Ça fait plaisir de romancer à nouveau notre chouchou, il m'avait manqué =^^= J'ai beau connaître ses répliques de cut-scene, j'adore toujours autant.

Journal des reviewers

Liline37 : Il faut bien commencer à montrer ses sentiments, après tout, l'histoire est déjà bien avancée :) La fonderie et Gortash arrivent soon soon.

Juste avant d'aller faire péter une usine...


CHAPITRE LI – ASCENSEURS ÉMOTIONNELS

Le chemin du retour à bord du submersible parut bien plus rapide que l'aller pour nos cinq héros tant l'adrénaline qui les agitait monopolisait leurs sens en ébullition. Même Masserouge qui n'avait pourtant pas été au plus près du danger ne cessait de marmotter dans sa barbe, visiblement remué lui aussi par l'expérience.

Tous accueillirent la vision de la lumière artificielle du bassin caché comme ils auraient vu la lumière divine. La vitesse de Capi ralentit au fur et à mesure qu'il approchait la surface et Masserouge termina de caler correctement l'appareil avec quelques manœuvres habiles. Jamais le son d'un sas qui décompressait lors de son ouverture ne parut plus belle mélodie aux oreilles des passagers éprouvés. Alors que l'on aurait pu croire qu'Ombrecoeur aurait été celle qui aurait le plus apprécié de quitter le submersible, rien n'en était moins sûr si l'on s'attardait sur les visages de chacun. Une fois qu'ils furent tous sortis, les aventuriers se tournèrent vers le capitaine qui s'extirpait à son tour.

« Que fait-on de lui ? interrogea Lae'zel en dardant le nain d'un œil inquisiteur. Il est de mèche avec Gortash. »

Le concerné se raidit un instant en comprenant qu'il devenait le complice gênant.

« Hé ho ! siffla-t-il d'un air mauvais quoique paniqué. Sans moi, vous seriez tous morts ! Je n'ai jamais demandé à travailler avec Gortash pour ça ! Il m'a eu, moi aussi. »

Silesta considéra leur passeur en silence. Peut-être disait-il vrai ou peut-être mentait-il pour se couvrir. Mais quand les paroles pouvaient exprimer tout et n'importe quoi, les actes demeuraient.

« C'est vrai, son aide nous a été indispensable, pointa-t-elle à l'adresse de ses compagnons. Il aurait pu s'enfuir dès que nous avions quitté le submersible mais il est resté. »

Le nain se rasséréna. Lae'zel claqua la langue en signe de frustration et préféra s'en aller vers la sortie, trop pressée de vite retrouver l'air du dehors. Gayle et Ombrecoeur approuvèrent le jugement de leur amie d'un hochement de tête. Et puis, que Masserouge aille se précipiter pour prévenir Gortash qu'ils avaient tous survécu ou non, ce ne serait qu'une question de temps avant que le tyran ne remette toute sa Garde d'Acier sur leurs talons. Ils avaient sciemment « trahi » Gortash et auraient tous une cible dans le dos dès qu'ils remonteraient à la surface.

« Sortons déjà d'ici, implora presque Ombrecoeur. Mon baptême marin m'a bien suffisamment éprouvée. »

Ils laissèrent Masserouge derrière eux en priant dans leur for intérieur que toute cette histoire le fasse réfléchir sur la probité de son allégeance envers l'élu de Baine.

Pendant qu'ils remontaient les couloirs souterrains, Silesta s'inquiéta du devenir des Gondiens rescapés du Trône de Fer mais ces derniers la rassurèrent vite : ils sauraient se cacher sans crainte de se faire attraper par la milice mécanique.

« Et pour vous, seigneur Gardecorbeau ? s'enquit la saltimbanque. Vous n'êtes pas n'importe qui, on peut vous reconnaître facilement.

_ Ne craignez rien pour moi, assura l'homme avec confiance. Je saurai me faire discret pendant que je rassemble ceux qui voudront m'aider à défendre la ville. Vous avez déjà votre propre fardeau à gérer. »

La jeune femme eut un sourire, soulagée. Au moins, ils pourraient poursuivre leur mission plus sereinement. Après une dernière promesse envers les aventuriers de tout faire pour les soutenir dans leur futur combat, le Poing Enflammé se sépara d'eux pour partir de son côté.

