s'était hâtée de suivre Selphie, qui heureusement n'avait rien vu, dans une cantine malheureusement tout aussi bondée et chaotique que la cour de récréation. Les doigts tremblants, s'appliquant à maintenir son plateau en équilibre, elle avait tout fait pour fermer ses oreilles au vacarme en suivant ses camarades à travers la salle, bousculée de tous côtés. Une fille lui avait même fait remarquer sa maladresse quand elle s'était finalement assise sur une chaise libre, à quelques places d'un groupe bruyant, et elle n'avait pu que sourire faiblement en réponse.
Bah, songea-t-elle, c'est le premier jour, c'est normal. Je m'y habituerai.
En effet, aucun des lycéens qui l'entouraient ne semblait le moins du monde perturbé par le vacarme ambiant. Les filles autour d'elle s'étaient rapidement plongées dans une discussion animée, laissant Naminé tranquille et lui donnant tout le temps pour récapituler les événements de la matinée.
Les deux premières heures de cours avaient été relativement calmes. Elle avait suivi Selphie autour du lycée, ne la lâchant pas d'une semelle, ce qui lui avait permis de ne pas se perdre, et le plan de l'établissement, dont il lui restait quelques souvenirs de ce qu'elle avait vu dans l'esprit de Sora, commençait lentement à se dessiner dans sa tête. Elle s'était contentée de prendre des notes en silence et de faire les exercices demandés, montrant une capacité d'adaptation qui l'avait presque décontenancée. Mais c'était trop beau pour durer et un professeur l'avait soudainement interrogée. Prise au dépourvu, sentant une trentaine de paires d'yeux se tourner vers elle, et ignorant bien entendu la réponse à la question – faisant référence à des leçons anciennes que seule Kairi aurait pu connaître – elle n'avait pu que balbutier. A son grand soulagement, le prof avait eu pitié d'elle et s'était tourné vers un autre élève.
Les deux heures suivantes avaient consisté en un cours d'éducation physique et sportive qui était, par seulement son nom, devenu la matière qu'elle redoutait le plus. La forme physique de Kairi était plus sportive que la sienne, mais elle n'avait pas l'expérience nécessaire pour l'utiliser et s'était montrée ridiculement mauvaise durant les matchs de handball qui avaient suivi, lui décernant quelques moqueries de ses camarades. Mais heureusement, personne ne s'en était réellement soucié : un commentaire de Selphie, alors qu'elle se relevait après avoir glissé sur le sol pour la troisième fois, lui avait fait comprendre qu'ils considéraient qu'elle ne s'était pas encore tout à fait remise et ne voyaient rien d'étrange à sa faiblesse anormale. Elle avait cependant remarqué que les membres de l'équipe où elle avait été placée avaient peu à peu pris soin de ne pas trop compter sur elle, ce dont elle ne pouvait pas leur en vouloir.
Elle avait également eu affaire à plusieurs de ses camarades. Elle s'y était attendue : elle savait que les humains étaient sociables. Cependant, cela lui était toujours étrange quand un de ses condisciples se tournait soudainement vers elle et engageait la conversation comme si de rien n'était. Elle avait pris soin de répondre suffisamment pour paraître naturelle et ne pas attirer les soupçons, mais se gardait d'ouvrir la bouche quand ce n'était pas nécessaire. Elle ne connaissait même pas les noms de la majorité d'entre eux. Heureusement, pressés par les cours qui se succédaient, ses camarades se contentaient d'un acquiescement poli de sa part avant de repartir vaquer à leurs occupations. Et puis, elle avait compris que ces derniers mois, suite au choc des événements de l'été passé, Kairi était devenue plutôt solitaire et asociale, si bien que plus personne ne remarquait son mutisme étrange.
Elle regrettait de ne pas vraiment posséder les souvenirs de Kairi, et de n'avoir pas accordé assez d'attention aux souvenirs banals et quotidiens de Sora, les moins importants pour Marluxia.
Mais pour le moment, elle pouvait affirmer qu'elle s'était bien débrouillée et que toutes ces interactions avaient été convenables. Tout le monde était tellement sympathique avec elle et personne n'avait encore tenté de lui donner des ordres.
« Hé, Kairi, t'es sûre que t'as pris assez à manger ? » s'éleva la voix étonnée de Selphie.
