Hey !

C'est déjà dimanche. Ça passe beaucoup trop vite.

(En vrai j'ai encore pris de l'avance. Et j'ai commencé un autre projet que j'espère finir vite, lalala)

Merci à Ya pour sa relecture !

Bonne lecture !


Sur le pas de l'hiver

Asra

.

Octobre, déjà. Le temps passe vite et pourtant, ce cours de sciences n'en finit pas. Asra tourne et retourne la gomme dans sa main, observe distraitement l'enseignant devant lui alors qu'il gribouille sur sa feuille. Ça parle d'évolution et de chaînons. Le galopin gribouille les mots importants pour mieux retourner à ses recherches.

Il bloque toujours sur le pendu. Les idées ne manquent pas, pourtant. Il compte garder le corbeau, ça lui plait. Il a noirci son carnet de bec larges et de plumes, mais… Il ne veut pas juste faire ça. C'est simple, et Asra ne veut pas d'un tarot simple. C'est le sien, son œuvre, il faut que ça lui ressemble. Que ça lui parle.

— C'était plus simple au début.

Les cours enfin terminés, il râle calé contre le lit de Muriel. Ses pieds nus s'enfoncent dans le tapis vert souple du garçon taiseux, qu'il a suivi après les cours. Sa mère travaille tard, son père est à nouveau loin d'ici. L'idée d'une maison vide le rebute. Autant squatter chez son meilleur ami.

— J'ai terminé le magicien en deux jours. C'était… Ça coulait de source, tu vois, mais là, je bloque.

Il soupire.

— L'ermite était plus simple.

La grande prêtresse, il a mis plus de temps, et il n'est toujours pas sûr de son choix. Le diable non plus. Il aime le dessin, mais le taureau est trop large. Un symbole de force brute pour un signe intelligent. Il le refera peut-être.

— Change de projet, Muriel lâche.

Pas faux. C'est ce qu'Asra fait, quand il perd l'inspiration. Il lâche, et il y revient plus tard - ou jamais. D'autant que son temps libre est limité, maintenant que les groupes d'audiovisuel sont formés. Il va devoir s'occuper des tenues.

Et des décors. Mais les décors l'intéressent moins.

Pourtant, il n'a pas envie de lâcher. Il aime faire ses cartes, gribouiller et entrelacer ses idées. Il met toujours un peu de lui et des autres là-dedans. L'ermite, il l'a trouvé en regardant Muriel lire tassé dans un coin, hors du monde. Le magicien… Eh bien, c'est une image qui lui parle. Il a même pioché dans ses propres vêtements, pour la tenue. Les amants, l'idée l'a saisi alors qu'il parlait avec ses parents. Une évidence, ce duo au regard puissant, lié. Une forme d'amour qui les tient solidement et les éloigne du reste du monde. De lui.

Le pendu lui tient à cœur, c'est une image qui lui plait. Il sent qu'il tient quelque chose, comme s'il tirait une ficelle. Sauf qu'il y a un nœud quelque part.

— Pas envie.

— Fais une autre carte.

Oui, c'est tentant. Il a une idée pour l'étoile, et il tient quelque chose pour les épées. Il faudra qu'il fasse le tour des arcanes majeures, voir s'il n'y en a pas une qui illumine son esprit. Mais pour l'instant…

Adossé contre le lit, il cherche la main de Muriel. Elle est large et chaude. Elle ne fuit pas.

— Eh ? Je peux rester dormir ?

Il sait qu'il n'a rien prévu ce soir, comme toujours. Muriel ne sort pas, n'invite personne, lui excepté. Sa mère ne refusera sans doute pas, elle l'aime bien. Enfin, ce n'est pas tant Asra qu'elle apprécie, que de voir que son fils s'est enfin fait un ami. Mais pour l'instant ça revient au même, et ça l'arrange.

— Si tu veux.

— Merci.

Il n'aura pas ses livres de cours pour demain, mais il pourra toujours trouver quelqu'un avec qui suivre. Au pire, il appellera pour dire qu'il est malade. Il aura juste à imiter l'écriture de sa mère dans son carnet, pour le mot d'absence. Ce n'est pas comme s'il ratait souvent les cours. Voilà. Problème réglé, il peut se détendre.

