Précédemment : Shiro, Akira, Coran et Kolivan ont conduit le congrès avec l'aide de Karen et de Nyma. Malgré l'assaut sur le Balméra de Shay et un étrange message concernant Rolo envoyé par le mystérieux Dignitaire, les pourparlers se sont plutôt bien déroulés. Lors du troisième jour de négociation, Karen a remarqué Keena s'éloignant du hall du congrès en direction des hôtels où résident les délégations, mais elle l'a perdue de vue avant de pouvoir découvrir ce qu'elle mijotait. Oh, et Coran est désormais l'adjuvant bleu.

Pendant ce temps, lors de sa recherche d'informations sur Revendication et Représailles, Meri est entrée en contact avec Ulaz, un chirurgien mi-altéen mi-galra qui travaille sous couverture dans le Corps médical impérial. Lance, Keith et Thace sont retenus prisonniers par la rébellion de la planète Galra qui les considère comme des ennemis à cause du passé de Keith et de Thace. L'équipe de sorciers a trouvé sur Roya Vosar une tour qu'Allura pense être un portail vers Oriande, mais après l'avoir traversé, Val s'est retrouvée au point de départ, seule, près d'une rivière. Hunk et Shay sont toujours au Balméra avec leurs parents, préparant leur Unité, et les verts sont en train de suivre la piste de Sam.

Avertissements : léger mégenrage lors de la deuxième scène (Meri ne s'est pas présentée correctement à Ulaz, si bien qu'il se sert de pronoms masculins en se référant à elle). Flashbacks prenants, dissociation et autres effets du stress post-traumatique dans la plupart des scènes suivantes, en partant de « Cette seule pensée dominait l'esprit de Shiro ». Vous pouvez reprendre à partir de « Akira avait le cœur dans la gorge ».


Chapitre 22

Reflet du ciel

— Cyndar nous soutient, dit Akira. Consul Tykkar a beau fanfaronner, ils ont besoin de nous pour légitimer leur règne et on ne leur demande rien qu'ils ne peuvent pas se permettre de donner.

— Ouais, mais Nuru et Lytalla ne sont pas convaincues, souligna Shiro. Elles ont été durement touchées et sont relativement stables en l'état. Elles ont juste besoin de notre protection si Zarkon revient, ce qui est peu probable, mais nous agirons en conséquence si besoin. Elles n'ont aucune raison de risquer leur peau pour le moment.

Coran n'écouta la suite de la conversation que d'une oreille, son esprit à des millions de kilomètres de là. Cela faisait deux jours que son lien avec le lion bleu s'était concrétisé et sa conscience de ses paladins se faisait de plus en plus précise.

Sa conscience d'eux et sa conscience du vide là où Val aurait dû se trouver.

— Selon notre décompte, la moitié des planètes représentées ici qui ne sont pas déjà rentrées dans la Coalition sont susceptibles de ratifier le traité, dit Kolivan, le grondement dans sa voix exprimant son insatisfaction. Une partie du reste pourrait se laisser convaincre par des visites en personne et quelques mesures incitatives supplémentaires.

— Et les cinquante dernières sont trop lâches pour prendre position, ajouta Nyma.

Son irritation, rendue plus vive par son inquiétude pour Rolo et son ressentiment envers le mystérieux Dignitaire qui lui avait délivré des informations à son sujet, attira l'attention de Coran et le ramena au présent.

C'était le matin du dernier jour du sommet, durant lequel Coran et les autres n'auraient que quelques heures pour leurs dernières plaidoiries aux délégations avant qu'elles ne rentrent toutes chez elles. Le sommet avait connu un succès modéré, avec peut-être quatre-vingts des cent cinquante délégations ayant promis leur soutien à la Coalition, mais ce n'était pas le triomphe que Shiro avait espéré. D'où la conférence matinale entre les chefs de la Coalition. Shiro, Akira, Nyma et Coran représentaient le château, accompagnés de Kolivan et de Karen, qui semblait tout aussi distraite que Coran. Il se demandait si cela avait quelque chose à voir avec son lien avec le lion vert.

Il se demandait également si elle serait prête à en parler avec lui, une fois le sommet terminé. Leurs liens n'étaient pas tout à fait pareils, mais Coran suspectait qu'ils avaient une base similaire, si bien que tout point commun qu'ils pourraient trouver pourrait éclairer la situation dans laquelle ils se trouvaient.

C'était une question pour plus tard. Coran ne pouvait pas se permettre la moindre distraction pour le moment et Karen était si tendue qu'il n'avait pas envie de la pousser dans une conversation qu'elle ne voulait peut-être pas avoir.

— Y a-t-il quoi que ce soit que l'on puisse faire aujourd'hui ? demanda Karen. À grande échelle, je veux dire. Quelques délégations pourraient se laisser convaincre, mais la plupart semblent s'être braquées, ou du moins, avoir décidé de ne pas décider.

Shiro poussa un long soupir, se pinçant l'arête du nez.

— Je ne sais pas, mais nous devrions au moins leur parler. Si nous pouvons identifier ce qui les inquiète, en particulier, nous aurons au moins l'avantage lors des prochains pourparlers que nous pourrions arranger, même si nous n'arrivons pas à leur faire changer d'avis tout de suite.

— Ils ont peut-être simplement besoin de temps, ajouta Kolivan. La Coalition est jeune. Nombre de ces planètes n'ont jamais vu de rébellion survivre.

— Si les rébellions ne survivent pas, c'est parce qu'elles n'ont pas de soutien, siffla Nyma. S'ils veulent qu'on avance, ils vont devoir comprendre qu'on ne peut pas tout faire nous-mêmes. Vrekt, qu'ils se trouvent un peu de courage et nous offrent autre chose que des belles pensées et des gestes de bonne volonté sans substance.

Coran sentit un chagrin qui n'était pas le sien lui serrer la gorge. C'était un poids plus facile à porter maintenant qu'il savait que ce n'était pas son propre cœur qui saignait. Il rencontra le regard de Nyma et lui sourit.

— Je sais combien c'est frustrant, mais nous sommes mieux placés que jamais auparavant. Si certaines de ces personnes ne l'ont pas encore remarqué, il va falloir qu'on leur montre, eh ?

Nyma poussa un son railleur, mais ses épaules se décrispèrent légèrement, le nœud au fond d'elle se relâchant un peu. Elle n'était pas habituée à se reposer sur les autres, mais elle faisait de son mieux. Elle essayait, et Coran ne pouvait pas lui reprocher son besoin d'y aller doucement.

— Coran a raison, dit Shiro. Notre objectif du jour est d'évaluer notre position auprès de ceux qui sont peu susceptibles de ratifier le traité en l'état. Pendant les prochains mois, nous irons parler à ceux qui seront disposés à nous recevoir et nous recontacterons les autres après un peu de temps, quand nous aurons prouvé que la Coalition a toutes ses chances. Allura pourra peut-être même en convaincre certains dès son retour. Il y en a sûrement qui ne veulent pas donner l'impression de s'incliner devant qui que ce soit d'autre qu'un membre de la royauté.

— Bon dieu, marmonna Karen. Sérieusement ?

Kolivan confirma l'analyse de Shiro, mais l'esprit de Coran s'était à nouveau échappé à la mention d'Allura. Il avait essayé de la contacter après la séance de la veille, son inquiétude au sujet de Val se solidifiant après qu'il ait eu un peu de temps pour explorer ses nouvelles capacités. Il avait espéré obtenir une réponse claire sur la raison de son silence de l'autre côté du lien. Peut-être avait-elle appris une sorte de magie protectrice ou peut-être que leur recherche d'Oriande les avait menés si loin que Coran ne pouvait plus la percevoir.

Malheureusement, il n'avait pas réussi à avoir Allura la nuit dernière, ni ce matin à son réveil. Il se concentra sur le lien à nouveau, pour s'assurer que cela fonctionnait toujours. Nyma était si proche et si frustrée qu'il n'eut à faire aucun effort pour la sentir, puis Lance apparut peu après, rempli d'un sentiment de malaise et d'un farouche désir de protéger que Coran trouva intimement familier.

Meri se fit sentir plus lentement, ses émotions diffuses et léthargiques. Cela aussi inquiétait Coran, mais il lui avait envoyé un message la veille et ne pouvait rien faire de plus jusqu'à ce qu'elle réponde.

Il alla plus loin, fermant les yeux et sondant Val comme il sonderait la quintessence dans l'air, mais elle n'était tout simplement pas là.

— Coran ? Tout va bien ?

Coran ouvrit les yeux, surpris de voir la pièce vide à l'exception de Shiro, qui se tenait près de la porte, le visage creusé. L'espace d'un instant, Coran crut pouvoir percevoir sa fatigue comme il sentait celle de Meri, mais c'était une simple illusion née d'une empathie bien plus ordinaire.

— Pas besoin de t'en faire pour moi, dit joyeusement Coran. J'étais simplement perdu dans mes pensées.

