Précédemment : Hunk et Shay se préparent à l'Unité. En attendant, ils ont commencé à compiler des données sur d'autres Balméras dans l'espoir de rassembler une Migration qui pourrait mieux protéger le peuple de Shay. Keith, Lance et Thace, pendant ce temps, ont signé une trêve précaire avec la rébellion de la planète mère, bien que Keith ait passé une bonne partie de la journée dehors pour parler à Red et, à travers le plan astral, à Matt (et à Val, brièvement).
Avertissements : Modification corporelle et procédures médicales malaisantes sous-entendues. Rien n'est décrit explicitement, mais les effets secondaires sont assez implicites pour nécessiter un avertissement. La scène en question commence par « Il se passa presque un jour entier… ». Pour passer les implications les plus directes, arrêtez de lire à partir de « C'était tout sauf réconfortant » et reprenez avec « Ils se plongèrent dans le silence… ».
À la fin du chapitre, vous trouverez un court résumé de la scène si vous avez eu besoin de la passer ou si vous avez besoin de plus d'informations avant de vous plonger dedans.
Chapitre 24
Sans nom
— Vous avez besoin de quelque chose, là-dedans ?
Hunk leva le nez vers sa maman tandis qu'elle passait la tête dans la petite cave dans laquelle lui et Shay s'étaient installés. Elle rayonnait presque de joie, tout comme son autre mère, les deux passant d'une tâche à l'autre sans s'arrêter. Elles étaient arrivées au Balméra trois jours plus tôt et semblaient toujours portées par l'allégresse. Hunk était dans le même état et, dès que son esprit effleurait celui de Shay, son engouement alimentait le sien.
Ils allaient déclarer leur Unité.
Une partie de lui avait encore du mal à y croire. Tout s'était passé si vite qu'il avait l'impression d'être dans un rêve. Il était presque reconnaissant que Zarkon ait attaqué le congrès, car cela lui permettait de garder un pied dans la réalité. Cela avait été un moment éprouvant, mais ils s'en étaient sortis. Toutes les délégations étaient rentrées chez elles saines et sauves, Shiro semblait s'être remis du coup que Zarkon leur avait porté à lui et Black et tout était revenu à la normale.
La normale, dans le cas de Hunk et de Shay, était de se plonger intensivement dans les archives que Pidge avait trouvées dans sa base de données.
— Moi, ça va, dit Hunk, souriant à sa maman. Shay ?
Elle fredonna, passant en revue la fin d'un fichier avant de se secouer et de lever la tête.
— Non, ça ira. Merci.
Lana changea de position, une main sur la hanche.
— D'accord… Je vous fais confiance pour ne pas vous surmener, vous savez.
Hunk rit, se penchant en arrière pour s'étirer. Les Balmérans n'utilisaient pas souvent de sièges. Le peu qu'ils avaient étaient en pierre et faisaient partie des trucs les plus inconfortables sur lesquels il s'était jamais assis, alors il avait trouvé une alternative : un trou incurvé dans le mur, rempli de mousse et de couvertures qu'il avait sorties des rangements de Yellow. Le résultat final était un peu comme un vieux matelas aux ressorts fatigués. Ce n'était toujours pas l'endroit le plus confortable du monde, mais c'était déjà mieux.
— Merci, dit-il, posant sa tablette face vers le bas sur ses genoux en souriant à sa maman. Je crois qu'on va bientôt faire une pause de toute façon. On vous rejoint dans la pièce commune dans vingt minutes et j'aide mama à préparer le dîner ?
Le sourire de Lana s'attendrit et elle s'approcha pour l'embrasser sur le crâne.
— Vingt minutes, dit-elle. Je viendrai vous chercher si je ne vous vois pas arriver.
— Ce serait pour le mieux, en effet, dit Shay, dissimulant son sourire derrière sa tablette.
Elle était accroupie à côté de son siège, suffisamment proche pour qu'il puisse lire par-dessus son épaule. Et pour qu'elle puisse appuyer sa tête contre son bras, comme elle le faisait parfois. À chaque fois, cela sortait Hunk de sa lecture pendant cinq bonnes minutes tandis que le rappel qu'ils étaient quelque peu fiancés l'emplissait d'adrénaline. Ils n'avaient pas encore choisi de date pour la cérémonie. Lance avait promis d'essayer de quitter la planète mère dès que possible, mais leur alliance avec la rébellion était encore précaire et Hunk n'avait toujours pas réussi à contacter Matt, Val et Allura. Ce serait cependant pour bientôt.
— C'est bien trop facile de se perdre dans ce projet, surtout pour Hunk.
— Je le sais bien, dit Lana en secouant la tête, avant de se pencher pour embrasser Shay sur le front, ce qui lui valut un sourire timide. Allez. Je reviens.
Hunk répondit distraitement, retournant à sa tablette. Jusqu'ici, Pidge n'avait eu aucune raison de chercher l'emplacement des autres Balméras sous le contrôle de Zarkon, mais iel avait promis de regarder à la prochaine occasion. Pour l'instant, il y avait beaucoup d'informations accessoires à trier.
C'était ce que Hunk et Shay étaient en train de faire. Après y avoir réfléchi et en avoir discuté avec les autres Doyens, Shay avait admis à contrecœur qu'ils n'avaient pas les outils pour chercher les autres Balméras en liberté. Sans point de départ ou des souvenirs d'anciennes techniques de navigation, ils avanceraient à l'aveuglette et des générations pourraient passer avant qu'ils ne croisent le chemin de leurs pairs. Pour l'instant, ils allaient donc se concentrer sur la libération des Balméras qu'ils pouvaient trouver. Même avec le peu d'informations dont ils disposaient actuellement, ils avaient identifié l'emplacement global de trois ou quatre Balméras, bien que seul l'un d'entre eux avait des coordonnées précises.
— Je n'ai plus que deux fichiers à parcourir, dit Hunk, marquant celui ouvert comme lu et passant au suivant. Comment tu t'en sors ?
— J'ai bientôt fini, répondit Shay. Une pause serait cependant la bienvenue. Ce n'est pas facile de lire ce qu'ils ont fait à mon peuple.
Hunk lui prit la main, le cœur serré. C'était difficile pour lui de lire certains de ces fichiers ; il imaginait à peine à quel point cela devait être pire pour elle. Zarkon était sans pitié, mais particulièrement cruel envers les Balméras. Il ne les voyait pas comme des prisonniers, ni même comme des êtres vivants. Les Balméras étaient une source d'énergie et les opérations mises en place pour les miner étaient des machines qu'il voulait voir fonctionner éternellement, ce qui voulait dire que dès qu'un problème venait ralentir la production, les maîtres d'ouvrage avaient le champ libre pour remettre les choses en ordre, quel qu'en soit le coût pour les Balmérans.
— Je suis content qu'on fasse ça, dit Hunk. On peut y mettre un terme. Ce sera lent au début, mais on va les tirer de l'emprise de Zarkon.
Shay acquiesça.
— C'est un objectif louable, dit-elle. Mais… Je ne peux m'empêcher de m'inquiéter de ce que cela pourrait entraîner. Zarkon dépend des Balméras pour alimenter son empire. Quand il connaîtra nos intentions, il cherchera à nous contrer. Tu sais que c'est la vérité. Dans quelques mois, combien de troupes aura-t-il rassemblées pour défendre les Balméras restants ? Je ne dis pas que nous ne devrions pas agir, parce que mon peuple a déjà souffert assez longtemps, mais je ne peux pas prétendre que nos actions n'empireront pas les choses, au moins pour un temps, avant que cela soit fini.
— Alors on va devoir faire tout notre possible pour mitiger les dégâts.
Hunk fit défiler rapidement le fichier sous ses yeux. C'était un projet pour utiliser les cristaux balmérans plus efficacement. Il ne semblait pas mentionner de Balméras spécifiques, alors Hunk le ferma et ouvrit le dernier fichier, un graphique qui suivait la productivité de plusieurs Balméras dans le quadrant Phaorle. Le fichier nommait une douzaine de Balméras, sans indiquer leur position.
Fronçant les sourcils, Hunk mit un indicateur sur le fichier. Pidge y jetterait un œil quand iel en aurait l'occasion et, avec un peu de chance, iel pourrait trouver plus d'informations sur ces Balméras.
Pour l'instant, il n'y avait rien de plus à ajouter à la liste. Hunk ferma le fichier, tapota sa tablette et réfléchit au problème du retour de bâton. Ils allaient devoir s'appesantir dessus. La prudence pourrait leur servir : avancer lentement, frapper discrètement, répartir leurs attaques de façon à ce que personne ne voie les retombées immédiates sur le long terme, tout cela pourrait retarder le moment où Zarkon se rendrait compte que Voltron s'en prenait à sa source d'énergie.
Ou valait-il mieux frapper vite et fort ? Ils étaient devenus doués pour chasser les Galras ces derniers mois, libérant parfois deux ou trois cibles par semaine. S'ils conservaient ce rythme avec les Balméras, s'ils le pouvaient, ils pourraient en libérer des douzaines avant que Zarkon ne puisse organiser ses défenses.
— Les autres continueront leurs attaques de leur côté, fit remarquer Hunk tandis qu'ils rangeaient leurs affaires pour la soirée et allaient retrouver leurs parents.
Ce tunnel était particulièrement calme ce soir-là et Hunk, conscient que le son portait loin ici, baissa la voix :
— Zarkon est déjà à court de cristaux pour alimenter ses vaisseaux. Si les autres continuent de les détruire pendant qu'on réduit encore plus ses réserves, il ne pourra peut-être pas envoyer quelqu'un pour l'aider à garder les Balméras.
Ou du moins, il allait devoir sacrifier d'autres cibles. Et, certes, on pourrait dire que cela se compenserait par plus de vies sauvées sur le long terme, mais cela revenait un peu trop à se servir des Balméras comme appâts pour que Hunk se sente à l'aise avec cette idée.
Mais il ne pouvait pas nier que les Balméras avaient une valeur stratégique considérable pour les deux côtés.
Shay émit un son pensif.
— Peut-être. Mais quand le nombre de Balméras sous sa coupe diminuera, il s'appuiera plus fortement sur ceux qui lui restent pour compenser la perte de productivité. Ils sont déjà sur le fil du rasoir ; s'il les pousse un peu plus, ils ne survivront pas longtemps.
— Alors on va devoir faire vite. Dès que Zarkon comprend ce qu'on manigance, le décompte commence. Peut-être qu'à ce stade, on pourra convaincre Shiro et Allura de rassembler toute la Coalition dans ce but. Qu'on anéantisse complètement les réserves d'énergie de Zarkon d'un seul coup. C'est dans l'intérêt de tout le monde, alors nos alliés voudront peut-être bien nous aider, même ceux qui aiment traîner des pieds.
