Hey !
Et un chapitre de plus. Encore corrigé par Ya-la-merveilleuse. Il est plus long que les autres (je crois que de toute ma réserve, c'est le plus long) et un peu drôle. Et c'est le premier chapitre du point de vue de Julian. Parce que du coup ça va alterner. Voilà voilà.
(Si vous voyez des noms inconnus surgir au milieu du texte, c'est parce que j'ai plus ou moins pioché dans les Arcanes majeures pour étouffer le roster de persos secondaires)
Bonne lecture !
Avant la collision
Julian
.
— T'as du feu ? Julian demande alors qu'il fouille sa poche.
Il cherche, il cherche mais… Bon. Il faut qu'il se résigne, il est parti sans son briquet. Il vérifie quand même la poche avant de son sac, des fois que, et- Ah.
Là, un terrible constat s'impose à lui. Non seulement il n'a pas son briquet, mais…
— Tiens.
Anged lui tend le sien.
— Merci. Et t'aurais une clope, aussi ?
Son pote soupire. Il ressort son paquet, fouille et lui tend une indus qu'il attrape en vitesse.
— Tu m'en dois trois.
— Trois, t'es sûr ?
— Quatre avec celle-là.
Mm, possible. Ce n'est pas la première fois qu'il oublie son paquet. Pas la dernière, sûrement. Et il a sans doute laissé une partie de ses affaires de cours chez lui, comme toujours. Portia lui a bien dit de faire son sac la veille, et pas dix minutes avant le passage du bus. Il aurait dû l'écouter.
La fumée qu'il inspire emplit sa bouche d'un goût acre. Agréable. Il ne tousse plus, depuis le temps, mais son premier souvenir de clope lui revient, et il se revoit cracher ses poumons au fond du jardin. C'était il y a quoi, deux ans ? Il entrait au lycée. Ouais, deux ans.
Et cette année, il passe le bac.
Il ne réalise toujours pas.
En parlant de bac, il se rappelle qu'il a maths dans vingt minutes et- Oh, le DM. Merde. Il a pris sa pochette ? Oh non. Il est resté éveillé jusqu'à deux heures du matin pour finir ce truc, il n'a pas pu l'oublier. Il l'a prise, hein ?
— Merde !
Il plonge sa main dans son sac.
— Oh non non non, c'est pas possible, c'est pas…
— Qu'est-ce qu'y a ?
Anged hausse un sourcil. Son eyeliner impeccable souligne un regard presque noir qu'il sent dans son dos. Un maquillage qu'il applique soigneusement sur sa peau presque aussi noire. Il ricane, peut-être- mais Julian est trop occupé pour s'en soucier. Il vire deux fichiers, laisse sa trousse au sol et- Là ! Du rouge ! Rouge comme sa pochette. Celle où il fourre tous ses devoirs sans distinction.
Il l'attrape.
Seigneur.
Julian exulte son soulagement.
— Rien, il soupire. J'ai cru que j'avais oublié un truc.
— Faut dormir gars. T'as les nerfs qui lâchent après deux semaines de reprise.
— C'est rien.
Il ne se souvient pas l'avoir rangé hier. Peut-être que c'est Portia qui l'a vu traîner sur son bureau. Ou au salon. Ou alors, il a vraiment besoin de sommeil et ses neurones sont en train de lâcher.
Il le savait qu'il aurait dû prendre un café, ce matin.
Et qu'il n'aurait pas dû en boire autant hier soir.
Ça sonne, et tous les élèves se dirigent vers le portail. Des têtes qui se mélangent. Certaines familières, d'autres inconnues. Tout le monde se connaît plus ou moins ici, ce n'est pas un grand lycée. Un environnement parfait pour les rumeurs et le drame.
Julian zieute vers les bâtiments du collège. Il pense à Portia. Elle, c'est en quatrième qu'elle rentre. Pas d'examens à la fin de l'année, des devoirs pas trop compliqués. Elle a le droit de traîner le soir, et de ne pas savoir ce qu'elle veut faire plus tard.
Il sourit.
Puis il écrase son mégot d'un coup de talon.
xoxoxox
Il le sait. Il n'aurait pas dû se resservir.
— Je vais mourir.
— Exagère pas.
— J'te jure. C'est la fin, je le sens.
Mais pour une fois qu'il y avait de la pizza. Et des frites. En même temps.
