Chapitre 6 | Sans couleur ni lumière
"Le charme de tes yeux sans couleur ni lumière
Me prend étrangement : il se fait triste et tard,
Et, perdu sous le pli de ta pâle paupière,
Dans l'ombre de tes cils sommeille ton regard"
Renée Vivien
4 février 2001 | 22:32
" - Tu as demandé à me voir ?" Demande Hermione d'une voix hésitante en se faufilant à l'intérieur du bureau - pièce qui figure normalement sur la liste des lieux interdits.
Draco hoche silencieusement la tête et lui fait signe de s'approcher. La brunette se frotte vigoureusement les avant-bras pour se réchauffer et s'avance dans sa direction en l'évaluant d'un air mêlant suspicion et inquiétude.
Leur dernier échange a été mouvementé ; Malfoy est imprévisible et c'est la première fois qu'il la convoque dans son bureau sans même lui préciser la raison. Peut-être qu'il a réfléchi et qu'il considère qu'elle mérite une punition au vu de son attitude de la veille. Ou bien il s'ennuie et cherche un peu de compagnie ; c'est une hypothèse réaliste et Hermione s'accroche à cette idée plutôt qu'à la première.
Il est assit dans l'un des deux somptueux chesterfield émeraude qui encadre une cheminée étroite et bien moins extravagante que celles se trouvant dans les nombreux salons privés du domaine. Sa position et son allure sont étonnamment décontractés. Il porte les restes de son habituel uniforme noir mais sans la veste et le gilet. Les trois premiers boutons de sa chemise sont défaits et il a retroussé ses manches jusqu'aux coudes, laissant Hermione entrevoir la sinistre marque des ténèbres ondulant le long de son avant-bras gauche.
Le regard de la jeune femme s'accroche à l'encre noir comme si le mouvement du serpent avait un effet ensorcelant. Cela peut surprendre, mais elle n'a jamais eu l'occasion de l'observer de si près.
Le Mangemort met un terme à sa contemplation malsaine lorsqu'il se redresse avec élégance pour se diriger vers le chariot à boisson.
" - Un verre ?"
Sans attendre la réponse de la jeune femme, le blond attrape deux verres à pieds et les remplit de vin. Hermione saisit la coupe qu'il lui tend et observe longuement le liquide rougeâtre.
" - Ce n'est que du vin", lui assure l'homme en buvant une gorgée de sa boisson.
Il ferme les yeux pour savourer le goût du vin et hoche vigoureusement la tête pour signifier son contentement.
" - C'est un excellent cru. Artie a fait un excellent choix." Il saisit la bouteille et fait mine de s'intéresser à l'étiquette. " Ah, celui-ci dort dans la cave depuis des décennies."
Bien qu'elle ne soit pas une grande amatrice de vin rouge, Hermione est curieuse. Elle inspire pour humer l'odeur de l'alcool puis consent à tremper ses lèvres à l'intérieur.
Ce n'est pas mauvais. Le vin est doux et légèrement amer avec un arrière goût de fruits des bois.
" - Tu n'es pas censé le réserver pour une occasion spéciale ?" Souffle Hermione en avalant une deuxième gorgée de vin afin de briser le silence étrange qui règne dans le bureau du blond.
Ce dernier laisse échapper un ricanement.
" - Il n'y a rien dans ma vie qui mérite d'être célébré."
Hermione se balance sur ses pieds. Il y a quelques minutes, elle s'apprêtait à se coucher et la voilà désormais en train de siroter du vin en compagnie d'un Mangemort.
" - Aux aléas du destin, alors," propose-t-elle en levant son verre.
L'amertume du liquide colore ses joues d'une douce teinte rosée.
Malfoy imite son mouvement tout en opinant de la tête.
Les deux sorciers restent silencieux durant un long moment. Les bûches se consument lentement, dégageant une agréable chaleur et éclairant la pièce d'une lueur orangée. Après un moment d'hésitation, Hermione finit par s'asseoir sur le deuxième fauteuil en cuir, glissant ses talons sous ses fesses pour être confortable. Elle termine son verre et Malfoy s'empresse de lui en offrir un deuxième.
" - Je n'ai pas pris l'occasion de te remercier convenablement."
" - Oh."
Ses yeux s'écarquillent de stupeur et c'est tout ce qu'elle parvient à dire.
" - Prim m'a dit que tu avais fait des progrès ?"
La brunette avale une gorgée de vin.
Il l'a convoqué afin de la remercier.
C'est surréaliste. Pire encore, il cherche à lui faire la conversation ?
