Chapitre publié le 25 août 2018
Chapitre 26 : Fuyons vers nos destinées (partie 1)
Quelque chose n'allait pas.
Naminé ignorait quoi, mais le sentiment d'anxiété ne la quittait pas. Parcourue d'une agitation nerveuse, elle s'enserra de ses bras comme pour se protéger, perçant les environs de coups d'œil anxieux.
Quelque chose lui pesait dans la poitrine, lui arrachant son souffle. Elle avait l'impression qu'on aspirait la vie de son corps, mais elle ne parvenait pas à en discerner la cause.
Elle avait l'impression d'étouffer.
Ses bras se tendirent vers le ciel, comme dans l'espoir d'échapper à ce qui la consumait à présent, mais elle se heurta comme à une force aussi tangible qu'une paroi de verre, lui interdisant le passage.
Qu'était-ce donc au loin ? Elle plissa les yeux : on aurait dit une forme noire gisant sur le sol... Non, une silhouette, la silhouette d'une personne étendue sur le sol. Au moment où elle comprit cela, un râle d'agonie, très faible, comme sur le point de s'éteindre, s'éleva dans la pénombre. La personne était-elle blessée ? Appelait-elle à l'aide ?
Naminé se précipita. Il lui semblait qu'elle avait crié qu'elle venait à son secours ; elle lui semblait qu'elle courait, mais elle ne pouvait l'affirmer avec certitude. La personne ne bougea pas ni ne lui répondit.
Hein ?
Était-ce du sang ? Elle souleva ses pieds : du sang maculait la plante de ses pieds et les paumes de ses mains. Elle recula avec un cri de dégoût : était-ce le sang de cette fille là-bas ?
Elle avait une meilleure vue sur cette dernière : elle n'était pas allongée sur le sol mais agenouillée, repliée sur elle-même, la tête tombante comme si elle n'avait plus la force de la soulever. De longs cheveux d'un roux éteint cascadaient vers le sol, masquant son visage. Mais Naminé avait la sensation de la connaître, comme si...
Elle la contempla avec tristesse et sympathie. Qu'était-il arrivé à cette fille ?
Cette dernière releva soudain la tête. Des yeux bleus comme les siens croisèrent ceux de Naminé. Elle esquissa un geste dans sa direction, et Naminé lui répondit sans y penser. Était-ce un avertissement ? Un appel à l'aide ? Elle l'ignora, car à cette instant la fille aux cheveux roux disparut, comme avalée dans les ténèbres.
Naminé hurla. Elle n'avait jamais hurlé aussi fort, et elle hurla à en perdre la voix, les poings serrés contre la poitrine. Elle avait l'impression que son cœur lui était arraché, était écrasé par une force impitoyable, et elle ne pouvait rien y faire. Elle sentait une partie d'elle-même, quelque chose qui lui appartenait, lui être impitoyablement enlevée.
Elle hurla et tomba à genoux.
Il faisait nuit noire quand Naminé se réveilla. Elle entrouvrit les yeux avec confusion, fixant sans le voir le plafond plongé dans l'obscurité. Était-ce déjà l'heure de se lever ? Non... C'était le week-end, après tout. Du moins croyait-elle se souvenir.
A moitié endormie, l'esprit éteint, Naminé eut du mal à rassembler ses pensées. Elle tourna instinctivement la tête, cherchant la lumière des chiffres fluorescents de son réveil. Quel heure était-il ?
3h02
Il était encore très tôt. Pourquoi s'était-elle réveillée ?
Naminé se redressa sans se soucier d'allumer la lumière et écarta les cheveux en désordre qui lui tombaient sur le visage. Elle effleura son ventre, contente de constater que les douleurs de la veille avaient disparu. Mais maintenant que ses sens se réveillaient à leur tour, elle ne pouvait s'empêcher de remarquer que son corps lui semblait étrange. Non, pas son corps lui-même... mais les sensations qu'elle éprouvait, comme si... comme si son corps était plus vivant que d'ordinaire, comme si elle était plus investie dans ce corps qui n'était plus le sien, si cela avait du sens. Et, détail ennuyant, ses cuisses étaient inconfortablement poisseuses.