Shay hocha la tête, songeuse.
— Cela pourrait marcher, dit-elle. Et j'imagine que nous avons un peu de temps pour déterminer les détails de notre plan. Libérer un Balméra n'a pas suscité une grande réaction de l'Empire. Avec un peu de chance, il en sera de même pour les quelques suivants.
— Et une fois qu'on aura vu comment sont organisés les autres Balméras, on saura à quoi s'attendre. S'ils ont tous la même ligne de défense, on trouvera peut-être une faiblesse à exploiter dans le futur.
Le chant de Shay était plus lumineux, sa détermination scintillant aux bords de la conscience de Hunk. Elle sautillait même un peu en le tirant en avant, accélérant l'allure jusqu'à la pièce commune. La situation au Balméra s'était enfin apaisée, le cercle de Shay retrouvant une paix relative et les Doyens continuant de progresser à chaque Rencontre. L'équipe d'Olkaris était arrivée la veille et Shay avait dit que les autres Doyens étaient impressionnés. Les Olkaris pouvaient apparemment sentir un peu l'esprit du Balméra, qui les appréciait par ailleurs.
Cela avait apaisé une grande partie des craintes, si bien que, même si les ingénieurs olkaris procédaient en douceur, Shay était optimiste quant à la mise en place future d'une grille de protection fonctionnelle. Le principal contretemps pour le moment était que les Olkaris voulaient tester la réaction du Balméra à plusieurs systèmes d'alimentation différents, attendant notamment de voir comment cela impactait la pousse des plantes à la surface. Ils s'étaient dit que les plantes feraient une meilleure fondation pour la grille de protection que les structures en métal qu'ils utilisaient ailleurs et qui évoquaient trop la technologie galra au goût des Doyens.
C'était bien joué de la part des Olkaris et Shay était confiante. En plus, elle ne passait plus qu'une ou deux heures par jour à chaque Rencontre, au lieu des dix à douze heures du début.
Ses parents étaient presque complètement remis et ils riaient avec les mères de Hunk dans la pièce commune à leur arrivée. La joie de Hunk lui revint en les voyant tous là, à rire et parler comme de vieux amis. La mère de Shay apprenait à la maman de Hunk comment filer les fibres dures de la mousse des cavernes pour en tisser des tuniques, des couvertures et d'autres textiles. Pendant ce temps, le père de Shay et la mama de Hunk se tenaient devant une marmite, échangeant des recettes et se livrant à quelques expérimentations sur les plats traditionnels balmérans.
Hunk avait été agréablement surpris que ses parents n'aient eu aucune objection à essayer les insectes qui constituaient la source de protéine principale des Balmérans, même si aucune des deux n'était particulièrement enthousiasmée à l'idée de les manger entiers.
Lana leva le nez de sa toile et fit un grand sourire à Hunk, lui indiquant de s'approcher, ce qu'il fit pour l'enlacer, s'extasiant devant ses fils, qu'elles avaient déjà teints pour certains. Elle était déterminée à offrir une couverture à Hunk et Shay le jour de leur Unité, même si elle s'était déjà excusée à l'avance pour son manque de technique.
Hunk se fichait de sa technique. Cela lui suffisait de voir sa famille et celle de Shay rassemblées ainsi, l'ambiance si chaleureuse et tranquille que cela lui semblait la chose la plus naturelle du monde. Laissant Shay offrir ses conseils sur la meilleure manière de manipuler la mousse à tisser, Hunk alla rejoindre sa mama pour voir quelles nouvelles créations elle avait imaginées.
Keith s'attarda dans le lion rouge un moment après avoir retrouvé son corps. Au début, il put le justifier comme une période d'ajustement. Sa tête était un peu brouillée après être parti si longtemps et il n'était pas vraiment d'attaque à conduire pendant des heures pour rejoindre le 301.
Mais pour être tout à fait honnête, ce n'était pas que des préoccupations d'ordre pratique qui le retenaient. C'était en partie de l'inquiétude pour Red. Elle était bien plus calme qu'après l'attaque de Zarkon. Elle se sentait toujours un peu mal, mais elle venait à sa rencontre quand il sondait prudemment le lien, comme pour le rassurer que tout allait bien. Même si elle restait tracassée et pas prête à en parler, cela ne devrait pas l'inquiéter. Elle était toujours là. Elle le soutiendrait toujours.
Doucement, l'inquiétude de Keith à son égard s'effaça, puis ce fut la solitude qui le retint. Certes, Lance l'attendait en ville, mais Keith n'avait pas passé assez de temps avec Matt à son goût (même si les systèmes de Red indiquaient qu'une bonne partie de la journée s'était écoulée pendant qu'il visitait son Cœur). Il avait l'impression de n'y être resté qu'une poignée d'heures et se demandait s'il pouvait y retourner.
Mais tout ça n'était que des prétextes et il le savait. La raison pour laquelle il traînait des pieds était simplement qu'il ne voulait pas refaire face à Arel et au reste de la rébellion. Leur première rencontre avec Mirek était floue et Keith était parti si vite ensuite qu'il ne savait pas exactement où ils en étaient, mais il savait que même une alliance formelle ne suffirait pas à Arel pour oublier sa rancune.
Le soleil se couchait à l'horizon quand Keith se traîna hors du cockpit de Red jusqu'au petit speeder qu'il avait emprunté. Il lui paraissait encore plus étroit maintenant et il hésita un long moment, frissonnant dans l'air glacial, avant de saluer silencieusement son lion, pivotant et reprenant le chemin de la ville.
Quand il rentra à l'appartement, la nuit était tombée depuis longtemps, mais Lance l'attendait dans le salon, enroulé dans une couverture et somnolant sur le canapé qui servait de lit à Thace.
— Il s'inquiétait pour toi, dit ce dernier d'un ton neutre depuis la table de la cuisine.
Il avait un écran de chaque côté de lui, colorant sa peau d'une douce lumière bleue, et il leva à peine le nez en parlant.
— Tu devrais lui dire que tu es rentré et aller vous coucher. Une longue journée nous attend.
Keith ravala l'envie de répliquer : Thace comptait-il suivre son propre conseil ou il n'y avait que Keith qui devait être materné ?
Mais il était fatigué et endolori et une dispute ne ferait que l'éloigner du sommeil, alors il souffla et appuya son genou sur le canapé, à côté de Lance.
— Hé, murmura-t-il, lui touchant l'épaule.
Lance se réveilla en sursaut, regardant vaguement le visage de Keith un long instant avant de le reconnaître. Puis il se détendit, se défaisant de sa couverture pour le prendre par le col et le tirer sur lui.
— Comment ça s'est passé ?
— Bien, dit Keith en gigotant. Je crois que l'attaque de Zarkon a rappelé quelque chose à Red. Elle n'est pas prête à en parler, mais elle va mieux. J'ai parlé à Matt aussi…
Il s'interrompit, les sourcils froncés, tandis que Lance fermait les yeux et prenait une position confortable contre l'accoudoir du canapé.
— Tu ne préférerais pas dormir dans un vrai lit ?
— Trop d'efforts. Fatigué. Et puis, tu me réchauffes.
Lance s'agita sous le poids de Keith, s'enfonçant plus profondément dans le moelleux du canapé comme pour prouver ses dires.
De fait, Keith n'était absolument pas chaud. Le vol du retour avait été encore plus glacial qu'à l'aller, sans la faible lumière du soleil pour le réchauffer un peu. Ses doigts étaient glacés et Lance glapit quand il les posa contre son cou.
Keith rit, relâchant un peu de son stress, tandis que Lance le fusillait du regard. Rester sur le canapé avec lui semblait effectivement tentant, mais Thace était toujours à la table de la cuisine. Il ne semblait pas dérangé par le fait que Lance lui ait volé son lit, mais Keith se disait que ça ne se faisait pas trop. Et puis, il ne pensait pas pouvoir dormir avec son oncle juste à côté.
Lance gémit quand il quitta le canapé et tira la couverture sur lui en lui jetant un regard déçu. Keith sourit et le souleva, couverture et tout. Lance glapit, battant des bras et des jambes, puis s'accrocha à son cou quand il manqua de tomber.
— Tu as dit que tu étais fatigué, dit innocemment Keith en soutenant son regard noir. T'inquiète. Je t'emmène juste dans ton lit.
Lance souffla, mais ne bougea pas tandis que Keith le portait jusqu'à son lit, l'y jetant sans aucune forme de procès. Il glapit à nouveau, se démenant avec la couverture qui s'était emmêlée autour de lui, l'immobilisant tout à fait.
— T'es vraiment pas sympa, Keith, gémit-il, donnant quelques coups de pied qui n'accomplirent rien du tout.
Keith se contenta de sourire, oubliant le froid de l'étendue désertique pour le moment.
— Dors, Lance. Il est tard.
Il fit signe de partir, mais Lance libéra enfin son bras et le prit par la main pour l'arrêter. Et… eh bien, il était tard et Keith avait froid. Il faudrait une heure à son lit pour chauffer à la bonne température, mais s'il profitait de la chaleur corporelle de quelqu'un d'autre… Souriant, il retira ses bottes et enfila le pyjama de rechange de Lance avant de se glisser dans le lit à côté de lui.
Le fait qu'il n'attendit pas que Lance s'accroche à lui en disait long sur sa fatigue. Au contraire, Keith se rapprocha dès qu'il fut à l'horizontale, passant un bras sur le torse de Lance et enfouissant son visage dans le creux de son cou. La respiration de Lance eut un accroc, puis il exhala. Même ce simple son était chargé de tendresse, et Keith relâcha un souffle qu'il n'avait pas eu conscience de retenir. Lance se déplaça un peu, repositionnant son bras qui était coincé entre eux pour l'attirer plus près.
Keith s'endormit avant d'avoir le temps de s'inquiéter du lendemain.
Le Balméra R-27-Arl stagnait dans une région éloignée de l'espace aérien impérial, près d'une étoile naine qui se consumait lentement.
Même avec le peu qu'ils avaient pu tirer des fichiers de Pidge, le cœur de Shay saignait déjà pour lui et son peuple. Elle avait espéré, au départ, qu'il soit en meilleure santé que le sien avant l'arrivée de Voltron, parce qu'il produisait plus de cristaux que lui. À le voir maintenant, de loin et sur les relevés de Yellow, Shay savait que ce n'était pas sa bonne santé qui contribuait à la production de cristaux. C'était juste un grand Balméra, avec une population peut-être plus large.
Et il se mourait.
Ce Balméra… L'esprit de Shay lui donna automatiquement sa numérotation impériale, ce qui était le seul moyen concis de le distinguer d'un autre, mais son estomac se nouait dès qu'elle y pensait. Elle allait devoir trouver un meilleur système, une fois ces gens en sécurité. Elle se demandait si les Balméras avaient autrefois des noms.