Quand s'ouvrit devant eux la porte de l'entrepôt Flynn sur la lumière de midi et l'air vivifiant du port, un même mouvement d'arrêt commun immobilisa le petit groupe pour encore mieux apprécier ce qu'ils retrouvaient avec délice : le sol de leur bonne vieille Toril sous leurs pieds, l'air naturel et surtout, de l'espace.

Que ce fût par l'heure avancée, à cause de l'odeur salée, le contre-coup émotionnel du Trône de Fer ou la simple conséquence de s'être beaucoup dépensée, Silesta avoua à ses compagnons qu'elle mourrait de faim.

« Ce que vous voulez, mais pas de poisson.

_ Une petite pause ne va pas empêcher le monde de tourner, concéda Gayle qui ressentait le même besoin.

_ Et pourtant, il peut se passer tant de choses en un court laps de temps. »

La voix de Lae'zel qui rejoignait les autres sur le ponton longeant l'entrepôt les interpella.

« Que voulez-vous dire ? » s'enquit Astarion sans comprendre.

Pour toute réponse, la githyanki étira un rictus sardonique d'une inhabituelle cruauté avant que son cou ne se brise à l'équerre. Son corps tressaillit violemment sous un spasme erratique avant que l'argent de son armure ne se mette à rougir comme le sang. La seconde d'après, Orin se tenait devant le groupe avec un petit ricanement glacé.

« Orin ! » s'exclama Silesta avec épouvante.

Tous se mirent en garde par réflexe mais un horrible pressentiment les retenait de se jeter directement sur l'élue de Bhaal.

« Ce n'est pas très prudent de laisser un animal de compagnie sans surveillance, minauda la femme avec légèreté. Rassurez-vous, Orin en prendra grand soin. »

Ses interlocuteurs se pétrifièrent. Malgré toute la fourberie qui pétrissait son être, Gortash les avait prévenus. Orin avait enlevé Lae'zel ? La guerrière ne s'était pourtant éloignée que quelques minutes !

Le cerveau de Silesta posa l'équation qui impliquait son alliée aux mains d'une psychopathe sanguinaire assassin de Bhaal et elle sentit aussitôt son corps se durcir comme la pierre et son esprit se resserrer sous la violence.

« Espèce de... ! se retint Silesta entre ses dents. Vous allez le payer ! »

Orin tempéra la pulsion de la jeune femme en secouant un doigt réprobateur. Allons, allons. Pourquoi s'emporter tout de suite ? Ce n'était pourtant que le début. Aussi alléchante cette farouche githyanki apparaissait-elle, aucune lame n'irait l'écorcher... pour le moment.

« Le Seigneur du Meurtre exige une bien meilleure offrande, expliqua Orin en promenant ses yeux morts sur son auditoire tendu. Quelque chose de plus noble et goûteux : vous.

_ Vile flatteuse, ironisa Astarion dans toute sa splendeur. Voyez-vous, nous sommes très sollicités, à commencer par votre homologue de Baine. Je crois que nous l'avons un peu énervé. »

L'éclat de folie qui éclaira le visage cireux de la change-forme leur arracha un frisson glacé. Quelle heureuse coïncidence. Figer dans la mort le visage du tyran trahi ne serait-il pas mille fois plus délectable pour le Seigneur du Meurtre ? Quel sublime affinage cela ferait-il.

« Assez de vos petits jeux, somma froidement Ombrecoeur. Parlez. »

La femme ourla un sourire amusé et modifia une nouvelle fois son apparence pour épouser les traits de Gortash. La ressemblance était tout aussi frappante, sublimée par la justesse doucereuse que la femme appliqua dans la voix du tyran.

« Je sais que le miel des promesses de Gortash a enrobé vos esprits. Il ne fait que pleurnicher et rêver de la couronne de Karsus pour l'avoir à lui tout seul, dit le faux Gortash avant que son amabilité de façade ne se durcisse. Oh, je lui fendrais bien son insupportable petit sourire d'une oreille à l'autre si les termes de notre alliance ne m'empêchaient pas de lever la main sur lui. »

L'élue de Bhaal réprima sa frustration meurtrière en s'ébrouant un peu et ancra ses yeux charbon dans ceux des aventuriers pour leur proposer un marché très simple : ils iraient tuer Gortash, prendre sa pierre infernale sur sa dépouille encore chaude puis la ramèneraient au temple de Bhaal.