Allongé sur un banc, sa tête contre la cuisse de son pote. Julian se tâte le ventre entre deux gémissements.
— Il faudra des lys sur la tombe. C'est plus classe que les chrysanthèmes. Et pitié, pas de chêne pour le cercueil. Je veux un truc sombre, genre-
— De l'ébène, pas d'incinération, et pas d'enterrement religieux.
— Exactement. Et dis à Portia que je l'aime.
Julian croit entendre Anged pouffer. Mais la sonnerie passe sur sa voix, et il se redresse illico.
Oh, oui. Enfin.
— T'as l'air en forme pour un mort.
— J'crèverais plus tard. Y a plus important, là.
— Genre ?
— La reprise du club !
Une joie vive lui remplit la tête. Julian aime le club d'audiovisuel. Non, il l'adore. Follement. Il participe tous les ans depuis qu'il est entré au lycée et il ne l'abandonnerait pour rien au monde. C'est le seul écart qu'il s'autorise cette année, à côté des cours. Il sait qu'il va crouler sous le travail, et il se détestera quand il devra apprendre son texte entre deux sujets de sciences, mais Julian ne saurait survivre plus d'une semaine sans mettre un pied sur scène. Il a besoin de déclamer son texte sous le regard de ses camarades, de répéter vingt fois la même phrase derrière une caméra, son corps serré dans un costume maison bricolé à la main.
Il se souvient des applaudissements, de son propre visage à l'écran et de la fatigue embrouillée dans sa cervelle après avoir débité encore et encore les mêmes mots, son corps plein d'une fatigue que seul le jeu sait lui apporter. Définitivement, il a besoin de ça.
— On se retrouve en philo ! il jette à son pote avant de filer.
Devant la salle, le monde s'amasse déjà. Il manque des élèves qu'il ne reverra pas, ceux qui ont passé leur bac l'an dernier. Mais de nouvelles trognes sont venues les remplacer. Pas beaucoup. Le club perd de son succès au fil des années. Julian compte cinq ou six visages inconnus, et un peu plus du double pour ceux qu'il reconnaît. Ils sont une vingtaine.
— Eh, Julian !
— Ramène ton cul !
Dont certains qui lui tirent un sourire. Julian ne se fait pas prier. Il s'avance vers deux gars qu'il connaît, et ils tapent la discute jusqu'à ce que Mazelinka rapatrie le troupeau dans la salle dédiée au club.
— Bonjour à tous et à toutes !
Mazelinka, elle a cette force dans la voix, un truc qui cloue le moindre petit con sur sa chaise. Elle est cool, tout aussi ferme, au bord de la retraite, et elle pête la forme. Julian l'aime beaucoup. Elle le recadre quand il fait de la merde, mais elle l'écoute toujours quand il a besoin de geindre. Elle aussi, elle connaît par cœur les instructions qu'il distribue à qui veut bien l'entendre pour son futur enterrement.
— Vous ne serez pas pénalisés si vous décidez d'abandonner en cours d'année, et vos projets ne seront pas notés.
Bla bla bla. Julian n'est pas là pour les points. Il n'a même pas pris l'option cinéma pour le bac, contrairement à certains. Non, ici, il se défoule.
— Dans un second temps, vous composerez trois équipes différentes. Vous pouvez en rejoindre plusieurs, mais ça voudra dire…
Tout ça, il sait déjà. Tout comme il sait qu'il rejoindra le groupe des acteurs quand viendra le temps de choisir son camp. Julian n'aime pas spécialement le montage, la création des décors et des costumes ne le tente pas, et il préfère le jeu à l'écriture du scénario.
Ennuyé par le discours, il tourne plutôt la tête vers le reste de la salle. Bientôt viendra le temps des présentations, mais en attendant, il scrute les nouveaux. Deux ados sortent particulièrement du lot. Un type encore plus grand que lui, sa tête enfoncée entre ses épaules, ses mains perdues dans ses manches. Et un gamin bouclé habillé de couleurs qui sent la bohème - et la beuh ?
— Vous avez des questions ?
Et justement, c'est lui qui lève la main.
Enfin, lui. Elle ? Son corps est fin, pas bien haut, sa coupe laisse place au doute. Julian hésite.
— Oui ?
— Est-ce qu'on peut changer de groupe pendant l'année ?
