Chapitre publié le 22 mai 2022
Chapitre 30 : Rencontres familiales
Naminé mit un point final à sa phrase puis posa son stylo avec une étrange satisfaction. Elle étira discrètement ses jambes sous la table. Alors qu'avec son corps de Simili, elle pouvait demeurer des heures, des jours, une éternité, sans avoir besoin de bouger, ce corps de vie exigeait de se dégourdir, et s'était vite empreint d'une certaine raideur durant les deux heures et demi depuis le début de l'épreuve.
Naminé relit l'intégralité de sa copie, ses yeux sautant d'une ligne à l'autre. Oh, il ne semblait pas que... Ah non, il y avait une faute, là. Naminé la contempla une fraction de seconde avec surprise – elle était moins désorientée qu'auparavant de se retrouver à faire des erreurs d'inattention, qui avaient abondé depuis son transfert ici, mais elle oubliait toujours qu'en dehors de son domaine, la maîtrise des souvenirs, elle était plutôt démunie. Bah, ce n'était pas une erreur qui serait difficile à corriger. Elle l'avait déjà reprise dans sa tête. Rien qui ne viendrait gâcher la copie de Kairi.
Naminé reprit sa relecture, lisant sans interruption les trois pages restantes avant de se redresser et de refermer sagement sa copie. Elle avait fait tout ce qu'elle pouvait. En toute honnêteté, elle avait parfois douté y arriver, mais ça n'avait pas été si difficile. Elle était travailleuse. Elle avait étudié pendant de longues heures et de longues semaines, enfermée dans sa chambre, pour rattraper son retard et sauver la vie scolaire de Kairi. Ce n'était pas comme si c'était une situation qui lui était étrangère (même si elle était devenue de plus en plus difficile à supporter).
Mais bon. Elle devait constater qu'elle aimait bien les mathématiques, en réalité. Une matière s'appuyant sur la logique et le raisonnement. Ça lui plaisait bien. Elle avait presque trouvé l'épreuve un peu trop facile, en vérité.
Désormais désœuvrée, la jeune fille regarda avec curiosité autour d'elle. En ce mardi 16 juin se tenait la dernière épreuve des examens des secondes – les mathématiques, que beaucoup redoutaient. Il semblait d'ailleurs que personne d'autre n'avait terminé – devait-elle en être fière ? Les autres étudiants étaient tous penchés sur leur copie, à tel point que parfois leur nez touchait presque le papier, le front tordu de concentration, le stylo serré dans leur main. La fatigue était lisible sur tous les visages, au même titre que les gouttes de sueur qui perlaient sur les peaux. Une odeur sourde de transpiration s'élevait, s'installant tranquillement dans la grande salle où se tenaient les examens : c'était la salle de spectacle de l'école, et sa façade sud était ouverte d'une large baie vitrée sur les vitres de laquelle frappait le soleil ardent de ce début d'été. A part cela, c'était une salle très jolie, spacieuse et lumineuse, au parquet de bois propre et aux murs pâles.
Enfin, les étudiants n'avaient guère le loisir d'admirer la vue. Il était une bonne chose que ce soit le dernier examen : ils n'en pouvaient manifestement plus. Elle pouvait ressentir avec perfection toutes leurs énergies fatiguées et stressées, comme un brouillard d'un noir houleux qui se condensait dans la salle. Elle-même n'était pas fâchée d'en avoir terminé : un peu de repos lui ferait le plus grand bien. Dans l'ensemble, elle espérait avoir réussi à faire ce qu'il fallait pour que Kairi puisse passer...
Quand un étudiant, le visage fermé, se leva finalement et se dirigea vers le bureau des surveillants vers l'entrée de la salle, copie en main et s'attirant quelques regards distraits de ceux dont la concentration ne suivait plus, elle décida de lui emboîter le pas et glissa à bas de sa chaise. Elle traversa sans un bruit la grande salle silencieuse, consciente des yeux qui la suivaient du regard. Les surveillants, qui avaient l'air de s'ennuyer à en mourir, lui tendirent machinalement la feuille d'émargement ; ils ne répondirent pas quand elle les salua et se dirigea vers la porte.
La température baissa de quelques bons degrés quand Naminé sortit dans le petit hall sombre à l'entrée de la salle des fêtes. L'autre étudiant disparut dans le renfoncement menant vers les toilettes. Elle déposa son sac à ses pieds, près des portes de la salle des fêtes, et attendit.
Les minutes s'écoulèrent lentement. Occasionnellement, un ou deux étudiants quittaient à leur tour la salle en silence, ou un professeur traversait le hall vers les escaliers menant vers les bureaux à l'étage, lui jetant à peine un coup d'œil. Elle fixait le mur opposé, demeurant sagement contre le mur, perdue dans ses pensées.
Quinze minutes avant la fin de l'épreuve, dans un murmure étouffé de pas et de chaises traînant sur le plancher, l'écoulement des élèves devint un flot continu : les doubles portes battantes ne cessaient de se rouvrir pour livrer passage à des groupes d'étudiants épuisés mais surexcités, commentant bruyamment l'épreuve tout en se dirigeant comme un seul homme vers l'extérieur.