— Il semblerait que quelque chose te tracasse. Y a-t-il quoi que ce soit que je puisse faire pour t'aider ?

Coran ne put s'empêcher de sourire devant l'offre de Shiro, comme s'il n'y avait pas assez de gens là-dehors qui lui demandaient déjà de l'aide.

— Ce n'est rien d'urgent. Je réfléchissais simplement à la prochaine étape.

Il hésita, prenant garde à conserver un ton léger avant de continuer :

— As-tu parlé à Allura récemment ? Des nouvelles de ses recherches ?

Shiro grimaça.

— Je ne l'ai pas appelée depuis le début des négociations, pour être honnête. En rentrant chaque soir, j'ai juste envie d'aller me coucher.

— Je comprends tout à fait, dit Coran en lui administrant une tape dans le dos. Je vais l'appeler cet après-midi, pour savoir quand elle compte rentrer. Je ne voulais pas l'embêter si tu lui avais déjà demandé, tu comprends. Elle pourrait le prendre comme une incitation à abandonner ses recherches.

Les lèvres de Shiro tressaillirent et il serra le bras de Coran.

— Je vois exactement ce que tu veux dire. La semaine sur laquelle on s'était mis d'accord approche, pas vrai ? Elle va certainement nous appeler bientôt pour nous donner des nouvelles.

Son sourire s'effaça, juste un instant, et il jeta un coup d'œil vers la porte.

— Est-ce égoïste de ma part d'espérer qu'elle revienne ?

— Pas du tout, dit Coran. Allura et Matt sont tous les deux très importants pour toi. Personne ne peut te le reprocher s'ils te manquent, même dans de meilleures circonstances, et nous aimerions tous qu'Allura soit là pour nous aider. La politique est l'un des nombreux domaines dans lesquels elle excelle.

— Tu te débrouilles tout aussi bien, Coran. Ne va pas croire que je ne t'ai pas vu charmer nos invités.

Coran rougit en riant.

— Je suis charmant, c'est vrai, dit-il avec un grand sourire. Mais je ne suis pas un politicien. Lealle et moi aidions toujours Alfor comme nous le pouvions, mais nous remplissions simplement le rôle d'hôte. Nous sympathisions avec les dignitaires en visite pour que les négociations se déroulent plus facilement. Alfor et Zarkon se chargeaient du gros des affaires. Keturah également, quand elle s'en donnait la peine.

» En fait, tu me rappelles beaucoup Keturah sur ce point. La politique ne te vient peut-être pas naturellement, mais tu es capable d'en apprendre les règles et de tenir tête à ceux qui sont nés pour ça. Mais je n'aurais pas voulu faire face à une conférence entre alliés sans Alfor et j'imagine que cela ne doit pas être facile pour toi sans Allura.

— C'est vrai, admit Shiro. Mais il faut bien faire avec.

Coran se lissa la moustache, observant la posture avachie de Shiro un petit moment.

— Puis-je te dire quelque chose que j'ai autrefois dit à Allura ?

Shiro parut surpris de sa question.

— Oui, si tu veux.

— Ne mesure pas ta valeur à ceux qui ne veulent pas t'écouter.

— Je… Pardon ?

Coran sourit, prenant Shiro par les épaules.

— C'est la nature de la politique : des gens vont être en désaccord sur le plus trivial des sujets, et ce, de façon assez catégorique. Toi et Allura, vous vous efforcez d'atteindre l'unité. La discorde dans les rangs vous dérange. C'est une ambition noble, et c'est en partie ce qui fait de vous de si bons paladins noirs, mais dans le monde de la politique, cela vous fera courir à votre perte. Accepte que certaines personnes vont chercher à te contredire et concentre-toi plutôt pour être le meilleur chef que tu peux être pour ceux qui veulent rejoindre la Coalition.

Shiro pencha la tête de côté, pensif.

— C'est un bon conseil, Coran. Merci.

Il hocha la tête, se tenant un peu plus droit, et Coran lui fit un sourire encourageant. Un bon conseil, en effet. Il espérait que cela servirait autant à Shiro que cela semblait avoir servi à Allura. Comme cela aurait servi à Alfor, si seulement Coran n'avait pas tant tardé à remarquer la tension qui s'accumulait.

C'est une nouvelle génération, se dit-il. Ils ne remplaçaient pas ceux qu'il avait perdus, mais c'était peut-être une occasion pour lui de se racheter. Et, que les Anciens en soient témoins, il comptait bien leur donner tout ce qu'il avait à leur offrir.


On disait souvent que les agents de l'Entente abandonnaient quelque chose pour faire leur travail. Un fragment de leur âme, une barricade morale que possédaient la plupart des êtres doués de conscience là où ils traçaient leur ligne dans le sable, pour ainsi dire. Pour faire ce qu'ils devaient faire sous la bannière de l'Entente, il fallait écraser cette partie d'eux-mêmes ou simplement ne jamais l'avoir eue en premier lieu.

Ulaz ne savait pas quel genre de monstre il était. À New Altéa, il n'avait jamais affronté ces décisions impossibles qui constituaient désormais sa vie, mais il avait toujours eu l'impression de vivre dans une capsule cryogénique, une couche de glace le protégeant de la réalité. New Altéa était simple et essayait si dure d'être idyllique.

Mais elle ne l'était pas, et le reste de l'univers encore moins.

Ses supérieurs ne l'avaient pas cru capable de survivre à cette vie. Comment un chirurgien, qui avait passé des années à apprendre à soigner, pouvait-il se forcer à entrer dans le moule d'un monstre, s'étaient-ils demandés ?

La question qu'ils auraient dû se poser était comment un docteur pouvait garder les yeux fixés sur le patient devant lui tandis que l'univers pourrissait autour de lui.

Non, Ulaz ne savait pas s'il avait toujours été le genre d'homme prêt à tuer un innocent pour en sauver une centaine, mais quand le choix s'était présenté à lui, il était déjà devenu l'image modèle d'un chirurgien du Corps médical. Il avait fait des choses terribles, il en avait conscience. Il avait sacrifié son innocence bien avant les autres et savait que rien ne l'attendait après la guerre, même s'il survivait aussi longtemps.

Il n'était qu'un scalpel aux mains de l'Entente. Un outil dénué de sentiments qui n'avait qu'un seul but : ouvrir le cœur des secrets d'Haggar, détruire tout ce et ceux qui lui en barraient la route.

Puis l'Altéen était apparu, une rage impuissante brûlant sous sa peau, brûlant sous le masque galra qu'il revêtait. Comme un piège de fil sur le chemin d'Ulaz, cette rencontre l'avait fait trébucher. Cela faisait une décennie qu'Ulaz était plongé dans cette mission, parfaisant sa technique, trouvant des excuses pour les petites marques de compassion qu'il pouvait offrir aux prisonniers dont il s'occupait et justifiant silencieusement les horreurs qu'il ne pouvait pas leur épargner. Il avait grimpé les échelons lentement, mais sûrement, et en continuant quelques années encore, il aurait peut-être même pu atteindre le cercle proche d'Haggar où, enfin, il aurait pu faire s'effondrer tout le système sur lui-même.

Des excuses et des justifications. Voilà ce qu'était toute sa vie. Faire le bien là où il le pouvait et l'excuser par des mensonges déguisés en rhétorique militaire. Faire le mal là où il le fallait et le justifier par le plus grand bien.

N'importe quel autre jour, il aurait laissé l'Altéen s'empaler sur les longues griffes d'Haggar. Il se disait qu'il était intervenu parce que sa capture pouvait tous les mettre en danger et, dans ses bons jours, il parvenait presque à y croire.

La vérité était plus moche que ça.

En vérité, Ulaz avait vu chez l'Altéen une colère et une haine de soi qu'il reconnaissait en lui. Ulaz avait depuis longtemps redirigé cette rage dans sa mission, devenant le monstre qu'il avait vu en lui, acceptant les pires facettes de lui-même et s'en servant pour faire quelque chose de noble, à défaut de bon.

L'Altéen se battait encore et une part d'Ulaz se demandait si ce n'était pas le choix le plus louable.

C'était peut-être pour cette raison qu'il rompit sa routine ce jour-là. Depuis des années, c'était toujours la même histoire : il menait les expériences qu'on lui demandait de mener. Il ne se laissait pas regarder ses patients dans les yeux. Il gardait la tête basse et faisait ce qu'il devait pour atteindre une position de pouvoir, où il pourrait aider plus de gens que la poignée qui souffrait juste devant lui.

Il y avait du changement dans l'air ce soir et Ulaz craignait que le temps à la duperie soit bientôt terminé. Alors, pour la première fois depuis près d'une décennie, il quitta son poste plus tôt, souhaitant silencieusement bonne nuit aux prisonniers tant que ce répit durerait.

Puis il s'enferma dans la salle d'archives, passant la base de données au peigne fin pour trouver des mentions à Revendication et Représailles. L'Altéen lui avait envoyé des détails supplémentaires à leur sujet, mais il y avait peu d'informations. Une suggestion qu'ils avaient commencé environ sept cycles lunaires plus tôt, une promesse qu'Haggar les dirigeait personnellement.

