Chapitre publié le 23 août 2017.
J'aimerais arriver jusqu'au chapitre 23 (la moitié de l'histoire) avant la fin des vacances... Pas sûre d'y arriver (comme j'écris vingt mille trucs à la fois...).
J'espère que tout le monde a bien reçu les réponses à leurs commentaires, également.
Chapitre 20 : Les vérités derrière leurs corps
« Je présume que tu n'as rien découvert. »
Riku était exténué. Il avait passé toute la semaine à arpenter les mondes en prenant garde de ne pas être découvert, autant par les habitants que par d'éventuels ennemis, à la recherche du moindre indice, de la moindre activité suspecte. Il avait à peine dormi et n'avait rien avalé depuis deux jours, si on ne comptait une potion pour conserver ses forces, dont il avait toujours le goût étrange dans sa bouche. Et il n'avait rien découvert.
Il était tellement préoccupé par l'étrange... état d'esprit, qui s'était emparé de Naminé, que cela avait dû sans doute influer gravement sur son efficacité, et il s'était déjà flagellé mentalement pour s'être laissé distraire. D'ordinaire, il pouvait parvenir, quand il avait un peu de chance, à dénicher quelques-uns de leurs membres en train de vaquer à leurs occupations suspicieuses – d'après ce qu'il avait vu, cela consistait à explorer les mondes et leurs faiblesses, et à chasser des Sans-cœur. Il savait que ce n'était pas tout, que l'Organisation tissait dans l'ombre leurs conspirations, dans les coulisses des mondes, afin de les plonger dans le chaos, du moins c'était ce dont DiZ était certain, et lui-même, bien qu'habitué aux accusations plus ou moins fondées dont le vieil homme ne cessait de couvrir les Similis, se doutait que des activités aussi innocentes que la chasse aux Sans-cœur et l'exploration ne pouvaient pas être les seules fonctions de cette organisation secrète. Non, des desseins plus noirs se cachaient dans ses fondations. La preuve n'en était-elle pas que les Sans-cœur, censés avoir disparu avec Ansem, étaient réapparus dans les mondes ?
Il ne montra rien de sa fatigue, cependant, se contentant de fixer DiZ, qui l'attendait sur le seuil du manoir, d'un air impassible.
« … Il semble qu'ils aient choisi de rester discrets », se contenta-t-il de répondre, ce qui n'était qu'un demi-mensonge.
DiZ eut un grognement de mépris.
« Je ne m'attendais pas à autre chose, en vérité. Ces choses aiment agir dans l'ombre. Cependant, ce serait préférable d'obtenir des réponses au plus vite. J'ai bien peur que ça devienne urgent. »
Il jeta un coup d'œil dans son dos comme s'il s'attendait à surprendre quelqu'un dans les profondeurs du hall.
« Il va falloir s'occuper de Naminé. Elle ne travaille plus, elle ne fait plus rien. Nous ne pouvons laisser les choses se poursuivre ainsi.
-Elle ne fait rien ? répéta Riku. Que veux-tu dire ? Est-ce qu'elle... ?
-Elle ne s'est pas rendormie, si c'est ce que tu allais demander, le coupa DiZ avec une grimace irritée. Mais c'est tout comme. Elle reste assise pendant des heures sans bouger, et tout ce que j'ai essayé de lui dire n'y fait rien. Elle ne me répond même pas. Je pensais d'abord qu'elle était encore embrouillée après son réveil, mais ça va bientôt faire une semaine ! »
De nouveau, DiZ jeta un coup d'œil derrière son épaule, comme pour s'assurer que Naminé ne se cachait pas dans son dos, écoutant en douce. Riku ne dit rien ; il était habitué à la paranoïa de son coopérateur.
« Je suis sûr que cette idiote essaie de saboter notre travail, marmonna-t-il, ses yeux jetant des éclairs. L'ordinateur a enregistré une fluctuation soudaine et inquiétante dans la mémoire de Sora ce lundi, peu de temps après le réveil de Naminé. Elle essaie de faire en sorte que la situation de Sora stagne, ou empire tant qu'il ne pourra plus se réveiller. Je savais qu'on ne pouvait pas faire confiance à ceux de son espèce. »
Il se redressa de toute sa hauteur et plongea son regard dans celui dissimulé du jeune homme silencieux qui se tenait devant lui, attendant patiemment la fin de la conversation.