C'était une question pour plus tard.
Quel que soit son nom, celui-ci était malade. Sa quintessence fluctuait sur les scanners, mais restait dangereusement basse, et ce n'était pas que la surface qui était dénuée de vie, mais aussi les tunnels les plus profonds que Yellow pouvait atteindre.
— Nous devons aller à la surface, dit Shay. Je pense que des mines ont été creusées très profondément dans son cœur. Nous n'en apprendrons pas plus depuis les airs.
Elle sentit la détermination de Hunk au fond d'elle.
— D'accord, dit-il, sa voix résonnant alors qu'il se faufilait dans l'espace de maintenance. Vas-y dès que tu es prête. Je vais voir si je peux rediriger un peu d'énergie vers le dispositif de camouflage pour gagner du temps.
Yellow eut un grondement approbateur, lui indiquant de s'intéresser à son arsenal : elle ne voulait pas se servir de ses armes ici même en cas de combat, alors ça ne la dérangeait pas de les sacrifier pour une approche plus discrète. Shay les laissa se charger de ces détails, suivant l'avancée de Hunk distraitement tout en les approchant du Balméra, à l'affût d'un signe que les Galras les avaient remarqués.
Les cieux restèrent dégagés et, le temps que Hunk termine ses modifications, Shay bouillonnait d'impatience. Elle activa le camouflage et les fit descendre, prenant note des défenses au sol, des hangars et des autres structures galras à la surface. Tout était silencieux. Les scans ne détectaient qu'une petite équipe dans le coin et personne ne s'activa au passage du lion jaune.
Dès que les pattes de Yellow touchèrent terre, l'esprit de Shay s'élança vers la chanson. Une chanson méconnue, qui lui fit tourner la tête un instant, sa voix semblant dissoner.
La réaction fut immédiate : une vague de silence choqué, suivie par une clameur de questions. Shay resta assise dans son siège tandis que Hunk s'approchait, secouant la tête comme si lui aussi avait perçu un peu de ce chaos. C'était difficile de comprendre cette chanson. Son fond était le même et l'intention derrière les mélodies était plutôt claire dans la plupart des cas, mais les détails les plus fins s'y perdaient.
Je m'appelle Shay. Elle donna forme à ses mots dans son esprit, chantant à propos de son foyer et de son peuple, essayant de faire comprendre qu'elle était là pour leur venir en aide, qu'elle pouvait les aider. Elle avait simplement besoin de connaître la situation.
Il lui fallut se répéter plusieurs fois avant que son message ne passe. Elle modulait sa chanson pour correspondre du mieux qu'elle pouvait à celle d'ici, et les voix qui lui revenaient finirent par se diluer dans un fredonnement incertain tandis qu'une seule (celle d'un Doyen, pensait-elle) lui chantait des réponses simples et directes à chacune de ses questions. C'était lent, mais ils firent avec.
Shay se rendit compte qu'elle était peut-être bien la première Balmérane depuis des milliers d'années à s'accorder à la mélodie d'un autre Balméra, une pensée à la fois stupéfiante et qui donnait à réfléchir. Hunk posa une main sur son épaule, fredonnant sa sympathie à voix basse, et Shay lui sourit, puis se concentra sur la tâche à accomplir.
Zarkon était au pouvoir ici depuis bien trop longtemps. Il était temps d'y mettre fin.
Keith se réveilla doucement le lendemain, tirant son oreiller plus près et–
Attendez.
Ce n'était pas un oreiller.
Keith se réveilla tout à fait en un instant, les événements de la veille lui revenant d'un coup, et il se figea, osant à peine bouger au cas où Lance n'avait pas encore ouvert les yeux et remarqué que Keith était en train de le serrer contre lui comme un doudou.
Le rire qui résonna à son oreille lui indiqua qu'il n'était pas si chanceux et il recula lentement pour regarder Lance, dont le sourire en coin et les cheveux en bataille étaient bien trop adorables si tôt le matin. Keith grogna et tira un véritable oreiller sur sa tête pour dissimuler le frémissement mortifié de ses oreilles.
— Salut, bébé, dit Lance, embrassant la main qui serrait l'oreiller. Je ne savais pas que tu étais si câlin. Avec le sommeil profond, en plus.
Keith grogna à nouveau, roulant sur le dos pour s'éloigner.
— Désolé. Je t'ai réveillé ?
— Une ou deux fois.
Le ton de Lance était détaché et il tira sur le coin de l'oreiller de Keith.
— Hé. Keith. Bébé. Mon ange. Mon cœur.
Une dernière traction finit par tirer l'oreiller des mains de Keith. Il chercha à le rattraper un instant, puis s'interrompit et rencontra à contrecœur le regard de Lance, qui lui sourit.
— Coucou.
— Coucou…
— Je peux te dire un secret ?
Keith haussa un sourcil, se tournant sur le côté et ramenant ses genoux contre son torse tandis que Lance se redressait sur un coude.
— Oui, si tu veux.
— Quand Mateo était petit, il avait peur de réveiller nos parents après avoir fait un cauchemar. Il pensait qu'ils allaient se mettre en colère ou un truc du genre, je ne sais pas trop.
Lance agita la main avant de la poser sur la hanche de Keith dans un geste si désinvolte, et pourtant si intime, que Keith en eut le souffle coupé.
— Bref, pendant toute une année, c'était moi qu'il venait voir après un cauchemar. Je le calmais et il passait le reste de la nuit dans mon lit. Et il donne des coups de pied. Alors, crois-moi, me réveiller au beau milieu de la nuit parce que mon petit ami essaie de se serrer contre moi dans son sommeil me convient parfaitement.
Keith lui offrit un sourire timide.
— Je suis désolé quand même. On a une mission aujourd'hui… pas vrai ?
Il souffla, passant un bras sur son visage.
— Ugh, désolé. Je n'ai pas été d'une grande aide avec la rébellion, hein ?
— Ton lion passe en priorité, dit Lance. Tu sais que si c'était Blue, je serais exactement dans le même état que toi.
Keith laissa son bras retomber un peu, jetant un œil à Lance par-dessus le pli de son coude.
— Ouais ?
— Ouais.
Lance se laissa tomber à côté de lui, une jambe sortant des couvertures.
— Tu crois que Thace va nous tuer si on… reste là encore cinq minutes ou une heure ?
Keith ricana.
— On peut peut-être s'en tirer avec dix minutes. Raconte-moi tout ce que j'ai manqué ?
Lance tourna la tête de côté et sourit.
— Ouah, Keith. J'adore ce genre de confidences sur l'oreiller. Mon cœur bat la chamade.
Keith lui lança son oreiller à la figure, puis se tira du lit, riant tandis que Lance s'accrochait à lui si fort qu'il faillit tomber par terre alors que Keith se dirigeait vers la salle de bain. Il resta allongé en boudant tandis que Keith se préparait, mais finit par céder et lui raconta ce qu'il avait manqué entre les flashbacks, l'appel en panique à Shiro et le voyage improvisé pour aller voir Red. Keith n'avait pas manqué grand-chose, au final : une longue conversation tendue avec Mirek qui s'était soldée sur une alliance précaire. Une autre conversation encore plus longue la veille en son absence.
— On part en mission avec eux aujourd'hui, expliqua Lance vingt minutes plus tard tandis que Thace garait leur navette près d'un stand de nourriture, l'un des millions d'endroits du 301 qui tentaient de rendre la pâte nutritive un peu plus appétissante. On va rencontrer leur agent de liaison pour qu'ils nous donnent les détails. Thace a dit qu'on va devoir faire plusieurs missions du même genre avant de faire de réels progrès. Apparemment, les brutes de notre genre sont juste censées faire ce qu'on leur demande.
— Quoi ?
Keith fronça les sourcils à l'attention de Lance, puis de Thace, qui soupira.
— C'est comme ça que c'est structuré, développa-t-il à voix basse. Ils comprennent que la nature de leur travail exige parfois une approche indélicate, mais la force de garde, pour ainsi dire, constitue l'échelon le plus bas de leur commandement. Leur raisonnement est qu'une fois que nous cédons à la violence, nous ne donnons plus jamais aux autres alternatives la considération qu'elles méritent.
Keith poussa un soupir railleur.
— Sérieusement ? D'après qui ?
L'expression de Lance s'assombrit et il fit un signe de tête en direction de la queue devant le stand de nourriture. Arel était tout devant, commandant un bol d'une substance grumeleuse qui sentait fort, et Keith s'arrêta net en le voyant. Il ne reconnaissait pas l'homme et la femme qui l'accompagnait, mais d'après la prudence du premier et la grâce prédatrice de la seconde (sans parler de la façon dont ils s'en remettaient tous les deux à Arel), il soupçonnait qu'ils faisaient tous les deux partie de l'équipe qui les avait capturés au café.
— Vrekt, marmonna-t-il. Sérieux ?
— Patience, siffla Thace. Je doute qu'ils restent avec nous lors de la mission. C'est juste le briefing. Prends sur toi et on pourra s'en aller.
C'était plus facile à dire qu'à faire. Keith serra les poings et resta derrière les deux autres alors qu'ils traversaient la rue. Arel leva le nez à leur approche, plissant les lèvres. Au moins, il ne tirait pas plus de plaisir qu'eux de la situation.
Il marmonna quelque chose que Keith n'entendit pas et la femme à ses côtés lui asséna un coup de coude assez fort pour le faire tituber. Elle ne semblait âgée que de quelques années de plus qu'Arel, grande et mince, tandis que leur compagnon était un homme trapu sans fourrure avec des rides autour des yeux.
Celui-ci s'avança avec un signe de tête poli à Thace, puis à Lance et Keith.
— Thace drul Vesely, dit-il, la voix juste assez basse pour ne pas porter jusqu'au couple toujours dans la queue du stand de nourriture. J'ai entendu dire que vous aviez quitté l'armée. Je dois admettre que je suis content de vous avoir de notre côté.
— S'il est de notre côté, marmonna Arel.
L'homme ignora son commentaire et se tourna vers Keith.
— Et Keith drul Vorsek, un des princes de Zarkon.
— Ne m'appelez pas comme ça.
L'homme parut surpris.
— Oh. Bien entendu. Vous avez également renoncé à votre rang.
— Non, dit Keith, ignorant le poids du regard de Lance sur le côté de son crâne. Ce nom. Je suis juste Keith, maintenant.
Arel se raviva, une lueur dans le regard, et Keith ravala un grognement. Vrekt. Il aurait dû se taire. Ça l'irritait simplement d'entendre le nom de son père après tout ce qu'il avait fait pour le rejeter. À part Shiro, qui avait connu « Keith le prince Galra », et Matt, qui avait l'avantage injuste de pouvoir entrer dans son esprit, aucun des autres n'avait jamais entendu son nom complet. Il avait espéré que cela ne changerait pas.