Arrachée à ses réflexions, Naminé revint rapidement à la situation présente et baissa les yeux vers son plateau où reposaient un verre d'eau et une assiette remplie de salade avec un morceau de pain. Elle n'avait pas très faim et peinait à se détacher des besoins sobres de son ancien corps ; de plus, elle n'était pas certaine de combien une adolescente normale pouvait bien manger. Un coup d'œil vers la table lui indiqua que tous avaient rempli leur propre plateau de toutes sortes de plats, même si curieusement, ils ne les mangeaient pas en entier.
Elle constata aussi que la conversation s'était tue dans le petit groupe de filles et que toutes la dévisageaient.
Elle devait formuler une réponse.
« Je vais bien, assura-t-elle. C'est juste que je n'ai pas trop faim. »
Haussant les sourcils, la fille assise à sa gauche examina du regard son assiette à peine touchée.
« C'est pas avec ça que tu vas tenir toute la journée, ma pauvre. Si tu veux, retourne prendre quelque chose de plus consistant ! Ils n'en auront rien à faire.
-Non, non, ça ira, répliqua-t-elle rapidement, la perspective de retraverser la cantine et de se faire ainsi remarquer ne lui plaisant guère. Ne... t'inquiète pas. »
La fille lui jeta un regard sceptique mais retourna à son plateau. Quelques-unes l'imitèrent mais la lycéenne assise en face d'elle, une jeune fille aux traits doux mais assurés et aux yeux en amande – il lui semblait que son nom était Serah – la dévisageait toujours avec des yeux curieux, mains sous le menton.
« Je suis contente de te revoir, Kairi. Le lycée n'était plus le même sans toi. »
Elle avait l'air sincère mais il lui sembla, ou peut-être était-ce seulement son imagination, qu'une autre fille se tourna vers sa voisine et lui murmura entre ses dents : « C'est ça, oui. », leur tirant un sourire moqueur. Sans paraître affectée, Serah continua tranquillement :
« Je suis heureuse que tu te sentes mieux. C'est vrai que tu n'avais pas l'air dans ton assiette ces derniers temps... Je ne sais même pas vraiment ce qu'il t'est arrivé. »
Tous les yeux étaient de nouveau rivés sur elle, et Naminé s'agita, mal à l'aise.
« Je...
-T'es pas au courant ? lança une autre fille avec un sourire un brin trop vicieux. Tu sais Yeul, la sorcière qui vit à côté de la ville ? Elle lui a jeté un sortilège !
-Non, c'est faux, protesta Naminé, mais Serah la coupa avec enthousiasme.
-Oh oui, je connais Yeul ! Enfin, je veux dire, précisa-t-elle quand des regards choqués se tournèrent vers elle, un de mes amis était allé la consulter !
-Quoi, vraiment ? s'écria Selphie en plissant le front. Pourquoi ? C'est pas très prudent. »
Serah haussa les épaules.
« Et bien, il ne lui est rien arrivé de dangereux. Il a dit qu'il l'avait trouvée étrange, mais gentille.
-D'accord, mais elle a quand même fait quelque chose à Kairi ! insista l'autre fille. J'ai entendu dire que le maire avait dû réunir des habitants armés pour la récupérer !
-Non, ce n'est pas vrai ! répliqua Naminé, tentant d'apaiser la tension qu'elle sentait monter. Elle n'a rien fait, ce n'est pas...
-Alors pourquoi tu étais dans cet état quand ils t'ont retrouvée ? s'emporta la fille en se tournant vers elle avec fougue, comme blessée que Naminé ne joue pas son rôle de victime. Et pourquoi t'as été absente pendant une semaine ! Selphie n'avait même pas de nouvelle de toi ! »
Selphie baissa les yeux et grimaça imperceptiblement vers son assiette.
« N-Non, reprit aussitôt Naminé, la voix un peu tremblante. J'étais seulement... fatiguée. »
Oh, comme elle détestait les conflits. Et pourtant, d'habitude, elle aurait sans doute déjà cédé. Mais... peut-être tenait-elle à protéger Yeul, même si elle la connaissait à peine. Peut-être parce qu'elle était la seule personne qu'elle pouvait parvenir à protéger pour le moment.
L'autre fille roula des yeux avec un geste excédé vers la table. Malgré ses paroles, elle semblait plus intéressée par incriminer Yeul que préoccupée par la bonne santé de son amie.
« Sûr. Tu pouvais pas trouver une excuse plus convaincante... ?