Selphie sortit dans les derniers, l'air agité et contrarié, accompagnée de Vanille qui semblait en train de la réconforter. Naminé leur fit un petit signe de la main par-dessus la foule et elles se dirigèrent vers elle.
« Merci de nous avoir attendues, dit Vanille. Je suis restée un peu avec Selphie pour lui remonter le moral.
-L'épreuve ne s'est pas bien passée ? s'enquit Naminé.
-Tu parles ! Je ne sais pas à quoi ont pensé les profs avec ce sujet ! Non, sérieusement, la prof avait pas dit qu'on n'aurait pas les équations second degré ?
-En fait... risqua Vanille en ravalant un petit sourire, elle avait dit que ça tomberait.
-Quand même ! Je ne sais pas quelle note on va avoir, mais ça va être une catastrophe, reprit Selphie d'un ton passionné. Je ne serais pas étonnée si la moitié ne passe pas... C'est vraiment injuste ! Ah, mais tu es sortie plus tôt, non ? se radoucit-elle soudain en s'adressant à Naminé. Comment ça s'est passé ?
-Bien, je crois...
-Je ne savais pas que tu étais forte en maths, s'étonna Selphie. Ah, où est la solidarité ? »
Elles quittèrent les lieux avec la foule clairsemée et sortirent sous le soleil brûlant, au fond de la grande cour arrière de l'établissement. Les élèves autour d'elles se dispersèrent en groupes d'amis, et des rires et conversations bruyantes s'élevaient un peu partout. Une odeur de vacances flottait dans l'air.
« Ah bah, t'étais là ! Je te cherchais partout ! »
Naminé détourna le regard d'un petit groupe de premières surexcités, installés sur un banc quelques mètres plus loin, à l'ombre d'un palmier, et tourna la tête vers Fang, qui s'était approchée à leur insu et enlaçait Vanille par derrière. Cette dernière rit, les yeux pétillants.
« Où tu voulais que je sois ?
-Les autres sont sortis depuis une heure !
-Tu sais bien que je prends mon temps. Pas la peine de se presser et de rater l'examen, non ? D'ailleurs, tu ne devrais pas être en train de réviser ? »
Fang posa le menton sur le sommet du crâne de sa petite amie en soupirant.
« Je suis dégoûtée. Il fait super beau, et j'ai encore à me coltiner les maths et l'ancien langage.
-Bonne chance ! Moi je suis en vacances maintenant ! »
Selphie les observait avec une lueur taquine dans les yeux, les mains sur les hanches, mais avant qu'elle ait pu placer quelque plaisanterie à leurs dépens, une voix masculine intervint à son tour.
« Hé les filles ! Ça s'est passé comment ces exams ? »
Sans attendre leur réponse, Tidus, qui paraissait plus jovial que jamais, poursuivit :
« Hé, vous êtes au courant qu'on fait une fête sur la petite île, jeudi ? Pour fêter la fin des examens ! Ça vous dirait de venir ?
-Jeudi ? » Selphie fit mine de réfléchir. « Je ne sais pas trop...
-Allez, dis oui ! Tout le reste de la classe vient !
-Hmm voyons... »
Tidus la regarda avec espoir alors qu'elle feignait d'être indécise, un petit sourire taquin au coin des lèvres. Derrière elle, Vanille et Fang se chamaillaient gentiment.
« Hmmmm... C'est d'accord », lança finalement Selphie.
Tidus eut un sourire éclatant.
« Génial ! Et toi, Kairi, rebondit-il en se tournant vers Naminé. Tu viens, toi aussi, n'est-ce pas ?
-Oui, n'est-ce pas ? renchérit Selphie. Et je t'interdis de t'enfermer dans ta chambre pour te morfondre ! »
Ils rirent, et Naminé se joignit à eux, avant de donner son acquiescement de bon cœur. Le sourire de Tidus s'élargit et elle songea que pour cette raison seule, cela valait le coup d'avoir accepté. Elle lui rendit son sourire et tourna les yeux vers le ciel immaculé, tandis que Selphie et Tidus poursuivaient leur conversation, qui se mêlait aux bavardages emplis de joie s'élevant d'un peu partout dans la cour. Tout allait bien. Elle n'avait plus fait de cauchemar, elle avait sauvé la scolarité de Kairi et joué son rôle jusqu'au bout.
Mais... pourquoi sentait-elle comme une légère tache de tristesse au fond de son cœur, alors ? Elle suivit des yeux le vol d'une mouette blanche qui tournoyait dans les cieux avant de disparaître. Tout allait bien, pourtant.
Quelque chose manquait, cependant, et elle se rappela soudain quoi. Elle ramena les yeux vers la terre, autour d'elle, où ses camarades discutaient toujours avec insouciance.
« Je me demande où est Serah », murmura-t-elle.
Tous se turent aussitôt et elle sentit littéralement quatre paires d'yeux se poser sur elle. L'ambiance générale s'était soudainement refroidie.
« Elle est... toujours recherchée, non ? » risqua Vanille en échangeant un regard inquiet avec Selphie tandis que Fang relâchait doucement sa prise autour de sa taille.
Selphie s'agita.