Il, sa voix est plutôt grave. Enfin, pas vraiment grave. Aérienne, en fait. Mais ça reste la voix d'un garçon qui a mué. Commencé à muer. Un timbre flottant.
— Tant que ça ne pose pas de soucis au niveau de l'organisation, je ne m'y opposerai pas.
Il porte un sweat trop large pour son corps, un mélange de couleurs qui ressemble plus à un accident de peinture qu'à un motif logique. Quand il l'enlève, plus tard, sa peau n'est plus couverte que par un débardeur lâche. Et un foulard bizarre.
Apparemment, il a un problème avec les vêtements à sa taille.
Julian hésite. Ses potes lui font signe, mais le garçon l'intrigue. Il aime les têtes inconnues, les promesses de nouveauté. Le pote qui l'accompagne est plus intimidant, mais peu bavard. D'un autre côté, ce serait impoli de ne pas saluer les nouvelles recrues, hein ? Et Julian est un gentleman. Alors il agite sa main vers les deux gars qui l'attendent, l'air de leur dire de patienter, puis il s'avance vers l'origine de sa curiosité.
— Salut !
Le concerné se retourne et-
Wow. Ses yeux. Ah, ouais. Lui, il va faire un malheur.
— Oui ?
Il doit mesurer une tête de moins que lui, mais Julian se sent brusquement minuscule. Il déglutit. Sa paume d'Adam fait du yoyo dans sa gorge alors qu'il hésite, inspire mais s'approche finalement, ses mains sorties de ses poches.
Qu'est-ce qu'il doit dire, là ? L'autre à l'air de s'attendre à un truc, une question ou une demande, mais il est juste… Ah oui, venu se présenter.
— Tu fais partie des nouveaux, non ? Ta tête me revient pas. Enfin non, c'est pas ce que je voulais dire, je… Ta tête me dit rien. Et on est pas nombreux ici, alors… C'est la première fois qu'on se voit, non ?
Une catastrophe. Les mots sortent plus vite qu'ils ne pense, une trouille soudaine lui fait agiter les mains dans tous les sens et-
Stop. Seigneur, on dirait un collégien qui passe son premier oral. Il peut faire mieux que ça. Allez, il inspire et il reprend, un sourire de fausse confiance sur la face.
— Je m'appelle Julian. Julian Devorak. Terminal S2, comédien de passion et guide occasionnel pour les nouveaux.
Il exécute une courbette dans sa direction, un grand sourire de loup sur la face.
— Si jamais t'as besoin de quoi que ce soit, je suis toujours ravi d'aider.
Et un rire céleste lui retombe dessus. Il ose relever le regard, croise encore ces yeux qui le font frémir.
— Enchanté, Julian.
L'ingénu attrape la main qu'il n'avait pas conscience de tendre, avant que leurs peaux chaudes se rencontrent. La pression est brève. Ce n'est pas une poigne d'homme, juste un geste amical.
— Puis-je me permettre de te demander ton nom ?
A nouveau droit, il l'observe de haut. Ses iris mauves se perdent entre ses cils blanc. Et ses pupilles larges, si noires, illisibles…
— Tu peux.
Il lui faut quelques secondes pour saisir la moquerie dans son ton de voix.
— Asra, il reprend. Et oui, je suis nouveau.
Asra. C'est la première fois qu'il entend ce nom.
— Seconde, je suppose ?
— Oui.
— Le lycée te plait ?
— Ça va. C'est plutôt cool, pour l'instant.
— Profites. Ce sera moins cool, quand t'auras des examens à la fin de l'année.
Mm, pas sûr que ce soit la chose à dire. C'est peut-être un peu condescendant ? Merde. Il ne veut pas qu'Asra s'imagine que…
— Enfin, je dis pas que c'est une classe facile hein. Les profs vont vous faire chier avec ces histoires de filières, et… Oh, vous avez Valérius en maths, non ? C'est un cauchemar. Il parait qu'il est alcoolique en plus, bref. Bon courage.
Il ajuste sa veste, l'air de rien. Jette un coup d'œil à ses ongles noirs. Une manière comme une autre de regarder Asra sans le regarder. Entre ses doigts laiteux, la peau de son nouveau camarade semble d'autant plus sombre. Pas brune, mais pas aussi blanche que la sienne. Il y a sans doute un mot pour la décrire.