-Hé, ne t'en prends pas à elle comme ça ! intervint Selphie sur sa droite. Elle vient à peine de revenir. »
Un silence gênant s'abattit sur le petit groupe de filles, alors même qu'autour d'elle, le tumulte de la cantine n'avait pas diminué. Les autres filles avaient baissé les yeux vers leur assiette, évitant soigneusement de participer à la conversation, et même Serah, qui pourtant semblait toujours intriguée, avait l'air un peu mal à l'aise. La fille les regarda avec défi pendant quelques secondes, tentée visiblement par l'envie de répliquer, puis finit par détourner les yeux avec un soupir mécontent.
« Laisse tomber », murmura-t-elle.
Sa frustration apitoya Naminé qui lui sourit timidement, mais elle ne tourna pas la tête vers elle. Selphie, de son côté, s'était reculée dans son siège en fixant l'autre fille avec désapprobation, les bras croisés. Elle croisa le regard de Naminé et lui tapota le dos avec un signe de tête complice, et Naminé sourit plus sincèrement.
Par-dessus la cime des arbres, elle pouvait apercevoir dans le lointain le sommet de la tour de l'horloge se détacher dans le crépuscule. Cette vision lui donna du courage, ce dont elle allait avoir besoin dans les prochaines minutes. Xion inspira profondément pour tenter d'apaiser son esprit et se détourna finalement de la fenêtre, glissant à bas de la banquette, celle où elle s'était réveillée une heure plus tôt. Après un dernier regard pour la salle vide endormie dans la poussière, elle se dirigea vers la porte.
Sitôt après sa confrontation avec DiZ et l'imposteur, elle s'était hâtée de retourner se réfugier dans cette chambre, se laissant tomber sur la banquette, les membres tremblants. Quelques larmes avaient perlé au coin de ses yeux, larmes qu'elle avait essuyées avec agacement. Ce n'était pas le moment de se laisser aller au désespoir. Elle devait se reprendre et résoudre le problème dans lequel elle était embourbée. Elle ne comprenait rien à ce qui lui arrivait, pourquoi elle était devenue « Naminé », une Simili d'après les mots de DiZ, qui vivait avec ces gens désagréables dans ce manoir loin de tout, mais une chose était sûre : elle ne pouvait pas rester ici à se morfondre.
Elle y avait songé. Plus elle réfléchissait, plus trois réponses s'imposaient à elle. La première était que sa situation tout entière n'était qu'un mauvais rêve, une vision de son esprit, mais elle avait bien du mal à y croire. La seconde désignait l'imposteur comme le responsable de tous ses problèmes, réponse à laquelle elle avait au contraire férocement envie de croire. Ce n'était que logique, n'est-ce pas, que cet individu, assez dangereux pour que l'Organisation ait ordonné son appréhension à tous prix, se retrouve mêlé à cette histoire. Il n'avait pas semblé coupable lors de leur dernière confrontation, ne comprenant manifestement pas plus qu'elle ce qu'il lui arrivait, mais elle ne pouvait se fier à ce qu'il laissait paraître. C'était un imposteur, après tout ; feindre devait être une seconde nature chez lui. Cependant, elle devait avouer que même si cette réponse était la bonne, elle ne se retrouverait pas plus avancée : elle ne comprendrait toujours pas ni pourquoi ni comment elle était ainsi, ni quelles pourraient bien être les motivations de l'imposteur à la faire passer pour une certaine Naminé. Ça n'avait aucun sens.
La troisième théorie, à laquelle elle avait songé quelques minutes plus tôt, était à la fois plus rassurante, et plus alarmante. Rassurante parce que si l'Organisation était la cause de sa situation, alors elle n'était pas perdue : ils pourraient la sauver quand ils le voudraient, son destin n'était pas entre les mains d'inconnus tels que l'imposteur ou ce DiZ. Et alarmante parce que... elle ne voyait pas vraiment pourquoi ils auraient fait cela sans l'avertir, à part peut-être pour la punir. Saïx lui en voulait-il tellement d'avoir échoué sa mission d'arrêter l'imposteur qu'il l'avait envoyée le rejoindre pour lui donner une leçon ? Ça n'avait de même pas beaucoup de sens : ce n'étaient pas les méthodes de l'Organisation et s'il leur avait été aussi facile de retrouver l'imposteur, cela ferait longtemps qu'il aurait été éliminé. Non, vraiment, elle n'était pas plus avancée.