« Oui, avoua-t-elle avec une grimace. Je n'ai toujours eu aucune nouvelle... Je déteste ça ! Dis, Kairi, ton père, c'est le maire, non ? dit-elle soudain avec un regard plein d'espoir vers Naminé. Est-ce qu'il ne saurait pas... ?
L'air d'excuse qu'affichait la jeune fille tarit immédiatement ses espoirs et elle détourna la tête.
« Je vois...
-C'est quand même bizarre que cette fille ait disparu comme ça, commenta Fang. Les îles ne sont pas bien grandes, où est-ce qu'elle aurait pu passer ? Non, moi je pense qu'elle a juste fugué et ne veut pas qu'on la retrouve. Elle reviendra quand elle se sentira mieux !
-Ouais, mais pourquoi elle aurait fait ça ? contra Tidus avec une moue peu convaincue. Elle avait aucune raison de faire quelque chose comme ça, non ? »
Il regarda autour de lui en quête d'explications possibles, mais le seul le silence lui répondit.
« C'est tout de même étrange, reprit Selphie, les bras croisés. Ce genre de disparition, sur des îles aussi petites ! Enfin, je veux dire, c'est impossible ! Il y a quelque chose de louche.
-C'est ce que je disais l'année dernière, mais tu disais toujours que j'étais trop superstitieux... !
-Oh, ne commence pas avec ça, Tidus.
-Au moins, intervint Vanille comme pressentant une dispute, Lightning et Snow apprennent enfin à travailler ensemble ! Vous les avez vus ?
-Ouais, je n'aurais jamais pensé que ça serait possible un jour ! »
Ils se dirigèrent lentement vers la sortie de l'établissement et Naminé les suivit en silence, toute à ses pensées. Elle ne pouvait ignorer le voile d'inquiétude qui couvrait son cœur. Elle aimait bien Serah. Elle ne voulait pas qu'il lui arrive quoi que ce soit...
Les rues étaient calmes. Les Îles du Destin étaient un monde paisible. Le soleil lui réchauffait la peau, et les palmiers majestueux plantés deci delà reposaient leur ombre sur les passants. Au loin, elle entendait une tondeuse à gazon, assourdie par la distance. Elle songea qu'il ne lui déplairait pas de pouvoir y vivre, pour toujours.
Naminé avisa soudain une femme qui tournait au coin de la rue, sur le trottoir d'en face, et s'arrêta pour la dévisager, intriguée. Ces longs et épais cheveux bruns, cette longue robe rose... elle avait l'impression de connaître cette femme. De l'avoir déjà vue... dans des souvenirs brouillés qui n'étaient pas les siens.
« Hé, c'est madame la guérisseuse ! » commenta Selphie qui avait suivi son regard, mais Naminé avait déjà compris avant qu'elle ait ouvert la bouche.
Ifalna. La mère de Sora. Oui, elle se souvenait l'avoir aperçue, dans les souvenirs qu'elle avait jadis retirés de la mémoire du héros.
La femme croisa le regard du petit groupe d'adolescents qui la dévisageaient, et elle s'arrêta net à son tour, comme prise au dépourvu. Puis elle cligna des yeux et traversa lentement la rue, se dirigeant vers eux.
Naminé la regarda avec sympathie. Elle semblait habitée par une lassitude qu'elle ne lui reconnaissait pas : la fatigue marquait ses traits et même sa robe aux manches élimées qui avait vu des jours meilleurs et les fleurs qui reposaient tristement dans son panier à moitié vide semblaient partager sa peine.
Sans vraiment le vouloir, elle esquissa un discret pas en arrière, qui passa inaperçu, se retrouvant ainsi à moitié dans l'ombre de Vanille et de Tidus.
« Bonjour madame la guérisseuse ! chantèrent en cœur ces derniers.
-Bonjour », répondit Ifalna. Elle les regarda à peine, et, maintenant qu'elle s'était approchée, Naminé pouvait distinctement voir les cernes qui soulignaient ses yeux. La culpabilité pinça son cœur et elle baissa les yeux vers ses chaussures. « Les examens se sont bien passés ? »
Selphie semblait sur le point de se relancer dans une longue diatribe mais les autres lui coupèrent l'herbe sous le pied.
« Ouais ouais, nos profs ont pas été sympas, mais c'est terminé maintenant ! répondit Tidus avec un large sourire.
-Ça aurait pu être pire, intervint Vanille. Vraiment pire ! »
Fang haussa les épaules.
« Ils sont pas terminés pour moi.
-Oh c'est vrai. Excuse-moi. » Ifalna la regarda. « C'est ta dernière année, n'est-ce pas ? Tu sais ce que tu vas faire l'année prochaine ? »
Fang se contenta de hausser à nouveau les épaules.
« Bien... »
Naminé sentit le yeux de la femme peser sur elle et osa croiser son regard. Elle se composa une face neutre, seuls les bouts de ses doigts qui jouaient avec le tissu de sa jupe indiquant sa nervosité.
Mais les yeux de la femme ne contenaient pas la moindre trace de colère ou d'accusation. En fait, le front plissé, elle avait l'air de chercher ses mots.
