Chapitre publié le 18 septembre 2022.
Chapitre 34 : Le trio des Îles
Un silence solennel planait autour d'eux. Des volutes de Ténèbres les enserraient tout en paraissant contradictoirement lointaines, s'étiolant en une myriade de couleurs éthérées qui formaient tout un monde et un passage entre les mondes. Tous deux étaient perdus au sein de cet univers à l'écart du temps, petites silhouettes en manteau noir se faisant face dans les coulisses des univers.
Je n'arrive pas à croire... C'est Riku ! J'ai tant cherché, et enfin... !
Kairi ne pouvait ôter ses yeux du garçon étrangement silencieux qui se tenait devant elle, s'abreuvant de tous ses détails. Ses longs cheveux argentés, qui avaient toujours été très beaux, cascadaient avec une grâce irréelle autour de son visage, se mariant avec les tons sombres de son manteau quoiqu'elle discerna la fadeur de la saleté de plusieurs jours passés sur les routes entre les mondes. Il portait toujours le même bandeau noir sur les yeux que la dernière et seule fois où elle l'avait croisé, mais cela n'enlevait en rien le fait que c'était Riku, bien qu'il lui donnait l'air tristement lugubre, et beaucoup plus mature que l'adolescent bravache qu'elle avait connu il y avait un an.
Elle n'arrivait pas à y croire... ça lui suffisait à chasser de ses pensées la douleur qui alourdissait toujours ses membres. Elle voulait se jeter sur lui, l'enserrer de ses bras et ne pas le lâcher pour être sûre qu'il ne soit plus jamais séparé d'elle.
Elle ouvrit la bouche, mais il lui coupa l'herbe sous le pied.
« Est-ce que tu es Naminé ? »
La question la prit au dépourvu le temps qu'elle se souvienne qu'elle ne possédait pas exactement l'apparence de Kairi. La réalisation que cela pouvait donc signifier que Riku ne connaissait pas Naminé, cette fille qui restait avec Sora, et qu'il y avait peu de chance qu'il ait lui aussi des nouvelles de Sora, s'installa dans le décor de ses pensées et son cœur se serra légèrement, à peine. Leurs retrouvailles étaient bien trop heureuses.
Kairi secoua la tête.
« Non... dit-elle d'une voix étranglée, un peu désappointée mais surtout submergée par l'émotion. Je...
-Mais tu n'es pas Xion. Je le sais. Même si je ne sais pas depuis combien de temps.
-Non ! » Quelle aubaine ! Peut-être que Riku croirait son histoire plus rapidement que ce qu'elle commençait à redouter, finalement. Hé oui, par quel bout était-elle censée commencer alors que ce qu'elle souhaitait plus que tout, c'était écouter celle de son ami, connaître les embûches qu'il avait connues depuis qu'ils s'étaient quittés aux confins des mondes – non, qu'elle l'y avait entraperçu, de l'autre côté de la porte vers le Domaine des Ténèbres – non, depuis le début, depuis le moment où les Ténèbres avaient frappé leur foyer.
« Non ! C'est moi, Kairi ! »
Il demeura silencieux, la fixant sans bouger. Bien qu'elle ne pouvait voir ses yeux, elle savait qu'il l'observait. Il ne la croyait pas encore, sans pour autant rejeter ouvertement sa déclaration. Elle s'y était attendue et secoua à nouveau la tête.
« Je sais que c'est difficile à croire, mais c'est vraiment moi. C'est très... compliqué à expliquer.
-Peux-tu essayer ?
-Oui. » Elle hocha la tête et tritura une de ses mèches noires, réfléchissant. « Ça me fait penser à comment tu te méfiais tellement de moi, quand on étaient petits. Tu sais, quand j'ai été adoptée par le maire. A ce propos, j'ai enfin découvert pourquoi, ajouta-t-elle soudainement, son visage s'illuminant. J'avais compris que mon monde d'origine avait dû être englouti par les Ténèbres quand j'étais toute petite, mais maintenant je sais que je viens de la Forteresse Oubliée... tu sais, le monde où tu restais avec Maléfique. »
Elle avait dit ces derniers mots sur le ton de la plaisanterie pour en atténuer le coup, mais elle sut qu'il avait tressailli intérieurement même s'il n'en montra rien.
« Comment l'as-tu découvert ? dit-il d'un ton neutre. Tu t'es souvenue de vieux souvenirs ?
-Un peu, mais surtout, j'ai rencontré une vieille dame près d'une fontaine. Un peu comme les enchanteresses dans les contes. Elle m'a montré des photos d'avant la catastrophe, de sa famille, et j'en faisais partie. Mais ce n'est pas important pour le moment. Ce que je voulais dire, c'est qu'à cette époque, tu ne m'aimais pas beaucoup, je crois. Sora... tu sais comment il est, il est ami avec tout le monde et met son nez partout. Toi, tu traînais derrière lui d'un air bougon quand il venait me parler, rit-elle avec sincérité. Avoue-le, t'étais juste jaloux que ton meilleur ami s'intéresse à quelqu'un d'autre.