Une pensée soudaine lui traversa l'esprit et la jeune fille s'empressa d'allumer la lumière et de soulever le drap.
Elle demeura sans réaction visible devant le sang chaud qui maculait le drap housse de matelas et le haut de ses cuisses, sa couleur rouge tranchant dans la demi-pénombre, mais son esprit ne reflétait pas ce calme apparent.
Plusieurs pensées jaillirent en même temps alors qu'elle ne pouvait détourner les yeux des marques rouges : oh, elle savait que les règles étaient un processus normal chez l'être humain et qu'il n'y avait pas à s'inquiéter, mais les Similis n'en avaient pas et c'était la première fois qu'elle faisait l'expérience de ce phénomène et elle ne pouvait s'empêcher d'en être effrayée. Elle savait que Kairi devait en avoir, mais depuis qu'elle avait atterri dans son corps, elle n'en avait pas connu. Elle n'y avait pas vraiment fait attention, mais comprenait aisément à présent que ce ne pouvait être dû qu'à sa présence non naturelle qui perturbait l'ordre de ce corps. Mais maintenant, ce n'était plus le cas... ? Pourquoi ?
Ce... Cela l'effrayait, le fait qu'elle n'en sache pas la cause. Ou peut-être en connaissait-elle la raison au fond d'elle-même, et que c'était cela qui l'effrayait. Elle se prit le front dans sa main, essuyant machinalement la sueur qui perlait. Une peur aussi profondément ancrée entre elle, la dévorant de l'intérieur, ne lui était pas familière : la dernière fois, et la seule, qu'elle avait connu pareille sensation, elle avait détruit le cœur à peine formé du clone de Riku quand il avait tenté de tuer Sora.
Yeul. Yeul devrait pouvoir l'aider.
Sans hésiter, Naminé se glissa hors de son lit, enfila sa veste et sortit dans le couloir. Elle ne prit pas la peine d'allumer la lumière ; elle connaissait cette maison par cœur et ne voulait pas avertir ses parents par inadvertance. Elle enfonça ses pieds dans ses chaussures, déverrouilla en prenant soin de rester silencieuse la porte d'entrée, et sortit dans l'air frais de la nuit.
Xion parcourut la cuisine du regard. Il n'y avait pas grand-chose qu'elle pouvait emporter, malheureusement – DiZ ne se nourrissait-il donc jamais ? – mais elle dénicha rapidement une miche de pain relativement fraîche près du vieux réfrigérateur débranché et quelques pommes qui traînaient dans la pénombre sous les placards fixés aux murs. Elle les enfourna méthodiquement dans le petit sac qu'elle avait récupéré dans une armoire à l'étage, leur faisant rejoindre quelques objets de soin pareillement dérobés, et examina une dernière fois la cuisine, ouvrant quelques placards pour ne trouver que de la vaisselle grise sous la crasse de décennies.
Oh, et puis ça ferait l'affaire. Elle avait farfouillé un peu partout et trouvé une poignée de munnies – elle pourrait toujours acheter en ville de quoi manger si elle venait à avoir faim. Ses provisions à l'abri dans son sac, elle remonta dans la chambre blanche aux murs couverts de dessins, et dissimula son butin sous la commode, avant d'aller s'asseoir près de la fenêtre, observant le ciel crépusculaire avec impatience. Elle allait attendre la nuit, quand Riku et DiZ dormiraient, pour passer à l'action.
Tant qu'elle ne disposait ni de son manteau et surtout ni de ses pouvoirs, elle ne pouvait espérer rentrer seule à la citadelle... En avait-elle vraiment l'envie ? Non, maintenant qu'elle connaissait la vérité, même cette décision lui était impossible, avec ou sans pouvoirs. Mais elle devait retrouver Axel et Roxas coûte que coûte.
Xion avait assez honte de reconnaître qu'elle avait, par la suite de la révélation, voulu renoncer à leur aide et même à la possibilité de jamais les revoir, mais des jours de solitude à observer ce vieil homme macabre se penser vertueux tout en traitant ses alliés avec le même dédain et la même froideur que ses propres supérieurs avaient entretenu en elle une rage née de l'injustice de la situation dans laquelle elle était embourbée. Parce que ce n'était pas... ce n'était pas juste !