C'était peut-être ce qui avait piqué sa curiosité. Haggar était le bras droit de Zarkon, la personne la plus puissante de l'Empire après lui. Peut-être même la plus puissante tout court, à en croire les rumeurs de son influence sur Zarkon. Tous les projets qu'elle surveillait n'auguraient rien de bon, mais ceux qu'elle dirigeait personnellement étaient des cauchemars personnifiés.

Les allusions à ces projets étaient au mieux voilées, mais après quelques heures, Ulaz parvint à localiser le listing archivé de chaque, depuis le moment où Haggar avait recruté des druides et du personnel médical.

Un seul coup d'œil suffit à Ulaz pour déterminer qu'il n'avait aucune chance de trouver une place dans l'équipe Représailles : elle était constituée essentiellement de druides et les quelques postes qui ne requéraient aucun talent surnaturel consistaient tous à s'occuper de grands prédateurs. C'était peut-être une extension du projet Robeast qui se servait de chasseurs naturels comme base, plutôt que des prisonniers réduits à leurs instincts les plus primaires par le biais d'expérience et de torture.

Le projet Revendication, néanmoins… Ulaz y vit une étincelle d'espoir. On y appelait également des druides, avec des techniciens et des experts en quintessence, mais une grande portion du personnel détaillé était des médecins, chirurgiens et xénologues.

L'ambition. Elle avait été au cœur de la vie d'Ulaz depuis qu'il avait quitté New Altéa. C'était devenu une constante dans sa vie, le tirant toujours plus haut dans les rangs d'Haggar. Ce serait une mutation latérale, voire presque une rétrogradation, tout bien considéré, qui le mènerait peut-être sur une base isolée bien loin du siège du pouvoir d'Haggar.

Mais c'était peut-être la décision que l'univers avait besoin qu'il prenne.


La session du jour n'avait commencé que depuis dix minutes et le sourire de Shiro s'était déjà figé sur son visage. La semaine avait été longue et douloureuse, remplie de politiciens butés, de gens essayant de leur soutirer des promesses supplémentaires, d'autres voulant miner l'importance du travail que Shiro avait accompli. Il avait débuté la journée en espérant bâtir quelques ponts de plus avec les dignitaires les plus réticents, mais le temps que l'assemblée finalise le traité et se sépare en petits groupes pour en discuter en privé, Shiro était prêt à tous les jeter dans un trou de ver pour en finir.

Il se força néanmoins à rester parce que tout ceci avait été son idée et parce qu'il était têtu, tout simplement.

Cela ne l'empêcha pas de faire de fréquents détours par les toilettes, le jardin et le café devant, où il pouvait fusiller du regard son café qui n'en était pas vraiment un et marmonner tout ce qu'il ne pouvait pas dire devant les diplomates.

Il gardait le cap surtout en scannant la foule à la recherche de Keena. Karen avait partagé ses inquiétudes, ainsi que le fait qu'elle avait aperçu Keena disparaître dans un des hôtels où logeaient certaines délégations, mais ni l'un ni l'autre n'avait réussi à la trouver depuis.

C'était une autre source d'inquiétude, mais au moins, Shiro n'avait pas besoin de se soucier d'offenser Keena. Il aurait simplement voulu savoir s'il pouvait lui faire confiance. Faisait-elle des accords de fond pour soutenir la Coalition ? Se créait-elle un cercle pour servir ses intérêts personnels ? Dans le premier cas, Shiro devait-il s'en mêler ? Ou valait-il mieux fermer les yeux ? Le traité avait grand besoin de soutien et découvrir des vérités dérangeantes pourrait nuire à tout le travail accompli cette semaine.

C'était ça, la politique, se disait-il. Quand bien même ça le consternait, il ne pourrait jamais se débarrasser de la corruption, des pots-de-vin et des intérêts personnels.

(Mais était-ce une raison de ne pas essayer ?)

Une migraine avait commencé à poindre derrière son œil droit quand il finit son café et il se frotta le front sur le chemin du retour. Des représentants de Nuru et de Lytalla attendaient encore de lui parler, puis il avait un déjeuner avec Kevx, Renjor et Vyon. Coran aurait alors commencé à renvoyer des gens chez eux, si bien que Shiro rentrerait au château-vaisseau pour dire aux revoir aux délégations, donnant une dernière bonne impression où il le pouvait.

C'était presque fini. Trois heures de plus grand max. Puis les au revoir qui lui prendraient le reste de la soirée.

— Ah, Paladin Shiro !

Le sourire poli de Shiro reprit sa place et il leva la main tandis que Wurlia, la représentante de Nuru, l'interpellait. Elle ne semblait pas dérangée d'avoir attendu, heureusement, bien que Shiro en était au stade où il s'attendait à manquer quelques pas de cette danse subtile.

— Dignitaire Wurlia, dit Shiro en s'inclinant légèrement. Merci d'avoir patienté.

— Il n'y a pas de quoi ! Après tout le mal que vous vous êtes donné pour organiser ces pourparlers, le moins que je puisse faire est d'exercer ma patience.

Elle poussa un rire clair, portant une main filiforme devant sa bouche. Il y avait quelque chose dans son visage qui évoquait à Shiro une araignée : les mandibules, certes, mais aussi les joues creusées sous ses yeux bulbeux. Les Nurus étaient un peuple parfaitement courtois, bien sûr, mais Shiro ne pouvait s'empêcher de se sentir nerveux en leur présence.

— Vraiment, continua Wurlia. Vous faites du bon travail. Vous devriez être fiers.

— Et pourtant, vous refusez de vous joindre à nous, dit Shiro.

C'était, peut-être, un peu plus direct que son approche habituelle, mais le temps et la patience étaient des denrées rares aujourd'hui et Shiro n'allait pas tourner autour du pot plus que nécessaire.

Wurlia jeta un œil à un de ses auxiliaires, ses doigts venant tirailler les petits poils drus (s'apparentant plus à des épines qu'à des cheveux humains) qui encadraient son visage.

— Nous n'avons pas dit non, fit-elle remarquer.

Ce qui est la seule raison pour laquelle je vous adresse la parole à présent, pensa Shiro, ravalant son amertume pour ne pas qu'elle ternisse son sourire.

— Non, dit-il. Vous avez bien pris garde à ne donner aucune indication quant à votre position vis-à-vis d'une alliance.

— Nous avons besoin de plus de temps pour y réfléchir. C'est bien sûr une bonne chose que la Coalition existe. Qu'elle soutienne les planètes les plus vulnérables et dirige une véritable armée. Mais pour le reste d'entre nous ? (Wurlia soupira, joignant les mains devant elle.) Je vous aime bien, Paladin Shiro, alors je vais être franche. Nuru n'a pas assez d'importance pour que Zarkon tente de nous récupérer en priorité, du moment que nous ne nous attirons pas ses foudres en nous alliant à Voltron. Nous avons les moyens de repousser une petite offensive, mais la campagne prolongée que vous proposez conduirait à notre ruine. Je ne nie pas que la Coalition est prometteuse, mais elle a également son coût. Nous avons besoin de déterminer si ces coûts dépassent les bénéfices.

— Je comprends.

Shiro inclina la tête, la fatigue s'installant dans ses os.

— Y a-t-il quoi que ce soit que je puisse vous apporter, dans ce cas ? Quoi que ce soit que je puisse faire pour que vous vous fiez plus à la Coalition ?

— Survivez, dit Wurlia. Le plus longtemps cette Coalition tiendra, le plus elle se distinguera des rébellions qui sont venues et sont tombées avant vous.

Pour une condition, celle-ci était plutôt facile à remplir et, dans quelques jours, Shiro en serait peut-être même reconnaissant. Mais, en l'état, ça l'irritait. Il était paladin depuis neuf mois et promouvait la Coalition depuis près de sept mois. Et on lui disait d'attendre encore.

— D'accord. Merci pour votre franchise, Madame la Dignitaire. Nous pourrons peut-être en reparler dans quelques semaines, après–

Une alarme le fit sursauter, interrompant son train de pensées, puis son intercom s'alluma, la voix de Zelka vive et soufflée :

— Paladins ! Garde ! Ennemi en approche. Certainement un robeast. Il se dirige vers Eltava.

La fatigue de Shiro se dissipa aussitôt, remplacée par un flot d'adrénaline, et il se souvint à peine de la présence de Wurlia alors qu'il pivotait pour s'en aller.

— Je suis navré, dit-il. C'est une urgence. Restez à l'intérieur.

La peur s'empara de ses traits, mais Shiro était déjà parti. Il n'avait pas le temps de rassurer une dignitaire effrayée ou d'expliquer sa précipitation aux personnes qui l'interpellaient. Le lion noir approchait, son inquiétude reflétant celle qui avait envahi Shiro à l'annonce de Zelka. Shiro sortit à la lumière du jour, slalomant dans la foule en apercevant son lion dans le ciel.