-Tu as toujours le don de nous piquer au vif, laissa échapper Riku avec un drôle de soupir mi-amusé mi-exaspéré, perçant enfin l'armure de méfiance et de prudence qu'il n'avait cesser d'arborer. Ça au moins ça n'a pas changé.
-Hé, alors tu me crois ! »
Il hocha la tête, redevenant grave.
« J'ai vu en toi celle que tu étais réellement. »
Kairi comprit ce qu'il voulait dire et sourit.
« Merci, Riku. »
Le silence retomba brièvement, plus détendu que précédemment. Elle se demanda s'il le prendrait mal si elle se jetait dans ses bras. Il n'avait jamais été guère démonstratif, mais elle en avait quand même vraiment envie.
« Mais j'aimerais vraiment savoir ce que tu fais ici, continua-t-il. Et pourquoi as-tu cette apparence ?
-Quoi, déjà ? Tu me demandes même pas si je vais bien ? Aux dernières nouvelles, tu m'avais pas kidnappée pour ouvrir la Porte des Ténèbres ? »
Elle croisa les bras, feignant le mécontentement, et jura voir ses joues de colorer d'un rose embarrassé même s'il garda contenance.
« Je...
-T'inquiète, je plaisantais ! Mais si tu veux que je te pardonne, t'as intérêt à me raconter tout depuis le début ! » Elle tendit un index menaçant dans sa direction. « Et je le saurai si tu mens ou si tu omets des choses ! »
Il acquiesça avec un sérieux qui la fit sourire.
« Très bien, je te dirai tout. Mais j'aimerais d'abord entendre ton histoire », insista-t-il, pas désarçonné le moins du monde.
Les mains sur les hanches, Kairi soupira.
« J'espère que tu n'es pas pressé alors. »
Et elle avait déjà raconté cette histoire à Léon et aux autres, si bien que les mots lui vinrent presque machinalement, mais elle s'aperçut qu'elle ne prenait aucune impatience à cette expérience. Elle pouvait profiter de leur familiarité pour ajouter les détails sur lesquels elle ne s'était pas attardée avec les autres : la douleur qu'elle avait connue avec sa disparition, ses souvenirs de Sora qui lui étaient revenus, sa détermination à partir les retrouver.
Quand elle en arriva à sa rencontre avec Yeul, Riku opina.
« Tu la connais ? demanda Kairi, intriguée.
-Ce nom m'est familier mais non, je ne la connais pas. Je l'ai sans doute entendu à l'école. Je crois que j'ai compris quelque chose, cela dit. Continue ton histoire, s'il te plaît. »
Quand elle expliqua comment Yeul l'avait fait voyager en l'envoyant dans le corps d'une fille censée se trouver près de Sora, Riku frémit comme s'il contrôlait à grand-peine son agitation. Il l'écouta ensuite attentivement quand elle lui raconta sa vie dans l'Organisation, lui posant même quelques questions sur les détails de ce qu'elle avait vu, choses qui semblaient de peu d'importance pour elle mais qui paraissaient terriblement cruciales à ses yeux. En revanche, quand elle décrivit ce qu'elle avait découvert au Manoir Oblivion, il n'eut aucune réaction et elle reprit l'espoir qu'il ne fut pas réellement ignorant de la condition de Sora.
« … et puis j'ai décidé de venir explorer la Forteresse parce que Léon et les autres disaient qu'ils y avaient vu des personnes en manteau noir qui y rôdaient. Je pensais que c'était l'Organisation qui cherchait peut-être Sora, alors comme c'était ma seule piste...
-Ce n'est rien de la sorte, dit doucement Riku. Je sais de source sûre que les sous-sols secrets de la Forteresse abritent une machine permettant de fabriquer des Sans-cœurs artificiels. »
Kairi écarquilla les yeux.
« Quoi ? C'est possible, une chose pareille ? Mais qui l'a construite ?
-Les fondateurs de l'Organisation eux-mêmes, dit sombrement Riku. C'est pour ça que...
-... que les Sans-cœurs continuent de se multiplier même depuis l'échec d'Ansem ! termina Kairi. Les autres avaient raison ! Ils sont vraiment responsables du chaos actuel, en plus d'être responsables de ce qui est arrivé à Sora.
-Exactement. » Le visage sombre, Riku baissa la tête. « Je viens ici de temps en temps pour tenter de filer l'Organisation et de retrouver leur repère, ou du moins l'emplacement de cette machine, mais ils se sont montrés plus malins jusqu'à présent. Je n'ai pas pu protéger Sora et c'est en me cherchant qu'il est tombé dans leur piège, alors c'est le moins que je puisse faire. »
Kairi posa une main réconfortante sur son bras.
« Ne dis pas des choses pareilles. »
Il ne répondit pas et elle soupira ostensiblement.
« Et puis, maintenant que je suis là, on va se tenir les coudes ! A deux, ils pourront plus nous arrêter, tu verras. »
Cela lui tira une ombre de sourire.
« Dis-moi, Kairi... Depuis combien de temps as-tu changé de corps ?
-Oh euh... » Elle fit de son mieux pour se rappeler. « rois mois ?
-Deux mois... ça correspond à... C'était donc pour ça qu'elle était tombée dans le coma ? murmura Riku, plongé dans des réflexions qu'elle ne comprit pas.