Elle voulait vivre, elle aussi. Les Similis, malgré toutes leurs paroles, n'étaient pas si différents des autres êtres ; dérivant entre les mondes, ils rabâchaient qu'ils appartenaient au néant, mais ils lui résistaient, cherchant à subsister. Elle n'était pas une Simili, elle le savait depuis qu'elle l'avait vu, depuis que les souvenirs de sa création étaient remontés à la surface, mais elle voulait vivre elle aussi. La pensée de disparaître ainsi, dans ce manoir coupé du monde, sans que personne ne sache ce qui lui était arrivé, sans avoir revu Roxas ou Axel, lui donnait la nausée et engendrait en elle une vague de rage violente et désespérée. Elle refusait d'être une mouche, piégée dans la toile d'un monstre qu'elle ne pouvait combattre.
Et ils n'en avaient rien à faire ! Personne n'en aurait rien à faire !
Ses poings se serrèrent à son insu.
Pourquoi ne pouvait-elle pas avoir elle aussi le droit à une existence ? Pourquoi lui était-ce accordé, à ce vieil homme qui méprisait le monde entier, dévoré d'une rage destructrice, et pourquoi lui était-ce refusé, à elle ? Pourquoi sa seule existence était... était...
Pendant quelques instants, elle haït le destin. Elle haït ceux qui souhaitaient le retour du véritable Porteur. Elle haït So...
Non... Mortifiée par ses propres pensées, Xion laissa sa colère se refroidir et s'éteindre. Elle ne devait pas se laisser aller à nouveau à la colère. Elle secoua la tête, tentant d'éclaircir ses pensées. Elle devait garder la tête froide. Elle allait retrouver ses amis, et elle déciderait ensuite de ce qu'elle devait faire.
Pour se distraire, Xion se remémora quelques anciens moments qu'elle avait passés avec eux, avant d'être plongée dans cette catastrophe. Comment réagiraient-ils quand ils la verraient sous cette nouvelle apparence ? Elle n'y avait même pas réfléchi. Elle espérait qu'ils ne s'enfuiraient pas à son approche, la prenant pour une inconnue... Cette pensée la fit sourire, le premier sourire sincère depuis plusieurs jours.
La nuit tomba rapidement. Elle aimait la nuit étrange de la Cité du Crépuscule ; le ciel obscure conservait, même dans les heures les plus noires, une légère teinte violacée, voire pourpre à l'horizon. Finalement, quand les bruits de la nuit et les ombres indécelables eurent remplacé le crépuscule endormi, la jeune fille décida qu'il était temps de partir.
Xion descendit en silence du rebord de la fenêtre et alla coller son oreille à la porte close. Elle n'entendit rien ; tout était calme. Elle s'accroupit près de la commode et tira à elle le sac chargé de vivres, se releva et revint vers la porte, posant sa main sur la poignée. Tous ses sens entraînés par des mois de missions en terres hostiles, où chaque erreur pouvait avoir des conséquences sinistres, s'activèrent aussitôt. Elle entrouvrit la porte sans faire le moindre bruit et jeta un rapide coup d'œil de chaque côté du couloir. Personne. Toutes les portes étaient fermées. Parfait.
Gardant l'oreille tendue, Xion se faufila jusqu'au bout du couloir et prit soin de scruter depuis le haut de l'escalier chaque recoin et chaque ombre du grand hall poussiéreux en contrebas, plongé dans la pénombre, qui lui donnait une apparence de manoir hanté. Elle ignorait où était DiZ, mais il était probablement dans le sous-sol, où il passait l'essentiel de son temps. Mais ce n'était pas lui qui l'inquiétait : après tout, ce n'était qu'un vieil homme, même s'il paraissait menaçant. Riku, d'un autre côté... Elle ne l'avait plus vu depuis la veille, quand elle l'avait laissé derrière elle. Était-il encore dans les parages ? Les ombres seraient propices pour qu'il s'y dissimule. Peut-être l'attendait-il déjà, ayant d'une manière ou d'une autre deviné ses plans, l'observant depuis un recoin obscur où il se fondait avec son manteau noir...