« Si on ne fait rien très vite, il est possible que ton ami ne se réveille jamais, Riku », tonna-t-il.
Si DiZ passait à ce genre de menaces, cela signifiait qu'il était agité et que la situation était plus grave qu'une simple paranoïa. Riku fronça imperceptiblement les sourcils.
« … Je comprends. Où est Naminé en ce moment ?
-Dans le jardin arrière, grommela DiZ en s'écartant pour le laisser passer. Elle n'en a pas bougé depuis cette nuit. Tâche de la ramener à la raison.
-... Bien sûr. »
Xion laissa son regard suivre la course d'une fourmi, perdue entre ses pieds. Elle s'arrêta devant sa sandale, paraissant confuse à cause de cet étrange obstacle, puis se détourna et reprit sa route de toute la force de ses petites pattes, avant de disparaître dans une touffe d'herbes voisine.
Le petit jardin, coincé entre les deux ailes du manoir et le haut mur parcouru de fissures et mangé par le lierre qui fermait le fond de la propriété, bénéficiait d'une atmosphère agréable. Il faisait bon sous le couvert des arbres et, après des années sans entretien, il avait revêtu un aspect un peu sauvage qui possédait un certain charme : les fleurs débordaient des plates-bandes dont les pierres qui les délimitaient avaient presque disparu sous une couche de mousse, les feuilles mortes et mauvaises herbes tapissaient les anciens sentiers, et les buissons qui n'avaient plus été taillés depuis belle lurette proliféraient librement. Mais elle n'était pas d'humeur à en profiter.
Elle avait choisi ce jardin simplement pour s'isoler : ici, hors des murs étouffants du manoir, elle avait l'impression de pouvoir fuir comme elle le voulait. C'était vrai, en théorie : la porte du manoir était seulement de l'autre côté du hall. Mais elle ne pouvait pas partir avant de comprendre ce qui lui arrivait. Et si elle venait à s'enfuir, où irait-elle ? Elle ne pouvait plus retourner à l'Organisation, désormais. Pas après ce qu'elle avait découvert...
Elle s'était installée sur ce qui autrefois avait été un banc, mais désormais n'était plus qu'un amas de planches affaissées, craquelées et mangées par la mousse, qui avait grincé sinistrement quand elle s'était assise. Ici, les buissons dans son dos la dérobaient aux regards du manoir, quoiqu'on pouvait toujours la voir par une fenêtre du premier étage, à l'extrémité de l'aile droite. Elle y avait surpris le dénommé DiZ lui adresser un regard furibond à plusieurs reprises. Elle n'y avait pas accordé la moindre importance.
Devant elle, se dressait la ruine de la fontaine centrale. Elle avait dû avoir fière allure dans le passé, mais désormais, le socle était brisé, le bassin vide et la petite statue en son centre avait perdu sa tête et son bras droit. Xion l'observa d'un œil vide, le menton enfoui dans ses genoux ramenés contre sa poitrine.
Depuis la révélation brutale et perturbante, quelques jours plus tôt, elle avait l'impression que toute son énergie avait déserté son corps. Le temps avait passé sans qu'elle s'en aperçoive. L'homme désagréable en rouge lui avait parlé, elle l'avait entendu la harceler de réprimandes menaçantes à moult reprises, mais elle ne lui avait pas vraiment accordé d'attention. Elle ignorait qui il était ou ce qu'il leur voulait, mais s'il l'avait d'abord terrifiée, elle n'avait plus assez de volonté pour se s'inquiéter de lui. Elle avait accueilli ses insultes avec un visage inexpressif, et il avait finalement été découragé.
Qu'était-il en train de lui arriver ?