— Tout le monde, à l'intérieur !

Shiro se retourna, surpris de trouver Karen hissée sur un banc du parc, les mains en coupe autour de sa bouche. Une grande partie de la foule s'était tournée dans la direction opposée pour regarder le lion bleu tourner au-dessus de l'esplanade, les gens s'écartant précipitamment pour lui faire de la place. Seule une poignée de délégations se tournèrent vers Karen et ne firent pas mine d'aller se mettre en sécurité.

— Faites ce qu'elle dit ! rugit Shiro, sa voix faisant sursauter un plus grand cercle de personnes, qui se tournèrent d'abord vers Shiro, puis vers Karen, qui hocha la tête à son intention et dirigea la foule vers la salle du congrès.

Elle était équipée de son propre système de défense, comme la plupart des bâtiments d'Eltava. Shiro ne pensait pas que la planète avait déjà dû subir l'assaut d'un robeast, mais les dégâts seraient au moins amoindris.

Black se posa sur la place libérée par Blue et Shiro monta la rampe d'un pas vif, conscient qu'il portait un costume au lieu de son armure. Il se sentait exposé, même s'il n'allait pas quitter le cockpit face à un robeast.

Sachant qu'il allait devoir faire avec, Shiro s'attacha et décolla. Blue était devant lui, filant vers le champ de bataille. Les tirs de canon du château-vaisseau et les éclats colorés s'échappant des vaisseaux de la Garde soulignaient la silhouette de la bête, mais quelque chose clochait.

— Il est seul ? demanda Layeni.

Son escouade, accompagnée du chasseur d'Akira, était un peu plus loin devant Shiro, même si Black les rattrapait. À eux sept, ils ne représentaient qu'un quart des troupes assignées à la protection du congrès. Les autres étaient restés au sol pour aider Karen à mettre les délégations en sécurité et pour préparer une seconde ligne de défense au cas où l'Empire tenterait une attaque surprise au sol.

— Zelka avait raison, dit Akira. Ce doit être un robeast.

Le souffle de Nyma se coupa, ce qui hérissa les cheveux sur la nuque de Shiro.

— Qu'est-ce que… ?

— Qu'est-ce qui se passe ? demanda Shiro, mais il sentait qu'il connaissait déjà la réponse.

Black était remplie d'un malaise qui se rapprochait beaucoup d'une terreur véritable et le cœur de Shiro se serra alors qu'ils s'approchaient du cœur de la bataille.

Il arriva avant que Nyma ne puisse répondre et son regard se posa sur la bête, peinte d'un noir irréel, si profond qu'il absorbait la lumière des lasers et se détachait à peine du fond étoilé. Shiro mit un moment à en discerner la forme : quatre pattes se terminant par des griffes acérées, deux yeux luisants d'une couleur magenta, une queue segmentée dont le bout brilla un court instant avant de tirer un laser.

Un lion.

Et, comme pendant la bataille sur Terre, Shiro pouvait sentir l'esprit qui y résidait, concentré et malveillant, effleurant le lien de paladin.

— Zarkon.


— J'ai besoin de votre aide.

Meri croisa les bras, regardant Dez à la dérobée, dont l'expression ne trahissait rien. Ulaz, à l'écran, était tout aussi impassible. Meri était elle-même nerveuse, mais elle n'avait aucun mal à modifier ses traits pour faire bonne figure en tant qu'espionne.

— De notre aide, répéta Dez. Ça ne te ressemble pas.

Meri haussa un sourcil, les regardant tour à tour. Il y avait quelque chose entre ces deux-là qu'elle ne saurait pas identifier. Ils connaissaient tous les deux Thace suffisamment pour que ce dernier lui indique de les chercher eux, spécifiquement, mais Meri n'avait jamais entendu Dez parler d'Ulaz. Quand Dez avait invoqué Meri dans son bureau à la première heure ce matin, elle ne s'attendait pas du tout à un message crypté d'Ulaz leur demandant de l'appeler à une heure précise sur une fréquence donnée.

Ils plongèrent tous les trois dans le silence, Meri cherchant à comprendre la dynamique qui les animait. L'Entente se servait rarement de communications vidéos, voire même jamais. Les transmissions de texte crypté étaient plus sûres, plus simples et plus rapides, mais le bureau de Dez était protégé sur tous les fronts et, évidemment, Ulaz avait les mêmes précautions mises en place de son côté. Sinon, le service qu'il avait à leur demander était suffisamment important pour risquer sa couverture.

— Vous m'avez demandé de chercher quelques informations, dit Ulaz, prenant visiblement garde à ne pas entrer dans les détails. Je pense que j'ai mes chances.

Dez jeta un regard vif à Meri, visiblement suspicieuse. Meri lui avait fait un résumé de la situation à son retour du laboratoire, l'informant simplement qu'elle avait rencontré un autre agent qui chercherait des informations pour elle.

Mais si Dez pensait que Meri avait demandé à Ulaz de s'infiltrer dans les projets Revendication et Représailles, elle se trompait lourdement.

— Vous êtes sûr ? demanda Meri.

— Avec raison.

Ulaz jeta un regard d'un côté, soit pour vérifier qu'il était toujours seul, soit parce qu'il était plus nerveux qu'il ne le montrait.

— Mais je crains qu'émettre une requête personnellement ne soulève des questions.

Dez haussa un sourcil.

— Tu veux que je te recommande.

— Oui.

— Pour le projet personnel d'Haggar.

— Oui.

Poussant un long soupir, Dez se passa une main dans les cheveux.

— Je crois que tu surestimes ma sphère d'influence. À moins que Prorok n'ait un intérêt direct pour ce projet, je ne vois pas comment je pourrais t'aider.

Quelque chose s'agita dans l'estomac de Meri, l'envie urgente de prendre un risque. Si Ulaz pouvait s'infiltrer dans l'un de ces projets, s'ils pouvaient glaner des informations de première main concernant le plan d'Haggar… cela ne valait-il pas le coup ?

— Il semblerait que vous ayez besoin de quelqu'un qui fasse partie du cercle proche d'Haggar.

Les épaules de Dez se crispèrent.

— Je sais à quoi tu penses, dit-elle. Et c'est non.

Meri leva les mains, des plans déjà en tête. D'accord, elle allait devoir être prudente, mais qui pouvait le faire si ce n'est elle ?

— Je ne vais rien faire pour le moment, dit-elle. Je vais juste… inspecter deux-trois trucs. Si on trouve un autre moyen, tant mieux.

Elle jeta un œil à Ulaz, qui semblait troublé.

— Vous ne pensez pas qu'on trouvera un autre moyen, pas vrai ?

— Non, admit Ulaz. Mais je suis d'accord. Vous approcher d'Haggar n'est pas la solution.

Meri haussa les épaules, mais ils connaissaient tous les faits. Que Meri s'approche d'Haggar, rien que sur un petit poste à bord de son vaisseau de commande, ne différait pas beaucoup d'une infiltration du projet Revendication ou Représailles par Ulaz. C'était un risque. Mais tout ce qu'ils faisaient était risqué.

Dez et Ulaz finiraient bien par le comprendre.


Zarkon était là.

Cette seule pensée dominait l'esprit de Shiro alors qu'il faisait le tour du champ de bataille, entendant à peine les voix à la radio. Zarkon était là, pilotant une copie pervertie du lion noir. Shiro ne savait pas comment il avait appris l'existence du congrès, que ce soit par l'intermédiaire de l'espion ou par un dignitaire les ayant trahis.

Ça n'avait pas d'importance. Zarkon était là, ses pensées se pressant contre les frontières de la conscience de Shiro comme l'éclat du soleil sur une vitre, et Allura n'était pas là pour le soutenir.

Et il y avait Black.

Le lion noir résistait à Shiro à chaque tournant, le lien anormalement silencieux. C'était peut-être parce que l'esprit de Shiro était trop en panique pour entendre ses pensées. Peut-être que Black elle-même s'était tue. Il en résultait que leur vol était maladroit, leurs attaques trop lentes pour toucher leur cible. Shiro tenta de se rapprocher de Nyma, mais le lion de Zarkon les força à se séparer avec un tir de plasma depuis sa gueule.

Vrekt, marmonna Nyma. Ça ne marche pas.

— Aucun de nos tirs ne lui fait quoi que ce soit, ajouta Akira.

Le cœur de Shiro se serra. C'était un lion. Pas vraiment un lion de Voltron, mais Zarkon savait mieux que quiconque de quoi Black était capable. Il ne se contenterait pas d'une copie inférieure. Et ce modèle avait dû être amélioré depuis la bataille sur Terre, forcément, alors que ce lion-là n'avait déjà fait qu'une bouchée de Voltron. Des vaisseaux ordinaires ne pourraient jamais tenir face à lui.

— Partez d'ici, dit Shiro, la voix aussi éteinte que le lien.

