Bonjour tout le monde !

Très heureuse d'avoir pu finir ce chapitre à temps pour aujourd'hui :) ceci dit, je commence à avoir beaucoup de trucs à faire ces temps ci (surtout avec la fin des jours fériés, bouh !) et bien qu'ayant essayé de vous faire un chapitre par semaine, pour la suite je pense qu'on sera plutôt sur un chapitre toutes les deux semaines :)

J'aime beaucoup aussi l'idée de poster plusieurs chapitres d'un coup mais une seule fois par mois (génération Netflix mdr - ceci dit, je trouve ça plutôt adapté à nos modes de consommation actuels) mais pour l'instant je ne crois pas avoir la patience d'accumuler suffisamment de chapitres avant de vous les poster ! Ceci dit, si un tel format vous tenterait, n'hésitez pas à le dire !

Voici donc le quatorzième chapitre !

TW : harcèlement, tentative de suicide (pas d'un personnage principal, mais ça reste explicite donc voilà)

Bonne lecture !


— Tu devrais en parler à M. Stark.

Peter secoua la tête. Face à lui, le visage de Ned exprimait un curieux mélange d'anxiété et de désespoir.

— Mais, Peter… à cause de lui, il y a carrément des gens qui réclament que tu sois viré de l'équipe du Décathlon !

— Il finira bien par en avoir marre, affirma Peter d'un ton détaché.

— Ça fait déjà dix jours…

— Et alors ? Dix jours, c'est rien ! Dans six mois, tout le monde aura oublié cette histoire.

— Six mois ! répéta Ned, catastrophé. Mais c'est une éternité !

Peter fit mine de ne pas avoir entendu sa dernière remarque et reporta son attention sur le manuel de physique-chimie qu'il avait posé en équilibre sur ses genoux.

Les deux adolescents étaient installés dans la chambre de Ned, le dos appuyé contre son lit défait. Ils s'étaient officiellement réunis pour réaliser un exposé de physique consacré à la structure des atomes, mais Peter était incapable de se concentrer sur les minuscules caractères qui semblaient se trémousser sur les pages de son livre de cours.

Il ne pouvait s'empêcher de se repasser en boucle le film de ces derniers jours, dont chaque image lui donnait l'impression que l'on enfonçait une fourchette dans ses entrailles pour les racler allégrement. Les rictus amusés de ses camarades sur son passage au lycée, leurs ricanements moqueurs, les joueurs qui refusaient de le prendre dans leur équipe de basketball pendant les cours de sport et, surtout, Flash qui avait posté sur Twitter plusieurs liens de troubles mentaux qu'il avait relié à Peter, arguant que son camarade avait très probablement une pathologie qui le poussait à s'inventer une vie aux côtés des super-héros qui vivaient dans la Tour dominant la ville... Le pire, c'était que certains élèves n'avaient pas hésité à s'offusquer publiquement qu'on le laisse répandre des mensonges au lycée et avaient réclamé qu'on le prenne en charge psychologiquement, "pour son propre bien" (du moins, c'était ce qu'affirmaient leurs commentaires postés sur les réseaux sociaux).

Peter ne savait pas si ses professeurs étaient au courant. Jusque là, aucun d'entre eux ne lui en avait parlé ou ne semblait avoir remarqué que ses camarades souriaient un peu trop largement lorsqu'il prenait la parole en classe.

Mais la plus grande crainte de l'adolescent était que ses détracteurs — en particulier Flash — ne se mettent en tête de fouiller dans son passé, à la recherche d'indices sur l'origine de sa prétendue mythomanie, et ne découvrent l'accident auquel il avait été associé six ans plus tôt. Cette seule pensée suffisait à lui donner très chaud et à réduire la taille de son œsophage à une tête d'épingle.

— Peter ? Youhou, Peter !

L'adolescent cligna des yeux. Penché vers lui, Ned le fixait d'un air inquiet.

— Ça va ? Tu as l'air… ailleurs.

Peter se força à sourire, ignorant les ruades nerveuses de son cœur.

— Oh, ouais, désolé. J-je… je pensais aux atomes, mentit Peter en essayant de se raccrocher à son manuel scolaire. C'est vraiment un sujet qui est… fascinant ! Tu crois que si on pouvait manier la structure des atomes, on pourrait modifier la taille des objets et des gens ?

