Chapitre 39

Ce fut après minuit, le lendemain soir, que les phares de l'Impala éclairèrent le panneau bleu et or du Royal Inn, dans la petite ville de Lovelock, Nevada. La voiture avait été rudement sollicitée et Sam et Dean étaient éreintés. Mais, même si le trajet avait semblé interminable, ils étaient enfin arrivés, ou si près. L'heure avancée et leur état physique leur avaient cependant interdit d'envisager autre chose qu'une nuit de repos et un vrai repas. Ils s'étaient laissés guidés par les lumières des néons de la rue principale, traversant la ville aux façades modestes qui paraissaient hésiter entre présent et passé, et dont les trottoirs poussiéreux portaient les marques de leur vécu. Une vague odeur de pin flottait dans l'air sec et doux. En garant l'Impala, devenue grise, devant le bâtiment oblong du motel, les deux frères avaient cru discerner à l'horizon l'ombre des canyons qui ceignaient le désert, parés de la lueur diaphane d'une nuit percée d'un mince croissant de lune.
Partout, le silence, à peine brisé de temps à autre par le bruit d'une voiture et par l'animation un peu plus prononcée aux abords de ce qui ressemblait à un casino. Mais, ces rares traces de vie exclues, tout donnait l'impression aux Winchester d'être arrivés au bout de nulle part.

- Ce coin paumé me rappelle quelque chose, confia Sam avec circonspection en essayant de percer alentour le noir de la nuit.
- Ah bon ? s'intéressa vaguement son frère en claquant la portière. C'est quoi ?
- Cet hôtel où et les dieux nous avaient coincés, rappela-t-il d'une grimace. Quand on cherchait à arrêter l'Apocalypse. Je crois qu'on était plus ou moins dans le coin, avant de nous retrouver là-bas...
Dean se souvint soudain avec un dégoût prononcé de cette mésaventure qui lui parut remonter à une éternité.
- Au moins l'hôtel avait de la gueule, se fendit-il dans un soupir. Putain, comment ça se fait que tout nous ramène toujours à eux ? J'ai l'impression qu'on bouffe du dieu à toutes les sauces, en ce moment. Fais-moi penser à acheter un billet de loterie, on sait jamais...
- Si tu veux vérifier les lois de probabilité, t'as un casino juste à côté, répliqua Sam sans même un sourire.

Évacuant le sujet aussitôt, ils se dirigèrent vers la réception en se demandant pendant un instant si le motel était bien ouvert, surtout en constatant la quasi vacuité du parking, mais leurs doutes furent levés lorsqu'ils trouvèrent le tenancier, surpris par leur visite tardive. Leur soulagement fut réel de ne pas avoir à passer une seconde nuit dans le confort relatif de l'Impala. En moins de trente-six heures, ils avaient parcouru près de trois mille huit cents kilomètres et leur envie d'un vrai lit était telle qu'ils acceptèrent la première proposition qu'on leur fit, sans doute pas la moins chère. Ils payèrent comptant et ramassèrent la clé, Sam alla chercher leurs sacs, et deux minutes plus tard, ils franchirent la porte de leur chambre.
Elle ne fut ni la pire ni la meilleure parmi toutes celles qui les avaient accueillis, mais ils eurent pourtant le sentiment d'investir les appartements d'un palace. Une pièce honnête aux murs neutres, deux grands lits disposés côte à côte face à un téléviseur, une table, un fauteuil en cuir, et surtout un coin cuisine où Dean se précipita avec un grognement de contentement. Ils avaient acheté à la station-service, un peu plus tôt, tout en faisant le plein, de quoi grignoter sur le pouce mais, non content de trouver four et plaque chauffante à disposition, l'aîné des Winchester eut le bonheur de dénicher dans les placards des conserves oubliées qu'il s'appropria sans une once de remords. Sa faim de loup l'emportant sur tout le reste, y compris sur la fatigue, il se mit aux fourneaux séance tenante. Sam, lui, en profita pour d'abord investir la salle de bains.