« Kairi... je suis désolée, ça faisait longtemps que je voulais venir te voir, mais tu vois... » Elle détourna brièvement le regard. « ...je n'ai pas trouvé le temps. »
Les regards curieux de ses amis se tournèrent vers elle, mais déjà Ifalna continuait :
« Est-ce que je pourrais te parler ? demanda-t-elle avec un rapide coup d'œil vers ses amis. Si tu es libre. »
Naminé se contenta de hocher la tête et la femme s'éloigna de quelques pas avant de la regarder, attendant manifestement qu'elle la rejoigne. Naminé sentit Selphie la pousser du bout des doigts.
« Vas-y, Kai ! On t'attend là, t'inquiète. »
Avec un peu d'appréhension, Naminé suivit la guérisseuse quelques mètres plus loin. Si elle avait désiré avoir une conversation privée, elle avait sur-estimé la distance qu'elle avait prise car il était impossible que ses amis n'entendent pas leurs paroles, quoiqu'ils avaient commencé à bavarder.
(« Il se passe quoi avec Kairi ?
-Oh, je lui avais proposé d'aller voir Ifalna il y a quelques mois. Parce que, tu sais... elle n'allait pas très bien.
-Oh, je vois ! C'est vrai qu'elle a l'air beaucoup plus en forme ces derniers temps !
-Oui... Mais vous trouvez pas qu'elle est devenue un peu... je ne sais pas, silencieuse ? Super réservée ? »)
Ifalna s'arrêta et posa sur elle un regard qu'elle ne sut interpréter.
« Est-ce que tu as trouvé ce que tu cherchais finalement ? »
Comme Naminé ne répondait pas immédiatement, elle soupira et poursuivit :
« Écoute, Kairi... Je suis désolée. Je... Je ne sais pas ce qu'il s'est passé la dernière fois qu'on s'est vues, mais je suis désolée si je t'ai causé du chagrin. J'y ai repensé, tu sais et... »
Elle soupira à nouveau et s'interrompit pour de bon, se massant le front.
« Je suis désolée, répéta-t-elle finalement après un long moment de silence. Mes souvenirs sont flous, je ne me souviens plus vraiment... Mais j'aurais sincèrement voulu t'aider, tu sais. J'ai entendu dire que tu étais allée voir Yeul, cette magicienne... Je ne la connais pas, alors je n'ai pas envie de la juger, mais j'ai entendu dire que ça c'était mal passé, que les habitants avaient dû venir te chercher, non ?
-Ne vous excusez pas, intervint Naminé avec gentillesse. Vous n'y étiez pour rien. C'est... c'est moi seule qui ai choisi d'aller voir Yeul. Et elle ne m'a rien fait. Les villageois se sont inquiétés pour rien. »
Ifalna hocha la tête, mais elle ne semblait guère apaisée.
« Très bien... Mais, Kairi, n'oublie pas : quoi que ce soit, si je peux t'aider, alors n'hésite pas à venir chez moi chercher de l'aide. Je ne connaissais pas beaucoup Riku, mais je comprends ta douleur. J'ai perdu mes deux enfants après tout. »
Oh. Naminé comprenait soudainement. Ifalna croyait que Kairi se remettait difficilement de la « mort » de Riku. Sans doute Kairi avait-elle, en recherchant Sora, finit par arriver à sa maison et chez sa mère, mais de ce que cette rencontre avait apporté à Ifalna, il n'en restait que des bribes floues. Personne, apparemment, n'était destiné à se souvenir de Sora.
Mais, « ses deux enfants » ? C'était intéressant.
« Vous aviez eu des enfants ? demanda-t-elle mine de rien, le visage sympathique.
-Ils n'avaient pas le même père, confirma Ifalna qui affichait soudain un sourire un peu nostalgique. Ma fille est née il y a plus de vingt ans maintenant. Mais je ne l'ai plus revue depuis que je suis arrivée ici. Je te l'ai raconté, non ? Que j'avais vécu ailleurs... Je ne sais pas ce qui est arrivé à Aeris, mais je suis sûre qu'elle va bien.
-J'en suis sûre, moi aussi, acquiesça Naminé. Et votre autre enfant... »
Ifalna sourit et rejeta ses mèches en arrière.
« C'est un peu... compliqué », commença-t-elle, d'un ton doux mais amer. Elle ne la regardait pas, mais arrangeait distraitement les quelques fleurs de son panier. Je ne me souviens plus vraiment, mais je sais que j'ai eu un fils. Mais mes souvenirs... quelque chose me les a pris, avec lui. »
« Je ne suis pas folle, lança-t-elle soudainement, avec plus de force. Je sais qu'il a existé, même si je ne peux pas le prouver. Je peux encore sentir son ombre dans ma... dans notre maison. Mais je ne comprends pas, ajouta-t-elle à mi-voix, pourquoi a-t-il disparu ? Pourquoi... ? »
Elle avait le soupçon qu'Ifalna ne lui parlait plus vraiment. De plus qu'elle n'avait pas réellement eu envie de parler avec Kairi. Non, elle voulait seulement avancer, se rendre utile. Elle savait que quelque chose manquait, elle ressentait ce vide dans son cœur, et comme Kairi, elle haïssait l'impuissance qui l'habitait, face à ce destin trouble et intangible.