Akira ne répondit pas tout de suite, puis lâcha un juron.

— Je ne vais pas te laisser affronter ce truc tout seul, Takashi.

— Ce truc, c'est Zarkon.

Le souffle de Shiro se coupa en tournant les yeux vers lui, sentant la présence de Zarkon tendre les griffes. Bouge, pensa Shiro, serrant les contrôles de Black si fort qu'il en eut mal aux doigts. Ils restèrent immobiles un instant de trop et un laser la toucha à la hanche.

— Attaque-le à distance, si tu peux, mais tes chasseurs ne peuvent rien faire contre lui. Tu mettrais tes hommes en danger pour rien.

Cela le fit taire, comme Shiro s'en doutait. Akira ne se souciait pas beaucoup de sa propre sécurité, mais il savait qu'il était responsable du reste de la Garde.

— D'accord, dit Akira. Formez un périmètre. Surveillez que Zarkon n'a pas appelé de renforts dans les environ.

Shiro hocha la tête, un filet de sueur coulant dans sa nuque alors qu'il inversait son élan, s'apprêtant à charger le faux lion noir pendant que Zarkon s'intéressait aux vaisseaux de la Garde qui battaient en retraite. Il ne savait pas si cela fonctionnerait, mais c'était une chance à ne pas manquer et il ne comptait pas rester sur la défensive tout au long du combat. Le seul moyen était de frapper vite et fort, de forcer Zarkon à fuir avant qu'il ne gagne l'avantage. Deux lions devraient suffire… n'est-ce pas ? Shiro inspira, fit taire son esprit, et s'élança.

Le lion noir renâcla, un rugissement balayant l'esprit de Shiro comme le grésillement d'une radio. Sa vision se brouilla un instant et il vacilla, la panique le prenant à la gorge tandis que quelque chose le percutait de plein fouet.

Non !

Shiro sursauta quand la voix de Black tonna dans le silence.

Non, répéta-t-elle. Ce n'est pas prudent de se rapprocher de Zarkon. Sa connaissance du lien est bien trop grande. Il peut s'en servir.

Mais si nous continuons à fuir, nous ne pourrons jamais le battre, objecta Shiro. Sa vision s'éclaircit et il se prit à fuir le champ de bataille, le lion de Zarkon à ses trousses. Shiro tira de toutes ses forces sur les contrôles, cherchant à faire volte-face, mais Black résista.

— Il est trop fort, dit Nyma.

Ses lasers s'écrasèrent contre le dos du faux lion dans une vague d'étincelles bleutées, mais Zarkon ralentit à peine.

— Merde, jura-t-elle. On a besoin des autres.

Shiro essaya de chasser la panique qui envahissait son esprit, une panique qui appartenait tout autant à lui qu'à Black. À contrecœur, il laissa Black aux commandes un moment pour se concentrer sur l'appareil de communication.

— Je les appelle, dit-il, mais Keith ne pourra pas nous rejoindre tout de suite et je ne sais pas ce qu'il en est pour Pidge et Ryner.

— Vaut mieux un peu d'aide que pas du tout, souligna Nyma.

Shiro grimaça, puis envoya un appel de détresse aux trois autres lions en croisant les doigts.

— Shiro, fit la voix de Wyn à la radio, tremblante et rauque, et Shiro entendit Coran marmonner un juron. Je peux… Je peux le combattre. Comme avant.

— Certainement pas, asséna Coran. La dernière fois a failli te tuer !

— Mais–

— Coran a raison, Wyn, dit Shiro. Nous pouvons tenir encore un moment et Zarkon ne va s'en prendre à personne d'autre. Voyons si les autres peuvent nous rejoindre avant de te mettre dans cette position.

Et il priait le ciel pour que les autres arrivent, parce qu'il ne comptait pas laisser Wyn affronter Zarkon à nouveau, quand bien même cela lui avait sauvé la vie la dernière fois.

Tiens bon, demanda-t-il à Black. Il faut juste qu'on résiste jusqu'à l'arrivée des autres.


Les gardes revinrent chercher Keith, Lance et Thace quelques heures plus tard. Il n'y avait ni horloge ni fenêtres dans la salle de détention, mais l'aube devait approcher. Arel se démarquait par son absence et les gardes qui étaient venus les chercher ne s'épandirent pas en explication, se contentant d'un simple : « La boss veut vous voir. » Ils les suivirent, Keith contrôlant sa méfiance. La main de Lance dans la sienne le calmait et ils restèrent proche l'un de l'autre tandis qu'ils dévalaient plusieurs longs couloirs. Après seulement trois minutes, Keith sentit son sang se glacer dans ses veines, puis un feu incontrôlable l'envahir tout entier.

Il ralentit, grondant à l'attention du garde rebelle qui portait la main à son arme, et tendit son esprit vers Red. Quelque chose n'allait pas. Quelque chose avec les autres ? Elle était trop loin pour saisir les détails, mais la façon dont son cœur s'accélérait, ses dents grinçaient comme si quelqu'un avait poussé son masque holographique dans ses limites… cela ne pouvait pas être rien.

— Qu'est-ce qui se passe ? demanda Lance.

Keith secoua la tête.

— Je ne sais pas. C'est Red.

Lance inspira vivement, ses doigts s'enroulant autour du poignet de Keith.

— Les autres ?

— Peut-être ?

Keith serra les paupières, repoussant l'envie d'invoquer son bayard et d'en finir avec le jeu des rebelles. (Il était quasiment sûr de pouvoir invoquer son bayard, s'il se concentrait suffisamment. Tant que Red était suffisamment proche pour l'atteindre, cela devrait marcher… et il était assez anxieux pour que cela fonctionne quoi qu'il arrive.)

Les gardes commençaient à s'agiter, alors Keith laissa Lance le traîner. Le malaise de Red bouillonnait au fond de lui, le faisant accélérer le pas tant et si bien que les rebelles durent se hâter pour le suivre. S'ils les emmenaient vraiment parler à leur cheffe, Keith voulait en finir, et vite. S'ils ne voulaient pas s'allier à eux, tant pis. Après six mois sans avancée, Keith était prêt à jeter l'éponge et retourner auprès de ses amis.

Thace avait remarqué son humeur, son regard perforant silencieusement le crâne de Keith.

— C'est encore loin ? voulut savoir Keith.

Les rebelles échangèrent un regard sans répondre et Keith ouvrit la bouche pour réitérer sa question, mais Lance lui serra le poignet pour le faire taire.

Son souffle se coupa à nouveau, des images s'infiltrant dans son esprit : des lasers, des cris. Shiro, l'espace d'un instant, son visage creusé dans la lumière sinistre du cockpit de Black. L'éclat d'une lame.

Vrekt, siffla Keith, manquant de trébucher.

Le sang battait à ses tempes, son souffle était court et le couloir autour de lui se brouillait, des taches sombres lui couvrant la vue.

— Lance–

— C'est ici.

Keith pensait que c'était le rebelle qui l'avait plaqué au sol qui prit la parole, mais il était comme sorti de son corps et ne put que s'observer être guidé à l'intérieur d'une petite pièce plongée dans la pénombre. Des gardes étaient alignées contre les murs, certains armés de pistolets, d'autres d'épées. La femme au fond de la pièce n'était pas armée, mais elle avait tellement de modifications cybernétiques sur sa personne que ça n'avait sûrement pas d'importance. Un œil cybernétique, un bras mécanique, un raccord sur le côté de sa tête… Keith ne pouvait qu'imaginer ce que ses vêtements cachaient d'autre.

— Nezai, dit-elle. (Sa voix était comme du papier de verre, grondante d'amusement.) Vous allez devoir nous pardonner ce mauvais accueil.

L'expression de Lance indiquait qu'il n'était pas particulièrement d'humeur à pardonner, mais alors qu'il ouvrait la bouche, la vision de Keith se brouilla.

Pendant un moment, il se trouva ailleurs. Un hangar, du même genre qu'il avait vus tant de fois dans des vaisseaux impériaux. Une barrière à particules l'entourait. C'était celle de Red. Il le sut aussitôt, sentant sa présence derrière lui, la même agitation qui le tenaillait depuis plusieurs minutes.

Red ? dit Keith. Red, est-ce que ça va ?

Elle ne répondit pas, ne fit pas signe de l'avoir même entendu. Le trou béant dans sa poitrine le lança soudain et il pivota, découvrant Zarkon se tenant la main posée sur la barrière.

Pourquoi ? demanda-t-il. Tu es faite pour obéir aux paladins. Tu es faite pour m'obéir. Pourquoi résistes-tu toujours ?

Keith montra les dents, baissant la main vers une dague qui n'était pas là, et il se plaça entre Zarkon et Red, même s'il ne pensait pas être réellement présent. C'était… De quand datait ce souvenir ? Cela devait être avant que Matt ne reprenne Red à Zarkon. Mais pourquoi ? Pourquoi voyait-il cette scène ? Pourquoi maintenant ?