L'effet que produisirent sur Dean deux assiettes de haricots-saucisses fut notable, à tout le moins. Manger avait toujours été pour lui source de réconfort, mais lorsque se remplir l'estomac signait en plus la fin de deux jours de frugalité, c'était alors une véritable célébration. Le repas, somme toute médiocre, qu'il partagea avec Sam, eut au moins le mérite de regonfler un peu son moral, alors que la fin du voyage l'avait vu devenir de plus en plus maussade. L'échéance possible à venir, le fait de devoir bientôt avoir le cœur net, d'une façon ou d'une autre, de ce qui se tramait peut-être, et l'incertitude du niveau d'implication qui serait ou pas le leur, l'avait miné au point de ne même plus répondre à son frère ou de ne faire que dormir quand celui-ci le relayait au volant. Cette morosité pesante semblait derrière lui, à présent qu'il s'était restauré ; il eut même à cœur de plaisanter sur son « odeur de chacal » en contraste avec celle toute différente de Sam, dont il moqua le temps passé sous la douche. C'était un bain, rectifia le cadet. Il n'en fallut pas plus à Dean qui, le dernier haricot tout juste avalé, se rua dans la salle d'eau pour s'extasier bruyamment devant la baignoire où il se plongea à la seconde où elle fut remplie.

Tout entier immergé dans l'eau chaude qui lui donnait le sentiment d'être un peu plus léger, il eut alors la sensation de se couper lentement du monde et de maintenir loin de lui les questions qu'il avait l'impression de se traîner comme les puces sur le dos d'un chien. Et pas seulement celles liées à Chaos. La pièce était sommaire mais fonctionnelle ; la baignoire bien assez grande, et l'odeur de propre qui flottait dans l'air, aussi plaisante que le silence ambiant. Dean se demanda un moment à quoi était occupé Sam, qui ne quittait pas ses pensées et qu'il n'entendait pas. Il l'imagina en train d'examiner le fusain, comme il l'avait fait dix fois depuis qu'ils en avaient hérité. Ou sur son ordinateur, en train de chercher davantage de renseignements sur leur destination finale ; ou occupé à lire ses messages. Voire endormi, rompu de fatigue par le voyage que l'aîné appréhendait déjà de refaire en sens inverse. S'ils le pouvaient. La brusque crainte d'en être empêchés par un évènement malheureux lui fit sèchement rouvrir les yeux, alors qu'il commençait doucement à s'assoupir. Il eut envie d'appeler son frère, pour vérifier ce qu'il était en train de faire et que tout allait bien. Mais il n'en fit rien, de peur de paraître ridicule. Il resta là. Immergé jusqu'au milieu des pectoraux dans la baignoire placée le long du mur de droite de la pièce au carrelage beige ; ses bras mouillés posés sur les bords de la cuve ; fermant périodiquement les yeux une seconde, ou bien une minute, ce qu'il n'aurait su dire avec exactitude, maintenu dans un état de torpeur qui faisait osciller sa conscience entre veille et sommeil. Pour ne pas trop laisser refroidir son bain, il avait gardé ouvert le robinet d'eau chaude, dont l'excédent s'évacuait par le trop-plein. Le léger filet d'eau qui coulait en permanence au-dessus de ses pieds, et qu'il allait troubler de temps en temps du bout des orteils, émettait un clapotis caractéristique qui amplifiait son envie de dormir. Alors, un temps donné, il partit. Son menton tombant lentement sur sa poitrine et, peint sur les lèvres, un sourire euphorisé nourri par les pensées déjà oniriques qui s'étaient mises à danser la sarabande dans sa tête. Écho de l'effervescence des sens avec laquelle il composait depuis maintenant des semaines, et dont son endormissement favorisa la pleine expression.

Ainsi son être, entre rêve et souvenir, renoua-t-il avec le doux frisson de ses premières attirances pour Sam, dont il entendit la voix l'appeler dans ses songes.
- Dean ? Hé ho, Dean ?

Lorsque l'aîné des Winchester rouvrit les paupières, et que lentement, il releva la tête, le bruit de l'eau fut le premier son qu'il entendit consciemment, et la lumière sourde de la salle de bains, la première chose que perçurent ses pupilles. Un mouvement deux mètres sur sa gauche, lui fit y porter ses yeux endormis, et il reconnut Sam, dans l'encadrement de la porte, dont l'image lui donna envie de sourire.
- Tu dormais, ou quoi ? dit le cadet.
- Pas du tout, démentit-il en se redressant paresseusement.
- T'es là-dedans depuis plus d'une demi-heure. Sauf si t'as décidé de te faire pousser des branchies, ça te ferait rien de sortir ? J'ai besoin des toilettes.
Dean arqua les sourcils d'un air moins interloqué qu'amusé, incapable de résister à l'envie subite de saisir l'occasion de taquiner son frère.
- C'est juste là, montra-t-il nonchalamment en sortant le pied hors de l'eau, désignant ainsi la cuvette des WC placée à la gauche de ses orteils, contre le mur d'en face.
Sam, incrédule, renifla un bref rire froissé, et tout en faisant un pas pour entrer plus franchement dans la pièce, il conserva sur les lèvres un sourire guindé qui n'indisposa pas son aîné le moins du monde.
