Check Mate DxD

Chapitre 133 : la loyauté de Poufsouffle/Poufsouffle no Chuusei

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Troublée, la jeune fille lut à nouveau la réponse que sa Tante lui avait envoyée.

« Susan

Je pense que tu es assez grande à présent pour que je ne te traite pas comme une enfant. Je ne vais pas te rassurer ou te dire que tout ira bien parce que je sais que c'est ce que tu n'as ni besoin ni envie d'entendre. Je serais donc direct.

Je suis au courant depuis plusieurs mois de ce qui se passe à Poudlard. L'un de tes camarades de classe m'a alerté sur les actions de Dolores Ombrage sur les élèves. Je ne te donnerai pas son nom pour respecter sa vie privée et parce qu'une investigation est en cours contre cette femme. Malheureusement, ses contacts et appuis politiques, non seulement de la part du Ministre Fudge en font une personne puissante qu'il est difficile d'ébranler. Je rassemble donc autant de témoignages que possible par l'entremise de mon témoin principal, mais le blocus de communication mis en place par Ombrage rend notre tâche complexe. Je dispose également de preuves, mais celles-ci sont indirectes et à moins d'un flagrant délit, il nous sera presque impossible de les utiliser contre elle.

Je me doute que ce n'est pas quelque chose que tu veux entendre, mais sache que c'est la vérité tout comme il est vrai que je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour résoudre cette affaire tout en respectant la loi. Je sais que tu penses que c'est injuste. Moi également. C'est ainsi qu'est notre monde. Du moins pour l'instant. Je sais que bientôt, notre gouvernement va changer pour quelque chose qui respectera plus la justice de tous et moins la loi de quelques-uns.

En attendant, je dois me débrouiller avec ce que j'ai et espérer le meilleur. Quant à toi, tout ce que je peux te conseiller c'est de dire à ton amie de porter plainte. Si tu me le demandes, je lui parlerai moi-même et garantirai sa sécurité et son anonymat.

Encore une fois, c'est tout ce que je peux faire pour le moment. Prends soin de toi et reste à l'écart des ennuis. Ne fais pas de vagues et tout ira bien.

Je t'embrasse,

Ta Tante Amelia »

Susan était désemparée. Jamais encore elle ne s'était sentie si impuissante. Même quand elle se trouvait dans l'impasse, elle savait que sa Tante serait là pour l'aider. Elle ne l'avait jamais laissé tomber… jusqu'à présent. Bien sûr, elle comprenait qu'elle aussi se trouvait dans une impasse. Mais c'était cela qui lui faisait le plus peur. Savoir qu'une force de la nature comme Amelia Bones se retrouvait impuissante avait quelque chose d'effrayant.

Susan regarda ses mains et s'aperçut qu'elles tremblaient. Elle les serra l'une contre l'autre pour les empêcher de bouger. Sa respiration était rapide et son cerveau était focalisé sur cette seule pensée, celle de savoir que personne ne viendrait à leur aide. Puis l'image de Leanne lui vint à l'esprit. Qui allait bien pouvoir l'aider si sa Tante ne le pouvait pas ? Est-ce qu'elle devait la convaincre de porter plainte comme elle lui avait conseillé de le faire ? Et si elle refusait, qu'est-ce qu'elle pourrait faire ? Est-ce que tout irait bien quand même ? Après tout, à présent qu'elle savait à quoi s'attendre, elle éviterait de se faire remarquer et d'écoper d'une nouvelle retenue, n'est-ce pas ? C'était ce que lui avait recommandé sa Tante.

Sauf que ce n'était pas une vie de seulement éviter les ennuis, de vivre la tête baissée en espérant simplement que ça ne tombe pas sur eux. Ce n'était pas juste. Pas pour elle, pas pour Leanne, pour personne.

Elle regarda encore une fois la réponse couchée sur les pages de son carnet et prit une résolution. Celle de désobéir.

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Simplement vêtu du saroual en lin crème qu'il utilisait pour dormir et d'une veste ample de soie fine lamée d'or, Viktor sortit sur le large balcon qui occupait près de la moitié de l'étage de la maison dans laquelle il logeait dans le Pays à l'Envers. Il se dirigea vers la rambarde et s'y appuya alors qu'il buvait à petites gorgées le café épicé qu'il avait à la main.

De là où il se tenait, il était orienté directement en direction du soleil levant. C'était probablement l'Est, mais ici, rien n'était moins sûr. La plupart des Terres Incertaines avaient leur propres climat et temporalité. Cela faisait un peu plus de deux semaines qu'il s'y trouvait et le jour se levait toujours au même endroit et à la même heure tous les matins. Pareil pour le coucher. S'il devait faire le calcul, la journée devait durer entre 7 et 21h.

La météo aussi était inchangée. Du ciel bleu avec quelques nuages à toute heure. La température était clémente, ni trop froide, ni trop chaude, même la nuit. Cela pourrait être pris pour un climat printanier comme à l'extérieur, mais la régularité, du temps comme de l'ensoleillement, permettait de comprendre que c'était artificiel. Ce climat devait être le même toute l'année, c'était ainsi que l'avait voulu la personne qui avait créé cette Terre Incertaine.

Rapidement, Viktor termina sa boisson et retourna à l'intérieur pour se changer. Sa chambre ne ressemblait en rien à celle qu'il occupait quand il s'était réveillé la première fois. Plus petite, moins intimidante et également un peu plus fermée. Elle avait, elle, quatre murs pleins avec seulement une grande fenêtre et la porte menant au balcon, les deux pouvant être couverte par de lourdes tentures pour éviter d'être sortit du sommeil par la lumière.

Abandonnant ses affaires de nuit, il se dirigea vers une petite pièce qui servait à faire sa toilette. Les Svallinkin n'avaient pas la technologie pour avoir une eau courante moderne, mais ils avaient la Magie. Celle-ci (comme à son habitude) leur permettait de pallier de nombreux désagréments. En cela, ils n'étaient pas si différents des Sorciers.

Il prit son temps pour se laver et se sécher avant de retourner dans sa chambre. Après tout, il n'avait rendez-vous qu'une heure après le lever du soleil. Comme tous les jours, il enfila sa tenue de combat. Par prudence, c'était les seuls vêtements qu'il portait. Il les nettoyait par Magie tous les soirs avant de les remettre à nouveau le matin. Après les évènements qui avaient suivi son arrivée, personne n'avait plus essayé de s'en prendre à lui, mais il préférait ne pas être pris au dépourvu. Il n'avait pas oublié l'attitude de Leaf envers lui.

Sa seule concession était d'avoir changé leur teinte afin de ne pas trop dénoter parmi les siens. Les parties en cuir, c'est-à-dire son pantalon, ses bottes et ses gants, avaient pris une couleur Camel et son t-shirt était à présent sable. C'était purement cosmétique, aucune de ses protections n'en avait pâti.

Il descendit ensuite au niveau du rez-de-chaussée où se trouvait un large espace salon-salle à manger/cuisine. Il lava la tasse en terre cuite qui lui avait servi à boire son café puis la rangea avant de sortir de la maison par le simple rideau qui faisait office de porte. C'était comme ça ici. Pas de portes, pas de volets, seulement des tentures ou des voilages pour limiter la lumière, mais c'était tout. Les gens avaient confiance les uns dans les autres.

Comme à son habitude, avant de partir, Viktor jeta un coup d'œil à la maison. Sa maison. Quand il avait préféré ne pas séjourner au palais des jumeaux pour éviter d'avoir à croiser Leaf, Ida lui avait donné cette maison. Non, ce n'était pas exactement ça, elle l'avait plutôt créée pour lui. Avec l'aide de plusieurs de leurs Frères et Sœurs, Pères et Mères, elle avait fait surgir cette habitation du sol, déjà meublée et prête à l'accueillir.

En tant que Sorcier, il pouvait créer des objets par métamorphose ou les conjurer. Il pouvait également réparer des bâtiments complets pour qu'ils aient l'air aussi neufs que le jour où ils avaient été construits. C'était simple. Tous les Magiciens qu'il connaissait pouvaient le faire. Mais faire apparaître une maison entière à partir de rien, il n'avait jamais vu cela.

Ce n'est que plus tard qu'il avait appris comment ils faisaient. En fait, les Svallinkin n'étaient pas des Magiciens. Pas à proprement parler. Ils avaient la capacité de maîtriser un mana particulier propre à Svalinn. Ils pouvaient l'assimiler en eux ce qui leur permettait d'utiliser certains pouvoirs comme la manipulation élémentaire de feu et de glace, mais aussi le soin et, dans une certaine mesure, de la télékinésie et de la protection. Elle semblait également augmenter légèrement leurs facultés physiques (même si ce n'était pas au niveau de celles des Démons).

Toutefois, leur plus grande capacité venait du contrôle direct de cette énergie à l'état ambiant. En effet, ils possédaient le pouvoir de la plier à leur volonté et à leur imagination. Or la vallée où il se trouvait en ruisselait. Plus que cela, la dimension entière en était faite. Chaque végétal, minéral voir, animal était de l'énergie sous forme physique. C'est en manipulant cette énergie palpable qu'ils construisaient leurs maisons, mais aussi faisaient pousser des récoltes et naître du bétail. Ils pouvaient même, s'ils le désiraient, influer sur le sempiternel climat.

Toutefois, ce pouvoir avait beau sembler surpuissant, il avait tout de même des limitations. Tout d'abord, il exigeait de la concentration. Les sphères de feu et de glaces étaient, en quelque sorte, la technique la plus aisée à générer. C'est pour cela que c'était la seule que les gardes avaient utilisée quand ils les avaient poursuivies, Cédric et lui. Deuxièmement, plus la tâche à accomplir était conséquente et plus le nombre de personnes nécessaire pour l'accomplir était élevé. Ainsi, pour la petite maison à toit plat sur deux niveaux de Viktor, il avait fallu la participation d'une douzaine de Svalinnkin en plus d'Ida.

Enfin, la dernière restriction était spatiale. En effet, l'énergie de Svalinn ne pouvait se trouver que dans le Pays à l'Envers. Dans le monde extérieur, il leur était impossible de manipuler la matière comme ils le faisaient dans la vallée. De plus, le niveau de pouvoir accumulé en eux était limité et ne pouvait être remplacé par un autre Mana. Ainsi, il diminuait au fur et à mesure des utilisations jusqu'à ce qu'ils n'en aient plus. Heureusement, au contraire des Sorciers, ils ne pouvaient pas mourir d'épuisement magique, mais ils se retrouvaient impuissants.

C'était l'une des raisons de la méfiance qu'avaient les Svallinkin de l'extérieur et de ceux qui en venaient.

Mais pour le moment, Viktor, lui, semblait à peu près bien intégré. Alors qu'il remontait la ruelle sur laquelle était située sa maison, il ne recevait plus que quelques regards curieux et personne ne s'écartait plus précipitamment de son chemin comme cela avait été le cas au début. Viktor, de son côté, était toujours très intéressé par ce qu'il y avait autour de lui et notamment les gens.