Zarkon recula et Haggar prit sa place avec une poignée de druides, qui s'espacèrent autour de la barrière, les mains levées et crépitantes d'énergie.

Obéis, gronda Zarkon.

Red ne bougea pas, mais dans le lien, elle se déroba, se préparant à une douleur qu'elle ne connaissait que trop bien.

— …crains qu'il n'y ait eu un malentendu. (La voix de Thace était neutre, sa posture presque agressivement détendue.) Il est vrai que Keith et moi avons grandi dans l'Empire Galra, mais vous semblez vous baser sur des informations obsolètes. Nous avons tous les deux déserté et nous luttons ouvertement contre Zarkon depuis un certain temps.

— Ouais ! dit Lance. Ils ont de ces primes sur leur tête, vous n'imaginez même pas.

Thace ferma les yeux avec un gros soupir et Keith sentit le besoin distant de l'imiter. La cheffe des rebelles sourit.

— Des primes ? Voyez-vous ça. Vous savez, nous aurions bien besoin de nous renflouer un peu…

Lance serra les poings contre ses cuisses. Quand avait-il lâché le poignet de Keith ? Quand s'était-il tant éloigné de lui ? Keith n'arrivait pas à s'en souvenir.

— Hé, attendez une seconde. Vous ne pouvez pas–

Un sol rocheux, des arbres frêles à l'écorce dure comme la pierre. Des étoiles brillaient fortement dans l'obscurité. C'était la seule source de lumière, mais tout semblait émettre une faible lueur violette. Il ne sentait plus Red, mais il y avait une autre présence, une qu'il pensait devoir reconnaître. Des voix effleurèrent sa conscience, allant et venant.

— …Tu ferais ça ? Pour moi ?

Tu es l'un de mes meilleurs amis.

Mais c'est ton mari.

Je ne suis pas la possession d'Alfor, Zarkon. Je suis d'abord un paladin. Et si tu me dis que mon mari doit être arrêté, alors…

Celle qui parlait prit une inspiration tremblante et, un bref instant, Keith la vit, son regard brun brillant de larmes. Elle carra la mâchoire et hocha la tête.

Alors nous l'arrêterons. Ensemble.

— Le sans-fourrure marque un point.

— Sans-fourrure ! glapit Lance. Ça se fait pas.

La cheffe des rebelles sourit, son œil cybernétique luisant de plus belle.

— Je crois que je t'aime bien, toi. Et comme tu l'as fait remarquer, nous pouvons toujours voler des ressources. Des alliés compétents sont plus difficiles à trouver.

Quelque chose avait changé dans la pièce, dans l'atmosphère de la conversation. Même les gardes s'étaient détendus, bien qu'ils tenaient toujours leurs armes. Keith avait mal à la tête et ne savait pas ce qu'il avait manqué. Avaient-ils trouvé un terrain d'entente ? Combien de temps l'absence de Keith avait-elle duré ? Il tenait toujours debout, par miracle, bien que la proximité de Thace indiquait qu'il avait remarqué que quelque chose clochait.

— Keith.

— Je vais bien. Mais–

Un éclat de rouge.

Il se tenait au bord d'un champ de lave, bien que la chaleur ne l'atteignait pas. L'air derrière lui était rempli de brume. De brume, ou peut-être de vapeur.

Devant lui, il n'y avait que du feu.

Keith ?

Keith pivota, son cœur affolé manquant un battement tandis que le monde semblait se stabiliser l'espace d'un instant.

Matt.

Il vacilla, puis Matt fut à ses côtés, le tenant par le coude. Son œil gauche luisait d'une étonnante lueur bleue, détonnant dans le décor de… cet endroit, quel qu'il soit.

Keith, qu'est-ce qui se passe ?

Je ne sais pas.

Keith secoua la tête, tentant désespérément de donner un sens à tout ceci.

Je… On était sur la planète mère. Les rebelles nous amenaient voir leur cheffe. Puis Red… elle… vrekt. Je ne sais pas. Il s'est passé quelque chose. Elle avait l'air… terrifiée ? Tout s'embrouille.

Matt fronça les sourcils, faisant un pas de côté pour passer un bras dans le dos de Keith.

Ça va aller, Keith. On va comprendre ce qui se passe. On–

Le monde se brouilla à nouveau, devenant noir, puis bleu, puis d'un étrange blanc soyeux. Puis il sentit que quelqu'un d'autre le tenait, une voix brisée murmurant à son oreille :

On peut la sauver. On peut encore la sauver. Je vous en prie–


Shiro jura, évitant les lasers. Quelque chose n'allait vraiment pas chez Black. C'était peut-être la proximité de Zarkon. Peut-être que ce dernier essayait de prendre le contrôle. Shiro n'entendait toujours sa voix que par à-coups et avait plus l'impression de piloter un cargo qu'une machine faite pour dominer les cieux.

Zarkon évitait le moindre de ses gestes, le couvrant de lasers et de vagues froides et sombres qui soulevaient la terreur de Black à chaque fois qu'elles les touchaient. Shiro ne savait pas ce qu'était cette énergie, qu'elle soit le produit de la sorcellerie d'Haggar ou une forme du lien de paladin changée en arme, et n'arrivait pas à aligner suffisamment ses pensées pour en donner un sens. Tout ce sur quoi il pouvait se concentrer était Zarkon et sa détermination à ne pas le laisser prendre le dessus.

Tu es à moi, entendit Shiro à son oreille. Pourquoi lutter ?

Les écrans de Black se mirent à clignoter tandis que Zarkon tirait son esprit vers lui, et Shiro tint bon, s'accrochant à Black alors qu'elle rugissait de douleur.

Vous ne pouvez pas l'avoir, dit-il, imaginant ses mots sous la forme d'une lance qu'il jeta sur Zarkon. Elle ne vous appartient pas. Elle ne vous a jamais appartenu.

Le rire de Zarkon le glaça jusqu'à l'os. Black bougea sans que Shiro ne puisse dire si c'était de sa propre volonté ou sous l'emprise de Zarkon. Il savait seulement que lui-même n'avait rien fait et cette impuissance, le soudain rappel qu'il ne contrôlait rien, lui serra les poumons comme un poing en métal cherchant à l'étouffer. Il se figea, cherchant à se rappeler comment respirer, peur et sombres souvenirs s'emmêlant dans sa tête.

Puis il mit sa panique sous contrôle, la compacta et s'en fit une arme mentale dont il se servit pour s'emparer du lien, tirant.

La lumière changea.

La bataille s'effaça.

Il était toujours installé dans le cockpit, mais il n'était plus dans le ciel d'Eltava. Il ne sentait plus le faux lion, ni Zarkon cherchant à infiltrer son esprit. Il ne voyait plus Blue, la Garde ou le château-vaisseau. La radio était aussi silencieuse que la vaste étendue de l'espace.

Une planète inconnue se trouvait devant lui et, bien que Shiro ne saurait la nommer, il avait l'impression de l'avoir déjà vue quelque part. Les lumières des villes brillaient dans l'obscurité.

— Nous devons faire d'eux un exemple.

C'était la voix de Zarkon, et elle transperça Shiro. Si froide. Calculatrice. Shiro vit ce qu'il avait l'intention de faire – ou plutôt, c'était Black, qui renâcla, l'horreur s'insinuant dans ses circuits. Elle n'avait pas toujours été d'accord avec les décisions de Zarkon, mais elle ne l'avait pas cru capable d'une telle chose.

Elle n'avait pas cru son élu capable d'un massacre.

Non, dit-elle. Ce n'est pas bien.

Zarkon l'ignora, s'emparant de leur lien d'une poigne de fer et les faisant tourner vers la planète en contrebas. Le cœur de Black se glaça, mais elle ne résista pas. Pas encore. Cela ne lui semblait pas réel. Ça ne pouvait pas être réel. Ils étaient la tête de Voltron, défenseurs de la paix dans l'univers. Ils ne se servaient pas de leur puissance contre des civils.

Quand Zarkon appuya sur la détente, au départ, Black le laissa faire. Elle observa, comme sortie de son corps, tandis que ses propres armes embrasaient l'atmosphère, ouvrant une plaie béante au cœur de la ville. Elle observa Zarkon sourire tandis que des signaux de détresse et des alarmes d'urgence s'élevaient et s'allumaient comme des feux d'artifice.

Lors de la seconde attaque, elle se débattit. Elle tira sur le lien, l'éloignant de Zarkon, reprit le pouvoir qu'elle lui avait donné. Elle vit son esprit, ce qui l'avait amené ici, et comprit qu'elle aurait dû l'arrêter il y a bien longtemps.

Elle l'arrêterait maintenant.

Mais sa résistance s'éventa face aux flammes de la fureur de Zarkon. Il ferma les yeux, s'enfonçant plus profondément dans le lien. Pendant des décennies, il l'avait pilotée, lui avait parlé, n'avait fait plus qu'un avec elle. Sa connaissance du lien n'avait pas d'égale à ceux qui l'avaient précédé et il savait s'en servir à son avantage.