- Je vais pisser devant toi ? formula-t-il pour en souligner l'incongruité.
Peine perdue car Dean, qui se délecta de la réaction de son cadet, conforme en tous points à ses prévisions, usa des mêmes expédients pour mettre en exergue avec indolence :
- T'as peur que je voie ta bite ?
Et si Sam avait espéré faire prendre conscience à son frère de la lourdeur de trait de sa proposition, ce fut la futilité de sa propre pudeur qui lui fut renvoyée en pleine face. Il sut tout de suite qu'il n'aurait pas gain de cause et que plus il insisterait pour avoir place libre, plus Dean rechignerait à lui donner satisfaction, tant il était clair que celui-ci avait décidé de le faire enrager. Un instant, le puîné envisagea de tourner les talons et d'aller uriner dehors. Juste pour lui montrer qu'il n'entrait pas dans son jeu. Mais, piqué au vif, et refusant que Dean puisse interpréter son départ comme une reculade, il le prit au mot et lui fit la surprise d'avancer jusqu'aux toilettes.
- Vraiment, des fois, je me demande quel âge tu as, maugréa Sam.
Dean, qui s'était plutôt attendu à ce que son frère se retienne jusqu'à pouvoir récupérer l'usage de la salle de bains, arrondit les yeux en le voyant faire mine d'ouvrir sa braguette presque sous son nez. Les WC se trouvaient juste à côté de la baignoire ; coincés entre elle et le meuble bleu du lavabo. Dean n'aurait eu qu'à tendre la jambe pour frôler son cadet, et son air un peu revêche, qu'il trouva des plus sexy avec sa cambrure de reins outragée, lui donna furieusement envie de le titiller. Il resta cependant suspendu à la poursuite du geste de Sam, dont il vit les mains déboutonner son pantalon. Mais au moment de dévoiler son intimité, ce dernier, de trois-quarts face, lui tourna ostensiblement le dos et le laissa avec sa frustration tandis qu'il se planta devant la cuvette en écartant les pieds d'un geste dédaigneux.
- Pfff ! Chochotte..., marmonna Dean.
Il se laissa glisser au fond de l'eau qui lui monta jusqu'au menton et ignora son frère. Quelques secondes. Qui devinrent quelques dizaines. Une minute passa, sans que Sam ne semblât décidé à changer de position, ni s'être soulagé.
Inévitablement, le détail finit par frapper Dean qui lança :
- Qu'est-ce que tu fous ? T'as la prostate qui gonfle, ou quoi ?
- Ça va, lâche-moi, se rebiffa Sam d'une voix aussi tendue qu'il l'était lui-même.
Selon toute vraisemblance, devoir uriner dans ces conditions, avec son frère qui, dans son dos, prenait un malin plaisir à épier ses moindres faits et gestes, était plus ardu que prévu. Impitoyable, Dean savourait le voir s'échiner à aller au bout de sa tâche en tentant de cacher le mal qu'il avait à le faire, mais plus il essayait, moins le cadet y parvenait.
- T'as qu'à t'asseoir, railla encore le premier-né à mi-voix, ça viendra ptet plus vite...
- Putain, tu vas la fermer, oui ? se fâcha Sam.
Et, tendant le bras vers la droite, il agrippa nerveusement le rideau de la baignoire replié contre la paroi et sur lequel il tira tellement fort qu'il remonta tout seul et d'un coup sec le long de sa barre, jusqu'à l'autre extrémité de la cuve, dans un crissement aigu. En moins d'une seconde, Dean se trouva isolé derrière le paravent de plastique, et Sam, soustrait à sa vue, put terminer à peu près en paix.
- Tu prends vraiment la mouche pour trois fois rien ! clama l'aîné qui ne voyait plus que les motifs à demi effacés du rideau.
Il hésita à en rester là, mais face au mutisme de son frère il fut trop tenté d'ajouter, au risque de s'attirer réellement son courroux :
- Pense à ta tension, frangin... Si t'as un coup de chaud, viens me rejoindre dans le bain, ça te calmera les nerfs.
Un sourire fat apparut sur ses lèvres sans qu'il pût rien faire pour s'en prémunir. Et être caché aux yeux de Sam lui permit au moins de l'afficher sans nécessité de se restreindre. Dean se lassa pourtant bientôt de chercher querelle à son cadet mais n'éprouva aucun remords de l'avoir fait enrager ; il se sentait bizarre, comme si la légère vapeur qui montait du bain avait des senteurs d'alcool qui le rendaient à demi-ivre. Somnolent à nouveau, il entendit d'une oreille au froissement du tissu que son frère remontait son pantalon, puis en entrouvrant les paupières il distingua son ombre, à travers le rideau, qui gigotait en se déportant vers la porte. Porte que Sam n'atteignit pas. Car soudain, le rideau de douche se rouvrit brutalement, et Dean, qui sursauta dans son bain sous l'effet de la surprise, le vit debout et complètement nu planté devant lui.