Comme Ida lui avait expliqué à son réveil, il était de coutume pour certains Svallinkin de sortir dans le monde extérieur pour trouver un conjoint. Ils revenaient par la suite au Pays à l'Envers avec le bébé, mais souvent également avec son autre parent. Viktor avait donc cherché dans la population d'autres humains, mais il n'en avait vu aucun. Il avait remarqué la présence de certains Svallinkin aux traits asiatiques ou africains, certains avec une peau plus sombre ou plus pâle que la moyenne, mais personne comme lui.

Ce n'est que plus tard qu'il avait appris que l'énergie qui saturait la vallée modifiait l'aspect et la physiologie des personnes qui y résidaient avec le temps. Ils ne devenaient pas de véritables Svallinkin, mais ils y ressemblaient. Ils pouvaient également manipuler suffisamment d'énergie pour circuler dans la ville voir même assister pour des rituels de construction.

À l'inverse, toute personne, Svallinkin ou non, qui sortait du Pays à l'Envers, perdait son apparence pour une plus moins voyante. Les Humains reprenaient leurs aspects d'origine quant aux Svallinkin, cela dépendait de leurs racines. Toutefois, contrairement à l'autre, cette métamorphose était quasi instantanée, quelques heures à peine et leur retour dans chez eux leur rendait aussi leur apparence tout aussi rapidement.

Viktor, qui était châtain foncé, déambulait donc dans une ville remplie d'hommes aux cheveux argentés et des femmes aux cheveux dorés. Il y avait cependant certaines nuances. Comme il l'avait déjà remarqué, il existait des variations de teinte de peau. Mais en regardant bien, il s'était aperçu que c'était également le cas pour les iris et la chevelure.

En grande majorité, les hommes avaient une peau pâle, des cheveux argentés et des yeux orangés et les femmes, une peau bronzée, des cheveux dorés et des yeux bleu clair. Toutefois, certains individus possédaient quelques variations de l'autre sexe. Cela pouvait se manifester par des mèches d'argent dans une chevelure dorée ou bien des reflets, voir des éclats bleus dans des yeux orangés. Ces individus partageaient par ailleurs des aspects androgynes ou bien des fluctuations plus ou moins importantes de leur expression du genre. En clair, la différence entre les sexes biologique semblait plus floue que ce qu'il avait pensé au départ… comme sur Terre. Mais sans les a priori et le jugement de la majorité. En fait, la seule bête curieuse ici, c'était lui.

Heureusement, il n'avait pas beaucoup à marcher. En vérité, sa destination se trouvait au bout de la rue où il habitait. C'était une allée pavée à la romaine, comme toutes celles de la ville. Elle disposait de trottoirs et était juste assez large pour permettre à deux cheveux de se croiser (puisqu'il s'agissait du mode de transport principal) ou à une charrette de circuler si aucune autre ne venait dans le sens inverse.

Toutes les rues n'étaient pas aussi simples cependant. Sur son trajet, Viktor devait rencontrer par un carrefour assez important celle sur laquelle il déambulait était coupée par une avenue. Celle-ci était suffisamment large pour laisser passe charrettes et possédait un terre-plein central planté d'arbre pour séparer les voies de circulation. Cette immense allée traversait la vallée d'Est en Ouest et servait de base au grand damier qu'était le plan de la ville.

En effet, la voirie n'était pas la seule technologie qui semblait avoir été empruntée aux Romains. Le découpage des rues paraissait également s'inspirer des villes de l'antiquité. Le plan était orthonormé et organisé autour de deux voies principales. La grande rue que traversait Viktor correspondait à un decumanus. En temps normal, cette avenue en croisait une autre tout aussi importante, mais orientée cette fois Nord-Sud, le Cardo (le carrefour entre les deux formant une croix aux angles perpendiculaires).

Toutefois, au Pays à l'Envers celui-ci était remplacé par un large fleuve qui coupait la ville en deux. Il semblait prendre sa source dans les montagnes du Nord et descendre jusqu'au niveau du fond de la vallée par le biais d'un ensemble de cascades et de bassins creusés dans des plateaux rocheux. Elle plongeait ensuite dans un précipice puis continuait son cours sous le sol avant de ressurgir plus bas, au pied d'une falaise. C'était cette rivière souterraine qui alimentait le puits où Viktor était arrivé accompagné de Cédric plusieurs semaines auparavant alors que le long couloir piégé aux champignons somnifères débouchait sur l'un des flancs de cette falaise.

Toujours était-il que la rivière, de nouveau à l'air libre, poursuivait son cours en ligne droite grâce à l'aménagement de ses rives qui avaient été fortifiées pour lui donner cette rectitude. C'était sur ces pierres de taille que prenaient pied les nombreux ponts qui traversaient le cours d'eau pour permettre le passage de la population d'une berge à l'autre. Bien évidemment, le plus impressionnant restait celui qui reliait les deux extrémités du decumanus.

Toutefois, au bout de la vallée au sud, les flancs des montagnes se rapprochaient pour former une sorte de goulot étranglé et donnant au lieu l'apparence d'une cuvette. À cet endroit, plus besoin de fortifications pour contrôler le cours de l'eau qui reprenait sa voie naturelle avant de replonger sous terre tout au bout.

Ce lieu, où l'eau disparaissait, était le bout de la vallée et également la limite de la Terre Incertaine. Si jamais une embarcation ou même une personne seule venait à suivre le cours de la rivière jusque là et à tomber dans l'aven, il se retrouverait automatiquement transporté au début du cours (à ses risques et périls puisque la première cascade était à pic). En effet, il n'y avait pas de barrière physique à cette Terre Incertaine. À la place, l'espace était replié sur lui-même. L'avantage était que cela permettait aux habitants de passer d'un flanc de la vallée à l'autre non pas en descendant, mais en montant jusqu'au sommet et en passant de l'autre côté.

Arrivé à destination, Viktor frappa à la porte et attendit. La maison devant laquelle il se trouvait ressemblait à la sienne, mais en plus vaste. Basée sur un plan rectangulaire, elle possédait aussi deux niveaux avec plusieurs balcons. De plus, de petits auvents de bois recouvert de tissus se dressaient au sommet des trois plats pour former des vérandas naturelles. Il y avait également, Viktor le savait, plusieurs cours intérieures avec des bassins et des parterres de fleurs. Ses murs étaient du même blanc décoré d'or que celle de Viktor, mais étaient aussi pourvus de motifs végétaux colorés : lotus, papyrus, etc.

Viktor avait déduit que les deux étaient d'inspiration égyptienne (antique qui plus est). La sienne, assez simple, pouvait s'apparenter à une maison de paysan (avec des murs de granit à la place de la chaux, évidemment). Au contraire, celle devant laquelle il se trouvait aurait pu appartenir à un noble de Memphis ou d'Alexandrie.

C'était une chose assez extraordinaire du Pays à l'Envers. Il y avait une immense diversité ethnique, mais aussi architecturale et vestimentaire, un formidable brassage multiculturel des qu'être coins du monde. Originellement une civilisation scandinave, il était clair que ceux qui étaient partis étaient allés bien au-delà des limites géographiques de la Norvège et ceux à de nombreuses époques différentes. Quant à savoir comment ils avaient fait, Viktor n'avait pas encore été initié à ce mystère. Mais bon, c'était la raison pour laquelle il se trouvait devant cette maison après tout. Pour apprendre.

Finalement, quelqu'un lui ouvrit.

« Hey ! Salut, Viktor ! Tu es en avance » dit le jeune homme juste derrière la porte avec un grand sourire.

Celui-ci était très différent de toutes les autres personnes qu'il avait ou croiser dans la vallée. Sa peau était n'avait pas la pâleur de celle des hommes ou même le dorée de celle des femmes. Au contraire, elle était d'une chaude couleur bronze et ses cheveux longs étaient d'un rouge éclatant mêlé de mèches jaunes et brunes. Le plus impressionnant était toutefois ses yeux. Ce n'était pas seulement son iris qui était orangé, mais l'intégralité de son globe oculaire, pupille et sclère comprises. Ils brillaient d'une lumière surnaturelle tel un brasier incandescent et de l'énergie s'en échappait, formant des flammèches au coin de ses paupières.

« Salut Brann » répondit Viktor. « Comment vont-ils ? »

« Comment veux-tu qu'ils aillent ? » Demanda l'autre jeune homme en haussant les épaules. « Ils ont la pêche comme d'habitude. »

Puis son sourire s'agrandit.

« Allez, vient mon ami ! » Dit-il en jetant son bras autour du cou de Viktor pour l'entraîner à l'intérieur ?

Brann devait être à peine plus âgé que Viktor, sans doute une petite vingtaine d'années. Il avait cependant une stature assez approchante. Assez grand, large d'épaules, il était assez musclé. Voir même, très musclé. Et apparemment, il aimait bien le montrer. Il portait ce que Viktor avait appris être un "maxtlatl", un pagne long mésoaméricain ainsi qu'une veste courte brodée de motifs moyens orientaux, le tout dans des tons rouge orangé et doré. Il portait également des bijoux en or et des peintures corporelles aux reflets métalliques qui soulignaient chacun de ses muscles.

Il entraîna Viktor au travers du hall jusqu'à une grande cour intérieure. Assise au bord du bassin une jeune femme lisait un livre qu'elle posa sur la margelle en les voyant arriver et se leva pour l'accueillir. Elle aussi avait le sourire aux lèvres.

« Isen » la salua Viktor.

« Bienvenu » dit celle-ci en s'approchant.

Elle semblait avoir le même âge que Brann et était tout aussi particulière à sa façon. Sa peau avait la blancheur de la porcelaine et ses cheveux étaient d'un bleu aigue-marine qui luisait comme s'ils étaient mouillés. Ses yeux, eux, étaient d'une teinte de bleu plus soutenu, entre ciel et azur. Comme pour Brann, la couleur recouvrait entièrement la surface du globe oculaire, lumineux et froid comme un glaçon et l'énergie qui s'en dégageait se manifestait en flocons étincelants au coin de ses paupières.

Elle s'avança vers Viktor, posa ses mains sur ses épaules puis embrassa sa joue. Ses lèvres étaient glacées, presque autant glacées que le bras de Brann était brûlant autour de son cou.

Les deux étaient des Élémentaires.

Comme pour les facultés intellectuelles, tout le monde n'était pas égal face à la Magie. Certains avaient des difficultés dans certains domaines que les autres n'avaient pas et, au contraire, ils pouvaient avoir des facilités là où leurs proches étaient mis en échec. Les Magiciens, au contraire des Sorciers, avaient donc créé une échelle de valeur avec des degrés d'aptitude pour classifier les pratiques et capacités magiques.

On disait que l'une d'elles était Régulière quand un Magicien avait la possibilité de l'utiliser et de la maîtriser, mais sans y exceller. Si, cependant, il y en avait une avec laquelle il se débattait, qui était moins évidente pour lui, ce domaine était alors désigné comme une Difficulté. Au contraire, si ses capacités sortaient du lot, qu'il avait des Facilités. Au-delà de cela, une personne ayant un grand talent pour une pratique était dite avoir des Affinités avec celui-ci. Il était aussi possible que certains soient totalement hermétiques à une pratique. Ils sont donc considérés comme Inaptes. Ce n'était pas toujours négatif. Certes, cette Inaptitude pouvait être le résultat d'un blocage magique ou d'un maléfice, mais cela pouvait également être très naturel et souvent les personnes ayant des Inaptitudes dans un domaine avaient des Affinités dans un autre.