Et elle, Naminé, n'était-elle pas autant impuissante ? Non, car elle détenait les clés d'un savoir important. Elle avait quelque chose que les autres ne possédaient pas, réalisa-t-elle. Elle était la seule à savoir, savoir qui était Sora jusque dans son cœur, et ce qu'il lui était arrivé. Bien sûr, c'était un savoir qu'elle n'oserait jamais utiliser à nouveau. Les secrets de Sora resteraient avec elle, et les souvenirs du garçon seraient restaurés quand...
Son cœur se serra à nouveau. C'était douloureux.
« Enfin, quoi qu'il en soit, dit soudainement Ifalna, mettant fin à son monologue hésitant, je voulais te dire que je comprends un peu ce que tu ressens. Alors, si tu as besoin de quoi que ce soit, sache que tu pourras compter sur moi. D'accord, Kairi ?
-Merci, madame, répondit poliment Naminé.
-Voyons, pas la peine d'être aussi courtoise avec moi...
-Je me demandais, est-ce que vous vous souvenez de quelque chose de précis, au sujet de votre fils qui a disparu ? Je me disais que peut-être, en partant de cela, nous pourrions... Trouver un autre souvenir, et un autre encore. Un peu comme une chaîne. »
Mais Ifalna, qui s'était déjà à moitié détournée, ne lui rendit qu'un sourire triste.
« J'ai déjà essayé, en vain. Malheureusement. Et pourtant, la déesse sait à quel point j'ai essayé. J'aimerais tellement me souvenir de lui. »
Que pouvait-elle dire ? Qu'elle était désolée ? Naminé la regarda en silence, mais en son sein, la douleur qui avait pointé quand la guérisseuse l'avait abordée s'était enflammée. C'était une sensation semblable à celle qu'elle avait connue quand elle avait finalement osé désobéir à ses geôliers et quitté sa cage pour se lancer à la rencontre de Sora. Une détermination née de la douleur de l'impuissance.
Elle regardait cette femme, et elle se refusait à la laisser dans sa propre douleur.
« Madame... »
Elle n'attendit pas que les yeux de la guérisseuse soient revenus se poser sur elle, et continua, résolue. Un bon sentiment.
« Ne perdez pas espoir, s'il vous plaît. La situation va s'arranger. Vous allez retrouver votre fils. Je vous le promets. »
Ifalna parut à court de mots, puis se laissa aller à un sourire indulgent.
« Tu es gentille, Kairi... »
Naminé secoua la tête.
« Je vous le promets. Je... je ne peux pas encore vous dire quand ou comment, mais... »
Tenter de s'expliquer ne serait qu'une perte de temps, aussi cela ne lui vint-il même pas à l'esprit. Naminé tourna les talons et s'éloigna à toutes jambes, serrant son sac contre elle. Elle entendit des exclamations de surprise dans son dos, et promit mentalement de téléphoner le soir même à Selphie pour expliquer son comportement étrange, mais en attendant, la sensation, qu'elle soit réelle ou non, de tenir enfin quelque chose au creux de sa main, d'avoir ne serait-ce qu'une graine de pouvoir, alimentée par le feu de sa résolution et d'un nouveau courage, l'emplissait entièrement, lui donnant des ailes.
Et puis, il était possible qu'Ifalna lui ait donné une toute nouvelle idée.
Naminé ne croisa que quelques passants qui la regardèrent d'un air intrigué. Elle n'y fit pas vraiment attention. Son esprit était occupé par tout autre chose. Heureusement, personne ne tenta de l'arrêter.
Quand elle atteignit sa maison, elle était à bout de souffle. Elle farfouilla fébrilement dans son sac à la recherche de ses clés. Quand elle réussit enfin à déverrouiller la porte, des mèches dans les yeux et le front en sueur, elle faillit se prendre les pieds dans le tapis du hall d'entrée.
Allons, Naminé, concentre-toi.
Elle monta les escaliers avec moins de précipitation, autant pour éviter de risquer une mésaventure que parce qu'elle n'avait plus de souffle. La porte de sa chambre se referma avec un coup sec quand elle se laissa tomber contre elle.
« Bon, alors... »
Tout en posant son sac sur le sol, la jeune fille scanna la pièce du regard. Où était-il déjà ? Cela faisait un bon moment qu'elle l'avait délaissé... Elle maîtrisa l'anxiété qui pointait quand elle ne l'aperçut pas immédiatement, même en soulevant une pile de cahiers, vestiges de ses révisions intenses.
Oh, mais il était là. Elle tendit la main vers le tiroir du bas de sa table de chevet et en sortit le carnet à dessins qu'elle n'avait plus ouvert depuis trop longtemps. Le dernier dessin était toujours le même, inachevé, incrusté dans le papier. Elle tourna la page, le recouvrant d'une nouvelle feuille blanche.
« Alors, maintenant... Commençons par ...hm. »
Elle s'assit et se tut. Naminé ne parlait pas quand elle travaillait. Elle devenait aussi tranquille qu'une ombre.
Elle tira de son sac sa boîte à crayons qui, eux, ne la quittaient jamais, et, après réflexion, en choisit un d'un jaune doré mais légèrement teinté de brun, une couleur chaude et fière.