- Fais la place, ordonna Sam en le dominant de toute sa hauteur, son buste viril irradiant de toute sa gloire.
Ébaubi, Dean se redressa machinalement en réponse à l'injonction de son frère au moment où ce dernier plongea la jambe gauche dans la baignoire et, incrédule, l'aîné le regarda amplifier son geste jusqu'à le voir entrer des deux pieds, en lui tournant le dos, exposant ainsi son fessier galbé sous ses yeux éberlués.
- Hé, alpagua Dean alors que Sam fit mine de vouloir s'installer comme si la place était libre. Qu'est-ce que tu fous ?
- Je viens me calmer les nerfs, décocha-t-il en se baissant dans le but évident de s'asseoir devant son frère. Allez, bouge.
Dean, sifflet coupé, dut coller son dos au carrelage froid du mur et écarter les genoux jusqu'à les plaquer contre les bords de la baignoire pour permettre à Sam de se placer juste entre ses jambes. L'eau déborda abondamment, inondant le sol de la salle de bains, mais le puîné prit toutes ses aises au grand dam de Dean qui tança :
- Woh ! Fais gaffe, t'en fous partout ! Le principe d'Archimède, tu connais ?
- Très bien, merci, fit Sam en étirant le dos pour le seul plaisir de presser contre le poitrail de Dean et lui envoyer sa chevelure en plein visage. Ce qui m'étonne c'est que toi, tu sois au courant.
Dean, son espace vital envahi, grommela par principe, mais sa grogne ne dura qu'un instant. Dès qu'il sentit le large dos de son frère presser contre sa poitrine, qu'il perçut de nouveau l'odeur de sa peau et sa chaleur, il éprouva presque instantanément une sensation d'apaisement. Le contact du corps de Sam contre le sien raviva son sentiment de bien-être, tout comme ses désirs charnels toujours alertes, et le cœur gonflé d'aise il noua tendrement les bras autour du torse de son cadet pour le serrer contre lui. En posant la joue sur la nuque de Sam, qu'il ne put se retenir de caresser d'un doux baiser.
- Tu m'as manqué, lui susurra-t-il sans détacher son visage de ses trapèzes épais.
Sam se garda d'exprimer le bonheur pourtant manifeste que cette simple phrase - et leur extrême proximité retrouvée - provoqua chez lui, et se contenta de souligner, léger :
- On s'est pratiquement pas éloignés l'un de l'autre de plus de trente centimètres pendant presque deux jours.
Il sentit alors les bras de Dean resserrer doucement leur étreinte, et un second baiser couvrir son épaule.
- Tu sais bien de quoi je parle, fit l'aîné des Winchester.
Sam posa délicatement la main sur l'avant-bras de son frère, avant de lui répondre avec mesure, la voix chaude et pudique :
- Je sais. C'est exactement pareil pour moi, Dean.
Sam tourna alors lentement la tête en arrière tout en se penchant un peu de côté et laissa leurs yeux se croiser. Tous deux sentirent à cet instant une espèce de communion, comme si un fer invisible termina de forger un maillon supplémentaire à la chaîne qui les liait l'un à l'autre, et leurs lèvres se rapprochèrent. Elles se frôlèrent d'abord, avec une timidité touchante, se goûtant avec prudence pour laisser doucement revenir les sensations ; pour jouir de leur douceur et de leur sel ; pour renouer avec cet émoi qui, les deux hommes le constatèrent, n'avait rien perdu de son intensité. Puis, leur sang subitement réchauffé, ils se lièrent bien vite plus franchement, et leurs bouches affamées pressant avidement l'une contre l'autre ils s'embrassèrent passionnément, longuement, chacun bien décidé à montrer à l'autre combien ce baiser était bon, à quel point ils l'avaient attendu, et qu'être frères était moins que jamais une entrave à la pleine expression de leurs sentiments.
Lorsqu'ils se séparèrent, ils ne le firent que des lèvres, pour reprendre posément leur souffle. Leurs fronts persistèrent à demeurer collés l'un à l'autre, et leurs joues rugueuses se caressèrent mutuellement, chacun de leurs gestes, jusqu'au plus insignifiant, mû par une tendresse extrême. Les prunelles claires de Dean plongèrent dans les yeux de Sam qui sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine, tant la douceur et la profondeur de ce regard lui ravaudèrent l'âme.