Elle déchiqueta méticuleusement entre ses doigts une feuille qui venait d'échouer sur ses cheveux. Elle ignorait toujours pourquoi elle était ici, comment elle était arrivée là et avec cette apparence, mais ça n'avait plus beaucoup d'importance à présent. Elle avait découvert une vérité plus importante.
Elle avait découvert la vérité de son existence. Des souvenirs enfouis ou dissimulés avaient refait surface quand elle l'avait vu, et elle avait compris. Elle avait fui le sous-sol juste après ça et n'y avait plus remis les pieds.
« Naminé ? »
La voix s'était élevée sans crier gare quelques mètres sur sa droite, derrière elle. Xion se tendit ; elle ne l'avait même pas entendu s'approcher. Elle ne se retourna pas ; elle savait qui c'était et n'était pas d'humeur à avoir affaire à lui.
Un léger soupir lui parvint. Elle crut presque l'entendre hésiter quand il reprit la parole.
« DiZ m'a dit que tu ne te sentais pas bien.
-Oh, donc c'est lui qui t'envoie », marmonna-t-elle d'un ton amer entre ses dents.
Elle le savait déjà, bien sûr. Elle s'en était doutée. Mais le déstabiliser, du moins en avoir l'impression, lui apportait une sorte de satisfaction féroce.
« … Tu sais que la mémoire de Sora n'est toujours pas réparée ? Ses souvenirs vagabondent toujours dans le chaos. Tu avais promis que tu le sauverais. »
Xion se contenta de hausser les épaules, enfonçant davantage son menton dans ses genoux comme pour chasser sa présence. DiZ lui avait dit la même chose. Ça ne l'impressionnait pas.
Il soupira à nouveau, plus perceptiblement. Le silence s'éternisa et elle crut qu'il avait laissé tomber à son tour, ce à quoi elle s'était attendue. Aussi fut-elle surprise quand le banc grinça et craqua quand il s'assit à côté d'elle, assez loin pour que les pans de son manteau ne la frôlent pas, mais assez près pour qu'elle sente sa présence.
« Naminé, qu'est-ce qui ne va pas ? »
Son ton était toujours le même, parfaitement maîtrisé, mais elle remarqua néanmoins qu'il avait abandonné son rôle de guerrier solitaire et froid, simplement envoyé par DiZ. Elle ignorait qui était Naminé, et elle n'avait pas l'impression que cette fille et l'imposteur soient plus que de simples connaissances, mais apparemment, il la connaissait assez pour se faire du souci pour elle. À moins que, bien entendu, ce fût simplement parce qu'il se préoccupait de la santé de Sora, son ami.
Comme elle ne disait rien, resserrant ses bras autour de ses genoux, il reprit avec patience :
« C'est à cause de DiZ n'est-ce pas ? Je sais qu'il n'est... pas très amical avec les Similis. Je ne suis pas sûr de ce qui est arrivé, mais il a déjà laissé sous-entendre qu'il avait eu des mésaventures avec eux. »
Elle lui jeta un coup d'œil en coin. Il ne la regardait pas ; les bras posés sur ses genoux, le dos courbé en avant, il regardait sans la moindre expression droit devant lui, du moins devina-t-elle. Pourquoi ressentait-il le besoin de couvrir ses yeux d'un bandeau ? C'était si étrange, et ça ne devait pas être très confortable. Bien qu'il semble se débrouiller parfaitement, comme elle en avait fait les frais lors de sa mission...
Elle chassa aussitôt cette pensée quand une étincelle de colère la piqua à nouveau. Mais même cette fureur demeura tiède, sans réelle volonté d'éclater. Il ne tourna pas la tête vers elle et poursuivit sur le même ton :
« Je ne l'apprécie pas non plus, mais c'est notre seul allié, et il a accepté de nous abriter ici et de nous prêter ses machines. Je suis désolé, mais tant que Sora n'est pas réveillé, nous allons devoir le supporter. »
Il bougea soudainement et, bien que le mouvement n'eut rien d'hostile, Xion ne put s'empêcher de se raidir et tressaillir intérieurement quand il posa une main gantée sur son épaule, en un geste qu'il voulait sans doute réconfortant. Il tourna son visage bandé vers elle et elle se retrouva à fixer ses yeux couverts d'un tissu insondable, entre ses mèches argentées. Elle ne bougea pas, même si un instinct furieux, encouragé par les souvenirs de sa défaite cuisante, lui criait de repousser cette main et de s'écarter sur-le-champ.