Elle ne pouvait plus laisser la situation continuer ainsi. Sa rencontre avec Ifalna lui avait fait l'effet d'une douche glaciale elle s'était, sans possibilité d'échappatoire, souvenue de son devoir. Quelque chose qu'elle avait oublié, comme elle s'était laissée aller à abandonner. Elle avait délaissé ses responsabilités, et avait laissé d'autres les endosser.
Elle avait failli oublier Sora. Non dans un sens littéral, mais...
Elle était sans espoir, décidément. Après tout, elle n'était qu'un Simili.
Naminé étouffa ces pensées, et se composa un esprit neutre. Tout d'abord, elle devait essayer d'envoyer un message à Riku. Elle doutait de sa réussite, mais si elle parvenait à le contacter par-delà les mondes, alors il pourrait venir la chercher. Même si c'était tout ce qu'elle pouvait faire, alors elle se devait d'essayer.
Elle concentra tous ses pouvoirs, rassurants et familiers, et se mit au travail.
Kairi ralentit l'allure. Elle était à bout de souffle, même si elle n'avait fait que marcher. Oh, mais elle avait marché. Pendant combien de temps ? Et cet inconfort presque douloureux en elle qui ne la quittait plus...
Elle prit appui sur le mur le plus proche pour soutenir ses jambes tremblantes, et s'arrêta complètement. Elle n'avait pas l'air fraîche, elle en avait conscience. Tant pis si elle s'attirait les regards bizarres des passants. Elle n'en avait cure.
Elle essuya d'une main tremblante la sueur qui perlait sur son front. Elle devait faire une pause, une vraie. Son corps avait commencé à se rebeller pendant sa longue errance (dont elle n'avait maintenant plus que de vagues souvenirs, comme si elle n'avait été qu'un long rêve) : elle était comme devenue engourdie et pâteuse de l'intérieur, comme si son essence s'était changée en carton broyé. Et une douleur sourde plombait ses membres, une sensation bizarre qu'elle ne pouvait décrire.
Mais elle devait continuer. Elle n'avait pas encore achevé sa quête.
Elle respira profondément pendant de longues secondes, tentant d'éclaircir ses pensées. Quand elle se fut reprise, elle releva la tête et regarda autour d'elle. Elle était – oh. Comment n'avait-elle pu s'en rendre compte ? L'endroit était familier elle l'avait parcouru à de nombreuses reprises. D'après ce que le soleil encore bas lui indiquait, c'était un matin à la Forteresse Oubliée. L'air était doux, mais il ne faisait pas froid, et il n'y avait aucun nuage dans le ciel d'un violet doux, ce qui annonçait une journée ensoleillée de ce début d'été. Quelques boutiques le long de la large avenue où elle se trouvait étaient encore en train d'ouvrir, et elle sentait des odeurs de légumes frais et de viande grillée qui flottaient dans l'air, accompagnant les clameurs s'élevant d'un peu plus loin. Apparemment, c'était jour de marché.
Kairi ne reconnaissait pas le quartier, mais elle n'était apparemment pas très loin de l'entrée du château. La masse imposante de ce dernier se dressait au-dessus des rues proches, projetant son ombre sur les toits du haut de la colline de falaises de cristal bleu où il était perché. Bon, elle devrait pouvoir retrouver son chemin facilement.
Alors qu'elle longeait doucement la longue avenue qui s'éveillait peu à peu dans un murmure de conversations et un grondement de roues de chariots sur les pavés, elle sentit son regard être attiré vers les denrées aux odeurs appétissantes étalées sur les stands et la devanture des magasins. La salive lui monta à la bouche. Depuis combien de temps n'avait-elle pas mangé ?
Comment était-elle seulement arrivée à la Forteresse Oubliée ? Et depuis combien de temps ? Elle ne savait plus. Elle avait marché longtemps, mécaniquement, comme si son esprit s'était endormi dans son corps pendant son voyage. Ses pas avaient fini par la guider entre les mondes par des passages oubliés, et, sans même s'en rendre compte, ni savoir comment, elle avait fini par passer sous une arche de briques et échouer ici.
Son cœur l'avait-il guidée jusque là ?
« Il faut que je trouve Aeris... » marmonna-t-elle entre ses dents.
Elle devait la trouver. Elle pourrait l'aider.
Kairi continua à avancer jusqu'à atteindre l'ouverture d'une rue plus calme qui menait droit à une petite place, s'éloignant de la foule et des regards curieux. Effectivement, la place était déserte. C'était un carré de dalles et de plates-bandes dont les fleurs perçaient timidement l'herbe encore rase, encadrée par quelques maisons s'élevant sur un ou deux étages de façades claires ornées de tuiles et volets colorés. Un endroit coquet et chaleureux, qui conviendrait tout à fait pour une pause. Même la fontaine en ruines au centre de la place, entourée de barrières de chantier, avait un aspect pittoresque. Des bruits de chantier lui parvenaient en fond sonore, provenant des maisons proches. Il était vrai que ces dernières avaient l'air fraîchement (re)construites.