C'est le cas notamment des Affinités Élémentaires. Peu de Magiciens (voir même aucun) possédaient un panel aussi étendu d'éléments à leur disposition qu'Hariel. Et le plus souvent, une Affinité dans un élément provoquait l'Inaptitude dans celui opposé (feu et eau ou glace, air ou foudre et terre, etc.).

Toutefois, Hariel avait un avantage certain sur les autres puisque ses capacités Élémentaires étaient Innées.

Le niveau de maîtrise et de puissance d'une personne ayant une Capacité Innée était encore plus important que celui de quelqu'un ayant simplement une Affinité avec elle. Celle-ci naissait avec un Cœur Magique supplémentaire lié à cette Capacité. Cela pouvait concerner les Éléments, mais pas seulement. Les dons familiaux ou uniques comme la Métamorphomagie ou le Fourchelangue faisaient partie de cette catégorie. Cela n'empêche pas qu'il demeurait nécessaire d'apprendre à les maîtriser, mais ils permettraient toujours de faire des choses impossibles à d'autres Magiciens.

Toutefois, il existait encore un palier supplémentaire. Comme, dans toute l'histoire connue cela n'avait concerné que des personnes ayant des capacités liées aux éléments, on avait appelé ces personnes des "Élémentaires".

Il s'agissait d'êtres (Magiciens ou non), dont le seul pouvoir était l'un élément en particulier. Même né de Magiciens, un Élémentaire sera Inapte à toute autre forme de Magie. Toutefois, ils n'en demeurent pas impuissants, au contraire. En effet, au lieu de simplement maîtriser un élément, les Élémentaires l'incarnent. On pouvait considérer cela comme une sorte de symbiose magique. L'élément influençait son apparence, mais également sa physiologie. Il ou elle est immunisé contre son propre élément et sensible aux éléments contraires. De même, chaque Élémentaire possède une connexion spéciale avec son élément, empathique et mentale. Il ressent son élément comme s'il était vivant et celui-ci lui transmettait des connaissances sur lui-même.

Le dernier point est que les Élémentaires étaient rares. Extrêmement rares. En vérité, que ce soit sur Terre ou dans les autres Dimensions, il n'y avait aucun Élémentaire encore en vie… à part Brann et Isen.

Le fait qu'ils incarnent les deux éléments de Svalinn faisait d'eux des êtres à part dans la société du Pays à l'Envers. C'était également le cas des Jumeaux, Ida et Leaf. Dans de nombreuses civilisations, les Jumeaux étaient vénérés comme des symboles divins. Qu'ils soient de sexe différent et donc représentent les deux éléments de Svalinn avait augmenté leur prestige. Ils l'avaient alors utilisé pour gagner en autorité au sein de la vallée au point d'obtenir des titres qui les plaçaient presque au rang de souverains.

Brann et Isen, au contraire, avaient plutôt choisi de se retirer. Trop différents des autres, ils préféraient le calme de cette maison. Toutefois, ils n'en étaient que des invités. Les hôtes étaient tout autre et c'était eux que Viktor était en fait venu voir.

Justement, alors qu'il pensait à eux, Viktor aperçut une vieille femme sortir d'un autre coin de la cour intérieure et s'avancer vers eux. Elle était très âgée, plus encore que ce qu'il avait imaginé au départ. Il avait estimé qu'elle devait avoir dans les 70 alors qu'elle avait déjà dépassé les 100. Son visage était marqué de rides, mais pas affaissé. Sa peau était d'une teinte vieil or et ses cheveux étaient pâles sans être blanc. Elle portait un sari couleur crème et avait un panier passé sous son bras.

« Bonjour, Viktor » dit-elle en s'approchant du groupe.

« Bonjour, Alina » lui dit celui-ci avec un sourire.

Il ne pouvait jamais s'empêcher d'être heureux de la voir. La vieille femme respirait la gentillesse et la douceur avec une touche de fermeté qui rappelait au jeune homme sa propre Grand-mère, Petrana.

« Je parie que tu n'as encore rien mangé » soupira la femme.

Elle plongea une main dans son panier et en retira un petit pain que Viktor reçut avec gratitude. Alina avait pris l'habitude de le nourrir. Au début, il s'était fait avoir. Il petit-déjeunait chez lui, mais comme Alina n'était jamais satisfaite, il se retrouvait avec plus de nourriture qu'il ne pouvait en ingérer. Depuis, il se contentait d'un café puis acceptait tout ce que la vieille femme lui offrait.

« Allez, viens » dit-elle après qu'il ait pris une première bouchée du petit pain qui s'avéra être fourré à la viande. « Il t'attend. »

Viktor se figea, la pâtisserie à quelques centimètres de ses lèvres, en entendant cela.

« Vraiment ? » Demanda-t-il, incrédule.

La femme laissa échapper un petit rire.

« Non. Tu le connais. Il a déjà oublié que tu devais venir. »

Viktor roula des yeux en reprenant une bouchée de son pain. Shandresh oubliait toujours leur rendez-vous. Il se plongeait dans ses lectures et n'en ressortait que lorsque quelqu'un, généralement Alina, l'y forçait. Apparemment, cela avait empiré depuis quelque temps, mais ça, c'était de sa faute. À cause de lui, il avait à présent quantité de nouveaux livres à compulser et de nouvelles recherches à faire.

Pour le moment, les autorités qui régissaient le Pays à l'Envers ne désiraient pas être en contact direct avec le monde du dehors et n'étaient pas plus que cela intéressées à renouer avec leurs racines nordiques. Viktor, lui, était une exception. Il n'était pas seulement Svallinkin, il était également Sorcier et disposait des véritables pouvoirs de Svalinn, celle de la Magie protectrice. Pour eux, il était une sorte d'élu. C'est pour cela qu'ils l'avaient autorisé à amener des livres sur divers sujet à la demande de Shandresh et qu'Hariel avait rassemblé avant de lui faire parvenir.

Grâce à ce statut, peut-être qu'il aurait réussi à convaincre le Conseil des Anciens de revoir leur position, mais il hésitait à abuser de son prestige. Connaissant parfaitement le problème, Hariel lui avait simplement dit de laisser tomber et de rester le temps d'apprendre ce qu'il avait à apprendre. Cela, le Conseil des Anciens l'avait accepté. Une seule personne, surtout l'élu, ce n'était pas un gros changement. C'était surtout cela qui leur faisait peur.

Étant une société à hiérarchie strictement familiale, il était donc évident que les plus âgés en formaient la frange dirigeante. Étaient considérés comme Ancien, ceux dont les enfants avaient eux-mêmes enfantés. Ils siégeaient alors tous dans un Conseil qui régissait la ville. Toutefois, comme rien ne changeait vraiment depuis des siècles, leurs tâches étaient assez minces et ils ne se réunissaient que rarement. Ils étaient cependant extrêmement respectés. Certains prenaient leur titre avec le plus grand sérieux et d'autres, comme Alina et Shandresh, beaucoup moins.

Toujours avec son panier sous le bras, la femme conduisit Viktor à l'autre bout de la cour. Elle entra dans le corps de logis puis se dirigea vers des escaliers. Brann et Isen, eux, restèrent là. Ils avaient interdiction de monter s'ils ne pouvaient pas contrôler leur accès de flammes et de glaçon. En effet, la pièce qui se trouvait à l'étage était un vaste bureau rempli de parchemins et de livres, certains rangés sur des étagères, mais pour une grande partie, empilés sur la table de travail et le sol.

Sur l'un des tapis, à un endroit miraculeusement épargné par le capharnaüm, était allongé un vieil homme aux cheveux blancs et bouclés vêtus d'une simple tunique claire tachée d'encre. Il était si absorbé par son livre de thermodynamique qu'il n'avait même pas entendu ses invités arriver. Il poussa cependant un gémissement quand Alina lui retira l'ouvrage des mains.

« Mais… mais, ma douce… » balbutia le vieil homme en levant la tête.

« Viktor est là » dit-elle sur un ton ferme.

« Viktor ? Ah ! Oui ! Viktor ! Bien, bien… le cours, oui, bien sûr » dit l'homme en se redressant.

« Il me semble bien que ce soit la tunique que tu portais hier, non ? » Demanda Alina en examinant Shandresh d'un œil critique.

« Oui, sans doute, peut-être… je n'ai pas vraiment regardé » répondit-il alors qu'il paraissait déjà penser à autre chose.

Alina secoua la tête et leva les yeux au ciel, mais ne put s'empêcher par la suite de lancer un regard affectueux accompagné d'un sourire à l'homme qui était son époux depuis plusieurs décennies à présent. Toutefois, elle le gronda à nouveau quand celui-ci voulut prendre un nouveau livre sur une pile. Après tout, il avait un cours à donner.

Tout ce que Viktor savait sur le Pays à l'Envers et les Svallinkin, c'était Shandresh qui lui avait appris. C'est lui qu'Ida et le Conseil avaient désigné pour l'instruire sur leur culture en même temps qui l'aidait à maîtriser ses capacités. Bien sûr, étant le seul connu à n'avoir jamais possédé ceux-ci, la marge de manœuvre de Shandresh était réduite. Toutefois, il lui enseignait tout de même des techniques permettant de canaliser l'énergie de Svalinn puisque son pouvoir, comme celui des autres, venait de là.

Viktor s'était avéré assez doué pour cela. Mais ses capacités demeuraient assez hors norme. Certains Svalinnkin avaient déjà eu des partenaires qui étaient Magiciens. Ceux-ci, cependant, avaient perdu la grande majorité de leur Magie une fois transformée par l'énergie ambiante du Pays à l'Envers mais avaient, en échange, eu la faculté d'utiliser celle-ci au même niveau que les natifs. Toutefois, leurs enfants étaient des purs Svalinnkin sans le moindre pouvoir magique.

Viktor, lui était Magicien, mais également Démon et avait les capacités de ces deux races. De plus, pour ce qui était de ses origines Svalinnkin, il semblait posséder tous leurs pouvoirs, mais aussi une Affinité à la fois avec le Feu et la Glace (ce qu'aucun autre de ses semblables n'avait, du moins pas à son niveau). Mais les résultats pour sa compétence particulière à former des boucliers paraissaient se faire attendre. De son côté, Shandresh l'exhortait à la patience. Pour lui, tout venait à point à qui sait attendre. Donc Viktor attendait et apprenait toujours plus.

Ce n'était pas non plus une mauvaise chose. Après tout, quand il n'était pas plongé dans ses lectures ou ses recherches, Shandresh était un excellent professeur. C'était la raison pour laquelle il avait été choisi d'ailleurs. Ça est le fait qu'Alina et lui étaient le couple le plus âgé de toute la vallée. Cela en faisait donc, selon leur tradition, les plus sages.