La tête penchée en arrière, il remarque que Muriel l'observe.

— Ça va ?

Tiens. Ce n'est pas souvent que son ami lui pose des questions. Asra se tourne entièrement vers lui. Il scrute son visage carré, ses cheveux en désordre et l'ombre de barbe qui s'est installée sur ses joues depuis la fin de la troisième. Ça rend sa peau rugueuse. Plus ferme.

— Oui.

Il sourit. Quelque part dans son ventre, ça se tord.

— Pourquoi ?

Muriel hausse les épaules. Ses doigts, immenses contre les siens, serrent doucement sa paume. Asra a toujours trouvé ça étrange et délicat, la douceur qu'il arrive à donner malgré la rudesse de sa carapace. Un tout petit trésor caché sous les pierres.

— Tu…

Il doit se passer quelque chose dans sa tête, parce que Muriel ne termine jamais cette phrase.

Plus tard, une fois le repas passé et la mère de Muriel couchée, le galopin fouille l'armoire de la chambre et en tire un tee-shirt bien trop grand pour lui. Il en fait son pyjama, avant de se glisser dans le matelas posé au sol. Ce vieux truc qui traîne dans le bureau, qu'on sort pour lui chaque fois qu'il passe la nuit ici. Le genre d'objet qu'on a oublié de jeter. Asra l'aime bien. C'est plus confortable qu'un matelas gonflable.

— Tu peux prendre mon lit, si tu veux, Muriel marmonne.

Il le lui propose à chaque fois.

— Ça ira.

Et à chaque fois, si Asra refuse, il est touché.

Il va pour ajouter quelque chose, mais son téléphone s'allume et il reconnaît le nom qui s'affiche autant que la chaleur qui pétille soudain dans son ventre. Il sourit. Grand. Attrape l'objet froid entre ses doigts.

[Est-ce que les sorcières sont déjà couchées à cette heure ?]

Il enfonce sa tête dans l'oreiller moelleux qu'on lui a donné.

[Pas encore ╮(︶o︶)╭ . Et les pirates ?]

[Pas le capitaine ;^) Il faut quelqu'un pour garder le cap, la nuit]

Il s'entend rire bas.

— C'est Julian ?

Le timbre incertain de Muriel se glisse jusqu'à lui. Asra croise son regard vert, lisse comme une porte fermée. Plein d'émotions qu'il ne veut pas partager.

Il lui sourit.

— Gagné.

— Il te parle souvent.

C'est vrai. Et ce n'est pas toujours lui qui lance la conversation. C'est agréable de lui parler. Ça lui change les idées. Parfois il rit, il inspire et ses épaules ne sont plus si lourdes.

Il oublie aussi de faire ses devoirs, mais ça, il s'en moque. Asra sait qu'il aura son année ras les pâquerettes, il le sait, ça lui suffit.

— Il est sympa.

Asra non plus n'a pas beaucoup d'amis. Pas vraiment d'amis, en fait, à part Muriel. Est-ce qu'il sera jaloux, s'il décide de passer plus de temps avec Julian ? L'ermite n'a pas d'animosité dans le regard. Mais ses yeux se plissent.

— Il est particulier.

Particulier ? Oui, c'est vrai. Le grand oiseau détonne dans le paysage.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

— Il est extravagant.

— Pas faux, il rit.

Extravagant, c'est le mot. Julian tisse des toiles de mots qui s'emmêlent, il fait le pitre entre deux clopes et il joue les serpents charmeurs pour mieux glisser entre les doigts des gens. C'est une sorte d'anguille fuyante, de feu d'artifice. Un drôle d'animal. Mais il y a autre chose là-dessous, qu'il sent quand il lui parle. Et ça lui donne envie de creuser, comme il a creusé avec Muriel.

— Tu ne l'aimes pas.

Il retrouve son sérieux. Si Julian le dérange, il préfère le savoir. Il ne veut pas forcer une confrontation qui le mettrait mal à l'aise.

— Je le déteste pas.

— Tu ne l'apprécies pas non plus.

