Repartir à zéro
Eddie attrapa son téléphone et éteignit l'alarme.
Il détestait être sorti de son sommeil et espérait qu'il ne serait pas trop grognon pour son premier jour de travail. Ce n'était pas qu'il n'était pas du matin, c'était juste qu'il était du genre à se lever avant le réveil et que quand c'était l'alarme qui le réveillait, c'était de mauvais augure pour la journée.
Il se redressa et s'étira lentement, avant de se lever en soupirant.
Sa première étape, pour essayer de récupérer sa journée, était d'aller se faire un bon café. S'il parvenait à se réveiller suffisamment avant son départ pour le travail, il passerait peut-être une bonne journée.
Il se servit une tasse et la laissa lentement refroidir alors qu'il préparait le petit déjeuner de son fils. Oh rien d'extraordinaire, un bol de céréales et du jus d'orange en bouteille. Eddie était doué dans beaucoup de domaine mais la cuisine n'en faisait vraiment pas partie. Son abuela avait dit une fois en riant qu'il devrait en être banni avant d'y mettre le feu.
Il se souvenait d'avoir rougit jusqu'au bout de ses orteils.
Il sourit en entendant le cliquetis familier des béquilles de son petit garçon arriver jusqu'à la cuisine. Le reste du temps, Christopher se déplaçait sans dans la maison mais le matin était différent et Eddie savait qu'il était assez âgé maintenant pour lui dire si les douleurs le dérangeaient.
– Bonjour papa, lui sourit-il.
– Salut mon pote, répondit-il en lui indiquant la chaise.
Christopher s'y glissa et il mangea tranquillement tandis qu'Eddie buvait son café en consultant ses messages.
Son ancienne équipe lui souhaitait un bon courage pour cette première journée dans son nouveau travail. Ou plutôt son ancien travail qu'il reprenait même s'il n'y avait pas consacré beaucoup de temps en début de carrière.
Il avait rapidement été repéré par sa hiérarchie et avait sauté beaucoup d'étapes avant d'avoir sa propre équipe. Il était vraiment doué dans ce qu'il faisait.
Peut-être trop doué même et il avait perdu sa femme à cause de son métier. Il refusait de perdre aussi son fils. Il avait besoin de lui maintenant que sa mère n'était plus là.
Il n'avait plus que lui.
Ils se livrèrent à une petite séance d'étirement.
Christopher en avait besoin pour lutter contre l'atrophie de ses muscles et lui, et bien ça ne pouvait pas vraiment lui faire du mal, n'est-ce pas.
Alors qu'ils se dirigeaient vers la voiture, Christopher s'extasia sur sa nouvelle école et sur tous les projets qu'il avait pour les semaines à venir. Eddie était heureux de pouvoir être là pour tous les moments qui comptaient.
Il en avait raté tellement déjà.
Quand Eddie avait rencontré Shannon au lycée, il était tombé fou amoureux. Comme tous les jeunes gens amoureux, ils avaient vécu leur histoire à fond sans prendre garde aux conseils de prudence que leur martelaient leurs parents.
Avec le recul, il aurait peut-être fait les choses différemment.
Pas qu'il regrettait d'avoir eu Christopher, non, il était la plus belle chose qui lui soit arrivé dans la vie. Mais Shannon était une artiste, une rêveuse et lui, et bien il voulait conquérir le monde, à sa façon.
Quand elle était tombée enceinte juste après le lycée, il l'avait épousé et il était parti se battre en Afghanistan. Puis, Christopher était né et il avait commencé une formation d'officier de police.
Il était sorti major de promotion et c'était là que ses supérieurs l'avaient fait intégrer une équipe spécialisée dans la traque des harceleurs. C'était nouveau à l'époque et très controversé mais Eddie pouvait se glisser dans la tête de n'importe quel psychopathe et prévoir le moindre de ses mouvements.
Il avait vite été promu chef de sa propre équipe.
Le problème était qu'il passait plus de temps sur le terrain que dans sa famille. Christopher avait grandi trop vite et Shannon s'était épuisée toute seule, perdant ses rêves et se fanant lentement.