Ils parlaient d'eux en tant que couple et non que personne à cause d'une particularité importante propre aux Svallinkin. Ici, le veuvage n'existait pas. Il n'y avait même pas de mot pour l'exprimer. La raison était que la cérémonie de mariage Svallinkin liait deux personnes jusque dans la mort. Littéralement. En effet, un Svallinkin ne pouvait pas survivre sans sa ou sa conjointe, peu importe la façon dont il ou elle décédait.

Pour certains, c'était une malédiction et pour d'autre, le contraire. Il s'agissait cependant d'une décision de leur Mère à tous, Svalinn. En effet, la Dragonne, presque rendue folle par la disparition de son époux mortel avait créé le rituel utilisé pour les unions de ses descendants avec charge pour les aînés de perpétuer la tradition. Ce rituel était l'une des raisons qui poussaient certaines personnes à revenir au Pays à l'Envers sans leur conjoint. Soit ils ne voulaient pas le leur imposer, soient ceux-ci avaient refusés.

Mais Alina et Shandresh semblaient loin de ces considérations. Ils étaient âgés, très âgés, mais quand Viktor les voyait ensemble, ils avaient l'air, à ses yeux, d'adolescents. Des adolescents amoureux pour qui l'éternité paraissait s'étendre à l'infinie devant eux.

Dans ces moments-là, sans savoir vraiment pourquoi, Viktor pensait à Cédric. Il lui manquait. Si le Conseil lui avait permis de rester, ce n'était pas le cas de son ami. Les deux avaient d'abord voulu protester, mais Hariel, tenu au courant de la situation, avait refusé. Inutile de forcer les choses pour l'instant. Cédric était donc rentré à Kamala alors que Viktor demeurait ici.

De temps en temps, il lui arrivait de penser à lui. À son visage. À ses expressions. À ses sourires. Et à ses sentiments à lui, à la fois si fort et si confus. Tellement que, souvent, il préférait réfléchir à autre chose. C'était aussi pour ça qu'il aimait bien les cours de Shandresh.

« Alors » dit celui-ci, « si je me souviens bien, la dernière fois nous en étions à… »

Viktor soupira et chassa son ami (ou plus que cela) de ses pensées pour se concentrer sur les paroles du vieil homme.

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Le Château de Tintagel était une immense citadelle juchée sur un piton rocheux divisant en deux le cours accidenté d'une large rivière. À cet endroit, une série de plateaux en dénivelés formaient un réseau de cataractes se déversant en aval sur le canal.

Ainsi isolé, Tintagel était, auparavant, relié à sa rive droite par un viaduc d'une hauteur vertigineuse. Sa longueur était cependant interrompue par un avant-fort également bâti sur une saillie émergeant des eaux. Celui-ci était la première ligne de défense de la citadelle et la quasi-assurance que d'éventuels envahisseurs ne progresseraient pas plus sur l'unique passage praticable menant à ses portes.

Disposant toutefois de la Magie, Hariel avait décidé de faire quelques modifications. La mort dans l'âme, il avait ordonné aux travailleurs Gobelin de démolir le tronçon du viaduc reliant l'avant-fort à la terre ferme. Cela ne lui plaisait pas tellement de détruire ainsi une partie de son patrimoine (en plus de vestiges historiques importants), mais il souhaite plus que tout isoler son domaine encore davantage qu'il ne l'était par mesure de sécurité. L'avant-fort avait donc été réaménagé en structure d'accueil pour les invités puisque c'était dorénavant le seul point d'arrivée possible par Magie. Que ce soit par Téléportation, Portoloin ou Transplanage, tous ceux désirant parvenir au château devait passer par là… ou pas du tout. Même le Vol était limité. Toute personne entrant dans le périmètre en balais, tapis ou avec des ailes perdait rapidement de l'altitude jusqu'à ne plus pouvoir utiliser son moyen de transport avec tous les risques mortels que cela comporte.

La ressemblance avec les protections de Camelot n'était pas anodine bien sûr. Aux yeux des visiteurs, c'était bien le signe qu'il s'agissait bien des mêmes que celles de la cité et donc faites par Merlin lui-même. En vérité, Hariel avait extrait le programme des serveurs de la ville, l'avait analysé pour en faire une version magique qu'il avait ajoutée au Sanctuaire quand il avait restauré celui-ci à son arrivée.

C'était quelque chose qu'il avait ressenti dès qu'il avait pénétré sur le territoire de Tintagel. C'était une présence à la fois ancienne et imposante. D'abord sur le qui-vive, elle avait caressé les murs de son esprit pour sonder ses intentions. Puis elle avait reconnu sa Magie et la méfiance avait laissé place à une joie débordante, celle d'un parent qui retrouvait les siens après des années sans se voir. Hariel n'avait connu ce genre de présence qu'une seule autre fois et c'était à Poudlard.

Les Sorciers avaient oublié le nom qu'on leur donnait auparavant. Ils ne les appelaient plus que les "Protections". Mais c'était bien plus que cela. C'était un refuge pour ceux auquel le lieu appartenait. D'où son nom. Un Sanctuaire.

Celui de Tintagel était ancien et en mauvais état. Incomplet également. Une personnalité limitée et un raisonnement amoindri. Comme pour celui de Poudlard, celui-ci aura dû se développer grâce aux ondes psychiques de ses habitants sauf que ceux-ci avaient été bien trop peu nombreux.

Si Hariel voyait juste, le Sanctuaire de Tintagel avait été mis en place après la défaite de Vortigern. Comme à ce moment-là Camelot était sur Terre, il était probable qu'Arthur ou sa suite n'y aient passé que peu de temps, empêchant ainsi l'esprit du lieu de s'imprégner de leurs émotions et pensées. En fait, Hariel suspectait que le Sanctuaire n'avait été construit que dans le seul but de préserver le château pour les générations futures… donc lui-même. Son état d'incomplétude en était pour lui la preuve. Myrddyn avait voulu laisser à son descendant le soin de paramétrer lui-même son Sanctuaire pour qu'il corresponde à ses besoins. Hariel s'était alors attelé à la tâche avec passion, ajustant rune après rune dans la fantastique matrice magique qui constituait le Cœur du Sanctuaire, un lieu caché et accessible de lui seul et de ses proches.

En ce jour, cependant, des protections supplémentaires avaient été ajoutées pour préserver ce centre névralgique de son domaine en prévision de ses nombreux hôtes.

En effet, on était ce soir-là le 30 avril et le Château accueillait les convives de la nuit de Beltaine. Pour la première fois, le Prince recevait pour l'une des huit célébrations majeures de l'année mondaine de la haute société sorcière britannique. C'était la fête du printemps qui honorait la fertilité et la renaissance de la nature.

Les invités arrivaient par la cheminée monumentale qui occupait le mur du fond de l'avant fort. Le foyer était si vaste que même une personne aussi grande que Hagrid pourrait s'y tenir debout. Voir plus. Elle débouchait sur une large cour intérieure dont les hauteurs étaient décorées de lampes mauresques flottant dans les airs. Les flammes qu'elles contenaient représentaient le feu purificateur de Beltaine et projetaient des flaques de lumières aux motifs fantastiques en passant au travers des treillis métalliques.

La grande porte du fort était ouverte sur le long viaduc. Les parapets étaient recouverts par des buissons de sorbiers d'un vert sombre. Ils étaient décorés de myriades de grappes de fruits rouges ainsi que d'une multitude de rubans colorés noués aux branches. Leurs troncs serpentaient le long des murs et des piliers du pont avant de disparaître dans les ténèbres des eaux obscures en dessous.

Le tablier, cependant, était illuminé. Des tiges géantes de muguet s'élevaient à intervalle régulier de chaque côté tel des lampadaires végétaux. Chacune de leurs vastes clochettes brillait d'une lueur dorée. Elles éclairaient la pluie de pétales de fleurs multicolores qui formaient un moelleux tapis sur la pierre brute du pont. Ceux-ci se soulevaient à peine quand ils étaient déplacés par les pas des convives ou balayés par leurs robes, gardant l'uniformité de la surface polychrome.

La distance entre l'avant fort et les portes du château étaient de plus d'une centaine de mètres, mais la Magie rendait cette distance bien moindre qu'elle ne l'était en réalité. La citadelle elle-même était lumineuse. Chacun des murs pleins, chacune des tours massives et des arches cintrées ressortaient sur le noir de la nuit. Aucune source de lumière n'était cependant visible. C'était comme si la pierre elle-même luisait dans la pénombre. La lourde herse de la Grande Porte était bien entendu relevée et celle-ci était ouverte en grand. Elle débouchait sur un porche fermé par des voilages aux apparences de volumineux pétales translucides.

Hariel, lui, se tenait juste devant pour accueillir ses hôtes.

Traditionnellement, lors du bal de Beltaine, la tenue des hommes était inspirée par des arbres et celle des femmes par des fleurs. Ainsi, les Sorciers portaient de riches couleurs brunes, vertes, voire grises, des canes de bois et des boutonnières faites avec des feuilles, des rameaux ou des fruits des végétaux qu'ils incarnaient. De la même façon, les toilettes des Sorcières étaient toutes extrêmement colorées, faites de bustier évasé et de superpositions de jupons vaporeux et légers et, bien entendu, décorées de corolles brodées sur les tissus, façonnées en or et en joyeux sur des bijoux ou même fixé directement sur les vêtements ou dans les cheveux.

Hariel, lui, avait voulu souligner la dualité de son identité et avait porté son choix sur un arbre particulier, un arbre fleuri : le jacaranda. Ce ligneux d'Amérique du Sud (pendant outre Atlantique du flamboyant Africain) était connu pour la profusion de ses petites fleurs violettes en forme de cloches. Il en portait d'ailleurs un rameau chargé en boutonnière, mais c'était loin d'être sa seule touche colorée.

Ce soir-là, il était vêtu d'un ensemble pantalon et gilet d'un brun sombre. Le premier était décoré de passepoils vert tendre et le second de broderie de feuilles digitales de la même couleur. Par-dessus était passée une robe sorcière ajustée en haut et flottant derrière lui comme une jupe bouffante. De ses manches émergeaient les manchettes de dentelle violettes de sa chemise. Il portait également une cravate de soie mauve retenue par une pince en bois sombre orné d'un cabochon d'améthyste rutilant. Ses cheveux rouges étaient relevés sur sa nuque en un chignon complexe fixé par une multitude de pinces, de barrettes et de baguettes de bois décoré d'or, sculpté en forme de fleurs et serti d'améthystes, de grenats, de spinelles et de tanzanites étincelantes.

Le choix du jacaranda n'était pas dû au hasard. En effet, la couleur violette possédait une très forte symbolique ésotérique. Symbole de transformation et de guérison, elle incarnait à la fois le renouveau du printemps et celui de la Grande-Bretagne magique qu'il voulait créer. Lié au divin, c'est également la couleur représentant la royauté. Sa royauté. Celle qu'il acceptait d'assumer. C'était ainsi un message à toutes les personnes qui le verraient ce soir-là.