« Et enfin, nous nous entre-déchirerons dans un sublime carnage, termina Gortash aussi simplement qu'il avait proposé cette alliance. Les pierres iront au vainqueur et ce qui restera de l'autre... appartiendra à Bhaal. »

Tous ralentirent leur respiration malgré le sang qui battait à leurs oreilles. Si Orin ne dégageait pas autant d'instabilité morbide et meurtrière, la situation présente avait presque de quoi faire sourire tant elle était ironique. Gortash et Orin qui s'adressaient l'un après l'autre à leurs ennemis pour jouer les mercenaires contre un homologue trop gourmand et indigne de confiance. Astarion n'était pas complètement en tort quand il disait qu'ils étaient sollicités. D'un autre côté, ils ne pouvaient plus considérer qu'ils étaient encore en affaires avec Gortash. Orin était-elle au courant quand elle les avait approchés ?

Pendant que leur esprit se parasitait sous l'adrénaline, la change-forme se défit de son costume de chair pour reprendre son corps blanc habillé de rouge.

« Acceptez, et je rappellerai mes assassins. Car oui, ils n'ont jamais cessé de vous surveiller, précisa-t-elle avec amusement en voyant le furtif mouvement de tête qu'ils eurent comme pour regarder autour d'eux. Refusez, et vous verrez ce qu'il en coûte de défier Bhaal. Votre comparse aussi en fera les frais. »

Silesta déglutit lentement pendant qu'elle luttait avec difficulté contre le bourdonnement qui voulait inhiber sa raison. Pour deux rivaux qui ne s'aimaient pas, Orin et Gortash étaient très similaires dans la façon de raisonner. Ce que l'assassin leur proposait était un parfait reflet de leur première alliance avec le tyran. Un simulacre d'armistice pendant qu'ils étaient chargés d'aller tuer l'autre élu, à la différence qu'ici, Orin avait assuré ses arrières en prenant Lae'zel en otage. La vie de la githyanki était encore plus en jeu que les leurs.

Tandis que la jeune femme rousse pensait d'abord à son alliée enlevée, ses camarades virent en plus une formidable et inespérée concordance du timing : de toute façon, ils avaient brisé leur alliance avec Gortash, serait-il raisonnable de s'exposer aussi aux cultistes de Bhaal ? En plus d'opter pour le choix le plus sage, ils faisaient le plus évident et rentable.

« Très bien, accorda Astarion d'un hochement de tête. Nous nous occuperons de Gortash.

_ Et vous ne touchez pas à Lae'zel, feula Silesta en fronçant les sourcils de défiance. Bhaal a-t-il plus d'honneur que Baine ?

_ Je devrais tracer tout ton réseau de veines de la pointe de ma lame pour ce que tu insinues, persifla la femme avec une colère rancunière. La beauté du sacrifice se galvauderait si je ne tenais pas parole. »

La saltimbanque réprima un frisson et opina du chef en signe de compréhension. Même si toute la folie extatique d'Orin hurlait qu'elle était plus du genre à massacrer quiconque sans sommation et sans remord, il fallait hélas espérer qu'elle tiendrait parole.

L'assassin savoura cette future promesse d'effusion de sang, de douleur et d'humiliation avant de mettre ses alliés de fortune en garde : mieux valait pour eux ne pas sous-estimer la milice mécanique de Gortash. Ils devraient la mettre hors d'état de nuire avant de pouvoir jouir de la lente et douce mise à mort du seigneur de pacotille.

« Une dernière chose, cependant, prévint la femme sans se départir de son ton menaçant. J'ai des yeux partout. Si vous avez le malheur de pénétrer dans mon domaine alors que le tyran respire encore, le crâne de mon otage deviendra un magnifique trophée à la gloire de votre échec. »

Sur ces dernières paroles, Orin disparut dans une volute de cendres en laissant dans son sillon un lourd malaise. Si les autres restaient immobiles pendant qu'ils réfléchissaient à ce qui venait de se produire, il n'en était pas de même pour Silesta qui cherchait à exorciser l'oppression inhibante qui l'habitait.