" - Ce n'est pas grand chose", admet-elle à contrecœur. " Elle a légèrement incliné la tête ce matin lorsque je lui ai dit que le Lys avait une nouvelle pousse. C'est comme si elle s'était penché pour tenter de l'apercevoir. Mais il s'agit probablement d'une coïncidence. Je n'ai pas voulu contredire les espoirs de Prim. Elle était tellement heureuse…"
" - Prim est au service de ma mère depuis de nombreuses années. Elle a toujours été fidèle et dévouée. Depuis l'accident, elle se lamente et se languit de son absence."
Il marque une pause et scrute Hermione. Son regard balaye la brunette, recroquevillée dans le chesterfield.
" - Elle compte sur toi."
" - Je ne mentais pas lorsque je t'ai dis que le plus difficile était à venir. L'esprit de ta mère est… en suspens. Les sortilèges de diagnostic ne détecte aucune anomalie et pourtant, elle ne réagit à aucun stimulus. Le maléfice a probablement endommagé certaines connexions nerveuses mais je ne suis pas neurologue alors c'est difficile à évaluer."
" - Neurologue ?"
" - Ce sont des guérisseurs spécialisés du cerveaux", précise Hermione. " Je me base uniquement sur des suppositions et des hypothèses. Et même si nous parvenons à la faire sortir de sa léthargie, la route sera encore longue avant qu'elle ne se rétablisse, en supposant qu'elle y parvienne. Peut-être qu'elle aura des problèmes d'élocution ? Sa mémoire interne est peut-être endommagée. Et puis, elle aura besoin de rééducation…"
" - L'essentiel, c'est qu'elle ne souffre plus. Et c'est grâce à toi et tes recherches."
C'était un compliment . Du moins, Hermione le prend comme tel.
" - Je fais tout mon possible."
" - Je sais."
Au fil de la discussion, Draco lui offre un troisième verre de vin. La jeune sorcière s'en empare et ne semble pas réaliser la quantité d'alcool qu'elle est en train d'ingérer. La boisson adoucit son humeur et brouille les boucliers qu'elle s'impose en temps normal.
" - Tu devrais lui parler plus souvent."
Elle aperçoit les doigts de Malfoy qui se crispent autour de son verre de vin.
" - J'essaie."
Hermione a chaud, ses joues brûlent, sa peau est luisante. C'est une sensation agréable.
Demain, elle regrettera de s'être laissée aller de la sorte. Elle se sentira probablement coupable d'avoir converser aussi calmement avec un homme qui la maintient prisonnière. Mais pour l'instant, elle se contente de savourer son verre et profite de l'instant.
" - Parle moi d'elle."
Les extrémités de la jeune femme sont légèrement engourdies. Le vin fait progressivement son effet. Malfoy, quant à lui, semble bien plus habitué à l'alcool que l'est l'ancienne Gryffondor.
" - Dis-moi des choses à son sujet," insiste la brunette. "Parles-moi de ton enfance à ses côtés."
Le blond hésite. Il n'a pas l'habitude de tergiverser sur sa vie personnelle, encore moins sur son enfance.
" - J'ai été choyé et gâté."
" - Oh par pitié, épargne moi les banalités. Je me fiche de savoir la quantité de jouets qu'elle t'a offert. Je suis également convaincue qu'elle a fait appel au meilleur précepteur de Grande-Bretagne pour garantir ton éducation. Ce n'est pas ce que je cherche à découvrir."
Les mots de la brunette réveillent le tic nerveux qui secoue la mâchoire du garçon.
Il se laisse tomber lourdement contre le dossier du fauteuil et fait tournoyer le liquide rougeâtre le long des parois de son verre pendant un court instant.
" - Elle a tout fait pour m'éloigner du danger. Elle m'a protégée du mieux qu'elle a pu. Lorsque mon père recevait des amis, elle prétextait un rendez-vous urgent chez le tailleur. Lorsque ma tante débarquer à l'improviste, elle m'envoyait en cuisine auprès des elfes en se plaignant de mes mauvais résultats scolaires. Elle n'a jamais été très démonstrative, mais ses agissements étaient suffisants. La plupart des familles de sang-purs confient l'éducation de leurs héritiers à un elfe de maison, mais ma mère a toujours était soucieuse de mon bien être et des décisions me concernant. Elle m'aimait, comme seule une mère peut le faire."
Il inspire et la fatigue se lit sur son visage.
" - Malheureusement, elle aimait également mon père."
Ses doigts se serrent rageusement autour de son verre.