Il accueillait donc chaque convive avec attention, recevant leurs paroles de respect et leur répondant en leur souhaitant la bienvenue. Il leur tendait ensuite à chacun un calice contenant un vin capiteux et rompait pour eux une miche de pain. Chacun buvait alors une gorgée à la coupe et prenait un morceau du pain avant de remercier leur hôte. À ce moment-là, la pression faible, mais persistante qui avait pesé sur leurs esprits s'évanouissait.

Ce partage était plus qu'un simple geste d'accueil. Il s'agissait d'un rituel nécessaire pour chaque personne qui pénétrait dans un Sanctuaire étranger. Le fait que l'hôte offre le pain et le vin et le fait que l'invité l'accepte était une sorte de contrat symbolique, mais surtout magique. L'hôte acceptait la présence de l'invité sur son territoire alors que celui-ci, de son côté, acceptait de ne pas faire de mal à quiconque au sein du Sanctuaire ou ne chercherait à l'altérer.

Ce rituel, pourtant simple, avait été perdu depuis de nombreuses générations dans le Monde Magique. On n'en retrouvait que quelques traces notamment dans la religion, mais son côté ésotérique avait été oublié en Europe. Il demeurait cependant présent sans le reste du monde, plus particulièrement dans les maisons de Magicien. D'ailleurs, le "pain" et le "vin" n'étaient pas des éléments obligatoires du rituel lui-même. Une bouteille d'eau et une brioche de goûter étaient suffisantes. L'important était le liquide et le solide (en particulier un solide contenant de la farine ou une céréale, liée à la terre).

À la place, les propriétaires du Sanctuaire devaient ajuster les protections pour chaque invité, les ouvrant complètement lors de rassemblement comme celui-ci. C'était dangereux. Très dangereux même, car, ainsi ouvertes, elles rendaient le foyer vulnérable et fragile. Mais il n'y avait pas d'autre choix.

Les seuls lieux qui échappaient à ce problème étaient ceux qui étaient publics. En Angleterre, cela concernait du Ministère, de Sainte Mangouste et de Poudlard. En fait, de par le monde, tous les bâtiments gouvernementaux, les hôpitaux et les écoles (entre autres) étaient sous le même régime. Il s'agissait d'endroits ouverts et d'intenses passages. Les Sanctuaires étaient donc adaptés pour cela. Cela ne les rendait pas moins efficaces pour protéger leurs pensionnaires.

Toujours est-il qu'une fois proprement accueillis, les voiles s'écartaient, permettant ainsi aux invités de pénétrer dans la première cour intérieure du château de Tintagel, la basse-cour. Assez vaste, plusieurs centaines de mètres carrés, elle avait été totalement réaménagée par Hariel lors des travaux de rénovation. Il avait effectué d'importantes opérations de terrassement afin de niveler le sol cru du piton rocheux et y avait fait planter des jardins à la française.

À la sortie du dais, les convives se retrouvaient sur une large terrasse surplombant la scène où un double escalier circulaire permettait d'y descendre. Entre les deux se trouvaient une fontaine avec un bassin en forme de conque et une sculpture monumentale installée dans une grotte artificielle creusée dans l'épaisseur de la terrasse. Elle représentait le Roi Arthur assis sur son trône avec à ses côtés Merlin d'un côté, Nimueh de l'autre et Morgane derrière son épaule gauche. Ce que les visiteurs ignoraient c'est que leurs visages étaient tels que les avait connus Hariel 1500 ans auparavant.

Du bas des escaliers, un chemin de terre battue se dirigeait en direction de la porte de la seconde muraille. Celui-ci était bordé de deux parterres de buis verts et rouges taillés à la perfection et dessinant et volutes et des arabesques végétales. Ça et là, mais toujours disposé avec symétrie avec l'autre côté, se trouvait des topiaires en forme d'animaux. Celles-ci avaient la particularité de pouvoir bouger. C'était notamment le cas de deux énormes Dragons placés de chaque côté de l'entrée de l'allée centrale. Ils étaient couchés de tout leur long sur leurs piédestaux de buis, les pattes avant croisées, les ailes repliées et leur queue se balançant dans le vide. De temps en tempe, ils s'ébrouaient, mais le plus souvent, ils suivaient les invités du regard tel des gargouilles protégeant les lieux.

Les parterres n'occupaient cependant que la moitié de l'espace. En effet, à mi-chemin de la voie se trouvait un carrefour formant une place circulaire avec, au centre une fontaine monumentale. Elle était composée d'un large bassin principal puis de deux autres secondaires disposés en escaliers et d'où l'eau s'écoulait par débordement. Tout au milieu se trouvait une grande sculpture représentant plusieurs personnages de différentes races : un Humain, un Gobelin, un Brownie et un Centaure. Dos à dos, ils supportaient une vasque en forme de fleur du centre de laquelle jaillissait un jet d'eau.

Bien évidemment, cette fontaine était un rappel direct de celle de la Fraternité Magique qui trônait dans l'Atrium du Ministère et qui n'avait de fraternelle que de nom contrairement à celle-ci. En effet, sur celle de Tintagel, les quatre races étaient au même niveau (les deux plus petites surélevées par des effets de scénographie lapidaire). Les Créatures n'étaient à présent plus en adoration devant les Sorciers, mais participaient avec eux à un effort commun tout en scrutant les personnes qui passaient sous eux. De plus, l'eau ne jaillissait plus d'endroits inappropriés (comme la pointe du bonnet du Gobelin) ni ne se déversait en dessous au risque de dissimuler les figures puisque la vasque qu'il supportait était percée de quatre déversoirs en forme de têtes de loup, de cerf, de chien et de dragon.

De part et d'autre de la fontaine, les deux chemins parallèles du carrefour rejoignaient les extrémités latérales de la cour, délimitée par les parois de la première muraille. Là se trouvaient deux vastes bassins en demi-cercles à l'intérieur desquels s'écoulaient des cascades en gradins. Chacune était ornée d'une imposante sculpture dorée, un lion couronné à gauche et une licorne à droite.

La partie supérieure de la cour au-delà de la place était composée de majestueux bosquets disposés de part et d'autre de l'allée principale. De hauts buissons de buis taillés faisaient comme des murailles naturelles, empêchant les visiteurs de voir à l'intérieur. Elles formaient de petits labyrinthes artificiels qui débouchaient sur de vastes clairières agrandies magiquement, deux de chaque côté. Chacune d'elle était dédiée à l'une des quatre saisons et le climat était modifié en fonction de celle-ci.

Sur le côté gauche se trouvait le Bosquet de l'Hiver, recouvert de neige et au centre duquel se tenait une serre close surplombée par un grand arbre au feuillage de givre, et le Bosquet du Printemps, colorés de dizaines de fleurs et ombragés par de larges cerisiers dont les branches de l'un d'eux supportaient une escarpolette enveloppée de roses trémières. De l'autre côté, il y avait le Bosquet de l'Été et celui de l'Automne. Au centre du premier se trouvait un arbre unique au large tronc et aux frondaisons épais qui filtraient les rayons du soleil. Plusieurs nacelles en osiers en forme de goutte garnis de gros coussins étaient suspendues à ses branches et pendaient dans le vide. Le second ressemblait à un jardin japonais. Au centre, il y avait un jardin zen bordant un pavillon de bois sombre. Plusieurs érables et ginkgos le parsemaient, leurs feuilles écarlates et dorées tombant perpétuellement sur le sol.

Mais cela, bien sûr, les invités ne pouvaient pas le voir. Il leur faudrait pénétrer les labyrinthes pour les admirer. Mais ils n'avaient pas le temps pour cela puisqu'il leur fallait atteindre l'autre côté jusqu'à la porte monumentale de la seconde muraille et le lieu de la soirée qui se trouvait au-delà. Heureusement, ils n'avaient pas à marcher tout le long du chemin. Les escaliers de la terrasse étaient enchantés pour descendre tout seuls comme des escalators sapaient.

De plus, exceptionnellement, de petites calèches qui paraissaient être faites de boutons de fleur géante et avec des roues faites de lianes fines étaient à la disposition des visiteurs pour se rendre à destination. Sans même un chauffeur pour les guider, elles avançaient à un rythme régulier le long de l'allée principale qui, pour l'occasion, était décorée d'arches de treillis d'où pendaient des glycines lumineuses qui laissaient échapper des étincelles brillantes. Les calèches semblaient surgir des murailles d'un côté et disparaître dans la même muraille une fois leurs occupants déposés. En fait, à ces endroits, les parois de pierre brutes étaient ouvertes et une galerie courait dans leur épaisseur, permettant d'aller discrètement d'un bout à l'autre du jardin. Les entrées, elles, étaient dissimulés de la même façon que la voie 9 ¾ de la Gare de King's Cross, par une illusion intangible.

Une fois à l'autre bout, les convives se trouvaient face à des escaliers identiques avec une fontaine entre les deux. La seule différence était que celle-ci représentait plusieurs hommes au port altier dont les regards pointaient directement sur la figure du Roi Arthur en face. Il s'agissait, bien entendu, des Chevaliers de la Table Ronde, ceux qu'avaient connus Hariel, Bedivere en tête, puis George, Tristan, William, Gauvain et Perceval.

À nouveau, des escaliers automatiques emmenaient les invités jusqu'au sommet et de là, ils pouvaient passer par la porte de la deuxième muraille menant à la haute cour.

C'était là que se déroulait la soirée.

De dimensions plus modestes que la basse-cour, elle demeurait tout de même suffisamment vaste pour accueillir confortablement plus d'une centaine de personnes. Elle était de forme heptagonale avec une galerie couverte sur quatre de ses côtés, ceux latéraux, de part et d'autre des différentes entrées. Elle était surmontée d'une imposante verrière à armature d'acier inspirée du Crystal Palace de l'Exposition Universelle de Londres de 1851. Il s'agissait d'un ajout définitif qui transformait les lieux en jardin d'hiver.

Le sol, nivelé comme celui de la basse-cour, était recouvert de marbre blanc, gris, noir, rose, bleu, vert et jaune, veiné d'or, d'argent et de bronze, agencé en motifs complexes et délicats. Ils étaient ordonnés de telle manière que personne ne pouvait remarquer qu'ils formaient un vaste ensemble de cercles magiques de protection. C'était en dessous de celui-ci que se trouvait la chambre secrète où était confinée la pierre angulaire qui servait de base au Sanctuaire de Tintagel.

Au fond de la cour, occupant les deux côtés de l'heptagone opposé à l'entrée, se dressait un double escalier semblable à ceux des terrasses de la basse-cour. Il menait à une seconde porte monumentale qui était celle du corps de bâtiment du Château proprement dit. Entre les deux, au lieu d'une fontaine, il y avait une cheminée dont la taille rivalisait presque avec celle de l'avant fort qui avait vu arriver les convives. Comme dans celle-ci, un énorme feu ronflait dans le foyer, le brasier symbolisant Beltaine.

