J'ai pris un temps infini à l'écrire.
Pourquoi les punaises de lit ? J'ai tapé "mesures préventives" sur Google et je suis tombée dessus. Je ne vis pas à Paris ou d'autres endroits concernés, donc je me suis contentée des infos gouvernementales.
Bonne lecture !
Les épidémies étaient rares à Hyrule, mais pas inexistantes. L'hiver dernier, ce fut la grippe, ce printemps ce sera les punaises de lit.
— Ne le répétez à personne, mais je préférais encore Vaati, grogna Zelda.
Entourée de son ami en quatre exemplaires, ils observaient tous les cinq le ballet frénétique de tout le personnel du château, contraint de nettoyer celui-ci de fond en comble, alors que la princesse frissonnait dans la tenue bien trop légère qui lui avait été assignée au début de l'opération de déparasitage, le temps que sa garde-robe soit traitée.
Évidemment, personne n'allait laisser la famille royale mourir d'une bronchite, et un grand brasier avait été mis en place pour réchauffer tous ceux placés à côtés, aussi bien les nobles en tenue légère, que les gardes en sous-vêtements, grelottant autour. La situation confinerait au burlesque si on exceptait les grandes envolées de linges au creux des flammes et le tambour de ville dont les échos résonnaient jusqu'à eux.
En bons petit-fils d'artisans, les Link avaient l'impression d'entendre les pleurs de tous ceux ayant participé à la réalisation des étoffes et leurs frissons n'étaient pas dus aux froids.
Tout juste sourirent–ils à la déclaration de leur amie.
Ils finirent par la quitter, mutiques et sombres, afin de retourner chez eux afin de renseigner leur grand–père sur la situation actuelle et les mesures à prendre.
Puis, ils se retrouvèrent seuls.
— On fait quoi, du coup ? Souffla timidement Red.
— C'est assez évident, non ? On imite le château, on partage les tâches et on traite la maison ! s'enflamma Green.
— Tout doux, champion, l'interpella Blue. Personne ne brûle rien ici, ou il aura affaire à moi !
Il n'en fallut pas plus pour que ces deux-là commence à s'écharper, front contre front, tels des béliers enragés, sous les soupirs fatigués de Vio et l'air perdu de Red qui passait de l'un à l'autre, hésitant sur la décision à prendre.
Comme souvent, hélas, ce fut Vio qui s'en chargea, allant remplir un seau au puits et le jetant sur ses frères comme sur des chiens en chaleur.
— Félicitations, vous voilà désignés d'office pour la lessive, le duo de débiles. Vous restez là et on vous balance tout le linge. Red, fonce chercher ta baguette, on va avoir besoin d'un bon feu pour faire bouillir tout ça, puis je t'attends à l'étage.
Sur ces mots, il lâcha le seau vide dans un bruit creux et disparut à l'intérieur dans un mouvement d'humeur. Un grand silence s'établit entre les trois frères restants qui s'entre-gardèrent avant que Red ne finisse par obéir à la demande précédente et ne court récupérer sa baguette fétiche afin de démarrer un feu de camp autour duquel Blue et Green frissonnèrent, les mains glissées sous leurs aisselles, frissonnant.
Pendant qu'ils se réchauffaient, les deux autres fouillaient pièce après pièce, balançant à travers les fenêtres grandes ouvertes tout le linge sur lequel ils parvenaient à mettre la main.
Rapidement, un grand tas de linge s'amassait devant leur maisonnette, des bruits de frottements et de meubles entrechoqués s'en échappant, preuve de l'agitation qui y régnait.
Une fois suffisamment réchauffés pour ne plus claquer des dents, nos deux compères allèrent les ramasser et entreprirent de faire bouillir de l'eau pour les y plonger, agrémentés de feuilles de lierre qu'ils arrachèrent des pieds autour de chez eux. L'opération allait devoir être à renouveler autant de fois que possible, et ça allait être très long.
— Je déteste laver le linge, maugréa Green.
— Je préfère encore ça que ce qui attend Red et Vio. Même si j'aurais préféré être un peu plus sec, mais ça n'aurait pas duré longtemps.