" - Et voilà où cet amour l'a conduit."
Lorsqu'il évoque Lucius, la douceur s'évapore de ses traits et son expression se durcit.
Hermione se penche vers Draco, mais ce dernier lève la main avec lassitude.
" - Non, plus de questions au sujet de mes parents. Tu en sais déjà trop."
Il ne semble pas en colère, juste épuisé. La brunette n'insiste pas et décide de changer de sujet. L'alcool est bien connu pour délier les langues, surtout lorsque l'organisme n'est pas habitué à en ingérer. Elle se mord la lèvre mais ne parviens pas à refouler la prochaine interrogation qu'elle ravale depuis des semaines :
" - Quelle est ta place au sein de l'armée de Tu-sais-qui ?"
Un voyant rouge s'allume dans son esprit, mais il est trop tard pour abandonner. Elle se recule et enroule ses bras autour de ses genoux, craignant sa colère. Mais au lieu de cela, il soupire et ses lèvres se tordent, formant un mixte entre un sourire et une grimace.
" - Je ne suis qu'un pion parmi les autres."
Pas de titre honorifique ni de qualificatif pompeux.
Un pion parmi les autres.
Tout comme elle.
" - Comment évoluent les choses à l'extérieur ?"
Il laisse échapper un énième soupir.
" - Mal."
Hermione n'est pas surprise, elle s'attendait à cette réponse.
Draco se redresse avec nonchalance et s'empare d'une nouvelle bouteille. Au vue de la couleur, la brunette suppose qu'il s'agit d'un alcool fort ; probablement du whisky. Par réflexe, la brune tend son verre mais il secoue la texte en déclarant :
" - Tu as déjà consommé assez d'alcool pour la soirée, Granger."
Il n'a pas tord alors elle se ravise et abandonne son verre sur la table basse.
Lui en revanche s'offre une dose généreuse de whisky. Avec désinvolture, il se laisse tomber dans le chesterfield et avale d'une traite le liquide ambré. Il grimace mais savoure l'amertume et la douleur qui l'accompagnent.
" - De quel côté penche la balance ?"
" - Nous sommes dans une impasse, quel que soit le camp. Si nous continuons ainsi, il n'y aura aucun vainqueur. Ni bon, ni mauvais. Juste des morts."
" - Peut-être que c'est son intention depuis le début", murmure-t-elle. " Mais s'il ne reste plus personne à combattre, quel est l'intérêt ?"
Les lèvres de Draco se retroussent.
" - Tu n'as toujours pas compris ?"
Il se penche brusquement vers elle. Hermione sursaute, prise au dépourvue par leur soudaine proximité. Leurs visages sont à quelques centimètres l'un de l'autre et elle peut sentir son souffle alcoolisé se mélanger au sien.
" - Pour lui, tout ceci n'est qu'un jeu."
" - Alors pourquoi acceptes-tu d'être un simple pion dans le jeu du Seigneur des Ténèbres ?" Souffle-t-elle en plongeant son regard dans les prunelles orageuses de Draco.
La tête du blond bascule vers l'arrière ; le mouvement est lent et témoigne de la fatigue qu'il accumule depuis des années désormais.
" - Je n'ai pas eu le choix."
" - Tu as eu l'opportunité de choisir ton camp," contre Hermione en repensant aux évènements de la sixième année. " Tu as fait le choix d'être à ses côtés et d'y rester."
Draco pouffe mais son rire n'atteint pas son regard.
" - Tu penses détenir la vérité absolue, petite sorcière ?"
Sa voix est amère ; il a perdu son arrogance habituelle.
"Pour toi, il n'y a que les gentils et les méchants et tu estimes te battre du bon côté." Il ricane à nouveau. "Mais tu ignores tant de choses. Nous vivons dans un monde fait de faux-semblants et d'incertitudes. Il y a des monstres dans tous les clans. Certains sont justes plus habiles que d'autres pour cacher leurs méfaits."
Il soupire longuement et Hermione aperçoit sa pomme d'adam se mouvoir tandis qu'il déglutit.
" - Il vaut mieux pour toi que tu continues à te bercer d'illusions grotesques. La vérité est cruelle et triste à mourir… Et tu fais déjà suffisamment de cauchemars la nuit. "
5 février 2001 | 10:48
Hermione se réveille avec un mal de crâne épouvantable. En s'asseyant dans son lit, son estomac se retourne sur lui-même et elle grimace en se frottant la nuque.