- Merci, émit-il tout bas, d'une voix si suave et indolente que Dean la reconnut à peine. J'en avait besoin.
Le léger sourire qui naquit sur les lèvres de l'aîné fut le plus fervent témoin de la joie absolue qu'il éprouva sur l'instant, et aussitôt il ressuscita leur baiser qui se prolongea aussi longtemps que le précédent, Sam y répondant avec un plaisir si vif que son corps tout entier y réagit. Lentement, ensuite, il laissa son dos reprendre sa place contre la poitrine de Dean, gardant les deux bras de ce dernier serrés autour de lui, et la nuque sur son épaule il lui murmura les yeux clos :
- Je me sens bien... C'est comme si toute la fatigue avait disparu.
Le sentiment de plénitude qui avait envahi Dean n'était pas moins fort. Se lover contre son frère, si étroitement lié à lui, c'était comme s'il réunifiait les deux moitiés de lui-même, et il réalisa avec un élan d'émotion qu'il n'y avait plus que dans ces moments-là qu'il se sentait véritablement entier.
- On peut rester comme ça jusqu'à ce qu'on ait la peau fripée comme deux croulants de quatre-vingts ans, si tu veux, lui glissa-t-il à l'oreille avec délicatesse. Ou jusqu'à ce qu'on vienne nous jeter dehors...
Sam eut un bref sourire triste.
- J'aimerais bien, soupira-t-il.
Mais leurs actuelles préoccupations, celles qui les avait conduits jusqu'ici, si loin de chez eux, lui revinrent implacablement à l'esprit.
- Qu'est-ce que tu crois qu'on va trouver ? s'enquit-il d'un ton soucieux.
La réaction de Dean prit son temps. Il demeura silencieux et stoïque pendant un long moment, faisant comprendre à son frère avec quelle gravité il considérait la question.
- J'en sais rien, finit-il par dire du bout des lèvres. Peut-être rien du tout...
Poussé par les élans qui débordaient de son cœur, il déposa trois baisers sur la peau de Sam ; le premier sur son épaule, le second sur sa nuque, et le dernier sur son oreille gauche, en même temps que, de ses doigts mouillés, il lui caressa délicatement le haut du torse d'un mince filet d'eau. Le puîné lui sut gré de ses efforts pour le détourner de ses inquiétudes, mais en dépit du net plaisir que lui procurèrent les attentions de son frère, il eut du mal à songer à autre chose.
- C'est vraiment ce que tu penses ? demanda-t-il sans illusions. Ou ce que tu espères ?
Dean mûrit à nouveau sa réponse pendant de longues secondes. La joue sur l'oreille de Sam, une main sous l'eau lui caressant l'abdomen, il répéta alors avec gravité :
- J'en sais rien, Sam... Si y'a quelque chose à trouver mais que les anges veulent nous tenir à l'écart, je suis à peu près sûr qu'on n'y verra que du feu. D'un autre côté, je me dis que ce démon nous mène en bateau. Que y'a que dalle. Pourquoi les anges auraient décidé de se fritter avec Chaos justement ici ? Si c'est pour l'atomiser, pourquoi pas dans le Sahara ou l'Antarctique ?
Ces questions, parmi tant d'autres, tous deux se les étaient posées cent fois depuis qu'ils avaient pris la route. Mais Sam, pas plus que Dean, n'en connaissait la réponse. L'air absent, tourné vers ces sempiternelles incertitudes, il reposa une main sur le bras de son frère, et en caressant distraitement la peau douce et humide du membre vigoureux qui lui barrait le torse, il fit ce vœu :
- Il faut qu'on fasse quelque chose, Dean. Il faut qu'on trouve le moyen... d'aider à ce que... ce truc ne soit plus qu'un souvenir.
Une pointe d'anxiété, mêlée à un relent de répulsion, piqua l'aîné des Winchester au creux de l'estomac. Il eut comme un mauvais pressentiment, et son envie de voir le soleil se lever demain fut d'autant plus faible qu'elle induisait la nécessité de sortir de la baignoire. Ils allaient partir en quête des anges, des Érotes ou de Chaos, voire d'une horde de démons ; Dean n'en savait rien. Mais dans tous les cas, il lui faudrait délier son corps de celui de Sam, et à cet instant, cette idée lui fut insupportable.
- On est venu pour ça, lui répondit-il directement bien qu'à contrecœur, en même temps que, de ses deux bras, il lui couvrit les clavicules pour l'enlacer par les épaules. On va tout faire pour.