« Quand Sora sera réveillé, dit-il encore, et que tu auras accompli ton devoir, nous n'aurons plus besoin de lui et nous pourrons partir d'ici. Sora t'avait promis que vous seriez amis, non ? Alors garde courage. Cette situation ne durera pas éternellement. »
Quand Sora sera réveillé, nous pourrons partir d'ici...
Un sourire amer étira les lèvres de la jeune fille. Il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il se passait, et s'il espérait la réconforter ainsi, il avait tout faux.
Il la regardait toujours et elle songea qu'elle devrait peut-être jouer son rôle.
« Est-ce que tu as... trouvé quelque chose, ...Riku ? » demanda-t-elle à contrecœur, en trébuchant légèrement sur son nom.
Oui, elle connaissait son nom à présent. Elle savait qui il était.
Il la fixa, imperturbable, mais elle sentit la main sur son épaule se crisper.
« Non, dit-il enfin, comme elle s'y était attendue. Malheureusement. »
La main quitta son épaule quand il se leva et elle cligna des yeux, un peu dérangée malgré elle par la disparition de la chaleur sur sa peau. Il s'écarta d'un pas et baissa la tête vers elle.
« Naminé, tu sais que ce membre de l'Organisation, ce Roxas... c'est le Simili de Sora, n'est-ce pas ?
-...Oui.
-C'est à cause de lui que Sora ne peut pas se réveiller, donc. »
Xion ignora la piqûre douloureuse dans sa poitrine.
« O-Oui.
-Et à cause de cette fille, cette Xion... »
Elle releva vivement la tête, comme sous l'action d'un ressort. Il remarqua sa réaction mais simplement dit :
« Tu sais qui elle est ? »
Xion soutint son regard. Même avec son bandeau, c'était difficile, comme si une force implacable la poussait à détourner les yeux, mais elle résista.
« Oui. Je sais qui elle est. »
L'inflexion dans ces mots sembla intriguer Riku car il ne dit rien, la dévisageant comme s'il tentait de la lire son esprit. Une nouvelle poussée de satisfaction naquit en elle à la pensée qu'elle connaissait quelque chose qu'il ignorait, et qu'il ne pouvait ainsi pas la comprendre.
Riku se détourna finalement vers le manoir sans insister davantage.
« Je suppose que tu préfères qu'on en parle plus tard. Je dois repartir, mais ce ne sera pas long. N'hésite pas à venir me voir si tu as besoin de quelque chose... si tu as besoin de parler de quelque chose. »
Xion le suivit des yeux tandis qu'il s'éloignait sans un regard en arrière. Une pensée germa dans sa tête : si elle parvenait à retrouver l'usage des Couloirs des Ténèbres, elle avait toujours la possibilité de lui voler ce manteau pour les utiliser. Il avait dû lui-même le voler à l'Organisation, pour commencer.
Il fut bientôt hors de vue et elle se retrouva à nouveau seule. Elle n'en fut pas plus à l'aise pour autant. Le petit jardin lui sembla soudainement bien triste. Elle regrettait presque sa présence à côté d'elle.
Mais était-ce vraiment ce qu'elle regrettait ? Ou n'était-ce qu'une sensation issue d'un souvenir, souvenir qui n'était même pas le sien ?
Riku avait raison. Elle connaissait toute l'histoire, à présent, et elle savait qui étaient les responsables.
Elle savait tout, désormais. Une nouvelle vague de souvenirs, flous et si emmêlés qu'elle ne pouvait les discerner aisément, l'assaillit, mais elle la repoussa avec facilité et lassitude.