-Euh... Riku, tu parles de quoi, là ?
-Je te raconterai. » Sa bouche esquissa un sourire quand elle fronça les sourcils, appréciant peu ses airs de secret. « Je suis content que tu ailles bien, Kairi.
-Je te le fais pas dire. Ça a pas été de tout repos, de vous courir après. Moi aussi, je suis soulagée que tu sois revenu dans le Domaine de la Lumière. Comment as-tu fait d'ailleurs ? Et pourquoi est-ce que tu portes un bandeau ? »
Il hésita.
« C'est... compliqué. Je te raconterai en chemin.
-Hmm... »
Kairi le jaugea. Il semblait si mature comparé à la dernière fois qu'elle l'avait vu. Où était passé le garçon arrogant et joueur qui narguait Sora sur ses compétences de coureur et de combattant et prenait plaisir à tenter de l'impressionner comme si elle n'avait rien remarqué ?
« Tu m'impressionnes, dit-il soudain, comme un écho contraire de ses pensées. Je dois dire que je ne m'attendais pas à te voir... ici. Je ne t'imaginais pas t'infiltrer dans l'Organisation comme ça.
-Qu'est-ce que tu veux dire ? fit semblant de s'offusquer Kairi. Que j'étais juste capable de vous attendre bien tranquillement à la maison ?
-Non, je... Je ne voulais pas dire...
-Hé oui ! J'en avais assez de tourner en rond sur les Îles, déclara Kairi en posant les mains sur les hanches. Pourquoi vous les garçons seriez les seuls à avoir droit à une aventure ?
-Tu sais que ça n'a rien d'amusant, ce à quoi on fait face ?
-Tu crois pas que je suis bien placée pour le savoir, maintenant ?
-...Oui. Tu as raison. » Il la dévisagea. « Je ne comprends pas pourquoi tu as atterri dans le corps de Xion, cependant. Pourquoi ?
-Yeul disait que c'était une alliée qui restait près de Sora.
-Elle a dû confondre avec Naminé. Ou alors... ou alors son sortilège n'a pas fonctionné comme prévu.
-Naminé ? Ah mais oui ! » Ça prenait enfin tout son sens. Évidemment que cette Naminé était celle qu'elle aurait dû rejoindre ! « Riku, tu la connais alors ?
-Si l'existence de Xion a interféré, murmura Riku, plongé dans ses pensées, et qu'elle s'est rajoutée à l'équation, alors ça explique pourquoi c'est elle qui a été poussée dans le corps de Naminé. Ce qui signifie... puisque c'est censé être un échange... que Naminé est... »
Il s'interrompit et Kairi ouvrit de grands yeux quand elle comprit immédiatement la même chose que lui.
« Attends... Cette Naminé s'est retrouvée dans mon corps, finalement ? C'est ça ?
-Je n'en suis pas encore sûr, mais d'après ce que tu m'as dit, ça semble logique. Mais tu n'as pas à t'inquiéter. Naminé est... digne de confiance.
-Hé bah j'espère bien ! Je lui ai quand même fait cadeau de mon corps ! » Kairi grimaça et redevint sérieuse. « La pauvre... J'espère que Yeul lui a tout expliqué. Mais du coup, tu la connais ?
-Oui. » Riku acquiesça. « C'est une Simili, comme les gens de l'Organisation. Tu sais ce que c'est ?
-Oui, ils ont perdu leur cœur aux Ténèbres. Mais...
-Elle possède des pouvoirs étranges, ceux de manipuler les souvenirs par exemple. L'Organisation l'utilisait pour ce pouvoir, mais pour une raison ou une autre, elle les a quittés. Je pense que Sora n'y est pas étranger. »
Kairi sourit.
« Oui, moi aussi.
-Maintenant, elle veille, ou plutôt, veillait sur Sora et travaillait à lui rendre la mémoire.
-Sora ! Est-ce que... est-ce que tu sais où il est ? »
Après une demi-seconde à redouter le pire, son cœur s'allégea considérablement quand Riku hocha la tête.
« Oui.
-Oh mon dieu. »
Elle eut besoin d'un moment pour se reprendre et s'empêcher de sauter sur Riku.
« Je n'arrive pas à y croire, répéta Kairi. J'ai enfin... enfin... après tout ce temps ! Tu... tu peux m'y emmener ?
-Bien entendu. »
C'était si simple. Pourquoi était-ce si simple ? Dire que dix minutes plus tôt, elle croyait ses espoirs vains et elle-même perdue.
Elle ne put résister plus longtemps. L'air fut éjecté de ses poumons quand elle se jeta littéralement au cou de Riku – il avait trop grandi et la dépassait d'une bonne tête à présent. Enroulant ses bras maladroitement autour de ses épaules, elle enfouit sa tête dans sa poitrine. Riku parut un peu pris au dépourvu, mais finit par retourner le geste tout aussi maladroitement, fort contraste avec les airs d'adulte qu'il arborait à présent.
« Je suis contente, renifla Kairi. Tu sais, sur les Îles, tout le monde croyait que tu étais mort. Je savais que ce n'était pas le cas ! Mais au bout d'un moment, je commençais à avoir peur d'en douter, moi aussi.