Parce que c'était essentiel pour Sam, ça l'était aussi pour lui. Le plus jeune des deux hommes parut rasséréné, conforté dans sa certitude qu'ils feraient tout pour essayer de réparer les torts que leur combat contre Chuck avait causés. Et il acheva de se laisser gagner par le plaisir d'être dans les bras de son frère, dont il savoura pleinement la tendre étreinte.

- À quoi est-ce que tu es en train de penser ? posa-t-il d'une voix relâchée, les yeux clos et la tête contre l'épaule de Dean, face au silence et à la totale immobilité de ce dernier.
- Hum ?
La voix ensommeillée de son aîné fit doucement sourire Sam, qui crut l'avoir tiré de sa somnolence. Le jeune homme inclina légèrement la tête et, du coin de son œil, frotta très lentement la pommette de Dean qui trouva la caresse aussi agréable que réconfortante.
- Je me disais... qu'on était bien, là, comme ça, fit-il en verbalisant sa sensation du moment histoire de répondre quelque chose.
Il pressa sa joue un peu plus fort contre celle de son cadet puis enfouit le nez dans son cou. Sam en éprouva un violent frisson qui fit tomber le dernier verrou.
- Oui, susurra ce dernier en affichant un sourire comblé. Vraiment bien...
Leurs bouches se retrouvèrent alors, sans qu'un mot, un geste, ni même une pensée de plus ne fût nécessaire. Et ils savourèrent le plaisir entier de ce nouveau baiser auquel ils insufflèrent toute l'ardeur du désir et la force de l'amour qu'ils ressentaient l'un pour l'autre. Cet amour qui n'avait plus de limites, plus de contours définis, ce que Dean avait déjà bien compris sans oser l'exprimer, et qui au cœur de leur étreinte, de façon aussi secrète qu'avec une troublante simultanéité, leur fit se promettre de ne jamais, jamais renoncer à eux. La caresse fut si douce, et l'abandon si grand, que la main de l'aîné de la fratrie sembla bientôt glisser toute seule sous l'eau, en dévalant progressivement le torse du cadet qui l'y aida peut-être par les ondulations de plaisir de ses abdominaux mouillés. Et ce que Dean trouva, l'interpella par son ampleur autant qu'il s'en réjouit.
- Quoi, qu'est-ce que t'as ? fit Sam d'un air tout à la fois innocent et mutin alors que son frère quitta ses lèvres pour baisser des yeux écarquillés vers le fond de la baignoire. T'as trouvé quelque chose qui t'intéresse ?
Dean haussa les sourcils d'un air impressionné, puis confirma dans un soupir fébrile :
- Un peu, ouais... Putain, c'est moi ou tu bandes chaque fois plus dur que la fois d'avant ?
Le regard de Sam, qui se para d'un sourire narquois, dévia sur son entrejambe où, sous l'eau, la main de Dean s'activait pour son plus grand plaisir. Il sentit qu'il n'aurait pas dû éprouver cette excitation à ce moment précis, en tout cas pas autant, mais il ne put rien faire pour juguler les torrents de libido qui lui parcoururent les veines. Il n'en eut d'ailleurs nulle envie, et uniquement désireux de montrer à Dean combien son sang était échauffé, il se releva pour non pas quitter la baignoire, comme le premier-né le craignit à tort, mais plutôt pour s'asseoir sur son rebord, les pieds dans l'eau jusque sous les genoux. Muscles tendus, poils mouillés à son torse dégoulinant, Sam planta ses longs bras près de ses flancs pour stabiliser sa position et, en écartant les cuisses comme s'il voulait accueillir entre elles tout un régiment, il présenta fièrement son sexe luisant au garde-à-vous, dressé comme une fusée sur son pas de tir.
Dean songea à son tour qu'il n'aurait plus dû maintenant s'en troubler autant, mais ce fut pourtant un regard presque envoûté qu'il posa sur les attributs virils de son cadet qui lui apparurent stupéfiants de beauté. Plus encore qu'auparavant. Les paupières aussi fixes que ses lèvres étaient rouges, avides de ce fruit singulier à l'aigreur duquel il se languissait déjà de mordre, il s'en rapprocha imperceptiblement, décollant à peine le dos de la baignoire, mais sa main déjà lancée vers le membre roide et puissant, dont le gland aussi lisse que du verre poli avait l'air de redresser le nez avec arrogance. Lentement, Dean se rapprocha plus franchement, sans le quitter des yeux, s'humectant les lèvres du bout de la langue tandis qu'il vint se placer exactement entre les cuisses de Sam, bien en face de son pénis. Alors que ses doigts se refermèrent délicatement tout autour, il prit conscience de son étonnante chaleur ; il posa l'avant-bras sur la cuisse de son cadet pour s'offrir un confort optimal, et se mit à lui caresser le sexe avec des précautions infinies, de la racine de ses testicules nus jusqu'au pinacle humide de la hampe, qu'il sentit délicieusement frétiller sous ses doigts. De son côté, Sam se plut à le laisser et le regarder faire, et sentit l'excitation le saisir avec une force qui croissait tant que son ventre se creusa. Sa musculature abdominale saillit, non moins dure que son sexe, en même temps que sa respiration s'accéléra.