Il serra les poings sur les contrôles, son esprit s'emparant du lien et lui arrachant de son emprise. Il se retourna ensuite vers la planète démunie à leurs pieds, souriant tandis qu'une première ligne de défense s'élevait dans le ciel, et ouvrit le feu. Black rugit, l'agonie remplissant ses circuits à chaque tir. Elle donna des coups de griffes, tira sur le lien, chercha à le faire tomber de son siège, mais il ne céda pas. Il n'était plus son paladin, son égal, son élu.

Il était son maître et, pour la première des nombreuses fois à venir, elle ne pouvait rien faire d'autre que de le regarder se servir d'elle pour tuer ceux qu'elle avait été créée pour protéger.

L'instant d'après, Shiro retourna au présent, conscient de son emprise sur le lien, si semblable à celle de Zarkon dix mille ans plus tôt. Il le relâcha aussitôt et Black, souffrante, submergée, partagée entre le passé et le présent, flancha.

Quelque chose les percuta, tirant un rugissement de douleur au lion noir et jetant Shiro contre son harnais de vol. Il jura, la panique lui serrant la gorge, mais quand il saisit les contrôles pour les tirer de là, il vit encore à travers les yeux de Zarkon, des planètes en flammes à ses pieds.

— Shiro !

Une lumière bleue glaciale traversa le cockpit, frémissant d'une manière qui rendit Shiro nauséeux. Il grogna, serrant les paupières, tandis que Pidge posait questions sur questions, Nyma et Akira lui répondant aussi brièvement que possible. Puis Hunk et Shay arrivèrent et le monde de Shiro se réduisit à une boule de douleur et de culpabilité. Cela faisait moins d'une semaine que Shay avait perdu sa grand-mère. Ses parents étaient toujours en convalescence et son foyer se remettait toujours de ses émotions. Elle ne devrait pas être là. Shiro n'aurait pas dû la forcer à venir à son secours.

Il était conscient, vaguement, que les autres l'appelaient, mais il ne put leur répondre. Black s'était tue autour de lui et il ne sentait qu'une présence faible et tremblante qui se dérobait à son toucher.

— Je suis désolé, murmura-t-il, sans savoir s'il émettait vraiment un son ou s'il ne faisait que former les mots sur ses lèvres.

Zarkon si proche, la pression de l'air ne faisait qu'augmenter et il se sentait sur le point de s'évanouir. Mais il tint bon, s'efforçant d'atteindre Black. Il ne savait pas quoi faire. Il ne savait pas comment arranger les choses. Il ne voulait pas la blesser, mais son équipe avait besoin de lui. Ils devaient se battre.

Ce n'était pas sa faute ; Black s'empressa de le rassurer sur ce point, non sous la forme de mots, mais dans son intention, et Shiro s'y raccrocha. Ce n'était pas sa faute, mais elle ne pouvait pas. Elle ne pouvait pas faire ça, elle ne pouvait pas se battre, pas avec Zarkon si proche, s'agrippant au lien. Elle l'avait coupé, mais il s'en rappelait suffisamment bien pour le faire refonctionner, ce qu'il avait déjà prouvé dans le ciel de la Terre, et le souvenir de ce qu'il avait fait, de ce qu'elle avait fait sous ses ordres, était trop pour elle.

Elle supplia Shiro de ne pas la forcer à l'affronter.

Et Shiro céda. Il n'allait pas – ne pouvait pas – forcer Black à se battre pour lui comme Zarkon l'avait fait. Même s'il se sentait à deux doigts de s'évanouir, il refusait de suivre les traces de Zarkon. Il sentait que ce dernier aussi avait commencé avec les meilleures intentions. Que son plus grand défaut était de refuser d'écouter les autres, surtout le lion noir.

Il ne voyait pas en quoi aider son équipe, protéger les délégations, arrêter Zarkon… en quoi tout ceci était mal, mais la force de la résistance de Black le prit par surprise. Elle ne voulait pas se battre, alors il ne se battrait pas. Parce qu'au bout du compte, il avait plus confiance en son jugement qu'au sien. (Une chose honteuse à reconnaître pour le paladin noir, mais il avait joué le rôle d'un monstre bien trop longtemps dans l'Arène et savait qu'il allait parfois trop loin pour sa survie.)

La présence de Zarkon se calma un moment, une douce satisfaction s'en emparant. Elle se pressa contre l'esprit de Zarkon comme un courant d'eau glaciale, le faisant frissonner, et il se força à ouvrir les yeux et à faire face au faux lion de l'autre côté du champ de bataille.

Green, Yellow et Blue l'assaillaient de toutes parts, mais ne semblaient pas avoir endommagé son armure. Les voix à la radio lui parvenaient de façon décousue, mais elles semblaient chargées de tension et Shiro ne pensait pas que c'était entièrement de son fait.

Une soudaine salve de lasers illumina le ciel, piquant les yeux de Shiro. Il grimaça, se détournant de la lumière, et Black prit le relais. La Garde était là, avec le château-vaisseau et les hommes de Kolivan : une armée entière ouvrant le feu ensemble sur le lion de Zarkon. Shiro sentit son cœur s'alléger et se laissa espérer un moment. Même un lion ne pouvait pas résister à ça. Pas longtemps.

Clairement, Zarkon le savait, car il tourna les talons et s'enfuit du champ de bataille, si vif que les autres n'eurent le temps de réagir. Ryner dit à tout le monde d'arrêter de tirer, lançant déjà Green à sa poursuite.

Mais le faux lion était plus rapide, ouvrant un trou de ver qui craquelait d'une énergie rougeoyante. Zarkon y plongea et la dernière chose que Shiro sentit avant qu'il ne disparaisse fut une satisfaction sans pareille.


Akira avait le cœur dans la gorge alors qu'il se posait au bord du hangar du lion noir. C'était déjà serré là-dedans avec les quatre lions et Akira fut vraiment surpris de ne pas s'être pris un mur en rentrant. Le lion noir était resté sans réaction pendant une grande majorité de la bataille, Takashi silencieux à la radio mis à part pour un bruit de respiration faible et hachée. Les lions bleu et jaune avaient ramené Black au château, Green à leur suite, ses paladins restant à l'affût d'un nouvel assaut.

Akira avait laissé à Layeni le soin d'organiser des patrouilles de Garde pour protéger les délégations en attendant que Coran fasse les préparatifs pour les renvoyer chez elles. Il ne pouvait lui-même se concentrer sur rien d'autre que le lion noir et ce qui était arrivé à son frère.

Il sortit de son chasseur et traversa le hangar avant même que les lions aient fini de s'installer, allant cogner sur le museau de Black.

— Takashi ? lança-t-il. Takashi, est-ce que ça va ? Laisse-moi entrer !

Il n'y eut pas de réponse et Akira recula, regardant si Black allait bouger. Elle n'en fit rien ; même ses yeux étaient sombres, et sa gueule était fermée. Grondant, Akira recula encore, puis s'élança et se jeta sur le côté de la face du lion, grimpant tant bien que mal jusqu'à la trappe au-dessus de sa tête. Puisque c'était une trappe d'urgence, elle opérait sur un système distinct et Black devait toujours être consciente à un certain niveau pour reconnaître Akira, car elle s'ouvrit quand il la toucha, le laissant pénétrer dans le cockpit enténébré.

Le lion n'était pas posé droit et Akira glissa en se laissant tomber dans le cockpit. Il grogna quand son menton percuta le sol, mais s'empressa de se relever pour foncer vers le siège du pilote.

Takashi était affalé aux commandes, mais remua quand Akira saisit son poignet.

— Takashi.

Takashi serra les paupières, son souffle se coupant, mais il tourna la main pour agripper celle d'Akira.

— 'kira ?

— Je suis là. (Akira eut un sourire vacillant, le cœur battant de façon incontrôlable.) Comment tu te sens ?

Plutôt que de répondre, Takashi changea de position, essayant de se redresser comme s'il remarquait qu'il n'était pas droit mais pensait que ça venait de sa posture. Il se débattit avec son harnais un instant avant qu'Akira ne l'apaise.

— Je… Je vais bien, dit-il.

Il ouvrit les yeux, jetant un œil au cockpit, puis à la trappe ouverte d'où parvenait la voix des autres. Quelqu'un tapa contre le côté de la tête de Black, des bottes raclant contre le métal lisse.

— Je me suis écrasé ?

— Non. Les autres t'ont ramené au château. Toi et Black êtes restés sans réponse un moment. J'étais inquiet.

Takashi trouva le regard d'Akira, son regard trouvant finalement un peu de fixité. Il inspira, semblant reprendre pied, et défit son harnais.

— C'était Zarkon, dit-il, la voix un peu tremblante. Il essayait d'entrer dans ma tête. Ou peut-être celle de Black. Ce… n'était pas plaisant.