Mais elle avait finalement décidé que ce n'était peut-être pas le plus important pour le moment. Après tout, malgré l'absence de ses pouvoirs, elle allait bien et personne ne l'avait attaquée, alors... plutôt que de se morfondre, elle devrait passer à l'acte, n'est-ce pas ? Les leçons enseignées par l'Organisation revenaient devant ses yeux : lors de la découverte d'une nouvelle zone, la première chose à faire consistait à l'explorer méticuleusement pour en relever tous les dangers potentiels et autres renseignements dignes d'intérêt. C'était à elle d'agir. Et puis, tout était préférable à demeurer plus longtemps dans cette pièce poussiéreuse. Il n'y avait rien ici à part cette banquette aux draps gras et la commode dont elle avait examiné le contenu pour ne trouver que du linge jauni et de fines toiles d'araignée.
Xion poussa doucement la porte pour ne pas la faire grincer et commença son exploration.
Elle s'aventura dans le couloir silencieux à pas de loup, tous ses sens aux aguets. Deux autres portes s'ouvraient dans le mur devant elle ; elle colla son oreille sur la première et, comme aucun son ne lui parvenait de l'autre côté du battant, tourna la poignée, en vain. La porte était verrouillée. Un peu déçue, Xion regarda la porte en fronçant les sourcils.
« Bon, ce n'est pas grave, décida-t-elle. On verra ça plus tard. »
La seconde porte s'ouvrit sans difficulté : elle donnait sur la petite pièce blanche où elle s'était réveillée la toute première fois. Xion ne put retenir une grimace à la vue de cette salle à l'apparence singulière, qui n'avait pas changé depuis sa dernière visite : les mêmes dessins colorés étaient accrochés aux murs, seules couleurs égayant la blancheur de l'endroit. C'en était presque dérangeant. Xion se hâta de refermer la porte.
Il ne lui restait plus que... l'escalier, qui descendait vers le vaste hall d'entrée du manoir, tout aussi désert, silencieux et poussiéreux que le reste. Se sentait particulièrement exposée comme elle n'était plus protégée par la pénombre et l'étroitesse du couloir, elle descendit les marches courbée en deux, sur la pointe des pieds, le cœur battant. Personne ne surgit ni ne l'interpella, mais alors qu'elle atteignait le milieu de l'escalier, elle entendit quelque chose bouger dans une salle proche, et elle se hâta de s'engager dans l'escalier conduisant à l'aile opposée. La vision de la lourde porte d'entrée, au fond du hall, lui remit cependant du baume au cœur. Si les choses tournaient mal, l'issue n'était qu'à quelques pas.
Décidant de remettre le rez-de-chaussée à plus tard, Xion s'engagea dans le nouveau couloir et testa aussitôt la première porte. Elle ouvrit sur une salle inondée de lumière par une grande fenêtre, qui avait l'air en meilleur état que le reste de la demeure : malgré les quelques toiles d'araignée qui pendaient du plafond, elle avait un certain luxe, avec ses bibliothèques croulant sous des volumes aux couvertures colorées qui s'alignaient contre le mur, et l'absence relative de poussière indiquait un effort d'entretien. Mais ce ne fut pas ça qui attira l'attention de Xion, mais le grand trou rectangulaire qui s'ouvrait au milieu du carrelage.
En s'approchant, elle constata qu'il s'agissait d'une ouverture vers la salle correspondante au rez-de-chaussée, une salle différente du reste du manoir avec ses murs gris métallique et son absence de mobilier. Elle n'était pas sans lui rappeler les salles de la citadelle de l'Organisation, ce qui ne lui apporta aucun réconfort. Prudemment, la jeune fille s'engagea dans l'escalier qui conduisait en bas, seuls ses pas sur les marches grises brisant le silence.
Elle remarqua aussitôt l'ouverture obscure percée dans le mur, donnant sur un escalier qui s'enfonçait dans les Ténèbres. Xion passa la tête par l'ouverture de la porte, jaugeant l'obscurité du regard puis, comme aucun son ne lui parvenait, s'engagea dans le sous-sol. Ce n'était pas prudent, la réprimandaient ses instincts, mais la certitude que devant elle se trouvaient les réponses tant attendues s'installa lentement en elle et elle poursuivit son chemin, le cœur palpitant.
L'escalier déboucha sur une pièce minuscule et faiblement éclairée. Il n'y avait rien de remarquable à part un énorme ordinateur bardé de multiples écrans qui ronronnait doucement dans un coin, émettant des signaux lumineux dans la pénombre. Xion s'en approcha prudemment : elle n'avait jamais rien vu de tel et jugea préférable de ne pas y toucher. Avec un regard nerveux en direction des chiffres qui défilaient sur l'écran le plus proche, elle se détourna et se dirigea vers la seule autre porte, au fond de la salle.