L'homme inclina la tête.
— Keith, dans ce cas. Et… Il me semble que votre nom est Lance Mendoza.
— C'est bien moi ! Vous pouvez m'appeler Tireur d'élite, si vous voulez. Ça ne me dérange pas.
Lance fit un geste séducteur à l'intention de la Galra (Keith était persuadé que c'était du pur réflexe à ce stade), puis hésita.
— Vous êtes sûrs qu'on devrait parler ici ?
— Lok est des nôtres, dit Arel, gonflant le torse. On est en sécurité ici… du moins, si vous ne comptez pas nous trahir, bien sûr.
— Arel.
La femme soupira, posant une main sur sa tête pour le forcer à s'asseoir sur un banc.
— Ignorez-le, dit-elle à Lance. Il est de mauvaise humeur depuis ce matin. Je m'appelle Myta. Voici Rhem et, bien sûr, vous avez déjà rencontré Arel.
— C'est vous qui allez nous briefer ? demanda Thace.
Elle acquiesça.
— Oui. Vous avez mangé ? Le petit-déjeuner que prépare Lok est délicieux. Allez vous prendre quelque chose avant qu'on ne se mette au travail.
Shay comprit la situation assez vite et conduisit Hunk dans les tunnels. Il avait saisi l'essentiel grâce au lien, mais elle répéta quand même ce qu'elle avait appris, par nervosité.
Le peuple d'ici n'était pas aussi abattu que ne l'avait été celui de Shay. C'était peut-être parce que ce Balméra était bien plus proche de la mort, sa chanson allant et venant par vagues. Par moments, Shay effleurait tous les esprits à l'intérieur de ses tunnels et pouvait presque voir à travers leurs yeux. Par d'autres, la chanson se taisait et Shay avait l'impression d'être sortie dans le vide de l'espace sans son armure pour la protéger.
Quelle qu'en soit la cause, par désespoir ou parce que les Doyens étaient plus audacieux que ceux que Shay connaissait, ces Balmérans n'avaient pas peur de se battre contre leurs oppresseurs. Shay entendait des échos de leurs affrontements dans la chanson, des endroits vides là où d'autres voix auraient dû se trouver, des accents de chagrin et de fierté.
Le dernier soulèvement avait été plus ambitieux que les précédents et avait failli réussir. Failli, et pourtant, les Galras en étaient sortis victorieux. Les instigateurs avaient été exécutés, comprenant plusieurs Doyens, et une force de garde s'était installée au cœur même du Balméra, armée d'explosifs.
Le message était clair : entrez dans le rang ou le Balméra mourra.
— Nous aurons de l'aide, assura Shay à Hunk, la voix pas plus haute qu'un murmure.
Elle posa une main sur le mur, l'esprit tendu vers la chanson méconnue pour localiser les gardes qui patrouillaient ces tunnels. Les galeries les plus proches de la surface étaient abandonnées, les Balmérans et les gardes étant rassemblés plus près du cœur. La chanson la déconcertait toujours, mais les Balmérans faisaient tout pour l'aider à identifier les menaces potentielles.
— Dès qu'ils seront sûrs que le Balméra ne risque rien, ils se joindront au combat.
— On sécurise la salle du cœur, on répand la nouvelle et on retourne voir Yellow pour se débarrasser des défenses à la surface, résuma Hunk avec un signe de tête. Facile.
Shay fut bien forcée de sourire. Elle se rappelait très bien du jour où Hunk et les autres étaient venus sauver son Balméra, à quel point ce combat avait semblé désespéré. Cette fois-ci, ils n'étaient que deux avec un seul lion, sans château-vaisseau ni Voltron pour les épauler.
Et pourtant, cela ne semblait pas aussi périlleux qu'auparavant.
Même avec l'aide des autres Balmérans (ou peut-être parce qu'elle avait besoin d'une autre couche d'interprétation), Shay ne distinguait pas clairement toutes les galeries, mais ils ne rencontrèrent que quelques problèmes sur le chemin du cœur, facilement évités. Puis ils arrivèrent à destination, s'accroupissant dans la petite antichambre du cœur, la lumière du noyau cristallin dansant autour d'eux.
— Je compte dix sentinelles et huit Galras, murmura Hunk, regardant les relevés de son armure et la porte de métal qui leur bloquait l'accès. Avec une marge d'erreur, je dirais qu'on fait face à deux douzaines d'ennemis. Soit ils auront placé des explosifs autour du cristal, soit des canons dirigés sur lui. Peut-être les deux.
— Cherche les explosifs. Tu sauras mieux que moi comment les désamorcer. Je protégerai le cristal des autres menaces.
Hunk acquiesça, le visage de marbre.
— Prends le bayard au cas où.
Il tomba dans la main de Shay l'instant d'après, bourdonnant comme pour lui signifier qu'il était prêt à affronter tout danger qui se trouverait derrière la porte. Elle fit un signe de tête à Hunk, qui ouvrit le boîtier du bloc de sécurité, dénuda deux fils et les fit se toucher.
Les portes s'ouvrirent en glissant et les défenses à l'intérieur se tournèrent vers Shay, qui leva ses deux boucliers et chargea, renversant un homme qui tendait la main vers son gantelet. Elle ne savait pas s'il avait eu l'intention de détruire le cristal ou d'appeler des renforts et ne s'en souciait pas. Coupant le bouclier de son armure, elle arracha le gantelet du poignet de l'homme et le balança à l'autre bout de la pièce. Il atterrit derrière les dernières sentinelles et glissa jusqu'au mur du fond.
Shay s'était déjà remise en mouvement, son regard parcourant les ombres de la pièce à la recherche d'autres menaces. Elle avisa un certain nombre de disques accrochés au cristal, des bombes comme on en voyait partout dans l'Empire, mais aucune autre arme que les fusils portés par la plupart des gardes et l'épée que portait leur chef.
Hunk contourna la zone de combat et ramassa le gantelet, se repliant derrière une roche saillante pour se mettre au travail. Avec un peu de chance, il pourrait désamorcer les bombes rapidement pour ensuite sécuriser les lieux.
Elle n'avait plus qu'à tenir bon jusque-là et prier pour que le cristal puisse en faire autant. Elle écarta les jambes et poussa un cri de défi tandis que les lasers commençaient à voler.
Le briefing ne dura pas longtemps (merci tous les dieux de l'univers) et Keith prit les devants jusqu'à leur cible, un centre de détention en bordure du district gouvernemental où plusieurs rebelles étaient incarcérés. La mission était simple : entrer, trouver les rebelles, sortir. Arel leur avait décrit leurs cibles et fourni un plan du centre, et Myta allait rester en contact avec eux tout du long, au cas où il se passait quelque chose.
Keith doutait qu'il arrive quoi que ce soit, mais il était content que ce ne soit pas Arel à la radio. Il était apparemment un expert en reconnaissance et dirigeait souvent des opérations avec ses hommes, comme la capture de Keith et des autres au café.
(Il n'était pas censé montrer son visage, cependant, et Keith aurait voulu être là pour voir Mirek l'engueuler à ce sujet.)
Il se demanda si ce faux pas était la raison pour laquelle Myta dirigeait les opérations du jour, ou si elle avait simplement gagné un certain respect grâce à son entêtement et son charisme, occultant le fait qu'elle n'était qu'une soldate, soit ostensiblement insignifiante.
Un autre point positif à ce que Myta soit à la tête de cette mission était qu'elle semblait satisfaite de les laisser se gérer tous seuls. Elle voulait peut-être évaluer leurs capacités ou, puisqu'ils étaient au même niveau de la hiérarchie, leur faisait plus confiance que les autres. En tout cas, elle ne fit pratiquement aucun commentaire alors qu'ils approchaient du centre de détention, contournaient la sécurité à la porte grâce aux codes d'accès de Thace et se glissaient à l'intérieur. Thace prit aussitôt la direction de la salle de contrôle tandis que Lance et Keith poursuivaient leur chemin jusqu'aux cellules.
Avec toutes les informations d'Arel, la première partie de la mission se déroula sans accroc. Il y eut une brève échauffourée quand Thace atteignit la salle de contrôle, mais il n'eut pas de mal à asseoir sa position et reprogrammer les caméras, ce qui leur facilita encore plus les choses.
— C'est grand, marmonna Lance, tenant son fusil comme s'il était prêt à le pointer sur le premier garde qui osait se montrer. Ils ne détiennent vraiment que deux personnes ici ?
— Non, ils sont une vingtaine de prisonniers, dit Myta. Tous ceux qui se font remarquer se font enfermer, accusés de sédition, de conspiration et de tout ce qu'on peut imaginer d'autre. La plupart seront relâchés avec une amende et un avertissement. En général, il s'agit juste de dissuader les manifestants ou de mettre fin à une activité considérée indésirable. Mais de temps en temps, les chefs d'accusation tiennent.
Lance s'arrêta.
— Qu'est-ce qui se passe ensuite ?
— Ça dépend de celui qui décide. Le gouverneur du 301 est un adepte des exécutions publiques, mais dans certains endroits, on peut s'en tirer avec quelques semaines de travail dans un établissement de travaux publics.
L'estomac de Keith se retourna et il sut d'un regard que Lance pensait la même chose que lui. Arel pouvait aller se faire voir avec ses deux cibles. Les Nezai ne souffraient d'aucune sorte d'injustice et tout ce qui faisait du mal aux citoyens allaient directement à l'encontre de leurs principes.
Ils allaient faire sortir tout le monde de là.
Thace se contenta de soupirer tandis que Keith et Lance atteignaient les cellules. Il y avait deux gardes, qui se levèrent d'un bond à leur approche. Le plateau de jeu holographique devant eux se dissout tandis qu'un pistolet le traversait, mais Keith fut plus rapide : il en trancha le baril, puis frappa la tête de son propriétaire avec la garde de son épée. Le second garde reçut le même traitement la seconde d'après, s'étalant à côté de son compagnon.
Keith leur jeta un œil pour confirmer qu'ils respiraient toujours, puis fit un signe de tête à Lance. Les rebelles n'avaient pas précisé s'ils devaient laisser les gardes en vie, mais il se disait que cela allait de soi, vu leur position vis-à-vis de la violence.
Ça ne le dérangeait pas. Il s'efforçait déjà d'éviter de porter des coups létaux depuis six mois.
— Déverrouillage des cellules, annonça Thace. Ça va déclencher l'alerte, alors considérez que le chrono est lancé dès maintenant.