-Je ne suis pas mort, confirma Riku. Et c'est grâce à Sora. Sans lui...
-Moi aussi, sans lui... » Elle soupira et se détacha de son vieil ami. « Maintenant, c'est à notre tour de le protéger, n'est-ce pas ? »
Riku acquiesça.
« Alors conduis-moi à lui. »
Le voyage fut long à travers les couloirs immuables entre les mondes, mais elle ne vit honnêtement pas le temps passer. Elle était bien trop occupée à le harceler de questions sur ses longues aventures.
« Pourquoi tu t'es retrouvé avec Maléfique, au fait ? Je croyais que t'avais réussi à retrouver Sora assez tôt.
-Ah, tu es au courant ? » Il paraissait gêné d'évoquer cette partie de son passé, mais elle était décidée à entendre toute la vérité.
« Oui. Comme j'étais... comme mon cœur s'était réfugié dans celui de Sora, j'ai pu voir certaines parties de son aventure par ses yeux, avoua-t-elle. C'est pas très clair, un peu brumeux comme dans un rêve, surtout que je me rappelle pas encore tout par rapport à lui, mais parfois, je me souviens de certaines choses. »
Riku demeura silencieux quelques secondes, pendant lesquelles elle le dévisagea curieusement. Il était vraiment différent du Riku qu'elle avait connu avant la tragédie s'étant abattue sur les Îles.
« Je ne peux pas enjoliver ça, malheureusement, soupira-t-il finalement. En fait, je crois que j'étais juste jaloux, comme tu disais. Il s'était retrouvé une petite équipe si facilement...
-Donald et Dingo ?
-C'est ça. J'étais en colère parce que je croyais qu'il nous avait remplacés et qu'il n'en avait plus rien à faire d'essayer de te retrouver – mais je savais bien au fond de moi qu'il n'en était rien. J'étais simplement... jaloux.
-Je suppose que rester avec Maléfique n'aidait pas, surtout !
-Non, mais ne me donne pas trop de crédit. Je sais ce que j'ai fait. »
Kairi resta à son tour un moment silencieuse puis osa poser la question qui lui tenait à cœur.
« Et Ansem ? »
Un soupir.
« Il est venu à moi quand j'étais dans un grand moment de faiblesse et de rage. Sora venait de prouver qu'il était plus digne de la Keyblade que moi... et je n'arrivais pas à admettre que je m'étais trompé depuis le début. Il m'a proposé de l'aide et... après ça, je... »
Il ne semblait pas pouvoir continuer et Kairi lui tapota le bras d'un geste de réconfort.
« D'accord. Ne t'en fais pas, j'ai compris. »
Les halls intermondes étaient silencieux et déserts. Ils ne décelèrent pas l'ombre d'un Simili. De toute manière, elle n'était plus seule à présent. Tout irait bien. La détermination euphorique qui l'emplissait rendait ses pas légers et lui redonnait toute sa bonne humeur sévèrement entamée par ses pérégrinations récentes. Elle eut envie de le taquiner encore un peu.
« Alors, qu'est-ce que c'est, ce bandeau ? Ça te donne un de ses airs lugubres... »
Tout en marchant, il détourna brusquement la tête, comme ne supportant plus qu'elle le dévisage.
« J'ai réussi à revenir de notre côté, expliqua-t-il, la mâchoire serrée, mais pas indemne.
-Qu'est-ce que tu veux dire ? S'inquiéta Kairi en le parcourant du regard de haut en bas. Il ne portait pourtant pas de signe de blessure.
-Ce n'est pas mon corps qui est touché, mais disons, mon âme, dit-il très sérieusement. J'ai erré dans les Ténèbres pendant très longtemps. Je ne sais même plus si j'étais parfaitement conscient. Je ne sais pas comment ni quand ça s'est passé, mais j'ai fini par me retrouver dans les sous-sols du Manoir Oblivion.
-Tu as utilisé un Couloir des Ténèbres ?
-Au début je pensais qu'il s'agissait d'un passage naturel. Le Manoir Oblivion est un monde à la frontière du Domaine des Ténèbres. C'est sans doute pour cela que je m'y suis retrouvé. Une chance immense, je pensais. Il est impossible de retrouver son chemin autrement que par la grâce du hasard quand on se retrouve là-bas. J'aurais pu tout aussi bien y errer pour toute l'éternité.
-Je me demande si c'était vraiment dû au hasard... Maintenant que je suis de retour... même si Ansem est vaincu, je crois que... Écoute, Kairi, ça reste entre nous pour l'instant, d'accord ? »
Kairi hocha la tête.
« … je crois qu'Ansem est toujours là. Avec moi.
-Tu veux dire... tu l'entends te parler ? »
Riku grimaça.
« Je... je crois. Ce n'est peut-être que mon imagination, mais... il reste une ombre dans mon cœur, et je crois... je crois que j'en ai un peu peur.
-Mais... » Kairi fronça les sourcils puis reprit d'un ton compatissant. « Tu es sûr que ce n'est pas ton imagination, justement ?
-Je ne pense pas. Après tout, comment ça se fait que je peux toujours utiliser ses pouvoirs ? »
Riku continua. Sa voix tremblait légèrement, comme sous le coup d'une émotion difficilement contenue.