« C'est de notre faute. Nous avons été négligents, ressassa la jeune femme entre ses dents, l'angoisse grimpant en flèche. Gortash nous avait prévenus et nous étions conscients du risque. Et maintenant, Lae'zel est... »

Le début d'aller-retours frénétiques qu'elle avait commencé tira Gayle de sa réflexion. Un nouveau début de crise ? Ça recommençait mais c'était plus inquiétant qu'au cloître sharéen...

« Silesta, calmez-vous. Nous...

_ E-Elle va la tuer ! s'emporta soudain celle-ci avec effroi et le regard vide. Pire que ça ! Orin va... ! »

Ces trois amis virent en même temps l'ombre du voile assombrir les yeux de la saltimbanque pour l'emporter vers une transe. Astarion fut le plus rapide à réagir et attrapa sa compagne en la prenant contre lui. Son corps était déjà si tendu, loin de la légèreté gracile qu'il avait déjà pu toucher.

« Restez avec nous. »

Sa voix n'était qu'un souffle audible d'elle seule qui déchira le voile comme un coupe-papier sur une enveloppe. La jeune femme s'immobilisa, groggy par la dissolution lente de son spectre noir.

Astarion fut soulagé de constater qu'elle était toujours en mesure de sortir aussi vite de ses transes qu'elle n'y entrait mais ses pensées s'attardaient encore sur cet état second. Silesta était terrifiée du sort réservé à Lae'zel, c'était évident ; il y avait cependant autre chose. Elle s'était exprimée comme si cette funeste projection s'adressait en fait à elle-même et non pas à la githyanki.

Des lumières éclaircirent petit à petit la réflexion du vampire pendant que de nombreuses connexions se liaient les unes aux autres. Tout devint enfin clair... mais il n'en résultait que des ténèbres abyssales.

Ces réactions viscérales qui impliquaient des êtres en souffrance ou tués injustement, ces transes aveugles coupées du reste de sa raison, cette peur inconsciente qu'elle venait d'exprimer... Silesta avait elle-même été victime de choses terribles dans sa vie oubliée. Au point de percer les limbes de sa mémoire scellée pour les exorciser en de violentes représailles. Ce qu'elle avait subit, elle voulait en préserver les autres. Voilà pourquoi elle avait tué les bourreaux gobelins et Viconia, pourquoi elle avait voulu venger Barnabus, pourquoi la chambre de torture du cloître sharéen l'avait fait réagir, pourquoi la folie d'Orin la mettait à mal, pourquoi...

Astarion sentit son ventre se contracter.

Pourquoi ses yeux gris se vidaient parfois quand il évoquait Cazador face à elle.

Inconsciemment, sa main se referma dans les cheveux d'argile.

« Restez avec moi », lui souffla-t-il à l'oreille.

Silesta était déjà revenue depuis qu'il l'avait prise dans ses bras mais ce frisson qu'elle avait perçu en lui l'avait intriguée. Et ce qu'il venait de lui murmurer avec tant de... compassion ? Elle ne comprenait pas.

« Je suis là. » Elle s'écarta un peu de lui avec un sourire désolé. « Pardon, je suis partie trop loin. Encore. »

La saltimbanque se fit avoir par l'apparent soulagement qui dissimulait le mal-être de son compagnon en arrière-pensée. Gayle et Ombrecoeur eux, n'étaient pas passés à côté du trouble qui avait traversé le visage du vampire. Quelque chose se tramait autour de leur amie rousse et cela en était assez dérangeant pour affecter l'un de ceux qui affichaient le moins ses émotions. Ils gardèrent cependant le silence pour ne pas remettre de l'huile sur le feu.

Silesta récupéra toute sa tête et pria ses alliés de l'excuser pour ce moment d'égarement. C'était plus fort qu'elle, elle s'inquiétait terriblement pour Lae'zel.

« Nous la tirerons de là, lui assura Ombrecoeur avec un hochement de tête déterminé. Même si j'ai eu maille à partir avec elle, Lae'zel n'en demeure pas moins notre alliée.