Elle ne savait toujours pas que penser de lui. Il évoquait en elle un mélange incohérent et hétérogène de défiance, d'hostilité et de mélancolie dont elle ne parvenait pas à faire sens, non pas qu'elle souhaitait en faire. Et il y avait aussi autre chose, une sorte de nostalgie, qui ne s'accommodait pas avec le reste et qu'elle savait ne pas lui appartenir.
Elle soupira. Peu importait. Riku avait la vie devant lui, même s'il insistait stupidement pour la gâcher. Ce n'était pas son cas. Le temps lui était compté et elle devait bouger.
Xion parcourut une dernière fois du regard le hall reposant dans un silence sinistre puis descendit rapidement les marches sur la pointe des pieds. Elle ne marqua pas une seconde d'hésitation et traversa aussitôt le hall avec un rapide coup d'œil vers la droite, vers la porte du salon qu'elle n'avait pas eu dans son champ de vision quand elle avait examiné le hall précédemment. La porte massive menant vers sa l'extérieur l'attirait, et elle avait l'impression qu'elle allait se faire interpeller à tout instant. Mais le hall demeura silencieux, et elle atteignit la porte sans encombre.
Celle-ci s'ouvrit sans un bruit quand elle la tira. Un courant d'air frais agita ses mèches et le bas de sa robe. Elle plongea son regard dans la nuit, redressa son sac puis franchit le seuil sans oublier de refermer soigneusement la porte derrière elle. Ni vue ni connue, elle était partie.
Mais elle ne serait vraiment tirée d'affaire que quand elle aurait rejoint la forêt : on pouvait encore la voir depuis les fenêtres du manoir, et sa robe blanche ne la rendait que plus visible. Elle traversa la cour sous les sons des oiseaux de nuit et de l'herbe crissant sous ses pieds ; passer l'imposant portail fut plus compliqué, mais elle parvint à l'escalader sans trop de mal en s'aidant des barreaux.
Une fois de l'autre côté, Xion se retourna. Elle jeta un dernier regard vers l'étrange manoir où reposait le sauveur des mondes, celui dont elle venait, dans l'obscurité. Elle avait le sentiment qu'elle y reviendrait.
Raffermissant sa prise sur son sac, Xion se détourna et s'enfonça dans les bois.
Elle devait bien avoir marché pendant une éternité. Comment pourrait-elle le dire ? Le temps existait-il seulement dans ces couloirs étranges ? Mais Kairi gardait espoir : elle savait que si elle perdait pied, elle ne pourrait plus continuer et se perdrait et... Elle se refusait à laisser son voyage se terminer ainsi.
Mais n'était-elle pas perdue ?
Kairi s'arrêta et regarda autour d'elle, une main sur son point de côté, reprenant difficilement sa respiration. Elle avait du mal à respirer : les ténèbres semblaient vouloir s'infiltrer en elle, peser sur elle, comme cherchant à l'écraser de leur poids. C'était la première fois qu'elle empruntait les Couloirs des Ténèbres seule vers une direction inconnue, et elle était loin d'être rassurée. Autour d'elle, il n'y avait que ténèbres : changeantes, virevoltantes, froides et caressantes, elles dansaient autour d'elle, s'écartaient d'elle, se rapprochaient et lui murmuraient au creux de son oreille des chuchotements incompréhensibles qui la faisaient frissonner, comme si elles tentaient de la convaincre de les suivre. Elle ne pouvait pas les fixer trop longtemps, ou son esprit se retrouvait comme emporté dans une transe absurde dont elle avait le plus grand mal à se défaire. Parfois, elle prenait pleinement conscience qu'elle était seule au milieu des ténèbres, et une poussée de panique la parcourait soudainement, et elle avait besoin de quelques secondes pour se reprendre. En plus de cela, son mal de tête lui revenait par intermittence.
Plus vite elle serait sortie de là, mieux ce serait.
Elle ignorait depuis combien de temps elle errait, et elle n'était pas certaine d'aller dans la bonne direction. Elle avait étudié les cartes ; elle avait subtilement demandé à Roxas dans la soirée – du moins espérait-elle ne pas avoir trahi ses intentions – comment lire les cartes des chemins des Ténèbres. Il avait été ravi de l'aider et avait immédiatement sorti ses propres cartes des chemins vers Agrabah et le Colisée avant de se lancer dans de grandes explications, s'étonnant brièvement que personne ne se soit jamais donné la peine de le lui expliquer. Son aide avait été précieuse et elle avait été en mesure de partir le soir-même.