« J'ai toujours accès à ses pouvoirs, Kairi. Je le sens toujours au plus profond de moi. Me bander les yeux me permet de me recentrer sur moi-même, et donc, de le garder là, au plus profond. Mais quand je ferme les yeux, parfois... » Il inspira et expira profondément et refusa de continuer.
« C'est pour ça que tu ne t'es pas manifesté depuis que tu es revenu ? devina Kairi à voix basse. Que tu n'es jamais passé me faire un signe, n'importe quoi qui m'aurait indiqué que tu étais en vie ? »
Riku hocha brièvement la tête, toujours en évitant soigneusement son regard, et elle crut sentir sur sa peau la chaleur de sa honte.
« Je... suis désolé pour ce que je t'ai fait, quand j'étais... non, je ne peux même pas dire « possédé ». Avant ça, aussi. Je... je n'ai aucune excuse. »
Un silence ponctua ses paroles. Kairi appréciait ses excuses, quoiqu'elle ne lui tenait pas rigueur de ses agissements de l'année passée. Cela dit, elle aimerait le réconforter, mais n'était pas certaine de pouvoir trouver les mots.
Elle décida de tenter une plaisanterie sans aucun doute maladroite.
« Il n'y a pas que ça dont tu devrais t'excuser, dit-elle d'un ton faussement sévère. Qu'est-ce que c'était que ça, l'autre jour ? Quand tu m'as attaquée dans le Château de la Bête ? »
Il se figea, se remémorant soudainement ce qu'elle venait d'évoquer.
« Je... Mais oui, c'était toi, ce jour-là... Je suis vraiment désolé, Kairi. Je croyais que...
-... que j'étais Xion, compléta-t-elle. Je comprends. C'est donc une adversaire redoutable ?
-Ce n'est pas vraiment ça. » Il soupira et elle sentit le poids de ses tourments dans ce soupir. « Je ne voulais pas en arriver là, crois-moi... Mais je devais les récupérer... Roxas et Xion... ils sont essentiels. »
Sa réponse la gêna sans qu'elle ne voulut en comprendre la raison. Ou du moins la reconnaître. C'était de kidnapping dont parlait Riku.
« Hé bien, tu m'avais pas fait de cadeau sur ce coup-là, reprit-elle néanmoins. Je n'aimerais pas être ton ennemie ! »
Riku a changé. Elle l'avait dit à Sora peu avant la catastrophe. Et il avait de nouveau changé, elle en réalisait peu à peu toute l'ampleur. Une grande tristesse lui serra le cœur, avant qu'elle ne se décide à la mettre de côté. Non. C'était le jour de leurs retrouvailles.
« Tu es devenu très fort.
-Toi aussi, Kairi. Surtout toi. »
Quand ils quittèrent le Couloir, les Ténèbres se dissipèrent sur un ciel aux premières couleurs du crépuscule qu'elle reconnut aisément.
« Ce serait pas...
-C'est la Cité du Crépuscule. »
Elle avait eu raison mais le ciel et l'atmosphère apaisée avaient été ses seuls repères. Nulle maison en vue, seulement des arbres dans toutes les directions vers lesquelles elle se tournait. Une forêt aux feuillages bas formant des arcs au-dessus de leur tête, un épais tapis d'épines étouffant leurs pas.
« On est dans la forêt à côté de la ville ?
-Oui.
-Et Sora ?
-Par ici. »
Kairi lui emboîta le pas, fébrile d'impatience. Elle n'arrivait pas à y croire. Elle était passé tant de fois dans ce monde, sans jamais soupçonner que celui qu'elle cherchait depuis le début y avait toujours été. Là, dans ces bois endormis, à quelques pas d'elle.
Bien vite, les arbres s'éclaircirent jusqu'à disparaître brutalement en une petite pelouse que venait couper une haute muraille d'une pierre d'un brun rougeâtre. En son centre, un haut portail de fer forgé révélait, derrière ses barreaux, une cour envahie par les mauvaises herbes qui grignotaient peu à peu les vestiges de colonnes décoratives désormais effondrées. Et au-delà, un manoir aux allures inhabitées avec ses fenêtres sombres se dressait encore fièrement sous le ciel crépusculaire, son toit à peine dégarni d'une poignée de tuiles et ses vitres encore intactes.
« Est-ce que c'est ici que tu habites, maintenant ? demanda-t-elle. C'est un sacré changement des petites maisons de l'Île.
-Parfois. Presque personne ne connaît l'existence de cette demeure, et à part quelques enfants se promenant dans la forêt, personne n'est jamais venu nous déranger.
-Hmm... Elle n'est pas hantée au moins ?
-Non. » Il eut un petit sourire. « A part par notre... bienfaiteur.
-Votre bienfaiteur ? » répéta-t-elle mais le grincement strident du portail quand Riku le poussa masqua ses paroles.
Quand ils s'avancèrent vers la lourde porte aveugle sous le porche, elle eut la distincte impression d'être observée. En levant les yeux vers les fenêtres masquées de lourds rideaux gris, elle crut apercevoir une silhouette sombre derrière l'un d'eux. Mais elle était avec Riku, alors elle était confiante que tout irait bien.