Ned plissa les yeux :

— Pourquoi est-ce que tu voudrais modifier la taille des gens ?!

— Je sais pas, ça pourrait être, ahem… rigolo ! Non ?

Ned ne semblait pas de cet avis.

— Tu es sûr que tu vas bien, Peter ? Si tu veux que ce soit moi qui parles de Flash à M. Stark…

— Non, surtout pas ! protesta vivement Peter. Cette histoire ne le regarde pas ! De toute façon, il se fiche bien de ce qu'il se passe au lycée, alors quel serait l'intérêt de lui en parler ?

Ned parut prêt à répliquer quelque chose, mais Peter s'empressa d'attraper son manuel de physique-chimie et de s'en servir pour dissimuler son visage, coupant court à la conversation.

Son cœur s'était remis à battre de plus belle à la pensée de son père.

Celui-ci semblait s'attendre à ce que Peter soit frappé d'amnésie sélective et ait totalement oublié son absence au Décathlon. Le lendemain de la compétition, il s'était mis à se comporter comme s'il ne s'était rien passé. Comme s'il n'avait pas cédé à l'appel d'une bouteille plutôt qu'à celle de son propre enfant. Il avait plusieurs fois tenté d'amorcer des conversations anodines avec Peter ou de l'inviter au laboratoire de la Tour, mais l'adolescent était resté silencieux et M. Stark n'avait pas insisté. Peter ne savait pas s'il en était soulagé ou si cela creusait plus profondément le sentiment de vide qu'il ressentait depuis le Décathlon.

Si ça se trouve, il ne se souvient même plus qu'il aurait dû aller me voir, songea Peter en cornant distraitement une page de son livre. Il a tout oublié, et il croit sincèrement que moi aussi.

Et tout le monde faisait comme si c'était normal. M. Rhodes et Happy semblaient navrés mais ne disaient rien.

Peut-être que ça l'était. Peut-être que c'était lui, une fois de plus, qui s'était laissé emporter par ses rêveries et ses idéaux. Ça n'aurait pas été la première fois.

— Au fait, dit soudainement Ned, le tirant de ses pensées, je crois que j'ai trouvé un moyen, pour le truc que tu m'as demandé.

Voyant que Peter le dévisageait comme s'il s'était mis à lui parler en simlish, Ned insista :

— Tu sais bien… euuuh… Karen ? La reprogrammation de ton costume ?

Le manuel de Peter retomba sur son pied, mais il n'y prit pas garde ; il s'était redressé et fixait désormais son ami avec de grands yeux brillants de surprise et d'excitation.

— Non, sérieux ? T'as trouvé un moyen de contourner tous ces stupides protocoles de sécurité installés par M. Stark ?

Pour la première fois depuis des jours, quelque chose qui ressemblait à de l'espoir s'alluma au fond de sa poitrine.

Ned, lui, semblait bien moins enthousiaste. Il s'était mis à remuer sur place d'un air gêné, tripotant son stylo-bille comme s'il cherchait à le casser en deux.

— Ouais, ça ne devrait pas être si compliqué que ça… Mais, Peter… tu es sûr que c'est une bonne idée ?

— Bah, j'ai passé six mois sans protocole de sécurité avant de rencontrer M. Stark, et je suis toujours vivant, non ? Et puis, je suis sûr qu'il ne les regarde jamais, il a beaucoup trop de trucs plus intéressants à faire. T'en fais pas Ned, il ne découvrira jamais qu'on y a touché !

— Okay, si le dis… concéda son ami d'un air très peu convaincu.

Toutefois, une autre pensée semblait éclipser ses appréhensions et son regard se fit rêveur.

— Est-ce que ça veut dire que maintenant, je suis officiellement le bras droit de Spider-Man ?

— Tu es même plus que ça ! répondit Peter, qui ne put s'empêcher de sourire face à l'air enchanté de son ami. Sans toi, Spider-Man ne serait rien ! T'es son, euh… son acolyte de l'ombre !

— Trop génial !