La jeune fille s'avança et s'installa sur l'un des bancs de bois autour de la fontaine, soulagée de pouvoir enfin reposer ses jambes exténuées. Elle regarda autour d'elle, intriguée. L'endroit lui paraissait curieusement familier, mais elle était certaine de ne jamais être allée dans cette partie de la ville.
« Excusez-moi, mademoiselle ? »
Oh, quelqu'un l'appelait. Kairi tourna la tête et découvrit une vieille femme vêtue de vêtements rapiécés, tenant une grande cruche d'eau, qui la regardait d'un air inquiet.
« Est-ce que vous vous sentez bien ? Pardonnez-moi, mais vous avez l'air d'avoir du souci... »
Kairi sourit et hocha la tête.
« Ne vous inquiétez pas pour moi, madame. »
La vieille dame fronça les sourcils, puis lui tendit lentement la cruche d'argile.
« Est-ce que vous voulez un peu d'eau ? Je viens d'aller la chercher à la fontaine, un peu plus loin. Elle est bien fraîche. Vous avez l'air d'en avoir bien besoin.
-Je... »
Kairi regarda l'eau limpide qui brillait doucement sous la lumière du matin, et sentit soudain une soif terrible brûler sa gorge. Elle tendit les mains vers la cruche d'eau.
Quand la première gorgée coula dans sa gorge, elle se sentit revivre.
Quand elle abaissa finalement la cruche, complètement désaltérée, elle constata que le volume d'eau avait diminué de moitié et grimaça. Elle releva la tête, prête à proposer à la vieille dame d'aller lui remplir la cruche, et constata avec perplexité que cette dernière n'était nulle part en vue.
Ah, non elle était là. La porte d'une maison aux volets bleus et aux fenêtres garnies de fleurs, s'ouvrit pour laisser passage à la vieille femme, cette fois avec une assiette à la main.
« Il me semblait bien que vous en aviez besoin, remarqua-t-elle à la vue de la cruche d'eau à moitié vide. Tenez. Vous semblez avoir grand besoin d'un peu de nourriture, aussi. Je suis navrée de ne pas avoir grand-chose d'autre à vous proposer. Mais si vous le souhaitez, je me rends au marché dans la matinée. Nous pourrions peut-être acheter de quoi faire un bon repas ? »
Un gros morceau de cake à la viande et aux olives trônait sur l'assiette que Kairi accepta avec un remerciement, et elle sentit à nouveau la salive lui monter à la bouche.
Le cake était délicieux, et elle dut prendre sur elle pour ne pas l'engloutir en trois bouchées. Quand les dernières miettes eurent disparu de l'assiette, elle remercia chaleureusement la gentille vieille dame qui s'était assise à côté d'elle et lui offrait un sourire avenant.
« Mais de rien, mon enfant, lui répondit-elle, l'air sincère. C'est normal après tout. Tout le monde est dans le besoin après cette épouvantable catastrophe, et il est important qu'on se soutienne les uns les autres. »
Elle s'interrompit et la regarda d'un air songeur.
« Il est vrai que tu as l'air jeune. Tu devais être bien petite quand la catastrophe est arrivée. Voyons voir... » La vieille dame se renfonça contre le dossier en bois du banc, les yeux dans le vague. Kairi pouvait presque voir les images défiler devant ses yeux, ramenées des tréfonds de sa mémoire. « Ça doit bien faire dix ans maintenant ? C'est arrivé si rapidement...
-Oh... vraiment ?
-Oui, je m'en souviens encore, quoique mes souvenirs deviennent de plus en plus vagues avec le temps. Le monde a basculé en quelques jours. Des jours terribles. Cela dit, quelque chose de malsain flottait déjà dans l'air dans les mois qui précédèrent la catastrophe. »
La vieille dame soupira.
« J'ignore les causes de cette horrible tragédie, mais nous avons tout perdu ce jour-là. Nos familles, nos foyers, notre ville tout entière... Ma petite-fille a disparu pendant la catastrophe, et je ne l'ai plus revue... »
Elle soupira à nouveau, l'air soudain bien plus âgée. Kairi la regarda avec pitié, songeant qu'elle devait lui donner au moins quelques paroles de réconfort, mais la vieille dame reprit la parole.
« Mais c'est du passé, maintenant, dit-elle en lui tapotant la main. Et on en est bien content. La vie reprend comme jadis, lentement mais sûrement. C'est ce qui compte... La ville commence même à reprendre son apparence d'autant. Oh, mais c'est vrai que tu devais être trop petite pour t'en souvenir. Dis-moi, jeune fille, est-ce que ça t'intéresserait de venir voir quelques photos qu'il me reste des jours heureux d'avant la tragédie ?
-Oh ? J'accepte avec plaisir, madame », répondit Kairi après une seconde d'hésitation.
Il était vrai qu'elle avait décidé d'aller voir Aeris, mais ça pouvait attendre encore un peu, non ? Elle était curieuse de voir comment était la cité dans sa gloire passée. Et la vieille dame avait l'air ravi d'avoir trouvé une interlocutrice qui s'intéressait à ce qu'elle avait à raconter. Et puis, elle lui devait bien ça, après sa générosité.