Juste devant se trouvait une table un peu plus massive que les autres. Faite de pierre brute, elle était recouverte de tissus et de rubans jaunes, rouges, verts et blanc ainsi que de bougies des mêmes couleurs. Une grande paire de bois de cerf étaient placés au milieu, décorés de couronnes de fleurs et de rameaux. Elles avaient été faites par chacun des invités. En effet, à leur arrivée, tous se devaient d'aller présenter leur respect à la Déeesse en déposant sur son autel des offrandes de Beltaine. Grâce à la magie, ils pouvaient entrelacer les tiges et les branchettes qu'ils avaient apportées. Ils pouvaient également déposer des fruits et des graines comme des glands ou des cerises ou encore des herbes comme de l'achillée ou de l'armoise, tous des symboles de cette fête. Puis, avant de laisser la place, ils pouvaient caresser l'une des statuettes se trouvant de part et d'autre des andouillers, l'une représentant un pénis et l'autre un yoni, une vulve de femme. Ce contact leur apporterait une fertilité pour la nuit et peut-être pour l'année.

Habituellement, le sol était recouvert d'une foule de tapis épais et confortables et de divers fauteuils, guéridons, tables basses et décorés de plantes luxuriantes. Toutefois, pour l'occasion, elle avait été totalement vidée pour accueillir les invités ainsi que la multitude de tables sur laquelle étaient disposées nourriture et boisson.

Celles-ci étaient installées entre chaque pilier de la galerie avec suffisamment d'espace derrière pour que les serviteurs puissent déambuler et garnir à nouveau le buffet. C'était un ballet incessant qui s'activait donc d'un côté et de l'autre de la salle, chaque Brownie de service amenant les plats garnis et repartant avec les vides avant de disparaître par les petites portes aux extrémités des galeries du côté du corps de bâtiments et qui menaient aux cuisines souterraines.

Enfin, au centre se trouvait un énorme mât de bois clair décoré de runes brillantes. Il n'était pas posé sur le marbre, mais flottait à quelques centimètres au-dessus du sol, la Magie le maintenant droit. Un cercle de bronze enflammé le couronnait d'où pendaient de longs rubans colorés. Leurs autres extrémités étaient fixées aux parois de la salle, les transformant en bannières éclairées par les sphères flamboyantes et opalescentes qui illuminaient les lieux.

Il s'agissait du Mât de Mai. Il était en bouleau, décoré de sortilèges runiques et servirait à un puissant rituel de fertilité et de purification. Il n'aurait pas lieu ce soir, mais le lendemain, sur le domaine du Duc Rowley où se poursuivraient les cérémonies de Beltaine. Il était généralement de tradition que le Mât orne la salle des fêtes de celui qui organisait les célébrations de la veille de Beltaine avant d'être transporté chez celui qui organisait celles du jour même.

C'est à ce moment-là, au zénith du soleil, qu'aurait lieu le rituel. Accompagnés par de la musique, les Héritiers des familles nobles, mâles et femelles, étaient invités à danser autour du Mât en tenant les rubans dans leurs mains. Ils formeraient deux rondes tournant chacune dans un sens différent afin de créer un tissage tout autour du bois. Une fois la danse terminée, le Mât serait consumé par le feu de Beltaine, achevant le rituel et promettant une certaine prospérité aux familles de ceux qui avaient participé.

Sans que personne ne soit au courant, il y aurait cependant un petit changement cette année. En effet, les Héritiers ne seraient pas les seuls à pouvoir participer. Dans un souci d'équité, Hariel tout comme le Duc avait décidé d'ouvrir les festivités à tout le monde, permettant d'accepter aussi des représentants d'autres milieux. Ainsi, Hariel y serait bien sûr, Draco également en tant qu'Héritier (présomptif) de la Maison Black, mais aussi plusieurs membres du Ministère et des civils que Fowley avait invités à l'insu des familles aristocratiques. Tous les deux s'attendaient à des grincements de dents, mais ils n'en avaient rien à faire. Au contraire, le spectacle s'annonçait très divertissant pour eux.

Mais pour le moment, tous baignaient dans l'ignorance et profitaient de leur soirée dans le cadre enchanteur du domaine de leur futur souverain.

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Hariel soupira, les yeux rivés sur la multitude de Sorcières et Sorciers aux vêtements chamarrés qui remplissaient la serre. Certains avaient des verres à la main, d'autres de petites assiettes, mais tous discutaient entre eux, en attroupements plus ou moins grands. Personne ne dansait, et ce malgré le petit orchestre qui enchaînait les musiques.

Hariel avait opté pour un groupe celtique, un quatuor composé d'une harpe, d'une flûte, d'un fiddle (un violon populaire) et d'un luth. De temps en temps, la harpiste interprétait une chanson d'une voix cristalline, souvent accompagnée du luthiste qui faisait contre-voix. À d'autres moments, c'était l'inverse. Mais malgré cela, personne ne dansait. C'était trop tôt.

Une soirée comme celle-ci était un évènement mondain. Un évènement de "travail" en quelque sorte, un moment pour obtenir des informations (par la manipulation si nécessaire) tout en prenant bien garde de conserver ses secrets, également pour nouer des alliances, passer des accords ou, parfois, tout simplement se lancer des insultes déguisées, quelques mots au premier abord innocents, mais qui s'avèrent être des insultes mortelles pour les initiés (ce que la majorité des gens ici était).

Hariel savait qu'il devait se trouver au milieu d'eux et faire la même chose. À présent que ses devoirs d'accueil étaient terminés, il devait se mêler à la foule pour obtenir ses propres informations, nouer ses propres alliances, passer ses propres accords voir, lancer ses propres insultes déguisées.

Mais il n'en avait pas envie. En vérité, son esprit était ailleurs.

La nuit de Beltaine était celle qui avait été choisie par Azazel pour effectuer le rituel d'Issei. Celui-ci étant japonais, une date en lien avec une célébration de purification shinto aurait été plus indiquée, mais la suivante ne se déroulait que fin juin. Une date plus proche était donc préférable. Ddraig étant le Dragon Gallois, lié au monde celtique occidental et à son calendrier. Beltaine était le moment idéal.

Il fallait dire que le temps pressait. Issei avait de plus en plus de mal à supporter les effets de sa "divinité". Physiquement, il allait à peu près, mais sa santé psychologique était en jeu. Plus de 3 mois sans pouvoir regarder la moindre poitrine, c'était beaucoup trop pour sa psychée. Et bien entendu, son caractère faisait qu'il était impossible pour lui de ne pas regarder les poitrines des femmes ce qui l'amenait à des accès de migraine de plus en plus prolongés et, malheureusement, plus violents.

Pire encore, ils se sont aperçus par la suite que si la vision des poitrines des femmes avait un effet néfaste, leur contact était encore pire. Au moindre effleurement, même au travers de vêtements, Issei se retrouvait avec des plaques rouges semblables à de l'exéma voir des œdèmes de Quincke, des gonflements habituellement liés à des cas d'allergie graves. Et encore une fois, impossible pour lui de ne pas toucher des poitrines, surtout quand il avait autour de lui des femmes aussi désireuses de le laisser faire (et notamment une fiancée des plus pourvue).

Il avait alors été décidé d'isoler le jeune homme dans un temple bouddhiste ayant des liens avec le monde occulte. Il s'agissait de l'Alma Mater de Sekiren, un moine exorciste qui se trouvait être un employé de l'Association de Magicien Austral. Il en faisait déjà partie à l'époque du père d'Itsuki, Tsukasa Iba, et était, depuis sa disparition, un membre volant de la société.

Toujours était-il qu'il avait introduit Issei auprès de ses supérieurs afin que ceux-ci accueille le jeune Démon. Celui-ci devait profiter de ce séjour pour purifier son corps (chose impossible à faire avec son esprit) avant le rituel. C'était également l'occasion pour apprendre, grâce à la méditation, à mieux canaliser ses pouvoirs.

Depuis qu'il s'était réincarné en Démon, plus de 5 ans auparavant, sa vie n'avait été faite que de combats et des durs entraînements pour devenir toujours plus fort afin de remporter ceux-ci. Avec la fin de la Guerre des Dragons Démoniaques, le monde occulte était entré dans une période de paix sans précédent. Des mythologies défiantes voir ennemies avaient enterrés leur différents et formé une alliance qui garantissait aujourd'hui une diminution conséquente des conflits. Ainsi, sans aucune menace au-dessus de sa tête ni la contrainte de devoir malmener son corps afin de le renforcer le plus rapidement possible, Issei avait pu, pendant ces 3 mois, retrouver un semblant d'équilibre physique et mental. Mais cela ne voulait pas dire qu'il n'avait pas désespérément envie de revenir à son ancienne vie. C'est la raison pour laquelle il avait été plus qu'enthousiaste à l'approche de Beltaine.

Hariel ne connaissait pas exactement les détails de la cérémonie. Il savait cependant qu'il s'agissait principalement d'un rituel de purification… par le feu.

Il y avait plusieurs moyens de purifier quelqu'un. L'eau, par exemple, en était un très courant et peu dangereux. C'est pourquoi elle était utilisée dans une grande majorité des rites religieux. Le pouvoir divin qui amenait à la purification était souvent lié à la lumière et pouvait donc aisément traverser l'eau et, surtout, imprégner l'être qui y était plongé.

D'autres fluides pouvaient également être employés, comme le sang. Des rituels de purification de ce type n'étaient pas forcément maléfiques. Le sang était un fluide de force et de vie et, donné librement, il pouvait ainsi apporter une forme de purification. C'était aussi le cas des fluides sexuels. Comme Hariel l'avait expliqué à Dean quand il avait pour la première fois préparé le baume qui servait à tracer les runes de soin sur son torse, les liquides séminaux humains (ou non humains) révélaient beaucoup de pouvoir. Ainsi les rituels sexuels pouvaient permettre un certain niveau de purification. L'énergie du désir et du plaisir passait par les fluides qui baignaient le corps et le nettoyait (métaphysiquement parlant bien sûr).

Enfin, il existait la purification par le feu. De par sa nature, il apportait la destruction et donc l'élimination de la souillure. Cela fonctionnait avec les maladies comme avec les mauvais esprits. C'était plus une méthode de "nettoyage" que de purification personnelle (le but de sa propre purification étant bien entendu d'y survivre).

Toutefois, en ce qui concernait Issei, c'était différent. Ce n'était pas un être ordinaire. Ce n'était même pas un Démon ordinaire. Son corps avait été recréé à partir de la Chaire du Grand Rouge et du pouvoir d'Ophi, deux Dragons d'une puissance phénoménale. Même réincarné à nouveau, son organisme conservait leurs caractéristiques ce qui l'immunisait contre les dégâts de feu. Mieux encore, il pouvait s'en nourrir et c'est exactement ce qu'ils allaient exploiter.

Toutefois, sa nature de Demon ne pouvant être négligée, il était nécessaire qu'ils utilisent une flamme spéciale. Fleur avait donc été invité à participer. Son pouvoir lui permettait de générer des feux différents. En tant que Démon elle-même, il lui était alors aisé d'en produire un infusé de Maryoku.

À cause de cela, Hariel était assez jaloux d'elle. D'eux tous en fait puisque le reste de sa Suite (moins Viktor) assistait à la cérémonie alors que lui se trouvait coincé ici. Et c'était sans compter les femmes. Autant qu'il était nécessaire pour que le rituel se déroule correctement. Rias, Akeno, Koneko, Rossweiss, Asia, Revel (même si elle faisait mine de se montrer réticente), Xenovia, Irina... Même sa cousine Laufey était présente… et pas lui. C'était plutôt rageant.