Dans son émotion, Ned trébucha sur le livre de physique-chimie que Peter avait abandonné par terre. Peter le rattrapa de justesse à l'aide d'une toile qui s'enroula autour de son bras et le maintint contre le mur ; Ned poussa aussitôt un glapissement d émerveillement.

— Woah, je ne t'avais jamais vu faire en vrai, c'est super impressionnant ! Vraiment, mec, c'est trop cool que tu sois Spider-Man !

— Ça a ses avantages, admit Peter en riant.

Ned rit à son tour, avant d'esquisser une légère grimace embarrassée :

— Mais… euh… tu peux retirer cette toile de mon bras, maintenant ?

— Oh… oui, bien sûr, j'arrive ! Euh… tu n'aurais pas des ciseaux, par hasard ?

Ned avait fait des miracles.

Son costume était comme neuf, à croire qu'il venait tout juste de sortir des ateliers de Stark Industries. Il n'y avait aucune trace des modifications opérées par son ami, rien qui ne puisse trahir la levée des protocole de sécurité que M. Stark avait cru utile de lui infliger. La seule chose que Ned n'avait pas retiré, c'était le GPS ; il aurait été louche que tout à coup, M. Stark perde tout accès à ses données de localisation. Toutefois, il s'était débrouillé pour que Peter ait la possibilité de commander à Karen de modifier celles-ci, en lui ordonnant par exemple de prétendre qu'il était à la Tour des Avengers — et non en vadrouille au cœur de la ville.

De retour dans sa chambre, Peter était tellement occupé à admirer son costume sous toutes les coutures qu'il ne réalisa pas immédiatement que son téléphone sonnait. Lorsque ses vibrations attirèrent enfin son attention, l'appréhension le gagna et il s'en empara à contrecœur, craignant qu'il ne s'agisse encore d'une mauvaise blague de Flash.

A son grand soulagement, ce fut le nom de Gwen qui s'afficha sur l'écran.

— Peteeeer ! glapit-elle dès qu'il eut décroché. Ça fait si longtemps, tu n'imagines pas à quel point je suis heureuse d'entendre ta voix !

Un grand sourire gagna les lèvres de Peter.

— Ton père veut bien que tu me reparles ? s'interrogea-t-il en reposant son costume d'une main, l'autre pressant son portable contre son oreille.

— Euh… il ne sait pas vraiment que je t'ai appelé. Mais bon, ce n'est pas lui qui va dicter à qui j'ai le droit de téléphoner ! Je fais ce que je veux ! (Elle ajouta, prenant une voix haut-perchée :) Il m'a donné une chaussette, Gwen est un elfe libre !

L'effet dramatique qu'elle avait essayé de conférer à ces derniers mots fut néanmoins balayé ses gloussements. Lorsqu'elle se fut calmée, elle poursuivit, plus sérieuse :

— De toute façon, ça fait quelques jours que P'pa n'est jamais là. Il rentre tellement tard que c'est tout juste si on se croise sur le pas de la porte, quand je dois partir au lycée. Je ne sais même pas où il trouve le temps d'aller aux toilettes. Et si tu voyais sa moustache ! Bientôt, il se prendra les pieds dedans ! D'ailleurs, je ne serais pas étonnée qu'on y trouve des Rattatas et des Roucools sauvages.

Peter ne put s'empêcher de pouffer de rire à cette image, et Gwen ne tarda pas à rire à son tour. Ils partirent bientôt dans un fou rire incontrôlable et lorsqu'ils se turent, à bout de souffle, l'adolescent réalisa à quel point son amie lui avait manqué.

La jeune fille reprit d'un ton joyeux :

— Et toi alors, Pete, quoi de neuf sur la planète Avengers ? M. Stark t'a offert un pistolet laser ?

— Rien de spécial, s'empressa de répondre Peter d'un ton qu'il espérait nonchalant. Il ne se passe rien.

— Ah bon ?

— Ouais, ouais, tout roule. E-et toi ? Ton père n'est jamais là, tu as dit ?

— Oui, il paraît qu'il y a pas mal de raffut dans les beaux quartiers en ce moment. Des gens qui pètent les plombs sans aucune raison.

— Tu veux dire qu'ils deviennent agressifs ?