La porte s'ouvrit sur l'ambiance feutrée d'un très grand hall qui avait dû montrer grande opulence plusieurs décennies plus tôt, mais n'était guère plus qu'une grande pièce sombre et vide, dont les quelques meubles poussés contre les murs étaient envahis par la poussière. Ses yeux furent immédiatement attirés par l'imposant lustre d'un métal terni écrasé au sol dans un coin, ses lanternes brisées ou couvertes de crasse.
« Nous préférons ne pas donner l'impression que ce manoir est habité, expliqua Riku en suivant son regard. Il nous a dit de le laisser tel quel. »
Plusieurs portes donnaient sur le hall, dont une baie vitrée tout au fond ouvrant sur un jardin arrière envahi par des bosquets sauvages, mais Riku se dirigea vers l'imposant escalier central montant à l'étage. Leurs pas ne faisaient aucun bruit, et elle en était ravie. Elle aurait eu l'impression de perturber la sérénité un peu dérangeante qui stagnait dans ce lieu.
« Il n'y a personne ? murmura-t-elle.
-Notre bienfaiteur... l'homme qui nous a amenés ici... est là. Je sais qu'il est au courant de notre arrivée depuis le début. Il nous surveille.
-L'homme qui vous a amenés ici ? Il n'y a pas que Naminé ?
-Non, c'est... c'est compliqué. Je te le présenterai. »
Ils suivirent un couloir aux odeurs de renfermé, jusqu'à pénétrer dans une petite pièce aux murs recouverts de bibliothèques exposant de gros volumes aux couleurs ternies par la poussière et les ans. Quelques marches descendaient vers le niveau inférieur mais, à part quelques cartons entassés dans un coin, la pièce était déserte. Elle lança un regard interrogateur à Riku, puis le suivit sans discuter dans le petit escalier.
Une porte dissimulée dans l'ombre donnait sur un couloir dont les murs perdaient soudainement leur allure ancienne pour des parois métalliques qui auraient été plus à leur place dans une base militaire d'une organisation secrète et elle haussa les sourcils.
« Vous avez même toute une base secrète là-dessous ?
-Je ne sais pas comment DiZ s'est arrangé pour la faire construire, dit simplement Riku. Je crois que ça fait des années qu'il est le propriétaire de ce manoir. Il y a installé toutes sortes de machines. Je ne sais pas où il trouve toutes ces ressources. »
Ils suivirent le couloir désert en silence. Pas un bruit ne se fit entendre. Parfois, le couloir s'ouvrait sur une salle tout aussi vide et sinistre avec ses murs de métal sans fenêtre. Une volée de marches plus bas – ils devaient être plusieurs mètres sous le sol à présent – ils pénétrèrent dans une petite pièce sombre qui avait l'air d'avoir une fonction : des écrans au-dessus d'un gros ordinateur qui ne fut pas sans lui rappeler celui de Cid diffusaient une lumière bleutée et des signaux rouges et verts clignotaient paresseusement autour d'eux. L'écran principal de l'ordinateur, noir, indiquait qu'il était en veille, mais sur les autres, des données indéchiffrables étaient affichées.
« Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle, oubliant presque sa hâte initiale de retrouver Sora dans sa curiosité.
-Les machines de DiZ. » Riku avait prononcé ces mots étrangement, dévoilant son incompréhension des dispositifs installés sous leurs yeux. « Je crois qu'ils permettent de vérifier qu'il n'y ait pas de Simili dans les parages, et de mesurer le ...rétablissement de Sora. Ne touche à rien. DiZ serait furieux. »
Elle brûlait d'envie de lui demander qui était ce DiZ et pourquoi il les aidait, mais décida de remettre ses interrogations à plus tard. Elle sentait qu'ils touchaient au but.
En effet, un peu plus loin, le couloir perdit brutalement sa froideur obscure pour revêtir des murs blancs pareils à ceux de laboratoires futuristes. Il fit également beaucoup plus frais et elle réprima à grand-peine un frisson en dépit de son long manteau.
Une porte les attendait au bout du couloir, et elle hâta le pas, en accord avec l'accélération de son cœur.
Ils franchirent le seuil en retenant leur souffle et pénétrèrent dans une grande salle circulaire et haute de plafond dont les murs d'un blanc lumineux se mariaient avec le sol tout aussi blanc, si bien qu'on avait du mal à distinguer les limites exactes de cette salle. Une telle blancheur devait faire mal aux yeux, au bout d'un moment, songea-t-elle distraitement, mais à présent elle n'avait plus d'yeux que pour l'étrange dispositif que présentait la salle en son centre.
Une fleur de cristal blanc repliée sur elle-même, dressée vers le plafond. Un cocon de métal opaque protégeant en son sein un être précieux. Oublieuse du reste du monde, Kairi se dirigea droit vers lui, laissant Riku dans son ombre.
Presque imperceptible derrière le métal blanc, elle aperçut néanmoins une petite forme aux cheveux hérissés, la silhouette d'un garçon qu'elle connaissait bien. Elle s'arrêta devant la sphère, fascinée et émue par-delà les larmes.