Elle n'était pas celle qu'elle avait cru être. Elle ignorait pourquoi elle avait pris la place de cette Naminé mais c'était le cadet de ses soucis. Elle n'était pas une Simili, elle était une marionnette, un réceptacle créé pour que l'Organisation contienne les souvenirs et les pouvoirs du véritable Porteur de la Keyblade. C'étaient ces souvenirs qui lui avaient donné naissance.
Elle savait. Elle savait quel était son rôle, quelle était sa nature, quelle était sa place dans les mondes – pas grand-chose. Elle connaissait son lien à Roxas, leur lien à Sora. Elle savait ce qui devait être fait pour que tout retourne dans l'ordre.
Elle tourna la tête vers le toit du manoir qui émergeait au-dessus des cimes des arbres du jardin. Elle n'avait pas à retourner à l'Organisation, n'est-ce pas ? En théorie, sa place était ici, à quelques pas sous la terre. Peut-être était-ce la raison de sa présence ici. S'assurer que l'ordre des mondes soit restauré.
Elle n'avait aucune existence. Elle comprenait soudain pourquoi Saïx la traitait de cette manière.
Elle enfonça son visage dans ses genoux pour dissimuler les larmes qui coulaient de ses yeux, mais si quelqu'un était passé dans le jardin à ce moment-là, il n'aurait pu manquer ses épaules secouées de sanglots silencieux.
Le lendemain de son réveil, comme l'avait promis le Supérieur, Kairi se sentait mieux, fraîche et reposée. Seule une légère sensation brumeuse en arrière de son esprit lui rappelait ce qu'il lui était arrivé.
Ses souvenirs en étaient flous. Quand elle ouvrit les yeux sur le plafond métallique de la chambre silencieuse, elle demeura quelques instants immobile. Elle songea distraitement qu'elle devrait tâcher de se lever et aller rejoindre les autres pour l'assignation des missions de la journée. Ce ne fut que lorsqu'elle tenta de se souvenir de ce qu'elle avait accompli la veille que quelque chose se bloqua dans son esprit.
Ses yeux s'écarquillèrent et elle se redressa brusquement. Bien sûr ! L'analyse dans cet étrange laboratoire. Elle avait été démasquée, mais curieusement non inquiétée. Et le chef de cette Organisation, qu'elle avait enfin rencontré, si inquiétant... Pourtant, elle ne se rappelait pas avec précision ce qu'il s'était passé ou ce qu'il lui avait dit. N'était-il pas venu la trouver ici même... ?
Un coup d'œil circulaire dans sa chambre déserte ne lui apprit rien : si le Supérieur était bel et bien venu ici, il n'en restait aucune trace.
Légèrement mal à l'aise, Kairi décida tant bien que mal d'ignorer son inconfort. Elle repoussa ses draps et sauta à terre. Ce n'était pas en restant couchée qu'elle allait arranger sa situation !
Ah oui, elle se souvenait ! Grommelant, la jeune fille se frappa le front pour tenter d'éclaircir son esprit. Elle avait une piste : ce mystérieux « imposteur », qui gênait tant l'Organisation. C'était lui qui pouvait la conduire à Sora, du moins selon le Supérieur. Elle était réticente à le croire naïvement, lui dont émanait une aura aussi noire, mais... si l'imposteur était l'ennemi de cet homme, peut-être était-il de son côté à elle ?
(Peut-être même cet imposteur... était Sora lui-même...)
Ragaillardie par ce regain d'optimisme, ce fut d'une démarche assurée qu'elle prit la direction du petit salon.
Dès que Kairi pénétra dans la pièce, une exclamation retentit. Avachi sur la banquette la plus proche, son sitar sur ses genoux, Demyx la fixait avec incrédulité.
« Xion ! T'étais passée où ? Ça fait des jours que tu viens plus ! »
Kairi ne sut dire s'il était heureux ou non de la revoir. Avant qu'elle ait pu répondre, Xigbar, qui était sur le point de s'engager dans un Couloir des Ténèbres, se retourna, la jaugeant avec un rictus amusé.