Il soupira à nouveau.

« Est-ce que tout va bien, Votre Altesse ? » Demanda une voix près de lui.

Il tourna la tête et vit qu'il s'agissait d'Amelia Bones. Elle semblait différente dans sa robe bouton-d'or, une couleur qui tranchait avec les habits sombres dont elle était habituellement vêtue. La coupe restait simple et austère, mais la teinte riche ainsi que les quelques parures dans ses cheveux étaient saisissantes. Plusieurs autres femmes avaient choisi cette fleur, mais aucune ne la portait avec tant de dignité que la Directrice du Département de la Loi Magique.

« J'étais juste… perdu dans mes pensées » dit-il.

« Pourtant vos invités vous attendent » dit la femme. »

« Je sais » répondit Hariel avec une grimace. « Je ne peux pas continuer à utiliser mon rôle d'hôte comme prétexte pour me cacher à l'entrée toute la soirée. »

La majorité des invités étaient présents. Si d'autres devaient encore arriver, ce seraient des retardataires (qui seraient encore plus en retard que ce qui est convenable d'être en retard à ce genre de réception). Il avait donc laissé sa place à Grendel. Après tout, c'était le rôle du Majordome d'accueillir les visiteurs quand l'hôte ne pouvait le faire. En tant que résident du Sanctuaire, il était tout autant habilité qu'Hariel pour procédé au rituel d'accueil. L'attitude qu'il pourrait avoir autour de très humains avait de quoi inquiéter, mais ses consignes étaient suffisamment claire (et la Magie d'Excalibur suffisamment contraignante) pour qu'il n'y ait pas d'incident.

Amelia Bones laissa échapper un petit rire mi-compatissant, mi-moqueur.

« Allons, vous savez que cette "campagne" est bientôt terminée » dit-elle. « c'est en quelque sorte la dernière ligne droite. »

« Parce que vous pensez qu'une fois sur le trône je n'aurais pas à continuer à faire ce cirque ? »

« En effet, c'est assez peu probable. »

Harry soupira encore une fois.

« Veuillez m'excuser Amelia » dit-il finalement. « j'ai un peu la tête ailleurs ce soir et… et votre pochette est en train de fumer ! »

La femme cligna des yeux, surprise puis abaissa son regard vers le petit sac qu'elle tenait à la main. En soirée, les Sorcières utilisaient généralement des aumônières qu'elles portaient au poignet pour ranger leurs effets personnels. Amelia, elle, avait choisi une pochette sapiante rectangulaire en satin jaune plissé et décoré d'une unique broche en forme de bouton d'or.

« Ah ! » Dit-elle simplement avec un sourire ? « C'est juste Susan. »

« Susan ? »

« Ma nièce » répondit-elle en ouvrant le petit sac et en fouillant à l'intérieur.

Bien entendu, Hariel savait qui était Susan. Toutefois, Amelia ignorait encore qu'il savait. Pour le moment, à ses yeux, il n'était toujours que le Prince, pas Hariel Potter ou encore moins Hariel Grégory. Il faudrait cependant le lui dire. Rapidement.

« Avec ce qui se passe avec Ombrage, je voulais qu'elle puisse me contacter » dit-elle en sortant du sac un livret pour le montrer au Prince.

« Un carnet à double sens, je suppose » commenta celui-ci. « Au fait, sera-t-elle des nôtres demain chez le Duc Fowley ? »

En tant qu'Héritière des Bones, elle pouvait participer au rituel. Ce n'était pas inhabituel que certains élèves s'absentent de Poudlard pour ce genre de cérémonie. Surtout le weekend. Elle ne serait donc pas la seule.

Amelia sourit.

« Oui, mais je ne lui ai pas encore dit. Je lui ferais la surprise demain matin en allant la chercher » dit-elle alors qu'elle ouvrait le carnet pour lire le dernier message de sa nièce.

Son expression s'effondra alors complètement et elle pâlit.

« Amelia? Que se passe-t-il ? » Demanda Hariel, inquiet. « Quelque chose avec S… avec votre nièce ? »

Amelia leva les yeux vers son interlocuteur. Elle tremblait.

« Elle… elle me dit qu'elle a une retenue ce soir… » dit-elle d'une voix blanche, « avec Dolores. »

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Contre toute attente, Dumbledore était satisfait. Les efforts désespérés de Cornélius pour saper son autorité au sein de l'école et regagner les faveurs de la population fonctionnaient contre lui. Ce n'était pas encore visible, mais les manœuvres du Ministre ne faisaient que mettre plus en exergue la compétence du Prince… ou son absence d'incompétence plutôt.

Plus le temps passait et plus l'écart de popularité entre les deux se creusait. Peu importe à quel point les manigances de Cornélius écornaient son image, une fois que la sienne serait détruite, il apparaîtrait comme la victime de ses manipulations.

Certes, il avait perdu du pouvoir, son poste de représentant à la Confédération Internationale des Sorciers (ce qui lui a coûté par la même son siège de Grand Manitou) ainsi que celui de Président du Magenmagot, mais tout cela n'était rien. Une fois Cornélius écarté, tous reviendront vers lui à nouveau pour lui rendre ces deux postes. Bien entendu, il les refuserait en arguant être appelé à de plus hautes fonctions, celle de conseiller du Prince, non, du Roi.

Donc oui, pour le moment, la présence de Dolores Ombrage était un inconvénient. Cependant, la laisser commettre ses exactions sans intervenir était le meilleur moyen pour se débarrasser d'elle. Il était plus facile de la laisser creuser sa propre tombée que de la combattre en permanence. Il avait l'habitude des batailles au long court et il savait ménager ses forces. Quant à ce qui était des élèves, ils étaient jeunes, ils s'en remettraient.

Oui, au final, le mieux était toujours d'att…

Un bruit de souffle soudain le tira de ses réflexions. Sa cheminée se mit à vomir des flammes vertes puis une silhouette émergea du foyer.

« Amelia? » Demanda le directeur en haussant un sourcil.

La femme n'avait jamais débarqué de cette façon dans son bureau, pas sans convenir d'un rendez-vous par message ou s'annoncer en appelant auparavant. Il ne l'avait jamais non plus vue dans cet état. Elle était livide et son regard était un mélange de panique et de colère.

« Où se trouve le bureau de Dolores ? » Demanda-t-elle directement sans même saluer son hôte ?

« Comme tous les professeurs de Défense » répondit l'homme après quelques instants de surprise. « dans la montée de l'escalier entre le 1er et le 2e étage. »

Il avait à peine terminé sa phrase que la femme était déjà partie. Elle n'avait pas prononcé un seul mot ou une explication sur sa présence. Toutefois, il avait quelques doutes. Il savait parfaitement quel était l'élève que Dolores Ombrage avait en retenue ce soir-là.

Avec un sourire, il s'enfonça dans son fauteuil et croisa ses mains sur sa barbe avec satisfaction. Finalement, l'affaire allait être résolue plus vite que ce qu'il l'avait prévu. Comme à son habitude, il avait patienté et les choses s'étaient réglées d'elle même sans qu'il n'intervienne. Et il pourrait quand même en récolter les fruits alors qu'il n'avait pas fourni le moindre effort.

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Amelia courrait plus qu'elle ne marchait. Elle tentait par tous les moyens de se rappeler de ses années d'école afin de pouvoir se repérer. Mais c'était trop loin et son esprit était presque totalement obnubilé par le souvenir du message de Susan.

« Je suis désolé Tante Amelia, je voulais aider Léanne, mais j'ai reçu une retenue d'Ombrage. J'ai peur. Je ne veux pas y aller. »

Ce n'était pas le tracé soigné de sa nièce, ça, Amelia en était certaine. Sa main devait trembler. Susan devait être tellement effrayée… et elle aussi. Elle avait en tête les témoignages qu'elle avait reçus. Ils n'étaient pas nombreux, mais tous édifiants. Ils lui faisaient craindre le pire.

Elle progressa rapidement dans le dédale des couloirs du château. L'entrée du bureau de Dumbledore était heureusement au 2e étage, mais pas dans la même aile. Quand elle mit enfin les pieds dans celle des salles de cours de Défense, cela faisait déjà une dizaine de minutes qu'elle était arrivée. Elle se mit à courir sur les derniers mètres et dévala les escaliers en colimaçon. Elle allait si vite qu'elle faillit manquer le renfoncement où se trouvait la porte du bureau.

Elle ne prit même pas la peine de frapper et ouvrit la porte à la volée, se ruant dans la pièce entièrement décorée de rose. Mais elle ne remarqua pas cela, ni cela, ni les assiettes avec des chatons ni Dolores Ombrage qui s'était levée à son arrivée. Tout ce qu'elle voyait c'était du sang, le sang de sa nièce qui maculait un parchemin et traçait les mots "Je ne dois pas troubler l'ordre public" alors que ces mêmes mots se gravaient sur le dos de sa main. À cet endroit, chacune des lettres était rouge vif et cerclée de blanc.

Quant à Susan elle-même, elle avait le visage tordu par la douleur et on sentait qu'elle retenait ses larmes. Son regard était dirigé vers sa Tante qui pouvait apercevoir sa souffrance, sa peur et, également, le soulagement de la voir.

« Vous ! » Tonna-t-elle en se tournant vers Dolores Ombrage ? « Vous ! »

Elle tira sa baguette et la pointa sur la femme en avançant vers elle.

« Vous ! Je vais vous… »

« Tante Amelia ! » Cria alors Susan en se levant.

Celle-ci se tourna vers sa nièce. Celle-ci lui montra le dos de sa main et la plume qu'elle tenait toujours.

« Est-ce que ça suffit ? » Demanda-t-elle ?

« Qu… quoi ? » Balbutia Amelia dont la colère obscurcissait l'esprit.

« Est-ce que ça suffit pour un flagrant délit ? » Demanda à nouveau Susan.

Amelia cligna des yeux quelques instants avant de comprendre ce qu'elle voulait dire.

« Je… oui… oui, ça devrait suffire » dit-elle avant de se retourner une nouvelle fois vers l'autre personne dans la pièce. « Dolores Ombrage, je vous mets dès à présent en état d'arrestation. »

« Quoi ? » S'étouffa celle-ci. « Vous n'avez pas le droit ! »

« En tant que Directrice du Département de la Moi Magique, j'ai toute autorité pour ordonner l'arrestation et la mis en examen de quelqu'un et également celle de procéder moi-même à ladite arrestation. »

« Mais je… je n'ai rien fait de mal ! »

« Parce qu'utiliser un artefact prohibé sur des enfants ce n'est rien ? » S'étouffa Amelia.