— Muriel !
Asra, justement, s'écrie, et le garçon qui l'accompagne revient vers eux. Il a le regard lisse de ceux qui n'aiment pas qu'on les dérange, ne sourit pas, se contente d'avancer les mains dans les poches. Ses vêtements aussi semblent trop grands, mais ce n'est pas tant leur taille que les proportions de son corps qui lui donnent cette impression.
— Quoi ?
— J'ai trouvé quelqu'un qui peut nous aider !
Julian se redresse. Là, c'est le moment où il doit faire bonne impression. Il le sent.
Et ce n'est pas la main d'Asra, glissée dans celle du fameux Muriel, qui le détrompera.
— Ah ?
— Julian, il se présente illico, la main sur le torse.
C'est qui ? Son petit ami ? Ils ont l'air d'un couple à se tenir la main comme ça, mais ils pourraient tout aussi bien être amis. Oui, peut-être qu'ils sont juste amis. Il ne devrait pas espérer. Oh, merde, il faut vraiment qu'il arrête de baver sur tous les jolis garçons qu'il croise. Anged va - encore - se foutre de lui. Et il aura bien raison.
— Muriel, Asra reprend en désignant son - petit ? - ami.
Julian inspire. Croise les doigts de pieds.
— Oh, vous avez intégré le club ensemble ? C'est…
Pas chou. Tout sauf chou. Il ne doit pas sortir ce mot, rien ne bon ne pourra découler de cette réponse.
— Cool. Les amitiés comme ça. Vous aimez le théâtre ? Ou vous préferez le montage ? C'est ce qui est cool avec ce club, on fait tout de A à Z, y en a pour tous les goûts.
— Je suis venu pour les costumes, Asra répond. Mais j'aimerais faire le tour des activités avant de me décider.
— T'auras tout le mois pour ça.
Les costumes. Il coud, donc ? Est-ce que c'est lui qui fait ses fringues ? Non, son débardeur ressemble à un de ses vêtements faits à la chaîne qu'on retrouve en magasin. Mais qui sait.
— Je vous fait visiter ?
Asra plisse les yeux. Ou bien c'est son imagination qui lui joue des tours, mais il lui semble vraiment, là, que ses mirettes s'étirent comme son sourire quand il lui répond.
— On te suit.
Pour Muriel, c'est un silence. Sans doute une forme d'approbation, parce qu'il marche à leur suite alors que Julian se tourne. Il faut qu'il leur montre les coulisses autour de la scène, la régie en haut, et la pièce où ils ont entassé tous les vieux costumes. Et puis il y a les vestiaires aussi, même s'ils servent plutôt au club de théâtre de sixième, et…
Un grognement. Du genre bruit de ventre monstrueux qui précède un repas après deux jours de jeûn. Julian se retourne, tombe sur les joues rosées d'Asra.
— Eh ben. T'as pas assez mangé ce midi ? il le taquine.
— Il faut croire.
— J'ai des chips dans mon sac, si tu veux.
Mais Asra secoue la tête.
— Ça ira.
Il hausse les épaules. Joue avec le briquet au fond de sa poche - il a zappé de le rendre à Anged. Puis il avance de son pas chaloupé, et il grippe les escaliers au fond de la salle, certain d'être suivi.
— On va commencer par la régie ! C'est là qu'on s'occupe de tout ce qui est montage et scénario sur le papier. Mais en vrai, tout le monde se planque ici pour échapper à Mazelinka. Vous pouvez aussi squatter là si vous séchez, les pions pensent jamais à monter. Évitez juste de fumer, ça déclenche l'alarme incendie. Je parle pas d'expérience mais- Mm, en fait si, mais pour en revenir à…
Et du coup, Anged, c'est pour The Hanged Man. Parce qu'on fait comme on peut pour trouver des persos secondaires. Voiilà.
Aussi, comme j'ai à peu près un plan fixe et que je sais où je vais, je précise maintenant qu'il sera question de dépression et de troubles alimentaires dans cette histoire, donc attention si c'est un sujet sensible pour vous. (Je mettrai quand même des TW sur certains des chapitres s'il y a des scènes vraiment dures, mais je préfère prévenir ici.)
Voilà voilà. Je m'arrête ici, et je vous souhaite une bonne semaine ! A dimanche prochain !