« Alors, la poulette ! Ça fait longtemps ! Quoi de neuf ? Tu as bien dormi j'espère ! »
Il avait dit cela de son ton sarcastique habituel, mais elle remarqua aussitôt une lueur dans son regard. Ce n'était pas une remarque anodine, malgré les apparences. Il savait ce qu'il lui était arrivé.
Ce qui n'était pas le cas de Demyx, qui ne saisit pas l'allusion et se renfrogna aussitôt :
« Quoi ? Tu veux dire que t'as eu le droit de rester dormir pendant tout ce temps ? En quel honneur ? »
Il semblait presque offusqué de ne pas avoir pu bénéficier de ce qu'il considérait comme un privilège.
« Xion ! »
Kairi se retourna aussitôt, chassant immédiatement les deux autres de ses pensées. De l'autre côté de la salle, Roxas se précipitait vers elle, son regard brillant témoignant d'un profond soulagement. Axel le suivait, sans néanmoins se presser.
… Elle se rendit compte alors à quel point elle était ravie de les revoir, et qu'ils lui avaient manqué. Du moins Roxas.
Celui-ci s'arrêta à deux pas d'elle, si près qu'elle crut un bref instant qu'il voulait l'attraper dans ses bras. Il souriait si largement que son sourire s'étirait presque jusqu'à ses oreilles.
« Xion, je suis soulagé de te voir ! Est-ce que tu vas bien ? Tu as disparu pendant des jours et Saïx ne voulait rien dire et... »
Avec un petit rire gêné, Kairi leva les mains pour tenter de le contenir. Elle remarqua qu'Axel, qui les avait rejoints, la dévisageait sans un mot, le visage impassible, et elle comprit alors que lui aussi était dans la confidence. Sans doute était-il plus haut placé que ce qu'elle avait cru.
« Je vais bien, Roxas, ne t'inquiète pas, se hâta-t-elle de le rassurer, en vain.
-Mais qu'est-ce qui t'était arrivé ? répliqua aussitôt le jeune garçon, les yeux brillant d'inquiétude. Où est-ce que tu étais ?
-Je euh... » Elle jeta un regard autour d'elle pour s'assurer que personne ne les écoutait, mais Xigbar et Demyx avaient tous deux disparu. « Je vais bien mais... ils se sont aperçus que je ne possédais plus la Keyblade. »
Roxas laissa échapper une exclamation d'horreur. Ses yeux parcouraient son visage en bougeant à toute vitesse comme s'il cherchait les signes d'une blessure quelconque. Kairi se hâta de poursuivre pour le soulager.
« J'ai dû passer une sorte de test parce qu'ils voulaient savoir pourquoi je n'avais plus mes pouvoirs, dit-elle en haussant les épaules, feignant la nonchalance. Rien de grave, je te promets ! C'était surtout très long. Mais heureusement, j'étais endormie, alors je n'ai pas vu le temps passer », rigola-t-elle.
Cela n'amusa pas du tout Roxas qui la dévisageait toujours, les yeux écarquillés par l'angoisse. Il ouvrit la bouche, mais Axel lui coupa l'herbe sous le pied.
« Est-ce qu'ils ont trouvé pourquoi ? » demanda-t-il d'une voix calme et basse.
Il se tenait toujours en retrait, la regardant comme s'il voulait la jauger à son insu. Elle ne parvenait pas à deviner ses pensées, tout comme elle n'était jamais parvenue à déterminer s'il constituait ou non un allié. Il était ami avec Roxas et Xion, et ne semblait pas faire partie des dirigeants de ce groupe, mais...
Elle secoua la tête.
« Le... Supérieur a dit que... commença-t-elle.
-Tu as vu Xemnas ?! » s'écria Roxas en se penchant en avant.
Xemnas ? Oh, ce devait être le nom du chef de l'Organisation.
« Oui, il est venu me parler, mais... » Kairi réalisa alors que l'inquiétude du jeune garçon semblait avoir redoublé à ces mots. Sa méfiance envers le chef se renforça immédiatement devant cette observation. « Il ne m'a pas renvoyée », choisit-elle de dire en haussant les épaules.