— Pas forcément… c'est plutôt comme s'ils étaient… désinhibés ? Ils agissent comme s'ils n'avaient plus aucune conscience des conséquences de leurs actes. P'pa pense qu'il y a un truc qui traîne en ville. Une drogue, sûrement. Un truc qui atteint la personnalité.

Le cœur de Peter rata un battement. Ces mots étaient désagréablement familiers, et il eut soudainement la vision d'une substance noirâtre qui frémissait derrière les vitres des laboratoires Stark…

— Peter, tu es toujours là ?

— O-ouais, ouais, je t'écoute.

— La police essaie d'endiguer le trafic mais, pour l'instant, ils ont fait chou blanc. Mon père m'a interdit de toucher à quoi que ce soit qu'on me donnerait, même des chewing-gum.

— Même ces chewing-gum trop bons au cassis ?! Tu sais, je ne crois pas que tu risquerais grand-chose si tu en prenais un…

— C'est ce que je lui ai dit mais bon, il est aussi têtu qu'une mule ! Et en parlant de têtu, je t'ai dit qu'il voulait me changer de lycée ? Il s'est mis cette idée en tête et, depuis, impossible de l'en déloger, même si je lui ai répété cent fois que je suis très bien là où je suis !

— Sérieux ? Je croyais qu'il dépensait déjà une fortune pour ton école actuelle, c'est d'ailleurs pour ça qu'il voulait que j'aille à Midtown…

— Je croyais aussi, soupira Gwen. Je le lui ai dit, d'ailleurs ! D'où il sort son argent ? Et pourquoi il ne l'a pas utilisé plus tôt, pour toi ?

— Parce que je ne suis pas son fils, suggéra Peter, ce qui lui valut un grognement réprobateur de Gwen.

— Et alors ? Ce n'est pas une raison ! Mais il m'a dit qu'il avait eu une récente promotion, qui datait d'après ton départ… ça doit être une sacrée somme, pour qu'il me mette dans le lycée où, selon la rumeur, Norman Oscorp prévoirait d'envoyer son fils !

— Sérieusement ? Mais son fils n'a pas, genre… huit ans ?!

— Neuf, corrigea Gwen.

— Ah ouais, Norman Oscorp est quand même vachement prévoyant…

— M. Stark aurait sûrement fait la même chose, si tu étais allé vivre chez lui plus tôt, observa Gwen.

Peter était sur le point de lui répondre qu'il n'en était pas sûr — M. Stark s'intéressait autant à ses études qu'à la marque de ses chaussettes —, mais il se retint au dernier moment. Il ne souhaitait pas alourdir la parenthèse tout en légèreté que lui offrait la compagnie de Gwen.

Malheureusement, la jeune fille murmura soudainement, d'une voix empressée :

— Oh, mince, je crois que mon père rentre, j'entends ses clefs, il est aussitôt discret qu'un éléphant… pour une fois qu'il ne fait pas des heures supp', il fallait que ça tombe aujourd'hui !

— Oh non… on continue cette conversation par Whatsapp ?

— Okay ! En tout cas, ça m'a fait plaisir de t'entendre ! Même si tu ne m'as presque rien raconté… mais tu ne pourras jouer éternellement les cachottiers ! Je veux tout savoir de ta nouvelle vie, absolument tout ! NON P'PA, JE NE PARLE A PERSONNE, C'EST TOI QUI ENTENDS DES VOIX ! CA TE RÉUSSIT PAS, LE CAFE ! (Elle chuchota à toute vitesse :) Bisous, Pete, on se tient au courant !

Peter n'eut même pas le temps de lui dire au revoir ; elle avait déjà raccroché.

Il reposa son téléphone, les révélations de Gwen à l'esprit. Sa joie d'avoir eu des nouvelles de son amie se teintait d'angoisse. Des gens désinhibés… une drogue… Il avait un très mauvais pressentiment.

Sans plus d'hésitation, il enfila son costume amélioré par Ned.

Il voltigeait d'immeuble en immeuble lorsqu'il repéra du grabuge du côté de la baie supérieure de New-York.

Un attroupement s'était formé autour d'une femme qui s'était perchée au bord d'un pont, ses longs cheveux noirs balayés par le vent. Son visage affichait un air obstiné, malgré les larmes qui brillaient dans ses yeux clairs.