Kairi s'arrêta et jeta un coup d'œil vain vers les cartes serrées dans sa main gantée. Elle n'avait pas le moindre moyen de savoir si elle allait dans la bonne direction. Selon les cartes, elle devait avancer jusqu'à apercevoir la lumière d'un monde et puis partir dans la direction contraire ?
Elle avait quitté la forteresse une fois les autres endormis. Ce n'avait pas été difficile, personne ne l'avait arrêtée et elle n'avait même pas croisé le moindre Reflet. Elle avait eu seulement à récupérer quelques potions, éthers et matérias, et s'assurer qu'elle avait bien ses notes et ses cartes. Elle s'était rendue dans la zone grise, l'un des seuls lieux de la citadelle où on pouvait se téléporter vers l'extérieur, avait-elle remarqué. Oh, cela avait bien failli poser problème : apparemment la salle était fermée pendant la nuit, d'après ce que lui avait dit un Demyx ensommeillé rentré tardivement de mission, quelques jours plus tôt.
Mais bon, elle était parvenu à ouvrir un Couloir et aucune sirène ne s'était déclenchée, personne ne s'était précipité pour l'arrêter. Et bien vite, le Couloir s'était refermé derrière elle, effaçant la vision devenue familière de la citadelle, et elle s'était retrouvée dans ce monde froid et hostile entre les mondes.
Personne ne l'avait rattrapée, mais elle ne pouvait s'empêcher de regarder fréquemment en arrière, sur les nerfs à cause de ce nouvel environnement hostile.
Kairi regrettait un peu de laisser Roxas derrière elle, mais elle n'avait pas le choix : si elle désirait comprendre ce qui était arrivé à Sora, comment il avait pu devenir ce garçon amnésique qui ne revenait plus vers eux – car elle était sûre désormais, après ce rêve, non, ce souvenir, que Roxas était bel et bien son ami disparu – et comment le sauver de la quelconque cage dans laquelle il était emprisonné, elle devait partir. Mais elle avait juré de le protéger après tout : elle reviendrait, quand elle connaîtrait toute la vérité. En attendant... elle espérait qu'il serait sauf pendant son absence.
« Xion, tu vas bien, n'est-ce pas ? Tu ne viens plus au clocher depuis longtemps. Tu sais, si tu ne veux plus venir, c'est bon. Tu n'es pas obligée. Mais je suis sûr qu'il y a quelque chose qui te tracasse, alors... j'aimerais pouvoir t'aider. »
Surprise, Kairi se retourna. Roxas venait de lui montrer comment lire les cartes des mondes, et, après l'avoir chaleureusement remercié, elle le dépassait pensant la conversation close, quand il l'avait soudainement retenue, le front plissé et les yeux inquiets. Elle baissa les yeux vers la main que attrapait la sienne. Elle était chaude, au contraire de tout ce qui constituait cette citadelle et ce monde.
Sa lumière ne s'était pas éteinte.
Roxas, parle-moi de toi. Et de Xion aussi. Qui t'est-il donc arrivé ? Que vous est-il arrivé à tous ? Pourquoi êtes-vous comme ça ?
Elle aurait voulu lui poser toutes ces questions, lui révéler toute la vérité, sur elle et sur lui, mais elle ne le pouvait pas, pas encore. Mais patience, ce jour arriverait.
Il parut soudain intimidé par leurs mains liées car il la lâcha prestement, comme s'il pensait avoir commis un impair. Détournant les yeux, il sembla étrangement résigné.
« Tu ne vas pas revenir, n'est-ce pas ? C'est bon ! ajouta-t-il précipitamment quand elle ouvrit la bouche. Je ne sais pas ce qu'il t'est arrivé, ce qu'il a pu se passer pour que tu perdes tes pouvoirs, mais tu sais, tu n'es pas un fardeau. Même si tu n'as plus tes pouvoirs, tu... tu restes notre meilleure amie ! Même Axel le pense, tu sais, même si je ne crois pas qu'il te le dirait. »
Roxas, constata-t-elle avec sympathie, devait penser que Xion nourrissait un profond sentiment de honte, de culpabilité et d'infériorité à cause de la disparition de ses pouvoirs, ce qui était sans nul doute sa seule utilité aux yeux de cette Organisation impitoyable. Ce n'était bien sûr pas ce que Kairi ressentait, mais Roxas ne pouvait pas le savoir. Sa sollicitude l'émut.