Le linge bouilli devait être amené à la rivière après, afin d'être rincé à vives eaux, et nul doute qu'ils finiraient tous deux plus trempés que leur corvée.
Ils aperçurent Red courir jusqu'à la maison voisine et bien vite le linge s'envola à son tour par les fenêtres, alourdissant leur charge.
— Hors de question de laver les caleçons de papy, cingla Green.
— Dis, Vio, c'est vrai ce qu'on racontait au château ? Qu'une simple morsure pouvait amener la maladie, puis la mort ?
— En premier lieu, les punaises ne mordent pas, elles piquent. Et en second lieu, non, j'ignore qui colporte ces bêtises mais il doit confondre avec les puces qui, elles, peuvent transmettre la peste, et uniquement dans certains cas. Bref, aucune raison de s'inquiéter.
— Alors, pourquoi cette frénésie ?
— L'innocuité de la situation ne signifie pas qu'il faut laisser faire. Les démangeaisons peuvent rendre facilement fous et qui dit plaie dit risque d'infection. Mais rien à voir avec les punaises de base.
Red baissa la tête, pensif. Il tira sur le bonnet dans ses mains, lissant les plis, puis relâchant avant de recommencer. Il répéta son manège à plusieurs reprises avant que Vio ne place sa main sur l'accessoire, dans son champ de vision, le sortant de ses pensées.
— Ça va ?
— Non. Mais je vais faire avec.
Il lui offrit un sourire timide avant de balancer le bonnet de Blue à travers la fenêtre, avec le reste de sa garde-robe.
— Red… Tu veux changer de corvée ?
— Ça sera du pareil au même. Ne t'inquiète pas, ça doit être à cause de tout ce que j'ai pu entendre en ville, tu me connais, je prends facilement peur !
Vio n'acheta pas son faux sourire mais il laissa couler, l'étreignant d'un bras avant de retourner à ce qu'il faisait.
La situation actuelle ne plaisait à personne, et il était facile de tirer au flanc en sachant qu'il n'y avait pas mort d'homme, juste des embêtements mineurs. La frénésie qui s'était emparée de la Citadelle ou du château, pour le coup, avait au moins le mérite de fouetter le sang de tous et d'assurer que rien ne serait oublié, ni recoin ni mouchoir !
Quand il ne resta plus aucun linge dans aucune des deux habitations et que leurs frères étaient plus essorés que les draps, la forêt recouverte de vêtements, ils firent une pause, s'affalant sur l'herbe que les passages fréquents avaient abîmés, ne laissant plus que de la boue. Un soupir épuisé commun les traversa.
— Dîtes-moi que c'est fini, pleurnicha Blue.
Green dorlotait ses mains en sang, l'eau froide et la lessive ayant fragilisé la peau.
— Ce n'est que le début, soupira de nouveau Vio. Il reste les meubles et le ménage en grand. Rien ne doit être oublié. Il faudra sortir les tapisseries et les coussins, tout ce qui ne peut être lessivé en gros, et les laisser dehors jusqu'à être sûr que la menace soit passée.
— Attends, quand tu dis ça… Tu ne parles quand même pas…?
— La forge est incluse, si.
Ce fut cette fois un gargouillement d'agonie qui s'extirpa de leurs quatre gorges. La forge était le sanctuaire de leur grand-père, mais elle était surtout un héritage de plusieurs générations. Le nettoyage était correct, surtout pour une forge d'intérieur, mais il était loin d'être minutieux comme la situation le réclame.
— C'est peut-être des punaises, mais elles ne sont pas stupides, non plus, pourquoi iraient-elles dans la forge ? Il n'y a que du métal et des cuirs ! Rien à voir avec le coton, le lin et tout ce que les médecins expliquaient !
— Ce sont les règles, on ne discute pas, aboya Vio.
D'ordinaire, il n'était pas du genre à prendre les commandes, mais cette situation ne réclamait pas le leadership de Green, ni ses tendances de héros, c'était donc tout naturellement qu'il avait pris la tête et les coordonnaient. D'ailleurs, aucun de ses frères ne tenta de le détrôner, s'exécutant rapidement.