La tête que faisait Roxas criait qu'un renvoi était loin d'être ce qu'il avait craint.
Les souvenirs de son entrevue avec ce Xemnas remontèrent dans son esprit éclairci, et elle se tendit, soudainement préoccupée. Il lui avait parlé de Sora. Il avait semblé si... confiant et sûr de lui à ce moment-là... elle n'aimait pas ça.
Mais elle ne pouvait pas lui parler de Sora. Pas dans la même salle que Saïx qui d'ailleurs se dirigeait lentement vers eux, et pas devant Axel.
« Dites, vous avez eu des nouvelles de cet imposteur ? » demanda-t-elle plutôt.
Elle ne manqua pas comment Axel se tendit et plissa des yeux. Roxas, qui tournait le dos à l'homme aux cheveux rouges, ne remarqua rien et fronça les sourcils.
« L'imposteur ?
-Tu avais peut-être raison la dernière fois. Il est possible qu'il soit le responsable de ma situation », avança-t-elle en surveillant Saïx qui se rapprochait.
Il lui vint à l'esprit qu'elle ne devrait pas sembler aussi calme et aurait dû, au contraire, montrer un peu plus d'inquiétude pour sa propre condition dont elle était censée ignorer les causes. Elle croisa le regard d'Axel ; nul doute qu'il avait remarqué ce détail insolite.
Roxas reprit la parole, les distrayant tous deux.
« On ne sait rien de cette personne, dit-il nerveusement avec un coup d'œil vers son partenaire. Je ne l'ai jamais vu, personnellement. Tout ce qu'on sait, c'est qu'il porte un manteau comme les nôtres, comme s'il essayait de se faire passer pour l'un d'entre nous. »
C'était tout... ? Surprise, Kairi ne répondit pas. L'Organisation semblait dépenser beaucoup de temps et de moyens à pourchasser cet individu, le présentant même comme dangereux, seulement parce qu'il portait le même uniforme ?
Non... elle n'était pas idiote, elle savait que ce n'était pas la raison réelle. Sa certitude se renforça : cet imposteur était un personnage clé, quelqu'un qui gênait l'Organisation, quelqu'un qui leur était une menace. Quelqu'un qu'elle devait retrouver.
Le plus inquiétant, nota-t-elle également, était que Roxas semblait accepter les explications présentées par ses supérieurs sans songer à les remettre en question.
A cet instant, Saïx arriva derrière eux, mettant fin à leur conversation. Son regard était impassible quand ils se tournèrent vers lui.
« ...Xion. Aujourd'hui, tu te rends à Agrabah, avec Roxas et Axel. 500 Sans-cœur. »
Le cri de joie de Roxas fut suffisant à chasser momentanément les ombres du cœur de Kairi et apporter un sourire sur ses lèvres.
Le Couloir se referma derrière Axel, Roxas et Xion, et Saïx, demeuré seul maintenant que tous étaient partis en mission, ne bougea pas, gardant les yeux fixés là où ils venaient de disparaître. L'air frémit quand un autre Couloir s'ouvrit dans son dos, et il se retourna comme avec réticence bien que son visage n'en laissa rien paraître.
« Seigneur Xemnas », salua-t-il de son ton monotone.
Les dernières volutes de Ténèbres se dissipèrent tandis que Xemnas s'avançait vers lui, ses yeux jaunes l'observant d'un air calculateur.
« Tu as l'air irrité », remarqua-t-il, un fantôme de rictus flottant sur ses lèvres.
Si Saïx était pris de court d'avoir été démasqué, il n'en montra rien.
« Pourquoi avez-vous décidé de la garder avec nous ? demanda-t-il néanmoins. Je ne conteste pas vos décisions, bien entendu, mais cette marionnette ne nous est-elle pas inutile maintenant qu'elle ne possède plus l'usage de la Keyblade ? »
Xemnas sourit, mais ce n'était pas un sourire agréable. C'était un sourire suintant de poison, celui d'un carnassier dont la proie venait de comprendre qu'elle était piégée.