« Tu es gentil », lui dit-elle affectueusement.
C'était censé être un remerciement sincère, et elle n'avait pas prévu qu'il rougisse et se détourne, se passant la main dans les cheveux. Elle rit et il fit la moue, prétendant être vexé.
« Tu sais, dit-il soudain, changeant de sujet d'un ton revigoré qui sous-entendait qu'elle avait levé, du moins momentanément, ses angoisses, je te l'ai pas dit, mais hier je suis allé dans un nouveau monde. Je n'étais pas censé y aller, mais j'ai vu sa lumière au loin sur le chemin du retour alors j'y suis allé jeter un coup d'œil et... J'ai trouvé la mer, Xion ! Et sans pirate, cette fois. Regarde ! »
Curieuse, elle s'avança quand il plongea la main dans sa poche. Il en retira un coquillage aux couleurs vives qui fit bondir son cœur quand elle le reconnut.
« C'est là que tu les as trouvés, n'est-ce pas ? s'écria-t-il, ravi. Pourquoi tu ne m'as pas parlé de ce monde ? Le paysage est magnifique et il n'y a pas de Sans-cœur là-bas. C'est sans doute pour ça qu'il n'intéresse pas l'Organisation, d'ailleurs.
-Oh, euh... »
Il avait trouvé les Îles, elle en était sûre. C'était au moins un soulagement de savoir que l'Organisation ne venait pas pointer son nez dans son foyer. Kairi retourna l'information dans son esprit tout en observant soigneusement Roxas.
« Roxas, est-ce que tu n'aurais pas... vu ou senti quelque chose d'étrange ? » demanda-t-elle d'un ton pressant.
Se souvenait-il, au fond de son cœur, des Îles ? Lui feraient-elles remonter ses souvenirs perdus ?
Il réfléchit puis haussa les épaules.
« Hmm non, je ne crois pas ? C'est un endroit très agréable. Je ne pense pas qu'il y ait du danger, répondit-il, se méprenant sur sa question. J'aurais voulu y rester plus longtemps mais il y avait trop de baigneurs et j'ai failli me faire voir. Oh, mais je crois que j'ai vu une fille qui te ressemblait comme deux gouttes d'eau ! s'écria-t-il soudain, sans remarquer comme les yeux de Kairi s'écarquillèrent. Enfin, elle était rousse, mais quand même. Tu as un double, Xion ! »
Il rit de sa plaisanterie et elle rit avec lui. Il n'avait pas tort en fait.
Au moins cette Xion profitait des Îles... cela allégeait un peu le sentiment de culpabilité qui pointait toujours en elle quand elle pensait à la jeune fille.
Roxas lui donna le coquillage par la suite.
Une bouffée aveuglante de panique la traversa quand elle se crut perdue. Où était-elle ? Où... ? Kairi leva vers son visage les cartes serrées étroitement entre ses mains tremblantes qui menaçaient de les déchirer dans leur trouble. Elle dut rassembler tout son contrôle de soi pour parvenir à les déchiffrer. Voyons... Elle ne devrait plus être très loin, mais cela devait bien faire des heures qu'elle répétait cette même phrase en tournant dans ces couloirs insensés. Elle faillit céder à la tentation de se mettre à courir ; si elle commençait à céder à la panique, c'était fini.
Kairi ferma les yeux, respirant profondément. Au fond d'elle, elle visualisa la lumière de l'espoir, que depuis toute petite elle avait pris l'habitude d'écouter quand tout allait mal. Elle s'en sortirait. Elle ne resterait pas coincée ici. Sans y penser, elle enfonça la main dans la poche de son manteau, touchant le coquillage qu'elle avait emporté avec elle. Il la rassura, comme un ancrage avec son monde, leur monde, celui qu'ils devaient retrouver, celui que Sora et Riku, elle le savait, désiraient plus que tout rejoindre.