Celle-ci donnait sur une grande salle rectangulaire et complètement vide. Une pointe de déception piqua son cœur comme elle regardait autour d'elle avec dépit. Bah, elle venait de remarquer une autre porte de l'autre côté de la salle.
Cette dernière ouvrait sur un couloir en courbe, tout aussi désert, mais dont la luminosité soudaine l'éblouit brièvement. Quelque chose se tordit en elle et elle posa la main sur sa poitrine avec une grimace, sentant l'excitation monter. Oui, elle était proche, elle le sentait !
Elle remonta le couloir d'une démarche saccadée, sans plus se préoccuper de la prudence. L'air était anormalement frais dans le couloir et elle frissonna, regrettant son manteau protecteur. Il n'y avait pas grand-chose à voir dans le couloir lui-même, à part de gros tuyaux qui longeaient les parois et des capsules blanches à taille humaine, en forme de bourgeon, alignées contre les murs. Elle y jeta un regard distrait avant de se figer.
Deux d'entre elles étaient occupées. Elle ne distinguait pas clairement ce qu'elles renfermaient, mais elle voyait nettement des taches de couleur de l'autre côté de la paroi froide et blanche. Des couleurs et des formes qui, curieusement, tiraillaient son esprit, comme porteuses d'un sentiment de familiarité qu'elle ne pouvait comprendre. Xion s'approcha lentement, les sourcils froncés.
Est-ce que...
« Êtes-vous... Pourquoi êtes-vous là ? »
Ces mots avaient franchi ses lèvres sans qu'elle leur en ait donné l'ordre. Surprise, Xion porta une main à sa bouche. Les deux formes endormies dans les capsules ne lui répondirent pas et elle les contempla longuement avant de rassembler la volonté de se détourner.
Cette vision, sans qu'elle ne sache trop pourquoi, l'avait perturbée, et ce fut les mains tremblantes que la jeune fille parcourut les quelques mètres qui la séparaient de l'extrémité du couloir.
La porte blanche s'écarta sans un bruit à son approche, dévoilant un minuscule et étroit couloir, seuil d'une immense salle circulaire plongée dans une blancheur douce. Xion s'attarda sur le seuil, intimidée : elle avait l'impression de perturber la tranquillité solennelle d'un sanctuaire par sa seule présence.
Il n'y avait qu'une seule chose qu'abritait cette salle, chose qui attirait immédiatement les regards : au centre de la salle s'élevait une énorme machine, réplique plus imposante des capsules du couloir, semblable à une immense fleur de cristal blanc aux pétales repliés, renfermant et protégeant soigneusement son contenu. Xion s'avança, les yeux rivés sur la fleur ; ses pas n'émettaient presque aucun son sur le sol immaculé au matériau inconnu.
Était-ce pour trouver cela qu'elle avait atterri en ce lieu et s'était laissée guider jusqu'ici ? Était-ce la réponse à toutes ses questions, ou la solution d'un mystère sinistre ?
Elle s'arrêta à quelques pas de la fleur, la tête levée vers ses pétales. A travers le cocon glacé, elle pouvait discerner une silhouette.
Son cœur battait anormalement vite, et elle respirait difficilement, bien qu'elle s'en rendait à peine compte, toute à sa contemplation. Une douleur taraudait sa poitrine, à l'endroit exact de son cœur, et un brouillard familier assaillait à nouveau son esprit.
Il lui semblait que des sons s'élevaient dans ses oreilles, étouffés et incompréhensibles, comme si sa tête était plongée dans l'eau. Pourtant, personne d'autre n'était en vue, et la salle était silencieuse. Des images floues s'imposèrent devant ses yeux, et Xion porta la main à la tête pour tenter de chasser ces perturbations.
Ses yeux ne quittèrent pas la silhouette du jeune garçon endormi au sein de la fleur.
« Non... »
Elle serra une main dans le tissu qui recouvrait sa poitrine. Une douleur vive perçait son cœur et elle hoqueta, tandis qu'une vague de souvenirs flous, qui ne lui appartenaient pas, la submergea brusquement pour se retirer sans laisser de traces.
Les silhouettes endormies dans le couloir... elle savait qui elles étaient. Et ce garçon qui reposait devant elle... elle savait qui il était. Elle le savait, mais comment... ? Et pourquoi ne s'en était-elle pas rendue compte plus tôt ?
Elle en aurait pleuré si elle en avait été capable sur le moment.
« Je n'étais pas... moi ? »
Xion hurla et s'effondra.