Ses mouvements sont lents et confus tandis qu'elle se glisse sous la douche pour nettoyer son esprit affecté par la quantité d'alcool qu'elle a avalé la veille. La sorcière ferme les yeux et appuie son front contre la paroie humide.
Sa conversation avec Malfoy a pris une tournure inattendue. Ses sentiments sont divisés ; une partie d'elle-même est heureuse et reconnaissante d'avoir percé une minuscule entaille dans la carapace du mangemort. L'autre en revanche se sent affreusement coupable de pactiser davantage avec un homme qu'elle est censé considéré comme un ennemi.
5 février 2001 | 15:12
Hermione déambule dans les couloirs durant une grande partie de la matinée ; Draco est absent depuis la veille et elle cherche des idées pour occuper ses temps-libres lorsque Narcissa dort et qu'elle est trop fatiguée pour faire des recherches à la bibliothèque.
Elle trouve un plaisir coupable à écouter les moqueries et les insultes qui émanent des tableaux de la galerie de portraits. Il faut admettre que, malgré leurs inutilités, ils n'ont pas perdu leurs perspicacités ; comme si la façon dont elle respirait témoignait de son statut sanguin. A moins qu'il ne s'agisse de son aura ou de toute autre manifestation visible seulement dans l'au-delà ?
Après sa balade dans l'aile ouest, elle rejoint Narcissa dans le jardin d'hiver. Elle déjeune en silence sous le regard éteint de la sorcière puis décide de profiter du jardin malgré la neige et les températures négatives. Prim et Artie s'opposent à son idée mais elle les ignore et pousse la blonde à l'extérieur. Les roues s'enfoncent dans la poudreuse mais cela ne suffit pas à la décourager.
Sous la supervision des elfes de maison, Hermione fait le tour du Manoir et profite des quelques rayons de soleil qui parviennent à traverser les nuages. Le froid mordant ravive son esprit et le vent qui lynche ses joues et entortillent ses mèches de cheveux lui redonne de l'espoir.
La pâleur de Narcissa se confond dans la neige, emmitouflée dans plusieurs couvertures, elle ne semble pas souffrir de la fraîcheur. Lorsque les deux femmes contourne l'imposante fontaine qui trône à l'arrière du Manoir, figée dans la glace, Hermione croit apercevoir un reflet de lucidité briller dans le regard de la blonde. Lorsque la sorcière s'agenouille près de Narcissa pour vérifier son état, ses épaules retombent mollement de désespoir. Peut-être qu'il s'agissait d'une simple hallucination, la brunette ne peut pas en être certaine.
Lorsque les doigts d'Hermione sont trop engourdis par le froid pour continuer de pousser la lourde chaise en bois dans la poudreuse, elle décide de mettre un terme à la balade et reconduit Narcissa dans son boudoir.
Prim se charge de dévêtir sa maîtresse et la place près du feu tandis qu'Artie s'empresse d'aller faire du thé. Hermione s'empare du livre qu'elle a déposé sur le guéridon la veille et reprend sa lecture.
5 février 2001 | 17:01
Les elfes de maison sont retournés vaquer à leurs occupations habituelles, laissant Narcissa aux bons soins d'Hermione.
Le soleil peine à traverser l'épaisse couche nuageuse et le boudoir est plongé dans une semi obscurité qui met la sorcière mal à l'aise.
Elle tente de focaliser son attention sur le livre qu'elle tient entre ses mains mais ses pensées s'emmêlent et elle ne parvient pas à se concentrer.
Quelque chose ne va pas.
Elle jette un coup d'oeil vers Narcissa ; elle n'a pas bougé et pourtant son regard azur semble plus sombre qu'à l'ordinaire et Hermione est certaine que ses lèvres sont plus pincées que ce matin.
La brunette se force à terminer son chapitre et glisse une plume entre les pages pour ne pas perdre le fil de sa lecture. Elle s'approche de la femme d'un pas lent tandis qu'un étrange pressentiment se met à l'envahir. Lorsque ses doigts se posent sur l'épaule de la blonde, cette dernière tressaille. Hermione sursaute de surprise.
Malheureusement, elle n'a pas le temps de s'attarder sur cet infime mouvement.
Quelque part dans le manoir, un grondement se fait entendre.
Le cœur d'Hermione s'emballe et elle scrute la pièce circulaire à la recherche d'une idée ou d'un échappatoire. Cependant, l'origine du bruit ne lui laisse pas le temps de trouver une solution.
La sorcière se fige.
La porte du boudoir s'ouvre avec fracas.
" - Mais quelle délicieuse surprise… "
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