« Je t'ai enfin trouvé. »
Elle était si heureuse qu'elle avait l'impression qu'elle pouvait en pleurer. C'était d'ailleurs le cas. Alors qu'elle posait la main sur la surface douce et curieusement chaude de la fleur, levant la tête vers le visage immobile et endormi qui se devinait de l'autre côté, des larmes de joie coulaient sur ses joues.
Après toutes ces éprouvantes semaines... après tous les dangers qu'elle avait rencontrés, toutes les incompréhensions qui l'avaient heurtée... enfin, elle arrivait à son objectif. Sora était là, sous ses yeux, uniquement séparé d'elle par cette barrière de métal et un sommeil non naturel.
Il faudrait maintenant utiliser la force pour la détacher du cocon qui abritait son ami d'enfance. Même en détourner le regard lui était impossible, comme si elle craignait que cette vision ne s'évapore, fleur et garçon pareillement, dès qu'elle la quitterait du regard, pour ne laisser qu'une pièce vide et des espoirs déçus.
« Sora est endormi depuis plusieurs mois, expliqua Riku qui l'avait rejointe sans qu'elle ne le réalise. Cette machine est censée aider Naminé à lui reconstruire ce que l'Organisation a éparpillé – ses souvenirs.
-Depuis plusieurs mois », répéta Kairi.
Sora était-il en sécurité là-dedans ? Ne risquait-il pas de mourir de faim ?
« Naminé ne faisait plus de progrès, continua doucement Riku. Parce que ce dont elle avait besoin, ce qui appartenait à Sora...
-C'est Roxas et Xion qui l'ont récupéré, n'est-ce pas ? » compléta Kairi, fixant toujours le visage de son ami. Elle apercevait à présent les rondeurs de son visage et le brun de sa chevelure.
« Oui. Roxas est son Simili, mais peut-être que tu le sais à présent. Il s'est développé à partir des vestiges de son corps quand... quand Sora est devenu un Sans-cœur. C'est tout naturel que les souvenirs de son ancienne vie affluent vers lui. Mais comme ils les retiennent otages, on ne peut plus rien faire. C'est ce que disait Naminé. »
A regret, mais sans briser le contact physique avec la fleur, sa main à quelques centimètres de celle de Sora, Kairi lui jeta un regard par-dessus son épaule.
« Mais si j'ai bien suivi, ce n'est plus Naminé qui est avec vous, n'est-ce pas ? C'est la vraie Xion. Où est-elle ? »
Riku hésita.
« On avait compris qu'elle n'était pas celle qu'elle semblait être, finit-il par répondre. Alors on l'a mise à l'écart. »
Kairi le dévisagea. Elle n'aimait guère la manière presque machinale avec laquelle il évoquait ces sujets. Comme s'il avait senti ses pensées, Riku baissa les yeux et fixa le sol.
La jeune fille se retourna à nouveau vers Sora, se désaltérant de la vision de son ami jusqu'à plus soif. Sois patient, Sora. On va te faire sortir de là. On y est presque.
Cela dit, en y repensant, elle ne l'avait pas aidé, en entreprenant sa quête.
« Il va falloir qu'on retrouve Naminé, aussi. Je pense que j'ai dû perturber son travail avec mon sortilège, réalisa-t-elle avec un pincement au cœur. Si je n'avais pas demandé à Yeul d'intervertir nos esprits, elle serait toujours ici.
-Et je doute que cela aurait changé grand chose, l'interrompit une voix semblable à un coup de tonnerre assourdi, une voix forte et autoritaire qui lui donna la chair de poule. Cette petite n'aurait pas pu se rendre utile ici ou ailleurs. »
Kairi fit volte-face, ses mains s'enfonçant dans ses poches et son esprit cherchant sa connexion mentale avec ses matérias. Un homme se tenait sur le seuil, un homme de haute taille et d'aspect sinistre avec son long manteau rouge. Même les bandelettes rouges qui dissimulaient son visage – et sans doute quelque horrible blessure – ne lui ôtaient pas l'aura de menace et d'autorité qu'il irradiait. C'était un homme habitué à se faire obéir.
Il éclata d'un rire sans joie.
« Prête à défendre ton ami, à ce que je vois. Très bien. Tu pourras nous être utile. »
Kairi cligna des yeux. Ce n'était que maintenant qu'elle réalisait avec quelle promptitude elle s'était mise en garde et la détermination de protéger Sora bec et ongles qui avait guidé ses mouvements.
« Qui êtes-vous ? » lança-t-elle d'un ton sec et défensif. Elle se doutait qu'elle ne courait aucun danger comme Riku n'avait eu aucune réaction devant l'intrusion.
« Tu peux l'appeler DiZ, dit ce dernier d'un ton neutre. C'est celui qui nous a amenés ici... notre bienfaiteur. Il est de notre côté.
-C'est effectivement le cas, intervint le nouveau venu. Ne crains pas de trahison de ma part. Je souhaite plus que tout la fin de l'Organisation, pour des raisons que je garderai personnelles. »
Elle ne put ignorer qu'il n'avait pas mentionné vouloir aider Sora. Riku, comment peux-tu être aveugle à cette aura de fureur et de soif de sang qui émane de lui ? Un coup d'œil vers son ami lui indiqua qu'il en avait sans doute conscience, justement. Mais peut-être n'avait-il pas le choix.