Kairi la suivit dans sa maison, une bicoque au plancher grinçant dont l'unique pièce au rez-de-chaussée était éclairée par la lumière du matin entrant à flot par les carreaux. Alors que la vieille dame farfouillait en marmonnant dans les tiroirs d'un vieux meuble, la jeune fille regarda autour d'elle, intriguée. C'était une maison coquette, avec sa longue table de bois sombre recouverte d'une nappe à carreaux, sur laquelle reposait encore le plat à cake près d'une pile de vaisselle fraîchement lavée et d'un vase dont le bouquet coloré émanait un doux parfum. Un gros chaudron vide et astiqué était suspendu dans une cheminée vide. Une paire de vieux fauteuils à l'aspect usé mais confortable occupaient un coin sur un tapis épais.
Cet endroit, étrangement, ne lui semblait pas inconnu.
« Ah, les voilà... »
La vieille dame revint vers elle, tenant serrée dans sa main une poignée de photos aux bords irréguliers et aux couleurs fanées.
« Celle-ci, commença-t-elle immédiatement, a été prise par mon mari il y a très longtemps, du haut des remparts ouest. »
La photo qu'elle lui montrait était magnifique, malgré ses couleurs éteintes par les années. Une cité immense et prospère, regorgeant de mille couleurs, illuminée par la lumière du matin sous un ciel d'un doux mauve, se dressait sur le papier et Kairi laissa échapper une exclamation de surprise. Il était vrai qu'elle reconnaissait dans cette photographie la cité actuelle, mais la cité d'antan était bien plus lumineuse, bien plus magnifique et pleine d'espoir. Le palais en son centre en était beaucoup plus avenant, n'ayant pas été souillé par Maléfique et sa bande. Une cascade coulait de sa colline. Et en arrière-plan, des lacs et des montagnes s'étendaient jusqu'à l'horizon.
« N'est-elle pas magnifique ? commenta la vieille dame d'un ton ému. Et c'est comme ça, ma fille, que la ville redeviendra quand les réparations seront achevées. » Elle mit la photo de côté et découvrit la suivante, présentant une grande place à plusieurs étages où de multiples fontaines coulaient d'un palier à l'autre dans de grands bassins blancs, et dont les murs étaient occupés par du lierre de différentes teintes de vert. « La place des fontaines près du quartier des Colombes... Une vraie merveille. J'emmenais souvent ma petite-fille s'y promener. »
Kairi la laissa lui montrer et commenter les différentes photographies, toutes plus belles les unes que les autres, se plongeant elle aussi dans leur contemplation. Cela eut le don de la distraire de sa situation présente, du moins jusqu'à ce qu'une des images ne la poignarde en plein cœur.
« Ah... » La vieille dame semblait peinée. Elle ne s'était apparemment pas attendue à tomber sur cette photographie, elle non plus. « Oui, j'avais oublié celle-ci. Je la croyais perdue avec toutes les autres... C'est ma petite-fille, Kairi. Elle a... disparu lors de la tragédie. »
Kairi regarda en silence la petite fille dans une robe blanche à motifs violets, le visage rayonnant de candeur encadré par de courts cheveux roux, tenant un bouquet de fleurs dans la main gauche, posant sous le soleil lumineux devant une fontaine, près d'un jardin fleuri.
Elle avait envie de pleurer. De joie, peut-être ? Non, elle n'avait pas seulement envie. Elle pleurait, réellement. Elle sentait quelque chose d'humide glisser sur ses joues. Elle se laissa aller dans l'étreinte réconfortante de la vieille dame, et ferma les yeux.
« Je sais, mon enfant, soupira cette dernière en lui frottant le dos. C'est difficile. Je ne connais pas ton histoire, mais je suppose que toi aussi, tu as dû perdre des gens qui comptaient pour toi... Mais ne perds pas espoir : tout n'est pas terminé. Je suis sûre que tu les retrouveras. Ça va bien se passer. Tu verras. »
Sans répondre, Kairi serra sa grand-mère dans ses bras. Elle songea vaguement à révéler son identité, mais que se passerait-il alors ? Elle ne pouvait pas rester là. Elle avait une quête à achever. Mais peut-être... un jour...
Kairi s'essuya ses larmes d'un revers de main puis se recula sous le regard compatissant de la vieille dame. Elle lui sourit.
« Merci, madame. Je vais devoir y aller, maintenant. J'ai... des gens à retrouver.
-Bien sûr, répondit sa grand-mère en hochant la tête. Va retrouver tes proches, ma fille. Je suis sûre qu'ils t'attendent avec impatience.
-Oui... Mais je reviendrai, je le promets, s'écria Kairi avec un nouvel enthousiasme. Quand je les aurai retrouvés, je reviendrai.
-Bien entendu. Et j'aurai hâte d'entendre toutes tes aventures, répliqua tranquillement la vieille dame en rangeant ses photographies. J'espère que tu trouveras ce que tu cherches. »
Kairi eut un sourire rayonnant. Elle ne pleurait plus. Elle se sentait en paix.
« J'en suis sûre. »
Quelques heures plus tard, alors qu'elle se désaltérait à une fontaine, Kairi découvrit un cheveu roux dans sa chevelure sombre.