— Que quelqu'un fasse quelque chose ! Elle va sauter ! glapissaient certains passants en remuant les mains, impuissants, tandis que d'autres n'avaient aucun scrupule à filmer la scène, le visage exprimant une avidité qui retourna l'estomac de Peter.

Son premier réflexe fut de leur retirer leurs téléphones des mains en se servant de ses toiles et de les jeter dans l'eau. Ignorant leurs cris de stupeur et d'indignation, il se laissa tomber face à la femme et chercha à établir un contact visuel avec elle — mais elle refusait de le regarder, préférant attacher son regard à l'eau qui bouillonnait impitoyablement, plusieurs dizaines de mètres plus bas.

— Madame, s'il vous plaît, ce n'est pas prudent de rester ici. Prenez ma main, dit-il en essayant d'adopter une voix calme, malgré les battements effrénés de son cœur.

Elle secoua la tête. Les larmes ruisselaient sur ses joues, désormais ; elle ne prit pas la peine de les essuyer.

"Peter, je te conseille de faire appel à un adulte" lui dit Karen avec beaucoup de douceur. "Tu es trop jeune pour gérer une telle situation."

Sans les modifications de Ned, elle aurait probablement déjà appelé M. Stark. Toutefois, elle n'en fit rien et Peter put continuer, sans prendre garde aux paroles de l'IA :

— Madame, vous risquez de glisser. S'il vous plaît, avancez un peu, regardez, je suis juste là, venez…

— Non, dit-elle à voix basse, refusant toujours de poser les yeux lui. C'est trop tard.

— Il n'est jamais trop tard !

— Tu n'en sais rien, dit-elle en esquissant un sourire douloureux. Je ne sais pas quel âge tu as, mais je pense que tu es trop jeune pour comprendre que parfois, il n'y a plus rien à faire.

— Vous pouvez encore vous battre ! Mais je vous en supplie, éloignez-vous du bord…

— Je suis fatiguée de me battre, murmura-t-elle. Je suis si épuisée de toute cette douleur... Et il m'a dit que c'était pour le mieux… qu'une fois en bas, je n'aurai plus mal… que, de toute façon, j'étais trop faible, que je le serai toujours…

— Il a tort ! protesta Peter, bien qu'il n'ait aucune idée de qui était le "il" auquel elle se référait. Vous n'êtes pas faible ! Je sais qu'au fond de vous, vous êtes…

Il a su lire en moi, l'interrompit-elle, sans se départir de cet étrange sourire qui paraissait tordre son visage. Il s'est plongé au fond de mon cœur, et il n'y a vu que l'échec, la faiblesse… la mort. Je dois accepter mon destin… c'est ainsi que les choses sont écrites... Pardonne-moi, Spider-Man. Pardonnez-moi, tout le monde…

Elle leva enfin les yeux vers lui et, au fond de ses prunelles baignées de larmes, Peter lut une résignation qui lui donna l'impression de recevoir un coup de poignard en plein cœur.

L'instant d'après — et sous les hurlements terrifiés de la foule —, elle se laissa tomber du pont.

Peter n'eut pas le loisir de réfléchir ni d'hésiter. Il bondit, les mains tendues vers la femme. Bien qu'il parvint de justesse à refermer les bras autour d'elle, il était trop tard pour se rattraper au pont.

Ils plongèrent ensemble dans l'eau glacée de la baie, le poids de la femme attirant aussitôt Peter vers le fond. Il refusa de la lâcher ; elle se débattait, pourtant, avec une force déconcertante au regard de leur différence de gabarit. Peter avait l'impression de se battre avec une tigresse. Elle se cabrait, ruait, cherchait même à le mordre pour qu'il abandonne son étreinte. Il battait désespérément des jambes pour les ramener à la surface, tandis qu'elle cherchait à les entraîner plus bas, se moquant bien de tous ses efforts pour les maintenir en vie.

L'air commençait à lui manquer. L'eau était si froide, elle lui faisait l'effet de centaines de lames qui auraient cherché à le transpercer à travers la mince barrière de son costume. Son cœur martelait ses tympans, ses poumons le brûlaient, hurlaient pour qu'il avale quelques miettes d'air. Des points noirs s'étaient mis à fourmiller autour de lui, c'était à peine s'il pouvait discerner le visage de la femme — dont les gestes s'étaient fait plus lents, alors que d'ultimes bulles d'air quittaient ses lèvres entrebâillées. Au fond de ses yeux écarquillés, la peur se disputait au soulagement.