Keith fit la grimace alors que des alarmes se mettaient à sonner, mais c'était quelque chose qu'ils avaient su à l'avance. Le centre de détention avait connu trop d'évasions et le gouverneur avait fini par ordonner l'installation de trois systèmes d'alarme redondants. Pidge aurait sûrement pu les désactiver, mais Thace et Arel avaient tous les deux dit que chercher à se plonger dans le programme aurait tout autant de chance de déclencher une alarme que d'en faire taire une autre, alors ça ne valait pas le coup de perdre du temps dessus.
Dès que les verrous des portes de cellule tombèrent, Lance ouvrit la plus proche.
— Ok, tout le monde debout ! On y va !
— Tout le monde ? siffla Myta. Ça ne fait pas partie du plan.
— Ça ne fait pas partie de votre plan, corrigea Keith, guidant les prisonniers en dehors des cellules.
Il inspecta les visages à la recherche des deux rebelles qu'Arel les avait envoyés chercher et fit un signe de tête à Lance quand il les aperçut.
— On ne choisit pas ceux qu'on sauve.
— Et qu'est-ce qu'on est censés faire de vingt criminels recherchés ? voulut savoir Myta. La PI va les chasser dans toute la ville !
— On trouvera bien un truc, dit Lance.
Il fit un tour rapide sur lui-même pour vérifier qu'ils n'avaient oublié personne et fit un geste vers la porte. Keith prit les devants, ajustant sa prise sur son épée alors que des gardes déferlaient dans le couloir. Il essaya de ne pas donner de coups mortels, mais c'était dur au milieu du chaos de lasers qui volaient partout et des cris de peur (ou peut-être de douleur) des prisonniers. Keith continua d'avancer sans s'arrêter pour réfléchir et plus d'un garde tomba avec des blessures sanguinolentes.
S'il fallait en arriver là, il savait qui choisir, et ce n'était pas ceux qui montaient la garde devant des innocents risquant l'exécution.
Six gardes s'écroulèrent sous sa lame. Huit. Douze. Il n'arrêta pas avant d'avoir rejoint l'atrium, où Thace s'était barricadé derrière la réception. Six autres gardes attendaient leur arrivée, ayant retourné plusieurs grands casiers de rangement pour se mettre à couvert.
— Restez à terre ! rugit Keith aux prisonniers, prenant sa dague de sa main libre.
Il chargea, sautant par-dessus le bureau et atterrissant sur le garde le plus proche. Un laser singea son armure et il roula sur le côté, écrasant le pommeau de sa dague sur la tempe du garde à terre pour le mettre hors combat. Thace s'était également mis en mouvement, se faufilant entre leurs adversaires de l'autre côté de la salle. Des tirs venant du couloir par lequel Keith était passé indiquait que Lance avait pris les devants du groupe.
Le second garde tomba presque aussi vite que le premier, d'abord avec un couteau dans la main, puis un coup de pied circulaire pour l'étaler par terre.
— Keith !
La voix de Lance résonna, stridente malgré l'alarme qui la couvrait, et Keith pivota vers le dernier endroit où il avait aperçu son dernier adversaire. Il n'était plus là. Keith sentit son pouls s'accélérer, mais avant qu'il ne trouve le garde manquant, Lance déboula, le poussant hors du chemin alors qu'un laser fonçait sur lui. Lance poussa un cri de douleur en chancelant et Keith se rua sur le tireur, qui s'était réfugié derrière le bureau où Lance ne pouvait pas l'atteindre.
Keith arracha le casque d'un des gardes à terre et le balança sur leur adversaire alors qu'il s'apprêtait à viser Lance une nouvelle fois. Le casque frappa le baril du pistolet, déviant son tir.
Keith se jeta sur lui avant qu'il ne puisse réessayer, sa dague traversant son armure et se fichant dans son torse. Le garde écarquilla les yeux, palpant sa blessure, mais Keith ne perdit pas de temps. Récupérant sa dague, il repoussa le pistolet d'un coup de pied, fit un cercle vif pour s'assurer qu'il n'y avait plus d'ennemis encore debout, puis courut vers Lance, qui s'était assis dos à un des casiers, une main appuyée sur son flanc.
— Ça m'a juste effleuré, dit-il d'une voix tremblante avant que Keith ne pose la question.
Il retira sa main pour montrer que le laser n'avait même pas traversé son armure, même si elle était brûlée et fondue.
— Laisse-moi une seconde pour récupérer et ça ira. Aide tout le monde à sortir.
Keith leva la tête et rencontra le regard de Thace :
— Sors-les de là ! On te suit.
Lance marmonna un juron et donna un coup de poing dans son bras.
— Ce n'est pas ce que j'ai dit, samurai.
— Je ne vais pas te laisser, dit Keith. Allez. On n'est pas en sécurité ici.
Lance fit la grimace, mais laissa Keith le relever, supportant le plus clair de son poids en se dirigeant vers la sortie.
Hunk poussa un petit cri de joie en trouvant l'interrupteur de désarmement sur le gantelet que Shay avait retiré à l'officier. Il passa la tête au-dessus de l'amas rocheux derrière lequel il s'était réfugié, observant les indicateurs lumineux sur les bombes s'éteindre un à un. Un coup direct d'un laser les ferait toujours détoner, mais le plus gros du danger était passé.
— Shay ! fit Hunk, activant son bouclier et se jetant par-dessus le rocher.
Elle lui jeta un œil et fit un signe de tête, relâchant son bayard. Hunk l'invoqua aussitôt, mais hésita un moment avant de l'activer. Son arme habituelle ne ferait pas du bien ici. Tous ces lasers pourraient frapper autant le Balméra que l'ennemi. Voire même le cristal ou, par malheur, les bombes.
Non merci. Hunk pivota, s'abritant derrière son bouclier en cherchant à se rappeler la sensation qui l'avait parcourue la première fois qu'il avait donné une autre forme à son bayard. Jusqu'à présent, il n'avait réussi qu'à faire apparaître des outils et non une autre arme, mais le principe devait être le même, non ? Il devait juste maintenir dans son esprit une image de ce dont il avait besoin.
Et là, il avait besoin de précision.
Il activa son bayard, qui prit la forme d'un pistolet de poing similaire à celui qu'il avait appris à manier à la Garnison. Il n'avait jamais été très doué avec (il n'arrivait définitivement pas à la cheville de Lance), mais il s'était amélioré depuis qu'il était devenu paladin. (Du moins l'espérait-il.)
Ce n'était cependant pas le moment de douter et l'Ativan apaisait son anxiété, alors il se mit bien droit, visa et ouvrit le feu sur les gardes, qui essayaient toujours de déterminer qui de lui ou de Shay représentait la plus grande menace. Hunk en abattit deux avant qu'ils ne puissent se ressaisir et ne manqua que deux tirs.
L'officier poussa un cri alarmé, faisant signe aux sentinelles d'avancer, et Shay profita de l'ouverture, écrasant un robot contre le mur du fond en chargeant, puis elle se baissa, une main tenant son bouclier, l'autre posée contre la roche. Le Balméra gronda tandis que Hunk abattait un autre garde, puis le sol se souleva, deux plaques de pierre écrasant les dernières sentinelles. Hunk se rua en avant, mitraillant toujours les gardes en les contournant de façon à ce qu'aucun des deux côtés ne tire directement vers le cristal.
Shay fit à nouveau appel au Balméra et le sol trembla sous les pieds des Galras, qui reculèrent, trois d'entre eux brisant la formation pour s'enfuir. Le reste tint bon un peu plus longtemps, mais quand Hunk parvint à toucher l'officier, qui tomba comme un poids mort, la pièce se vida en quelques secondes.
Hunk poussa un rire tremblant en s'approchant de l'entrée, vérifiant à l'extérieur qu'il n'y avait pas de renforts.
— La voie est libre ! lança-t-il à l'attention de Shay, qui relaya le message à travers le Balméra. Il faudrait qu'ils envoient quelqu'un garder cette pièce au cas où les Galras essaient de la reprendre.
— Ils sont en chemin, dit Shay. Le Balméra se protégera en attendant leur venue. Exunt. Nous devons prendre la voie des airs.
Hunk acquiesça, lui emboîtant le pas dans la direction par laquelle ils étaient venus. Les galeries auparavant silencieuses foisonnaient désormais d'activité : des Galras fuyaient et tiraient sur les Balmérans, qui arrachaient leurs armes et couraient en tous sens, effleurant les murs caverneux sur leur passage. Ils adressèrent des signes de tête à Hunk et Shay, fredonnant des mélodies dont Hunk ne pouvait qu'imaginer la signification, mais leur visage ferme et leurs pas vifs indiquaient qu'ils avaient les choses bien en main.
Il se mit à courir plus vite, déterminé à mettre fin à tout ceci le plus vite possible. S'ils pouvaient détruire suffisamment de structures à la surface, ils pourraient forcer l'armée impériale à quitter les tunnels, voire à se retirer totalement. Il doutait que les Galras aient envie de rester coincés sur cette planète avec un peuple en colère, deux paladins de Voltron et des ressources venant rapidement à manquer.
Yellow poussa un rugissement pour les accueillir à leur sortie du tunnel et ils décollèrent d'un bond. Shay aligna chaque tir avec grande prudence et Hunk fit tout ce qu'il pouvait pour les équilibrer, redirigeant l'énergie du dispositif de camouflage vers les stabilisateurs. Yellow n'était pas exactement le lion le plus délicat, mais on ne l'aurait pas deviné à sa façon de voler actuellement. Ils démolirent une tour génératrice de barrières, un système d'armement, puis bombardèrent en piqué un hangar, piégeant les chasseurs qui s'y trouvaient.
Les alarmes se mirent bientôt à sonner et Hunk retint son souffle, priant pour que les Galras ne s'acharnent pas.
Mais non : quelques moments plus tard, un vaisseau s'éleva d'un hangar de l'autre côté du Balméra. Shay allait l'intercepter, mais bien que le vaisseau leur tira dessus, il semblait plus occupé à chercher à s'enfuir.
Shay le laissa partir. Certes, Zarkon apprendrait ce qui s'était passé, mais il y avait peu de chance pour qu'il l'ignore de toute façon et empêcher leur fuite ne ferait que forcer les Galras à se battre encore plus férocement puisque la victoire serait leur seule chance de survie. Et puis, Zarkon n'était pas exactement réputé pour son indulgence envers les soldats qui s'étaient retirés d'une bataille. Ceux qui partaient allaient peut-être simplement chercher à disparaître.
Un autre vaisseau s'éleva de la surface, puis encore un autre. Yellow et ses paladins firent le tour du Balméra, détruisant des structures où ils le pouvaient. Quand le flot de vaisseaux finit par se tarir, ils replongèrent dans les tunnels pour se débarrasser des derniers retardataires.