Elle ouvrit les yeux. Loin devant elle, les voiles de ténèbres, de murmures et de secrets s'effaçaient comme le brouillard chassé par le soleil, mais laissaient place à une obscurité d'un noir d'encre qui la fit frémir. Au fond de cette obscurité, une faible lueur subsistait cependant, changeant les ténèbres en voile grisâtre. Quelque chose se leva en son cœur, et comme attirée irrésistiblement, Kairi reprit sa route, avançant tout droit vers la lumière au cœur des ténèbres sans pouvoir en détourner les yeux. Ses pieds furent caressés par l'herbe effleurée par le vent, puis la roche nue et rude la remplaça.
Kairi cligna des yeux et s'échappa de sa brève torpeur. Elle regarda derrière elle : une route s'enfonçait dans la campagne nocturne et sans vie, disparaissant à l'horizon. Devant elle, un chemin de roche prenait le relais, sillonnant l'obscurité.
Elle marcha. Elle marcha, et marcha, et marcha. Régnait sur les lieux un silence lourd et solennel, comme recelant mille possibilités qui ne demandaient qu'à se manifester. Elle se sentait seule au monde, un grain de poussière au cœur de l'univers. Cela lui rappelait...
Il faisait noir.
Elle regarda autour d'elle : les Ténèbres s'étendaient à l'infini, où qu'elle porte son regard. L'air, frais, mais pas vraiment froid, stagnant, semblait chargé de menaces. Une atmosphère irréelle, figée et fascinante, régnait sur les ombres, pareille à un vieux tombeau oublié sous les siècles. Kairi ne bougeait pas, debout sur ce qui s'apparentait à une portion de sol perdue au milieu de l'obscurité. Elle ne paniquait pas ; elle attendait. Comme si elle n'était rien d'autre qu'un élément du décor. Autour d'elle, les Ténèbres semblaient retenir leur respiration ; tous attendaient que se produise l'événement.
« Kairi ! Kairi ! Tu te souviens de ce que tu as dit ? Je serai toujours avec toi. Je reviendrai. Je te le promets. »
Étaient-ce les confins du monde ?
Un énorme manoir se dressait devant elle. Elle marqua un temps de stupeur ; comment n'avait-elle pu le remarquer que maintenant ? Il se dressait de toute sa hauteur sous le ciel de ténèbres, l'écrasant de sa majesté. Les murs couleur d'or éteint, son architecture était des plus absurdes, avec ses toits, ses fenêtres et ses tours qui hérissaient le bâtiment en tous sens. Il semblait clos sur lui-même, comme un monde dans un monde, une prison retenant ses secrets. Kairi laissa échapper un murmure impressionné.
« C'est donc ça le Manoir Oblivion... »
La tête levée à s'en tordre le coup, la jeune fille observa le manoir, et sentit une once de peur se manifester à nouveau en elle. Dans quoi s'était-elle encore fourrée ? Elle était trop près du monde des ténèbres, elle le sentait. Elle ne devrait peut-être pas rester là.
Kairi secoua la tête avec exaspération. Un rictus joueur étira ses lèvres. Si Riku et Sora avaient pu voyager jusque là, pourquoi resterait-elle en arrière ?
Elle entreprit de remonter le chemin de pierre menant à la porte, confiante mais néanmoins prudente. Elle avait... elle avait hâte. Elle sentait qu'elle touchait au but. L'excitation lui faisait même oublier son mal de tête qui semblait engourdir ses membres.
Finalement, elle était devant la porte. Elle déglutit avec difficulté et posa sa main sur le battant ; il était glacial, si froid qu'elle le ressentait à travers le gant couvrant sa main.
Elle s'arc-bouta contre la porte qui fit mine de résister avant de s'écarter sans un bruit. Elle en fut surprise ; elle s'était attendue à plus de résistance de la part de cette porte imposante. Elle n'était même pas verrouillée. Mais il était vrai que ce n'était pas comme si beaucoup de voleurs traînaient dans le coin.
Elle poussa. Le battant pivota lentement, et un monde d'une blancheur pure l'accueillit, effaçant toute pensée de son esprit.