A moment où Peter sentit son propre esprit lui échapper, non sans une dernière pensée pour M. Stark — quelle serait sa réaction en apprenant ce qu'il s'était passé ? — un bras puissant s'enroula autour de la femme et de lui et, d'une poigne d'acier, les rapatria vers la surface.

De l'air. De l'air. De l'air !

Dès qu'ils eurent crevé la surface de l'eau, Peter ouvrit grand la bouche et inspira, inspira jusqu'à en avoir la tête qui tourne, éprouvant une reconnaissance infinie pour toute l'oxygène qui pouvait enfin se frayer un passage jusqu'à ses poumons. Il inspirait si fort qu'il avala un peu d'eau et se mit à tousser, puis cracher — ce qui ne l'empêcha pas d'avaler de nouvelles goulées éperdues d'air frais.

Le bras n'avait pas quitté ses épaules. Leur sauveur devait être un nageur émérite, car il n'eut aucun problème à les ramener vers la côte, la femme et lui. Lorsqu'ils furent sur la terre ferme, Peter se frotta les yeux à travers son masque et dévisagea enfin celui qui les avait sauvés, s'attendant presque à voir étinceler l'armure d'Iron Man.

Mais non. Ce n'était pas son père qui les avait sortis de l'eau.

C'était Captain America.

Captain. America.

Oh mon Dieu.

CAPTAIN AMERICA M'A SAUVE LA VIE !

Peter étouffa à grand peine une exclamation de surprise. Face à lui, le super-héros lui souriait gentiment, ce qui n'empêchait pas un pli inquiet de lui barrer le front.

— Hey… Spider-Man, c'est ça ?

Peter acquiesça, remerciant mille fois son masque de dissimuler son visage rougissant.

— Ça va ? Rien de cassé ?

— Nan. je suis frais comme un gardon, prétendit Peter, malgré les frissons qui s'étaient mis à caracoler le long de son échine. R-rien ne vaut un plongeon dans une eau glacée p-pour se r-remettre les idées en place !

Captain America — ou devait-il l'appeler M. Rogers ? — éclata de rire, ce qui n'effaça pas totalement l'inquiétude que Peter lisait dans ses yeux.

— C'est bien, fiston. Ça, c'est un bon état d'esprit ! Mais je te conseille quand même de te changer rapidement, si tu ne veux pas attraper un mauvais rhume.

— J'y penserai, lui assura Peter, avant de reporter son attention sur la femme allongée près d'eux, visiblement inconscience. Et… elle ? Elle… elle va bien ?

M. Rogers reprit instantanément un air sérieux.

— Elle respire encore, répondit-il en posant une main délicate sur le visage de la femme. Pour le reste… je pense que je vais devoir l'emmener à l'hôpital. Ils sauront comment la prendre en charge et lui venir en aide. Tu veux que je t'y emmène aussi ?

— Oh, non, c'est inutile ! Je suis juste un peu mouillé. Rien qui nécessite de me faire ausculter sous toutes les coutures par des gens bizarres en blouse blanche. En tout cas, euh... m-merci beaucoup de nous avoir sauvés, M. Ro… euh, Captain America ! C-c'est un… un honneur !

M. Rogers pencha légèrement la tête, les sourcils saisis d'un bref frémissement.

— Dis-moi, on s'est déjà vus quelque part ? J'ai l'impression d'avoir déjà entendu ta voix. Tu habites dans le coin ?

— N-non, je ne crois pas qu'on se soit déjà rencontrés, geignit Peter, remerciant définitivement son costume de masquer ses joues écarlates. Je… euh, je viens du Queens.

— Oh. Moi, de Brooklyn.

M. Rogers lui tendit la main et Peter la serra avec une pointe d'appréhension mêlée d'admiration.

— Enchanté, Spider-Man du Queens.

— De même, M. Captain America de Brooklyn !