« Alors tu es la raison pour laquelle une ennemie s'est retrouvée dans nos rangs, dit DiZ d'un ton amusé qui ne fit rien pour la détendre.
-Je suis désolée par rapport à ça, murmura Kairi. Ce n'était pas ce que je voulais.
-Hé bien peut-être peux-tu nous aider à présent, si tu as pu arriver jusqu'ici. Nous avons Xion, grâce à toi, mais Roxas est toujours à l'Organisation. Or, les deux sont essentiels pour que le Héros de la Keyblade se réveille. »
Kairi fronça les sourcils et jeta un bref regard en arrière, vers la silhouette de son ami.
« Mais pourquoi est-ce nécessaire ? On ne peut pas juste... le réveiller comme ça ? Même s'il lui manque certains de ses souvenirs ? » Ça lui briserait le cœur qu'il ne se souvienne pas d'elle... mais...
« Non, dit DiZ d'une voix qui ne souffrait aucune contradiction. Ce ne sont pas que des souvenirs qu'il a perdus. Ce sont ses pouvoirs, des fragments de son âme. Ce serait un être brisé qui s'éveillerait... si jamais il s'éveille. Sans Naminé, c'est hors de question de tenter l'expérience.
-Mais... » Quelque chose la chiffonnait. Quelque chose qui avait commencé à l'inquiéter depuis que Riku avait parlé de kidnapper Xion et Roxas. Roxas, qu'elle considérait à présent comme un ami. « Qu'est-ce qui va leur arriver ? A Roxas et à Xion ? »
DiZ haussa les épaules avec indifférence et elle sentit son cœur se serrer.
« Ils disparaîtront. Ils retourneront à Sora et cesseront d'exister. » Son ton indifférent ne masquait pas la cruauté de ses paroles et l'envie de se rebiffer s'empara d'elle.
« Qu'est-ce que vous dites ? Vous voulez dire qu'ils vont... mourir ? »
Les yeux jaunes de l'homme la dévisagèrent avec une pointe de mépris.
« Si tu tiens à les considérer comme des êtres humains, et non comme des fragments brisés d'une vie détruite, certes. Je n'en vois guère l'intérêt, cela dit. Ils n'étaient pas censés exister, de toute manière. Ton ami, en revanche, a vu sa vie dérobée par l'Organisation à laquelle ils appartiennent. Tu ferais mieux de te rappeler de cela. »
L'indignation bouillonna en elle et elle ouvrit la bouche, prête à lancer quelque chose, elle ne savait pas encore quoi, mais refusant de laisser les paroles abjectes de cet homme planer sur eux, quand DiZ se tourna vers Riku.
« Riku. Tu arrives au bon moment. Je dois te parler. »
Sur ces mots, il tourna les talons et disparut dans le couloir, attendant visiblement que l'autre le suive. Riku laissa échapper un léger soupir dans lequel elle sentit son ressentiment.
« Je te retrouve tout de suite, Kairi. » Levant les yeux dans la direction qu'avait prise DiZ, il ajouta. « Malheureusement, on n'a pas le choix. Il possède les connaissances nous permettant de protéger Sora de l'Organisation. Sans lui... »
Il n'acheva pas sa phrase, et Kairi le regarda s'éloigner en fronçant les sourcils. Malgré son bonheur devant leurs retrouvailles, certaines choses la dérangeaient. Ce ne fut que quand elle se retourna vers Sora que son cœur s'allégea, et qu'un souvenir revint dans ses pensées.
Quand ils étaient enfants, Sora lui avait donné un petit porte-bonheur. Un coquillage qu'il avait ramassé sur la plage, nettoyé maladroitement – il restait de petits amas de sable dans ses rainures – et avait peint de toutes les couleurs avant de le lui offrir.
« Comme ça, il t'arrivera jamais rien ! Il te protégera ! » avait-il déclaré, sans qu'on sache de quels dangers il parlait.
Quelques mois plus tôt, elle lui avait rendu la pareille. Quand leurs chemins avaient dû se séparer, quand il avait dû partir achever sa tâche, la tâche que lui avait attribuée le Domaine de la Lumière, elle lui avait confié l'Eclaireuse dans la construction de laquelle elle avait mis tant de soin.
« Tu as intérêt à me la rapporter. Elle te guidera jusqu'à moi », lui avait-elle dit, sans savoir que ce serait elle, finalement, qui remonterait sa trace.
Sora n'avait rien choisi. Le Monde avait posé sur ses épaules de jeune garçon de lourdes responsabilités, la protection de milliers d'univers de tous les dangers qui guettaient dans l'ombre. Et il avait fait du bon travail.
Mais maintenant, c'était à son tour de le protéger.
« Je te protégerai, murmura-t-elle dans un souffle. Je le jure. »
Une lumière douce l'éblouit et quelque chose de chaud, comme un bol de thé brûlant dans la chaleur du foyer, caressa sa main. Quand elle baissa les yeux, sa voix se perdit. Une arme qu'elle n'avait jamais vue mais qu'elle reconnaissait reposait dans sa paume, clé géante ornée de fleurs finement sculptées.