_ Honnêtement, j'ai presque plus peur pour les bhaalistes, avoua Astarion en essayant de ne pas trop en rire. Se retrouver avec notre farouche collègue est un risque de perdre un bras. Ou deux. Ou pire.

_ Justement, rétorqua Gayle, plus sinistre. Un otage vaillant et déterminé comme Lae'zel n'en devient que plus attrayant à briser. »

Gros silence flottant alors que les regards se tournaient lentement vers une Silesta décomposée par ce qu'elle entendait.

« Vous allez encore me la casser, morigéna Astarion en reprenant aussitôt sa compagne contre lui pour éviter un nouveau dérapage. Ça ne va pas de lui dire des choses pareilles ? Vous savez qu'elle est sensible. »

Bien que sa cadette ne reparte pas en crise, le magicien s'empressa de s'excuser pour son commentaire malheureux et rejoignit très vite les dires de ses deux autres alliés. Personne n'abandonnerait Lae'zel à son sort et il était sûr et certain qu'elle avait les reins suffisamment solides pour ne pas plier face à ses kidnappeurs.

« De plus, Orin nous a donné sa parole qu'elle ne lui ferait rien, soutint Ombrecoeur. Gardons cela en tête et concentrons-nous sur ce qui nous permettra d'arriver jusqu'à elle. »

L'humaine opina du chef, ragaillardie et rassurée. Oui, Lae'zel était une dure à cuire. Elle saurait faire face le temps qu'il faudrait.

Le vif éclat argenté sous le soleil d'un garde d'acier qui passait au loin sur un quai attira l'œil de tous et redirigea immédiatement leurs pensées. Bien que c'était déjà prévu, Orin avait raison. Tant que la milice de fer de Gortash serait en circulation, il serait compliqué voire impossible d'approcher le tyran.

Un peu plus loin encore, la fumée noire de la fonderie continuait de déverser son flot âcre dans l'atmosphère. Il ne se trouvait pas derrière ces murs que des goliaths métalliques, il y avait aussi les pauvres Gondiens qui trimaient sous la menace.

Quand elle eut un regard pour l'elfe pâle à ses côtés, Silesta sut qu'il avait songé à la même chose qu'elle. Astarion fronça du nez, la mine déconfite et énervée.

« Je ne veux plus jamais entendre parler de gnomes après ça. »

La suite était simple : mettre hors d'état de nuire la Garde d'Acier et ainsi réaliser le rêve de Wulbren Bongle tout en essayant de libérer les otages Gondiens.

Mieux valait battre le fer tant qu'il était chaud. À l'heure qu'il était, Gortash n'était sans doute pas encore au courant que ses ex-alliés avaient survécu au Trône de Fer ; il fallait en profiter pour frapper en premier avant qu'il ne réagisse.

En dépit de l'envie de vaincre, cela n'empêcha pas trois estomacs humains de gargouiller mélodieusement pour leur rappeler leur condition de mortels affamés. Visiblement, il était encore possible d'éprouver de la faim en dépit de circonstances aussi tendues. Après tout, un attentat sur une usine pouvait bien attendre encore un peu.

Plus contraints par leur métabolisme que par réelle envie de prendre une pause, le petit groupe quitta les docks du Port Gris pour remonter un peu vers la ville basse.

Il était toujours étrange de faire face au paradoxe entre l'insouciance presque légère de la ville et l'ébullition dans laquelle leur aventure les plongeait constamment. Tous ces gens autour d'eux étaient à des lieues d'imaginer que l'ancien Trône de Fer avait été recyclé en une prison sous-marine tout comme ils étaient préservés de l'horrible impression d'être complètement dépassés par tout le reste. C'était lors de ces quelques moments de transition que Silesta se demandait si un retour à la normalité serait possible. Dans le cas où elle survivrait, bien sûr. Comment envisageait-on une suite à sa vie après des événements aussi intenses que ceux qu'elle vivait ? Et encore plus dans sa propre situation ?