— C'est une chance que je passais par là et que je sois tombé sur vous. Si jamais tu as encore besoin de moi, n'hésite pas à faire un crochet par la Tour des Avengers. Son propriétaire est un peu grognon, mais tu n'auras qu'à dire que tu viens de ma part, et je ferai en sorte qu'on te reçoive en bonne et due forme, ajouta M. Rogers avec un clin d'œil.

— Je… oui, oui, bien sûr ! Merci !

M. Rogers l'observa encore quelques instants, sans que Peter ne parvienne à déchiffrer son regard.

— Tu es sûr que tu ne veux pas que je te raccompagne quelque part ? Tu trembles comme une feuille.

— Non, ne vous inquiétez pas ! J-je sèche très vite, ce n'est qu'une question de minutes, prétendit Peter, qui commençait à avoir peur que M. Rogers décide de l'emmener de force à la Tour des Avengers. Merci pour tout, M. Captain !

— Je t'en prie, Queens.

Le super-héros sembla encore hésiter mais, finalement, lui adressa un dernier sourire. Il se pencha, prit la femme inconsciente dans ses bras et repartit de son pas énergique et souple, laissant Peter derrière lui. L'adolescent le regarda s'éloigner sans un mot, à la fois soulagé et la gorge saisie d'un étrange sentiment, un peu piquant.

"Souhaites-tu que je demande à M. Stark de venir te récupérer ?" s'enquit soudainement Karen, le faisant sursauter. "Tu es trempé jusqu'aux os."

— Non, marmonna Peter en se relevant à son tour.

Ses dents claquaient si fort qu'il entendait à peine la voix de l'IA.

— Je préfère rentrer à pieds. Enfin, à toile !

Et sur ces mots, il se mit en route, espérant qu'il serait entièrement sec lorsqu'il retournerait dans sa chambre.

Sur le chemin, il repensa à la femme et à son étrange comportement. Elle semblait avoir été manipulée par quelque chose qui l'avait convaincue de se jeter du pont… quelque chose qui lui évoquait immanquablement la matière noirâtre capturée par M. Stark, et qu'il avait baptisé Schwartzy — ce qui ne l'avait pas empêché de s'enfuir de la Tour dès qu'ils avaient eu le dos tourné. Il s'enquit, saisi d'un doute :

— Karen, as-tu repéré la moindre forme de vie extra-terrestre sur cette femme lorsque je l'ai rattrapée ?

"Non, aucune."

Mais peut-être que la chose qui l'avait manipulée avait déjà quitté son organisme, et que c'était son absence, couplée à ce qu'elle lui avait susurré lorsqu'elle s'était logée en elle, qui avait précipité ses pulsions suicidaires. Devait-il en parler à M. Stark ?

Non, décida-t-il alors qu'un nouveau frisson glacé dévalait sa colonne vertébrale. Hors de question qu'il apprenne ce qu'il s'est passé aujourd'hui.

— I-il fait vraiment trop froid, marmonna-t-il alors que la Tour des Avengers apparaissait finalement à l'horizon. Tu crois que je vais bientôt me transformer en pingouin, Karen ?

"Je ne pense pas que tu puisses devenir un pingouin, Peter."

— Nngh… pourquoi il n'y a pas un chauffage dans ce costume ?

"Il y en a un. Veux-tu que je l'allume ?"

— Q-quoi ? Il y a un chauffage intégré à mon costume, et c'est seulement maintenant que tu me le dis ?!

— Le Protocole Spider-Kid ayant été désactivé, il n'est plus de mon ressort de te proposer spontanément d'utiliser les accessoires liés à ton costume, Peter.

— Génial, geignit l'adolescent. Il faudra qu'on répare ça, avec Ned. En attendant, oui, Karen ! Enclenche le chauffage, s'il te plaît !

Un long soupir de soulagement lui échappa lorsqu'une chaleur délicieuse se répandit sur son épiderme.


J'espère que ça vous aura plu, en tout cas j'étais super contente de pouvoir intégrer un peu plus de Steve Rogers à cette histoire !

J'avais déjà utilisé la semi noyade dans une autre histoire, c'est vrai, mais elle se prêtait bien aux événements de ce chapitre (et à ses répercussions sur la suite).

A bientôt, avec (beaucoup) plus de Tony et d'Irondad / Spiderson, promis !