— Une pause, il nous faut une pause, supplia Red.
— On respire encore un moment, mais on s'y remet. La nuit va bien finir par tomber et on n'a nulle part où dormir et on est à poil.
Un nouveau grognement.
— En plus, il fait encore froid, renifla Green. Nos couettes ne seront pas sèches d'ici ce soir.
— Tant qu'il ne pleut pas… Red, avant qu'on ne s'y remette, attrape ta Baguette de feu et fais-nous quelques petits foyers contrôlés pour accélérer le séchage. Mais tu ne déclenches pas d'incendie, compris ?
Trop épuisé pour s'en vexer, son frère fronça le nez et plissa le front, le regard dans le vide. Mais il avait certainement entendu. Et, au pire, il était parfaitement capable de le faire à sa place ou de le lui répéter.
— Qu'est-ce qu'on fait s'il pleut ?
— On prie très fort pour que ça n'arrive pas et on évite d'évoquer cette éventualité trop fort parce qu'on a une chance moisie, compris ?
Le ton de leur frère n'avait jamais été aussi âpre et acide, presque corrosif et c'était peut-être la raison pour laquelle ils filaient droit sans oser trop moufter. Le changement pouvait faire peur à n'importe qui, même à des aventuriers aguerris comme eux !
— Allez, on s'y remet !
Vio avait mal partout, il n'en avait pas plus envie que les autres, mais il avait conscience aussi qu'une pause prolongée ne ferait qu'empirer leur motivation déjà bien mise à mal. Et plus tôt ils s'y remettaient, plus tôt ils auraient fini !
Avec cette idée en tête, il surveilla les brasero mis en place par Blue et Green pendant que Red invoquait les flammes. Chaque incantation puisait dans son énergie et ça se voyait clairement dans son teint pâle et son pas chancelant, mais il tint bon.
— Fais une autre pause après ça, lui conseilla-t-il de loin.
Il repassa le pas de la porte et sortit un à un leur matériel d'entretien, les passant au crible puis les organisa. Quand il fut rejoint par le reste de la fratrie, chacun reçut ses nouvelles armes et une zone à astiquer, que ce soit chez eux comme dans la maison familiale. Le plus complexe fut d'en éjecter leur grand-père qui pouvait avoir le crâne plus dur que son enclume, et c'était pas peu dire !
À la fin de la journée, les quatre héros étaient épuisés comme ils ne l'avaient pas été depuis très longtemps, tenant à peine debout et les membres parcourus de tremblements. Réfléchir était une douleur comme jamais et ils envisageaient très clairement de s'endormir là où ils étaient, à même le sol et le ventre vide.
— Je veux des marguerites sur ma tombe, marmonna Red.
Il était roulé en boule dans le couloir, non loin de Blue qui fusillait du regard le plafond. Ils avaient été chargé de nettoyer les hauteurs, maudissant leurs tailles réduites et héréditaires, agitant les têtes de loup avec une brutalité due à la fatigue, manquant de peu de les éborgner ou d'ébrécher une fenêtre.
— Moi, je veux juste crever, répondit son frère, le souffle court.
Des toiles d'araignées s'étaient collées à ses cheveux mais il était trop fourbu pour les retirer malgré sa répugnance.
La poussière les recouvrait tous les deux, les rendant plus gris qu'autre chose, mais au moins leur mission avait été couronnée de succès !
Green avait été assigné à la forge avec leur grand-père. Ce dernier n'accepta qu'après avoir été fusillé du regard par trois de ses petits-fils et une œillade humide du dernier, mais aussi après forces ronchonnements de sa part. Il n'avait pas touché à une serpillère depuis bien longtemps et était bien trop vieux et abimé par la vie pour que s'agenouiller afin de lustrer le parquet soit une partie de plaisir !
Mais ce qui était fait était fait et un soupir de soulagement collectif fut poussé lorsque Vio le leur annonça.
La nuit était tombée depuis un long moment et pas un seul linge n'était sec, mais au moins ce calvaire prenait fin !