Elle était encore partie. Elle avait encore plié face à la vague noire qui ondulait en elle et le plus effrayant dans tout ça, c'était qu'elle s'était vue partir encore plus nettement que les fois précédentes. Alors qu'elle avait eu auparavant cette espèce d'anesthésie protectrice pour lui faire fermer les yeux doucement au moment de perdre pied, Silesta s'était laissé envahir d'un seul coup par cette brusque montée noire sans pouvoir l'ignorer. La moindre fibre de son être était imprégnée d'un amalgame violent qu'elle était incapable de ventiler. Était-ce la peur qu'elle ressentait pour Lae'zel qui l'avait fait autant vriller ou son état était-il en train de se détériorer ?

Le groupe n'eut pas à aller très loin dans la ville basse pour vite trouver des achalandages de marchands ambulants. Quelques odeurs de nourriture vinrent charmer les narines des affamés.

« Je m'en occupe », se proposa la saltimbanque en partant devant.

Elle avait repéré l'échoppe d'un homme qui disposait de plusieurs en-cas qui lui faisaient envie mais elle avait surtout besoin de focaliser ses pensées sur autre chose que ses transes.

La jeune femme se plaça en bout de file d'attente et se laissa à contempler avec envie la table garnie de bonnes choses pour préparer sa commande. Ces galettes de seigle et de son accompagneraient parfaitement une bonne part de cette tourte à la viande. Devrait-elle aussi prendre une poignée de fruits secs, histoire d'avoir une petite note sucrée ?

Absorbée par le décompte de son argent, Silesta gardait une oreille distraite sur la personne devant elle qui récupérait sa commande.

« Et voilà pour toi, Layos, sourit le marchand en tendant un petit paquet à son acheteur. Au plaisir !

_ Merci, bon courage à vous. »

Comprenant que son tour arrivait, Silesta fit aussitôt un pas pour avancer mais elle se heurta contre le client qui était encore en train de récupérer sa monnaie.

« Oh ! Excusez-moi, j'étais dans mes... »

La saltimbanque releva enfin le nez de sa bourse vers celui qu'elle avait bousculé et se tétanisa.

Le garçon qui se tourna vers elle était un adolescent d'une quinzaine d'années aux cheveux légèrement ondulés brou de noix et dont les grands yeux tilleul s'arrêtèrent à leur tour en croisant leurs homologues pluvieux. Un détail insolite retint l'attention de Silesta : il portait des gants. Des gants en plein été ?

Une esquisse de visage se calqua des pensées de l'humaine sur la réalité face à elle. Le garçon qu'elle voyait en rêve !

Après un court instant d'hésitation, le prénommé Layos lui rendit un hochement de tête compréhensif.

« Il n'y a pas de mal », répondit-il gentiment avant de tourner les talons pour s'en aller.

Hélas pour lui, Silesta avait bien remarqué sa réaction hébétée quand il l'avait regardée, aussi subreptice avait-elle été. Le cerveau de notre amie entra en éruption.

« Non, attends », l'arrêta-t-elle aussitôt d'une main sur l'épaule. Elle se planta devant lui et sortit un parchemin décoré du mystérieux symbole de ses crises somnambuliques qu'elle gardait sur elle. « Je sais que tu me connais ! Qui es-tu ? C'est quoi, ce symbole ? »

Pris de court, le garçon ne dissimulait plus cette fois son trouble et écarquilla de grands yeux choqués quand il fut mis face au dessin. Sans crier gare, il repoussa Silesta d'un geste sec et profita de sa surprise pour décamper avec la rapidité d'un lapin sous les flèches d'une horde de braconniers.

« Quoi ? Non ! Reviens ici ! »

La saltimbanque réarma son équilibre aussi vite qu'elle le put et s'élança à son tour, incapable de contrôler son corps. Elle courait comme elle aurait couru après la vie avec le désespoir de la dernière chance. Sa vue s'était rétrécie jusqu'à presque ne plus voir que ces cheveux foncés qui volaient au vent ; les autres badauds n'étaient plus que des points colorés qu'elle croisait sans y prêter la moindre attention. Silesta n'avait peut-être pas plus idée de qui était ce garçon maintenant qu'elle l'avait vu de ses yeux, il était évident que lui savait quelque chose. Elle devait le rattraper !