Il se passa un jour entier sans trace de Rolo. Sam quittait sans cesse son corps, s'aventurant au laboratoire ravagé, aux autres cellules, n'importe quel endroit qu'il pouvait atteindre, espérant trouver quelque chose. Quand il retourna à son corps après un de ces voyages, il découvrit que Rax s'était réveillé. Il s'était éloigné de quelques pas, apparemment embarrassé par son étalage d'émotions précédent, et Sam força son esprit à se détourner de son inquiétude envers Rolo pour s'intéresser aux épreuves moins mortelles mais non moins difficiles que traversait Rax.
— Bien dormi ? demanda Sam avec un sourire triste, lui laissant un peu d'espace.
Rax leva la tête, œillant Sam comme s'il se demandait s'il se moquait de lui.
— Difficile de bien dormir ici. On peut dire que c'était mieux que d'habitude, puisque je n'ai pas rêvé.
Sam rit malgré lui, voulant pouvoir dire à Rax combien de fois il avait dormi à la frontière du monde physique et surréel justement pour éviter les rêves.
— Prends ce qui se présente, fiston. Dieu sait qu'on ne pourra jamais rien obtenir de plus ici.
Rax n'avait rien à dire là-dessus. Il y avait peu de choses à faire dans la cellule, si bien que lorsque Sam retourna d'une nouvelle incursion au laboratoire, il trouva Rax rendormi contre le mur à côté de lui. Il n'était pas appuyé sur lui, pas vraiment, mais pas loin.
Sam le rapprocha de lui, mais quand il essaya de ressortir de son corps une énième fois, il se heurta à un mur. Il était épuisé, mais c'était tellement la norme pour lui qu'il ne l'avait pas remarqué avant que ça ne lui revienne en pleine figure. Il résista un moment, puis céda aux demandes de son corps et le réintégra, s'endormant avec une joue appuyée contre la tête de Rax.
Il se réveilla quand la porte de la cellule s'ouvrit dans un grand fracas. Un garde entra, un pistolet pointé sur Sam et Rax, qui avait l'air prêt à s'enfuir, même s'il n'y avait nulle part où aller.
Le premier garde recula pour laisser la place à un autre, qui tenait Rolo par le bras. Rolo tituba en poussant un cri de douleur et le garde le poussa en avant.
— Repose-toi, sang-mêlé, dit-il. Gorvek te veut prêt à l'entraînement d'ici la fin du cycle.
— L'entraînement ? souffla Sam.
Il n'avait pas eu l'intention de se faire entendre par le garde, mais celui-ci sourit.
— T'inquiète. Ce sera bientôt ton tour. Avant le sang-mêlé, je parie.
C'était tout sauf réconfortant, mais les gardes ne s'attardèrent pas dans la cellule (c'était rarement le cas) et Sam s'inquiétait plus pour Rolo, qui était tombé contre le mur. Son visage était pincé, son souffle court, et quand il bougea, se fut simplement pour se retourner et se laisser glisser par terre, sa mauvaise jambe étendue devant lui.
Sa mauvaise jambe, qui remplissait mieux son uniforme de prison que jamais auparavant.
Le cœur de Sam sombra et il serra le bras de Rax avant de traverser la cellule pour s'accroupir à côté de Rolo.
— Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-il à voix basse. Est-ce que ça va ?
Le rire de Rolo était faible et il passa une main sur ses yeux, tremblant de tout son long.
— Mal, dit-il. Pardon, je– donne-moi une seconde.
Sam s'assit à côté de lui, retenant ses questions. Son regard revenait sans cesse à la jambe de Rolo, son estomac se nouant. Il savait que les cadeaux de ces gens-là avaient toujours un prix.
— Prends ton temps, fiston, dit-il. Je ne vais nulle part. Respire avec moi.
Rolo suivit ses indications, respirant à travers ses dents serrées pendant un long moment. Sam leva brièvement les yeux et vit que Rax les observait, les yeux écarquillés et les poings fléchis sur le tissu de son uniforme de prison. Sam rencontra son regard sans rien dire. Ce n'était pas le moment de parler de la tension qui couvait entre Rax et Rolo. Rax n'aimait pas les confrontations et Rolo avait des problèmes plus urgents.
Doucement, la respiration de Rolo finit par se calmer. Elle restait très faible, mais les halètements disparurent et Sam parvint à le convaincre de s'appuyer contre lui de façon à ce qu'il puisse lui frotter le dos. C'était familier, de façon presque douloureuse, lui rappelant les soirées tardives sur Terre, des années auparavant, quand un virus quelconque clouait Matt au lit pendant des jours. Cela se produisait tous les automnes, réglé comme une horloge, et, chaque fois, Sam s'était assis près de lui durant les nuits les plus dures, lui apportant de nouvelles couvertures quand les frissons s'installaient, de l'eau et des films pour le distraire de ses maux.
Il n'y avait bien sûr pas de films, ici. Pas de couvertures chaudes ou de perspectives d'un bon bouillon de nouilles au poulet quand Karen se lèverait pour prendre la relève. Mais Sam comptait quand même faire de son mieux.
— Qu'est-ce que je peux faire pour t'aider ? demanda-t-il à Rolo.
Rolo ne répondit pas tout de suite. Il pensait peut-être que rien ne pouvait être fait tant qu'ils seraient ici, ou peut-être qu'il avait simplement du mal à organiser ses idées. Quoi qu'ils lui aient fait subir, il en souffrait visiblement beaucoup.
— Il… Il faudrait nettoyer ça, répondit Rolo, une main posée à l'endroit où sa jambe s'arrêtait.
À son arrivée, on lui avait greffé une prothèse rudimentaire, à peine plus flexible qu'une jambe de bois, mais pas plus solide. Sam avait fait de son mieux pour empêcher que cela s'infecte, mais le point de contact faisait toujours souffrir Rolo et Sam suspectait que les druides étaient plus à remercier pour le manque d'infection que tout ce qu'il avait lui-même pu faire.
Après quelques profondes inspirations supplémentaires, Rolo remua, rapprochant sa jambe. Rien qu'à observer la façon de bouger de sa cheville, Sam sut que la prothèse avait été considérablement améliorée et il ne put s'empêcher de redouter le jour où il apprendrait pourquoi. Un entraînement, avait dit le garde. Quel genre d'entraînement ?
Sam laissa Rolo soulever son pantalon jusqu'en haut du genou pour découvrir le nouveau tissu cicatriciel, qui formait une légère tache de couleur pervenche luisante se détachant des cicatrices plus sombres et plus vieilles. La prothèse était encore plus avancée qu'il ne l'avait anticipé. Appeler ça une prothèse, c'était en minimiser l'ouvrage. La qualifier de « jambe cybernétique » convenait mieux. Quand elle bougeait, on pouvait entendre le léger bourdonnement d'engrenages, et la couche extérieure était faite de plaques en métal imbriquées, si petites au niveau de la cheville qu'elles glissaient les unes sur les autres presque comme de la vraie peau lorsque l'articulation pliait.
— Semblerait qu'ils me veulent à nouveau sur pied, dit Rolo, serrant les paupières.
Ses mains tremblaient alors qu'il comprimait sa jambe au-dessus de l'ajout cybernétique, ses doigts suffisamment pâles pour contraster avec le ton rougi et fiévreux de sa peau au niveau du genou.
— Je dirais que c'est l'occasion de s'échapper, sauf que je crois que je serai encore plus lent qu'avec l'ancienne jambe pourrie.
Sam sourit tristement, lui serrant la main.
— Je crois qu'il nous reste un peu d'eau. Je vais voir ce que je peux faire. Tu devrais t'allonger.
Rolo ne protesta pas et Sam s'attela au nettoyage du sang séché sur sa jambe, faisant de son mieux pour ravaler sa nausée. Il l'imaginait allongé sur la table d'opération, tout seul. Avec un peu de chance, on lui aurait administré des drogues pour qu'il ne ressente pas la douleur, même s'il avait dû observer l'opération en dehors de son corps. Mais Sam n'était pas assez optimiste pour s'attendre à un tel geste de la part de leurs geôliers. Il était plus probable qu'ils l'aient attaché et se soient mis au travail avec ses cris comme musique de fond.
Ils plongèrent dans le silence pendant que Sam s'occupait de Rolo, Rax s'approchant peu à peu jusqu'à s'accroupir près d'eux, le visage creusé.
— Je suis désolé.
Rolo leva la tête, regardant Rax comme s'il pensait être sujet à des hallucinations auditives.
— Quoi ?
Rax détacha son regard de la jambe cybernétique de Rolo pour rencontrer le sien. Sam retint son souffle, ses mains s'immobilisant alors qu'il observait l'échange. Quelque chose en Rax avait changé. Ce n'était pas qu'il avait baissé sa garde ou qu'il était moins traumatisé par les horreurs de son passé, dont il refusait toujours de parler.
Mais maintenant, il voyait Rolo comme une victime au même titre que lui.
— Toutes mes excuses, murmura Rax, baissant les yeux. J'ai été injuste envers toi. Je m'en rends compte maintenant.
Les lèvres de Rolo s'ourlèrent d'un sourire et il laissa retomber sa tête contre la couverture miteuse qui lui servait d'oreiller.
— Je comprends, dit-il. La vie est dure et c'est compliqué de faire confiance à un étranger, même quand il ressemble pas à un des méchants. Ça craint, mais t'es pas le seul à me traiter comme de la merde.
Rax tressaillit et Rolo, semblant se rendre compte du temps qu'il avait pris, plissa le nez.
— Désolé. Je veux pas être amer. Je t'en veux pas, gamin, promis. On a tous nos fantômes.
Rax regarda par terre un long moment, le front plissé, avant de combler les quelques centimètres qui le séparaient de Sam et Rolo.
— Je peux t'aider, dit-il entre ses dents serrées. Si tu me le permets.
— M'aider…
Rolo pencha la tête de côté, son regard oscillant entre Rax et Sam.
— Euh, si tu veux. Comment tu comptes t'y prendre ?
Rax posa les mains paumes vers le haut sur ses genoux et les regarda.
— Ma grand-mère est guérisseuse. Elle a enseigné cet art à ma sœur, ainsi qu'à d'autres membres de notre cercle. Je n'ai jamais eu le talent de Shay, mais j'ai conservé quelques connaissances. Suffisamment pour m'occuper des petits quand ils sont malades ou blessés. Suffisamment pour garder notre foyer en vie pendant que les Galras y régnaient.
Il leva le menton, regardant Sam comme s'il cherchait son approbation.
— La quintessence de cet endroit est… anormale. Elle ne répond pas à mon appel comme elle le devrait et s'accroche à nous comme du poison. Mais je peux peut-être en tirer du bon. Je peux peut-être apaiser sa douleur.