Muriel hausse les épaules. Une manière de dire oui sans le dire. Ça n'a rien d'étonnant, Julian détonne là où Muriel préfère se tapir dans l'ombre. Un soleil qui brûle les yeux. Pas un mal, mais une gêne. Il essaie de lui parler, parfois, et Asra doit user de stratagèmes habiles pour détourner la conversation. Il comprendrait qu'il ne veuille pas le voir, ni lui parler. Ce n'est pas un problème.

— Fais attention à toi.

Attention ? Asra rit.

— Julian n'est pas dangereux. C'est un gars cool, franchement.

Et attachant. Une compagnie agréable, peut-être même plus qu'agréable. Est-ce que c'est ça qui inquiète Muriel ? Qu'il puisse tomber amoureux ?

Asra se redresse pour s'appuyer contre le lit.

— Je ne te mettrai pas de côté pour lui.

— Je sais.

Il dit vrai. Muriel ne ment jamais, même pour faire plaisir aux gens.

— Qu'est-ce qui pourrait mal se passer, alors ?

Il l'entend qui inspire. Il cherche ses mots - ou alors, il n'a pas envie de les prononcer. Asra hésite, avant de se redresser pour poser sa main sur son épaule. Large épaule. Muriel a encore pris du dos.

— Il est pas sérieux.

Là, il n'est pas d'accord. Julian joue les idiots, pour autant, il ne l'est pas. Il faut juste chercher plus loin. Et quand bien même ? Asra n'a pas prévu d'aller fonder une famille avec lui. Il parle avec l'apprenti pirate parce que ça lui plaît, c'est tout.

— Et ? C'est un pote.

— Mm.

Asra ment, lui. Mal.

— Et même, dans le pire des cas ? On arrête de se voir et puis voilà. Il y a des gens qui se séparent tous les jours. C'est pas grave, ça arrive. Je survivrai.

Il cherche ses yeux, que Muriel détourne aussitôt. Il y a des choses qu'il ne dit pas et qui le brûlent, il sent. Une vilaine plaie. Le genre de corde qu'il faut tirer avec précaution, s'il ne veut pas que l'autre la coupe brusquement.

La voix d'Asra descend dans ses tons les plus doux.

— Ça va aller, Muriel.

— Il pourrait te blesser.

Oh. Il s'inquiète, donc.

C'est tendre comme Asra rougit. Des fleurs sur sa peau brune, à la lumière d'une lampe de chevet. Il ne peut pas s'en empêcher. Oui, bien sûr que Muriel ne veut pas qu'on le blesse. Lui non plus, il n'apprécierait pas que quelqu'un lui fasse du mal. C'est normal. Et nouveau pour lui, sans doute.

— Il ne le fera pas.

Julian n'est pas méchant. Maladroit, oui, parfois envahissant, mais pas méchant.

Ça ne suffira pas à convaincre son ami, il le voit bien. Et parfois, ça ne sert à rien d'essayer de convaincre les gens. C'est comme ça. Il faut juste l'accepter et attendre. Le temps tassera mieux que lui des peurs qu'il ne peut pas calmer.

— Prends soin de toi.

Il sent sa main lourde sur son poignet, et la pression délicate qu'il exerce. Son front vient s'appuyer contre le sien. Il ferme les yeux, et il n'y a plus que Muriel et lui dans ce monde. Deux chaleurs, deux respirations calmes. Une odeur de lessive parfumée.

— Promis.

Il passe ses doigts entre les siens.

— Toi aussi, prends soin de toi.

Asra abandonne son matelas. C'est rare mais ça arrive, parfois. Il dort contre Muriel, là où ça sent la terre après la pluie. Il sent son bras autour de sa taille, sa tête contre son dos et il n'y a plus d'angoisse, plus d'ombres tordues dans le noir. Le monde ne peut plus l'effrayer alors qu'il est blotti là. Non. Parce qu'il n'y a rien dans tout l'univers qui ne soit ni plus grand, ni plus fort, ni plus solide que Muriel. Il en a la certitude.


Wala wala. J'avais envie de me centrer sur leur amitié. J'aime beaucoup Asra et Muriel, en vrai, ils ont une chouette relation. Il faudra que je développe ça dans les chapitres à venir.

Pour le tarot, je me base sur celui du jeu !

Aussi, j'aime bien l'idée que même en UA, les parents d'Asra sont peu présents, en écho à leur absence dans le jeu.

A la semaine prochaine !