Quand ils s'étaient séparés, Eddie s'était plongé encore plus avidement dans le travail, enchainant succès après succès et s'éloignant encore plus de son fils. Il s'en voudrait toute sa vie de ne pas avoir su voir qu'il perdait des années qu'il ne rattraperait jamais.
La soudaine disparition de Shannon avait redistribué les cartes de façon cruelle.
Aujourd'hui, il avait décidé d'arrêter de se perdre dans le travail afin de s'occuper de Christopher. Ce n'était une décision prise à la légère ou sous le coup de l'émotion mais un nouveau choix de vie.
Il voulait avoir du temps à consacrer à son fils mais il ne pouvait néanmoins pas prendre un travail de bureau. Ça le rendrait complètement fou. Reprendre les patrouilles semblait au contraire un choix approprié même si sa hiérarchie et ses collègues ne le comprenaient pas vraiment.
– Bonne journée papa, s'exclama Christopher en descendant de voiture.
– Oh mais comment ça bonne journée ? s'amusa Eddie en sortant de la voiture pour le rejoindre. Et mon bisou ?
– Oh papa, lâcha-t-il en roulant des yeux. Je suis grand maintenant.
Jésus, mais quand son fils avait-il grandit autant ?
– D'accord mais je peux avoir un câlin quand même ? quémanda-t-il. Pour me donner du courage pour ma première journée de travail ?
Christopher fit mine de réfléchir à la question avant de sourire et de lui ouvrir les bras. Eddie ne se fit pas prier et le serra fort contre lui.
– Je t'aime, papa.
– Je t'aime aussi, mon pote.
– Passe une bonne journée, lança-t-il en se dégageant.
Eddie mit les mains dans les poches et le regarda entrer dans l'établissement.
Il savait qu'il lui faudrait encore un peu de temps avant d'arrêter de le surveiller comme un faucon mais il avait vu assez d'horreur dans sa vie pour avoir peur de ce qui pourrait lui arriver s'il n'était pas attentif.
Il sauta dans sa voiture et roula jusqu'au poste.
Il se changea rapidement dans les vestiaires. Il était peut-être le nouveau mais il n'était plus un bleu depuis longtemps alors pas question de se montrer impressionné.
En plus, il savait que la capitaine Maynard allait l'avoir à l'œil.
Ils s'étaient un peu accrochés tous les deux sur une enquête et Eddie pouvait parfois se montrer très désagréable et obtus. Il savait que la capitaine allait le surveiller et certainement le coller avec l'officier le plus chiant du service.
Eddie allait encaisser.
De toute façon, c'était temporaire. Il avait bien l'intention de faire ses patrouilles seul très vite. Il savait ce qu'il valait, le tout était de le montrer à la capitaine sans avoir l'air trop prétentieux.
Il referma son casier et ajusta son col.
« J'ai entendu dire que le nouveau avait été rétrogradé. » lâcha une voix derrière le bloc de casier.
Eddie se figea en retenant son souffle. Est-ce qu'ils parlaient de lui ? Pour des flics, ils ne semblaient pas très bien informés. Il n'y avait jamais été question de rétrogradation.
« Sérieux ? répondit une autre voix. Incompétence ou faute grave ? »
« Je n'en sais rien mais il était chef d'unité et il se retrouve en patrouille. Ça doit-être une grosse connerie. »
Le commérage n'avait jamais été son truc et il savait qu'il devait passer outre mais bon sang, il n'allait pas baisser la tête comme un bleu. S'il voulait se faire sa place, il allait devoir montrer qui il était.
« Ou alors il a emmerdé la mauvaise personne. » rit le second.
– En fait, c'était par choix, lâcha-t-il en apparaissant dans leur champ de vision en vérifiant son col dans le miroir derrière eux. Rien de mieux que d'obtenir une information à la source. Messieurs, les salua-t-il en sortant du vestiaire les laissant bouche bée.
Cette journée pourrait bien devenir amusante.