« Tout ce que j'ai fait, c'est sur ordre direct du Ministre Fudge ! »

« Cela ne diminue en rien votre culpabilité, au contraire. Et de plus, grâce à votre témoignage, nous pouvons également imputer la responsabilité de vos crimes à Cornélius Fudge. Maintenant, veuillez me remettre votre baguette et vous rendre sans discuter. »

Ombrage se figea, aux aguets. Elle tenta ensuite de se saisir de sa baguette qui se trouvait juste à côté d'elle, mais elle eut à peine le temps de la braquer sur son adversaire qu'elle s'envolait de ses mains pour celles d'Amelia. Juste après, un filet de lumière blanche jaillit de la baguette de celle-ci droit sur Ombrage. Celle-ci sentit son corps se raidir, ses bras se plaquèrent le long de ses flancs et elle tomba en arrière sur le sol. Figée.

« C'est… c'est fini ? » Demanda Susan.

« Oui » répondit sa Tante.

Soudain, elle entendit un fracas dans son dos.

« Susan ! » S'écria Amelia.

Et elle se précipita vers la jeune fille qui s'était effondrée. Rapidement, elle lui envoya un Sort de Diagnostic et soupira de soulagement en s'apercevant qu'elle n'était qu'évanouie.

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Quand elle se réveilla, il fallut quelques secondes à Susan pour comprendre qu'elle se trouvait à l'infirmerie et quelques autres pour se souvenir de ce qui s'était passé. La tension de ces derniers jours ajoutée à la douleur de sa main avait eu raison d'elle et elle avait simplement perdu connaissance.

En se redressant, elle vit que sa main avait été bandée et que son lit était entouré de paravents. Deux silhouettes se détachaient en ombre chinoise de l'autre côté. L'une appartenait à sa Tante et l'autre, lui paraissait-il, à l'infirmière. Elles semblaient se disputer si elle en jugeait par les chuchotements vifs qu'elle entendait. En se concentrant, cependant, elle parvint à comprendre ce qu'elles disaient.

« … est-ce que ça a pu déraper à ce point, Pompom ? Utilisation d'un objet magique interdit ! Tu aurais quand même dû t'en rendre compte ! »

« Mais qu'est-ce que tu crois, Amelia ? » Lui répliqua Mme Pomfresh avec humeur. « Bien sûr que je l'ai remarqué. Je les ai soignés puis, comme d'habitude, j'ai fait un rapport. »

« Un rapport à qui ? Au directeur ? »

« Bien évidemment. »

« Et est-ce qu'il a donné suite ? Est-ce qu'il a fait quelque chose ? »

« … Non » avoua l'infirmière après un silence gêné.

« Pourquoi est-ce que tu n'as pas prévenu les parents ? »

« Ce n'est pas dans mes prérogatives. C'est à la direction de communiquer avec les parents en fonction de mes rapports. »

« Et c'est tout ? Tu as vu que Dumbledore ne faisait rien et tu ne t'es pas dit que quelque chose clochait ? Tu as tout gardé pour toi ? » s'emporta sa Tante.

« Je te prierais de ne pas me dire comment faire mon travail » répliqua Mme Pomfresh sur un ton acide. « Je ne te dis pas comment faire le tien. »

« Parce que mon travail à moi, il est fait. »

« Si tu as terminé, je te prierais de partir » dit l'infirmière dont le ton s'était fait glacial. « C'est une école. Les parents d'élèves n'ont pas à déambuler ici. »

« Je partirais quand Susan sera réveillée » dit sa Tante sur un ton péremptoire.

« Comme tu voudras. »

« Tu as changé, Pompom. Tu avais plus de courage quand nous étions à l'école. »

« Tout le monde ne peut pas être à Gryffondor. »

« Cela n'a rien à voir avec ta Maison ! »

« Si tu le dis » répliqua Mme Pomfresh avant de s'éloigner.

Susan entendit sa Tante soupirer puis elle l'a vit se rapprocher du paravent.

« Tu es réveillée » dit-elle quand elle poussa l'un d'eux.

Elle entra dans le petit espace et referma le voile derrière elle. Il y avait un tabouret à côté du lit de Susan, mais elle ne s'y assit pas. La jeune sorcière regarda sa seule parente vivante avec appréhension. Elle avait une expression sévère qu'elle avait rarement avec elle et ses yeux étaient remplis d'émotions contradictoires : colère et frustration mêlée de soulagement. Susan était certaine que la plupart lui étaient adressés.

« Je vais te poser une question » dit sa Tante Amelia. « Et j'espère que tu me diras la vérité. »

Susan hocha la tête.

« Est-ce que tu as fait exprès de te retrouver en retenue avec Ombrage ? »

« Oui » répondit simplement la jeune fille.

« Oh, Susan… » soupira sa Tante. « C'est à cause de ton amie, c'est ça ? Je t'avais dit de me l'amener pour qu'elle porte plainte. »

« Elle a refusé. Elle m'a dit que ses parents étaient très stricts et qu'ils la puniraient si jamais ils apprenaient qu'elle avait été en retenue. J'ai insisté, mais elle est restée catégorique. »

« Elle n'est pas ma seule dans ce cas » soupira sa Tante. « J'ai reçu de nombreux signalements de personnes qui ont été en retenue avec Ombrage, mais très peu ont accepté de porter plainte. Ils avaient peur de leurs parents qui étaient tous en faveur du Ministère. Mais ce n'est pas une raison pour… »

« Pour quoi ? » Demanda brutalement Susan. « Aider mon amie ? Faire en sorte que ça n'arrive pas à d'autres ? Tu as dit qu'il te fallait un flagrant délit. Alors j'en ai organisé un. »

Cela lui avait tout de même pris un certain temps pour y parvenir. Au départ, elle s'était contenté d'interrompre le cours de Défense, de poser des questions à leur professeur sur sa méthodologie voir le Ministère lui-même. C'était comme ça qu'Hermione avait été elle-même punie au début de l'année après tout. Mais le Professeur Ombrage n'avait jamais semblé vouloir la mettre en retenue. Après réflexion, elle se disait que c'était parce qu'elle craignait les réactions de sa Tante. Elle avait alors dû penser à un plan pour ne pas lui donner d'autre choix que de le faire. Elle avait acheté quelques farces et attrapes particulièrement bruyantes et colorées aux Jumeaux Weasley et les avait utilisées sur les membres de la Brigade Inquisitoriale. Elle avait ensuite fait exprès de se laisser prendre pour qu'ils l'amènent directement dans le bureau d'Ombrage.

Face à ses sbires, elle n'avait pas pu faire autrement que de la mettre en retenue. Elle devait conserver son autorité. Susan avait donc attendu d'être devant le bureau du professeur pour écrire son message à sa Tante. Elle avait utilisé le bois de la porte comme support. C'était pour cela que l'écriture semblait différente de d'habitude. Si elle avait patienté jusqu'au dernier moment, c'est parce qu'elle savait que sa Tante se précipiterait au Château en apprenant qu'elle était avec la femme. Elle ne voulait pas qu'elle arrive trop tôt. Pas avant qu'elle n'ait les "preuves" en main. Ou sur sa main.

Bien sûr, son plan n'était pas parfait. Il y avait encore le risque qu'Ombrage craignait trop sa Tante pour utiliser la Plume de Sang. Fort heureusement, elle avait suffisamment piqué la femme au vif pour qu'elle veuille se venger.

« J'ai eu très peur » dit finalement sa Tante, la tension se relâchant dans son corps.

« Moi aussi » avoua Susan.

Sa Tante Amelia se rapprocha alors du lit et la prit dans ses bras.

« Ne me fait plus jamais, jamais ça, c'est compris ? » Dit-elle d'une voix pleine de détresse ?

D'abord confuse, Susan rendit son étreinte à sa Tante et hocha frénétiquement sa tête. Ses yeux se mirent à la brûler et sa vision se troubla à cause des larmes. Elles restèrent serrées l'une contre l'autre pendant quelques instants avant que la plus âgée ne se redresse. Avec surprise, Susan la vit s'essuyer les yeux.

« Je vais partir maintenant, mais on se revoit demain. »

« Demain ? »

« Je viendrais te chercher dans la matinée pour les célébrations de Beltaine. »

« Oh »

Avec tout cela, elle avait complètement oublié que c'était Beltaine. Elle promit donc d'être prête le lendemain au portail de l'école avant que sa Tante n'accepte, finalement, de la laisser. De nouveau seule, Susan se rallongea dans son lit en soupirant. Elle était fatiguée et ses paupières se fermaient déjà.

Cependant après quelques instants, elle entendit un froissement de tissus. Croyant que c'était l'infirmière, elle se redressa, mais ce n'était pas elle. C'était Hariel.

« Bien joué pour ce soir » dit-il en s'asseyant près de son lit.

« Tu… tu es déjà au courant ? » Balbutia Susan, surprise. « Comment… »

« J'ai mes sources » dit le jeune homme avec un sourire mystérieux avant d'ajouter : « tu as été très courageuse ».

« Je ne suis pas Gryffondor » marmonna Susan en haussant les épaules.

« Cela n'a rien à voir avec la Maison » lui répondit Hariel en faisant échos aux paroles de sa Tante un peu plus tôt. « Le Choipeau ne repartit pas les élèves en fonction des qualités qu'ils n'ont pas, mais de celles qu'ils ont. Cela ne veut pas dire qu'ils ne possèdent pas les autres. C'est pour ça que je me répète : tu as été très courageuse ce soir. »

« Mon amie avait des problèmes » tenta de se justifier Susan. « Je voulais juste l'aider… »

« Et pour cela, tu as fait preuve de Rise afin de te faire mettre en retenue et de courage pour y aller et affronter Ombrage, non ? »

Susan fronça les sourcils en réalisant qu'en fait, c'était vrai.

« Oui… oui, on peut dire cela » dit-elle.

« Et tout cela, tu l'as fait parce que tu tenais à ton amie » continua Hariel. « Par loyauté. »

« Oui… »

« Les gens pensent que la loyauté des Poufsouffles est une faiblesse. Aujourd'hui, tu viens de leur prouver que c'était une force. Bien joué. »

Le cœur de Susan se mit à battre dans sa poitrine et, pour la première fois, elle ressentit de la fierté. De la fierté d'être une Poufsouffle. De la fierté d'être elle-même.

À suivre…

.

Et voilà. Enfin ils sont débarrassés d'Ombrage. Bon, par contre, il va encore y avoir du battage médiatique, un procès, etc. Mais disons qu'elle est mise hors d'état de nuire… et qu'elle n'est pas la seule ).

En tout les cas, j'aime bien mettre en avant des personnages secondaires justes pendant un instant comme je l'ai fait avec Susan. J'espère que ça vous a plu.

Le retour de Viktor chez les Svalinnkin (que j'avais totalement oublié, je l'avoue). Pas d'avancée au niveau de leur couple, mais ça va venir. Au fait, les noms de Brann et Isen signifient respectivement "feu" et "glace" en norvégien. Pour ce qui est des maisons, mon inspiration provient essentiellement de mon expérience de jeu avec Assasin's Creed Origins dont les décors sont juste sublimes.

Une longue longue longue description de Tintagel et de ses jardins. J'espère que je ne vous ai pas ennuyé. En tout cas, j'ai adoré imaginer tout ça.

Et voilà, n'hésitez pas à me laisser des commentaires et je vous dis à la prochaine fois.