- On dirait... que tu l'as jamais vue, exhala-t-il en s'efforçant de contrôler les soupirs secs dont l'exaltation ponctuait son souffle. Tu sais que tu fais ça à chaque fois ?
Dean, qui dévorait l'organe des yeux en y faisant lentement courir le bout de ses doigts comme pour en mémoriser physiquement l'anatomie, leva le regard une fraction de seconde pour balayer avec dédain :
- Tsss, pas du tout.
- Je t'assure que si, fit Sam qui, épaules et pectoraux contractés, afficha un sourire aigu en le voyant reprendre sa besogne.
- C'est définitivement pas pareil qu'un clito, observa l'aîné des Winchester l'air rêveur en traçant méticuleusement les contours du gland de son frère du bout du doigt.
Sam faillit éclater de rire devant le grotesque de la remarque mais le vif élancement de plaisir qui lui serra l'extrémité du sexe en lui coupant brièvement la respiration, le stoppa dans son élan.
- Ça te manque pas ? questionna-t-il au bout d'un instant avec une pointe d'audace tandis qu'entre les mains de Dean, Sam avait la sensation d'être ceint dans le velours. Les clitos ?
L'aîné de la fratrie haussa un regard condescendant, puis le reporta aussitôt sur le sexe de son cadet qu'il se remit à examiner tel le diamantaire face à une nouvelle pièce.
- Pas pour l'instant, partagea-t-il d'un ton tranquille et un peu provoquant. Et toi ?
L'image de Dean qui, comme une preuve, couvrit d'un habile baiser l'extrémité de son gland, ne fut que le prélude à la violente sensation qui modifia les traits de Sam en une expression d'extase et qui rendit sa réponse inutile. Un sourire vainqueur fleurit sur les lèvres du premier-né, et après elles ce fut sa langue qu'il porta au contact du sexe du second, en visant avant tout ses bourses humides qui pendaient juste sous son nez.
- Oh..., gémit Sam en s'efforçant d'atténuer le tremblement de sa voix et de ses muscles, alors que son aîné se mit à lécher goulûment ses parties.
Le regard vaporeux et ardent, électrisé par les intenses sensations qui le traversèrent, le puiné posa une main sur la nuque de son frère qu'il caressa avec un mélange de fébrilité et d'ardeur. Bien que n'ayant nul besoin d'y être encouragé, Dean poursuivit un instant, puis abandonna progressivement les bourses de Sam dans le but d'aller gravir son phallus, en n'usant pour ce faire que de sa bouche. Ce fut avant tout à l'adresse de la pointe de sa langue, qu'il eut recours, et tandis qu'avec enthousiasme et appétit, il entreprit d'escalader le monolithe de chair et de sang, il commença à suivre avec application le tracé de chaque veine, de la plus fine à la plus marquée, pour en point d'orgue gober le membre tout rond et le laisser glisser lentement tout au fond de sa gorge.
Les yeux de Sam parurent se révulser de bonheur.
- Oh, Dean... Surtout, n'arrête pas.
Sans relâcher sa proie d'un seul millimètre, l'aîné des Winchester leva ses splendides yeux verts pour les planter langoureusement dans ceux de Sam, humides d'ivresse, et ce regard lui souriait avec panache. Le cadet, dont la bouche était bien plus libre, lui rendit son sourire avec éclat, et ne put s'empêcher de frissonner en constatant combien son aîné offrait à présent aux premiers signes d'appel à la luxure, une réponse immédiate qui allait même au-delà de ses attentes. Sam en fut à ce point émoustillé, en plus de le voir la bouche ainsi pleine d'une part de lui, qu'une lueur de vice lui passa dans le regard. Et, une main toujours posée à l'arrière du crâne de Dean, il lui secoua doucement la tête, le sexe toujours fiché dans sa gorge, pour le plaisir obscène de se voir le posséder complément, et en même temps lui appartenir.
- Woh ! cracha bientôt l'aîné quand, une larme au coin de l'œil, un haut-le-cœur le força à expulser le barreau brûlant enfoncé entre ses amygdales. T'en veux, toi, on dirait...