— J'imagine. (Akira jeta un œil derrière lui tandis que Pidge se laissait tomber par la trappe, Nyma à sa suite.) Mais il est parti et Coran s'organise avec la Garde pour raccompagner les gens chez eux avant qu'il ne décide de revenir. Ne t'inquiète pas, tout est sous contrôle. Tu peux prendre le temps de respirer.

Takashi lui fit un sourire qui s'apparentait plus à une grimace, mais après avoir ajusté sa position sur son siège, il jeta un œil derrière lui à Pidge et Nyma. Hunk, Shay et Ryner les rejoignirent quelques secondes plus tard et Takashi leur sourit.

— Vous avez fait du bon travail, dit-il. Désolé de vous avoir tous inquiétés.

Pidge invoqua son bayard, se tirant à l'avant du cockpit pour administrer une claque sur le bras de Shiro.

— Pas besoin de t'excuser, dit-iel. On sait tous que Zarkon est un enfoiré. Comment va Black ?

L'espace d'un instant, Akira crut que Takashi allait persister à s'excuser, mais il soupira et prit les contrôles de Black. Il semblait peu sûr de lui, même s'il le cachait bien, et Akira se demanda ce qui s'était passé durant la bataille. Black avait volé de façon erratique dès le début du combat, mais ils avaient plus ou moins gardé le cap, jusqu'à ce qu'ils s'arrêtent complètement. Était-ce du fait de Zarkon ?

Takashi ferma les yeux et le reste de l'équipe retint son souffle tandis que le cockpit plongeait dans le silence. Quelques instants passèrent, Akira changeant de position, coinçant son pied dans un espace sous le siège de Takashi pour un meilleur équilibre. Hunk et Nyma échangeaient à voix basse sur un ton survolté au fond du cockpit.

Puis le lion noir remua, les lumières du cockpit prenant vie. Pidge battit des bras quand le sol se redressa et que la console sur laquelle iel s'appuyait devint soudainement un perchoir bien plus précaire. Akira l'empêcha de tomber, puis serra l'épaule de Takashi.

— Tout va bien, alors ?

— Ouais. (Takashi semblait incertain, mais il se força à sourire.) Donnez-nous un peu de temps pour nous en remettre et nous serons tous les deux comme neufs.

— On va devoir trouver comment Zarkon s'y est pris, songea Pidge. Qu'on vous donne une protection supplémentaire à toi et Black, peut-être. Autant éviter de lui donner quoi que ce soit auquel se raccrocher, hein ?

Takashi fut silencieux un instant, puis acquiesça.

— Ouais, dit-il, sans rencontrer le regard de Pidge.

Akira fronça les sourcils, se demandant s'il pouvait déjà faire sortir les autres paladins du cockpit sans éveiller les soupçons. Takashi dissimulait clairement quelque chose, mais Akira connaissait son frère suffisamment bien pour savoir qu'il n'en parlerait pas devant un public.

Un affichage clignota, annonçant un appel entrant.

— Keith, souffla Takashi, acceptant aussitôt la transmission.

Un écran vidéo apparut, montrant Keith, Lance et Thace serrés les uns contre les autres dans une pièce peu éclairée.

— Shiro, dit Keith, le souffle court. Qu'est-ce qui se passe ? Où es-tu ?

— De retour au château-vaisseau, dit Takashi. Zarkon s'est invité au sommet avec un lion semblable à celui que nous avons combattu sur Terre. Nous avons réussi à le chasser pour l'instant.

Lance poussa un juron, sa main venant se poser sur l'épaule de Keith. Celui-ci leva les yeux vers lui, les sourcils froncés.

— Tout le monde va bien ? demanda Lance.

— Tout va bien.

Keith avait l'air tout aussi convaincu que l'était Akira, c'est-à-dire pas du tout.

Vrekt. Je suis désolé, Shiro. On aurait dû être là.

— T'inquiète pas pour ça, Keith, vraiment, dit Hunk. On s'en est sortis. Tout va bien de votre côté ? J'ai essayé de vous appeler hier soir, mais vous n'avez pas répondu.

Les oreilles de Keith se couchèrent et il baissa la tête, jetant un regard en biais à Lance. Akira avait presque réussi à se détendre, mais il se sentit à nouveau sur les nerfs en voyant ce regard, tendu, embarrassé. Il s'attendait presque à voir Keith s'enfuir de la pièce.

Lance plissa les lèvres.

— Désolé, Hunk. On vient de rentrer en contact avec la rébellion locale et… Disons que ça aurait pu mieux se passer.

— Nous avons passé la nuit dans une salle de détention, dit Thace platement, en attendant que les rebelles déterminent s'ils peuvent nous faire confiance ou non.

Lance leva les mains avec un rire nerveux tandis que les paladins dans le cockpit de Black se mettaient à parler tous en même temps.

— C'est réglé ! Ça se voit, non ? On n'est pas morts.

Mais cela cachait quelque chose. Keith ne regardait toujours pas l'écran et semblait épuisé, ses épaules tombantes alors qu'il se massait le front. Akira se demanda si Layeni lui en voudrait s'il sautait dans son chasseur pour prendre un congé sabbatique sur la planète Galra.

— Tout va bien, alors ? demanda Takashi, visiblement tout aussi suspicieux qu'Akira.

Ce qui était d'autant plus ironique puisqu'il essayait clairement de masquer son propre ébranlement.

— Ça va, dit Keith. Red a flippé en recevant l'appel. C'est de Zarkon dont on parle, après tout. Je la comprends. (Il haussa les épaules.) Je voulais juste m'assurer que tu allais bien. On peut rentrer si besoin.

Takashi secoua la tête.

— Restez où vous êtes. J'espère que la crise d'aujourd'hui ne va pas se reproduire, mais même si c'est le cas, ce que vous faites est important.

— Compris, Shiro, dit Lance, serrant l'épaule de Keith. Et donc, Hunk, pourquoi tu nous appelais ?

Hunk se figea, rougissant subitement, et Akira sourit derrière sa main tandis qu'il bafouillait, Shay lui tapotant le bras.

— Oh ! Euh… c'est vrai… hum. Eh ben, j'imagine que je peux vous le dire maintenant, hein ? On est tous occupés, qui sait quand on pourra se reparler, hein ?

Pidge lui donna un coup de coude dans les côtes, un sourire aux lèvres.

— Accouche, Hunk. On sait tous que t'en meures d'envie.

Hunk ferma les yeux et força les mots à passer la barrière de ses lèvres dans un flot précipité :

— Shay et moi, on s'est en quelque sorte fiancés ? En quelque sorte. Attends, je rembobine. Je vous ai déjà parlé de l'Unité ?

À l'écran, Lance et Keith restèrent sans réaction, mettant du temps à assimiler le fatras de syllabes marmonnées. L'instant d'après, Lance comprit et son visage s'illumina.

— Oh mon dieu, quoi ? Hunk ! s'écria-t-il, enroulant son bras autour du cou de Keith et le secouant. Mais c'est génial ! Je suis trop content pour vous ! Attends… merde, je peux pas te faire un câlin à l'écran ! Keith, prends tes clés ! On se fait une virée au château !

— Je– quoi ? (Keith se raccrocha aux bras de Lance, cherchant à se stabiliser. Il semblait hébété et Akira ne put s'empêcher de rire.) Mes clés… ?

Hunk agita les mains, s'emmêlant les pinceaux en essayant d'assurer à Lance qu'il n'avait pas besoin de revenir tout de suite, que ce n'était pas important. Lance criait par-dessus, lui demandant plus de détails, et Takashi se leva de son siège, laissant la place à Hunk.

Le sourire d'Akira le quitta en apercevant son frère s'esquiver du cockpit, se pinçant l'arête du nez. Jetant un regard aux autres pour vérifier qu'ils n'avaient rien remarqué, Akira le suivit, le rattrapant au bas de la rampe.

— Hé, fit Akira. Est-ce que ça va ?

— J'ai mal au crâne.

La réponse semblait presque automatique et Takashi grimaça aussitôt, s'arrêtant de marcher. Il pivota, souriant tandis qu'Akira posait une main sur son bras.

— J'ai juste besoin de me reposer. La journée a été dure et je ne veux pas gâcher l'ambiance.

Akira fronça les sourcils.

— D'accord… Mais tu es sûr que ça va ? Ce n'est pas tous les jours que tu te frottes à un dictateur de dix mille ans aux tendances psychiques.

Takashi se fendit d'un sourire.

— Non, c'est vrai. Mais ça va. Zarkon n'a pas eu l'occasion de faire quoi que ce soit. Je suis fatigué, et je ne mens pas quand je dis que j'ai mal à la tête, mais je vais… j'irai bien.

Il y avait quelque chose que Takashi passait sous silence, mais il avait cette fragilité qu'Akira commençait à bien connaître ces derniers mois lui signifiant qu'insister lui ferait plus de mal que de bien. Quand Takashi se détacha de lui, Akira le laissa donc partir, l'inquiétude lui serrant le cœur.

Demain, se promit-il. Il ferait le point avec Takashi le lendemain.