Ils se rassemblèrent avec difficulté autour du petit feu de camp que Red avait invoqué à un moment, tentant de trouver des positions confortables, se massant vaguement certaines articulations, mais c'était surtout la bonne odeur des pains chauds provenant de chez Baker et Powder qui les ravit. Des remerciements étaient à peine murmurés quand Vio distribua les sandwichs avant de les rejoindre, se laissant tomber au sol à son tour.
— Comment tu les as eu ? l'interrogea Green.
Ouvrir les mâchoires pour mordre correctement était hors de sa portée, alors il mâchouillait lentement ce qu'il pouvait, tel la salade et quelques miettes de pain, les paupières lourdes.
— Je suis allé les acheter il y a une heure. Et je ne devais pas être le seul à en avoir l'idée, toute la ville avait l'air d'y faire la queue ! J'y ai même vu le roi avec des paniers. Il paraît que le château n'est pas encore fini, mais pour la Citadelle c'est bon. Il ne reste que la boulangerie, justement. Mais avec tous les ingrédients en poudre, ils hésitent. Enfin, bref, des logements ont été réquisitionné pour la famille royale et le mouvement de panique a l'air de s'être apaisé. Pour le moment.
Les sandwichs furent mangés avec plus ou moins d'énergie et la conversation fut inexistante. Ils s'observaient par-dessus les flammes, abordant leurs plus beaux airs de Gibdo.
— J'ai monté une tente plus tôt, mais on n'a plus de couverture, rappela enfin Vio.
Ils s'y trainèrent malgré tout, s'endormant à peine allongés.
Au réveil, les courbatures les attendaient et ils avaient un peu mal à la gorge à cause des températures basses, mais ils n'allaient pas se laisser abattre pour si peu et entreprirent de vérifier l'état du linge et des meubles sortis, scrutant à la recherche du moindre parasite, les yeux gonflés de sommeil.
Pendant ce temps, leur grand-père ravivait les braises et s'y réchauffait, mis de côté d'office. La nuit à même le sol et sans autre apport de chaleur que ses petits-fils étaient loin de lui avoir fait du bien et tous les quatre préféraient qu'il y aille doucement.
— R.A.S, annonça Green. Et de votre côté.
— La rosée a humidifié à nouveau le linge, mais Red a rallumé les braseros, on devrait être bon d'ici ce soir.
— Chouette.
Ils durent camper encore le lendemain, mais au moins papy avait pu être installé le jour-même, bien qu'avec le strict minimum. Quand ce fut leur tour, ils se sentirent traversés par un sentiment de bonheur qui dépassait de loin celui ressentis la première fois qu'ils avaient passé le pas de la porte avec Zelda, découvrant leur nouveau nid.
Ils auraient pu en pleurer. De joie mais aussi d'épuisement.
Mais cette félicité fut de courte durée et dès le lendemain ils se réunirent pour montrer les preuves évidentes de piqûres recouvrant leurs peaux.
— C'est à ne rien y comprendre… maugréa Blue. On a décapé cette foutue barraque de fond en comble…
— Les combles ! On n'a pas fait les combles ! rugit Vio, à deux doigts de s'arracher les cheveux.
— Eh bah ça alors, c'est vraiment… commença Green avec un air espiègle.
— Finis cette phrase et je mets le feu à tes affaires, le menaça son frère.
— … un comble.
Il s'empressa de s'enfuir alors que Vio lâcha un rugissement avant de l'imiter.
— Comment font-ils pour courir ? soupira leur grand-père.
— L'énergie du désespoir ? proposa Red en haussant les épaules. Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
— On se gratte, souffla Blue.
Il abattit aussitôt sa main sur son mollet, une petite tache de sang colorant son legging blanc.
Les feuilles de lierre grimpant contiennent naturellement des saponosides ; bouilli avec de l'eau, c'est une lessive efficace (wikipédia)
Si la baguette de glace existait dans cet univers, ç'aurait été plus simple pour eux !
Mains abîmées de Green par la lessive et l'eau froide
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