Le sourire goguenard de Sam redoubla de vigueur. Son pénis englué de salive restait là, dressé contre le menton de Dean en une image lubrique qui fit encore monter l'excitation d'un cran, et de proposer alors, l'œil pétillant de mille promesses :
- Si on allait tester les lits ?
Le sourire que Dean arbora au bout d'une seconde fit un écho parfait à celui de son frère, et il ne leur fallut guère plus de temps pour s'extirper du bain qu'ils quittèrent à la hâte en éclaboussant des litres d'eau partout autour d'eux. Ils traversèrent la salle de bains sans prendre même un instant pour se sécher, se poussant et se chatouillant l'un l'autre en riant, et dans le sillage des flaques qu'ils laissèrent sur leur passage ils s'enlacèrent pour s'embrasser férocement avant d'aller se jeter ainsi unis sur le lit le plus proche. Leurs corps mouillés trempèrent les couvertures mais ils s'en moquèrent éperdument ; ils se sentaient brûler d'un feu qui aurait tôt fait de sécher leurs peaux fébriles, et l'envie de l'autre dont ils étaient pris devint proprement irrésistible. Ce n'était que le début.
Bien vite, portés par la violence du désir qui s'était emballé, ils s'étreignirent avec une fougue qui confina à la brutalité. Ils s'embrassèrent presque à se mordre, jusqu'à rester hors d'haleine, usèrent du moindre centimètre carré de leur peau pour se caresser mutuellement en une danse torride qui ne fit plus la distinction entre l'effleurement et la griffure, et alors qu'ils parurent s'aimer autant qu'ils semblèrent s'affronter en une âpre joute de leurs corps bientôt trempés à nouveau, ils connurent la joie inouïe, plus grande qu'elle ne l'avait jamais été jusqu'ici, de se sentir ne faire plus qu'un.

Plus que jamais eux-mêmes, sans scrupules ni entraves, les frères Winchester se lièrent autant par le corps, l'âme et la pensée, si bien que lorsque le cadet exigea d'être pris, l'aîné fut pleinement préparé à l'honorer comme il se devait. Brûlant de désir, Dean se plaça derrière lui tout en cherchant à maintenir le contact le plus étroit possible entre leurs corps moites de sueur, et en réponse aux adjurations permanentes de Sam qui, comme en transe, ne cessait de l'inciter à s'abandonner pleinement, le premier-né se délecta à faire fi de toute retenue. Enflammé comme un animal en rut, en proie à un embrasement des sens inédit, Sam n'eut de cesse d'implorer Dean toujours davantage en déversant des monceaux d'obscénités qui réussirent même l'exploit de faire rougir ce dernier. Le puîné exigea d'être pénétré si violemment qu'à un moment, Dean craignit de le blesser ou de provoquer un accident mais, au contraire, plus il s'acharnait à le couvrir avec toute l'impétuosité dont il était capable, et plus Sam le sommait de redoubler d'ardeur. Sans la moindre honte ni l'ombre d'un remords, il offrit sa vertu dans la dépravation la plus totale, un temps à quatre pattes, tendant son postérieur ravagé pendant que Dean, couché sur son dos, beuglait sa jouissance à son oreille en lui bloquant les poignets, puis la cadence forcit et ce fut fermement agrippé à ses épaules que l'aîné, déployant tous ses efforts dos cambré, envoya ses hanches frapper contre les fesses de Sam tel un véritable marteau-pilon. Sam qui, un moment plus tard, comme possédé, retourna violemment son frère sur le lit pour le coucher sur le dos et venir s'accroupir au-dessus de son sexe, sur lequel il s'empala allègrement tout en se liant à lui dans une cascade de baisers affamés ponctués de râles et de ahans d'absolue jouissance. Ils en arrivèrent même, sans bien savoir comment, à sortir du lit pour se retrouver au sol, et les coudes lourdement appuyés contre la desserte sous le téléviseur suspendu au mur, le cadet, éreinté, acheva de subir les assauts effrénés de son frère lui aussi à bout de souffle, la peau rouge et luisante de sueur. Il n'en réclama pas moins le privilège de profiter de son plein droit à profaner l'intimité de Sam de la pire des façons et le remplit en veillant à marquer le plus possible son passage, comme pour s'imprimer à jamais dans sa chair. Cris et grognements accompagnèrent les grincements désespérés du meuble auquel Sam était agrippé, et qui trembla dangereusement jusqu'à ce qu'un cendrier finît même par tomber sur la moquette.
Puis, enfin, la délivrance. Qui fut si intense qu'elle en devint une souffrance. Mais qui laissa aussi dans l'esprit et la chair des deux frères, engloutis par l'amour et la passion absolus qu'ils se vouaient, le souvenir de leurs ébats les plus mémorables.