« Layos ! »

Elle ne sut pourquoi elle l'appelait alors qu'il n'y avait aucune chance de le faire s'arrêter. Pire encore, le demi-elfe mit encore plus d'énergie dans ses jambes pour une nouvelle accélération qui ne fit qu'accroître le chaos intérieur qui bouillonnait chez sa poursuiveuse. C'était à tel point qu'elle se surprit à vouloir se saisir de ses bolas pour les lancer dans les chevilles du garçon pour l'immobiliser. Hélas, la foule était si dense dans les rues qu'elle risquerait de blesser quelqu'un.

Dans saut de cabri habile entre deux corps serrés de passants, Layos prit tout à coup un virage à l'équerre qui manqua de feinter Silesta. Emportée dans son élan, elle esquiva un tonneau posé dans un coin et braqua à son tour... pour piler devant une petite escouade de Poings Enflammés en patrouille.

« Hé là ! râla le capitaine, pris par surprise.

_ Laissez-moi passer, je... ! »

La respiration sifflante et les joues en feu, Silesta eut tout juste le temps de voir par-dessus l'épaule du soldat la silhouette de Layos filer dans l'ombre de la ruelle pour s'y faner à jamais.

Tout s'écroula subitement en elle.

« Non ! enragea-t-elle, livide.

_ Qu'y a-t-il ?

_ Le garçon que je pourchassais ! Vous avez croisé un jeune demi-elfe brun ! Il portait une tunique ocre et des gants ! »

Le Poing Enflammé arqua un sourcil accusateur et peu avenant sur son interlocutrice. Tiens donc. Et pourquoi pourchassait-elle donc un gamin ? Lui avait-il volé quelque chose ?

« Non, mais... »

La jeune femme se tut, perdue dans le vide sombre de la ruelle où avait disparu Layos et dans la frustration infinie qui l'embrassait de ses bras gelés. Elle avait envie de hurler à pleins poumons. Hélas, si elle cédait à cette pulsion désespérée, elle ne paraîtrait que plus suspicieuse aux yeux des gardes qui semblaient déjà l'avoir dans le collimateur.

Elle leva les mains en signe d'abandon pour s'excuser et tourna les talons, les dents serrées.

Silesta eut tout le trajet du retour pour reprendre son souffle et ressasser aigrement la fuite de la seule personne qu'elle eût jamais rencontrée capable de lui en apprendre plus sur elle-même. Quelles étaient pourtant les chances pour elle d'avoir une telle opportunité ? Elle avait tout gâché et il ne se représenterait sans doute jamais pareille occasion.

Une fois délestée du plus gros de sa colère, notre amie essaya de prendre le temps d'analyser ce qui s'était passé. Quand il avait compris qu'elle le connaissait, Layos était visiblement affolé.

Elle ne pouvait pas se l'expliquer mais Silesta était persuadée que ce n'était pas elle-même qui lui inspirait cette peur. Mais pourquoi avoir fui alors ? Ce n'était que lorsqu'elle lui avait montré le symbole que le garçon avait pâli, à croire qu'il avait été mis face à quelque chose qu'il ne valait mieux pas connaître.

Ses hypothèses se confirmaient. Layos avait un lien avec ce sigil et il en était sûrement de même pour la femme qui l'enjoignait de s'enfuir.

Elle redressa la tête, le visage fermé. Que devait-elle interpréter dans cette réaction et cet échec de confrontation ? Fallait-il y voir un message subliminal divin qui lui déconseillait de chercher à en apprendre plus ?

Elle fronça du nez. Voilà que revenait au premier plan son marché avec Raphaël. Ce Layos la rapprochait-il de sa mémoire ou de son sceau corporel ? Ou les deux ? Elle en avait le tournis.

Quand Silesta repassa près du stand de nourriture, elle s'arrêta un court instant... avant de foncer droit sur le commerçant qui la reconnut tout de suite.

« Ce garçon, Layos. Qui est-ce ?

_ Qu'est-ce que vous lui voulez ? Il n'avait pas l'air de vouloir s'attarder avec vous. »

Elle grimaça, acculée. L'homme avait tout vu de son échange, il ne servirait à rien de lui mentir.