« Je juge préférable d'attendre de voir, dit-il lentement, comme amusé des efforts de son subordonné pour dissimuler son irritation. La suite des événements pourrait être intéressante. Comme elle est défectueuse, peut-être que les souvenirs du Porteur de la Keyblade qu'elle possède la quitteront pour Roxas. Dans ce cas, il convient de les laisser ensemble le plus possible, pour faciliter le processus. Ainsi, quand Roxas absorbera ses forces, nous aurons notre propre Porteur, dans notre main. »
Le silence vide et glacial de la salle au cœur des Ténèbres lui répondit, mais Xemnas n'avait pas terminé. Il croisa lentement les bras.
« Si elle est condamnée et que Roxas doit prendre sa place, il est peut-être mieux de la laisser périr d'elle-même. Si elle venait à mourir par notre main, il y a toujours le risque que le Treizième membre décide de... nous opposer des complications non nécessaires.
-Même si on la laisse s'éteindre par elle-même, ce gamin viendra nous geindre dans les oreilles », marmonna Saïx, en crachant presque ses mots.
L'amusement de Xemnas sembla redoubler.
« D'une certaine façon, il n'a pas tort, n'est-ce pas ? Nous sommes bel et bien les responsables de la vie de Xion. »
Il plissa soudainement les yeux, son regard redevenant calculateur.
« Et enfin, acheva-t-il, j'ignore ce que Riku a pu raconter à Xion. C'est désavantageux. Mais qui sait ? Même si je ne suis parvenu qu'à attiser sa curiosité plutôt qu'à la décourager de se tourner vers lui, il est possible qu'elle tente de le retrouver. Peut-être nous guidera-t-elle ainsi à ce gêneur, et peut-être même, à Sora.
-Elle a interrogé Axel et Roxas sur l'imposteur, ce matin, signala Saïx. Comme vous vous en doutez. »
Le silence retomba entre les deux individus, qui ne jugeaient pas nécessaire de combler le vide par des paroles. Cependant, Xemnas était encore là, ce qui signifiait, s'il n'avait pas regagné les hauteurs de la citadelle, qu'il avait encore à dire. Et en effet, il reprit la parole après quelques minutes de réflexion.
« C'est cependant dommage que la marionnette n'ait pas duré bien longtemps... Si Vexen était encore avec nous, nous aurions pu éviter cela. Je dois dire que je m'étais plus ou moins attendu à ce que Xion développe sa propre conscience, ce qui pouvait risquer de compliquer le projet, mais j'étais prêt à accepter ce risque. En revanche, je n'avais pas prévu qu'elle la développe aussi soudainement et brusquement, à tel point que son corps artificiel ne peut le supporter. »
Il porta une main songeuse à son menton, feignant son trouble.
« Cette apparition brutale d'individualité s'est déroulée, selon les résultats de l'analyse, dans les alentours du 21 mars, n'est-ce pas ? Aurait-on une idée de ce qui a provoqué ce phénomène ? »
Saïx hocha négativement la tête.
« Le test n'a pas permis de formuler une hypothèse, répliqua-t-il d'un ton indiquant que l'état de Xion était le moindre de ses soucis. Il est cependant presque certain que c'est ce qui a causé la perte de son usage de la Keyblade.
-Bien évidemment, je ne vois pas d'autre explication, reprit Xemnas après un léger temps de pause. Si sa conscience s'était développée peu à peu, comme elle aurait dû le faire, ça n'aurait pas posé immédiatement problème, mais... Dans la situation présente, son corps se désagrège et nous ne pouvons rien y faire. Combien de temps encore ? »
Saïx consulta rapidement son porte-bloc où, entre les renseignements sur les missions, étaient glissés les résultats du test. Ni son visage ni sa voix ne montrèrent la moindre émotion quand il annonça la sentence.
« Selon les résultats... Le corps de Xion ne peut plus tenir bien longtemps encore. Je ne peux pas donner une période précise, comme cela dépend de multiples facteurs sur lesquels nous ne pouvons pas agir, mais l'analyse indique qu'il serait surprenant que sa durée de vie restante dépasse les cent jours. »