Sam regarda Rolo, cherchant à évaluer sa réaction. Il semblait se méfier : pas de Rax, mais peut-être de se faire de faux espoirs. Son front était mouillé de sueur et il était bien trop pâle au goût de Sam, si bien que, quand il hocha la tête, ce dernier poussa un soupir de soulagement.
— D'accord, fiston, dit-il, posant une main sur l'épaule de Rax. Merci.
Ils changèrent de position, Rax prenant la place de Sam au niveau de la jambe de Rolo tandis que Sam se reculait pour que Rolo pose la tête sur ses genoux. Le Balméran hésita un moment, puis posa les mains de chaque côté de la cuisse de Rolo, juste au-dessus de la rotule. Il ferma les yeux, inspira, et une faible lueur bleue émana de ses mains, plongeant dans la chair.
Rolo prit une vive inspiration, se crispant, puis se relaxa d'un coup.
— Bordel, murmura-t-il. Sacrés analgésiques.
Rax rentra la tête dans les épaules et prétendit n'avoir rien entendu, se concentrant plutôt sur sa tâche. Il continua plusieurs minutes et Sam ne savait pas si cela fonctionnait, mais Rolo était toujours détendu, sa respiration calme et profonde. Il s'était peut-être même endormi, pour ce que Sam en savait.
Les mains de Rax finirent par s'éteindre et il se rassit sur ses talons.
— C'est tout ce que je suis en mesure de faire, dit-il. Si répété tous les jours, cela devrait accélérer ta guérison, mais je ne saurais dire de combien.
— Te sous-estime pas, dit Rolo, ouvrant les yeux. C'était…
Il secoua la tête, se redressant et tâtonnant sa jambe. Effleurer le tissu cicatriciel tout frais le fit toujours grimacer, mais c'était moins enflé qu'avant. Il sourit.
— C'était génial. Merci.
Rax souffla, se retirant aussitôt contre le mur le plus éloigné.
— Pas besoin de me remercier, grommela-t-il, refusant de rencontrer leur regard. Si une infection t'avait tué, ils nous l'auraient fait payer.
Rolo eut un petit rire. Il savait tout aussi bien que Sam que c'était certainement vrai, mais ce n'était pas l'instinct de préservation qui avait guidé Rax. Quelque part sous ce masque désabusé, il était une personne qui aimait prendre soin des autres. À l'instar de Sam, il n'aurait pas pu rester assis sans rien faire alors que Rolo souffrait devant lui.
Mais Sam lui laissa sa fierté et aida Rolo à s'installer correctement pour se reposer. La journée avait été longue pour eux tous, mais pour lui le premier. Avec un peu de chance, il pourrait récupérer un peu. Sam suspectait qu'il allait avoir besoin de force pour le début de l'« entraînement » prévu par les druides.
La bataille ne dura pas longtemps une fois que Shay et Hunk retournèrent dans les profondeurs du Balméra. Les Galras avaient pour la plupart battu en retraite et le peu qui restait avait cherché la protection des sentinelles. Un Balméran avait trouvé le chemin jusqu'à la cabine de contrôle ; Shay avait entendu son cri de ralliement dans le chant alors qu'elle se battait auprès de son peuple. Un groupe avait rejoint leur camarade et ils avaient détruit l'émetteur qui dirigeait les sentinelles, les mettant hors d'état de nuire.
Après ça, les Galras restants s'étaient rendus facilement.
Ils étaient maintenant détenus dans une des cavernes les moins profondes, scellée par le Balméra pour empêcher toute fuite. Les Doyens s'étaient réunis pour décider ce qu'il fallait faire d'eux, entre autres. Mais d'abord, ils s'intéressèrent à la présence de Shay et à la mélodie qu'elle chantait, qui leur était étrangère et pourtant similaire à celle de leur Balméra.
— Je suis la Doyenne Shay, dit-elle, hésitant un instant en réalisant qu'elle ne savait pas comment leur expliquer d'où elle venait. Mon Balméra réside actuellement dans le secteur Lautrovien. Je suis ici à la fois en tant que Balmérane et en tant que paladin de Voltron, avec mon coéquipier Hunk Kahale, mon futur camarade de cœur.
Elle fit un geste vers Hunk, qui sourit et fit un petit signe de la main, rougissant alors que la chanson se faisait inquisitrice.
— Des paladins…, répéta un des Doyens. (Kai, s'était-il présenté.) Je n'ai entendu que des rumeurs à leur sujet. Des rumeurs datant de bien avant la naissance de notre Balméra.
Shay sentit son pouls s'emballer.
— Vous vous souvenez donc de notre histoire ?
Une autre Doyenne, Lem, parut surprise.
— Bien sûr. Nous avons conservé nos chants pendant des générations. C'est l'une des seules choses que nous n'avons pas laissé les Galras nous arracher.
Shay sourit, sa chanson se plongeant dans des tons tristes qui ne firent que renforcer la confusion des autres Doyens.
— La grande majorité de notre histoire a été perdue. Les Galras ont tué ceux qui conservaient nos chants, du moins d'après ce que j'ai entendu. Nous n'avons que très peu de souvenirs d'autrefois. En vérité, c'est en partie pour cette raison que nous sommes venus ici : non seulement pour libérer un autre Balméra de l'emprise de Zarkon, mais aussi pour retrouver ce que nous avons perdu.
Le Doyen Els hocha la tête avec enthousiasme.
— C'est une noble cause et de nombreux membres de mon cercle seraient prêts à y contribuer.
— Les miens aussi, dit Lem. Même si nous sommes fiers des histoires que nous avons conservées, nous savons que nous n'avons pas réussi à tout sauver. Zarkon a semé la destruction et notre Balméra est sous la domination des Galras depuis de nombreuses générations. En recherchant d'autres membres de notre peuple, peut-être pourrons-nous commencer à reconstruire.
— Et vous aurez certainement plus de chances contre Zarkon si vous êtes ensemble, dit Hunk. Shay m'a raconté que des groupes de Balméras migraient ensemble autrefois pour protéger leurs petits.
Le chant de Kai se fit triste.
— C'est une vision bienheureuse, mais notre Balméra est en mauvais état. Elle aurait du mal à quitter cet endroit, et encore plus à participer à une Migration.
— Nous avons des alliés qui pourraient vous aider, dit Shay. Des Altéens. Un ancien pacte les lie à notre peuple : celui d'échanger leur quintessence contre des cristaux donnés de plein gré. Nous n'avons pas besoin de cristaux à présent, mais je suis sûre que nos compagnons seraient heureux d'offrir leur quintessence pour commencer à soigner votre Balméra.
Les murs du Balméra renvoyèrent des échos d'émerveillement et de gratitude, et Lem s'avança, tendant la main à Shay.
— Soyez bénie, Doyenne Shay. Cette aide serait la bienvenue. Invitez vos amis et laissez-nous partir avant le retour des Galras. Nous reparlerons ensuite de cette conférence d'historiens.
— Tu n'aurais pas dû te jeter devant moi comme ça. C'était imprudent.
— Et c'est le Red qui me dit ça, railla Lance.
Keith recula un peu, interrompant ses gestes alors qu'il nettoyait et bandait la brûlure de Lance pour le fusiller du regard.
— Je ne–
— Sur Terre, dit Lance, son léger rictus indiquant qu'il s'était attendu à sa réplique. Tu m'as poignardé la main et tu m'as jeté d'un sas pour te faire capturer par un lèche-bottes d'Haggar. J'en ai gardé une cicatrice !
— Tu n'as pas de cicatrice, contesta Keith, appliquant un peu plus de crème sur la brûlure avant de s'essuyer les mains sur une serviette et de prendre un patch adhésif. Mais… d'accord. Mais c'est toi qui m'as engueulé pour ça, alors tu ne crois pas que c'est un peu hypocrite de ta part de faire exactement la même chose ?
Lance plissa le nez, tapotant le bandage quand Keith retira sa main. Il grimaça, mais la douleur semblait s'être en grande partie évaporée. Il avait eu besoin de l'aide de Keith pour sortir du centre de détention, mais après un peu de repos et le voyage du retour à la maison, il avait pu bouger tout seul, juste un peu plus lentement que d'habitude.
— Je suis peut-être hypocrite, dit Lance, mais je ne vais pas m'excuser. Ce tir aurait pu te tuer. J'ai juste été roussi. Tu m'as promis de ne pas mourir devant moi. Ce n'est pas ma faute si t'as besoin d'un peu d'aide pour tenir parole.
Keith soupira, mais il savait que ce n'était pas un débat qu'il allait gagner. Il se contenta de reculer, souriant tandis que Lance enfilait un t-shirt avant de se rallonger dans le nid d'oreillers que Keith avait préparé sur son lit. Thace était resté avec Myta pour faire le point et trouver quoi faire de tous ceux qu'ils avaient libérés.
Un petit coin de l'esprit de Keith se sentait mal de tout lui avoir délégué, mais le reste était trop occupé à se rappeler que Lance allait bien. Il rangea le kit de soins dans le placard de la cuisine, puis revint s'installer dans le lit à côté de lui, serrant ses genoux contre son torse. Il voulait s'allonger sur lui, enfouir son nez dans son cou et respirer son odeur.
Il se sentait puéril rien que d'y penser. Cette sorte d'affection n'était pas le genre de choses auxquelles on se livrait en étant soldat. Il pensait que sa mère l'avait peut-être pris dans ses bras quand il était petit, avant que Thace ne vienne annoncer son décès. Il voyait parfois des couples se toucher à la volée dans les couloirs.
Il avait vu plein de scènes de ce type dans les holodrames.
Mais il ne saurait dire combien de ces impulsions étaient de la comédie, un effort de sa part de jouer le rôle du petit ami aimant que Lance méritait, et combien résultaient du simple fait qu'il s'agissait de quelqu'un qui lui apportait du réconfort et dont le toucher, de plus en plus, était quelque chose que Keith désirait.
Enfin, Lance était blessé de toute façon, ce qui tranchait son dilemme. C'était déjà bien de simplement rester assis près de lui. Ils lancèrent un film que Keith regarda en silence, appréciant la présence de Lance. Celui-ci s'endormit dans la première demi-heure, après quoi Keith perdit rapidement le fil du film, observant plutôt son torse se soulever et s'abaisser. C'était peut-être parce qu'il l'avait échappé belle au centre de détention, mais Keith ne put retenir le besoin de le protéger alors que des bruits de pas résonnaient dans le couloir à l'extérieur de l'appartement. Il vérifia qu'il avait sa dague avec lui et se plaça confortablement pour monter la garde.
Il était toujours parfaitement réveillé deux heures plus tard quand Thace rentra enfin, les bips du code d'accès de leur porte le mettant tellement sur les nerfs qu'il avait déjà à moitié tiré sa dague de son fourreau le temps que son oncle le salue.