« Il... » Elle s'interrompit et soupira, bien trop lasse pour batailler encore. « Je suis amnésique, voilà. Et l'une des seules images que le brouillard dans ma tête a daigné me montrer est le visage de ce garçon. J'ai vu Layos et je n'ai pas réfléchi. »

Le marchand la considéra longuement en se passant la main dans sa barbe. Il parut sensible au visible désarroi de la jeune femme mais ne fut guère en mesure de beaucoup l'aider. Il lui expliqua juste qu'il connaissait Layos de vue car il venait régulièrement se restaurer à son stand sans toutefois s'épancher sur sa vie privée. C'était un garçon très secret.

Nouvelle bouffée de déception chez son interlocutrice qui malgré tout, montra à l'homme le dessin du symbole sans grande conviction.

« Ceci vous évoque-t-il quelque chose ? »

Il se pencha par-dessus le comptoir de son échoppe pour scruter la feuille de papier et fronça les sourcils après un temps.

« Absolument rien, je regrette. »

Silesta ne réagit même pas tant elle avait anticipé la réponse. Il y avait si peu à récolter de cette rencontre qu'elle croyait de plus en plus en l'hypothèse du message divin.

Quand les aventuriers inquiets virent arriver leur jeune amie après sa bien longue absence, ils crurent un instant faire face à un doppelgänger de piètre qualité tant il était rare de voir Silesta aussi abattue. Cette dernière leur conta ce qui lui était arrivé tout en distribuant les collations qu'elle avait achetées. Il fut bien difficile de trouver les mots pour réagir sans risquer d'accentuer la déception qu'elle ressentait.

« Je suis désolée pour vous, regretta la cléresse.

_ Cette rencontre inopinée n'est pas arrivée au meilleur moment, fit remarquer Gayle qui jaugeait l'état d'esprit de sa cadette après les derniers événements. Si j'avais été là, j'aurais figé ce garçon sur place, place publique ou non.

_ Bah, pesta Silesta en haussant les épaules. Ce qui est fait est fait. Inutile de s'y attarder. »

Gayle et Ombrecoeur ne comprirent pas pourquoi leur alliée ne releva pas quand il lui fut proposé d'essayer de revenir ultérieurement dans les alentours dans l'espoir de recroiser Layos. Astarion quant à lui garda volontairement le silence.

Contrairement aux deux autres, il savait que derrière ce visage pincé qui pensait avoir perdu une occasion unique se terrait aussi la réminiscence d'un marché passé avec un diable.

Le vampire se retrouva tiraillé entre la frustration peinée de sa compagne et la menace de Raphaël qui lui tournait autour, entrevoyant à son tour une mise en garde détournée de poursuivre les recherches.

La morne figure de Silesta finit par avoir raison de lui et il ne s'en étonna qu'à moitié. Il s'était bien trop habitué à la voir sourire pour ignorer son mal-être.

« Voulez-vous que je mette mon réseau sur sa piste ? Nous avons une description, un prénom et un secteur de recherche, suggéra-t-il, armé de son meilleur sourire de gredin sans scrupule. Rien n'est plus facile que de faire disparaître un gosse. Il n'aura pas le temps de filer. »

Silesta dévisagea le vampire d'un air insondable. Bien que la forme de sa proposition se teintait de dangerosité illégale et peu rassurante, le fond n'en demeurait pas moins précieux aux yeux de l'humaine. Voir Astarion s'inquiéter pour elle ou chercher à l'épauler lui était d'un réconfort infini. Elle l'aurait embrassé si elle ne se sentait pas si dépitée en cet instant.

Le sourire qu'elle força pour retrouver bonne figure lui fit mal.

« Non. Je pense que la fuite de ce garçon face à moi m'a refroidie, avoua-t-elle avant de porter son regard au loin vers les quais du Port Gris. Il y a plus urgent. Nous avons une explosion de fonderie sur le feu. »


Je suis pas sympa avec Silesta sur ce chapitre. La pauvre...

Je sais que je reste encore très secrète sur elle mais ce n'est pas encore son tour. Je continue de semer mes pitits cailloux.

Est-ce qu'on reverra Layos ? Bien sûr. Mais quand ? On verra... En échange, je vous ai donné quelques infos :)