Se sentant idiot, il rangea sa dague, puis alla le rejoindre dans la cuisine pour éviter de déranger Lance.
— Alors ? demanda-t-il. Comment ça s'est passé ?
— Ils sont un peu froissés qu'on ait dévié du plan initial, dit Thace, sortant une tasse du placard et s'appuyant sur le comptoir près de la gazinière, où une bouilloire chauffait. Mais je ne pense pas qu'ils soient vraiment en colère. À part Arel, peut-être. Mais ce garçon a l'air de se mettre en colère pour un rien, alors je ne chercherais pas à obtenir son approbation.
Keith ricana. Après un instant d'hésitation, il grimpa sur le comptoir en face de Thace. Ce dernier prit une deuxième tasse et la souleva dans une question silencieuse. Jetant un œil à la boîte à côté de la tasse de son oncle (le seul thé bon marché qu'on pouvait trouver sur la planète mère), Keith plissa le nez, mais acquiesça quand même. Son corps avait du mal à suivre, mais ses pensées étaient trop agitées pour qu'il espère trouver le sommeil. Le thé pourrait peut-être lui éclaircir les idées.
Le silence se fit dans la cuisine tandis que l'eau arrivait à ébullition et que Thace remplissait les deux tasses. Ce ne fut qu'après avoir tendu la sienne à Keith qu'il prit la parole :
— Je suppose par le manque de panique régnant dans l'appartement que Lance va bien.
Keith inspira la vapeur qui s'élevait de sa tasse et grogna.
— Il dort. J'ai traité sa brûlure, il devrait aller mieux dans quelques heures.
— Ah, les miracles de la médecine moderne.
L'humour de Thace était sec et Keith avait du mal à le relever, mais il semblait plus acerbe que d'habitude et Keith plissa les yeux, essayant de comprendre ce qui le dérangeait. Son oncle le remarqua et rencontra son regard sans ciller.
— Et toi, comment tu te sens ?
Keith fronça les sourcils.
— Bien ? Je n'ai pas été touché.
— Non…
Thace jeta un œil à l'heure, sortit son sachet de thé de sa tasse et le jeta dans le vide-ordures.
— Mais tu semblais… alarmé que Lance ait été blessé.
Keith se figea, son sachet de thé gouttant sur le sol de la cuisine. Alarmé. C'était une belle façon de le dire. Il avait foncé au devant du danger, oubliant tout des prisonniers qu'ils étaient censés secourir, et avait poignardé un homme en plein cœur juste parce qu'il avait blessé Lance – une petite blessure, en plus. Ouais, d'accord. Keith avait été alarmé.
— À quel point j'ai tout fait merder avec la rébellion ? demanda-t-il, jetant son sachet dans l'évier plutôt que de passer devant Thace pour atteindre le vide-ordures.
Il garda le regard vissé sur sa tasse, prenant une gorgée et ignorant la brûlure du thé sur sa langue.
— Ce… n'est pas ce que je voulais dire.
Keith eut un rire amer, mais leva la tête, cherchant à décrypter dans l'expression inquiète de Thace s'il ne cachait pas quelque chose.
— Tu n'as pas besoin de me protéger, d'accord ? Je comprends. Ils pensent qu'on est des monstres à cause du Rite de passage et, alors que vous veniez à peine de les convaincre qu'on n'était peut-être si terribles, j'arrive avec mes gros sabots et j'empale un mec qui m'a énervé.
— Tu protégeais ton coéquipier. (Thace enroula ses mains autour de sa tasse.) Je ne pense pas qu'on t'en veuille pour cela.
— Mais ils sont sacrément contents de m'en vouloir pour tout ce que j'ai pu faire d'autre dans ma vie.
Avec un soupir, Thace ferma les yeux et resta silencieux un long moment. Keith avait l'estomac serré par la culpabilité et la honte, à la fois pour sa réaction au centre de détention, et son petit excès d'émotion juste à l'instant. Peut-être qu'Arel avait raison. Peut-être qu'après avoir grandi dans l'Empire, à avaler leurs mensonges et se laisser modeler en parfait petit soldat, ce n'était plus possible de changer. Keith était ce qu'il était.
Ce n'était pas la faute d'Arel si Keith se rendait tout juste compte qu'il n'aimait pas l'homme qu'il était devenu.
— Zarkon a eu beaucoup de temps pour trouver le meilleur moyen de façonner les gens pour en faire les outils dont il a besoin.
Thace garda le regard rivé sur le sol, sa tasse serrée contre son torse, alors qu'il n'en avait pas pris la moindre gorgée.
— Il n'aime pas quand les gens en parlent, mais si tu remontes suffisamment dans les archives, tu peux voir quand ça a commencé. L'Empire n'a pas toujours été aussi militariste qu'aujourd'hui. Quand Zarkon a commencé à repousser ses frontières et à avoir besoin de plus de soldats, il ne s'y est pas tout de suite pris de la bonne façon. Le service militaire a été obligatoire pendant un moment, jusqu'à ce qu'il se rende compte que trop de personnes bien intentionnées gagnaient en autorité dans son armée.
Les oreilles de Keith se rabattirent en arrière, la bouche sèche.
— Merci pour la leçon d'histoire. Où veux-tu en venir ?
— Le Rite de passage était une décision délibérée de sa part, dit Thace. Une solution qu'il a fini par trouver après des milliers d'années. Son but est double. Premièrement, cela permet de trier ceux qui ne peuvent pas accomplir ce que Zarkon attend de ses officiers. La plupart de ces gens-là n'auraient pas duré assez longtemps pour avoir de l'influence de toute manière, mais c'est une garantie supplémentaire.
» Deuxièmement, et c'est le plus important, cela donne l'impression d'avoir le choix. Ce n'est pas le cas, pas vraiment. Zarkon s'en est assuré. Mais tu crois que tu avais le choix. Tu en as eu l'impression, parce que personne ne t'a mis un pistolet sur la tempe pour te forcer à entrer dans l'Arène. Le Rite de passage est un combat à mort, prudemment présenté comme le massacre d'un prisonnier innocent. Et pour les gens comme nous, qui comprennent qu'il est parfois nécessaire de tuer, mais qui ont assez d'intégrité pour reconnaître le mal quand ils le regardent dans les yeux, c'est un acte inconcevable. Et c'est là que réside le vrai génie du Rite. Parce que les gens feraient tout pour apaiser leurs consciences tourmentées, même se convaincre que ce qu'ils ont fait était juste, après tout. Que l'Empire a raison, parce que Zarkon dit que le Rite est un acte noble, et que si tu le crois, tu n'as pas besoin de te faire de reproches.
Le cœur de Keith se serra et il se plia en avant, les coudes sur ses genoux.
— Mais pourquoi ?
— Parce que les gens comme nous ont la tête suffisamment bien faite pour gagner en popularité parmi ses troupes, mais que nous dévions trop de son approche, si bien que nous représentons une menace au statu quo. Dans l'ensemble, il est fort possible que nous éclations son armée de l'intérieur. C'est déjà arrivé, même si, jusqu'à présent, Zarkon a toujours réussi à éteindre les flammes avant qu'elles ne se propagent.
Keith grogna, la gorge serrée.
— Ok, mais ce n'est pas important, si ? Ce n'est pas Zarkon et son armée qui ont tué ce prisonnier. C'est moi. C'est moi qui l'ai abattu, et personne d'autre.
Thace garda le silence un moment, puis le tintement de sa tasse sur le plan de travail attira le regard de Keith. Son oncle s'approcha de lui et le prit par les épaules.
— Ça fait mal, dit-il. J'en suis conscient. J'ai dû apprendre à accepter mon acte, moi aussi. Je ne peux pas te donner de réponse ; c'est à toi de la découvrir. Mais Keith… (Il le dévisagea, le front plissé.) Au moins, crois-moi quand je te dis que ce n'est pas le Rite qui te définit.
Keith détourna le regard.
— Si tu le dis…
Thace s'affaissa, raffermissant sa prise sur ses épaules.
— J'ai commis de nombreuses erreurs dans ma vie, mais aucune ne fait plus mal que le jour où j'ai choisi la mission au lieu de toi.
Keith inspira brusquement, serrant son mug si fort qu'il en eut mal aux doigts.
— Quoi ?
— Quand Keena s'est enfuie, elle m'a ordonné de ne pas trahir ma couverture. Nous étions sur le point de découvrir de nombreux secrets que l'Entente avait vraiment besoin de connaître. (Il secoua la tête.) Et je l'ai écoutée. Je me suis laissé croire que tout irait bien pour toi. Si j'ai survécu à mon Rite, tu le pourrais aussi. C'est ce que je me suis dit. J'étais un imbécile.
L'émotion fit un nœud dans la gorge de Keith, rendant la parole difficile, et il s'humidifia les lèvres.
— Mais j'ai survécu. Et ton travail a sauvé des vies. Tu as fait le bon choix.
— Non, Keith. Quelqu'un d'autre aurait pu s'en charger. Si je pouvais tout refaire, je me serais enfui avec toi le jour où Keena a simulé sa mort. Tu n'aurais pas dû grandir dans ce milieu. Et j'en suis désolé. Je ne peux pas changer le passé, mais je te fais la promesse que je ne choisirai plus jamais la mission à ta place.
Thace sourit et, alors que Keith cherchait quoi répondre, digérant ses paroles, il retourna à l'autre bout de la cuisine, avala son thé cul-sec et prit son masque sur le comptoir.
— Tu as caché le speeder à l'endroit habitué ?
— Euh, o-ouais.
Thace acquiesça.
— On s'en sert depuis trop longtemps. Je vais l'échanger contre autre chose. Repose-toi pendant ce temps. Myta a dit qu'on aura bientôt une nouvelle mission.
Il partit sans rajouter quoi que ce soit, laissant Keith seul sur le comptoir de la cuisine, une tasse de thé froid dans les mains et la tête pleine de pensées contradictoires. Je suis désolé, avait dit Thace. Personne ne s'était jamais excusé pour l'enfance de Keith. Personne qui n'avait eu un rôle à y jouer, en tout cas.
Il ne savait pas quoi en penser, alors il frotta les larmes qui s'accumulaient au coin de ses yeux, jeta son thé dans l'évier et retourna dans la chambre de Lance pour essayer de dormir un peu.
Résumé de la scène mentionnée dans les avertissements du chapitre : Les gardes ramènent Rolo à la cellule et Sam découvre qu'ils lui ont attaché une nouvelle jambe cybernétique. Rax prend pitié de Rolo et s'appuie sur ses souvenirs des leçons de Shay auprès de leur grand-mère pour essayer de le soigner et de soulager sa douleur.
